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2
Accompagner l’adaptation de
l’économie
au changement climatique : le rôle
des institutions financières et bancaires
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
En 2015, l’Accord de Paris sur le climat
a reconnu à la fois le rôle
prépondérant du secteur financier dans la transition vers une économie
plus durable,
et l’enjeu prioritaire de l’adaptation au changement
climatique. Il a introduit, dans son article 2,
l’objectif d’orientation des
flux financiers vers des actifs « à faible émission de gaz à effet de serre »,
afin d’atténuer le réchauffement climatique
, et « résilients »,
c’est
-à-dire
capables
de s’adapter aux
conséquences du changement climatique.
L
’Union européenne et la France
ont progressivement adopté un
cadre d’action
pour inciter les institutions financières (banques, sociétés
d’assurances, gestionnaires d’actifs) à atteindre ces objectifs. Les acteurs
financiers sont désormais soumis à un encadrement réglementaire fondé
sur des exigences de transparence, qui les incite à financer, accompagner
et investir dans des projets favorables à la transition écologique et à
l’adaptation –
et, a contrario, à exclure à terme les secteurs qui y sont les
plus défavorables. Une approche prudentielle, poursuivant les mêmes
objectifs, est mise en œuvre en parallèle, à
la demande de la Banque
centrale européenne et des superviseurs nationaux
. Ce cadre d’action
est
en cours d’appropriation
par les acteurs : toutes les conditions
d’application
n’en
sont
pas
encore
définies
et
les
risques
«
d’écoblanchiment
» demeurent élevés.
Les sociétés financières publiques et privées ont déployé de
nombreux instruments pour financer la transition et communiquent
massiveme
nt sur le sujet. Toutefois, ce foisonnement d’engagements et de
produits « verts » est insuffisamment harmonisé. En conséquence, les
volumes engagés et les résultats des actions entreprises ne peuvent être
rigoureusement mesurés et comparés sur la période récente. La prise en
COUR DES COMPTES
182
compte des besoins spécifiques de financement des actions d’adaptation est
difficilement
évaluable,
ces
financements
étant
le
plus
souvent
indissociables de l’atténuation. Les données disponibles tendent néanmoins
à montrer que la (ré)allocation des flux financiers vers la transition de
l’économie est d’ampleur très limitée, le premier critère d’allocation des
flux demeurant la rentabilité financière, et non l’impact environnemental.
La Cour identifie trois
leviers d’action pour
accentuer le
financement de la transition et de l’adaptation
: une définition et un
contrôle plus rigoureux de l’impact environnemental des produits
financiers autoproclamés « verts »,
l’amélioration de la rentabilité des
projets de transition et d’adaptation –
en agissant sur la réglementation et
sur les curseurs économiques et financiers sous-jacents à ces projets
et,
enfin, l’intégration des enjeux de financement dans la gouvernance et le
pilotage des politiques publiques de l’adaptation
.
Au terme d’une enquête auprès d’institutions financières françaises
publiques et privées, d
’acteurs de la finance durable, d’instituts de
recherche, de ministères, de superviseurs et de régulateurs, le présent
chapitre examine l’évolution du cadre réglementaire et prudentiel
de
l’action des institutions financières (I)
,
analyse l’action d
es institutions
financières publiques et privées pour le financement de la transition et de
l’adaptation
(II) et
identifie les leviers pour renforcer l’orientation des flux
financiers vers
l’adaptation de l’économie (III).
I -
Un cadre d’action en évolution, une attention
récente aux enjeux d’adaptation
Le cadre d’action des banques, fonds d’investissement et sociétés
d’assurances comporte deux volets
:
d’une part,
un encadrement
réglementaire, e
n cours de définition et d’appropriation par les acteurs aux
niveaux national et européen ;
d’autre part, une approche par les risques, qui
progresse sous l’égide des superviseurs bancaires et assurantiels (banques
centrales et Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
ACPR).
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
183
A -
Un encadrement réglementaire ambitieux mais
perfectible, en cours d’appropriation par les acteurs
Depuis l’Accord de Paris en
2015, plusieurs textes européens et
nationaux
ont été adoptés pour suivre et encadrer l’activité des
institutions
financières en matière environnementale. Ils poursuivent un objectif de
transparence, supposant que l’effet réputationnel incitera ces entités à
réorienter les flux financiers vers la transition écologique de l’économie.
La transition écologique est ici entendue comme le ou les processus de
transformation de la société vers un modèle plus écologique, intégrant les
objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique. Elle
inclut la transition des systèmes de production, de distribution et de
consommation sur un territoire donné.
1 -
Une réglementation non stabilisée
L
’encadrement européen a profondément évolué à la suite du
Plan
d’action de l’Union européenne (UE) sur la finance durable de 2018
,
renouvelé en 2021
, dont l’objectif principal visait à orienter les
flux de
capitaux vers des investissements durables
120
.
L
es activités économiques favorables à l’environnement
sont
définies et classées selon des critères communs en application de la
taxonomie européenne adoptée en juin 2020
121
: relever
de l’une des
90 catégories économiques éligibles définies par la Commission,
contribuer
substantiellement à l’un des six objectifs environnementaux
122
,
ne pas
causer de préjudice important à l’un des cinq autres objectifs tout en
offrant des garanties sociales minimales. Sur ce fondement, les institutions
financières devront, à partir de 2024, publier la part d’activités durables
dans leur encours (sociétés d’investissement), bilan (établissements de
crédit) ou portefeuille de souscription (assurances).
120
Règlement 2020/852 du 18 juin 2020, règlement délégué 2021/2139 du 4 juin 2021
et règlement délégué 2022/1214 du 9 mars 2022 (Taxonomie) ; règlement 2019/2088
du 27 novembre 2019 (SFDR), directive 2022/2464 du 14 décembre 2022 (CSRD). Ces
textes sont complétés par un acte délégué (MIFID II) applicable depuis août 2022.
121
Les conditions d’application sont encore en cours de définition.
122
Atténuation du changement climatique, adaptation au changement climatique,
utilisation durable et préservation des ressources aquatiques et marines, transition vers
une économie circulaire, prévention et réduction de la pollution, protection et
restauration de la biodiversité et des écosystèmes.
COUR DES COMPTES
184
Le règlement européen
Sustainable Finance Disclosures Regulation
(SFDR), entré en vigueur en mars 2021, définit les exigences de transparence
à l’égard des produits financiers. Les gestionnaires d’actifs doivent
désormais distinguer, parmi les produits durables, ceux faisant la promotion
des caractéristiques environnementales ou sociales (dits « article 8 » en
référence à l’article du règlement) et
ceux poursuivant un objectif
d’investissement durable, à la définition plus restrictive (dits
« article 9 »).
La législation française prévoyait dès 2015 des informations supplémentaires
concernant l’alignement sur les objectifs de l’accord de Paris et les objectifs
internationaux en matière de biodiversité
123
.
La directive européenne
Corporate sustainability reporting directive
(CSRD) vise à normaliser, préciser et élargir le champ de publication des
données extra-financières de toutes les entreprises, en tenant compte de leur
taille, afin que les investisseurs et le grand public disposent d'informations
comparables et fiables.
Le Groupe consultatif pour l’information financière en
Europe (EFRAG), composé de normalisateurs comptables nationaux, de
fédérations professionnelles européennes ou encore d’organisations non
gouvernementales, est chargé de conseiller la Commission dans la conception
de ce cadre de
reporting
, qui remplacera celui de 2014
124
. La directive CSRD
introduit des changements majeurs, en définissant les contours de ce que devrait
être un plan de transition de l’entreprise
125
et en exigeant la transparence sur
l’existe
nce de ce dernier. Le texte consacre la logique de la
double matérialité
:
l’entreprise devra à la fois examiner l’incidence de la dégradation des conditions
environnementales sur son activité et mesurer l’impact de son activité sur ces
mêmes conditions. E
nfin, le champ des entreprises concernées dans l’Union
européenne est élargi de 11 700 à plus de 50 000 entreprises.
Le travail de l’EFRAG se développe parallèlement à celui
de la
fondation IFRS
126
,
qui a initié en 2021
la conception d’
un socle mondial de
normes
de durabilité, l’ISSB (
International Sustainability Standards
Board
). Contrairement aux normes européennes, qui sont contraignantes,
l’ISSB est facultatif pour les États, qui peuvent choisir de l’intégrer ou non
dans leur réglementation. Ce socle de normes se veut plus simple
d’utilisation, car moins exhaustif que la directive CSRD. Il est surtout
moins ambitieux car il n’intègre pas de critère de double matérialité.
L
’interopérabilité
avec les normes européennes est un enjeu crucial pour
les sociétés financières françaises.
123
Article 173 de la loi de 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
124
Directive 2014/95/UE du 22 octobre 2014.
125
Le plan de transition d
evra décrire les actions mises en œuvre par l’entreprise
pour
assurer la compatibilité de son modèle et de sa stratégie avec la transition vers une
économie durable, les objectifs de
l’accord de Paris et de neutralité climatique d’ici à
2050 et, le cas échéant, l’exposition à des activités liées aux énergies fossiles
.
126
International Financial Reporting Standards
, référentiel comptable produit par
l’
International Accounting Standards Board
- IASB.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
185
Ces évolutions récentes sont en cours d’appropriation par les
acteurs. Le règlement SFDR sur les produits financiers ne s’applique que
depuis début 2021. La publication de l’alignement des activités des
sociétés financières avec les
objectifs d’atténuation et d’adaptation de la
taxonomie commencera en 2024 et la directive CSRD sur le
reporting
extra-
financier des entreprises sera progressivement mise en œuvre à
partir de 2024, avec des entrées en vigueur différées jusqu’à 2029 pour
les petites et moyennes entreprises.
2 -
Un cadre peu contraignant qui pourrait gagner
en cohérence et en lisibilité
Pour amplifier la réorientation des flux financiers et leur alignement
avec les objectifs climatiques, le cadre réglementaire européen accroît les
exigences de transparence. Son efficacité dépend
de l’effet de signal de
l’information extra
-financière et de sa bonne appropriation par les acteurs.
Plusieurs limites aux effets de cette réglementation sur le
financement de l’adaptation peuvent déjà être identifiées. Tout d’abord,
alors que l’adaptation est désormais un objectif climatique de l’UE au titre
de la taxonomie, les activités fléchées par le texte comme servant cet
objectif recoupent à 88 % les activ
ités liées à l’atténuation
. Par ailleurs, la
taxonomie fixe plutôt un cap pour l’avenir en définissant les actifs «
verts
foncés »
127
, sans prendre véritablement en compte la dynamique de
transition de l’économie. Elle est très restrictive à ce stade, puisqu
e les
90 activités éligibles ne représentent que 3 % du produit intérieur brut
(PIB) européen. L
es taux d’alignement publiés par les
sociétés financières
devraient être très faibles
dans les premières années de leur mise en œuvre,
induisant de potentiels effets désincitatifs même pour les acteurs les plus
engagés.
C’est pourquoi la Plateforme sur la finance durable, composée
d
experts conseils de la Commission, préconise
la mise en œuvre d’une
« taxonomie de transition »
128
, en ligne avec de nombreux acteurs.
Lacunaire sur certains points, la réglementation est foisonnante sur
d’autres, en laissant aux acteurs une marge d’interprétation qui nuit à sa
cohérence. La classification des produits financiers au titre de l’article 8
(« socialement et environnementalement responsables »
) ou de l’article 9
(« investissement durable ») du règlement SFDR augmente le risque
d’écoblanchiment, et fait apparaître un besoin de clarification
: le texte, peu
127
Se dit des actifs les plus favorables à l’environnement définis par la taxonomie.
128
Platform on sustainable finance
,
The extended environmental taxonomy: Final
Report on taxonomy extension options supporting a sustainable transition
, mars 2022.
COUR DES COMPTES
186
prescriptif, s’appuie sur des concepts insuffisamment définis comme ce
lui
d’
« investissement durable ». Ainsi, selon une étude de Novéthic
129
financée par l’Agence de la transition écologique (Ademe
) et la Caisse des
dépôts et consignations (CDC) et publiée en décembre 2022, sur 195 fonds
autoclassifiés « article 9 » représentant un encours de 72
Md€
, seule une
vingtaine s’engageait à une part minimum d’investissement durable.
L’Autorité des marchés financiers (AMF) ainsi que la direction générale
du Trésor plaident pour la définition de seuils minimaux de durabilité pour
ces deux types de fonds.
La confusion est accrue par l’absence d’articulation entre le règlement
SFDR et la taxonomie. La définition de la durabilité diffère selon les deux
textes, si bien qu’un produit financier peut être considéré comme durable au
titre du règlement SFDR sans effectuer aucun investissement dans des activités
alignées sur la taxonomie. La Commission a annoncé une évaluation de ce
règlement avant sa probable révision, afin notamment d’améliorer son
articulation avec la taxonomie et d’harmoniser
les définitions.
Enfin, l’articulation entre les exigences européennes et nationales
peut s’avérer complexe. La
loi du 8 novembre 2019
relative à l’énergie et
au
climat
impose
depuis
2019
la
publication
d’informations
supplémentaires par les sociétés financières françaises. La Cour
recommande d’établir
un tableau de correspondance clair et simple
d’utilisation
entre ces différents cadres
, afin d’en faciliter l’
application.
3 -
D’importants
enjeux opérationnels et coûts associés
à la mise en œuvre
Les sociétés financières et non financières font face à de nombreux
défis opérationnels dans l’application d
es nouvelles règles.
D’une part, les
coûts moyens par entreprise, résultant de la préparation de la directive
CSRD, pourraient évoluer entre 40 000
et 320 000
; les coûts moyens
annuels d’audit pourraient s’élever
entre 67 000
et 540 000
130
. Ces
montants sont vraisemblablement surévalués, car calculés sur la base de la
première proposition, très détaillée,
de l’EFRAG
. Il
s n’en demeurent pas
moins significatifs
. D’autre part, la réglementation nécessitera
de faire
évoluer l
es systèmes d’information
des sociétés pour industrialiser le
traitement des données.
129
Novéthic
(média en ligne sur l’investissement socialement responsable, filiale du
groupe Caisse des dépôts),
SFDR : les débuts poussifs du marché des fonds
« article 9 »
, 2022.
130
CEPS-
Milieu, étude commanditée par l’EFRAG, novembre 2022.
ACCOMPAGNER L’ADAPTA
TION DE
L’ÉCONOMIE AU CHANG
EMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
187
La
mise en conformité sera d’autant plus complexe
à court terme
que les calendriers des obligations de
reporting
ne sont pas synchronisés.
Les sociétés financières doivent fournir depuis 2021 des données agrégées
sur la durabilité de leur portefeuille
, sur la base d’
informations
standardisées qui ne seront
publiées par les entreprises qu’à partir de 20
24.
Ces sociétés font enfin face à des besoins massifs de formation et de
recrutement dans le domaine de la finance durable et de la transparence.
B -
Une prise en compte du risque climatique amorcée
sous l’impulsion des superviseurs
1 -
L’identification du risque climatique
: une protection
des
bilans indispensable au financement de l’adaptation
Chaque société financière doit identifier et mesurer les risques
financiers auxquels elle est confrontée. Dans ce cadre, elle doit définir des
ac
tions d’adaptation pour limiter les impacts
du risque climatique.
Le risque climatique se décompose en deux volets principaux : (i) le
risque physique lié à l’augmentation de la fréquence et du coût des aléas
climatiques extrêmes et (ii) le risque dit « de transition » qui couvre le
risque de pertes financières
d’un établissement
du fait
de l’évolution de
l’é
conomie (réglementations, préférences de marché, etc.).
L’identification des risques physiques est un préalable à l’adoption
de mesures d’adaptation pe
rtinentes. De plus, la matérialisation du risque
climatique et l’émergence d’actifs dits «
échoués »
131
pourront diminuer la
solvabilité des emprunteurs ou engendrer une dépréciation de certains
actifs au bilan des sociétés financières. L’intégration du risq
ue climatique
aura donc des effets opérationnels en affectant la solidité financière des
clients, influant par là-même sur les décisions financières les concernant,
comme l’illustre le schéma ci
-dessous.
131
Subissant une perte de valeur par exemple du fait de leur localisation dans une zone
très exposée aux risques climatiques extrêmes ou de leurs forts niveaux de carbonation.
COUR DES COMPTES
188
Schéma n° 3 :
cadre de risques
et prise en compte de l’adaptation
Source : Cour des comptes
2 -
Des superviseurs qui se sont activement saisis du sujet
La gestion des risques pour les banques et les assurances est encadrée
par la régulation prudentielle déterminée au niveau européen
132
. En matière
bancaire, elle fixe les exigences minimales de fonds propres que doivent
respecter les établissements (dites « Pilier 1 ») et confèrent au superviseur
la capacité d’établir un dialogue avec chaque entité pour y ajouter, si
nécessaire, des exigences individualisées (dites « Pilier 2 »). La prise en
compte du risque climatique a fait l’objet, au titre du Pilier 2, de plusieurs
exercices menés par l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation
(ACPR
superviseur des assurances et de certains établissements
spécifiques comme la CDC) et par la Banque centrale européenne (BCE),
qui supervise les banques les plus importantes de la zone euro, au nombre
de onze en France, dont Bpifrance et la Banque Postale (LBP).
132
Capital Requirements Regulation
(CRR) et
Capital Requirements Directive
(CRD)
pour les banques, directive dite « Solvabilité II » pour les assurances.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
189
L’intégration du risque climatique dans les règles prudentielles
Les règles établies par le Comité de Bâle
133
définissent les
exigences que les sociétés financières doivent respecter pour garantir la
solidité du système financier, comme les niveaux minimaux de fonds
propres ou d’actifs liquides à détenir. Ces règles sont trad
uites
juridiquement au niveau européen. Leur application et la gestion des
risques des établissements sont ensuite contrôlées par des superviseurs
nationaux (comme l’ACPR en France) ou européens (la BCE), selon le
type et la taille de l’entité financière c
onsidérée.
Dans ce cadre, l’Autorité bancaire européenne (ABE) devra remettre
plusieurs rapports à la Commission européenne entre 2023 et 2025 sur
l’opportunité et les moyens d’instaurer des charges en capital (niveaux
minimaux de fonds propres) pour certaines expositions aux risques liés à
des sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance (dits ESG), puis
sur les effets de ces mesures. Un rapport similaire doit être remis par
l’Autorité
européenne
des
assurances
(
European
Insurance
and
Occupational Pensions Authority
- EIOPA) à la Commission.
En l’état actuel des discussions, l’instauration d’un facteur de risque
favorisant les produits « verts » semble exclue, dans la mesure où le
caractère « vert
» d’un produit n’a pas d’impact sur son risque finan
cier. Les
risques ESG devraient en revanche être progressivement intégrés dans la
mesure des risques classiques (crédit, marché, opérationnel), qui
déterminent les exigences en fonds propres du Pilier 1.
Les superviseurs se sont saisis du sujet de l’ident
ification et de la
mesure du risque climatique. Ils imposent notamment la réalisation de tests
de robustesse (
stress tests
) aux sociétés financières : en appliquant des
scénarios de chocs à leurs portefeuilles, ces dernières simulent les niveaux
de provisionnement, voire de capitalisation, nécessaires pour assurer la
pérennité de leur activité.
En 2020, l’ACPR a mené un exercice pilote de mesure de
l’intégration d
e ce risque. Cet exercice, réalisé sur un échantillon jugé
représentatif
134
, a mis en évidence l
importante marge de progrès du
secteur, en particulier sur le risque physique. La BCE a porté un bilan aussi
sévère à l’issue d’un
stress test
réalisé en 2022 sur 41 établissements de
crédit, accompagné d’une revue de la prise en compte du
risque climatique
pour 186 banques représentant 25 000
Md€
de bilan (16 établissements de
133
Créé en 1974, le Comité de Bâle est chargé de renforcer la solidité du système
financier mondial en améliorant
l’efficacité du contrôle prudentiel et la coopération
entre régulateurs
bancaires. Il rassemble aujourd’hui
les superviseurs de 28 pays.
134
Couvrant 85 % du total de bilan bancaire et 75 % du total de bilan assurantiel français.
COUR DES COMPTES
190
crédit sont concernés en France). L
’institution
estime
l’intégration du
risque climatique par les banques
« insuffisante »
et la situe au «
stade
préliminaire
». Seules 41 % des banques interrogées ont établi un cadre
interne de
stress tests
incluant le risque climatique et 19 % intègrent les
résultats obtenus
dans leurs décisions d’octroi de crédits.
L’exercice mené par l’ACPR n’avait pas de valeur normative tandis
que les travaux de la BCE auront des conséquences significatives pour les
banques. La BCE a transmis une liste de mesures correctives,
individualisées et confidentielles, auxquelles les banques doivent se
conformer
d’ici fin 2024. Ces exigences pourraient
donc se
traduire, d’ici
moins de deux ans, par des demandes de capital additionnel au titre du
Pilier 2. Or, les caractéristiques des modèles de risques actuels intègrent
mal le risque climatique. En effet, ces modèles
sont fondés sur l’analyse de
l’historique
des défauts des emprunteurs et des pertes ainsi occasionnées,
qui n’ont été que peu impactés par le changement climatique dans le passé.
Par ailleurs l’horizon temporel de projection des
modèles de risque issus
des règles du comité de Bâle est
d’un
an, nettement inférieur à
l’horizon
temporel de matérialisation du risque climatique. Ce dernier dépasse aussi
en très grande partie la durée de maturité des portefeuilles bancaires, qui
est en moyenne de trois ans.
Dans le secteur assurantiel, le constat est proche. Les assureurs
disposent de capacités de projection et de données fines permettant une prise
en compte plus avancée du risque climatique dans leur bilan. Mais l’EIOPA
a souligné, en août 2022, que les risques liés au changement climatique
restaient insuffisamment intégrés par les assureurs aux processus internes
d’évaluation des risques et de la solvabilité. L’horizon temporel de trois à
cinq ans utilisé par les assureurs pour évaluer les risques de leur bilan ne
permet pas la prise en compte adéquate des risques liés au changement
climatique. L’ACPR mène actuellement des
stress tests
approfondis en
requérant des assureurs des projections de bilans jusqu’en 2050.
Une fois que ces exercices auront permis de mieux identifier et
mesurer le risque climatique, les sociétés financières pourront en réduire
l’impact
, en incitant leurs clients à prendre
des mesures d’adaptation.
3 -
Dans les entités financières publiques, une intégration inégale
du risque climatique, aux effets encore limités
Supervisées par la BCE, La Banque Postale (LBP) et Bpifrance ont
été soumises au
stress test
et à la revue thématique de 2022 et devront avoir
mis en œuvre les mesures correctives nécessaires en
2024.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
191
Au sein de LBP, le risque climatique est suivi depuis 2019 par une
équipe spécifique, qui l’a intégré à la cartographie et à la déclaration
d’appétence pour le risque
135
de la banque. Un effort important est mené en
continu depuis 2020 sur la collecte et la qualité des données, qui a permis de
quantifier l’exposition aux risques d’inondations et de réaliser des diagnostics
de performance énergétique harmonisés pour tous les actifs immobiliers. Des
seuils d’alerte ont été définis à l’échelle du groupe et des métiers.
Bpifrance
a mené une analyse fine, jusqu’au niveau communal
, de
son exposition au risque physique. Pour le risque de transition, la banque a
construit une méthode de
valorisation de l’écart entre la trajectoire carbone
de l’entreprise et sa cible, ce qui lui permet d’évaluer
un risque de
trajectoire pour la société concernée. Les résultats de cet outil sont
présentés semestriellement en comité de gestion du risque climatique.
Plusieurs travaux sont en cours, notamment pour préciser les modalités de
suivi de la trajectoire de transition des entreprises clientes de Bpifrance, ou
encore le coût financier des aléas du risque physique
. L’objectif de ces
travaux est
d’isoler et de chiffrer
la composante risque climatique par
dossier, conformément aux attentes de la BCE.
La prise en compte du risque climatique dans l’évalu
ation du risque
de crédit d’une entreprise et dans les décisions la concernant, est attendue par
la BCE pour fin 2024. Cette démarche n’est pas encore aboutie dans les deux
banques publiques. Certaines avancées ont été réalisées. LBP utilise des
indicateurs climatiques comme aide à la décision. Les équipes de gestion du
risque climatique de Bpifrance participent aux comités d’investissement sur
les dossiers les plus significatifs en termes de montants. Cependant, les
progrès dans l’évaluation du risque climatique n’ont pas encore eu de
conséquences sur les décisions d’octroi de crédit, comme le refus d’un projet
rentable à mauvais impact climatique ou, au contraire, la décision de financer
un projet moins rentable mais favorable au climat.
Non soumise à la supervision de la BCE, la Caisse des dépôts et
consignations (CDC)
a publié un plan d’adaptation en octobre 2022
. Il
prévoit le développement
d’outils de mesure du risque physique afin de
l’intégrer dans les décisions financières et d’alimenter les exercices de
stress tests
internes. La CDC a participé volontairement
à l’exercice pilote
de l’ACPR
, qui la supervise. Un
stress test
interne a été mené en parallèle
sur son portefeuille d’
actions, avec un horizon de temps différent de celui
de la BCE. S
on résultat n’est, de fait, pas comparable
à celui des autres
135
Document formalisant le niveau et le type
de risque qu’un établissement peut et
souhaite assumer dans ses expositions au risque et ses activités, compte tenu de ses
objectifs opérationnels et de ses obligations.
COUR DES COMPTES
192
établissements. Même si la méthodologie retenue par la CDC peut
s’expliquer, l
a réalisati
on d’un exercice
suivant les hypothèses retenues par
la BCE
aurait permis de comparer les résultats obtenus par l’ensemble des
entités publiques.
En cohérence avec les demandes de l’Autorité européenne des
assurances, CNP Assurances a identifié les différents «
canaux d’impacts
»
potentiels du risque climatique. Le but est de vérifier que les dispositifs de
gestion des risques permettent de couvrir la survenance du risque
climatique. Cette analyse doit être complétée, car elle est
pour l’heure
limitée au portefeuille
d’assurance
-vie et aux actifs détenus en direct.
Enfin, les vulnérabilités de l’assureur vis
-à-vis du risque climatique sont
bien identifiées sans avoir pour autant été encore intégrées dans ses
scénari
os d’évaluation interne des risques de solv
abilité.
L’évolution du cadre réglementaire incite les sociétés financières à
accroître la transparence sur leurs actions en faveur de la transition. Les
avancées prudentielles réalisées sous l’impulsion des superviseurs les
conduisent à mieux prendre en compte le risque climatique dans leurs
décisions. Ces actions préventives visent à protéger la réputation et le bilan
des sociétés financières. Elles sont complétées par des engagements
volontaires à financer la transition et l’adaptation, en déployant une
offre
ad hoc
à destination de leurs clients (particuliers, entreprises ou collectivités).
II -
Le financement de la transition
par les institutions financières : un bilan
contrasté au regard des besoins estimés
Au regard des besoins de financement estimés pour la transition
écologique, le bilan provisoire des actions des institutions financières,
difficilement quantifiables et comparables, est limité, tant pour les entités
publiques que privées. Les résultats sont encore plus mitigés dans le
domaine de l’adapta
tion, pour lequel les évaluations des besoins comme
les avancées sont embryonnaires.
ACCOMPA
GNER L’ADAPTATION DE
L’ÉCONOMIE AU CHANG
EMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
193
A -
Des besoins estimés à 66
Md€ par an d’ici 2030
pour
la transition, encore peu évalués pour l’adaptation
Dans sa feuille de route relative au
Green Deal
présentée en
décembre 2019, la Commission européenne estimait à 260
Md€ par an les
besoins d’investissements supplémentaires pour atteindre ses objectifs en
matière de climat et d’énergie d’ici 2030,
soit 1,5 % du PIB européen de
2018. Elle préconisait la mobilisation des secteurs public et privé.
En France, le rapport Pisani Ferry - Mahfouz de mai 2023 a
synthétisé les évaluations existantes
136
. Il estime le besoin supplémentaire,
pour financer les investissements nécessaires à la transition à 66
Md€
par
an à horizon 2030, soit 2,3 points de PIB. En parallèle, les investissements
dans les énergies fossiles, à hauteur de 60 à 80
Md€
par an entre 2015 et
2022, devraient décroître à 30
Md€
en 2030 pour quasiment disparaître à
horizon 2040. À
l’inverse, les investissements r
elatifs au climat sont passés
de 53
Md€
en 2015 à 84
Md€
en 2021.
S’agissant de l’adaptation, l’évaluation des investissements à réaliser
n’en est qu’à ses débuts. Une étude récente d’I4CE
137
a proposé 18 premières
mesures immédiatement mobilisables, pour un coût annuel de 2,3
Md€.
Trois études
d’I4CE, de France Stratégie et de Carbone
4 avec
l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)
138
ont
estimé les besoins pour quelques chantiers
139
. Par exemple, en projetant les
besoins financiers nécessaires au maintien du service rendu, Carbone 4 et
l’OFCE
ont évalué à 38
Md€ le montant des investissements additionnels
requis d’ici 2050, pour la seule adaptation du parc d’infrastructures.
Ces estimations doivent être traitées avec précaution. Le chiffrage
des besoins financiers liés à l’adaptation est complexe car il dépen
d de la
réalisation de
scénarios hypothétique
s, des mesures d’adaptation
préventives réalisées en amont et de choix politiques futurs. La projection
globale doit
également s’appuyer sur une
approche fine et décentralisée,
136
Réalisées par I4CE («
Panorama des financements climat »,
2022
)
, Rexecode («
Les
enjeux économiques de la décarbonation de la France »
, Mai 2022) ou encore
l’ADEME en partenariat avec le CGDD
(« Évaluation macroéconomique de la
Stratégie nationale bas-carbone (SNBC2) avec le modèle ThreeME »
, février 2022) et
reprises par France Stratégie (
«
Les incidences économiques de l’action pour le
climat »
, mai 2023).
137
I4CE, «
Se donner les moyens de l’adaptation
», juin 2022.
138
France Stratégie,
«
Le coût de l’inaction face au changement climatique en France
:
que sait-on ? »,
mars 2023 ;
« Le rôle des infrastructures dans la transition bas-carbone
et l’adaptation au changement climatique de la France
»,
Carbone4 et OFCE, 2021.
139
Protéger la ressource en eau, repenser les villes contre l’effet d’îlot de chaleur, etc.
COUR DES COMPTES
194
pour laquelle il manque des éléments d’analyse. Le risque littoral n’est par
exemple analysé qu’au prisme d
es logements menacés, hors exposition des
infrastructures et des activités économiques. Enfin, les chiffrages globaux
réalisés jusqu’ici
ne permettent pas de préciser la répartition de la charge
financière entre les acteurs publics et privés.
B -
Des actions surtout consacrées à l’atténuation,
aux méthodes disparates et aux effets limités
Les institutions financières privées comme publiques communiquent
massivement sur leurs nombreux engagements en matière climatique, ainsi
que sur leurs instruments financiers définis comme « verts ». Les montants
mobilisés
et l’harmonisation des pratiques n’en demeurent pas moins faibles
au regard des enjeux.
1 -
Une communication massive, des résultats peu quantifiables
a)
Un foisonnement d’engagements aux approches hétérogènes
Depuis 2015, les sociétés financières françaises affichent de
multiples engagements en faveur de l’atténuation
du réchauffement. Elles
participent notamment aux alliances dites «
Net Zero
», organisées par
filière (banques, assurances, etc.) sous l’égide de l’ONU.
Leurs membres
s’engagent
à aligner leur portefeuille avec les objectifs de l
’Accord de Paris
en termes de réchauffement (+ 1,5 °C) et à viser la neutralité carbone nette
d’ici
2050. La participation à ces initiatives, qui représente près du quart
des engagements climatiques recensés par l’Observatoire de la finance
durable (OFD)
140
,
ne comporte pas d’obligations de résultat
.
Les sociétés financières françaises ont pris de nombreux engagements
collectifs portant sur l’exclusion du charbon ther
mique de leurs activités
141
ou, depuis 2021, sur l’arrêt du financement des projets d’hydrocarbures dits
« non conventionnels » (pétrole ou gaz de schiste, etc.). Ces accords sont
présentés comme ambitieux au regard des pratiques internationales. Ils
n’englobent toutefois ni l’ensemble des secteurs du pétrole et du gaz, ni la
totalité de leurs chaînes de valeurs. Ils sont complétés par une multitude de
plans et objectifs individuels. Fin 2021, l’OFD recensait 694 engagements
publics liés au climat auprès de 400 acteurs français.
140
Observatoire rattach
é à l’Institut de la finance durable
, qui collecte des données
déclaratives sur les engagements ESG et assure le suivi des indicateurs y afférant.
141
D’ici 2023 pour les activités dans les pays de l’OCDE et d’ici 2040 intégralement.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
195
Les objectifs affichés par les banques et assureurs français sont très
divers. Leurs stratégies font l’objet d’une communication importante et ont
des périmètres et
niveaux d’ambition
très inégaux, pouvant représenter de
0,4 à 20 % de
leur bilan. La gamme d’engagements individuels à exclure
certains projets ou entreprises est large, allant jusqu’à la sortie complète du
pétrole et du gaz (LBP en 2030, MAIF en 2040).
Les indicateurs de suivi de ces engagements et leurs méthodologies
sont propres à chaque institution et souvent faiblement explicités. Les
sociétés financières communiquent en valeur ou en variation tantôt sur des
volumes globaux alloués à la transition (BNP Paribas, Crédit Agricole),
tantôt sur des objectifs d’allocation d’
une part de leur résultat aux projets
verts (Crédit Mutuel, MAIF) ou encore sur des encours de prêts (BPCE) ou
d’investissements verts (AXA, CNP Assurances) à atteindre. D’autres
ciblent un secteur particulier (la transition énergétique pour la Société
générale). Elles utilisent des termes aux définitions mouvantes (
« prêts
verts »
,
« projets à fort impact climatique »
, etc.) ou non consensuelles
(
« hydrocarbures non conventionnels »
). Enfin, leurs plans s’inscrivent dans
des horizons temporels variables, q
ui s’échelonnent entre 2024 et 2040.
En pratique, les objectifs affichés sont peu quantifiables, peu suivis
et peu comparables.
L’AMF
et l’ACPR
, chargées depuis 2020 de produire
un rapport annuel de suivi et d’évaluation des engagements climatique
s de
la place de Paris, déploraient fin 2022 les importants biais méthodologiques
qui sous-tendent ces
engagements, et l’insuffisante qualité
de leur suivi. Le
constat de l’OFD est
proche : seuls 52 % des 694 engagements sont
considérés comme rigoureusement suivis
142
.
b)
Des instruments financiers verts propres à chaque acteur,
pour des montants relativement limités
Les sociétés financières ont développé de multiples instruments
dans le but d’
orienter leurs capitaux vers la transition. Ces outils dépendent
de la
nature et des métiers de l’entité et diffèrent selon l’étape à laquelle ils
interviennent (décision de financement, détention de l’actif), comme
l’illustre le schéma ci
-dessous.
142
Précisions sur l’activité concernée, périmètre de l’engagement, calendrier, etc.
COUR DES COMPTES
196
Schéma n° 4 :
instruments financiers « verts » développés
par les acteurs financiers
Source : Cour des comptes
Note : Une obligation est un titre de dette émis par une entreprise, une collectivité territoriale
ou un État. Un fonds est une structure financière permettant à des investisseurs de mettre en
commun du capital pour investir dans diffé
rentes catégories d’actifs
.
La majorité des banques a développé des « prêts verts » qui offrent aux
clients des conditions préférentielles s’ils financent des projets favorables à
l’environnement. La Fédération bancaire française (FBF) évaluait à plus de
100
Md€ les encours de crédits verts et durables
143
fin 2021. Ils représentent
moins de 5 % du total estimé des crédits accordés aux entreprises et aux
particuliers. Cette part a toutefois augmenté de 30 % par rapport à 2020. Les
banques françaises sont des acteurs notables sur ce marché
: quatre d’entre
elles totaliseraient 18 % du marché mondial en 2022. Pour autant, le caractère
« vert
» de ces prêts ne répond pas à des critères harmonisés, même si l’entrée
en vigueur de la taxonomie pourrait aider à accorder les définitions.
143
Prêts conditionnés à des critères environnementaux et/ou sociaux et/ou de
gouvernance, dont 37,7
Md€ de distribution de prêts réglementés destinés au logement
neuf (éco-prêts à taux zéro notamment).
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
197
À ces prêts verts s’ajoutent
les récents « prêts à impact », qui ne
financent pas forcément la transition mais dont les conditions d’octroi sont
améliorées selon la performance extra-financière, donc éventuellement
environnementale, du client. Enfin, les investissements dans des
obligations vertes constituent un autre type de financement, quand bien
même leur cadre est en cours de définition et les montants en jeu limités.
Les obligations vertes : un cadre souple, des volumes limités
Jusqu’
au début
de l’année
2023, une obligation pouvait être qualifiée
de verte lorsqu’elle suivait les principes non contraignants établis par une
association de marché reconnue au niveau mondial, l’ICMA (
International
Capital Market Association
).
Afin de favoriser la transparence et de réduire les risques
d’écoblanchiment
, un accord politique européen est intervenu en février
2023 pour encadrer l’utilisation du terme d’
«
obligation verte européenne »
(
European Green Bond Standard
). Au minimum 85 % des activités
financées devront être alignées sur le règlement taxonomie. Par ailleurs, des
tiers
régulés par l’AMF vérifieront l’utilisation des fonds au moins une fois
pendant la durée de vie de l’obligation
.
En l’absence de cadre
stabilisé, les chiffres disponibles sur les
encours sont des estimations. Les données déclarées par les émetteurs
français à l’ICMA
144
permettent d’évaluer les émissions cumulées
d’obligations vertes à 210
Md$ depuis le lancement du marché. À titre de
comparaison, 2 845
Md€
de titres de dette ont été émis en 2022
145
.
Les fonds « verts », « à impact » ou orientés vers la transition se sont
multipliés. Selon Novéthic, le nombre de ces fonds était estimé en 2021 à
381 en Europe pour un encours de 200
Md€, en forte progression par
rapport à 2017 (164 fonds pour 22
Md€)
. Les gestionnaires de ces fonds
s’engage
nt
à n’investir l’argent qui l
eur est confié que dans des projets ou
entreprises favorables à l’environnement selon des critères prédéfinis.
La qualification de « fonds vert » est dépendante des modalités
retenues par l’investisseur. Elle est plus ou moins rigoureuse, allant de la
simple indexation sur des indices de marché extra-financiers au calcul des
émissions d’un portefeuille d’actifs, selon des méthodologies non
harmonisées.
Ces fonds résultent ainsi de définitions et d’indicateurs
choisis par l’entité elle
-même et sont dilués dans la catégorie de la finance
durable, plus large que la qualification « verte ». En France, seul le label
public « Greenfin » permet de distinguer les fonds contribuant à la
transition énergétique et écologique. Il coexiste avec le label public
« Investissement socialement responsable » (ISR).
144
Selon les données de l’ICMA relative aux titres «
durables », OAT Vertes incluses.
145
Émission et détention de titres français, BdF, 2022T4, t
ous types d’agents confondus
.
COUR DES COMPTES
198
Deux labels publics en faveur de l’investissement vert ou durable
:
Greenfin
et ISR
En France, deux labels pub
lics pour l’investissement «
durable »
coexistent :
Greenfin
, créé en 2015 par le ministère chargé de la transition
écologique, et ISR, créé en 2016 par le ministère de l’économie.
Le label
Greenfin
garantit la qualité verte des fonds d’investissement,
en requérant :
(i) une majorité d’investissements réalisée dans huit éco
-
activités définies, (ii) l’exclusion des secteurs des énergies fossiles et de la
filière nucléaire, (iii) une veille active sur les controverses environnementales
des actifs en portefeuille et (iv) une évaluation des impacts positifs du fonds.
Fin 2022, 100 fonds disposaient de la certification
Greenfin
, pour un encours
de 35
Md€
. Le label
Greenfin
est en cours de redéfinition, afin d’améliorer
notamment sa cohérence avec le cadre européen.
Moins exigeant, le label ISR certifie les placements financiers durables
répondant à des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
Il regroupait, fin 2022, 1 134 fonds, pour un encours de 753
Md€. Le label
ISR a été refondu suite à un
rapport de l’Inspection générale des finances le
considérant insuffisamment contraignant et crédible. Ses nouveaux contours
ont été annoncés en novembre 2023 et s’appliquent depuis mars 2024. Le
label conserve son caractère généraliste, mais devient plus sélectif et intègre
désormais la double matérialité et l’exclusion de certaines activités carbonées
dans ses critères de sélection. Les fonds labellisés doivent aussi démontrer
qu’ils appliquent la double matérialité, en prenant en compte les principales
incidences négatives en matière de durabilité listées dans SFDR.
Les efforts réalisés pour rapprocher les labels publics et la
réglementation européenne sont à poursuivre. Ils convient de les faire
aboutir rapidement pour le label
Greenfin
. L
’évolution des f
onds labellisés
ISR à partir de mars 2024 devra par ailleurs
faire l’objet d’un suivi et d’une
vigilance accrus
, afin de s’assurer des effets concrets de sa refonte
. À
terme, l
’alignement
des labels publics sur la taxonomie européenne
permettrait d’amélior
er
la lisibilité de l’offre existante et
de faciliter sa
mesure en utilisant des critères chiffrés, harmonisés et comparables.
L’engagement actionnarial est un second levier d’action dont
disposent les investisseurs pour influer sur les stratégies environnementales
de l’entreprise. Les
sociétés financières sont engagées dans des politiques
de dialogue actionnarial hétérogènes, ainsi que le montrent les bilans
d’engagement des 24 principaux détenteurs et gestionnaires d’actifs
français. Seuls deux d’entre eu
x formulent des demandes claires sur le
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
199
secteur pétro-gazier
146
, tandis que moins de la moitié utilise une stratégie
d’escalade des sanctions en cas d’échec du dialogue, dont l’application ne
semble pas systématique
147
. Par ailleurs, le vote en assemblée générale sur
la politique climatique d’une entreprise n’a lieu que si
la direction de cette
dernière
ou un groupe d’actionnaires dépose
une résolution dite «
Say on
climate
»
148
. Or, les
Say on climate
n’ont concerné que
dix entreprises en
France en 2022. Cette pratique pourrait être généralisée,
a minima
pour les
sociétés cotées s
elon les préconisations de l’AMF
149
, et comporter des
indicateurs précis, y compris liés à la politique d’adaptation de l’entreprise.
Malgré l’abondance d’outils
,
l’
allocation des flux vers les projets de
transition demeure limitée. Les 200
Md€ d’encours des fonds verts
européens ne représentent que 1,3 %
de l’encours total de la gestion
d’actifs
dans l’UE, et les 100
Md€ d’encours de crédits verts et durables
français restent modérés en regard des besoins supplémentaires de
transition, estimés à 66
Md€ par an à horizon 2030 au niveau national. Ces
montants n’incluent pas
le désinvestissement nécessaire des secteurs les
plus polluants. Or, le secteur bancaire français était considéré comme le
premier financeur européen des énergies fossiles en 2021
150
, tandis que
l
’exposition des banques et gestionnaires d’actifs français au pétrole et au
gaz a augmenté en valeur entre 2015 et 2021
151
.
2 -
Le pôle financier public : des actions nombreuses,
insuffisamment harmonisées
Sous l’égide du
groupe Caisse des dépôts, le nouveau pôle financier
public formé en 2020 est composé de
l’établissement public CDC et de
filiales qui représentent des partenaires stratégiques : Bpifrance, La
Banque postale (LBP) et CNP Assurances.
Les entités du pôle financier public ont un rôle prépondérant à jouer
dans le financement de la transition. L’horizon d’investissement de ces entités
est globalement plus long, ce qui les expose davantage aux risques
climatiques et en fait égale
ment des acteurs clefs dans l’accompagnement des
transformations des territoires. Leurs principaux
secteurs d’investissement
146
Reclaim finance,
Engagement actionnarial : les investisseurs au service du statu
quo
, février 2022.
147
ACPR et AMF, Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la
Place, octobre 2021.
148
Résolution soumise au vote des actionnaires
d’une entreprise
lors de son assemblée
générale, qui
peut porter sur la stratégie climat de l’entreprise et/ou sa mise en œuvre.
149
AMF, Communiqué de presse, 8 mars 2023.
150
Rapport annuel
« Banking on climate chaos »,
réalisé par sept ONG.
151
ACPR et AMF, Suivi et évaluation des engagements climatiques des acteurs de la
Place, octobre 2022.
COUR DES COMPTES
200
principaux (habitat et logement, infrastructures, innovation, entreprises) sont
essentiels à l’atténuation comme à l’adaptation. Le
ur positionnement parfois
moins concurrentiel, lié à des activités totalement ou partiellement
positionnées sur des failles de marché ou à des objectifs de rentabilité moins
élevés en tant que banque de développement, en font des acteurs directement
concernés par la prise en compte des enjeux environnementaux. Les entités
publiques peuvent également avoir un effet d’entraînement sur l’engagement
d’acteurs privés, tant en matière de financement que d’accompagnement de
la transition et de l’adaptation.
Les entités financières publiques affichent toutes des ambitions en
matière de transition, dont les modalités opérationnelles varient.
Dans le cadre d’un plan Climat conjoint avec Bpifrance, la CDC s’est
engagée à consacrer 25
Md€
à la transition, dont 20
Md€
via
la Banque des
territoires et 5
Md€
provenant de la direction de la gestion d’actifs, entre
2020 et 2024. Conformément aux activités de la CDC, plus de 56 % de ces
fonds sont affectés au secteur du bâtiment et 13 % aux transports. Les 5
Md€
de fonds pro
pres prévus ont été entièrement investis par la gestion d’actifs
de la CDC, à 80 % vers des obligations vertes alors que ces dernières ne
devaient représenter qu’un peu plus de la moitié des flux. En 2023
152
, après
trois ans de mise en œuvre, l’état d’avance
ment du plan est hétérogène : les
investissements apparaissent en avance par rapport aux objectifs, alors que
les prêts verts à destination des collectivités territoriales, qui constituent
l’essentiel des financements prévus, accusent un retard conséquent.
Le
périmètre du plan Climat a par ailleurs évolué, avec l’inclusion de 6,8
Md€
de financement de constructions à haute performance énergétique.
Bpifrance s’est engagée à financer la transition des entreprises à
hauteur de 20
Md€
via
des produits spécifiques, entre 2020 et 2024, dans le
cadre du plan Climat. Cette action repose principalement sur une gamme de
prêts dont l’encours total atteignait 9,8
Md€
fin 2022 (dont 1,1
Md€
de
nouveaux
prêts verts
octroyés en 2022 et autant de prêts
énergie
environnement).
L’activité d’investissement est également mobilisée, avec
1
Md€
investis en direct à fin 2022 et 350
M€
investis dans des fonds
partenaires. Deux outils complémentaires sont spécifiques à Bpifrance. Le
premier est un fonds de garantie verte doté de 20 M
. Fin 2022, près de 15
M€
de garantie avaient été accordés, permettant l’octroi de plus de 30
M€
de prêts.
Un nouveau dispositif de garantie verte, mieux doté financièrement, est en
train d’être mis en place. Le second instrument regroupe l’ensemble des o
utils
d’accompagnement des entreprises
via
des diagnostics (
Ecoflux
,
Perf’Immo
,
etc.
) et des accélérateurs d’entreprises, qui prévoient des montants d’aide
publique par entreprise compris entre 2 000 et 5 000
par prestation.
152
Cour des comptes,
Les engagements climatiques de la CDC
, novembre 2023.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
201
La Banque Postale a annoncé sa sortie complète du pétrole et du gaz
d’ici 2030. Cet objectif, à considérer au regard de la faible exposition initiale
de LBP au secteur de l’énergie, a néanmoins eu un effet d’entraînement sur
les autres acteurs de la Place. L’établissement déploie auss
i une offre de prêts
et crédits-bails verts à taux bonifiés pour les projets strictement éligibles à la
taxonomie européenne. Leur production s’élevait à 1,6
Md€
, soit 12,2 % du
total de l’année en 2022. LBP propose aussi des prêts verts pour les
collectivités locales, sans taux bonifiés mais refinancés par la SFIL
153
via
des
obligations vertes. Plus largement, la banque a accordé 2,2
Md€
de crédits à
impact entre 2018 et 2022, dont les taux sont bonifiés lorsque sont atteints
des
objectifs
extra-financiers
incluant
au
moins
un
indicateur
environnemental. Ces instruments ne sont pour autant pas classés comme
« verts »
, ce qui témoigne d’une approche prudente de LBP.
En matière d’investissement, LBP
Asset Management
totalisait un
encours de 3,1
Md€ d’actifs verts fin 2022, sur un total de 70
Md€ d’actifs.
La banque se distingue enfin par ses efforts pour inclure les critères ESG
dans ses décisions, avec la généralisation d’un
«
indice d’impact global
»
au
prisme duqu
el toutes les décisions d’allocation devront être analysées à partir
de juin 2023. Le résultat de cette analyse donnera lieu à un accompagnement
à la rénovation en cas de mauvais score, ou à une bonification tarifaire.
Enfin,
CNP Assurances s’est engagée e
n 2020 à contribuer à la
transition écologique en atteignant 25
Md€
d’encours d’investissements
verts fin 2025. Pour le cinquième assureur européen gérant 364
Md€
d’encours
154
, cet objectif, relativement modeste, a été atteint avec trois
années d’avance
(25,2
Md€
fin 2022). En conséquence, CNP a rehaussé en
2023 cette cible à 30
Md€
d’ici 2025. En 2022,
la société a investi dans
5,1
Md€
d’actifs verts, dont 80
%
d’actifs côtés, 11
% de projets
d’infrastructures et 8
%
d’actifs immobiliers et forestiers. CNP A
ssurances
a par ailleurs été identifiée positivement par les ONG en matière
d’engagement actionnarial
.
S’agissant des
Say on climate
sur lesquels elle
a été amenée à voter en 2022, elle a approuvé 25 %
des résolutions, s’est
abstenue pour 25 %
et s’est opp
osée dans 50 % des cas
155
.
Les entités financières publiques affichent des objectifs ambitieux,
mais le constat doit être nuancé au vu des flux financiers effectivement
alloués aux projets verts.
153
Société de financement local, filiale du groupe CDC.
154
Encours moyen net en 2022.
155
CNP,
Rapport sur l’investissement responsable
, 2022 (p.22).
COUR DES COMPTES
202
D’une part, l’action des institutions financières
publiques
fait l’objet
d’une communication foisonnante, au risque de s’avérer peu
lisible. Les
chiffres globaux communiqués par la CDC et Bpifrance, par exemple au
titre du Plan Climat, additionnent des objets qui ne sont pas comparables :
investissements
directs
et
via
des
fonds
partenaires,
dispositifs
d’assurances et de soutien à l’export.
Il conviendrait de revoir la
présentation de ces actions pour disposer d’une
évaluation annuelle
chiffrée et synthétique des montants consacrés au financement de la
transition, par entité du g
roupe et par domaine d’intervention
.
Graphique n° 18 :
f
lux annuels de financement et d’investissement
dans des projets verts par entité du pôle financier public (Md
€)
Sources et définitions : Caisse des dépôts : prêts accordés par la Banque des territoires (BDT)
(excluant les 6,8
Md€ de construction à haute performance énergétique non initialement prévus dans
le plan Climat) ; investissements en fonds propres
(BDT et Gestion d’actifs)
prévus dans le plan Climat.
Bpifrance : prêts verts, méthanisation, économies
d’énergie, énergie environnement prévus dans le
plan Climat
, prêts et aides à l’innovation inclus dans le financement
; investissements directs et
propres à Bpifrance dans des fonds partenaires. LBP : prêts et crédits-bails verts ; investissement dans
de la dette privée d’infrastructure par LBPAM.
CNP Assurances : investissements verts cotés et non
cotés (capital investissement, immobilier, forêts, infrastructure, dette), excluant les filiales.
D’autre part, les stratégies des entités financ
ières publiques apparaissent
insuffisamment coordonnées et harmonisées. L’hétérogénéité des critères de
qualification des produits « verts » développés par les différentes entités les
rendent non comparables en pratique. En témoigne l’outil interne d’éligi
bilité
des prêts verts de LBP, un document de 137
pages, qui n’est commun à aucune
autre entité du Groupe. En parallèle, CNP Assurances dispose de sa propre
classification d’actifs cotés verts, basée sur une acception élargie du champ du
label Greenfin. L’alignement de la catégorie d’instrument financier «
vert » sur
les objectifs fixés par la taxonomie devrait, à moyen terme, permettre
d’harmoniser ces critères. Le pôle financier public pourrait jouer un rôle
d’entraînement sur le privé en adoptant rapidem
ent une telle démarche.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
203
C -
Un financement de l’adaptation encore embryonnaire
L
’adaptation ne fait pas l’objet de disposition
s spécifiques ni de
financements fléchés dans les institutions financières privées. Dans ce
contexte, la mise en place
récente d’
un plan
d’
adaptation par le Groupe
CDC est à relever. Adopté en octobre 2022, il se décline en deux volets :
(i) la gestion des risques du groupe
et (ii) des solutions d’adaptation
destinées aux clients et partenaires, en ingénierie ou en financement. Ces
der
nières sont en cours de mise en œuvre pour des
montants relativement
limités : 1,2
Md€
devraient être déployés entre 2023 et 2027, dont 1
Md€
de prêts. Cette enveloppe recouvre
à la fois l’adaptation
et les mesures en
faveur de la « zéro artificialisation des sols ». Elle intègre de nouveaux
dispositifs et des outils existants (
Aquaprêts
par exemple).
Seul plan d’adaptation adopté par une entité financière dont la Cour
a eu connaissance, ce document tient plutôt de la feuille de route que du
plan stratégique. Quelques-
unes des mesures sont assorties d’une date de
réalisation ou de « prochaines étapes », mais le plan ne comporte ni
calendrier, ni indicateurs précis pour suivre son déploiement. L’ampleur
pour le moment limitée de ce plan donne à la CDC la latitude nécessaire
pour le préciser au fur et à mesure de l’identification des risques et définir
les actions à entreprendre pour les contenir.
Certains dispositifs ou flux financiers non spécifiquement fléchés vers
l’adaptation contribuent tout de même à ce
t objectif. En effet, la frontière
entre atténuation et adaptation est parfois ténue. À titre d’illustration, les
prêts dits « verts »
financent l’isolation des bâtiments, sans qu’il soit
possible, même au sein d’un projet identifié, de séparer ce qui relè
ve de
l’atténuation (économies d’énergie) ou de l’adaptation (capacité renforcée de
résistance à la chaleur ou aux vents violents, par exemple). En matière
d’investissement, certains fonds incluent
de facto
un volet adaptation, sans
qu’il ne soit affiché comme tel. Bien que n’étant pas directement fléchés vers
l’adaptation, certains fonds, comme le fonds
Ecotechnologies
, géré par
Bpifrance, prennent des participations dans des entreprises en poursuivant
simultanément des objectifs d’atténuation et d’adaptat
ion.
COUR DES COMPTES
204
Cette situation s’observe dans d’autres activités, comme les diagnostics
énergétiques proposés par Bpifrance et l’Ademe (
Diag Eco-flux
). Ces
instruments ont aidé 1 200 entreprises à identifier des économies durables en
matière d’énergie, d’eau et de
déchets depuis 2017. Ils peuvent comporter un
aspect d’adaptation, comme le montre l’exemple d’un camping pour lequel le
Diag Eco-flux
a, entre autres, mis en évidence et permis de réparer des fuites
d’eau récurrentes. Pour autant, les montants totaux dem
eurent limités au regard
des besoins potentiellement croissants en matière d’adaptation.
Une institution avancée
en matière d’adaptation
: la Banque
e
uropéenne d’
investissements (BEI)
Les comparaisons internationales menées sur le financement de
l’adaptation se heurtent, comme au niveau national, à l’absence de
comparabilité entre les données. En revanche, certaines organisations
internationales se distinguent par leurs efforts en matière d’adaptation.
Après avoir établi une feuille de route en 2020, la BEI a validé un plan
d’adaptation en octobre 2021
156
, dans lequel elle détaille des chiffrages
d’adaptation, les actions en cours et les évolutions prévues.
En matière de gestion des risques, la BEI a mis en place dès février
2019 une évaluation systématique des risques climatiques physiques dans
ses opérations de prêt direct, le
«
système d’évaluation des risques
climatiques »
(ERC). Tout nouveau projet d’investissement est examiné, au
stade de l’instruction, du point de vue de sa vulnérabilité au cl
imat. Le
système ERC est en cours de perfectionnement, afin d’offrir une analyse
plus fine et alignée avec la taxonomie européenne.
En matière de financement, la BEI a relevé la part
qu’elle consacre
à
l’action pour le climat
de 25 % du total des financements accordés en 2014
à 31 % en 2019 (19,5
Md€
, et plus de 150
Md€
cumulés de 2012 à 2019).
Au sein de ces dépenses, elle compte porter la part du financement de
l’adaptation à 15
% en 2025 (contre 10 % en 2020 et 5 % sur la période
2012-2019). Le poids des pays en développement
dans l’action de la BEI
explique ces avancées ; ces derniers étant en moyenne plus vulnérables au
risque physique, l’approche retenue n’en est pas moins
volontariste.
156
Plan de la BEI pour l’adaptation aux changements climatiques
- Soutenir la
stratégie de l’UE pour l’adaptation afin de renforcer la résilience face aux
changements climatiques,
BEI, Octobre 2021.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
205
Au moment où la nébuleuse « finance verte » connaît un essor
notable, la rentabilité financière demeure toujours le critère premier de toute
décision d’allocation des flux financiers. L’hypothèse d’un manque de
projets verts, argument fréquemment mentionné pour justifier les résultats
limités du financement de la trans
ition, apparaît peu fondée. L’enjeu réside
plutôt dans le nombre limité de projets verts suffisamment rentables
.
La
réglementation incitative en vigueur n’incorpore pas dans le prix d’un actif
ses effets sur l’environnement et le climat, ni le risque clima
tique. Tant que
ces risques ne se matérialisent pas davantage dans l’économie, la latitude des
institutions financières est donc large pour le choix des projets.
La situation actuelle ne concourt pas à l’orientation nette des flux
vers des projets de trans
ition ou d’adaptation, de même qu’elle ne permet
pas d’articuler de façon convaincante l’action des différents acteurs.
III -
Mieux piloter et coordonner
les
financements de l’adaptation
Des leviers de trois ordres pourraient être actionnés pour renforcer
l’allocation des flux financiers vers la transition et l’adaptation. Le cadre
de contrôle actuel, qui laisse de nombreux doutes sur la réalité du caractère
« vert » des produits présentés comme tels, pourrait être renforcé. Les
conditions économiques et financières des produits concernés peuvent
également être modulées afin d’en accroître la rentabilité. Le financement
de l’adaptation pâtit enfin d’une gouvernance fragmentée et d’un dialogue
insuffisamment établi entre sphères publique et privée.
A -
Un cadre de contrôle morcelé à renforcer
Les attentes des citoyens sont fortes en matière de lutte contre
l’écoblanchiment
: 76 % considèrent que la finance durable constitue un
argument de communication sans implication concrète sur l’utilisation de
leur épargne
157
. Le développement des contrôles des produits financiers verts
se heurte à l’absence de cadre juridique harmonisé, aux difficultés techniques
de mesure de ces impacts et à l’éclatement des acteurs concernés.
157
Étude FIR-
IFOP sur l’Investissement Socialement Responsable, 2022 (5
ème
édition).
COUR DES COMPTES
206
S’agissant de l’utilisation du caractère durable de
s produits financiers
comme argument de vente, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
et l’Autorité des marchés financiers (AMF) ont mené un travail approfondi
de veille et émis des recommandations, en matière de formulation ou de
renvoi aux textes réglementaires
158
. L’AMF vérifie de façon systématique le
respect de ces recommandations dans le cadre de l’agrément des produits.
Sur le plan réglementaire, l’encadrement
des produits financiers en
faveur de la transition
de l’économie n’est
pas encore finalisé. L
orsqu’un
acteur crée un « prêt vert », cette dénomination est retenue selon des
critères propres et non harmonisés, y compris au sein du pôle financier
public. La conformité des prêts accordés est donc examinée et contrôlée en
interne et uniqu
ement à l’aune d’exigences
propres. Les travaux européens
menés par l’Autorité bancaire européenne (ABE) à la demande de la
Commission européenne visent toutefois à produire une définition unifiée
de ces prêts verts.
En complément de l’action des supervise
urs sur la prise en compte du
risque climatique par les banques (cf
. infra
, le point
I.B), l’AMF mène deux
types de contrôle sur les établissements relevant de sa compétence. D’une
part, elle ajoute un volet relatif à la finance durable dans ses contrôles.
D’autre part, elle mène des contrôles dits
SPOT
, qui comparent cinq acteurs
sur un thème ciblé. Un premier contrôle de ce type a été mené en 2018 sur
l’application de l’article 173 de la loi relative à la transition énergétique pour
la croissance verte du 17 août 2015, qui exige des sociétés de gestion un
reporting
environnemental, social et de gouvernance (ESG) renforcé. Un
autre est en cours en 2023. L’ACPR indique réaliser également des contrôles
sur place et des enquêtes ciblées dans le secteur des assurances.
Néanmoins, aucune disposition spécifique aux mesures d’adaptation
n’est prévue en dehors de la supervision prudentielle. De plus, la taxonomie
européenne n’a pas de caractère contraignant à ce stade, en dehors du volet
« vert » des fonds de la re
lance européenne dont l’octroi est conditionné au
respect du texte. Par ailleurs, le respect des obligations de
reporting
n’empêche pas une société financière d'utiliser un autre référentiel pour
justifier de sa transition. Enfin, la mesure des impacts environnementaux
d’un produit et celle de son risque financier font appel à des compétences
différentes,
l’Ademe
disposant
de
l’expertise
sur
les
impacts
environnementaux et l’ACPR sur le risque financier.
158
ACPR : Recommandation 2022-R-02 du 14 décembre 2022 sur la promotion de
caractéristiques extra-financières dans les communications à caractère publicitaire en
assurance vie
, sur le fondement de l’article L. 612
-29-1, du CMF. AMF :
Recommandation DOC-2020-03 modifiée le 27 janvier 2022.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
207
L’application de la
directive CSRD soulève plusieurs enjeux en
matière de contrôle. L
’audit de l’information extra
-financière sera effectué
par un commissaire aux comptes ou, sur option des États membres, par un
organisme tiers indépendant (OTI) accrédité. L
’émergence
de cette
nouvelle
fonction d’
«
auditeur de durabilité »
devrait s’accompagner
d’une régulation plus stricte, éventuellement supervisée à l’échelle
européenne, compte tenu de la variabilité actuelle des méthodes et des
résultats. A
u moins jusqu’en 2028
, ce contrôle sera effectué sur le
fondement
d’une assurance dite
« limitée », qui se traduit par un niveau de
vérification moins élevé que l’assurance
« raisonnable »
utilisée en
matière d’information financière.
B -
Utiliser les leviers à disposition pour orienter les flux
financiers vers la transitio
n et l’adaptation
La faiblesse des flux privés vers
l’adaptation
a plusieurs
explications. Certains investissements peuvent engendrer des coûts
importants ou ne pas générer de recettes
. Les actifs d’adaptation peuvent
ainsi être perçus comme peu rentables, ou être associés à des défaillances
de marché ; ils ne constituent pas la priorité dans un contexte de ressources
limitées et de recherche de rentabilité. Enfin, une décision
d’investissement
éclairée nécessite une information suffisante sur ses coûts et avantages. Or,
le
s investissements en faveur de l’adaptation se caractérisent par un degré
élevé d’incertitude, alors même qu’aucune évaluation robuste des
impacts
environnementaux des produits financiers
n’est actuellement développée.
Pour pallier ces difficultés, plusieurs actions pourraient être
engagées afin de renforcer l’orientation des flux financiers vers
l’adaptation de l’économie. Certains leviers peuvent être activés par l’
État,
d’autres par les banques centrales, comme l’illustre le schéma
ci-dessous.
COUR DES COMPTES
208
Schéma n° 5 :
leviers d’action envisageables
Source : Cour des comptes
Une première catégorie de leviers regroupe le renforcement de la
transparence et de l’information. La généralisation d’une comptabilité carbone,
par exemple, permettrait de mesurer et de comparer la performance carbone de
l’entreprise dans son ensemble et non par activité, ainsi que le prévoit la
taxonomie. Or, les entreprises ne disposent pas d’outil pour réaliser, même de
façon simplifiée, cette comptabilité carbone. Elles se tournent donc vers des
cabinets spécialisés, avec un risque d’incohérence si les méthodologies
diffèrent. Les labels publics constituent également un vecteur d’incitation.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE
AU CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
209
Le deuxième type de leviers d’action à la main de l’État consiste en un
déplacement des cu
rseurs de rentabilité des actifs, afin d’élargir l’assiette des
projets rentables et favorables à la transition ou à l’adaptation. L’instauration
d’un signal prix (fiscalité carbone) ou la modulation des règles techniques pour
agir sur le coût des investissements ou les coûts de production, sont des leviers
possibles. Un autre instrument pourrait être le développement des garanties
publiques
: il ne s’agirait pas pour les banques d’obtenir leurs ressources à
moindre coût mais, pour un niveau de ressources mobilisées en faveur de
l’adaptation, d’obtenir un niveau de protection plus élevé en faisant supporter
par l’État une part du risque des projets d’adaptation ou de transition.
L’orientation contraignante de certains flux financiers vers
la
transition est u
n troisième levier d’action envisageable. L’épargne
réglementée en offre un exemple. Depuis 2017, l
É
tat s’est engagé à
utiliser
la totalité des nouveaux flux centralisés du livret de développement durable
et solidaire (LDDS) pour des financements verts notamment liés à la
rénovation thermique des logements sociaux et à la transition du secteur
public local. La Cour a relevé en 2022
159
que les obligations d’emploi
des
encours des livrets réglementés non centralisés et demeurant au bilan des
banques collectrices étaient peu contraignantes et peu tournées vers la
transition (10 % seulement). Cette répartition
et la mesure de l’impact des
engagements pourraient être revus, afin de renforcer le financement des
projets de transition. Une réflexion a été engagée en ce sens par la direction
générale du Trésor en lien avec la CDC et le secteur bancaire.
Les banques centrales peuvent également influer sur le calcul de la
rentabilité des projets. Au-delà de leur approche par les risques
qui peut
les amener à moduler le coût du capital pour mieux intégrer le risque
climatique
, elles pourraient favoriser le collatéral
160
« vert » dans leurs
opérations de politique monétaire : une banque paierait plus ou moins cher
les liquidités fournies par la banque centrale, selon le caractère vert du
collatéral apporté. Un indicateur est en cours de conception à la Banque de
France pour noter les entreprises selon leur exposition climatique, sur le
modèle de la cotation Fiben
161
, qui permet de mesurer la capacité d’une
entreprise à honorer ses engagements financiers. Cette cotation pourrait
être intégrée à la gestion du collatéral de la politique monétaire.
159
Cour des comptes,
L’épargne réglementée, 2016
-2021
, septembre 2022.
160
Garantie couvrant le risque de crédit en cas de défaillance de l’em
prunteur. En
politique monétaire, il s’agit des actifs placés en garantie par les banques emprunteuses
auprès des banques centrales lors des opérations de refinancement.
161
Les entreprises basées
en France peuvent être cotées à partir d’informations
contenues dans une base de données « Fichier bancaire des entreprises » - Fiben.
COUR DES COMPTES
210
Au niveau européen, la BCE suit ce mouvement. Elle a par exemple
indiqué qu’elle n’accepterait pas en collatéral de politique monéta
ire les
titres d’entreprises ne respectant pas la CSRD, une fois celle
-ci pleinement
mise en œuvre. L’
acceptation ou le refus d
’un
collatéral, pouvant mener
in
fine
à restreindre l’accès au financement d’une entreprise
en fonction de
son caractère plus ou moins « vert », est ainsi au centre des discussions.
C -
Intégrer l’enjeu du financement de l’adaptation
dans les politiques publiques
La gouvernance du financement de la transition et
a fortiori
de
l’adaptation
est fragmentée. Aucune politique publique relative à
l’adaptation n’englobe l’action des acteurs financiers publics et privés
, ce
qui nuit
à la mise en œuvre d’une stratégie d’intervention
coordonnée du
secteur. Le p
lan national d’adaptation au changement climatique (PNACC)
pour les années 2018 à 2022 comportait 58 actions, dont trois seulement
ciblaient le secteur financier. Au-delà de leur caractère vague, ces actions
n’ont été ni suivies, ni appliquées. À titre d’exemple, pour l’action ECO
-11
le ministère de l’
é
conomie et des finances veillera […]
à ce que la
capacité d’intervention des entreprises du secteur financier dans le
financement de l’adaptation soit augmentée après en avoir défini les
modalités
»
), l’indicateur de suivi était le nombre et le montant d’actifs
relevant d’investissement soci
alement responsables (ISR), certification qui
ne comporte aucun engagement lié à l’adaptation
Les organes de dialogue réunissant les acteurs de la place financière
de Paris ne prennent pas non plus
en compte les enjeux d’adaptation.
L’Institut de la
finance durable (IFD) a remplacé en 2022
Finance for
Tomorrow
, la branche de « Paris Europlace » consacrée à la finance verte
et durable. C
ette évolution a permis d’en élargir les
membres et les axes de
réflexion. Mais
l’IFD n’en
demeure pas moins centré sur la décarbonation
des entités financières, sur
l’exclusion des énergies fossiles et
sur
l’harmonisation
a minima
des plans de transition.
L’Observatoire de la
finance durable, qui y est rattaché, réalise un important travail de suivi,
sans toutefois inclure l’
adaptation dans ses analyses. Seul le Réseau pour
le verdissement du système financier (
Network for greening the financial
system
), qui regroupe 127 banques centrales et superviseurs, dont la
Banque de France, évoque l’adaptation dans ses travaux –
via
l’e
njeu des
risques climatiques et la définition de
scenarii
pour les
stress tests
.
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
211
Le dialogue à haut niveau entre l’État et le secteur financier sur le
financement de la transition devrait être davantage structuré par des objectifs
concrets spécifiques à
l’adaptation
et par une instance régulièrement réunie
pour en assurer le suivi. Plusieurs démarches récentes vont dans ce sens.
En premier lieu, une sous-direction « transition écologique » a été
créée au sein de la direction générale du Trésor, début octobre 2023, afin
de renforcer l’intégration des préoccupations environnementales dans les
politiques publiques dont la direction générale est chargée.
De façon plus large, l’élaboration d’une stratégie nationale de
référence pour l’adaptation, préconisée p
ar le Haut Conseil pour le climat dès
2021, donnera aux acteurs financiers une visibilité sur les transformations à
venir, condition unanimement jugée nécessaire à une meilleure orientation
des flux. La construction de cette trajectoire a été initiée par le ministère de
la transition écologique en 2023, avec la mise en consultation de la
Trajectoire de référence de l’adaptation au changement climatique, et devrait
s’articuler avec la mise à jour du PNACC. Cette approche requerra de
prendre en compte les sp
écificités des territoires et des acteurs, s’agissant de
leurs vulnérabilités face au changement climatique.
Enfin, le Comité de financement de la transition écologique (CFTE)
a réuni pour la première fois le 12 juillet 2023 les acteurs financiers et
indus
triels, les superviseurs, le ministre chargé de l’économie et le
ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires, autour
du financement de la transition. À la suite des travaux de préparation du
PNACC, qui définissent les objectifs retenus par le Gouvernement, et en
complément des missions qui lui incombent déjà, le CFTE pourrait se
pencher, une fois les modalités de la taxonomie européenne définies, sur le
financement de l’adaptation. Il pourrait s’appuyer sur
le secrétariat général
à la planification écologique (SGPE) créé en 2022, sur le bureau de
l’adaptation au changement climatique de la direction générale de l’énergie
et du climat au sein du ministère chargé de la transition écologique et sur
l’A
deme ainsi que sur la sous-direction « transition écologique » de la
direction générale du Trésor. Ces travaux devraient permettre de compléter
les évaluations des besoins financiers publics et privés en matière
d’adaptation et d’engager un dialogue sur leur déclinaison par secteur, en
favorisant la coordination entre entités publiques et secteur privé.
COUR DES COMPTES
212
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Le cadre de l’action des institutions financières dans la transition et
l’adaptation de l’économie évolue, mais demeure inabouti
e et perfectible.
Parallèlement aux évolutions réglementaires récentes, les superviseurs
prudentiels s’attachent à renforcer la prise en compte du risque climatique
par les sociétés financières, afin que sa matérialisation n’en fragilise pas
la stabilité.
Au-delà des efforts de mise en conformité avec les nouvelles règles,
les sociétés financières affichent publiquement leur soutien à la transition
de l’économie et à son adaptation.
Elles déploient des instruments
spécifiques à cet effet. Or, le foisonnement d’engagements hétérogène
s, de
produits financiers non concordants pour des appellations similaires et
l’absence de critères de suivi uniformisés, y compris au sein du pôle
financier public, rendent ces initiatives peu lisibles et peu quantifiables.
Ces limites interrogent sur les réalisations affichées par les sociétés
financières, aux montants par ailleurs très modérés au regard des besoins
estimés pour la transition et l’adaptation. Le cadre de contrôle est encore
en construction, ce qui limite l’évaluation de ces résultats. En
fin, la
rentabilité demeure le premier, sinon l’unique critère d’allocation des flux
financiers. Ce n’est qu’en modifiant les conditions économiques et de
financement des entreprises, afin de déplacer les curseurs de la rentabilité,
que l’orientation des c
apitaux vers le financement de la transition et de
l’adaptation sera plus effective.
Le constat est similaire s’agissant de la gouvernance. De nombreuses
initiatives émergent, mais de façon dispersée, sans cohérence et articulation
d’ensemble. De première
s modalités de dialogue entre acteurs ont
récemment été établies, mais le pilotage d’ensemble reste à structurer.
L’essentiel du cadre d’action des institutions financières en matière
de financement de l’adaptation est défini au niveau européen. Pour auta
nt,
il existe des leviers à l’échelle nationale, sur lesquels la Cour des comptes
formule les recommandations suivantes :
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE A
U CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
213
1.
renforcer la cohérence et la lisibilité de la réglementation :
a.
en soutenant la refonte du règlement SFDR pour y intégrer des
exigences minimales de durabilité et l’aligner avec la taxonomie
;
b.
en
établissant
une
table
de
correspondance
entre
les
réglementations européenne et nationale, qu’il conviendra
d’harmoniser lors
de la transposition de la directive CSRD
(ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté
industrielle et numérique).
2.
intégrer dans le p
lan national d’adaptation au changement climatique
(PNACC 3) des estimations de besoins de financement des mesures
d’adaptation proposées
(ministère de la transition écologique et de la
cohésion des territoires, ministère de l’économie, des finances et de la
souveraineté industrielle et numérique, secrétariat général à la
planification écologique).
Réponses reçues
à la date de la publication
Réponse du
ministre de l’économie, des finances et
de la souveraineté
industrielle et numérique
........................................................................
216
Réponse du ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires
..........................................................................................
218
Destinataire n’ayant pas d’observation
Monsieur le secrétaire général à la planification écologique
COUR DES COMPTES
216
RÉPONSE
DU MINISTRE DE L’ÉCO
NOMIE, DES FINANCES
ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE
Ce chapitre, dont je partage de nombreux éléments d'analyse,
appelle de ma part les remarques suivantes.
Le cadre réglementaire applicable à la finance dite durable est
encore récent. Il a pour objectif d'assurer un haut niveau de transparence
sur la prise en compte par les acteurs économiques des impacts et risques
environnementaux, ainsi que sociaux, de leurs activités. Il fournit aussi des
définitions communes de ce qu'est une activité économique « durable » ou
un produit financier « socialement responsable ». Ce cadre est conçu dans
une large part au niveau européen, notamment sous l'influence de la
France, et sa mise en place n'est pas achevée. Ainsi, la réglementation
relative à la publication d’informations en matière de durabilité dans [
e
secteur financier (dite SFDR) n'est applicable que depuis 2021, les règles
de transparence sur l'exposition aux risques environnementaux des
établissements de crédit ne le sont que depuis 2023, tandis que la directive
sur la publication d'information en matière de durabilité par les
entreprises (dite CSRD) ne commencera à être appliquée par les premières
entreprises assujetties qu'à partir de l'exercice 2024. Il est donc encore tôt
pour avoir une évaluation exhaustive des impacts effectifs du cadre de
transparence que nous mettons actuellement en place. Aussi, plusieurs
accords trouvés au cours de l'année 2023 entre co-législateurs européens
donneront lieu à de nouvelles obligations pour les acteurs financiers : en
application de la future directive sur le devoir de vigilance (dite CSDDD),
les entreprises financières devront établir et mettre en œuvre un plan de
transition
climatique,
tandis
que
[a
réglementation
prudentielle
applicables aux assureurs et aux établissements de crédit (Solvabilité 2 et
CRR/CRD) imposera la production de plans de transition prudentiels
spécifiques concernant leur exposition aux « risques de durabilité », dont
le risque de transition, et incluant les mesures à court, moyen et long terme
pour y remédier.
Je souscris à votre recommandation d'améliorer la cohérence
d'ensemble de ce cadre réglementaire. Les premières années de mise en
œuvre ont d'ores et déjà permis d'identifier des insuffisances de certaines
de ses composantes. En particulier, une révision du règlement européen
SFDR est nécessaire pour améliorer la transparence et la lisibilité des
produits financiers commercialisés comme durables, afin de permettre
Une
meilleure
allocation
du
capital
et
d'éviter
les
risques
d'écoblanchiment, en particulier vis-à-vis des épargnants individuels.
L'importance d'assurer de la clarté à l'investisseur final a d'ailleurs guidé
mes choix de révision du label ISR, dont le nouveau référentiel a été publié
ACCOMPAGNER L’ADAPTATION DE L’ÉCONOMIE
AU CHANGEMENT
CLIMATIQUE : LE RÔLE DES INSTITUTIONS FINANCIÈRES ET BANCAIRES
217
en décembre 2023. L'objectif de cohérence et de lisibilité fut aussi
recherché lorsque nous avons effectué en 2023 la transposition en France
de la directive CSRD, qui fut l'occasion d'harmoniser les nouvelles
obligations européennes et les obligations nationales préexistantes.
Comme vous le soulignez, la prise en compte des enjeux
d'adaptation doit être améliorée. Nous travaillons ainsi au renforcement
du rôle du secteur assurantiel dans l'adaptation de notre économie aux
risques physiques posés par le changement climatique. Une mission a été
lancée en 2023 et rendra fin janvier ses recommandations pour adapter
le système assurantiel français face à l'évolution des risques climatiques
et accélérer la contribution de l'assurance aux efforts d'adaptation et de
décarbonation de notre économie.
Au-delà du cadre réglementaire, le Gouvernement mène une action
déterminée pour mobiliser les financements privés dans la transition
environnementale, en améliorant les conditions économiques des projets de
transition, comme vous le recommandez. Ainsi, nous avons mis en place dans
la loi de finances pour 2024 un nouveau crédit d'impôt pour les investissements
dans l'industrie verte, qui favorisera les dépenses d'investissement contribuant
à la production de batteries, de panneaux solaires, d'éoliennes ou de pompes
à chaleur. Sur demande de l'État, la Banque publique d'investissement
proposera en 2024 un verdissement substantiel de sa gamme de produits de
garantie et développera un prêt vert à destination des industriels.
La mobilisation des financements privés passe aussi par la mise en
place d'un dialogue régulier avec l'ensemble des parties prenantes. C'est
l'objectif recherché par le Comité de financement de la transition écologique
(CFT E) qui s'est réuni pour la première fois en juillet 2023 et dans le cadre
duquel le dialogue sera poursuivi dès le début de l'année 2024.
Permettez-moi enfin de souligner l'importance du développement
par la Banque de France d'un indicateur permettant de mesurer
l'exposition des entreprises aux risques climatiques, dont les effets
pourront à terme être structurants pour l'orientation des flux financiers.
Cet indicateur tiendra aussi compte des enjeux d'adaptation en mesurant
les risques physiques liés au changement climatique. Par la loi du
23 octobre 2023 relative à l'industrie verte, nous avons donné à la Banque
de France les pouvoirs nécessaires pour mener à bien ce projet. Un comité
regroupant des personnalités qualifiées sera mis en place en 2024 pour
assurer le suivi de cette initiative.
COUR DES COMPTES
218
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
Je salue l'ambition des propositions formulées dans ce chapitre
mais regrette que la présentation du cadre réglementaire ne fasse pas
davantage ressortir le levier que représente le décret d'application de
l'article 29 de la loi Énergie climat : celui-ci apporte des compléments
majeurs au cadre européen prévu par les textes
Sustainable finance
disclosures regulation (SFDR) et Corporate sustainability reporting
directive (CSRD).
L'ordonnance de transposition de la directive CSRD a été publiée
le 6 décembre 2023 et permettra de contribuer aux enjeux de
correspondance et de lisibilité du cadre en matière de durabilité
soulignés par la Cour des comptes.
Par ailleurs, le processus d
’é
laboration du troisième plan national
d
adaptation au changement climatique inclut un important travail de
chiffrage des besoins de financement, notamment pour la mise en
œuvre
des mesures qui figureront dans le plan lui-même, dans un objectif de
planification pluriannuelle. Il s'agit également de déterminer les coûts plus
globaux des mesures qui seront nécessaires à plus long terme, comme la
relocalisation des activités, pour donner à voir une vision du coût global
de la trajectoire d'adaptation. L'ampleur des coûts associés et des coûts
évités, ainsi que la répartition de la charge entre les différents acteurs,
seront étudiées.