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AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE
Lundi 29 janvier, 10h
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le ministre,
Monsieur le Vice-
président du Conseil d’Etat,
Madame la défenseure des droits,
Monsieur le Président, Monsieur le rapporteur général de la Commission des finances de
l’Assemblée nationale
Monsieur le Président de la Commission des finances du Sénat,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Monsieur le premier président de la Cour de Cassation,
Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles et militaires présentes,
Monsieur le procureur général,
Mesdames et messieurs les présidents de chambre,
Mesdames et messieurs,
Mes chers collègues,
Je suis très heureux de vous r
etrouver aujourd’hui pour notre audience solennelle de
rentrée 2024.
Cette cérémonie annuelle est une tradition importante pour notre institution ;
elle nous permet de présenter nos réalisations et nos ambitions collectives aux plus hautes
autorités de la République.
Je souhaiterais d’abord remercier les personnalités qui nous font l’honneur de leur
présence aujourd’hui
.
Nous avons le plaisir de recevoir Monsieur le Premier ministre, après avoir reçu ses
prédécesseurs, la Première Ministre Elisabeth Borne
l’an passé et le Premier Ministre Jean
Castex l’année précédente. Monsieur le Garde des Sceaux ainsi que les hautes autorités
civiles et militaires de notre pays sont également présents, pour partager ce moment
hautement symbolique avec nous. Nous les en remercions également.
Monsieur le Premier ministre, vous nous faites l’honneur et j’ose le dire l’amitié d’être
parmi nous
. Peu de jours après votre prise de fonction, j’ai le plaisir de vous recevoir dans la
Grand’chambre de la Cour des comptes, sous le
regard de Marianne, de la Connaissance et
de la Justice. Ces statues nous surplombent et entourent l’article 15 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen, notre source constitutionnelle originelle, qui dispose que
«
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la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration
». Ces
quinze mots, concis, précis, sont au fondement des missions de contrôle et de jugement qui
sont les nôtres. Ils sont la garantie, la condition, même, de l’exemplarité et de l’efficacité de
la ge
stion publique. Ils sont, surtout, un des socles de la confiance des citoyens dans l’action
publique et, à ce titre, un socle du débat public et de l’Etat de droit. Cette mission nous
honore, et nous oblige.
Monsieur le Premier ministre, bienvenue dans cette institution de la République chargée
d’une mission qui l’honore et l’oblige. Elle se doit d’être indépendante, et
à équidistance
entre le gouvernement et le Parlement.
Nous avons le devoir d’assister le Parlement, de
contrôler l’action du Gouvernement et d’éclairer les citoyens et les décideurs publics. Nous
exerçons ce devoir en magistrats, et la robe que nous portons aujourd’hui symbolise les
exigences d’impartialité et de collégialité que nous respectons rigoureusement.
À
l’heure où la démocratie semble parfois remise en cause, à l’heure où les analyses
étayées, fiables, objectives se font rares, ce positionnement objectif et indépendant est
inestimable
. C’est pour le conserver et le renforcer que nous tâchons chaque jour d’en
défendre les principes et valeurs, et de nous adapter, de nous réformer, pour demeurer à la
hauteur des attentes des citoyens, pour faire des juridictions financières un tiers de
confiance
reconnu dans le débat public. Pour qu’elles demeurent, enfin, un pilier de notre
système démocratique.
Alors que le rideau s’est déjà largement ouvert sur 2024, je vous
souhaite à toutes et à
tous mes meilleurs vœux pour cette année, décisive à bien des égards pour notre pays.
L’année 2023 fut dense, passionnante, riche, intense, difficile pa
rfois. En 2024, nous
poursuivrons le mouvement engagé pour faire de la Cour une institution plus percutante,
plus lue, plus écoutée dans le débat public, et plus à l’écoute des citoyens
.
***
Mesdames, Messieurs,
C’est à présent à mon tour de partager av
ec vous les ambitions et perspectives pour
l’année 2024.
Les mois à venir seront le théâtre de nouvelles réalisations pour l’ouverture de
notre institution aux citoyens. L’année qui débute sera aussi une année de projection, vers
l’aboutissement de notre p
lan de transformation interne. Elle sera, enfin, une année
charnière pour les finances publiques et notre modèle de démocratie. Nous ne pourrons
faire l’économie de choix structurels en tant que nation, en tant que société.
Nous, les
juridictions financières, avec le Haut conseil des finances publiques et le Conseil des
prélèvements obligatoires, sommes là pour éclairer ces choix de manière rigoureuse,
objective et impartiale.
***
L’année 2023 a été riche à bien des égards
. Ce fut une année durant laquelle les juridictions
financières se sont profondément transformées : tout simplement, nous publions désormais
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autrement, nous jugeons désormais autrement, et nous n’avons jamais été aussi proches
des citoyens.
D’abord, la Cour des comptes a engagé des réfor
mes de grande ampleur pour être plus que
jamais transparente, ouverte aux citoyens et à l’écoute de leurs préoccupations.
Ce mois de janvier 2024 marque la première année de mise en œuvre du «
100%
publication ».
Animés par l’ambition de transparence et d
e redevabilité qui sont au
fondement de nos missions, nous avons décidé de publier l’intégralité de nos travaux –
hormis, bien entendu, ceux couverts par des secrets protégés par la loi.
Il faut, je crois, penser cette réforme dans une perspective historique pour en apprécier
l’ampleur
: lorsque j’étais auditeur à la Cour des comptes, seul un rapport par an était rendu
public : le rapport public annuel de la Cour, que vous connaissez bien, Monsieur le Premier
ministre. Sont venus ensuite les rapports publics thématiques, les rapports sur la générosité
publique et les rapports annuels au Parlement.
Mais depuis le 1
er
janvier 2023, nous avons changé d’échelle
:
nous publions désormais près
de 180 rapports et observations définitives par an, consultés par plus de 5 millions de
citoyens sur internet
un nombre qui continue de croître. Cette « présence à l’esprit » de
nos concitoyens est le signe de la diffusion à grande échelle de nos analyses, mais il est
surtout le résultat des attentes croissantes des citoyens envers nos travaux, et de leur
confiance dans nos publications.
Cette confiance nous oblige.
La publication de l’intégralité de nos travaux n’est pas une
réforme de
façade ou d’apparat, moins encore une opération de communication.
C’est un
bouleversem
ent important, qui implique de porter une attention d’autant plus grande à la
qualité de nos rapports, à leurs délais d’exécution, à leur intelligibilité. Nous y travaillons
activement, afin que nos publications soient plus en phase avec l’actualité, plus
utiles pour
les parlementaires, pour les décideurs publics et les citoyens. Cela nous conduit également à
diversifier nos formats, en mettant l’accent sur les évaluations de politiques publiques, dont
les CRC se sont emparées à leur tour en 2023.
Pour approfondir le lien de confiance qui nous unit aux citoyens, nous avons également
décidé de leur donner la parole, d’être à leur écoute.
Nous avons créé une plateforme de
consultation pour permettre à chacune et chacun, dès 15 ans, de proposer des thèmes de
contrôle, qui pourront ensuite être instruits par la Cour et, désormais, par les chambres
régionales et territoriales des comptes.
Nous en retirons deux enseignements
: le premier, plutôt rassurant, c’est que parmi les 623
thèmes soumis par les citoyens, n
ombre d’entre eux étaient déjà dans «
le viseur » des
juridictions financières
; le second enseignement, c’est qu’il existe une puissante demande
de participation, avec près de 20 000 participants cette année. À la demande des citoyens,
donc, nous nous som
mes penchés en 2023 sur des sujets de société, tels que l’égalité entre
les femmes et les hommes, les cabinets de conseils ou les subventions aux fédérations de
chasseurs.
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Les sujets qui ont été sélectionnés pour être instruits en 2024 donnent eux aussi le pouls
des préoccupations des citoyens.
Ils mettent en lumière leur attachement à la qualité des
services publics de proximité comme l’eau, les transports ou la gestion des déchets –
mais
aussi leur inquiétude sur la diminution de la qualité de ces services, au niveau local
notamment. La Cour enquêtera également sur la lutte contre la corruption et sur les
passages entre le public et le privé, ces fameux pantouflages qui interrogent parfois les
Français. Les propositions recueillies révèlent enfin l’atten
tion portée par les Français aux
enjeux de transition écologique et de solidarité
: ce thème sera au cœur du rapport public
annuel 2024, consacré à l’adaptation au changement climatique, qui paraîtra en mars.
Dans la même optique de faire du citoyen un a
cteur du contrôle de l’action publique, nous
avons créé fin 2022 une plateforme de signalements, et répondre ainsi aux attentes en
matière de probité et de déontologie.
Les signalements recueillis
constituent une aide
précieuse à la programmation des contrôles de régularité
lorsque les faits sont objectivés
et documentés, et les suspicions étayées, cela va sans dire. Près de 1400 signalements ont
été réalisés
en moyenne, 100 par mois !
depuis la création de ce dispositif, qui a déjà
donné lieu au lancement de plusieurs contrôles.
Nous étions à équidistance du Parlement et du Gouvernement, et nous le demeurons.
Nous avons désormais replacé le citoyen au centre de cette équation, pour chacune de nos
missions : contrôler, évaluer, certifier, juger.
Nos
missions de jugement sont loin d’être en reste
: elles sont modernisées et simplifiées par
une réforme historique, un nouveau régime qu’il convient désormais de faire vivre.
Avec la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, que le Procureur général
vient très justement d’évoquer, c’est notre métier de juge, enfin unifié, qui a été renforcé
depuis l’entrée en vigueur du nouveau régime il y a un an.
Je suis heureux et extrêmement
reconnaissant à toutes les parties prenantes qui ont œuvré pour cette réforme d’avoir
permis de la mener à bien, après plusieurs tentatives malheureuses
et je remercie tout
particulièrement Jean Castex
votre prédécesseur, Monsieur le Premier ministre, et notre
collègue
–, d’avoir porté cette réforme, que le gouvernement d’Elisabeth Borne a
approuvée, de nous avoir accompagnés dans la préparation et la mise en œuvre de cette
avancée capitale.
Je ne reviendrai pas sur l’ancien régime de responsabilité des ordonnateurs, d’une part, et
des comptables, d’autre part –
gime ancien s’il en était, devenu inadapté et à bout de
souffle
. Désormais, et depuis le 1
er
janvier 2023, la Cour des comptes connaît de la
responsabilité financière de l’ensemble des gestionnaires publics. Nous n’avons pas tardé à
nous emparer de ce nouveau régime, et les institutions sont là
: d’abord, la chambre du
contentieux de la Cour, installée en janvier. Ensuite, la Cour d’appel financière, installée en
juillet, et que j’ai présidée pour la première fois il y a quelques semaines, composée de
membr
es de la Cour des comptes et du Conseil d’Etat, dont je salue le Vice
-Président Didier-
Roland Tabuteau.
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J’insiste un instant sur la mutation décisive que cela représente
: un ordre juridictionnel à
part entière a été créé et installé, ce qui n’arrive pas
tous les jours dans notre pays, et nous
devons à présent nous en emparer et l’alimenter.
Notre rôle, à la fois dissuasif et répressif,
est affirmé, et cela conduira, j’en suis sûr, à renforcer le sérieux et la probité de la gestion
publique. Cette nouvell
e responsabilité est la contrepartie des marges de manœuvre accrues
des gestionnaires publics, appelée de ses vœux par le Président de la République. Le régime
unifié de responsabilité des gestionnaires est de nature répressive, comme l’était celui de la
Cour de discipline budgétaire et financière
; certains s’en inquiètent, mais gardons à l’esprit
qu’il vise avant tout à répondre aux fortes attentes des citoyens en matière de régularité et
de probité, et se concentre sur les atteintes graves à l’ordre publ
ic financier. Nous
poursuivrons en 2024 nos efforts de pédagogie pour mieux faire connaître la réforme,
Monsieur le Garde des sceaux, et pour initier une dynamique fluide entre justiciables,
juridictions financières et juridictions judiciaires, notamment.
Enfin, les juridictions financières se transforment durablement, dans la lignée de notre plan
stratégique à horizon 2025.
Nous avons résolument avancé dans la mise en œuvre des actions prévues par notre plan
stratégique, avec des objectifs bien définis
: être toujours plus ouverts vers l’extérieur,
être toujours plus en phase avec notre temps, accroître encore notre attractivité et notre
rayonnement.
Le terme de
transformation
, dans une institution aux traditions si ancrées comme en
témoigne la séance
à laquelle vous assistez, n’est pas anodin
. Certains magistrats, présents
dans cette assemblée
et je suis, hélas, concerné
, ont débuté leur carrière en analysant les
comptes des organismes publics sous la forme de liasses de papier, qui figurent aujour
d’hui
dans les vitrines d’exposition des couloirs du Palais Cambon.
Aujourd’hui, nous collectons et analysons les systèmes d’information, les lacs de données,
les algorithmes, nous procédons à des évaluations de politiques publiques. Nos méthodes,
nos ou
tils, ont changé à la vitesse des évolutions de l’action publique–
cela sans jamais
revenir sur nos principes fondamentaux que sont la collégialité, la contradiction et
l’indépendance. La modernisation des juridictions financières n’est pas un vain mot, el
le
était une ardente obligation.
À
la fin de l’année 2024, nous aurons mis en œuvre chacune des soixante
-quinze actions
définies en concertation avec les membres des juridictions financières
de la
réorganisation de nos espaces de travail au développement de notre culture managériale, de
l’obtention du label égalité entre les femmes et les hommes au déploiement de nouvelles
stratégies numériques et de formation.
Nous aurons également relevé un défi impérieux et nouveau, celui de l’attractivité et de la
diversité.
Car nous sommes une maison de l’intelligence, de la matière grise, et ce qui forge
les juridictions financières, ce sont avant tout les hommes et les femmes qui les composent.
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La réforme de la Haute fonction publique a ses vertus et ses complex
ités, que je n’ai pas à
commenter.
Mais elle a en tout cas offert à la Cour des comptes une opportunité historique
pour renforcer la diversité et élargir les compétences de son collectif de travail
.
De nouvelles
voies de recrutement ont été créées, plus ouvertes. Nous avons désormais la charge de la
majorité de nos recrutements, ce qui suppose de développer notre attractivité et favorisons
la sélection de professionnels d’excellence aux profils diversifiés, formés aux enjeux les plus
contemporains.
Je suis intimement persuadé que notre institution doit demeurer un corps vivant,
dynamique, rayonnant, en prise avec le réel, qui offre à ses membres des carrières
alternées et passionnantes, en dehors de nos murs et en leur sein
.
Avec la suppression de l’ENA e
t la fin du recrutement direct des auditeurs à la sortie de
l’Institut national du service public, cette attractivité ne se postule pas
; elle doit se
construire, se défendre, se mériter, et nous nous y employons vivement.
Je remercie le Gouvernement pour le travail que nous avons conduit ensemble au cours
des derniers mois, et qui a abouti sur une réforme statutaire majeure pour les membres et
l’avenir des juridictions financières
. Il nous reste une étape à franchir, pour mettre en
cohérence notre régime indemnitaire avec celui des inspections générales et des
administrateurs de l’
État. Monsieur le Premier ministre, nous savons pouvoir compter sur
votre engagement pour faire aboutir positivement ces chantiers.
***
Permettez-moi pour en terminer quelques mots sur les défis qui vous également marquer
l’année qui s’ouvre
: la situation préoccupante de nos finances publiques, alors que la
transition écologique, numérique et les incertitudes économiques, politiques et sociales
auxquelles font face notre pays exigent des investissements sans précédents. Ce contexte
conforte le caractère absolument indispensable de nos missions en matière d’analyse des
politiques publiques.
Au nom de la Cour des comptes, mais aussi du HCFP que je préside ès qualité, je l’ai dit
et
répété maintes fois au cours des derniers mois, et je continuerai sans relâche à le dire et le
répéter
: l’état des finances publiques en France est insatisfaisant, et, nous sommes bien
contraints de l’admettre, cette dynamique ne semble pas prête de r
efluer en 2024.
Nous le savons tous, les crises sanitaire et énergétique ont propulsé notre dette publique à
des niveaux historiques.
Alors que les effets de la crise Covid s’estompaient, l’année 2023
n’a pas inversé cette tendance.
La croissance des dé
penses publiques continue de peser sur le déficit, qui s’est encore
dégradé par rapport à 2022. Certes, nous nous félicitons, Monsieur le Premier ministre,
qu’une loi de programmation des finances publiques ait été adoptée pour la période 2023
-
2027
; c’éta
it un devoir constitutionnel, mais aussi envers nos partenaires européens, que de
se doter d’un tel texte. Mais les derniers avis du Haut Conseil montrent bien que l’année
2024 et les suivantes s’annoncent tout aussi exigeantes.
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Cette situation nourrit des inquiétudes, légitimes, sur la dette française, davantage il est
vrai sur sa dynamique que sur sa soutenabilité.
Alors que notre niveau d’endettement
atteint des sommets, la trajectoire de désendettement prévue dans la loi de programmation
des finances publiques apparaît peu ambitieuse, mais aussi fragile. Le retour sous 3 points de
PIB du déficit public est prévu uniquement pour 2027, ce qui est singulièrement tardif par
rapport à nos voisins européens.
Cette trajectoire n’est pas pour autant garantie, tant elle semble jalonnée d’hypothèses
favorables
. Le scénario macroéconomique du Gouvernement pour 2024 repose sur une
hypothèse de croissance élevée, qui s’écarte sensiblement des autres prévisions –
un écart
encore creusé par de nouvelles perspectives économiques assombries.
Ce qui préoccupe surtout, c’est l’augmentation spectaculaire de la charge de la dette, qui
s’est résolument accrue et est vouée à s’accroitre encore
. Les administrations s’apprêtent à
verser plus de 57 Md€ d’intérêts en 2024, et ce montant devrait atteindre 84 Md€ en 2027,
signifiant que la charge de la dette, après avoir dépassé le niveau du budget de la défense
nationale cette année, deviendra le premier poste de dépenses de l’Etat, surpassant pour
ainsi dire le budget de l’Educatio
n nationale !
À
l’heure où les règles budgétaires européennes seront bientôt remises en œuvre sous un
format révisé, nous devons aux citoyens, mais aussi à nos partenaires européens, de veiller
à la maîtrise de notre dette publique et, plus largement, à la pérennité de notre modèle.
A
ce titre, je persiste à souhaiter qu’à terme, notre Haut Conseil des finances publiques
dispose d’un mandat aussi étendu que celui de ses homologues européens, notamment en
matière d’avis sur la soutenabilité de la dette.
Ca
r la montagne de dette qui croît, année après année, nous empêche d’investir et de
dépenser de manière constructive
. Ce n’est pas ce
que nous voulons, collectivement, alors
que les besoins d’investissement dans la transition environnementale, dans la santé
, dans
l’éducation, dans l’innovation et la recherche, sont toujours plus nécessaires.
Cet « effet
ciseau » pose une série de questions structurelles, et nous invite à modifier nos
comportements collectifs vis à de la dépense, à « soulever le capot des politiques
publiques
» afin de les rendre plus efficaces, plus efficientes, d’opérer différemment lorsque
cela est possible. En somme, il faut nous désendetter pour investir, et dépenser mieux.
Monsieur le Premier ministre, je me réjouis que le gouvernement ait initié des revues de
dépenses, pour tenir l’engagement d’économies de la Loi de programmation des finances
publiques
.
J’ai dit au Gouvernement, je le répète solennellement et je redis au Parlement
l’entière disponibilité de la Cour, du Haut conseil des
finances publiques et la mienne pour y
participer, à notre place et dans le respect de notre indépendance.
Je veux redire ma conviction
: ni le rabot, ni le seul levier de la croissance et l’espoir
d’augmentation indéfinie des recettes, ne résoudront no
tre équation de finances
publiques
.
Celle-ci demande une action déterminée et collective pour maîtriser les dépenses
publiques.
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Pour reprendre les mots de Corneille, la «
vertu
» de cette action sera d’autant plus «
ferme
qu’elle évitera tous les hasards
».
Pour éclairer les choix de la Nation et informer le citoyen, la Cour continuera donc à dessiner
les chemins d’amélioration possibles, à «
dire le vrai ».
Nous poursuivrons notre mobilisation sur des thèmes profondément structurants, et
tournés vers l
’avenir
. Nous continuerons de produire des analyses sur les moyens de réaliser
une transition écologique et énergétique juste socialement, efficiente et efficace
économiquement. Il est de notre devoir de contribuer à ces questionnements, car nous
disposons
, dans les juridictions financières, d’un atout précieux et rare dans l’
État : le temps
de l’analyse. Le rapport public annuel 2024 est ainsi consacré au thème de l’adaptation au
changement climatique, tandis que le rapport public annuel suivant sera, lui aussi, tourné
vers l’avenir
: il traitera des politiques publiques en faveur des jeunes, et je sais, Monsieur le
Premier ministre, combien vous êtes attaché à cet enjeu.
Nous publierons aussi, comme chaque année, nos travaux sur les finances publiques, en
nous inscrivant dans le printemps de l’évaluation pour assister au mieux le Parlement.
Ces
rendez-vous des finances publiques seront cruciaux en 2024. Il faudra se conformer à des
règles européennes remises en place et réformées, exécuter le PLF 2024 dans un contexte
économique incertain, respecter la trajectoire de la LPFP, préparer et faire voter le PLF et le
PLFSS 2025 avec un quantum d’économies inédit depuis des décennies. Nous sommes, à
chaque étape, présents pour éclairer le débat, avec objectivité, attentifs à ce qui est pour
moi essentiel et dont on est trop peu conscients dans notre pays : la qualité de la dépense
publique, qui peut et doit être grandement améliorée.
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames et messieurs le ministre et les parlementaires,
Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles et militaires présentes,
Mesdames et messieurs, Mes chers collègues,
La Cour des comptes, comme toujours et plus encore dans ces temps exigeants et difficiles
que nous vivons, se tient prête à accompagner le Parlement et le Gouvernement dans
l’ensemble de ces défis.
Nous le ferons sans alarmisme, mais sans complaisance. Et sans
jamais céder à certains assauts teintés d’illibéralisme, qui prospèrent sur le terreau des
simplifications, des invectives, et des fausses nouvelles. La démocratie est en danger dans de
nombreuses régions du monde, elle sera menacée lors des élections nombreuses et
incertaines qui marqueront l’année 2024 pour quelques 3 milliards de personnes, les conflits
se multiplient, les populismes gagnent du terrain, y compris en Europe. Dans ce contexte, les
autorités indépendantes, les Cours suprêmes ne sont pas des fardeaux ou des obstacles qu’il
faut lever. Elles sont des garantes de l'État de droit et des piliers de nos démocraties. Si nous
perdons cette boussole, ce fil à plomb des institutions, alors nous courons tous les risques.
À notre place, avec fermeté, objectivité, impavidité quand il le faut, enthousiasme
également, nous continuerons à jouer notre rôle, au sein de nos institutions et au service
des citoyens.
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Je vous remercie de votre attention et je vous souhaite de nouveau une excellente année. Si
vous le permettez, je vais vous demander de rester assis à vos places un instant, afin que je
puisse accompagner le Premier Ministre.
L’audience est levée.