1
La place et le rôle de la recherche
publique dans l’adaptation
au changement climatique
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Qu’il s’agisse de la production de connaissances
, de la mobilisation
de l’expertise en appui à la décision ou du développement de solutions, la
recherche ex
erce un rôle clé dans l’adaptation au changement climatique.
L’accumulation
des connaissances sur le climat à compter des
années 1960 a permis à la communauté scientifique d’alerter précocement
les décideurs sur les risques climatiques. Les Nations-Unies ont fondé en
1988 le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
(GIEC), qui synthétise les travaux scientifiques afin d’éclairer l’action.
La
communauté française des sciences du climat, très structurée, a activement
contribué aux projections climatiques
qui
fondent les analyses du GIEC.
Le GIEC organise ses travaux en trois groupes de travail qui
reflètent la structuration de la recherche française et sont respectivement
consacrés aux sciences du climat (groupe 1), aux risques, aux
vuln
érabilités et à l’adaptation au changement climatique (groupe
2) et
à l’atténuation de ce changement (groupe
3). En mobilisant des méthodes
diversifiées (voir encadré), la Cour a pu s’appuyer sur les travaux
recensés par ces trois groupes afin de retracer la place, les moyens et les
rôles de la recherche publique française dans l’adaptation au
changement climatique.
COUR DES COMPTES
138
La place et le rôle de la recherche dans l’adaptation au changement
climatique s’inscrivent dans un continuum (voir le schéma n°
1). La
recherche en adaptation
cible des enjeux directement liés à l’adaptation
au changement climatique. La
recherche pour l’adaptation
recouvre cette
recherche en adaptation
ainsi que l’ensemble des infrastructures, données
et connaissances climatiques qui constituent le socle indispensable pour
nourrir tous les travaux sur l’adaptation et éclairer l’action. Les
recherches sur l’atténuation ont aussi été abordées, notamment pour
identifier les recherches aux interfaces entre adaptation et atténuation, qui
sont cruciales pour limiter la mal-adaptation.
E
n matière de recherche pour l’adaptation, la France joue un rôle
de premier plan sur la scène internationale. Des disparités sont toutefois
observées entre secteurs et territoires. Même s’ils peuvent être fédérés
dans le cadre de projets ponctuels, les laboratoires français apparaissent
très spécialisés, avec une faible intégration des enjeux de durabilité, ce qui
pourrait accroître le risque de mal-adaptation causé par une vision
fragmentaire des freins et des solutions (I).
La recherche française pour l’adaptation dispose de moyens
significatifs, tant sur le plan humain et financier qu’en termes
d’infrastructures. Ces ressources, cruciales pour préparer l’avenir, sont
toutefois confrontées à d’importantes tensions (II).
Apportant une expertise scientifique riche et diversifiée pour éclairer la
décision, la recherche publique française innove également en proposant de
nombreuses solutions. Parmi ces solutions, les services climatiques constituent
une base essentielle pou
r permettre aux acteurs de se projeter. L’impact des
retombées de la recherche pourrait cependant être renforcé par une meilleure
visibilité ainsi que par une gouvernance renforcée (III).
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
139
Les méthodes employées pour dresser le panorama de la recherche
dans l’adaptation au changement climatique
En l’absence de système d’information spécifique, et avec le concours
des acteurs de la recherche française, et plus particulièrement de l’agence
nationale de la recherche (ANR), la Cour a développé des méthodes pour
analyser la performance et les moyens de la recherche pour l’adaptation.
Elle s'est appuyée sur plus de 40 000 citations de publications
scientifiques évoquées dans les rapports du 6
ème
cycle du GIEC. Ces
citations ont fait l’objet d’un
travail d’harmo
nisation et de croisement avec
des jeux de données ouverts de la recherche française
80
. Des analyses
sémantiques ont également été réalisées qui permettent, même si elles sont
moins fiables que le suivi des citations du GIEC, de reconstruire des séries
longues, notamment pour retracer les financements dans la durée.
Pour permettre l’utilisation de ces méthodes à d’autres enjeux de
durabilité, notamment sur la biodiversité et les services écosystémiques, suivis
par la plateforme intergouvernementale scientifique et politique (IPBES), les
outils mobilisés sont présentés sur le site de la Cour sous forme d’un cahier
méthodologique, de données ouvertes et d’éléments de code source.
En complément de ces méthodes quantitatives, la Cour a recueilli des
éléments auprès des grands financeurs et opérateurs
de l’État
impliqués dans
la recherche pour l’adaptation.
Des entretiens ont également été conduits
auprès d’environ 70 personnes, y compris au sein des autres États membres
de l’Union européenne.
80
En complément des citations du GIEC, les données ouvertes mobilisées sont
notamment l'outil bibliographique Hal du CNRS ainsi que le répertoire national des
structures de la recherche du ministère chargé de la recherche. Afin de pouvoir
apprécier la portée des analyses réalisées sur la base de ces données ouvertes, la Cour
s’est appuyée sur l’outil InCites (payant). L’excellente couverture de Hal sur le
périmètre étudié a pu être vérifiée pour les citations du GIEC à travers une collaboration
avec l’ANR qui dispose d’un accès aux données brutes de
« Web of Science »
.
COUR DES COMPTES
140
Schéma n° 2 :
place et rôle de la recherche dans
l’adaptation
Source : Cour des comptes
Les sciences du climat (en bleu) œuvrent activement à des solutions génériques pour l’adaptation
telles que l’observation de la
terre et la mise à disposition de données, la mobilisation de
l’expertise nécessaire pour faciliter l’appropriation de projections climatiques ou encore la
conception de services climatiques avec les secteurs concernés. Les recherches dans le domaine
des risques, des vulnérabilités et de l’adaptation (en vert) recouv
rent un champ immense de
disciplines,
telles que les sciences de l’environnement, les sciences du climat ou encore les
sciences humaines et sociales. Au-
delà des nombreuses connaissances nouvelles et de l’expertise
qu’elles développent, ces recherches cont
ribuent à une large palette de solutions ciblées pour
l’adaptation. Quant à l’atténuation (en jaune), elle contribue à l’adaptation dans le sens où elle
permet de réduire le risque de mal-adaptation lorsque des approches intégrant adaptation et
atténuation sont développées de façon globale.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
141
I -
La France au premier plan mondial
en sciences du climat, une place plus modeste
sur l’adaptation et l’atténuation
La recherche française
s’illustre
dans les sciences du climat et, dans
une moindre mesure, dans les domaines
de l’adaptation
et de
l’atténuation
(A). Des disparités sont observées selon les secteurs et territoires (B). Le
potentiel des recherches est entravé par des cloisonnements (C).
A -
La place des travaux français à l’international
Forte d’un héritage qui rem
onte au début du XIX
e
siècle, la France
joue un rôle pivot dans les sciences du climat. Elle dispose de deux grandes
modélisations de la Terre qui permette
nt des simulations sur l’évolution du
climat et font autorité en la matière
: le modèle développé par l’
Institut
Pierre-Simon Laplace (IPSL) en Île-de-France et celui du Centre national
de recherches météorologiques (CNRM) de Météo France, en liaison avec
la société Cerfacs à Toulouse.
Les analyses réalisées par la Cour à partir des travaux du GIEC
indiquent que la France rayonne au plus haut niveau dans le domaine des
sciences du climat. Elle se situe entre le 4
e
et le 5
e
rang mondial suivant les
sources
, alors qu’
elle est 6
e
sur le plan scientifique général. Son poids dans
les publications mondiales citées par le GIEC est compris entre 9,4 % et
14 %, ce qui est plus élevé que
pour l’ensemble des disciplines
(4,5 %).
Son poids dans le domaine des risques, des vulnérabilités et de l’adaptation
(entre 5,5 % et 8,4 %) se situe également au-dessus de la moyenne, avec
toutefois un retrait de quatre places sur la période 2011-2021 par rapport à
1999-
2010. La recherche française pour l’atténuation est en revanche
moins développée : elle représente entre 2,9 % à 6 % des citations du
GIEC, ce qui la positionne entre le 10
e
et 11
e
rang.
COUR DES COMPTES
142
B -
Une recherche nationale marquée
par
d’importantes disparités sectorielles et territoriales
1 -
Une concentration des forces sur quelques territoires
Les sciences du climat sont concentrées en Île-de-France, ainsi
qu’autour de Toulouse et de Grenoble. Les sciences couvertes par le deuxième
groupe du GIEC, dont la recherche en adaptation, sont regroupées en
Île-de-France, à Toulouse et à Montpellier. Des pôles secondaires existent,
notamment en Nouvelle-Aquitaine. Au total, les travaux relatifs à la recherche
pour l’adaptation sont assez répartis (voir carte n°
1, sur la gauche).
Carte n° 8 :
répartition métropolitaine des forces scientifiques
concernées par les enjeux d’adaptation.
Source :
analyses Cour des comptes d’après les citations du GIEC (6e cycle) croisées avec Hal
2 -
Une recherche dont l’impact est inégal, avec des
insuffisances
en ce qui concerne la santé et les milieux urbains
L’impact
des sciences françaises du climat est très élevé quelle que soit
la problématique abordée. En revanche, la recherche relative aux risques, aux
vulnérabilités et à l’adaptation présente un rayonnement variable selon les
secteurs et les territoires (voir les graphiques n° 1 et n° 2 ci-dessous).
Les travaux français figurent au plus haut niveau international dans les
domaines de la biodiversité et des services écosystémiques, des zones
méditerranéennes et des zones littorales et insulaires. La France est également
bien positionnée sur les enjeux agricoles,
forestiers et liés à l’eau.
Son
positionnement est en revanche insuffisant dans les secteurs de la santé,
de
l’urbanisme et des villes, ainsi que
dans le domaine du développement.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
143
Graphique n° 14 :
impacts des travaux français relatifs à l'adaptation
suivant les secteurs (% des citations pour le monde)
Source
: analyses Cour des comptes d’après les citations du GIEC (6
ème
cycle) croisées avec Hal
Graphique n° 15 :
impacts des travaux français relatifs à l'adaptation
suivant les territoires (% des citations pour le monde)
Source : analys
es Cour des comptes d’après les citations du GIEC (6e cycle) croisées avec Hal
COUR DES COMPTES
144
En dépit des risques majeurs auxquels ils sont confrontés, les
territoires d’outre
-mer sont peu représentés, sauf dans quelques secteurs et
types de territoires. S
ous l’impulsion d’une structure de recherche
métropolitaine dynamique
81
, la recherche
sur
les outre-mer est bien
développée pour les territoires insulaires. En revanche, sa faible présence
dans
les outre-
mer risque de freiner l’appropriation des connaissances et
des
solutions pour l’adaptation.
Une analyse ciblée sur les sites
universitaires ultramarins montre que les forces de recherche mobilisées
sur les enjeux d’adaptation sont mieux représentées à La Réunion et en
Guyane que dans les autres territoires ultra-marins.
Des projections climatiques régionalisées pour les outre-mer
doivent être mises en œuvre rapidement afin de dynamiser la production
scientifique française portant sur ces territoires et mieux répondre aux
enjeux d’adaptation auxquels ils sont confrontés
.
C -
Un potentiel entravé par des cloisonnements
1 -
De nombreux laboratoires impliqués, souvent de façon diffuse
À l’aune des citations du GIEC, il apparaît que sur les 3
451 laboratoires
de recherche français, au moins 7 % ont contribué à des travaux pour
l’adaptation et au moins 3
%
plus directement sur des enjeux d’adaptation.
Ces chiffres reflètent la forte implication de la communauté
française. Le niveau d’implication pour l’adaptation demeure cependant
variable, une poignée de laboratoires concentrant la majeure partie des
citations du GIEC concernant la France. Ce phénomène prévaut dans le
groupe des sciences du climat.
L’exemple le plus emblématique est donné
par le
laboratoire des sciences du climat et de l’environn
ement (LSCE)
82
,
qui concentre à lui seul près de 26 % de la totalité des citations tous secteurs
confondus et 45 % pour le premier groupe. Les forces du deuxième groupe
sont réparties entre un plus grand nombre de laboratoires. Le troisième
groupe, plus petit pour la France comparativement aux deux autres
groupes, se caractérise par un niveau de concentration intermédiaire, avec
quelques laboratoires franciliens très visibles
à l’international.
81
Il s’agit du laboratoire «
LIttoral ENvironnement et Sociétés » (LIENS), placé sous
la tutelle conjointe du CNRS et de La Rochelle Université, qui a porté une étude
financée par l’ANR et dont les travaux, abondamment cités par le GIEC, sont
consacrés
aux petites îles confrontées au changement climatique, avec une approche globale des
risques d'érosion, de submersion et de dégradation des récifs coralliens.
82
Le LSCE,
rattaché à l’IPSL
, est placé sous la tutelle conjointe du CEA, du CNRS
ainsi que de l’université
de Versailles
–
Saint-Quentin-en-Yvelines.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
145
2 -
Des sciences humaines et sociales sous-représentées
Les travaux français cités par le GIEC suivent des structurations
disciplinaires contrastées. Le groupe 1 est dominé par les sciences du
climat et l
e groupe 2 par les sciences de l’environnement, avec un poids
important des sciences du climat, des sciences du vivant et, dans une
moindre mesure, des sciences humaines et sociales (SHS). Ces dernières
prévalent uniquement dans le groupe 3
sur l’atténuation
. Elles sont très peu
représentées dans
la recherche pour l’adaptation, ce qui est susceptible de
fragiliser les trajectoires de transition.
3 -
Des interfaces insuffisantes entre adaptation et atténuation,
avec des risques de mal-adaptation
Les
écosystèmes
scientifiques
demeurent
cloisonnés
(voir
graphique n°
3). Seule l’articulation entre les sciences du climat
(groupe 1),
d’une part, et les risques,
les vulnérabilités
et l’adaptation (
groupe 2),
d’autre part,
est davantage développée en France. Les sciences de
l’atténuation (groupe 3) apparaissent déconnectées des deux autres
groupes, notamment de celui sur l’adaptation. Cette faiblesse, qui n’est pas
propre à la France, renforce les risques de mal-adaptation. Il existe
toutefois des exceptions qui peuvent être détectées avec la méthode
employée par la Cour (voir III). Les rares forces scientifiques aux interfaces
sont concentrées en Île-de-France (voir
supra
la carte n° 1, sur la droite).
Graphique n° 16 :
une recherche pour l’adaptation structurée en silos
Source : analyse par la Cour des comptes des citations croisées entre groupes du GIEC
Clé de lecture : le groupe 1 couvre les sciences du climat, le groupe 2 les risques, les vulnérabilités
et l’adaptation, et le groupe
3 l’atténuation. À titre d’exemple, la mention «
Groupes 1 et 2 »
présente la part des travaux cités conjointement par les groupes 1 et 2. Si l’approche ici emp
loyée
ne reflète pas l’ensemble des travaux interdisciplinaires, elle permet notamment d’estimer la part
des travaux qui couvrent tant les enjeux d’adaptation que ceux relatifs à l’atténuation.
COUR DES COMPTES
146
4 -
Des opérateurs polarisés sur les sciences du climat
Même si ce
rtains acteurs étrangers font figure d’exception, tels que
l
’université de Wageningen
aux Pays-Bas ou le
Potsdam institute for
climate impact research
en Allemagne, les analyses de la Cour indiquent
que les partenaires internationaux des travaux français sont dans
l’ensemble cloisonnés entre sciences du climat, adaptation et atténuation.
Avec une spécialisation marquée de ses opérateurs de recherche dans les
sciences du climat, la France n’échappe pas à ce cloisonnement. Les vingt
premiers opérateurs français de la recherche en adaptation sont tous
spécialisés dans les sciences du climat, à l’exception de l’
Institut national
de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae),
de l’université de Montpellier et de l’
Institut français de recherche pour
l'exploitation de la mer (Ifremer), spécialisés dans les risques,
vulnérabilités et l’adaptation, ainsi que du
Centre de coopération
internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad),
seul opérateur sp
écialisé dans le domaine de l’atténuation.
M
ême s’ils peuvent être fédérés dans le cadre de projets,
les
opérateurs et laboratoires français apparaissent spécialisés par discipline
ou par secteur.
II -
Des moyens à conforter dans la durée
La performance de la France dans le cadre de la recherche pour
l'adaptation et, dans une moindre mesure, de la recherche en adaptation,
s’explique par les moyens déployés (voir tableau de synthèse ci
-dessous).
Les moyens financiers consentis sont importants (A) mais cet effort risque
d’être a
ltéré par les tensions pesant sur les viviers scientifiques (B) ainsi
que par le manque de pérennité des infrastructures de recherche (C).
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
147
Tableau n° 11 :
moyens de la recherche pour l’adaptation (en
M€).
Nature des moyens
Montants estimés
en
M€ par an
Projets de recherche (1/3 union européenne, 1/3 agence
nationale de la recherche et 1/3 investissements d’avenir)
81
Moyens humains (hors organismes de recherche)
129
Infrastructures de recherche (fonctionnement)
149
Total recherche pour l’adaptation (e
stimation basse)
359
Total dépenses de la recherche publique tous secteurs
confondus (source : MESR, pour 2020)
18 100
Part de la recherche pour l’adaptation (en
%)
Au moins 2 %
Source : synthèse et estimations Cour des comptes
Les montants des projets pluriannuels ont été normalisés par le nombre d’années concernées afin
d’obtenir une moyenne annuelle.
Les données relatives aux personnels des organismes de
recherche ne peuvent être produites en raison de lacunes dans les système
s d’information
.
A -
Des moyens financiers importants mis en œuvre
À l’échelle mondiale, l’Union européenne (UE) constitue le
deuxième financeur des travaux cités par le GIEC
83
. L’
Agence nationale
de la recherche (ANR) se situe en 17
ème
ou 18
ème
position
84
. Pour ce qui
concerne la France, l’UE et l’ANR sont les deux premiers financeurs.
L’ANR finance la production de connaissances nouvelles, selon le
deuxième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC).
Les investissements d’avenir, qui soutiennen
t la recherche orientée vers
des applications plus concrètes, jouent également un rôle important.
1 -
Des succès enregistrés dans les appels à projets européens
Sur l’ensemble de la période 2015
-
2022, pour la France, l’Allemagne,
l’Espagne, l’Italie et les Pay
s-
Bas, la recherche pour l’adaptation représente
4 %
des projets financés par l’UE
85
. S’agissant de la recherche en adaptation,
le ratio est de 2 %
86
du budget total de l’UE pour la recherche et
83
Derrière la
National Science Foundation
américaine.
84
L
’ANR serait 17
ème
d’après InCites
et 18
ème
d’après
les données de la base
Web of
Science
com
muniquées par l’ANR, avec des retraitem
ents pour écarter les synonymes.
85
723
projets pour l’adaptation
sur un total de 19 178 projets lauréats, correspondant
à 619,63
M€ de subventions de l’UE à rapporter à un total de
16 825,53
M€.
Le
concours moyen d’une subvention européenne
dans le domaine de la recherche pour
l’adaptation
s’élève
donc à 857 000
€ par projet lauréat.
86
384 projets d’un montant total de
328,38
M€ financés par l’UE.
COUR DES COMPTES
148
développement. La tendance est à l’augmentation des financements (voir le
graphique n° 4 ci-
dessous). Pour l’ensemble des pays analysés, les taux de
sélection sur ces thématiques sont plus élevés que la moyenne, ce qui indique
que ces dernières sont soutenues en priorité
par la Commission. D’après une
étude réalisée par la Cour des comptes européenne, bien que la Commission
ait adopté des objectifs de financement ambitieux pour le climat, la cible est
encore loi
n d’être atteinte
87
.
Graphique n° 17 :
financements européens consacrés à la recherche
sur
l’adaptation (en
M€
)
Source : analyses de la
Cour d’après
les jeux de données européens du MESR
S’agissant des projets européens lauréats en matière de recherche
pour l’adaptation, la France (161,05
M€) est première
ex æquo
avec
l’Allemagne (161,06
M€), devant l’Espagne (121,69
M€), les Pays
-Bas
(113,72
M€) et l’Italie (55,68
M€). En matière de reche
rche en adaptation,
la France se situe en première position parmi les cinq pays étudiés
(80,52
M€, contre 77,24
M€ pour l’Espagne, 74,54
M€ pour l’Allemagne,
54,26
M€ pour les Pays
-Bas et 36,49
M€ pour l’Italie). S’agissant des taux
de sélection, la France est première pour les projets en adaptation et
deuxième pour les projets pour l’adaptation, derrière les Pays
-Bas.
87
Cour des comptes européenne, Rapport spécial 09/2022 :
« Climate spending in the
2014-2020 EU budget- Not as high as reported
/EN/publications/SR22_09.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
149
2 -
Un financement national déclinant pour la recherche en adaptation
Au niveau national, la recherche sur projets pour l’adaptation est
notamm
ent soutenue par l’ANR. Sur la période de 2012 à 2022, les
financements alloués à la recherche pour l’adaptation ont augmenté. La
mise en œuvre de la loi du 24
décembre 2020 de programmation pour la
recherche pour la période de 2021 à 2030, qui a accru le
budget de l’ANR
à compter de 2021, a un effet notable, pour la recherche pour l’adaptation
comme pour l’ensemble des recherches soutenues. Pour 2023, les crédits
d’intervention de l’ANR sont en hausse de 7,4
% par rapport à 2022, ce qui
pourrait permettre
de mieux financer la recherche pour l’adaptation.
D’après l’analyse d’une base de données de l’ANR, dont la cohérence
a été vérifiée par la Cour, la recherche pour l’adaptation et la recherche en
adaptation représentent respectivement 3,9 % et 1,4 % du bud
get de l’agence.
Le deuxième PNACC (2018
–
2022) n’a pas eu d’effet additionnel
par rapport
au premier PNACC (2011
–
2015). L’accroissement des financements de
l’ANR est de +
9,6
% pour la recherche pour l’adaptation, contre +
18,1 %
pour tous les domaines. Les financements spécifiques dans le domaine de
l’adaptation ont même diminué entre les deux plans nationaux. Les recherches
sur les risques climatiques sont restées globalement stables. Seules les
recherches relatives au climat ont augmenté à un rythme plus soutenu.
Les financements de l’ANR sont attribués en proportion du nombre
de projets déposés dans le cadre de comités d’évaluation. Dans la mesure
où il n’existe pas de comité d’évaluation spécifique pour l’adaptation, les
financements sur ce sujet, apparaissent limités. Le so
utien de l’agence à la
recherche pour l’adaptation était proportion
nellement plus élevé sur la
période de 2010 à 2012. À cette période, le programme
« gestion et impacts
du changement climatique »
(GICC) était encore actif et permettait de
mettre en œuvre
des soutiens ciblés, en complément des projets financés
par l’ANR, ce qui a pu jouer un rôle structurant.
La recherche en adaptation doit faire l’objet d’incitations spécifiques
pour renforcer les communautés scientifiques concernées et leurs liens.
3 -
Des financements exceptionnels dans le cadre
des
investissements d’avenir (France 2030)
En complément de ses propres appels à projets, l’ANR gère également
les crédits dévolus à la recherche des progra
mmes d’investissements d’avenir
(PIA), devenus France 2030. Ces programmes financent une recherche
davantage tournée vers des applications. L’essentiel des fonds du PIA relatifs
à l’adaptation ont été concentrés sur la période du premier PNACC, à hauteur
de 270
M€
, contre 126
M€
pour le deuxième PNACC.
COUR DES COMPTES
150
Parmi les instruments du PIA, seule l’action
«
Make our planet great
again
» (Mopga) est décrite avec précision par le deuxième PNACC. Sur
le total de 30
M€
de subventions prévues, on peut estimer entre 13,2
M€ et
24,6
M€ celles consacrées à la recherche pour l'adaptation
. Lancés
récemment, certains projets Mopga ont d’ores et déjà conduit à des
publications citées par le GIEC. Ce bilan intermédiaire devra être actualisé.
De nouveaux instruments, appelés programmes et équipements
prioritaires de recherche (PEPR, voir encadré), devraient accroître les
fonds consacrés à la recherche pour l’adaptation
et ciblés davantage sur les
forces que sur les faiblesses du système de recherche français. Cette
approche, si el
le n’est pas contrebalancée par des approches plus intégrées,
pourrait accroître le risque de mal-adaptation.
Les « PEPR » : de nouvelles perspectives financières pour
l’adaptation, une reproduction de silos sectoriels
Dans le cadre de France 2030, les programmes et équipements
prioritaires de recherche (PEPR) financent la recherche suivant des priorités
politiques. Pas moins de 11 PEPR représentant un montant de 483,2
M€
, soit
16,1 %
de l’enveloppe affectée à l’ensemble des PEPR (3
Md€
), se trouvent,
selon
les acteurs interrogés, dans le périmètre de la recherche pour l’adaptation.
Sur ces 11 PEPR, huit sont copilotés par le CNRS et sept
par l’I
nraé,
les deux grands opérateurs spécialisés respectivement dans les sciences du
climat et l’adaptation. Ces acteu
rs copilotent conjointement quatre PEPR.
Un seul est copiloté par les trois principaux opérateurs spécialisés en
sciences du climat, adaptation et atténuation (CNRS, Inrae et Cirad). À titre
d’illustration, les PEPR Traccs
88
et SVA
89
s’inscrivent dans le pér
imètre
direct de la recherche pour l’adaptation et vont contribuer à développer des
solutions technologiques pour l’adaptation (services climatiques et
végétaux optimisés respectivement).
Aucun PEPR n’est ciblé sur des enjeux d’adaptation de façon
intersectorielle et globale.
88
PEPR Traccs (51
M€
sur huit ans, copiloté par le CNRS et Météo-France), dont
«
l’enjeu est de transformer le
s méthodes de modélisation du climat en améliorant notre
compréhension des impacts et des risques, pour développer les services dans le
domaine climatique et répondre aux attentes sociétales d’adaptation et de résilience
».
89
PEPR
« Sélection variétale avancée (SVA) face aux changements climatiques »
(30
M€
sur huit ans, copiloté par l’Inraé, le Cirad, l’IRD, le CNRS ainsi que des écoles d'agronomie),
qui
vise notamment à adapter l’agriculture au changement climatique en mobilisant les
agroecologique-alimentaire-3-programmes-equipements-prioritaires-recherche
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
151
B -
Des viviers scientifiques en tension
Les financements dévolus à la recherche sur projet, qui constituent une
part importante des ressources, ne les résument pas pour autant. Il convient d’y
ajouter les financements récurrents apportés
par le ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche et les opérateurs pour les infrastructures ainsi que
les personnels permanents. Ces derniers sont indispensables pour porter la
recherche sur projet, mobiliser les infrastructures pour produire des
connaissances et des solutions nouvelles et,
in fine
, proposer une expertise de
qualité aux acteurs. Les personnels de recherche permanents sont également
indispensables pour encadrer les jeunes talents de demain
90
.
1 -
Des personnels permanents en diminution
L’analyse d’une partie importante des viviers scientifiques concernés
par la recherche pour l’adaptation, au sein des sites universitaires, montre
que les effectifs stagnent tant pour les sciences du climat (- 2 % entre 2010
et 2021) que pour la recherche relative aux risques, vulnérabilités et à
l’adaptation (
- 1 % sur la même période). Une tendance inquiétante est
relevée pour les jeunes enseignants-chercheurs (maîtres de conférences, à
hauteur de - 6 % et - 4 % sur les deux périmètres), dont la dynamique de
recrutement est inférieure à celle des enseignants-chercheurs confirmés
(professeurs des universités, à concurrence de + 7 % et + 5 %).
2 -
Après une phase de croissance, une stagnation de la formation
des jeunes talents de la recherche pour l’
adaptation
Les thèses dans le domaine de la recherche pour l’adaptation en
général et de la recherche en adaptation en particulier ont connu une très
forte progression depuis le début des années 2000 (croissance de 231 % et
de 364 % respectivement entre 2000 et 2010). La progression dans ces
domaines a été largement supérieure au taux de croissance moyen des
thèses, toutes disciplines confondues (+ 15 % sur la même période). La
forte dynamique observée est cependant à l’arrêt depuis 2017
-2018.
Au regard d
es besoins croissants d’expertise dans le domaine de
l’adaptation, les viviers scientifiques sont sous
-dimensionnés, avec des
fragilités identifiées à court terme (chercheurs permanents) comme à long
terme (jeunes talents formés par la recherche).
90
F
ormation par la recherche de docteurs qui vont ensuite s’insérer dans la recherche
ou dans d’autres secteurs
.
COUR DES COMPTES
152
C -
Des infrastructures cruciales dont le financement
dans la durée demeure incertain
La recherche pour l’adaptation nécessite de mobiliser d’importantes
infrastructures de recherche pour fournir les données de base nécessaires
aux travaux scientifiques, qu’il s’agisse de données d’observation du
système Terre dans toutes ses composantes, de données simulées à partir
de ressources computationnelles (voir encadré) ou encore de données
expérimentales pour évaluer les impacts du changement climatique.
Les supercalculateurs, outils clés pour les simulations du climat
L’infrastructure Climeri
-France permet la production de simulations
climatiques de référence à différentes échelles géographiques. Elle intègre
les modèles de
l’Institut Pierre Simon Laplace
(IPSL) et de Météo-France
et facilite
l’exploitation des simulations
relatives
à l’évolution du climat.
Climeri-France regroupe des moyens de calcul pour la réalisation des
simulations,
en s’appuyant notamment sur le
grand équipement national de
calcul intensif (Genci) et de Météo France, des moyens de stockage des
données ainsi que des ressources humaines. Le coût complet de cette
infrastructure est estimé à 12
M€ par an,
dont environ 6
M€
de coût de
calcul et stockage au Genci. Les publications associées sont hors-normes
car elles associent un très grand nombre d’auteurs et de financeurs.
Abondamment citées, elles constituent le socle scientifique du GIEC.
Les supercalculateurs de Météo-France sont également employés
pour prédire l’évolution du climat à l’échelle de la France par des méthodes
qui permettent de régionaliser les dernières prédictions mondiales
91
. Ces
nouvelles projections ont vocation à actualiser Drias Climat
92
, le portail
français de référence pour les données sur l’évolution du climat.
Certaines infrastructures de recherche sont financées par le
programme 172
Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires
de la
Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur
(Mires).
La plupart sont financées sur les fonds propres des organismes de recherche,
ce qui peut poser des problèmes de pérennité.
91
Ribes et co-auteurs, «
An updated assessment of past and future warming over France
based on a regional observational constraint
»,
Earth System Dynamics
, 2022.
92
Drias signifie
« Donner accès aux scénarios climatiques Régionalisés français pour
l
’
Impact et l
’
Adaptation de nos Sociétés et environnement »
.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
153
Le coût de fonctionnement des infrastructures de recherche pour
l’adaptation est estimé à au
moins 137
M€
par an
93
, sans intégrer le coût de
Climeri France (estimé à 12
M€ par a
n).
De nombreuses infrastructures clés sont confrontées à des problèmes
de vieillissement, sans financement identifiés pour les moderniser.
III -
Un appui de la science à la société qui souffre
d’une absence de coordination nationale
Les scientifiques apportent une expertise clé pour éclairer la
décision. Il subsiste des lacunes induites par des initiatives locales qui
évoluent en ordre dispersé. L’articulation entre les services et opérateurs
de l’État et les collectivités territoriales doit être renforcée. L
a recherche
innove et propose une palette large de solutions et de services pour
l’adaptation. En dépit des progrès, la diffusion des services et autres
solutions pourrait être dynamisé
e. Pour atténuer l’effet d’une gestion
structurée en silos, la gouvernance des actions de recherche doit être
réorganisée. La mise en œuvre du prochain plan national d’adaptation au
changement climatique (PNACC) devrait être l’occasion de mettre en place
une coordination renforcée entre les acteurs.
A -
Le rôle crucial mais inégalement assumé
de
l’expertise scientifique pour l’aide à la décision
Les moyens déployés en faveur de la recherche pour l’adaptation ont
permis de constituer des viviers scientifiques structurés, qui apportent une
expertise indispensable pour éclairer les poli
tiques d’adaptation, ainsi que
les choix d’investissements à toutes les échelles géographiques.
93
Estimation basse puisque que de nombreux coûts, notamment en termes de ressources
humaines associées au fonctionnement des infrastructures, n’ont pas été précisés de
façon systématique par les acteurs interrogés par la Cour.
COUR DES COMPTES
154
1 -
La présence d’experts français au sein du GIEC constitue
un atout
majeur pour l’appui à la décision
L’expertise scientifique en matière de recherche pour l’ada
ptation
intervient à tous les échelons, au premier chef à travers le GIEC, dont les
travaux éclairent les politiques climatiques conduites par la quasi-totalité
des acteurs publics. La France est formellement représentée au GIEC par
la direction générale d
e l’énergie et du climat (DGEC),
rattachée à la fois
au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et
au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle
et numérique.
De par leur rayonnement, les experts français présents au GIEC ont
un rôle important dans l’aide à la décision à tous les échelons (international,
national, territorial). La hiérarchie observée en matière de positionnement
des experts français au sein du GIEC est en cohérence avec les analyses
portant sur les travaux scientifiques cités par cette instance, ce qui souligne
l’intérêt pour les États de renforcer leur capacité de recherche pour être en
mesure de peser en matière d’expertise au niveau international. Accroître la
présence française, avec des experts spécialisés conjointement dans
l’adaptation et l’atténuation (groupes 2 et 3 du GIEC), devrait constituer une
priorité de long terme pour le 7
ème
cycle du GIEC, qui a débuté en 2023.
2 -
Les groupes régionaux d’experts sur le climat
: des dispositifs
territoriaux à mieux articuler avec l’échelon national
Depuis une dizaine d’années, en réponse à l’urgence climatique, des
interfaces science-société visant à éclairer la décision au plus près des
enjeux territoriaux ont été mises en œuvre. Ces in
stances, qui proposent
une expertise adaptée aux enjeux locaux, sont aujourd’hui connues sous la
dénomination de groupes régionaux d’experts sur le climat (Grec).
Les Grec apportent une expertise scientifique complémentaire de
celle des opérateurs nationaux tels que Météo-
France, l’Ademe et le
Centre
d
’
études et d
’
expertise sur les risques, l
’
environnement, la mobilité et
l
’
aménagement (Cerema). Ces derniers proposent aux collectivités
territoriales des solutions pour l’adaptation, avec toutefois une approc
he
davantage ciblée sur des outils et des offres de services structurées. Ces
acteurs ont eux-
mêmes également recours à l’expertise scientifique pour
assurer la qualité de leurs services.
Au total, il existe dix Grec. Leur répartition territoriale est hétérogène.
Cinq régions métropolitaines ainsi que les territoires d’outre
-mer en sont
dépourvus, à l’exception de la Guadeloupe. De statuts hétérogènes, ces
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
155
groupes sont inégalement reconnus
94
. Certains ont la particular
ité d’être
adossés à des entités de recherche, ce qui apporte un cadre permettant de
légitimer l’expertise.
Au total, quel que soit leur niveau de maturité, les Grec ne présentent
pas une structuration institutionnelle comparable au GIEC et ne s’appuient
pas toujours
sur l’état de l’art scientifique. Le GIEC a
ainsi publié un avis
indiquant que deux Grec se revendiqua
nt d’être des
« GIEC » régionaux
95
n’
avaient aucunement
été approuvés par l’instance internationale.
Le statut de ces groupes devrait être harmonisé au niveau national, le
cas échéant sous le pilotage des régions. Un label pourrait être créé, dont
l’obtention serait conditionnée au respect d’un cahier des charges permettant
de s’assurer de la qualité de leur expertise. En phase avec ses missions, qu’il
exerce tant au niveau national qu’auprès des collectivités territoriales, le
Haut conseil pour le climat (HCC), qui regroupe de nombreux scientifiques
de la recherche pour l’adaptation, aurait vocation à déf
inir le cahier des
charges de ce label et à évaluer les structures susceptibles d’en bénéficier.
Le ministère chargé de la transition écologique pourrait assurer le
secrétariat de la procédure de labélisation et animer le réseau des Grec pour
favoriser la
mise en cohérence de l’expertise française. Des synergies
pourraient être recherchées, par exemple pour réaliser des expertises
coordonnées pour les territoires confrontés à des risques climatiques similaires.
Le HCC pourrait également solliciter le réseau des Grec pour renforcer la
dimension territorialisée de ses avis, dans une perspective comparative.
Au total, une meilleure gouvernance de l’expertise territoriale
favoriserait les synergies dans un contexte où les tensions sur les viviers
concernés sont
croissantes. Une articulation entre l’État et les collectivités
territoriales en matière de recours à l’expertise permettrait d’éviter des
redondances dans les études sur des sujets communs (zones urbaines,
littorales, de montagnes, etc.).
94
Le rayonnement a été mesuré à travers une mesure du nombre de citations des sites
web portés par les Grec.
95
Le
« GIEC des Pays de la Loire »
et le
« GIEC-normand »
.
COUR DES COMPTES
156
B -
Quelques exemples de contributions de la recherche
française à un panel de solutions pour l’adaptation
1 -
Des solutions complémentaires
La recherche française, en fonction de la spécialisation des
laboratoires,
innove et propose de nombreuses solutions pour l’adaptation.
Pour répondre à un besoin spécifique exprimé par un acteur, un secteur ou
un territoire spécifique, un processus d’intégration est nécessaire,
pour
proposer
un ensemble cohérent de solutions. Ce processus d’intégration
prend la forme d’une expertise collective, d’un conseil ou d’une prestation
de service, et peut également être prévu par des projets de recherche.
a)
Les solutions technologiques
Parmi les solutions technologiques, les portails de données climatiques
de référence ainsi que les services climatiques, plus structurés et offrant des
réponses d’adaptation opérationnelles, constituent un socle numérique souvent
indispensable pour toutes les autres recherches et solutions. De nombreuses
autres solutions technologiques sont développées pour l’adaptation de
secteurs
spécifiques, par exemple pour maintenir le rendement des cultures
96
, renforcer
l’habitabilité des bâtiments par des matériaux plus adaptés ou encore préserver
la santé des populations par la découverte de molécules qui réduisent les
risques infectieux aggravés par le climat, comme dans le cas du paludisme. Le
développement de ces solutions se traduit par des dépôts de brevets ainsi que
des entreprises innovantes issues de la recherche.
Les brevets peuvent être retracés aisément car leur classification
comporte une catégorie concernant spécifiquement l’adaptation. Une étude
du haut conseil d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur
97
,
fondée sur un suivi analogue, a conclu que la France dépose 6,2 % des
demandes de brevets liées à l’é
volution du climat et se situe au sixième rang
mondial. Les dernières données de l’
Office européen des brevets indiquent
que la France dépose 4,8 %
des demandes liées à l’évolution du climat, avec
un niveau plus faible pour l’adaptation (4,2
%
) que pour l’
atténuation
(4,9 %). Le nombre de brevets visant conjointement des objectifs
d’adaptation et d’atténuation est faible, mais la France parvient à faire mieux
que sa moyenne générale (5,4 % contre 4,8 %).
96
À titre d’illustration, de nombreuses techniques de sélection
génétique permettent de
sélectionner des plantes résistantes au stress thermique (voir par exemple le PEPR
« Sélection
variétale avancée (SVA) face aux changements climatiques »
déjà évoqué au point II.C).
97
_scientifique_et_technologique_de_la_france_dans_la_recherche_sur_l_environnement/.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
157
Plusieurs entreprises innovantes avec une forte composante de recherche
et développement ont été identifiées. Une analyse sémantique a été
préalablement appliquée aux données ouvertes mises à disposition par
l’Ademe. Au total, 17
projets financés ont été recensés, sur un total de 1 174,
soit 1,4 % des projet
s. La réponse de l’Ademe a permis de confirmer cet ordre
de grandeur et de reconnaître les projets concernés par le périmètre de l’enquête.
À titre d’exemple, la start
-
up Mycophyto, issue de l’Inra
e et de
l’Université Côté d’Azur
98
, porte le projet MycoAgri
financé par l’Ademe.
Ce projet vise à développer et commercialiser des solutions de
mycorhization, c’est
-à-dire de symbioses entre des plantes et des
champignons microscopiques, pour la vigne et la rose. L’objectif est
d’accroître la surface racinaire des
plantes, afin qu’elles offrent une meilleure
résistance à la sécheresse et aient moins besoin d’intrants (engrais, eau).
b)
Les solutions fondées sur la nature
Les solutions fondées sur la nature (SFN) constituent un ensemble de
méthodes de gestion des écosystèmes visant à améliorer ou à tout le moins
préserver les services qu’ils rendent à l’homme et à l’environnement,
notamment en matière d’adaptation au changement climatique. Des
exemples de réalisations concrètes dans ce domaine sont donnés par le projet
«
Pathways for transformation in the Alps
» (Portal)
99
, porté par un
chercheur du CNRS rattaché au laboratoire d’écologie alpine de Grenoble
100
.
Portal a conduit à la mise en place d’une plateforme d’initiatives
alpines en matière de solutions fondées sur la nature
101
. Cette carte pourrait
inspirer de nouvelles voies d’adaptation pour les territoires de montagne, très
exposés aux risques climatiques. Le PEPR
« Biodiversité et solutions
fondées sur
la nature : innover avec la nature pour créer des impacts positifs
pour la biodiversité, la société et l’économie
»
(Solubiod), porté par le CNRS
et l’Inraé, propose des approches scientifiques nouvelles sur les SFN.
98
Voir http://mycophyto.fr/.
99
https://anr.fr/ProjetIA-19-MPGA-0009. Ce projet a été financé par le programme
MOPGA évoqué au point II.
100
Laboratoire sous tutelle de l’université Grenoble Alpes, de l’U=université Savoie
Mont Blanc et du CNRS.
101
COUR DES COMPTES
158
c)
Les innovations sociales
Les innovations sociales incluent des travaux diversifiés, tels que les
scénarisations avec les acteurs
d’un territoire donné de trajectoires
d’adaptation mobilisant par exemple les solutions fondées sur la nature
(voir encadré) ou les modalités comparées de gouvernance des politiques
d’adaptation
102
. Elles portent également sur la manière même de conduire
les recherches dans le domaine de l’adaptation, par exemple à travers la
démarche de « recherche-action »
103
.
Ces recherches favorisent les échanges entre des acteurs dont les
intérêts peuvent diverger afin d’identifier des solut
ions
pour l’adaptation
les plus consensuelles, et donc susceptibles
d’être appropriées et déployées
à large échelle. Les innovations sociales sont portées par les sciences
humaines et sociales, dont l’implication reste limitée dans le périmètre du
2
ème
gro
upe du GIEC, qui couvre l’adaptation (I).
Un exemple de projet de recherche participatif pour renforcer
l’adaptation
dans les Alpes en mobilisant des innovations sociales
Les socio-écosystèmes comprennent des éléments sociaux ainsi que
des éléments biophysiques étroitement associés.
Par la qualité de vie qu’
ils
apportent aux populations, les socio-écosystèmes contribuent à l'adaptation
au changement climatique
104
. Dans les années à venir, le renforcement de
l’adaptation par les
solutions fondées sur la nature va nécessiter
d’importants changements dans les pratiques qui sous
-tendent les
nombreuses interactions entre l'homme et son environnement
105
.
Dans un tel contexte, la construction de voies d’adaptation
avec les
acteurs des territoires concernés représente un enjeu stratégique. Ce
processus repose sur des innovations sociales, telles que la formalisation de
scénarios
d’adaptation et l’emploi d
e jeux sérieux. Dans le cadre du projet
« Mountain paths »
, les acteurs du Pays de la Meije, situé dans les Alpes,
en bordure du massif des Écrins, ont ainsi été invités à concevoir une vision
souhaitée pour leur territoire en 2040 et à réfléchir aux stratégies et
modalités d’action
pour y parvenir. Ce projet, coordonné par une chercheuse
du CNRS, a notamment été financé
par l’ANR
et des fonds PIA.
102
Bauer et co-auteurs,
« The governance of climate change adaptation in 10 OECD
countries: challenges and approaches »
,
J. of Environmental Policy & Planning
, 2012.
103
Compos et co-auteurs,
« Climate adaptation, transitions, and socially innovative
action-research approaches »
,
Ecology and Society
, 2016.
104
Voir : Enora Bruley et co-auteurs,
« Actions and leverage points for ecosystem-
based adaptation pathways in the Alps »
,
Environmental Science and Policy
, 2021
(https://doi.org/10.1016/j.envsci.2021.07.023).
105
Synthèse du projet de recherche participatif
« Mountain paths »
, étude de
l’adaptation basée sur les écosystèmes dans les Alpes (laboratoire d’écologie al
pine).
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
159
2 -
Un déploiement de services climatiques à accélérer
Les projections climatiques développées par les sciences du climat
constituent le socle indispensable aux stratégies de planification et
d’investissement. Pour pouvoir répondre
à des besoins opérationnels, ces
données complexes doivent être associées à des études appliquées à des
secteurs et territoires spécifiques, à la sollicitation d’expertises scientifiques
« à la carte »
106
ou à des services climatiques ciblés (voir encadré ci-dessous).
Un exemple de recherche française pour réduire le risque
de mal-adaptation engendré par une climatisation à grande échelle
Un cas type de mal-adaptation consisterait à déployer à large échelle
la climatisation pour réduire l’impact des vagues
de chaleur. Cette solution
aurait deux conséquences néfastes :
d’une part, elle augmenterait les rejets
de CO
2
, ce qui renforcerait les impacts du changement climatique ;
d’autre
part, elle accroîtrait la température à l’extérieur des bâtiments, ce qui
comporterait des dangers pour les personnes vulnérables exposées. Dans
l’optique de réduire ce risque de mal
-adaptation pour la région parisienne,
cette problématique a été analysée par une étude française citée dans les
rapports du GIEC pour les enjeux tant
d’adaptation que d’atténuation
107
.
Dans cette étude, les auteurs ont simulé un scénario de climatisation
utilisée en ville de façon combinée avec trois actions d'adaptation : la
création de parcs
; l’
isolation des bâtiments et
l’
utilisation de matériaux
réfléchissants ; la
mise en œuvre de recommandations efficaces pour une
utilisation modérée de la climatisation.
D’après les simulations, c
ette approche permettrait une adaptation
efficace (voir la carte ci-dessous indiquant les réductions des températures
prédites en période de vagues de chaleur) tout en réduisant d’environ 60
%
les gaz à effet de serre émis par rapport à une situation de mal-adaptation
qui se bornerait à utiliser la climatisation à grande échelle sans mettre en
œuvre
les autres solutions
d’adaptation.
106
Voir par exemple le rapport de la Cour consacré à l
’adaptation au changement
climatique du parc des réacteurs nucléaires
, qui indique qu’EDF
mobilise les
projections issues des deux grands modèles climatiques français et sollicite
régulièrement l’expertise scientifique pour orienter sa pla
nification stratégique.
107
Voir l’étude de Vincent Viguié et co
-auteurs,
« Early adaptation to heat waves and
future reduction of air-conditioning energy use in Paris »
,
Environmental research
letters,
2020 (https://doi.org/10.1088/1748-9326/ab6a24). Cette étude est citée
conjointement dans les rapports des groupes 2 et 3 du GIEC compétents respectivement
en matière d’adaptation et d’atténuation (voir I).
COUR DES COMPTES
160
Carte n° 9 :
réductions des températures prédites en période
de vagues de chaleur
Source : étude de Vincent Viguié et co-auteurs, « Early adaptation to heat waves and future
reduction of air-conditioning energy use in Paris »,
Environmental research letters,
2020
Les services climatiques sont en pleine expansion et permettent de
fournir une information
dans un format numérique approprié à l’aide à la
décision
108
. Trois types de services climatiques peuvent être distingués :
-
les portails de données harmonisées, principalement portés par les
acteurs des sciences du climat ;
-
les outils de diagnostic et d’aide à la décision pour des secteurs,
territoires et enjeux spécifiques, souvent développés aux interfaces
entre les sciences du climat
et les nombreuses disciplines scientifiques
qui analysent les risques, les vulnérabilités et l’adaptation
;
-
les plateformes qui centralisent des informations sur les enjeux
d’adaptation et recensent des portails de données et des outils de
diagnostic et d’aide à la décision, ainsi que d’autres solutions.
108
Voir par exemple l’article relatif aux servi
ces climatiques proposé par Vautard et al. dans
la perspective de l’Onerc de mars 2022 (https://www.vie
-publique.fr/rapport/284298-la-
prospective-au-service-de-ladaptation-au-changement-climatique).
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
161
Au total, la recherche publique française joue un rôle significatif
dans 39 services. Le rayonnement de ces services peut être évalué car ils
sont associés à des sites internet publiquement accessibles.
a)
Des portails de données ouvertes stratégiques
Deux de ces services concentrent l’essentiel du rayonnement sur le
web : Drias Climat
109
, lancé en 2012, et le service de Copernicus
concernant le changement climatique (C3S)
110
, lancé en 2020. Ces deux
services offrent notamment des données climatiques de référence ouvertes
et gratuites, sans lesquelles les autres recherches et services relatives aux
enjeux climatiques ne pourraient se développer.
La France, pays moteur pour les services climatiques
Piloté par Météo France, Drias Climat a été lancé en 2012 avec le
soutien du ministère chargé de la transition écologique. Ce portail de
données de référence bénéficie d’un rayonnement élevé. Au sein de
l’Union européenne, les centres de recherche français sont bien intégrés
dans les dynamiques des services climatiques européens. Le programme
européen d’observation de la Terre Copernicus a été mis en œuvre en
2013. Il constitue le plus grand fournisseur de données spatiales au monde
et comprend à ce jour six services permettant d’apporte
r une valeur
ajoutée à ces données, dont un service concernant le changement
climatique (C3S). La France est le deuxième pays utilisateur du C3S.
L
’
Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) et le laboratoire des sciences du
climat
et
de
l’environnement
(
LSCE)
constituent
les
premiers
contributeurs de ce service. La France participe également aux
programmes de recherche financés par l’Union européenne. Seize des
26 projets de développement de services climatiques de la
« Joint
Programming Initiative « Connecting Climate Knowledge for Europe
»
(JPI-
Climate) comprennent ainsi une équipe française et trois d’entre eux
sont coordonnés par un organisme français.
109
110
COUR DES COMPTES
162
b)
Des services en progression, avec des disparités importantes
À compter de 2018, le nombre de services climatiques déployés a
fortement augmenté, notamment grâce à une « convention services
climatiques »
111
signée pour période 2017-2020 entre le ministère chargé
de la transition écologique et le CNRS, visant à soutenir le développement
de ces services. Malgré cette progression quantitative, le rayonnement
sectoriel de ces services apparaît limité, sauf dans le domaine du tourisme
avec
ClimSnow
(voir encadré). Peu de services concernent les enseignants
et les particuliers, alors même que ceux qui existent ont un rayonnement
plus élevé que les services bénéficiant à d’autres acteurs
.
ClimSnow
, un service climatique phare pour l’aide à la décision
Issu d’une collaboration scientifique entre Météo
France et l’Inra
e
112
,
ClimSnow
est conduit en association avec Dianeige, un cabinet privé
spécialisé dans l’aménagement des stations touristiques de montagne
.
Ce service permet d’évaluer l’évolution de l’enneigement sous
l’effet du changement climatique. Il a notamment été
appliqué aux stations
des Alpes et des Pyrénées pour pr
édire l’évolution de l’enneigement dans
ces régions, sur différents horizons de temps
113
.
Également employé pour des expertises payantes détaillées sur
demande des acteurs concernés (exploitants de domaines skiables et
collectivités locales),
ClimSnow
produit des avis sur la capacité des stations
de ski à maintenir leur exploitation et propose des recommandations en
stratégie touristique et en infrastructures.
Même s’il n’est pas toujours employé à bon escient par les acteurs
114
,
ClimSnow
est un exemple rare de service climatique qui intègre à la fois,
d’une part,
des outils de diagnostic fondés sur une modélisation de haut
niveau et des données ouvertes et
, d’autre part,
un accompagnement « à la
carte »
vers des solutions d’adaptation con
crètes.
111
https://convention-services-climatiques.lsce.ipsl.fr/
112
CNRM et LESSEM respectivement.
113
Source : figure tirée de François et collègues (2022), 35
ème
colloque annuel de
l’association internationale de climatologie (AIC
).
114
Voir, dans le présent rapport, le chapitre sur
L’impact du changement climatique sur
les acteurs du tourisme en montagne
.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
163
c)
Une visibilité insuffisante pour la recherche appliquée
et les solutions issues de la recherche
Le réseau d’acteurs associé aux services climatiques impliquant la
France s’est principalement structuré autour des grands acteurs français des
sciences du climat ainsi que du portail Drias Climat. Certains Grec y sont
bien positionnés.
Un centre de resso
urces pour l’adaptation, prévu dans le cadre du
deuxième PNACC, a été mis en œuvre par le ministère chargé de la transition
écologique, le Cerema, l
’
Ademe et Météo-France. La fréquentation de ce
centre atteint les 10 000 visiteurs uniques mensuels, en hausse de 15 % sur
une année. Cependant, malgré cette dynamique, son rôle structurant apparaît
pour l’heure secondaire dans le réseau des services climatiques. Une analyse
comparée avec l’homologue européen du centre français confirme
cette
faible reconnaissance pour le portail français. Le rayonnement relatif de
Drias Climat apparaît bien plus important (voir le tableau n° 2 ci-dessous).
Tableau n° 12 :
comparaison du rayonnement de services climatiques
clés pour la France et l’Union européenne
Nature du service
et indicateurs associés
Service français
Service homologue de
l’Union européenne (UE)
Plateforme
d’information
adaptation-changement-
climatique.gouv.fr
climate-adapt.eea.europa.eu
Rayonnement
109
1 353
Ratio France / UE
8,1 %
Portail de données
harmonisées
drias-climat.fr
climate.copernicus.eu
Rayonnement
1 129
2 752
Ratio France / UE
41,0 %
Source : rayonnement (nombre de citations des sites web) calculé avec Ubersuggest en juin 2023.
La France représente environ 17 %
du PIB de l’Union en 2019
115
, ce qui apporte une valeur de
référence pour interpréter les ratios présentés ci-dessus
Quelles que soient les évolutions qu’envisagent les tutelles, la
plateforme proposée par la France pour orienter les stratégies d’adaptation
pourrait jouer un rôle plus central en incluant une identification plus exhaustive
des projets de recherche et acteurs, ainsi qu’une hiérarchisation des services
proposés sur la base de retours des utilisateurs et de statistiques d’usage.
115
COUR DES COMPTES
164
C -
Un pilotage interministériel à mieux structurer
En complément de ses attributions au sein du GIEC, le ministère
chargé de la transition écologique coordonne le PNACC. À ce titre, le
deuxième PNACC prévoit que le ministère chargé de la transition écologique
copilote avec le ministère de l’enseignement supéri
eur et de la recherche le
volet « connaissance et information
» de ce plan d’actions, en lien avec les
autres ministères et opérateurs. En effet, nombre d’actions prévues ont été
mises en œuvre en silo. Le cas le plus emblématique concerne les concours
fin
anciers de l’ANR, agence qui soutient essentiellement la recherche
fondamentale. Or ce modèle de financement n’a pas permis d’orienter
préférentiellement les moyens en faveur de la recherche en adaptation.
L’ANR et le ministère chargé de la transition écol
ogique réalisent
bien des travaux en commun, mais uniquement pour retracer
a posteriori
les financements consacrés à la recherche en adaptation. Cette dernière, par
définition interdisciplinaire
116
voire transdisciplinaire
117
, est plus difficile
à valoriser pour les chercheurs. Les incitations des institutions scientifiques
(modalités de financement, de recrutement, de publication et d’évaluation)
restent dominées par le modèle de l’excellence disciplinaire. Cette
modalité de recherche doit faire l’objet d’un pilotage et d’une orientation
spécifique pour favoriser la structuration d’une communauté scientifique
regroupant plusieurs secteurs et dynamiser la production de connaissances,
d’experts et de solutions pour l’adaptation.
Des outils et modalités de pilotage efficaces pour stimuler ce type
de recherche existent, notamment dans le secteur agricole
118
ainsi que dans
les domaines de l’environnement, de l’énergie et de l’aménagement du
territoire
119
. Cependant, hormis quelques collaborations fructueuses entre
secteu
rs, les modèles d’innovation à la française demeurent largement
structurés par secteur et donc par portefeuille ministériel. Les nouveaux
programmes et équipements prioritaires de recherche, déployés sous
l’égide du secrétariat général pour l’investissemen
t, tel que le projet Traccs
pour les services climatiques, ne font pas exception à ce modèle.
116
On parle d’interdisciplinarité lorsqu’u
ne même recherche est conduite par des
chercheurs de disciplines différentes.
117
Une recherche est transdisciplinaire lorsqu’elle est conduite entre des chercheurs
académiques et des acteurs non-académiques.
118
L’Inraé a précisé que, pour le monde agricole,
un ensemble d’acteurs, de projets et
d’outils permet de faciliter le passage de la production de connaissances aux
déploiements d’innovations sur le terrain, en liaison avec les acteurs concernés.
119
Le ministère chargé de la transition écologique est doté
d’un réseau scientifique et
technique d’opérateurs spécialisés, dont Météo
-
France, l’Ademe et le Cerema, qui
facilitent le passage à l’échelle et la traduction des savoirs issus de la recherche vers les
applications opérationnelles.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
165
L’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie nationale de
recherche portant sur les enjeux d’adaptation par le MESR et qui viendrait
en appui du PNACC plus généraliste porté par le MTE serait de nature à
dynamiser ce champ de recherche et à mieux orienter les financements,
notamment dans le cadre des PEPR.
Au total, une telle stratégie de recherche ciblée sur les enjeux
d’adaptation doit être portée par le ministère de l’enseignement supérieur
et de la recherche. Une plus grande coordination entre les acteurs devra être
recherchée dans l’optique du prochain plan national d’adaptation au
changement climatique.
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La
recherche française pour l’adaptation rayonne au
premier plan
mondial, en particulier dans les sciences du climat et la recherche relative
aux services écosystémiques, aux zones méditerranéennes, littorales et aux
petites îles. Elle est également bien positionnée sur les enjeux agricoles,
forestiers et liés à l’eau. En revanche, elle est confrontée à des
fragilités
scientifiques dans les secteurs de la santé, de l’urbanisme et des villes,
ainsi que dans le domaine
du développement, avec un sous-
dimensionnement dans les outre-mer, et sur les enjeux liés à la mal-
adaptation. En outre, cette recherche demeure cloisonnée entre secteurs.
Les succès français s’expliquent par le bénéfice d’
importants
moyens déployés sur le temps long, avec toutefois des risques liés à des
ressources
humaines
en
tension
croissante,
des
financements
insuffisamment ciblés sur la recherche en adaptation ainsi que des
problématiques de financement des infrastructures de recherche. Certains
viviers scientifiques, parfois très sollicités, pourraient ne pas être capables
de répondre à une demande croissante, malgré la hausse des financements
« exceptionnels » disponibles dans ces domaines. Au total, les moyens
mobilisés pourraient se révéler rapidement insuffisants au regard des
besoins induits par la transition.
Sous l’impulsion des
principaux acteurs des sciences du climat ainsi
que des instituts de recherche sectoriels, des services climatiques
numériques commencent à être déployés dans une optiq
ue d’adaptation,
avec toutefois un rayonnement contrasté. La visibilité de ces services,
comme de l’ensemble bien plus large de solutions pour l’adaptation et de
l’expertise scientifique française,
souffre de lacunes et pourrait être
dynamisée. La gouverna
nce de la recherche pour l’adaptation pourrait
être renforcée, en articulant mieux l’échelon national avec les initiatives
locales foisonnantes mais qui progressent en ordre dispersé.
COUR DES COMPTES
166
La Cour formule les recommandations suivantes :
1.
produire une stratégie
nationale de recherche en matière d’adaptation
en appui au plan national d’adaptation au changement climatique
(ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche)
;
2.
rééquilibrer les moyens en faveur de la recherche en adaptation, en
particulier sur la santé, les villes, les outre-mer et les domaines
partagés entre adaptation et atténuation (
ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche, ministère de la transition écologique
et de la cohésion des territoires) ;
3.
créer un label pour les group
es régionaux d’experts sur le climat et
les inscrire au sein d’un réseau coordonné par le ministère de la
transition écologique (ministère de l’enseignement supérieur et de la
recherche, ministère de la transition écologique et de la cohésion des
territoires, haut conseil pour le climat) ;
4.
mettre en place des tableaux de bord de la recherche ainsi qu’une
cartographie de l’expertise accessible à l’ensemble des acteurs pour
l’adaptation au changement climatique et les autres enjeux scientifiques
liés au clima
t et à la biodiversité (ministère de l’enseignement supérieur
et de la recherche, ministère de la transition écologique et de la
cohésion des territoires) ;
5.
hiérarchiser les services climatiques, outils qui proposent une aide à la
décision sur la base de projections climatiques, en fonction de leur usage
et des retours des utilisateurs (ministère de la transition écologique et de
la cohésion des territoires).
Réponses reçues
à la date de la publication
Réponse du ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires
..........................................................................................
168
Réponse de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche
. 168
Réponse du secrétaire général du Secrétariat général
pour l’investissement (SGPI)
..................................................................
172
Réponse de la présidente du Haut conseil pour le climat
........................
173
Réponse du Président-directeur général de
l’Agence nationale
de la recherche
........................................................................................
176
Destinataires n’ayant pas d’observation
Monsieur le président-directeur général du Centre national de la recherche
scientifique (CNRS)
Madame la présidente-directrice générale de Météo France
Destinataire n’ayant pas répondu
Madame la ministre de la transition énergétique
COUR DES COMPTES
168
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
L'État mobilise des capacités d'observation, d'expertise et de
recherche. L'alignement de ces différentes composantes est nécessaire
comme le soulève la Cour des comptes, sans oublier également
l'innovation, l'enseignement, et l'aspect territorial.
Si la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche assure
un pilotage général, je partage la préoccupation d'une recherche en
soutien aux politiques publiques. Les organismes sous tutelle de mon
ministère ont ainsi un positionnement axé sur la recherche et sur l'expertise
au service de l'action ; à titre d'exemple, Météo France, acteur référent
pour les données et services climatiques, le Cerema sur la réduction des
vulnérabilités et pour un développement territorial plus résilient, ou
l'Université Gustave Eiffel (UGE) qui travaille sur l'adaptation soutenable
des villes et des territoires.
Vous soulignez la contribution de plusieurs programmes de
recherche (PEPR), bénéficiant du soutien de France 2030, aux questions
d'adaptation. Cela tient à la nature du sujet au carrefour d'enjeux très
diversifiés, technologiques mais aussi sociétaux, par exemple sur des
problématiques comme la résilience des sociétés ou l'adaptation urbaine.
Je serai attentif à ce que mon ministère puisse tirer des enseignements
enrichis du croisement entre ces différents travaux.
RÉPONSE DE LA MINIST
RE DE L’ENSEIGNEMENT
SUPÉRIEUR
ET DE LA RECHERCHE
À titre liminaire, je remercie la Cour des comptes pour le travail,
approfondi et original par sa méthode, qu’elle a conduit sur un sujet
devenu majeur en matière de politique publique. Si la recherche a
clairement été à l’origine du diagnostic précoce du cha
ngement
climatique, elle permet également, grâce aux études prédictives et aux
scénarios qu’elle élabore, d’en anticiper les effets négatifs et les risques
qu’il fait courir à notre société et plus largement à l’humanité. Comme le
souligne à juste titre le rapport de la Cour, la recherche doit jouer un rôle
particulier dans l’identification des enjeux, la quantification des
phénomènes et la recherche de solutions pour faire face à des situations
que l’on sait inévitables.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
169
Le ministère de l’enseignement supé
rieur et de la recherche
(MESR) salue la grande qualité du travail présenté dans ce chapitre du
rapport public annuel 2024. Ce travail repose sur des analyses originales
et poussées de la bibliométrie associée aux rapports du groupe d’experts
intergouverne
mental sur l’évolution du climat (GIEC), qui constitue un
concentré de l’expertise scientifique mondiale sur le climat. Ces
méthodes d’analyse, développées avec l’Agence nationale de la
recherche (ANR) et alimentées par les bases de données nationales,
permettent de mieux qualifier au niveau international la place de la
recherche française dans les sciences du climat et dans les domaines de
l’adaptation et de l’atténuation. Elles permettent d’identifier les régions
les plus actives, les thématiques les moins bien représentées, les travaux
à conduire aux interfaces.
Devant l’intérêt de ces développements, mon département
ministériel a d’ores et déjà pris l’initiative d’examiner, avec la Cour et
l’ANR, dans quelle mesure ces méthodes d’analyse pourraient être
utilisées pour constituer un outil de suivi régulier de la production
scientifique française dans les différents champs de la recherche sur le
climat, voire également sur la biodiversité.
Le panorama global des travaux réalisés que produit l’enquête de
la Cour montre que notre système national de recherche se situe au
meilleur niveau international, en fournissant notamment une contribution,
significative en termes de qualité et visible en termes d’impact, aux
rapports produits par le GIEC.
Je partage les conclusions de la Cour quant au rayonnement
exceptionnel des recherches françaises sur le climat, la biodiversité,
l’agronomie, l’hydrologie et la foresterie. Par contre, les domaines de la
santé et de l’urbanisme associés au changement climatique apparaiss
ent
malheureusement en retrait.
S’il a émis des réserves sur la méthodologie employée pour qualifier
la recherche dite « aux interfaces », le MESR partage également le
diagnostic sur le cloisonnement persistant entre les domaines et sur le
risque important de mal adaptation pouvant en résulter. Il y a lieu
également de constater le déficit de recherches en sciences humaines et
sociales, qui devraient pourtant être motrices sur des sujets portant sur
l’identification des vulnérabilités, la mise au point de s
olutions en matière
d’adaptation et d’atténuation qui soient comprises et mises en œuvre par
tous les acteurs de la société. L’interdisciplinarité, fondement de la science
de la durabilité, est essentielle.
COUR DES COMPTES
170
En réponse à l’analyse de la Cour expliquant l’év
olution du financement
par l’ANR de la recherche en adaptation par l’arrêt du programme «
gestion
et impacts du changement climatique
», il convient de noter que l’ANR continue
cependant de financer les projets d’excellence, initiés par les chercheurs, don
t
certains peuvent cibler la question de l’adaptation.
Par ailleurs, le programme France 2030 finance des programmes
de recherche exploratoires, proposés par des chercheurs, ou bien
adossés à des stratégies nationales d’accélération, et proposés dans ce
de
rnier cas par l’ensemble d’une filière. Au titre de France
2030, 22
programmes
et
équipements
prioritaires
de
recherche
(PEPR)
contribuent à la transition écologique :
-
3 d’entre eux sont strictement dédiés au climat et sont financés à
hauteur de 156
M€
;
-
8 d’entre eux sont consacrés à l’atténuation du changement
climatique et sont financés à hauteur de 451
M€
;
-
les 11 restants traitent de ces deux thèmes ainsi que de l’adaptation
au changement climatique, et sont financés à hauteur de 432
M€.
La Cour pre
nd l’exemple de l’évolution du financement par l’ANR
de projets dédiés à l’adaptation pour noter que le plan national
d’adaptation au changement climatique (PNACC) n’a pas eu l’effet
escompté sur la programmation de l’Agence. Elle estime que la recherche
p
our l’adaptation et en adaptation doit être co
-pilotée par les ministères
en charge de l’écologie et de la recherche. Il est avéré que le PNACC, du
fait de sa logique sectorielle et de sa dimension opérationnelle, ne constitue
pas un cadre pertinent pour la programmation de la recherche. Il pourrait
cependant mieux identifier les questions posées à la recherche pour
permettre son déploiement opérationnel.
Le secrétariat général pour l’investissement a apporté, ces dernières
années, un appui programmatique et financier majeur aux thématiques
stratégiques de l’État, parmi lesquelles le climat dans toutes ses dimensions,
en incluant les questions liées à l’adaptation et à l’atténuation, figure
largement. Les PEPR apportant les connaissances qui seront produites au
titre des contributions attendues de la recherche pourront être identifiés dans
le PNACC
3 en vue de répondre aux questions qu’il explicite.
Dans la continuité de la publication du rapport commandé par la
ministre à monsieur Philippe Gillet, l’animatio
n et la programmation de
la recherche sur les thématiques à enjeux sociétaux, comme l’adaptation
au changement climatique, vont être confiées à des agences de programme.
Le Président de la République a annoncé la création le 7 décembre dernier
de ces agences, qui seront hébergées par les principaux organismes
nationaux de recherche.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
171
Au-delà de ces considérations, je souhaite porter à votre connaissance
mes remarques sur les 4 recommandations qui me sont adressées.
La recommandation n° 1 préconise de « produire une stratégie
nationale de recherche en matière d’adaptation, en appui au plan national
d’adaptation au changement climatique
».
Comme indiqué ci-dessus, les différents PEPR produisant des
connaissances en appui à l’adaptation au changement climatique
seront
explicitement cités dans le PNACC
3 et l’expertise ainsi développée pourra
être mobilisée en tant que de besoin. C’est une première façon pour la
recherche de venir en appui au PNACC.
En ce qui concerne l’orientation de la recherche sur ce thème,
le
Président de la République a confié au centre national de la recherche
scientifique le rôle d’agence de programme sur le thème climat,
biodiversité et sociétés durables. L’agence aura pour mandat de définir les
thèmes de recherche prioritaires à retenir dans la programmation sur ces
thématiques, incluant l’adaptation au changement climatique, et d’en
piloter la mise en œuvre le cas échéant. C’est dans ce nouveau cadre de
programmation que la production d’une feuille de route nationale portant
sur la recherche sur le changement climatique pourra être proposée.
La recommandation n° 2 invite à « rééquilibrer les moyens en
faveur de la recherche en adaptation, en particulier sur la santé, les villes,
les outre-mer et les domaines partagés entre adaptation et atténuation ».
Le programme Solutions pour la ville durable et bâtiments
innovants est un PEPR qui porte sur l’adaptation de la ville en mentionnant
clairement les enjeux liés à la santé.
La nouvelle agence de programme portée par le CNRS, évoquée
ci- dess
us, ainsi que l’agence de programme consacrée à la santé portée
par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, constituent
le cadre pour faire émerger des projets relevant de ces deux domaines.
La recommandation n° 3 suggère de « créer un label pour les
groupes régionaux d’experts sur le climat et les inscrire au sein d’un
réseau coordonné par le ministère de la transition écologique ».
Le MESR pourra apporter son appui au ministère de la transition
écologique et de la cohésion des territoires si celui-
ci décide d’étudier la
mise en œuvre de cette proposition en lien avec le haut conseil pour le climat.
La recommandation n° 4 incite à « mettre en place des tableaux de
bord de la recherche ainsi qu’une cartographie de l’expertise accessible
à
l’ensemble des acteurs pour l’adaptation au changement climatique et les
autres enjeux scientifiques liés au climat et à la biodiversité ».
COUR DES COMPTES
172
La stratégie nationale bas carbone, le plan Climat et Biodiversité
du
MESR,
le
PNACC 3
comprennent
un
axe
« production
de
connaissances » destiné à faire progresser notre compréhension du climat,
de son évolution en termes de risques, ainsi que des possibilités de
l’atténuer tout en s’adaptant à ses conséquences inéluctables. Le suivi de
ces actions via un tableau de bord complet est malaisé à concevoir du fait
des échelles de temps différentes qui sont inhérentes à la recherche et à sa
valorisation (environ 5 ans sont nécessaires pour une publication).
Toutefois, les développements méthodologiques de la Cour
pourraient être utilisés pour mettre au point une cartographie des
thématiques à suivre dans la durée, avec un dispositif bibliométrique
associé, afin de pouvoir rendre compte des connaissances produites. Une
étude de faisabilité permettra de voir quelles suites pourraient être
effectivement données à ce projet de cartographie. La cartographie de
l’expertise relève plus probablement du réseau scientifique et technique
(réseau des opérateurs de recherche en environnement) animé par le
ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
RÉPONSE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU SECRÉTARIAT
GÉNÉRAL POUR L’INVES
TISSEMENT (SGPI)
La Cour dénombre 11 Programmes et équipements prioritaires de
recherche dans le périmètre de la recherche pour l'adaptation (PEPR).
Dans les faits, ce sont 20 PEPR qui sont particulièrement en lien avec les
questions de transition et d'adaptation, avec une approche transversale qui
évite précisément les silos disciplinaires évoqués dans le rapport, dont
vous trouverez le détail en annexe.
Ces nombreux projets financés sont complétés par des actions de
soutien à la prématuration et maturation, entre autres, dans les domaines
de la mobilité, de la décarbonation de l'industrie, des énergies
renouvelables avec des enveloppes moyennes de 20
M€
par projet.
Par ailleurs, le SCPI finance une action de « recherche à risque »,
qui vise à améliorer les moyens de détection et d'accélération des
découvertes scientifiques inédites, et à soutenir des travaux de recherche
dont le potentiel applicatif, plus large qu'initialement prévu, nécessite une
réponse rapide et sur mesure. Cette enveloppe financière de 500
M€ d'euros
contribue pour une part à la création, au sein des organismes nationaux de
recherche, d'agences de programme. Leur objectif répond à un certain
nombre de remarques formulées dans le rapport, notamment le besoin de
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
173
pilotage national de programmes de recherche, jugés stratégiques car à fort
impact sociétal et/ou relevant d'un intérêt souverain, en priorité dans des
domaines pour lesquels le renforcement de la coordination entre les acteurs
de recherche, d'une part, et entre ministères pour clarifier le mandat donné
par l'État, d'autre part, est essentiel. Citons ainsi :
-
l'agence de programme « climat, biodiversité et sociétés durables »,
portée par le CNRS (en lien avec l'IFREMER et l'IRD) en charge de
mieux comprendre, et mieux prédire le fonctionnement du Système
Terre et de traiter le climat, la biodiversité et les sociétés humaines
comme des systèmes couplés (avec notamment la question de
l'acceptabilité des solutions émergentes face au changement
climatique) ;
-
l'agence de programme « agriculture, alimentation durable, forêt et
ressources naturelles », portée par l'INRAE,
-
l'agence de programme « énergies décarbonées », portée par le CEA.
Enfin,
mentionnons
qu'à
travers
le
levier
«
écosystèmes
d'enseignement supérieur, de recherche et d'innovation » de France 2030,
nous soutenons de manière structurelle les établissements de recherche et
universités, avec des dispositifs de type « Initiatives d'excellence » (Idex),
« Initiatives Science / Innovation / Territoires / Économie » (Isite),
« Excellence sous toutes ses formes », permettant de financer sur des
programmes au temps long la recherche fondamentale, dont une partie
croissante se consacre aux enjeux de la transition environnementale. Le
montant dédié à cet axe, hors PEPR et Recherche à Risque, s'élève à 4
Md€
dans le budget de France 2030.
RÉPONSE DE LA PRÉSIDENTE DU HAUT CONSEIL
POUR LE CLIMAT
En réponse à votre saisine du 23 novembre 2023, et conformément
aux articles L 143-6 et R 143-13 du code des juridictions financières, vous
trouverez ci-après la réponse du Haut conseil pour le climat sur le projet
de chapitre «
la place et le rôle de la recherche publique dans l’adaptation
au changement climatique » destiné à figurer dans le rapport public annuel
2024 de la Cour des comptes. Pour en faciliter la lecture, les différents
aspects sont regroupés par catégories.
COUR DES COMPTES
174
Observation et série de données
La constitution de longues séries de données est essentielle pour la
fiabilité du suivi des impacts, la réalisation et la calibration de projections
climatiques ciblées. En général, trop peu d’attention est accordée aux
enjeux et besoins d’observations et d’observatoires en complément de la
modélisation. Répondre au besoin en observations générales ou
thématiques pourrait être souligné comme facteur clef d’amélioration de
la représentativité des diagnostics et des projections que ce soit au niveau
des impacts physiques ou des vulnérabilités générales ou sectorielles.
Évaluation des vulnérabilités et des besoins d’adaptation
L’établissement de diagnostics de vulnérabilité de manière
systématique pour couvrir l’ensemble du territoire national en métropole
et outre-
mer devrait combler le manque d’état des lieux national qui fasse
le point sur les tendances observées, impacts, évaluations des modèles,
projections d’impacts et risques, impacts évités par l’adaptation, pertes
et dommages etc…. De tels rapports nationaux sont faits dans d’autres
pays (ex. USA). Ils permettent un suivi des pertes et préjudices et des
besoins d’adaptat
ion à différentes échelles pour constituer un référentiel.
Pour l’établissement d’un tel état des lieux en France, le CNRS/INSU,
dans un contexte de financement national déclinant, apparaît comme un
acteur légitime pour structurer la recherche sur l’adapta
tion en
prolongement de son action structurante en matière de sciences du
climat. Des financements régionaux sont aussi à examiner pour parvenir
à établir des diagnostics s’appuyant sur des connaissances scientifiques
évolutives de pointe et mobilisant les différentes disciplines concernées
en sciences du climat et au-delà.
Ressources humaines
Si les principaux atouts dont dispose la France sont reflétés dans le
chapitre, il nous semble important cependant d’attirer l’attention sur les
inquiétudes relatives à la faiblesse de recrutements déplorée par plusieurs
directeurs de laboratoire et récemment relayée par la presse. En amont
des enjeux de recrutement, l’offre de formation en adaptation de niveau
M2 est à considérer pour s’assurer de la pertinen
ce des thématiques
traitées en formation initiale au regard des besoins d’adaptation identifiés
(en complément de la partie B2).
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
175
Aide à la décision et services climatiques
« Le rôle crucial mais inégalement assumé de l’expertise
scientifique pour l’aide
à la décision » doit englober les aspects
climatiques et socio-économiques et être régulièrement mis à jour avec les
éléments d’impact actualisés à des fins de traduction de la recherche pour
renforcer l’aide à la décision publique comme privée. Le volet
vulnérabilité est souvent une faiblesse de la démarche française qui met
l’accent sur exposition et aléas
.
En prolongement des actions de recherche,
le développement d’une offre de services de consultance en capacité de
tirer pleinement parti des résultats et produits de la recherche constitue
une dimension importante pour traiter largement les besoins d’adaptation.
Moyens financiers
Une recherche pertinente sur l'adaptation doit s'appuyer sur les
connaissances de pointe, évolutives, issues de la partie recherche
fondamentale en sciences du climat à continuer à renforcer. Il faut aussi
déployer des moyens supplémentaires essentiels dans les différents
domaines d’impact notamment, la sécurité civile ou l’aménagement du
territoire. « Rééquilibrer les moyens » ne doit pas conduire à diminuer les
ressources de certains pour augmenter celles des autres.
Méthode d’analyse
Le suivi des participations françaises aux conférences internationales
sur l’adaptation reflète aussi la visibilité internationale de la recherc
he
française. Le socle numérique mériterait d’être articulé avec la feuille de
route « numérique et planification écologique » pilotée au SGPE.
Points de formulation
(Encadré du C/ Des infrastructures cruciales dont le financement
dans la durée demeure in
certain) il est préférable d’utiliser «
projections
mondiales
»
plutôt
que
prédictions.
L’utilisation
du
terme
de
« représentativité »
plutôt
que
« hiérarchie »
pour
parler
du
positionnement des experts français serait plus appropriée.
Éléments pouvant être mieux mis en lumière
Le premier point est relatif au périmètre des disciplines identifiées
qui a tendance à sous-
estimer les dimensions d’aménagement du territoire,
de développement durable, de prévention des risques, de gestion de crise
et de gouvernance traditionnellement traités en France dans les sciences
géographiques, les sciences économiques, sciences de gestion, sociologie
COUR DES COMPTES
176
et sciences politiques. Ce biais rend peu visible les contributions d’acteurs
français de la recherche sur l’adaptation recon
nus internationalement
comme l’IRD, l’IDDRI les laboratoires de géographie ou encore le BRGM
pour les questions de sol et de littoral. Une fois le périmètre d’examen
élargi, une comparaison des efforts de recherche en France avec les pays
comparables serait pertinente. La politique européenne de recherche sur
l’adaptation gagnerait à être mieux décrite.
Le deuxième point manquant se situe au niveau des initiatives
territoriales, tant au niveau d’observatoires locaux ou thématiques (ex.
GREC, périmètres et rôles très hétérogènes à évaluer, co-production de
connaissances ? évaluation collective et transparente ? appropriation par
les collectivités territoriales ?) que de structures transposant le
fonctionnement du GIEC à une échelle géographique dédiée (ex.
MEDECC pour le pourtour méditerranéen).
Le troisième point consisterait à approfondir la question de la
maladaptation qui mériterait un développement plus précis (cf. sur les
canicules et vagues de chaleur focalisé sur les zones urbaines denses sans
aborde
r les demandes d’électricité supplémentaires à mettre en cohérence
avec une stratégie énergétique), et d’autres exemples notamment liés aux
digues (BRGM).
Enfin, le dernier point concerne plus largement les questions de
transition juste et le besoin de r
echerche sur la gouvernance de l’action
climatique pour mieux protéger les plus vulnérables notamment en matière
d’accès à la ressource en eau en période de tension persistante, ou encore
en matière de gestion et prévention des risques
RÉPONSE DU PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL
DE
L’AGENCE NATIONALE D
E LA RECHERCHE
Je vous remercie pour la communication du projet de chapitre
destiné à figurer dans le rapport public annuel 2024 de la Cour des
comptes, chapitre relatif à la place et au rôle de la recherche dans
l’adaptation au changement climatique.
Je tiens à souligner la qualité du travail effectué par la Cour ainsi
que la qualité des interactions établies entre la Cour et l’ANR sur les
aspects méthodologiques pour permettre à la Cour de développer des
méthodes pour analyser la performance et les moyens de la recherche
française pour l’adaptation au changement climatique.
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
177
Concernant l’ANR, la Cour relève à juste titre que « sur la période de
2012 à 2022, les financements alloués à la recherche pour l’adaptation ont
augmenté ». Compte tenu des engagements de la loi de programmation de
la recherche, concernant notamment le préciput et le financement du
programme Carnot, la part affectée à l’appel à projets générique est passée
de 758,2
M€ en 2022 à 761
M€ en 2023, soit une augmentation de 0,8
%.
Dans le paragraphe suivant, il conviendrait de corréler les
évolutions mentionnées par la Cour aux périodes analysées, qui ne sont
pas précisées, et ne peuvent en aucun cas concerner l’année 2023, dont les
résultats ne pouvaient être connus lors de l’examen effectué.
Le Cour indique que «
les financements de l’ANR sont attribués en
proportion du nombre de projets déposés, dans le cadre de comités
d’évaluation ». L’ANR ne conteste pas ce constat d’une situation passée
résultant d’un contexte budgétaire contraint. Lorsque les tau
x de sélection
sont inférieurs à 20
%, comme c’est le cas également à l’ERC, les agences
de financement appliquent généralement des taux de sélection identiques
pour les différents comités de sélection. L’augmentation des moyens
attribués à l’ANR avec la L
PR permet de faire évoluer cette approche.
La Cour en déduit ensuite que « dans la mesure où il n’existe pas de
comité d’évaluation spécifique pour l’adaptation, les financements sur ce
sujet sont mécaniquement réduits ». Cette assertion est discutable, pouvant
laisser sous-
entendre que si un comité avait été dédié à l’adaptation, des
projets de moindre qualité scientifique auraient ainsi pu être financés. Un
comité dédié ne serait en outre pas forcément adapté à la nécessaire
interdisciplinarité et au fait que, comme le souligne la Cour, la recherche
sur l’adaptation au changement climatique doive s’inscrire dans un
continnuum
de recherche qui se matérialise par différents comités
thématiques ou différents instruments de financement, et impliquer des
approches très diverses et des domaines technologiques très différents.
L’ANR adhère au constat énoncé par la Cour selon lequel «
la
recherche en adaptation doit faire l’objet d’incitations spécifiques pour
renforcer les communautés scientifiques concernées et leurs liens ». Ces
incitations reposent sur des actions internationales, européennes,
nationales et régionales et s’inscrivent dans plusieurs niveaux d’actions
mises en place par l’ANR :
COUR DES COMPTES
178
Soutenir les équipes françaises dans les
consortia
de recherche internationaux
L’ANR assure depuis un an la coprésidence du Belmont Forum
(avec RCN, agence de financement norvégienne). Créé en 2009 à
l’initiative de la NSF américaine, le Belmont Forum est un consortium
international d’agences de financement d’une trent
aine de pays, jouant un
rôle incitatif important pour soutenir les recherches sur les changements
globaux, en particulier le changement climatique. Le Belmont Forum a
soutenu plus de 150 projets de recherche, impliquant un millier de
scientifiques de 90 pays, privilégiant des approches intégrées, notamment
sur les impacts et les adaptations au changement climatique.
Jouer un rôle moteur dans les partenariats européens
Les partenariats d’Horizon 2020 et aujourd’hui d’Horizon Europe
sont basés sur des collaborations entre la Commission européenne et les
agences nationales de financements. L’ANR est notamment associé aux
partenariats de long terme entre l’Europe et l’Afrique et impliquée dans
une douzaine de nouveaux
« partnerships »
, qui intègrent largement la
thématique de l’adaptation au changement climatique
.
Soutenir l’excellence au niveau national
À travers deux leviers :
-
Mise en œuvre des programmes de France 2030 (levier
« directed-
programmes »
) : comme souligné par la Cour, 11 PEPR concernent
les recherches relatives au changement climatique, en particulier
l’adaptation au changement climatique.
-
Soutien aux jeunes chercheurs/jeunes chercheuses et projets collaboratifs
interdisciplinaires (levier « investigator-driven projects ») : 80 % des
projets
du plan d’action s’inscrivent dans au moins l’un des 17 objectifs
du développement durable des Nations-Unis et un tiers, très
interdisciplinaires, sont spécifiquement orientés sur les grandes
transitions (sciences de la durabilité, transitions environnementales et
écologiques, transitions énergétiques,
one health
…).
Organiser des partenariats et cofinancements régionaux
pour répondre aux spécificités locales
Comme le souligne la Cour, une dimension essentielle concerne la
déclinaison régionale de la recherc
he et de l’expertise pour répondre aux
spécificités locales, en associant les différentes parties prenantes
(collectivités, associations…). Une attention particulière, peu évoquée par
LA PLACE ET LE RÔLE DE LA RECHERCHE PUBLIQUE
DANS
L’ADAPTATION AU CHAN
GEMENT CLIMATIQUE
179
la Cour, doit être apportée aux régions ultramarines. Après une
mobilisation de la recherche sur des problématiques ultramarines liées aux
adaptations au changement climatique, notamment sur les Sargasses,
associant et cofinancée par l’Ademe, les collectivités territoriales de
Martinique et de Guyane, la région Guadeloupe, une première action a été
suivi d’un deuxième appel élargi à des agences de financements
partenaires de l’ANR (l’agence brésilienne Facepe, Connacyt du Mexique
et NWO des Pays-Bas). Un programme portant sur la biodiversité et les
aires maritimes protégées dan
s l’Océan indien a été mis en place et
coordonné par l’ANR, cofinancé par l’AFD et associant la National
Research Foundation d’Afrique du sud, la National Research Foundation
du Kenya, le Mozambique National Research Fund et la Tanzanian
Commission for Science and Technology et ouvert aux équipes des
Comores, de Madagascar et de l’île Maurice.
Cette logique de mobilisation de l’expertise scientifique et de la
recherche pour répondre à des spécificités régionales en métropole
constitue également une priorit
é de l’agence. Un programme portant sur
les impacts du changement climatique sur les écosystèmes régionaux mis
en place en 2023 par l’ANR, en partenariat avec la région Pays de la Loire
et la région Normandie, portant sur les adaptations aux inondations par
crues des cours d’eau, la dégradation de la qualité de l’eau, les impacts
locaux de l’élévation du niveau de la mer.
Concernant les financements exceptionnels dans le cadre des
Investissements d’avenir devenus France 2030, la Cour note que les
financements ont été concentrés sur la période du premier PNACC
(270
M€) plutôt que sur le second (126
M€). Il convient de noter que ces
montants correspondent à des autorisations d’engagement et non à des
crédits de paiement. Ainsi, tous les projets financés lors du premier
PNACC étaient encore actifs lors du second et ont donc reçu une partie de
leur financement après 2015, date de la fin du premier PNACC.