2
Les politiques sociales décentralisées :
une coordination à conforter,
des financements à réformer
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
La décentralisation des politiques d’aide et d’action sociale, en
confiant leur gestion aux collectivités territoriales, vise à mettre en œuvre les
dispositifs destinés aux publics vulnérables au plus près de leurs bénéficiaires.
Les résu
ltats de ces politiques ont fait l’objet de rapports récents
des juridictions financières, qu’il s’agisse de la protection de l’enfance, de
la lutte contre la pauvreté ou de la politique en faveur de l’autonomie des
personnes âgées ou en situation de handicap. Dans le cadre du présent
rapport public, ces travaux ont été mis à jour et complétés par une
approche transversale portant sur la réalité de leur décentralisation.
En effet, au regard de l’ambition décentralisatrice, le modèle
institutionnel de l’acti
on sociale est traversé par une tension :
d’une part,
bien qu’il se soit dessaisi de ces politiques, l’État entend conserver un rôle,
non seulement dans la définition de leurs grandes caractéristiques, mais
aussi en matière de mise en œuvre opérationnelle
vis-à-vis de certains
publics ou de certaines priorités ;
d’autre part, dans un paysage local
caractérisé par un grand nombre d’intervenants, les outils de coordination
dont dispose le département, chef de file de l’action sociale, n’ont qu’une
autorité et une portée pratique limitées.
Par ailleurs, si des données harmonisées manquent pour évaluer
leurs effets sur les personnes et sur leurs conditions de vie, les politiques
sociales décentralisées suscitent des
critiques du point de vue de la qualité
des services rendus aux bénéficiaires, notamment en termes de recours et
d’accès aux droits, de délais ou encore de continuité des parcours.
Enfin les modalités de financement des principales prestations
monétaires de solidarité, qui représentent près de la moitié des dépenses
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280
sociales des départements, sont largement contestées par ces derniers et
présenteront à terme un enjeu de soutenabilité face à des dépenses qui
connaissent une croissance tendancielle marquée.
Au regard de ces constats, sans attendre un nouvel acte de
décentralisation
qui
reverrait
en
profondeur
l’articulation
des
compétences entre État, départements et communes, la Cour formule trois
recommandations visant à rationaliser le déploiement des politiques
sociales dans les départements, à en améliorer les outils de gestion et à en
réformer le financement.
Que recouvre la notion de politiques sociales décentralisées ?
Cette notion renvoie aux politiques d’aide et d’action sociales
totalement ou partiellement décidées, définies, financées ou mise
s en œuvre
par les collectivités territoriales, qui représentent environ 10 % des dépenses
consacrées à la protection sociale en France,
soit 78 Md€ (3,4
% du PIB) en
2020, dont 37,5 Md€ à la charge des départements (ce qui représente 48
% du
total) et 5,5 Md€ à la charge des communes et de leurs groupements (7
%).
Leur contribution aux enjeux de solidarité et de cohésion sociale est donc
majeure, aux côtés des différents régimes assurantiels qui constituent la
Sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille, travail, dépendance).
L’
aide sociale dite légale
(ou
obligatoire
) est destinée à satisfaire les
besoins fondamentaux de certaines catégories de bénéficiaires. Elle est
spécialisée
, la situation du demandeur étant appréciée au regard de l’objet
précis de chaque prestation. Elle est également
subsidiaire
, n’intervenant qu’à
défaut de ressources du demandeur, et
catégorielle
, en ce sens qu’e
lle vise à
répondre aux besoins de certaines populations : les enfants nécessitant des
mesures de protection, les personnes en situation de handicap, les personnes
âgées en perte d’autonomie ou encore les personnes en situation de précarité.
La mise en œuvre de l’aide sociale représente à la fois une obligation pour les
acteurs publics qui en sont responsables et un droit pour les bénéficiaires.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
281
Les
allocations individuelles de solidarité
(AIS), versées sous
forme de prestations monétaires, en constituent un volet essentiel, dont la
gestion
relève
essentiellement
de
la
responsabilité
des
conseils
départementaux. Les principales sont la prestation de compensation du
handicap (PCH), l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et le revenu
de solidarité act
ive (RSA). L’allocation aux adultes handicapés (AAH)
présente la particularité d’être intégralement financée sur le budget de l’État,
mais sa mise en œuvre repose également sur les moyens des
départements,
à travers les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH)
et les commissions des droits et de l’autonomie des personnes handicapées
(CDAPH).
Par-delà
leurs
spécificités,
ces
différentes
allocations
concrétisent la solidarité de la collectivité envers des publics vulnérables
.
L’
aide sociale dite extralégale
(ou
facultative
) reprend les
dispositifs de l’aide sociale légale, mais l’autorité responsable de leur
gestion peut décider d’en augmenter les montants (en majorant une
allocation) ou de les assortir de conditions d’attribution plus favorabl
es (en
élargissant les conditions d’accès à certaines prestations).
L’
action sociale
correspond à des prestations d’accompagnement
des personnes bénéficiaires des aides sociales sus mentionnées, notamment
par des travailleurs sociaux. Elle vise en particulier à assurer le maintien des
personnes en situation d’autonomie ou à les aider à accomplir un parcours
d’insertion sociale et professionnelle
.
I -
Une décentralisation inaboutie
La répartition des compétences opérée par la loi dans le champ des
politiques d’aide et d’action sociales a consacré le rôle central des
départements, tout en prévoyant la possibilité d’importantes interventions
d’autres acteurs publics.
Il en découle une tension permanente entre des
objectifs de solidarité nationale et
la mise en œuvr
e par les collectivités de
politiques locales dans le cadre du principe de libre administration .
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COUR DES COMPTES
282
A -
Une répartition des compétences intriquée
sans responsabilités clairement établies
1 -
De nombreux acteurs publics contribuent à la mise en œuvre
des politiques sociales décentralisées
Dès les premières années de mise en œuvre de la décentralisation, le
département s’est vu confier l’essentiel des compétences touchant à
l’action sociale générale, à l’aide sociale à l’enfance (ASE) et à la
protection maternelle et infantile (PMI). Les actes successifs de
décentralisation ont précisé et étendu ses attributions, dégageant
progressivement quatre politiques à destination des publics vulnérables :
enfants en danger, personnes en situation de précarité, personnes âgées
dépendantes et personnes en situation de handicap.
Trois d’entre elles ont été organisées autour de prestations monétaires,
dont les caractéristiques principales sont définies au niveau national : le
revenu de solidarité active (RSA), l’aide personnalisée d’a
utonomie (APA)
et la prestation de compensation du handicap (PCH), couramment désignés
comme les trois principales allocations individuelles de solidarité (AIS). S’y
ajoute l’allocation aux adultes handicapés (AAH), attribuée par des
commissions pilotées p
ar les départements mais financée par l’État. En
complément de ces prestations, qu’ils financent et gèrent en partie (la gestion
du RSA est en pratique déléguée au réseau des caisses d’allocations
familiales (Caf) et des caisses de la Mutualité sociale agricole (MSA) pour
ce qui concerne l’allocation monétaire), les départements ont également
organisé des politiques d’accompagnement de leurs bénéficiaires.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
283
Schéma n° 1 :
acteurs impliqués dans la prise en charge de l’autonomie
Source : Cour des comptes
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284
Mais la décentral
isation n’a pas consacré
l
’exclusivité
des
compétences départementales en la matière. Les enjeux sociaux se situent
en effet au carrefour de nombreuses politiques publiques (santé, logement,
éducation, emploi et formation professionnelle, justice), ce qui rend
difficile une approche par blocs de compétences étanches, consistant à
attribuer la responsabilité de la totalité des actions relevant de l’action
sociale à une unique collectivité.
L’État demeure ainsi responsable du cadrage réglementaire des
politiques sociales et de leur suivi statistique au plan national. Il reste par
ailleurs le principal financeur de dispositifs dont il n’est plus l’attributeur ou
le gestionnaire, par exemple l’allocation aux adultes handicapés (AAH) ou
les aides versées en fin d
’année aux bénéficiaires du RSA. Paradoxe de la
subsidiarité, l’accueil des publics les plus fragiles et les plus précaires
(demandeurs d’asile, personnes sans domicile fixe ou souffrant d’addiction)
relève aussi encore largement de l’État. Les interventio
ns de ce dernier
s’exercent également à travers des opérateurs nationaux, notamment Pôle
Emploi dans le champ de l’insertion professionnelle et les agences régionales
de santé (ARS) dans le domaine de l’offre d’accueil médicalisé des publics.
Par ailleurs, la loi attribue aux communes des compétences
obligatoires, comme la participation à l’instruction des demandes d’aide et
leur transmission aux services compétents, notamment ceux des
départements ;
la domiciliation, qui conditionne l’accès aux droits pour
les
personnes sans domicile ;
la réalisation d’une analyse des besoins sociaux
de la population communale
ou encore la tenue d’un fichier des personnes
bénéficiaires d’une prestation d’aide sociale.
Ces compétences sont généralement mises en œuvre par les
centres
communaux d’action sociale (CCAS), établissements publics obligatoires pour
les communes de plus de 1 500 habitants. Au titre de la clause générale de
compétence dont elles disposent, les communes et leur CCAS mettent
également en œuvre des actions relevant de l’aide sociale facultative. Elles
offrent en particulier des prestations financières ou en nature (aides d’urgence,
bons alimentaires, services à la personne) et assurent la gestion d’établissements
spécialisés à destination de différents publics : personnes âgées, petite enfance,
personnes en situation de handicap, personnes en difficulté.
Enfin, deux branches de la sécurité sociale sont très impliquées dans
le pilotage et la mise en œuvre de ces politiques.
La branche famille et les Caf assurent le paiement des prestations
monétaires, non seulement en matière familiale (allocations familiales,
prestations d’accueil du jeune enfant), mais aussi dans de nombreux autres
champs pour le compte de leurs responsables en titre : aides au logement,
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
285
pr
ime d’activité, AAH, allocation d’éducation de l’enfant handicapé
(AEEH) pour le compte de l’État, RSA pour le compte des départements.
En 2020, les Caf ont ainsi versé plus de 88
Md€ de prestations au profit de
13,6 millions d’allocataires. La branche fam
ille finance également une
politique
d’action
sociale
spécifique
à
travers
l’intervention
de
ses 1 600 travailleurs sociaux.
La Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), créée
par la loi du 30 juin 2004 pour «
contribuer au financement de la prise en
charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et des personnes
handicapées dans le respect de l’égalité de traitement des personnes
concernées sur l’ensemble du territoire
»
, s’est vue quant à elle confier la
gestion opérationnelle de la cinquième branche de la sécurité sociale, créée
par la loi du 7 août 2020 relative à la dette sociale et à l’autonomie.
Garante de l'équilibre financier de cette dernière, la CNSA ne
dispose pas de réseau territorial propre mais est chargée d’assurer
l’animation et la coordination des acteurs participant à la mise en œuvre
des politiques de soutien à l’autonomie des personnes âgées ou
handicapées. Elle contribue notamment au financement des établissements
et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) à hauteur de 26
Md€ en
2021 et aux dépenses d’APA et de PCH des départements, qu’elle a
financées respectivement pour 2,7
Md€ et 0,7
Md€ cette même année.
2 -
Un enchevêtrement des interventions qui présente
de nombreux inconvénients
Cette architecture institutionnelle complexe rend difficile le respect
des principes de responsabilité et de transparence dans la mise en œuvre
des politiques publiques dans le champ social.
En premier lieu, les fonctions ne sont pas toujours correctement
réparties. Ainsi, le principe selon lequel celui qui finance est aussi celui qui
décide, responsabilisant ainsi les acteurs, souffre de nombreuses exceptions.
C’est le cas de l’AAH, évoqué ci
-dessus, qui justifierait une réflexion relative
à la répartition des compétences, associant l’État
et les départements, pour
tendre vers davantage de cohérence
162
. La recentralisation du RSA dans
162
Cour des comptes, L’allocation aux adultes handicapés (AAH), rapport public
thématique, novembre 2019
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COUR DES COMPTES
286
cinq départements
163
soulève la même problématique d’identité entre le
financeur et le prescripteur des prestations :
l’État y est à nouveau chargé de
financer un
e allocation alors que la politique d’accompagnement de ses
bénéficiaires, qui détermine en partie la durée pendant laquelle leur sera
versée cette allocation, reste confiée au département. Cette configuration, qui
correspondait à celle du RMI avant la réf
orme de 2004, n’incite pas au
développement de politiques d’insertion dynamiques.
La pluralité des intervenants crée en outre des enjeux de
coordination qui, mal appréhendés, peuvent dégrader la qualité de service.
Ainsi, alors qu’il est responsable de l’orientation et de l’accompagnement
des bénéficiaires du RSA, le département n’intervient que tardivement
auprès de ceux-
ci dans la mesure où l’entrée dans le dispositif est gérée par
d’autres acteurs (Caf et MSA, bloc communal).
163
Par ordre chronologique, la recentralisation de la gestion et du financement de
l’allocation de RSA a concerné Mayotte et la Guyane, La Réunion, la Seine
-Saint-Denis
et les Pyrénées-Orientales.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
287
Schéma n° 2 :
acteurs impliqués dans la gestion du RSA
Source : Cour des comptes
Enfin, cette organisation institutionnelle provoque une dilution des
responsabilités, qui deviennent difficiles à identifier par les usagers, comme
l’illustre l’exemple de l’accueil et de l’hébergement des personn
es âgées ou
en situation de handicap. Si, avant d’intégrer les structures d’hébergement,
les publics visés sont suivis et accompagnés par les services départementaux,
identifiés comme les principaux responsables des politiques d’autonomie, ils
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COUR DES COMPTES
288
perdent le contact avec ceux-ci en intégrant un établissement qui devient leur
interlocuteur de référence et est financé principalement par l’ARS. Au
-delà
des usagers du service, le grand public est aussi confronté à une
responsabilité diffuse en matière de contrôle des établissements parmi les
trois entités qui la partagent (la direction de l’établissement, l’ARS et le
département). Il en va de même pour l’accompagnement des bénéficiaires du
RSA, partagé entre le département et Pôle emploi (qui assure celui de 41 %
de
s bénéficiaires), empêchant l’identification du premier comme principal
responsable et financeur du dispositif.
À rebours du principe de subsidiarité, qui devait rapprocher du
terrain décision, mise en œuvre et responsabilité, aucun acteur ne rend ainsi
vé
ritablement compte des actions déployées et de leurs résultats puisqu’il
n’en a ni la maîtrise globale, ni même souvent une vision d’ensemble. Plus
fondamentalement, il est difficile de faire émerger une véritable politique
départementale assumée faute que soit définie la ligne de partage entre
solidarité nationale et libre choix des collectivités territoriales.
B -
Des instruments de programmation
et de coordination qui ne remédient
pas à l’absence
de blocs de compétence cohérents
Ce paysage institutionnel morcelé confère une importance
particulière aux fonctions de pilotage, de coordination et d’animation des
acteurs de l’action sociale, qui relèvent à la fois des niveaux national et
local. Dans ce cadre, les départements doivent être mieux associés aux
décisi
ons de l’État et dotés d’une autorité suffisante pour exercer
efficacement le rôle de coordination que leur confie la loi au niveau local.
1 -
L’articulation insuffisante entre les échelons national et local
Le caractère décentralisé des politiques sociales a longtemps eu pour
corollaire le défaut de mécanismes de concertation et de coordination à
l’échelle nationale. Cette carence est accentuée par la difficulté structurelle
qu’éprouvent les départements à dégager une position commune sur certains
sujets, con
dition pourtant nécessaire à un dialogue politique fécond avec l’État.
Cette situation est aggravée par le fait que l’État a choisi de relancer
lui-même des initiatives nationales en matière de prévention et de lutte contre
la pauvreté ou de protection de
l’enfance, déclinées localement par la voie
contractuelle, sans disposer d’un interlocuteur clairement désigné au stade de
la conception du dispositif. Aussi est-
ce seulement lors de la mise en œuvre
que se sont révélées certaines difficultés qui auraient pu être anticipées.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
289
D’une manière générale, bien qu’ils viennent brouiller l’exercice de
compétences en principe décentralisées, les contrats ainsi noués avec les
collectivités présentent des avantages. Ils permettent de restaurer un dialogue
stratégique
entre les départements et l’État autour de priorités communes. Ils
contribuent aussi à renforcer la culture de l’évaluation des politiques sociales
et la transparence concernant leurs moyens et leurs résultats. En visant un
effort de convergence ou en s’ap
puyant sur des actions-socles, ces stratégies
contractuelles favorisent enfin l’équité territoriale autour de standards
nationaux. La stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté
2018-2022 en offre un exemple. Élaborée au niveau national, sa déclinaison
territoriale a pris la forme de conventions d’appui à la lutte contre la pauvreté
et d’accès à l’emploi (CALPAE), conclues pour trois ans, qui comportent des
actions socles relevant d’objectifs nationaux, communes à toutes les
conventions
, et des actions d’initiatives locales.
Cependant, ces stratégies encourent plusieurs critiques. L’effet de
levier des financements nationaux sur les dépenses des départements n’est
pas démontré, et les collectivités déplorent le manque de visibilité
pluri
annuelle sur les engagements de l’État. Elles mettent aussi en cause
les indicateurs qui accompagnent le déploiement local de ces stratégies
nationales, qu’il s’agisse de leur pertinence, de leur niveau excessif de
détail, ou encore de la difficulté de les renseigner dans les formats ou délais
imposés. Symétriquement, certaines administrations relèvent que l’État
vient pallier certaines carences des départements par des financements
contractuels : le contrat vient alors restaurer une équité territoriale qui
aurait dû être assurée en mobilisant les financements usuels.
Pour autant, ce modèle contractuel paraît devoir être conforté, en
veillant à en corriger les limites. Il peut en effet contribuer à affermir le
rôle d’animation confié localement aux départeme
nts, en renforçant la
coordination de leurs stratégies d’interventions avec celles des acteurs
relevant de l’État (services déconcentrés et opérateurs).
La CNSA, progressivement confortée dans son rôle de pilote
national des politiques de l’autonomie, propose un mode d’articulation
différent, qui combine l’incitation financière et l’appui technique. En effet,
bien que dépourvue de réseau territorial, elle assure l’animation des
maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) en apportant
son appui
à la modernisation de leur fonctionnement et à l’amélioration de
la qualité de service, avec une majoration des concours financiers en cas
d’atteinte des objectifs définis dans le cadre de conventions. Elle participe
aussi à l’animation technique ou à la maîtrise d’ouvrage de chantiers
numériques qui favorisent l’interopérabilité des systèmes d’information
des MDPH et le suivi harmonisé d’indicateurs de performance de leur
activité sous forme de baromètre national.
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COUR DES COMPTES
290
Enfin, la CNSA s’emploie à renforcer le pi
lotage local des politiques
d’autonomie à travers sa mission d’appui et d’évaluation de la qualité. Si
certains élus expriment le sentiment que les collectivités territoriales qu’ils
représentent sont de ce fait implicitement placées en situation d’opérate
urs
de l’État, les parties prenantes s’accordent sur l’intérêt de l’expertise, de
l’animation et de l’éclairage national qu’apporte la caisse, tout comme sur
la nécessaire convergence des outils et des pratiques entre territoires.
2 -
La faiblesse de la notion de chef de file et les limites
des documents de programmation
Compte tenu du principe d’interdiction de la tutelle d’une collectivité
territoriale sur une autre, la notion de chef de file s’est progressivement
imposée parmi les principes guidant la décentralisation. Elle doit permettre la
mise en cohérence des interventions locales, en désignant clairement une
collectivité en charge de leur coordination. Le département est ainsi «
chargé
d’organiser, en qualité de chef de file, les modalités de l’action co
mmune des
collectivités territoriales et de leurs établissements publics pour l’exercice
des compétences relatives à :
1° L’action sociale, le développement social et
la contribution à la résorption de la précarité énergétique ;
2° L’autonomie
des personnes ; 3° La solidarité des territoires
»
164
.
Le Conseil constitutionnel a précisé que la qualité de chef de file
n’implique pas de capacité juridique nouvelle pour la collectivité concernée,
encore moins la possibilité de définir des normes prescriptives pour les autres
collectivités
165
. Ainsi encadrée, la qualité de chef de file ne permet pas une
réelle coordination sous l’autorité du département, notamment vis
-à-vis des
opérateurs de l’État. Cette coordination est au mieux assurée au travers de
conventions partenariales négociées localement.
Les instruments de programmation à disposition des départements,
notamment les différents schémas prévus par la loi, ne leur permettent pas
davantage d’asseoir leur autorité à l’égard des autres acteurs de l’action sociale.
Les schémas d’organisation sociale et médico
-sociale, établis pour
une période maximale de cinq ans en cohérence avec le schéma régional
de santé arrêté par l’ARS,
«
apprécient la nature, le niveau et l’évolution
des besoins sociaux et médico-sociaux de la population
(…),
dressent le
164
Article L. 1111-9 du code général des collectivités territoriales.
165
Commentaire de la décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008 : «
le constituant
(…)
n’a
voulu déroger que de façon limitée au principe qui interdit toute tutelle d’une collectivité sur
une autre. Il n’a en effet habilité la loi qu’à désigner une collectivité pour organiser et non
pour déterminer les modalités de l’a
ction commune de plusieurs collectivités
».
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
291
bilan quantitatif et qualitatif de l’offre sociale et médico
-sociale existante
et déterminent les perspectives et les objectifs de développement de l’offre
sociale et médicosociale, et notamment ceux nécessitant des interventions
sous forme de création, transformation, ou suppression d’établissements
et services, et, le cas échéant, d’accueils familiaux
».
Le département est également compétent pour l’élaboration du
programme départemental d’insertion (PDI), qui doit
«
définir la politique
départementale d’accompagnement social et professionnel, recenser les
besoins d’insertion et l’offre locale d’insertion et planifier les actions
d’insertion correspondantes
», et sa déclinaison opérationnelle sous la
forme d’un pacte territorial d’insertion avec les acteurs concernés.
Ces documents d’orientation, de coordination et de planification
sont les outils privilégiés pour faire évoluer l’offre d’aide sociale et
l’adapter aux besoins. Ils sont supposés contribuer à la réalisation des
o
bjectifs stratégiques du département en organisant la mise en œuvre de
ses politiques. Mais ils doivent également permettre la mobilisation des
partenaires et la convergence des stratégies d’intervention qui se déploient
sur un même territoire.
De ce point de vue, leur principale faiblesse tient à leur absence de
portée prescriptive, d’autant que les autres acteurs disposent de leurs
propres outils. Les ARS, par exemple, élaborent un programme
interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte
d’autonomie (PRIAC), qui définit leurs priorités et leur programmation en
matière de financement des créations, extensions ou transformations
d’établissements sociaux et médico
-sociaux accueillant des personnes
âgées ou des personnes en situation de handicap. Les Caf, avec les
conventions territoriales globales conclues avec les communes, ou encore
l’État, avec les CALPAE, contribuent également à cette profusion de
démarches mal coordonnées.
L’excès de documents stratégiques et leur faiblesse normative
expliquent ainsi les difficultés rencontrées pour assurer une bonne
coordination des interventions publiques. Pour les surmonter, la
convergence entre les différentes démarches contractuelles et la
rationalisation des schémas de programmation stratégiques sectoriels, sont
indispensables. Sur le modèle des contrats de plan État-Région, de
nouveaux documents de programmation
–
un par grande politique sociale
décentralisée :
protection de l’enfance, insertion, handicap et autonomie –
pourraient formaliser les eng
agements des partenaires autour d’un socle
d’objectifs et de moyens mobilisés dans le cadre d’une programmation de
cinq à six années. Les départements seraient chargés de la mettre en œuvre
et d’en assurer le suivi, donnant ainsi davantage de contenu à la
notion de
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COUR DES COMPTES
292
chef de file. Une telle contractualisation permettrait d’aligner les
interventions du département, de l’État, de ses opérateurs et des organismes
de sécurité sociale. Sans porter atteinte à la liberté de décision des autres
collectivités territoriales, elle définirait le cadre dans lequel celles-ci
pourraient prétendre à des cofinancements.
3 -
Des outils numériques lacunaires, orientés vers la gestion
davantage que vers le suivi des bénéficiaires et des résultats
Les systèmes d’information associés
aux politiques sociales
décentralisées sont principalement conçus pour gérer des prestations
monétaires sous les deux conditions de critères d’éligibilité et de ressources,
vérifiées périodiquement. Ils ne sont pas conçus pour produire des données
de gestion harmonisées permettant notamment le suivi des parcours des
bénéficiaires, qui seraient pourtant indispensables, au niveau tant local que
national, pour analyser l’activité et suivre la performance. Ils ne répondent
également qu’imparfaitement aux besoin
s des services statistiques
ministériels. Faute de référentiels communs par grande catégorie de
politiques sociales, ils ne permettent pas davantage d’assurer l’échange des
données entre partenaires, notamment dans l’objectif d’alimenter le projet
d’un dos
sier social dématérialisé au service de la qualité des parcours et de
la prise en charge des bénéficiaires de l’aide sociale.
Cette situation tient au fait que les acteurs utilisent des outils de
gestion différents, la plupart du temps fournis par des éditeurs privés, dans
le cadre de relations commerciales défavorables à une prise en compte
réactive de besoins nécessairement évolutifs. Elle tient également à la
nature des politiques sociales, et aux fonctionnalités prises en charge par
les outils de gestion. Si leur performance est souvent optimisée quand il
s’agit d’assurer des paiements, il en va différemment des missions
d’accompagnement, qui ont une dimension qualitative peu compatible avec
le caractère souvent fruste des éléments saisis dans un outil de gestion
informatisé. Enfin, la réticence de certains personnels chargés de
l’accompagnement social à effectuer la saisie de leurs activités, parfois
considérée comme fastidieuse, inutile, voire contraire à leur éthique
professionnelle, explique également ce bilan.
L’évaluation du RSA réalisée par les juridictions financières a mis en
évidence ces difficultés
166
. Les systèmes d’information des départements
166
Cour des comptes,
Le revenu de solidarité active (RSA),
évaluation de politique
publique, janvier 2022.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
293
comportent de nombreuses lacunes. Les éléments issus du diagnostic et
caractérisant la situation des bénéficiaires sont peu nombreux. Le suivi des
parcours n’est pas documenté, ce qui ne permet pas de rendre compte, ou très
imparfaitement, de la réalité et de la substance de l’accompagnement des
allocataires. L’examen des données produites à partir de l’ex
ploitation du
système d’information de Pôle emploi
met également en évidence des
carences importantes.
Dans le domaine de la protection de l’enfance, la Cour a aussi relevé
d’importantes lacunes liées en particulier à l’inadaptation des outils, à leurs
con
ditions d’utilisation et à leur faible interopérabilité
167
. Ainsi le projet
OLINPE (dispositif d’observation longitudinale individuelle et nationale
en protection de l’enfance), devant permettre de reconstituer les parcours
des enfants protégés, reste inachevé depuis 12 ans, notamment en raison de
l’insuffisance des remontées de données en provenance des départements,
en quantité comme en qualité
168
.
Le champ de l’autonomie se distingue par une démarche plus
aboutie de pilotage des prestations à l’attention de
s personnes âgées
dépendantes ou en situation de handicap, à la faveur du mandat confié à la
CNSA. La loi prévoit en effet que les MDPH doivent utiliser un système
d'information commun, interopérable avec les systèmes d’information des
départements, ceux de la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf)
et ceux de la CNSA
169
.
Cette obligation, ancienne, n’a cependant été effectivement mise en
œuvre qu’avec la prise en charge des fonctions de maîtrise d’ouvrage par
la CNSA, sous la forme d’un tronc com
mun permettant de mettre en
relation les différents systèmes existants et de faciliter les échanges
d’information entre les MDPH et les Caf. La CNSA a défini les normes
destinées à garantir l’interopérabilité entre systèmes, ouvrant la voie à des
tableaux
de bord autorisant la comparaison de l’activité des MDPH sur des
bases harmonisées, mais aussi à une amélioration des fonctions de
dématérialisation et d’échanges de données. Les améliorations offertes par
ces outils sont incontestables et témoignent de l’intérêt d’une impulsion et
d’une conduite de projet à l’échelon national, qui ne fait pas obstacle à une
association étroite des départements.
167
Cour des comptes,
La protection de l’enfance
, rapport public thématique, novembre 2020.
168
Selon l’Office national de protection de l’enfance, s
euls 46 départements sont entrés
dans le dispositif, parmi lesquels15 seulement transmettent leurs données dans le format
attendu (
second rapport consacré au dispositif OLINPE
, janvier 2022).
169
Article L. 247-2 du CASF.
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COUR DES COMPTES
294
II -
Une prise en charge des publics à améliorer,
des disparités de qualité de service inexpliquées
Le choix de décentraliser les politiques sociales visait à améliorer la
qualité des services rendus, en tirant parti de la proximité entre les
collectivités territoriales et les bénéficiaires. Or, la faiblesse de la culture
évaluative et comparative empêche d’apprécier le
s résultats de ces
politiques sur les conditions de vie de leurs bénéficiaires, alors que, dans
le même temps, les indicateurs de délais ou d’accès aux droits ne décrivent
pas une situation pleinement satisfaisante.
A -
Des délais excessifs et des ruptures de parcours
1 -
L’insuffisante maîtrise des délais
Les délais d’accès aux prestations d’action sociale déterminent en
partie l’efficacité de celles
-
ci. La mise en œuvre des mesures de protection
de l’enfance, l’accès des bénéficiaires du RSA aux actions d’inser
tion
sociale ou professionnelle ou encore la mise en place de mesures qui
concourent à prévenir la perte d’autonomie des personnes âgées ou en
situation de handicap en sont autant d’illustrations. Or les délais de prise
en charge et d’accompagnement des bénéficiaires de l’aide sociale
apparaissent souvent excessifs.
C’est notamment le cas en matière d’orientation des bénéficiaires du
RSA : alors que le délai prévu par les textes est de deux mois, il est en pratique
de 95 jours en moyenne. Ajouté au délai moyen des premières actions, après
signature du contrat d’engagement réciproque ou du projet personnel d’accès
à l’emploi, le délai moyen qui s’écoule entre l’accès à l’allocation et le début
du parcours d’insertion du bénéficiaire atteint près de cinq mois.
En ce qui concerne
l’aide sociale à l’enfance, un empilement de
délais est également constaté, au détriment de la prise en charge des enfants
protégés : 28 % des départements ne respectent pas le délai de trois mois
en matière de traitement des informations préoccupantes
170
. Des étapes
supplémentaires internes aux juridictions interviennent en outre avant la
mise en œuvre effective de certaines mesures de protection. Cette inertie
170
L’information préoccupante est définie comme étant «
une information transmise au
conseil départemental sur la situation d’un mineur, pouvant laisser craindre que sa
santé, sa sécurité ou sa moralité sont en danger ou en risque de l’être, ou
que les
conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et
social sont gravement compromises ou en risque de l’être
» (article R. 226-2-2 du code
de l’action sociale et des familles).
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
295
peut avoir des conséquences sur la nature même des mesures, un placement
pouvant finalement être privilégié sur une décision initiale de prise en
charge en milieu ouvert
171
.
Selon le baromètre national des MDPH administré par la CNSA, le
délai moyen de traitement des demandes en matière de handicap demeure
également élevé : au 4
ème
trimestre 2022, il était de 5,5 mois pour la PCH
et de 4,8 mois pour l’AAH. Il s’inscrivait dans une échelle de 1,6 mois à
11,6 mois selon les départements.
2 -
Le risque de rupture dans les parcours des bénéficiaires
L’efficacité des politiques d’action social
e dépend aussi de la
fluidité de l’accompagnement des bénéficiaires aux différentes étapes de
leur prise en charge. Or les conditions de suivi des personnes vulnérables
par les différents intervenants ne garantissent pas suffisamment la
continuité des parcours.
Les données disponibles suggèrent que l’orientation des allocataires
du RSA vers un certain type d’accompagnement, social ou professionnel,
peut ne pas être adaptée à leurs besoins réels
172
. Cela ressort notamment
des écarts constatés d’un territoire à
l’autre dans la proportion des
bénéficiaires orientés vers Pôle emploi, qui sont censés être les plus
proches de l’emploi
173
. Plus généralement, le contenu et l’intensité des
dispositifs d’accompagnement des bénéficiaires du RSA
174
ne permettent
pas d’inscrire efficacement les allocataires dans des trajectoires d’accès à
l’emploi. Sept ans après l’entrée au RSA d’une cohorte d’allocataires, seul
un tiers en est sorti et occupe un emploi
–
et parmi ceux-ci, seul un tiers
bénéficie d’un emploi stable. Au contrai
re, une part significative des
allocataires bénéficie du RSA de façon continue sur longue période, ou ne
fait qu’en sortir de manière transitoire.
171
Un récent rapport de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale
de la justice a montré qu’un tiers des départements interrogés présentaient des délais
d’exécution moyens supérieurs à quatre mois pour les actions éducatives en milieu ouvert.
172
Source Drees, En
quête annuelle sur l’orientation et l’accompagnement des
bénéficiaires du RSA (OARSA), données 2020.
173
De 0 % à plus de 70 % en fonction des départements, sans corrélation avec leur
situation économique et sociale.
174
L’enquête de la Cour sur le RSA a mis e
n évidence le fait que moins de la moitié
des bénéficiaires disposait d’un contrat d’engagement réciproque en cours de validité,
cette proportion pouvant se situer autour de 20 % dans certains départements. Par
ailleurs, des carences importantes ont été relevées dans le contenu des contrats, en
termes d’actions d’insertion prévues et d’intensité de l’accompagnement des
bénéficiaires par les travailleurs sociaux.
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COUR DES COMPTES
296
La protection de l’enfance souffre également de ruptures fréquentes
dans les parcours. Celles-
ci tiennent d’a
bord à la faiblesse des dispositifs
de prévention et à l’insuffisance des interventions précoces en faveur des
familles les plus fragiles, le repérage des signaux faibles s’avérant
défaillant. Elles sont accentuées par les lacunes des mécanismes de suivi
d
es parcours des enfants, en l’absence notamment de véritable outil de suivi
commun. Telle est pourtant, en principe, la vocation du projet pour l’enfant
(PPE) avec lequel devrait s’articuler le document individuel de prise en
charge (DIPC), établi par les
établissements responsables de l’exécution
des mesures de protection. Or les conditions de mise en œuvre de ces outils
n’ont pas permis de surmonter les difficultés. Enfin la prévention des
« sorties sèches »
de l’aide sociale à l’enfance, sans projet ni p
erspectives
claires d’intégration sociale et professionnelle, ne s’est imposée que
récemment comme une priorité.
Dans le champ de l’autonomie, l’articulation des prises en charge
sanitaire et sociale des personnes âgées dépendantes, dont la perte
d’autonomie peut être liée à l’altération de l’état de santé mais également
à l’isolement, demeure un enjeu important. Or, la construction segmentée
des secteurs sanitaire, social et médico-social fait souvent obstacle à
l’accompagnement global des personnes et de
leurs aidants dans leur
parcours, en ne permettant pas encore suffisamment d’éviter les ruptures.
Les dispositifs visant à mieux intégrer ces trois dimensions sociale,
médico-
sociale et sanitaire doivent donc être confortés. Il s’agit notamment
d’améliorer
la coordination de l’offre de proximité entre établissements et
services médico-sociaux, médecins traitants, services à domicile et services
sociaux.
B -
Les phénomènes de non-recours
et les disparités territoriales
1 -
Une coordination renforcée des stratégies territoriales
doit contribuer à mieux prévenir le non-recours
Le phénomène de non-recours recouvre toute situation où une
personne ne reçoit pas une prestation ou un service auquel elle pourrait
prétendre. Au-delà des spécificités qui caractérisent chacun des versants
des politiques sociales, l’importance du phénomène en matière d’accès au
RSA illustre cet enjeu :
il ressort de manière constante qu’environ un tiers
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
297
des foyers éligibles au RSA n’en bénéficie pas chaque trimestre, et qu’un
cinquième n’y recourt pas à l’échelle d’une année entière
175
.
L’automatisation de l’accès pourrait réduire le
non-recours à certaines
prestations monétaires, sous réserve que soit fortement mobilisés les leviers
qui permettent de conforter l’accompagnement et la logique des dr
oits et
devoirs. Cette évolution annoncée n’épuisera pas toute la demande de contact
du public avec les services. L’accessibilité de l’aide sociale demeurera donc
largement tributaire de l’offre d’accueil et d’accompagnement que déploient
les acteurs à tra
vers leurs guichets respectifs et les différentes actions qu’ils
organisent vers les publics vulnérables.
Les collectivités territoriales disposent d’une grande latitude pour
définir les modalités d’organisation de leurs services. L’action sociale des
départements recouvre ainsi une grande diversité de stratégies territoriales,
le plus souvent assises sur des analyses des besoins régulièrement
actualisées, et adossées à une offre foisonnante de services dématérialisés
(plateformes téléphoniques, sites internet, applications informatiques). Aux
côtés des départements, les services des communes et les CCAS constituent
des guichets de premier recours pour les bénéficiaires de l’action sociale.
La branche famille assure également un accueil dans plus de mille
implantations territoriales, mais accentue son offre de services dématérialisés
en particulier pour l’accès aux grandes prestations monétaires dont elle
assure l’instruction et le paiement par délégation des départements ou de
l’État. Le nombre d’accueils p
hysiques en Caf a ainsi diminué de 44 % entre
2014 et 2018. Cette évolution nécessite de coordonner encore plus
étroitement avec les collectivités territoriales l’accueil physique des usagers,
que ces dernières continuent d’assumer sur le territoire.
Enfin, le dispositif France Services vient compléter le maillage
territorial de l’aide et de l’action sociales, en promouvant une logique de
mutualisation de l’offre de services publics et d’accueil par des conseillers
généralistes qui proposent une réponse de premier niveau. Les demandes
relatives aux prestations de solidarité et d’insertion (RSA, prime d’activité)
figuraient en tête des démarches mises en œuvre sur les 2
200 sites
labellisés en avril 2022. La mise en œuvre du dispositif, pilotée par l’État,
repose largement sur les collectivités du bloc communal qui sont
responsables de près des deux tiers des sites labellisés, les départements
étant au contraire peu impliqués.
175
Source Drees,
Mesurer régulièrement le non-recours au RSA et à la prime
d’activité
: méthode et résultats,
Les dossiers de la Drees n° 92, 2022.
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COUR DES COMPTES
298
Dans ce contexte, l’offre locale d’action sociale procède moins
d’une analyse commune des besoins, conduite et actualisée à l’échelle des
départements, que d’une juxtaposition de guichets déployés selon des
logiques relativement autonomes. Ainsi les implantations territoriales des
acteurs apparaissent parfois redondantes, particulièrement en zone urbaine.
En zone rurale, au contraire, l’effort en faveur de l’objectif national
consistant à proposer un accueil social inconditionnel à moins de
30
minutes de trajet de tout usager d’ici 2023 nécessite encore d’être
soutenu et mieux coordonné
176
, le rôle des départements étant
particulièrement structurant dans ces territoires.
L’organisation de la couverture territoriale à destination des publics
vulnérables devrait faire l’objet de conventions plus systématiques entre
les acteurs. Les schémas dépa
rtementaux d’amélioration de l’accessibilité
des services au public (SDAASP), élaborés sous l’autorité conjointe du
préfet et du président du conseil départemental, peuvent concourir à cet
objectif à condition que leur animation permette véritablement de
converger vers un cadre commun.
2 -
Des disparités territoriales qu’il convient
de mieux mesurer et expliquer
Des disparités sont naturellement observées dans les taux de
bénéficiaires des prestations d’un territoire à l’autre, notamment en raison
de leurs différences socio-
économiques et démographiques. C’est par
exemple le cas du taux de chômage, qui influe sur le nombre de
bénéficiaires du RSA
177
, ou encore de la part de seniors dans la population,
qui pèse sur le poids des prestations d’autonomie.
Une fois prises en compte ces différences objectives, les disparités
résiduelles peuvent refléter des politiques locales assumées. Les écarts
constatés peuvent ainsi découler des priorités des collectivités en matière
de prestations extra légales (offre d’accueil en é
tablissements et de services
sociaux et médico-
sociaux, aides d’urgence), des moyens, notamment
humains, qu’elles mobilisent, ou encore des marges de manœuvre que la
loi leur offre dans la mise en œuvre des aides légales. Si leur marge de
176
D’après la
délégation interministérielle pour la prévention et la lutte contre la
pauvreté (DIPLP), sur 69 départements ayant renseigné les indicateurs pour cette action
de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, 39 se situent à 100 %
de l’objectif,
neuf départements entre 80 et 99 %, cinq départements entre 60 et 79 % et
16 départements en-dessous de 60 %.
177
À titre d’illustration, en juin 2021, la part de bénéficiaires du RSA dans la popula
tion
du département était cinq fois plus importante en Seine-Saint-Denis (11,1
%) qu’en
Haute-Savoie (2,1
%), la moyenne nationale s’établissant à 5,8
%.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
299
manœuvre est très
limitée en matière de versement du RSA aux ayants-
droit, les départements disposent en revanche d’une certaine latitude pour
assurer l’accès des bénéficiaires aux prestations en matière d’autonomie,
malgré l’existence de barèmes et de référentiels nationa
ux : modalités
pratiques d’évaluation du degré de dépendance des bénéficiaires et de
définition du contenu des plans d’aide individualisés, niveaux de reste à
charge, politique plus ou moins volontariste de soutien à l’offre
d’établissements et de services
à domicile accessibles sur le territoire. Les
choix des départements en matière de lutte contre le non-recours ou
d’accompagnement vers une situation qui ne nécessitera plus de prestation
contribuent aussi à expliquer les différences observées dans la proportion
de bénéficiaires et la durée de perception des prestations.
Si une certaine diversité est légitime, certains écarts, qui ne peuvent
s’expliquer par des différences socio
-économiques ou démographiques,
sont d’une ampleur telle qu’ils posent la question du respect d’un principe
d’égalité de traitement des bénéficiaires et du maintien d’un socle de
prestations uniforme sur l’ensemble du territoire national.
À cet égard, malgré l’existence d’un barème commun et d’un guide
visant à harmoniser l’instruct
ion des demandes par les MDPH, le taux
d’accord sur les premières demandes et les réexamen
s
d’AAH s’établissait
en moyenne à 70 % au niveau national en 2020, mais variait de 59 % en
Haute-Savoie à 99 % dans la Creuse.
L’examen de la dispersion des dépenses d’aide moyennes par
bénéficiaire soulève des questions analogues. En moyenne plus élevée pour
les dépenses d’accompagnement que pour les dépenses liées aux
prestations monétaires, elle est également plus importante en matière de
PCH ou d’APA que pour le
RSA. Le rapport interdécile
178
, qui est un bon
indicateur de la dispersion des aides, est de 1,1 pour le RSA, de 1,3 pour
l’APA, de 2 pour l’aide sociale à l’hébergement et de 2,7 pour
l’accompagnement des bénéficiaires du RSA.
Il s’établit en moyenne à 1,3
pour l’ensemble des dépenses associées aux dispositifs d’aide et d’action
sociale des départements.
178
Le rapport interdécile permet de mesurer les inégalités d’une distribution, en mettant
en évidence l
’
écart entre le haut (9
ème
décile) et le bas d’une distribution (1
er
décile). Dans
le cas présent, il mesure le rapport entre la moyenne de la dépense par bénéficiaire des
10 départements dans lesquels elle est la plus élevée et celle des 10 départements dans
lesquelles elle est la moins élevée. Un écart interdécile de deux
signifie qu’en moyenne,
dans les 10 % de départements dans lesquels elle est la plus élevée, elle est deux fois plus
élevée que dans les 10 % de départements dans lesquels elle la moins élevée.
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COUR DES COMPTES
300
Comme indiqué ci-
dessus, en l’absence de systèmes d’information
interopérables entre partenaires institutionnels, adossés à des référentiels
harmonisés, il
demeure difficile d’objectiver la part respective des
caractéristiques objectives des territoires et des choix de politiques
publiques relevant des collectivités, et donc les éventuelles ruptures
d’égalité dans l’accès aux prestations légales. À cet égard,
les chantiers
numériques actuellement engagés dans le champ de l’autonomie sous
l’égide de la CNSA et, de manière beaucoup plus récente et moins aboutie,
de l’insertion, constituent des évolutions importantes qu’il convient de
poursuivre et d’étendre au champ de la protection de l’enfance.
III -
Des dépenses dynamiques
dont le financement devra être réformé
Les dépenses sociales des départements ont progressé de manière
continue et soutenue, notamment du fait de la dynamique des allocations
individuelles de sol
idarité (AIS), qui en représentent aujourd’hui près de la
moitié. L’augmentation de ces dépenses a été nettement plus rapide que
celle des ressources historiquement destinées à financer ces dispositifs.
Cette divergence de trajectoire est à l’origine d’un
écart financé par les
budgets des collectivités départementales sur leurs autres ressources.
Cette situation est conforme aux principes constitutionnels qui
encadrent la décentralisation, mais elle est contestée par les départements.
Par ailleurs, la dynamique respective des dépenses et des recettes devrait
conduire à réformer ce financement.
A -
Des dépenses dont la dynamique est tirée
par les allocations individuelles de solidarité
Les départements sont les premiers financeurs de l’aide et de
l’action social
e : ils en assurent à eux seuls la moitié, à hauteur de 41,7
Md€
en 2020. Les AIS, qui mobilisent 19,5
Md€, représentent 47
% de ce
montant. Même s’il existe des possibilités de modulation des aides (par
exemple dans la définition des plans d’aide octroyés
aux bénéficiaires de
l’APA ou de la PCH) et quelques marges de manœuvre en gestion évoquées
ci-dessus, le poids des prestations monétaires pèse fortement sur
l’ensemble des budgets départementaux.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
301
Entre 1984 et 2003, les dépenses sociales des départements ont
représenté entre 3,5 % et 3,8 % des dépenses nationales de protection
sociale. À compter de 2004, avec le transfert du RMI aux départements,
elles ont franchi le seuil de 5 % et augmenté depuis lors de manière
régulière et continue, plus rapidement que les autres dépenses de protection
sociale, jusqu’à en représenter 5,65
% en 2019. Entre 1999 et 2020, les
dépenses de protection sociale ont été multipliées par un peu plus de deux,
les dépenses sociales des départements par un peu plus de trois.
La dynamique propre des AIS explique cette tendance. Les dépenses
sociales hors AIS ont progressé de 64 % entre 2004 et 2019, à un rythme
équivalent à celui de l’APA, alors que le RSA a progressé de 105
% et la
PCH de 242 % sur la même période.
Graphique n° 1 :
évolution des dépenses sociales départementales
par politique, 1999-2020 (en
M€
)
Source :
Cour des comptes, d’après données Drees
Cette dynamique est le fruit de la montée en charge des allocations
les plus récentes, en lien avec l’évolution de paramètres démographiques
(c’est le cas pour l’APA ou la PCH). Elle résulte également d’un effet de
persistance important, avec le maintien dans le dispositif sur des périodes
longues d’une part significative des bénéficiaires (c’est le cas en particulier
du RSA, dont le nombre de bénéficiaires a augmenté de manière continue
depuis sa création).
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COUR DES COMPTES
302
B -
Des mécanismes historiques de financement
des AIS inadaptés à leurs dynamiques
Le financement de la décentralisation du RMI, devenu RSA, repose
historiquement sur l’affectation d’une fracti
on de taxe intérieure sur les produits
pétroliers (TIPP) devenue taxe intérieure sur la consommation des produits
énergétiques (TICPE). Cet impôt national repose sur les quantités de carburants
vendues, dont le produit est ensuite réparti entre les départements en fonction
de leur part dans les dépenses nationales de RSA. Face au dynamisme de la
dépense évoqué ci-dessus, ce mécanisme a rapidement été complété pour tenir
compte de la stagnation de la recette fiscale affectée. Dès 2006, l’État a ainsi
mis en place un fonds de mobilisation départementale pour les dépenses
d’insertion (FMDI). Il a ensuite instauré plusieurs dispositifs complémentaires,
en particulier dans le cadre du Pacte de confiance et de solidarité adopté en
juillet 2013. Ces dispositifs ont
été conçus afin d’améliorer le taux de
financement des trois AIS de manière transversale, en intégrant des mécanismes
de péréquation et en faisant référence à la notion de « reste à charge au titre des
dépenses d’AIS
»
, consacrée par la loi. Il s’agit du
dispositif de compensation
péréquée (DCP ; 994
M€
en 2019 et 1 015
M€
en 2020), du fonds de solidarité
en faveur des départements (FSD, 589
M€
en 2019)
179
et du fonds de
stabilisation en faveur des départements (115
M€
). Enfin, la loi de finances
initiale pour 2014 a prévu la possibilité pour les conseils départementaux de
relever le taux plafond des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) de 3,8 %
à 4,5 %. Cette disposition a été utilisée par presque tous les départements,
générant une recette fiscale complémentaire de 1,9
Md€ en 2020.
En 2009, soit six ans après le transfert du RMI aux départements, le
taux de couverture de la dépense transférée
180
assuré par les seuls TICPE
et FMDI était de 88,6 %. En 2020 ce taux est tombé à 52,5 %, année
caractérisée par une augmentation importante de la dépense du fait de la
crise sanitaire. Cette année-là, la différence entre la dépense de RSA et les
recettes spécifiquement mises en place pour la financer a atteint 5,3
Md€.
179
Ce dispositif de péréquation horizontale opère la
redistribution d’une fraction des
recettes de DMTO vers les départements en difficulté sans mobiliser de nouvelles recettes.
Il doit être pris en compte dans les ressources des départements bénéficiaires, mais au
niveau national, par construction, le montant du FSD est nul. En 2020, le FSD a été intégré
au nouveau dispositif de péréquation des DMTO des départements.
180
Le taux de couverture d’un dispositif peut être défini comme le rapport entre le
montant des dépenses qu’il génère et celui des recettes initialement affectées à son
financement. L’existence d’un tel écart n’est pas contraire au principe de la
compensation des compétences transférées au coût historique, mais n’en soulève pas
moins un enjeu dans la durée si les autres ressources des collectivités territoriales
concernées ne présentent pas la même dynamique.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
303
Dans le même intervalle, entre 2009 et 2020, la progression des recettes a
été de 1,4 %, alors que la dépense de RSA a augmenté de 71,4 %
181
.
Le financement de l’APA et de la PCH est quant à lui assuré par des
contributions de la CNSA depuis sa création en 2004. Le taux de
financement de l’APA par ces ressources s’est dégradé jusqu’en 2010,
passant de 41 % à moins de 30 %, avant de remonter progressivement de
2011 à 2015 à 32,3 %
et de progresser fortement en 2016 sous l’effet de la
mise en place d’un fonds complémentaire dit APA2. En 2020, il a atteint
40,4 %, revenant à son niveau initial.
La PCH est depuis l’origine financée par un concours de la CNSA
réparti entre les départements en fonction de critères de charges et de
ressources. Le taux de couverture de cette prestation est passé de 99 % en
2008 à 31,2 %
en 2016. En tenant compte de la baisse de l’ACTP, qui vient
diminuer la charge de la PCH pour les départements, le taux de couverture
était en 2020 de 35,1 % soit un écart de 1,2
Md€ couvert par leurs autres
ressources
182
.
En 2020, le taux de couverture historique des AIS atteignait donc
52 %
et l’écart non financé par les transferts historiques représentait
9,4
Md€, alors que le total des dépenses de fonctionnement des
départements est de 57
Md€ et leur épargne brute de 7,85
Md€.
181
Le périmètre a cependant été légèrement modifié avec la recentralisation financière
opéré en Guyane, à Mayotte et à La Réunion, tant sur le volet dépenses que sur le volet
recettes. Ces modifications ne modifient pas significativement les ordres de grandeur,
notamment sur le différentiel de dynamique entre dépenses et recettes.
182
Conformément à l’usage, les taux de couverture de la
PCH calculés ici ne tiennent
pas compte, en dépenses, de l’allocation compensatrice pour tierce personne (ACTP –
prestation créée en 1975, aujourd’hui en extinction), et en recettes, des financements
résiduels associés à celle-ci.
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304
Graphique n° 2 :
AIS et recettes affectées à leur financement,
2009-2019 (en
M€
)
Source :
Cour des comptes, d’après données de la direction générale des collectivités locales
(DGCL) ; note :
Fonds de mobilisation départementale pour l’insertion (FMDI)
; Taxe intérieure
de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) ; Reste à charge (RAC) AIS
Cet écart a été couvert par les autres recettes des départements, dont
certaines ont été très dynamiques (les droits de mutation à titre onéreux,
DMTO, notamment), et par une maîtrise accrue des autres dépenses de
fonctionnement, leur assurant un bon niveau d’épargne brute sur la période.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
305
Graphique n° 3 :
part des AIS non financées par les recettes affectées
et épargne brute 2009-2019 (en
M€
)
Source :
Cour des comptes, d’après données DGCL
; note : DRF - dépenses réelles de fonctionnement ; RRF -
recettes réelles de fonctionnement
Mais les départements ont été de fait privés d’une capacité
d’arbitrage pour l’affectation de ces marges de manœuvre, en étant appelés
à en consacrer une part croissante aux AIS. De ce fait, la question du
financement des AIS constitue un point de crispation ancien entre l’État et
les départements.
C -
La nécessité d’une réforme du financement des AIS
La dynamique future des dépenses sociales départementales, tirée
par celle des AIS, demeurera largement tributaire de facteurs socio-
démographiques. Il est difficile d’anticiper l’évolution du coût du RSA,
mais comme indiqué ci-dessus, il ne se réduit guère, même dans les phases
positives du cycle économique. La PCH a moins pesé dans les budgets
départementaux jusqu’à aujourd’hui que l’APA et le RSA, du fait de
montants initiaux plus faibles. Sa dynamique récente est cependant
soutenue et pourrait se poursuivre.
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COUR DES COMPTES
306
S’agissa
nt surtout de
l’APA, le vieillissement de la population va
entraîner une augmentation de la population des personnes âgées de plus
de 75 ans jusqu’en 2040. D’après les projections de l’Insee, elles devraient
passer de 9,3 % de la population en 2020 à 12,2 % en 2030 et 14,6 % en
2040. Cette perspective oriente fortement à la hausse l’évolution prévisible
du nombre de bénéficiaires de l’APA. La Drees prévoit qu’il progressera
de + 1,4 % par an, ce qui le ferait passer de 1,3 million en 2018 à 1,6 en
2030 (+ 16 %) et 1,9 en 2040 (+ 23 %).
Ces tendances structurelles laissent présager au total une dynamique
de moyen et long terme soutenue pour l’ensemble des dépenses sociales
départementales, en particulier l’APA et potentiellement la PCH. Dans le
même temps, la principale recette historique affectée, la TICPE, est vouée
à se tarir dans le contexte de la transition énergétique. La solution
consistant à reprendre au niveau de l’État la dépense du RSA, déjà mise en
application dans les départements fragilisés par son dynamisme, ne peut
être étendue tant elle est contraire au principe d’identité du décideur et du
financeur. Compter sur un dynamisme indéfini des recettes de DMTO est
enfin un pari risqué et qui soumet les départements aux aléas d’une recette
très insta
ble. Prévoir l’affectation d’une recette moins variable, telle qu’une
fraction de TVA, pourrait sembler une option possible.
Cependant, au-
delà de la nécessité de tourner la page d’un contentieux
ancien entre l’État et les départements, et de faire face à
un très probable
besoin de financement futur, il peut être considéré que les AIS doivent
bénéficier d’un financement lisible et qui fasse sens, eu égard à leur nature
particulière de manifestation de la solidarité envers les personnes les plus
vulnérables,
définie au niveau national. Dès lors que, comme on l’a vu,
l’action des départements n’est pas sans effet sur les montants versés, la
couverture assurée par ce financement ne doit pas être intégrale, de façon à
ce que la maîtrise de la dépense conserve une dimension incitative.
Du fait du caractère singulier de ces dépenses, un financement de
ces prestations monétaires par une dotation pourrait être justifié. Compte
tenu de la structure actuelle de financement des départements, il ne
porterait pas atteinte aux principes constitutionnels en la matière. Il ne
constituerait pas plus une entorse au principe d’universalité budgétaire que
les mécanismes actuels, d’autant qu’il n’aurait pas vocation à assurer une
couverture totale, mais une couverture plus stable de la dépense.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
307
Dans cette perspective, un nouveau système de financement des AIS
pourrait reposer sur trois composantes :
•
une dotation de solidarité (ou «
dotation d’aide sociale
») définie par le
législateur, qui représenterait par exemple 60 à 70 % de la dépense réelle
d’AIS, dont le niveau pourrait être revu tous les trois à cinq ans. Sa
répartition entre départements serait fondée sur leurs dépenses
constatées au compte administratif au titre des trois AIS ;
•
pour conserver au mécanisme de financement une portée incitative, un
dispositif complémentaire, couvrant de l’ordre de 10
à 20 % de la
dépense d’AIS, pourrait donner lieu à contractualisation entre l’État ou
ses opérateurs (la CNSA notamment) et les départements, sur la base
d’objectifs de perfor
mance négociés ;
•
le solde, qui représenterait 10 à 30 %
de la dépense d’AIS, ne pourrait
pas donner lieu à financement direct par l’État mais relèverait des autres
ressources globales des départements, incitant ces derniers à maîtriser la
dynamique de leurs dépenses.
La dotation d’action sociale comporterait deux fractions, l’une
servant au financement du RSA, prise en charge par l’État, l’autre
permettant de solvabiliser les dépenses d’APA et de PCH, attribuée par la
CNSA. En recettes, l’État reprendrait l
a fraction de TICPE consacrée au
financement du RSA, le FMDI et les différents concours mis en place pour
le financement des restes à charge.
La nette amélioration des termes du financement des dépenses
sociales départementales qui résulterait de cette réforme règlerait de
manière durable un problème qui perdure depuis deux décennies. En
contrepartie, il justifierait que les collectivités territoriales prennent et
respectent des engagements précis en matière de qualité de service,
d’accessibilité, de délai
s de traitement et de maîtrise des dépenses.
Enfin une telle réforme devrait conforter l’objectif d’équité
territoriale, à travers des mécanismes de péréquation rénovés et une
meilleure comparabilité des caractéristiques des départements et des
résultats de leurs politiques sociales.
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COUR DES COMPTES
308
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Les politiques sociales dont le département est chef de file
constituent un aspect majeur de la décentralisation. Ces politiques sont
néanmoins parvenues à un degré critique de complexité institutionnelle,
les outils de coordination et de pilotage actuels ne permettant pas
d’assurer la bonne coordination des interventions publiques. Cette
situation nuit à l’efficacité des politiques sociales et à la qualité du service
rendu aux usagers.
Cet environnement est né de la tension non résolue entre le
caractère nécessairement national de la solidarité, emportant le respect du
principe d’égalité, et la libre administration des collectivités territoriales
en ce qui concerne l’exercice de leurs compétences
.
Un nouveau point d’équilibre pourrait être trouvé et cette tension se
résoudre autour de la notion de socle commun de services, adossé à des
barèmes minimaux pour les prestations monétaires d’aide sociale, les
départements étant susceptibles de les compléter (en prévoyant une
extension soit en termes d’éligibilité, pour élargir le public visé, soit en
termes de montant des prestations servies). Cette possibilité suppose que
soit systématiquement vérifiée sa compatibilité avec le principe d’égalité
au rega
rd des situations locales particulières, et d’autre part que les
départements soient en situation de réaliser de tels arbitrages.
Ceci suppose de revoir les mécanismes de financement, qui
n’apportent pas une réponse adéquate aux dynamiques de dépenses
supportées par les collectivités, qui seront fortement orientées à la hausse
dans les prochaines années. Une telle réforme du dispositif de financement
devrait être fondée sur la reconnaissance du caractère singulier des
prestations monétaires de solidarité ve
rsées par les départements et d’une
certaine stabilité et prévisibilité du taux de couverture qui doit en découler.
Dans ce contexte, la Cour formule les recommandations suivantes :
1.
réformer le dispositif de financement des allocations individuelles de
so
lidarité en instaurant une dotation d’action sociale répartie en
fonction des dépenses constatées, d’objectifs contractuels et d’une
cible de dépense restant à la charge des départements sur les autres
ressources (ministère des solidarités, de l’autonomie
et des personnes
handicapées, ministère du travail, du plein emploi et de l’insertion,
ministère chargé des comptes publics, ministère chargé des
collectivités territoriales) ;
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À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
309
2.
rationaliser les différents outils de programmation autour de quatre
schémas
départementaux plus prescriptifs (protection de l’enfance et
PMI ; lutte contre la pauvreté et inclusion ; autonomie ; handicap),
adoptés conjointement par les présidents des conseils départementaux
et par les représentants de l’État, et associant les prin
cipaux
partenaires à leur élaboration et à leur suivi, sous la responsabilité
des départements (ministère des solidarités, de l’autonomie et des
personnes handicapées, ministère de la santé et de la prévention,
départements) ;
3.
définir des référentiels nationaux relatifs aux données pour les
principaux dispositifs d’aide sociale, opposables aux éditeurs, en vue
de rendre les systèmes d’information des départements compatibles
entre eux et d’améliorer l’interopérabilité des outils (ministère des
solidarités,
de
l’autonomie
et
des
personnes
handicapées,
départements, CNSA).
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Réponses
Réponse de la Première ministre
............................................................
313
Réponse du préside
nt de l’Assemblée des départements
de France (ADF)
.....................................................................................
319
Réponse du président du conseil départemental
de l’Hérault
.................
323
Réponse du président du conseil départemental de la Somme
................
327
Réponse du président du conseil départemental du Val-de-Marne
.........
331
Destinataires n’ayant pas d’observation
Monsieur le président de la Métropole de Lyon
Monsieur le président du conseil départemental de l’Yonne
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RÉPONSE DE LA PREMIÈRE MINISTRE
Je vous remercie de m’avoir transmis le chapitre consacré aux
« politiques sociales décentralisées » et destiné à figurer dans le rapport
public annuel de la Cour des comptes.
Votre rapport met en exergue les difficultés liées à l’intrication des
compétences des niveaux de collectivité impliquées dans ces politiques, constat
global que je partage pleinement et au-delà duquel le projet de chapitre
appelle de la part du Gouvernement des observations sur quatre points :
-
la proposition de réforme du schéma de financement des allocations
individuelles de solidarités appelle à ce stade des réserves, en dépit
des perspectives qu’elle ouvre en termes d’incitation et de
renforcement de la place de l’État dans le pilotage et le suivi de ces
politiques ;
-
les préconisations relatives au renforcement de la coordination
peuvent en revanche être largement partagées ;
-
l
’évolution des systèmes
d’information est effectivement un enjeu
majeur ;
-
enfin, des précisions peuvent être apportées sur les données utilisées
dans le projet de chapitre.
1- La réforme du schéma de financement des allocations individuelles de
solidarité (AIS)
Tout d’abord je partage l’attachement de la Cour au renforcement
de la qualité de l’évaluation des politiques décentralisées et salue
l’attention portée à la question des remontées de données, qui constituent
un enjeu essentiel dans le pilotage de ces politiques.
En matière de financement des AIS (Réformer le dispositif de
financement des allocations individuelles de solidarité en instaurant une
dotation d’action sociale répartie en fonction des dépenses constatées,
d’objectifs contractuels et d’une cible de dépense restan
t à la charge des
départements sur les autres ressources), la Cour rappelle que les dépenses
sociales des départements ont progressé de manière continue et soutenue,
notamment du fait de la dynamique des AIS qui en représentent
aujourd’hui près de la moiti
é. Elle soutient par ailleurs que les mécanismes
historiques du financement des AIS sont inadaptés à leurs dynamiques, le
taux de couverture historique s’établissant selon elle à 52
% en 2020, soit
un écart « non-financé par les transferts historiques de 9,4
Md€
».
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COUR DES COMPTES
314
Le constat posé par la Cour d’un mécanisme de financement non
soutenable dans le temps tient à mon sens insuffisamment compte de la
réalité du soutien de l’État aux
départements et de la situation financière
de ces derniers, qui bénéficient de ressources dynamiques.
L’État respecte son obligation juridique de compensation financière
du transfert des AIS telle qu’elle résulte de l’article 72
-2 de la Constitution.
Ainsi, en 2020, la chute des recettes de taxe sur la consommation des
produits énergétiques (TICPE) de plus de 15 % au niveau national a été
compensée pour les collectivités par une diminution de la part perçue par
l’État, afin de financer les montants des droits à compensation garantis
aux départements par les recettes de TICPE. De plus,
l’État a déployé
plusieurs mesures de financements complémentaires d’ailleurs en partie
listés par la Cour. Les départements disposent depuis le 1er janvier 2021
d’une fraction dynamique de TVA de 250
M€
au titre du fonds de solidarité
institué par la loi de finances pour 2020 et destiné à se substituer au fonds
de stabilisation des départements. Par ailleurs, la possibilité offerte en
2014 aux départements de relever leur taux plafond de droits de mutation
à titre onéreux (DMTO) de 3,8 % à 4,5 % (près de 2
Md€
) dans le calcul
du « reste à charge » des AIS participe entièrement des mesures prises par
le législateur pour réduire le reste à charge des départements.
La question de la progression du reste à charge des départements
des dépenses d’AIS doit être abordée dans le contexte de l’évolution de la
situation financière globale des collectivités. En 2021, l’épargne brute des
départements a progressé de 44,2 % par rapport à 2020 (et de 23,9 % par
rapport à 2019), pour atteindre 11,33
Md€
. Leur épargne nette augmente
encore plus rapidement. Le solde du compte au Trésor (12,1
Md€
) est
supérieur de 4,9
Md€
à sa situation d’avant crise.
Concernant le financement du revenu de solidarité active (RSA), le
rapport omet de prendre en compte les ressources attribuées par le
législateur à l’article 196 de la loi de finances pour 2020
:
-
le dispositif de compensation péréquée (DCP), qui a permis de
transférer au profit des départements la totalité des frais de gestion
perçus par l’État au titre de la taxe foncière sur les
propriétés bâties
(TFPB) : 1 015 280 952
€
en 2020 ;
-
la possibilité de relever le taux plafond de la taxe de publicité foncière
ou du droit d’enregistrement (droits de mutation à titre onéreux
-
DMTO) de 3,8 % à 4,5 %
mentionné à l’article 1594 D du code
général des impôts : 2 000 967 955
€
en 2020 ;
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
315
-
le fonds de solidarité en faveur des départements (FSD), fusionné à
compter du 1
er
janvier 2020 dans le fonds national de péréquation des
DMTO.
Après prise en compte de ces trois ressources, le taux de couverture de
ces dépenses par les recettes att
ribuées pour leur financement s’établissait à
79,2 % en 2020 et non 50,2 % comme mentionné dans le rapport.
Concernant l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la
prestation de compensation du handicap (PCH), la Cour omet de prendre
en compte les ressources historiques de compensation attribuées aux
d
épartements à la suite de l’acte I de la décentralisation. La loi
n° 83-663
du 22 juillet 1983 a en effet conféré aux départements, à compter du
1
er
janvier 1984, une compétence générale en matière d’aid
e sociale. En
compensation de ces nouvelles charges, les départements ont bénéficié à
compter de cette date du transfert de deux impôts d’État, à savoir la taxe
différentielle sur les véhicules à moteur, dite « vignette », ainsi que les
droits d'enregistrement et la taxe de publicité foncière sur les mutations
immobilières (DMTO). La suppression de la vignette a été compensée par
la dotation générale de décentralisation.
Les d
épartements disposent aujourd’hui encore de ressources
résultant de ce transfert initial, dont une part avait vocation à compenser
les charges résultant de l’allocation compensatrice pour tierce personne
(ACTP) versée aux personnes handicapées de moins de 60 ans ainsi que
de l’ACTP versée aux personnes âgées dépendantes de plus de 60 an
s. En
prenant en compte ces ressources, le taux de couverture de l’APA
s’établissait à 52
% en 2020 et celle de la PCH à 71,2 % et non à 40,4 %
et 35,1 % comme mentionné dans le rapport.
La Cour propose de remplacer le mécanisme de financement actuel
par un système reposant sur trois composantes :
-
une dotation de solidarité qui représenterait « par exemple 60 à 70 %
de la dépenses réelle d’AIS
» et dont le niveau pourrait être revu tous
les trois à cinq ans ;
-
pour conserver au mécanisme de financement une portée incitative,
un dispositif complémentaire, couvrant «
de l’ordre de 10 à 20
% » de
la dépense donnant lieu à contractualisation entre l’État et les
départements ;
-
le solde, qui représenterait 10 à 30 %
de la dépense d’AIS, resterait à
la charge des Départements et relèverait de leurs « autres ressources
globales ».
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COUR DES COMPTES
316
Cette proposition constitue une remise en cause de tout le mécanisme
financier de compensation appliqué à l’ensemble des décentralisations
effectuées depuis 1983, fondé notamment depuis cette date sur le principe du
coût historique et de l’absence de compensation glissante. Ce principe, qui
s’applique tant pour les transferts de compétences de l’État aux collectivités
territoriales que pour les politiques locales recentralisées, permet
d’accompagner la responsabilité politique découlant de la mise en œuvre de
ces compétences d’une responsabilité budgétaire, pendant de la libre
administration des collectivités territoriales.
La nécessité de réfléchir à une meilleure adaptation des ressources
d
es départements au regard de leurs charges est néanmoins partagée. J’ai
donc souhaité qu’un groupe de travail interministériel examine les voies et
moyens d’un renforcement de la résilience du modèle financier
départemental ainsi que les évolutions possibles de ressources. Ce groupe
de travail a été installé avec l’Assemblée des
départements de France en
décembre dernier. Je souhaite pouvoir m’appuyer sur ses conclusions.
2- Le renforcement de la contractualisation
En matière d’insertion et de financement
du RSA en particulier,
vous pointez à juste titre les limites de l’organisation actuelle dans laquelle
la multiplicité des acteurs pèse sur l’efficacité des dispositifs d’insertion.
Olivier Dussopt, ministre du Travail, du Plein emploi et de l’Insertion a
confié à Thibaut Guilluy une mission de concertation et de préfiguration
relative à France Travail, réforme dont la philosophie me semble répondre
aux préoccupations de la Cour notamment d’une orientation plus rapide
et d’un accompagnement plus intensif e
t conduite en pleine coordination
avec la préparation du pacte des solidarités.
Ce p
acte, dont j’ai annoncé le projet le 3 novembre dernier, sera
articulé autour de quatre priorités, et aura vocation à être décliné localement
sous forme d’une contractuali
sation rénovée avec les collectivités
territoriales et notamment les conseils départementaux, mais aussi avec les
organismes de sécurité sociale et autres parties prenantes des politiques de
solidarité
–
tous acteurs étroitement associés, ainsi que l’ensem
ble des
ministères concernés, à la concertation actuellement en cours.
En matière de rationalisation des schémas d’organisation et de
contractualisation (Rationaliser les différents outils de programmation
autour de quatre schémas départementaux plus prescriptifs (protection de
l’enfance et PMI
; lutte contre la pauvreté et inclusion ; autonomie ;
handicap), adoptés conjointement par les présidents des conseils
départementaux et par les représentants de l’État, et associant les
principaux partenaires à leur élaboration et à leur suivi, sous la
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
317
responsabilité des départements), je partage les remarques de la Cour
quant à la nécessité d’améliorer les modalités de gouvernance locale et la
cohérence entre les schémas et les contractualisations.
La démarche de c
ontractualisation des relations entre l’État et les
collectivités territoriales me semble une voie adaptée pour structurer le
dialogue État-collectivités territoriales dans le champ des politiques
sociales décentralisées. Elle a ainsi permis de développer les coopérations
entre l’État et les départements en favorisant le décloisonnement des
acteurs institutionnels et en adaptant chacune aux spécificités locales.
Sur
le
fond,
il
ressort
de
l’analyse de
l’exécution
des
contractualisations que, pour la majorité des départements, elles ont
permis de lancer des travaux utiles et propres à conforter l’action publique
collective, ou bien de développer une telle action grâce aux moyens
supplémentaires accordés. À titre d’exemple, le rapport IGAS de juillet
2021 sur les CALPAE met en avant le fait que 48 % des actions portées la
première année dans les CALPAE relevaient d’actions nouvelles, 36
%
d’actions renforcées, et 10
%
d’actions valorisées
Dans les champs de la lutte contre la pauvreté et de l’insertion, ainsi
que dans le champ de l’enfance, la conjonction des travaux sur le
pacte
des solidarité (et ses déclinaisons territoriales), sur la création de France
Travail, ainsi que la réflexion en cours quant aux suites de la
contractualisation en prévention et protec
tion de l’enfance sont l’occasion
de mieux penser cette articulation entre contractualisations et schémas
territoriaux, en vue d’assurer la lisibilité et la bonne articulation de ces
exercices. Les nouvelles modalités de contractualisation devront être
définies en conséquence, et en cohérence avec le chantier de mise en place
de France Travail. Elles tireront les leçons des précédents exercices dans
un souci de simplification administrative, selon des modalités à définir,
notamment dans le cadre des concertations menées sur chacun de ces
nouveaux objets de politiques publiques, en bonne intelligence et en accord
avec les ministres concernés. Par ailleurs, les possibles recouvrements
entre les périmètres couverts par les schémas que vous proposez (ainsi, par
exemple, entre la question de l’enfance et celle du handicap) me
sembleraient, s’ils devaient être retenus, réclamer que des dispositions
soient prises en vue d’assurer la continuité de la prise en charge de publics
parfois simultanément concernés par plusieurs de ces politiques.
Par ailleurs, je prends note de la proposition de la Cour de rendre
les schémas d’organisation sociale et médico
-sociale plus prescriptifs et
de mieux articuler les exercices de programmation des agences régionales
de santé et des conseils départementaux sur leurs champs de compétence
conjointe. Plus largement, l’amélioration de la structuration de la
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COUR DES COMPTES
318
gouvernance départementale est nécessaire, afin d’assurer la cohérence
entre les actions menées et les financements mobilisés dans les territoires
et vis-à-vis des schémas départementaux.
3-
L’amélioration de l’interopérabilité des systèmes d’information
En matière de systèmes d’informations et de données (définir des
référentiels nationaux relatifs aux données pour les principaux dispositifs
d’aide sociale, opposables aux éditeurs, en vue de rendre les systèmes
d’information des départements compatibles entre eux et améliorer
l’interopérabilité des outils), je partage les constats de la Cour concernant
les systèmes d’information des con
seils départementaux :
l’absence de
référentiels partagés, la diversité des outils, les initiatives de l’État
-par
politique sociale- en contradiction avec la gestion intégrée du parc
applicatif par les conseils départementaux, etc. sont autant de freins au
pilotage des politiques publiques, à la fluidification des parcours des
personnes concernées et à la production statistique nationale.
La Cour met en particulier en lumière l’action de la CNSA, qui permet
dans le champ de l’autonomie de lever en partie l
es difficultés mentionnées
ci-
dessus, et recommande qu’une action de même nature soit menée dans les
champs de la protection de l’enfance (par le GIP Enfance protégée) et de
l’insertion (par la DIPLP et la DGCS). Si les objectifs de faire émerger des
référ
entiels nationaux s’imposant aux acteurs, d’organiser les conditions de
circulation des données favorisant les parcours fluides et adaptés, et
d’harmonisation de la production de données à de fins de pilotage ou
statistiques sont bien partagés par la DGCS, en méthode le champ des
solutions est plus large que celui proposé par la seule CNSA.
-
La méthode la plus souple pour les acteurs est celle déployée depuis
deux ans dans le champ de l’insertion, autour de start
-
ups d’État
proposant des services applicatifs aux conseils départementaux
volontaires, développés à leur contact. Ces start-
ups d’État sont
désormais hébergées dans le nouveau GIP Plateforme de l’inclusion
(constitué par la DGEFP et Pôle emploi). La principale limite à cette
approche est qu’elle ne met pas en mouvement l’ensemble des
conseils
départementaux autour des objectifs rappelés par la Cour.
-
À l’opposé, la méthode de la CNSA, avec le SI MDPH d’une part et le
futur SI APA unique d’autre part, est la plus ambitieuse. Le premier
repose sur la lab
ellisation des systèmes d’information conformes à des
exigences fonctionnelles attendues par la Caisse nationale de
solidarité pour l’autonomie. Cette stratégie d’harmonisation a
fortement contribué à l’harmonisation des pratiques professionnelles,
l’autom
atisation des échanges avec les partenaires des MDPH ainsi
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
319
qu’à la mise à disposition et à la fiabilisation d’indicateurs de
pilotage. Le SI-
APA plus récemment inscrit dans le code de l’action
sociale des familles a pour objectif le développement d’un syst
ème
d’information unique sur tous les territoires. Cette démarche garantit
encore davantage la production d’information standardisée, l’équité
de traitement, l’universalité des droits, l’adaptation rapide aux
évolutions règlementaires ainsi qu’une remontée
nationale des
données à des fins de pilotage statistique. La CNSA dispose dans le
champ des politiques de l’autonomie de moyens dédiés et d’une
légitimité (5
e
branche, présence des conseils départementaux à son
conseil d’administration) qui ne trouvent pas d’équivalent dans les
entités susceptibles de jouer le même rôle en matière de protection de
l’enfance ou d’insertion.
-
Entre ces deux pôles, l’intervention de l’
agence du numérique en santé
(ANS) et de la Délégation ministérielle au Numérique en Santé (DNS)
dans le champ médico-social présente une alternative intermédiaire :
sa méthode s’attache à co
-construire avec les parties prenantes des
référentiels partagés, des protocoles d’échange de données qui
deviennent progressivement obligatoires, via le financement direct
aux éditeurs des évolutions requises des logiciels spécialisés
(programme SONS) et
le déploiement d’un dossier usager informatisé
dans les ESMS à travers le programme ESMS numérique.
RÉPONSE DU
PRÉSIDENT DE L’ASSEM
BLÉE
DES DÉPARTEMENTS DE FRANCE (ADF)
Vous avez bien voulu me transmettre, pour éléments de réponse, le
« chapitre relatif aux politiques sociales décentralisées » du rapport de la
Cour des comptes, chambres régionales & territoriales des comptes, et je
vous remercie de cette communication.
Vous trouverez, ci-après, les observations que ce document appelle
de ma part.
La question centrale de savoir « si la décentralisation des politiques
sociales a tenu ses promesses, si elle a permis d'atteindre les objectifs
assignés aux politiques publiques confiées aux acteurs locaux, en
proposant un service de qualité aux administrés, à un coût supportable
pour les finances publiques » est essentielle pour les départements, eu
égard à leur responsabilité éminente en ces domaines.
Cette double préoccupation de la qualité de service au bénéfice de
nos administrés, et de maîtrise de nos budgets, est partagée par nos
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exécutifs et nos services départementaux. Les débats en commissions
permanentes et sessions de l'ensemble des conseils départementaux
illustrent, s'il fallait en apporter la preuve, l'attention portée à ces
préoccupations. Dans cet exercice nécessaire alliant la qualité de service
à une maîtrise budgétaire rigoureuse, les départements ont démontré leur
savoir-faire malgré les nombreuses contraintes auxquelles ils sont
confrontés et pour les lesquelles ils attendent des réponses. L'architecture
actuelle des politiques sociales décentralisées est, d'une part, « d'une
grande complexité, fruit de 40 années de décentralisation » pour
l'ensemble du champ de ces politiques en termes de responsabilité, de
fonctions dévolues à chacun des acteurs, de programmation des actions,
d'accueil de public, de financement ou de contrôle.
Cette
« complexité »
est
d'abord
subie
par
les
conseils
départementaux qui doivent s'adapter sans cesse à de nombreuses
réformes législatives et règlementaires ou préconisations nouvelles
déniant, par le fait, leurs prérogatives en matière d'action sociale alors
qu'ils démontrent au quotidien leur capacité à agir.
Un véritable transfert de compétences, de responsabilités, de
pouvoir normatif, aux départements sur les champs des politiques sociales
serait de nature à conforter l'efficience des politiques en la matière.
D'autre part, à de nombreuses reprises, les départements de France
ont rappelé que le point de vue des départements est insuffisamment entendu,
voire sollicité, en amont des grandes décisions qui les impliquent
directement, tant sur le plan financier que d'un point de vue organisationnel.
Madame la Première ministre l'a d'ailleurs implicitement reconnu
lors d'échanges récents avec le président de Départements de France, et
s'est engagée à y remédier.
Les départements y seront particulièrement attentifs. En effet, cela
n'a malheureusement pas été le cas jusqu'alors, comme l'illustre la
décision du gouvernement, sans aucune concertation préalable, de
revaloriser le RSA à hauteur de 4 %, dans un contexte de finances
départementales déjà largement impactées par les trois allocations
individuelles de solidarité (RSA, APA et PCH).
Sur ce point le rapport de la Cour mentionne que les « départements
doivent être mieux associés aux décisions de ['État et disposer d'une autorité
suffisante pour exercer efficacement /e rôle de coordination que leur confie
/la loi au niveau local ». Il serait plus prometteur d'indiquer que les
orientions nationales en matière sociale fassent réellement l'objet d'une co-
construction basée aux niveaux national et local sur des constats partagés,
des orientations à construire en commun.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
321
C'est dans ce contexte que les orientions et leurs déclinaisons en
matière de politiques sociales pourraient être réellement concertées entre
Départements de France et les ministères concernés afin d'en apprécier en
commun et en amont, la pertinence, la faisabilité technique et
organisationnelle et le soutenabilité financière et de répondre aux questions
récurrentes de l'État mettant en cause les département sur des « disparités »
constatées, ou un suivi insuffisant des politiques départementales. Ce point
mérite d'ailleurs d'être rectifié car il est inexact et laisserait croire que le
pilotage des politiques sociales, qui représentent près de 70 % du budget de
fonctionnement des départements, ne serait pas assuré alors qu'il engage
directement la responsabilité des président(e)s des départements et, que par
ailleurs, de nombreuses données sont remontées aux organismes référents
(DGCL, DREES, ou dans le cadre des appels à projets programmes
nationaux et communautaires, données internes...).
En revanche, alors que l'efficience de certaines politiques sociales
départementales est directement questionnée, concernant notamment la
protection de l'enfance, il n'est jamais question des manquements et des
choix de l'État en la matière.
Pour illustration, les déficits récurrents de places dans les
structures relevant de la protection judiciaire de la jeunesse ou pour des
enfants atteints des troubles psychiatriques et le déficit de pédopsychiatres
compromettent directement la qualité de prise en charge de la protection
des enfants dans les foyers de l'enfance.
De même la pertinence, la faisabilité et les conséquences de certaines
réformes sont minorées ou méconnues de ceux qui les produisent. Pour
simple illustration, la mesure à venir permettant l'attribution de deux heures
de vie sociale adossée à l'APA, rendrait nécessaire, pour un département de
270 000 habitants avec 6 900 bénéficiaires sollicitant 2 h / semaine, un
recrutement de 446 ETP en plus alors que les services éprouvent déjà une
grande difficulté à recruter. De même, les impacts sur les départements de
la réforme annoncée dite de la prestation à la source, de celle de l'accès au
droit envisagée concernant le RSA pour réduire le non-recours, ou encore
de la dernière réforme chômage semblent tout simplement méconnus ou non
communiqués alors qu'ils seront particulièrement significatifs.
Cette transparence est pourtant nécessaire pour garantir un dialogue
constructif entre l
’État et les
départements sur la soutenabilité financière des
mesures, de même que l'arrêt des injonctions paradoxales à l'égard des
départements. Dans un communiqué de presse en date du 22 juillet,
Départements de France a rappelé qu’il apparaît paradoxal pour les
responsables des comptes publics de vouloir réduire les dépenses des
collectivités locales alors que, dans le même temps, le Gouvernement
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s'emploie à augmenter les dépenses via des décisions qui s'imposent aux
départements et aux collectivités territoriales à compétence départementale.
En préconisation, le rapport propose de réformer le dispositif de
financement des allocations individuelles de solidarité en instaurant une
dotation de solidarité qui représenterait 60 à 70 % ; complétée par un
dispositif « incitatif » sur la base d'indicateurs de performance, et d'un
solde à la charge des départements.
Sur ce point les départements de France ne peuvent que rappeler
leur attachement aux principes de compensation des charges transférées
et de libre administration. Ils demandent une compensation intégrale des
AIS, non assortie d'objectifs.
Les départements souhaitent que la mise en place récente du
« comité des financeurs » dans le champ médico-social, sous l'autorité du
ministre en charge des politiques de solidarité, permette une mise en
cohérence des dépenses et des recettes des départements afin qu'ils
puissent porter, au plus près des français, les politiques sociales décidées
par la représentation nationale.
Enfin, sur les attendus en termes de concertation, les départements
de France observent que, depuis quelques mois, des temps de concertation
sont désormais proposés par l'État sur les différents projets de réformes,
France Travail, conseil national de la refondation (CNR), santé, « bien
vieillir petite enfance, pacte des solidarités... Cette nouvelle méthode,
bien que constituant au premier abord une avancée pour les départements,
supposerait d'être améliorée sur le fond et sur la forme pour être
pleinement efficiente et emporter l'adhésion des départements :
-
la concomitance des concertations sur l'ensemble des champs des
politiques sociales rend impossible le suivi de ces chantiers
simultanément ;
-
les délais imposés pour certaines « concertations » parfois de
quelques jours et sans documents préalables, sont incompatibles avec
les délais nécessaires à la mobilisation des parties prenantes et à la
mise en œuvre de nos propres consultations internes
;
-
le format des consultations associant simultanément financeurs et non
financeurs n'est pas adapté au regard des intérêts et contraintes de
chacun.
La mise en place d'une véritable concertation associée à des
compensations financières adaptées serait pourtant de nature à garantir la
mise en œuvre d'une politique sociale efficiente au plus près des territoires.
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RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL
DE L
’
HÉRAULT
J'ai reçu le 7 novembre 2022 le chapitre relatif au pilotage et au
financement des politiques sociales décentralisées, que vous m'avez adressé,
destiné à figurer dans le rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes.
Ce chapitre est consécutif au rapport provisoire que votre Cour m'a
adressé le 15 juillet, auquel j'ai répondu par courrier daté du 2 septembre ;
ce rapport étant rédigé sur la base de l'étude menée par vos services auprès
de cinq collectivités, dont le département de l'Hérault, au printemps 2022.
Je vous prie de trouver, ci-après, les observations que je souhaite
formuler sur ce chapitre final, en reprenant la structuration globale de
votre document.
1 - Observations relatives à la partie consacrée au constat
d'une décentralisation inaboutie
L'analyse globale, telle qu'elle est construite, sur la base du rappel
des responsabilités respectives acteurs et des constats réalisés, correspond
à la vision du département de l'Hérault.
Ainsi, comme je l'ai exprimé dans mon courrier du 2 septembre, je
partage le constat d'une répartition de compétences complexe dans un
contexte marqué par la multiplicité d'acteurs, que le rapport décrit comme
un « enchevêtrement d'interventions rendant difficile le respect des
principes de responsabilité et de transparence, notamment pour le
département, chef de file de l'action sociale ». Ceci, même si le
département de l'Hérault s'attache à jouer un rôle de coordinateur et
« d'ensemblier » avec ses partenaires, en faveur d'une plus grande
cohérence et complémentarité d'action.
Vous mentionnez également que les articulations entre les niveaux
national et local sont insuffisantes. À cet égard, j'avais relevé dans votre
rapport provisoire une proposition de création « d'instances de
concertation plus formelles, représentant les différents niveaux de
collectivités territoriales », que je n'ai pas retrouvée ici.
Cette suggestion m'avait paru pertinente et devrait pouvoir être
approfondie pour que le dialogue entre l'État et les collectivités ne repose
pas uniquement sur les associations représentant leurs différents niveaux,
notamment l'Association des départements de France (ADF).
Même si je fais le constat récent d'un renforcement utile du dialogue
ministériel avec l'ADF et de celle-ci avec les départements, pour une
meilleure prise en compte de leur vision et expérience opérationnelle, une
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instance plus officielle de dialogue entre l'État et les collectivités sur les
objectifs, les résultats visés, les moyens et les modalités des politiques de
solidarité décentralisées devrait être envisagée.
Je partage également les observations formulées sur l'intérêt des
démarches de contractualisation mais aux conditions qui sont précisées :
lisibilité pluri-annuelle des engagements de l'État, indicateurs pertinents
et opérationnels et pilotage partagé de manière constructive et co-
construction avec les départements de manière réaliste.
Je partage également les constats et les propositions relatives au
rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA), en
relevant que depuis la rédaction de votre document, qui fait le constat
d'absence de réseau territorial, relais de cette instance, il est annoncé que
les directions départementales des agences régionales de santé (DD-ARS)
auraient vocation à constituer ce réseau de la « 5
e
branche ».
Cette perspective ne pourra s'envisager que dans l'hypothèse où les
moyens permettent à ces administrations de déployer les missions qui leur
seront confiées dans ce cadre et assurent pour cela le niveau de dialogue
nécessaire. Ce qui dans l'Hérault me parait manquer. Et que ce dialogue
relève bien d'une logique de co-construction.
Je rejoins également vos constats et propositions sur le besoin de
renforcement du pilotage, face à la faiblesse de la notion de chef de file.
De la même manière, votre préconisation de mise en cohérence des
documents de cadrage programmatiques autour d'objectifs communs et de
moyens mobilisés par les différents acteurs, services de l'État, collectivités,
opérateurs, dans le cadre d'une programmation quinquennale, me parait
pertinente. Ceci, à condition qu'une fois les constats et les objectifs posés
en commun, les orientations ainsi élaborées soient pleinement partagées
et suivies, y compris au niveau national.
L'exemple du projet régional de santé (PRS), construit autour d'un
diagnostic partagé, qui pointe notamment le besoin en matière de
pédo- psychiatrie en Occitanie mais qui ne donne lieu à aucune mesure
corrective
dans
le
cadre
du
Programme
interdépartemental
d'accompagnement des handicaps et de la perte d'autonomie (PRIAC),
faute de crédits et peut-être de volonté nationale, rend prudent.
En outre, au plan formel, s'il est tenu compte de la logique de
convergence portée par la CNSA entre les champs handicap et personnes
âgées dépendantes, cette proposition de structuration des orientations autour
de contrats communs devrait être structurée autour de 3 thèmes et non de 4 :
prévention et protection de l'enfance, insertion (sociale et professionnelle) et
autonomie (regroupant les volets handicap et dépendance).
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
325
Je rejoins également votre rapport sur les constats et les besoins
relatifs aux outils numériques, particulièrement dans les champs de
l'autonomie et de l'enfance.
Cependant, sans remettre en cause l'objectif, je relativise
l'appréciation sur la méthode employée par la CNSA pour parvenir à la
constitution d'outils communs, au regard de difficultés rencontrées, qui
impactent les services au plan opérationnel.
2 - Observations portant sur la prise en charge des publics
au regard des disparités de qualité de service
L'analyse globale que vous développez dans cette partie permet de
mettre en perspective la qualité de service apporté et ses insuffisances,
selon un prisme global.
Néanmoins, je souhaite préciser que le département de l'Hérault ne
se reconnait pas dans certains des constats, notamment sur l'insuffisance
dans le respect des délais prescrits d'instruction-évaluation des situations
et d'ouverture de droits : c'est le cas particulièrement pour le revenu de
solidarité active (RSA), pour lequel la mise en place d'une plateforme
d'orientation avec la caisse d'allocations familiales (CAF), autorise une
ouverture de droits dans un délai de 3 semaines et n'a jamais atteint celui
de 5 mois évoqué dans le rapport.
Et je précise que le schéma en première partie décrivant les
processus relatifs au dispos
itif RSA, ne reflète pas celui mis en œuvre dans
l'Hérault, ni les modalités d'information et d'association du demandeur de
RSA à son propre parcours.
De même, le chiffre avancé de 76 % de contrats d'engagements
réciproques (CER) « ne contenant aucune action orientée à la préparation
à la recherche d'emploi » ne correspond pas à la réalité de l'Hérault où
plus de 60 % des CER comportent une mesure d'insertion professionnelle.
Et 85 % des allocataires sont en parcours d'insertion.
Dans la rubrique consacrée au non-recours, il est mentionné que
l'évolution territoriale des implantations des CAF, au regard de la
réduction des accueils physiques, « nécessite une coordination plus étroite
avec les collectivités ».
Je souhaite souligner que cette orientation de la CNAF de
« recentrage » de ses services de proximité s'est partout traduite par un effet
report des publics les plus en difficulté vers ceux des collectivités,
particulièrement sur les services départementaux. Le réseau France service,
qui assure une réponse de premier niveau n'est pas en mesure d'apporter
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celles spécifiques et l'accompagnement nécessaires aux demandes précises
sur leur situation des publics ainsi éloignés des services des CAF.
En termes d'accessibilité aux services, l'évolution relative au
schémas départementaux d'accessibilité des services au public (SDAASP),
introduite par la loi du 21 février 2022 relative à la différentiation, à la
décentralisation, à la déconcentration et à la simplification de l'action
publique locale (dite 3DS), ne s'inscrit pas dans l'objectif mentionné dans
votre rapport d'animation conjointe par l'État et le département.
3 - Observations relatives à une éventuelle réforme du financement
des dépenses de solidarité incombant aux départements
Je ne peux que partager l'analyse étayée de votre rapport sur
l'évolution des allocations individuelles de solidarité (AIS) et de
l'accroissement continu du reste à charge pour les départements. Elle
constitue sur ce point, la reconnaissance objective de la réalité d'une charge
croissante, que les départements ne pourront pas financer à long terme.
Ainsi que je l'avais relevé le 2 septembre, je note avec intérêt votre
proposition de réforme du financement soutenable à long terme des AIS,
structuré
autour
de
trois
composantes :
dotation ;
financement
contractualisé autour d'objectifs ; part résiduelle, reposant sur les
ressources propres du département.
Elle permettrait, a priori, de sécuriser le financement de la part
majoritaire d'allocations dont les départements ne sont pas maîtres et de
compléter les financements sur la base d'orientations prioritaires, définies
par déclinaison du cadre national coconstruit.
J'y suis favorable mais préconiserais que les proportions soient
ainsi établies : 70 % de dotations, 20 % de financements contractualisés et
10 % sur les ressources propres.
En effet, les dépenses de solidarités départementales concernent
également le champ de l'enfance, dont le niveau de dépenses s'est également
très significativement renforcé, en raison de l'augmentation globale du
nombre de mineurs pris en charge, notamment ceux non accompagnés, de la
complexité croissante des situations relevant de l'aide sociale à l'enfance et
du renforcement des attendus légaux et réglementaires.
Or, si la contractualisation autour d'une stratégie nationale de
prévention et de protection de l'enfance permet d'accompagner
financièrement le renforcement d'objectifs, l'essentiel de l'augmentation
des dépenses repose sur les budgets départementaux. Aussi, la proposition
formulée de structuration du financement ne concernant que les AIS, il faut
que les proportions tiennent compte de cette autre priorité budgétaire.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
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327
Enfin, je note que la proposition d'une révision régulière que j'avais
formulée a été retenue mais selon une régularité de 3 à 5 ans. Je l'avais
proposée annuelle et maintiens ma préconisation ;
a minima
que
l'ajustement soit à mi-temps de la période considérée, au regard des
objectifs programmatiques évoqués plus haut en termes de pilotage, en
fonction de l'évolution des dispositifs, de la démographie et des mesures
nouvelles décidées au plan national, dans un cadre concerté.
En conclusion générale, je tiens à souligner la qualité du travail
d'analyse réalisé par votre Cour et surtout la pertinence du contenu en
termes de propositions et de perspectives, dans lesquelles s'inscrit le
département de l'Hérault, que je représente.
Au-delà des points spécifiques que ce courrier commente, vos
propositions me paraissent présenter des pistes d'évolutions intéressantes
et fondées, dont l'Exécutif gouvernemental devrait s'inspirer pour faire
évoluer utilement le cadre des politiques de solidarité décentralisées.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL
DE LA SOMME
Le périmètre retenu par l'enquête concerne l'ensemble des dispositifs
sociaux non assurantiels, non contributifs, et globalement hors logement.
Suite à cette enquête, la Formation Interjuridictions sur le pilotage et
le financement des politiques sociales décentralisées, présidée par Monsieur
Arnaud Oseredczuk, a établi le rapport d'observations provisoires (ROP),
transmises au département en date du 15 juillet 2022. Une réponse à ce ROP
a été transmise au Président Oseredczuk le 2 septembre 2022.
Le chapitre issu de ce rapport d'observation provisoire a été
transmis le 7 novembre dernier.
Le département de la Somme souhaite apporter des précisions aux
3 recommandations formulées.
1.
Projet de recommandation n° 1: réformer le dispositif de financement
des allocations individuelles de solidarité en instaurant une dotation
d'action sociale répartie en fonction des dépenses constatées,
d'objectifs contractuels et d'une cible de dépense restant à la charge
des départements sur les autres ressources (ministère des solidarités,
de l'autonomie et des personnes handicapées, ministère du travail, du
plein emploi et de l'insertion, ministère chargé des comptes publics,
ministère chargé des collectivités territoriales).
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Le département réaffirme qu'il n'opterait pas pour la solution de la
dotation, préférant un transfert de fiscalité adapté à la nature des charges.
Plus globalement, le département précise que l'autonomie
financière des collectivités territoriales se compose de manière
indissociable de l'autonomie de gestion, en dépenses, et de l'autonomie
fiscale avec pouvoir de taux, en recettes. En matière de finances
territoriales, la fiscalité locale doit être le principe, alors que la dotation
doit être l'exception, notamment pour assurer les fonctions de péréquation.
Par ailleurs le département confirme son souhait de voir ce
dispositif reposer sur le financement des restes à charge en intégrant une
péréquation en fonction du niveau de leurs ressources.
Enfin, le département réaffirme son interrogation sur la maîtrise du
dispositif et des financements si des modifications sont de portées
nationales. La question se pose ainsi d'un possible droit à compensation
par
l’
État d'éventuelles réformes qu'il décide de manière unilatérale,
réformes susceptibles de renchérir le coût des AIS. II semble plus équitable
que les collectivités supportent les variations qu'elles décident ou qui
relèvent de l'action de leur politique publique (évolution du nombre
d'allocataires du RSA par exemple) et que l'État supporter de son côté, les
variations qu'il impose aux collectivités comme, à titre d'exemple, la
revalorisation du montant de l'allocation du RSA.
2.
Projet de recommandation n° 2 : rationaliser les différents outils de
programmation autour de quatre schémas départementaux plus
prescriptifs (protection de l'enfance et PMI ; lutte contre la pauvreté
et inclusion : autonomie ; handicap), adoptés conjointement par les
présidents des conseils départementaux et par les représentants de
l'État, et associant les principaux partenaires à leur élaboration et à
leur suivi, sous la responsabilité des départements (ministère des
solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, ministère de
la santé et de la prévention, départements).
La Cour pourrait recommander d'aller plus loin dans la
rationalisation des outils de programmation En effet, le maintien de
quatre schémas sectoriels ne répond pas suffisamment à la logique de
décloisonnement des politiques des solidarités qui permet de favoriser le
parcours des personnes.
Ainsi, le département de la Somme a fait le choix d'élaborer, pour
la période 2023-2027, un schéma unique des Solidarités couvrant
l'ensemble de ses politiques sociales (accès aux droits, lutte contre les
précarités, insertion sociale et professionnelle, prévention et protection de
I' enfance et de la famille, autonomie des personnes âgées et en situation
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
329
de handicap) Ainsi, le département favorise, avec ses partenaires, une
approche globale de la situation de chaque personne, appréhendée comme
un citoyen à part entière, et une réponse décloisonnée et individualisée à
ses besoins. En adoptant cette approche, le département entend conforter
son rôle de chef de file en matière de solidarités.
Au-delà de la question des schémas, la Cour fait le constat que la
construction segmentée des secteurs sanitaire, social et médico-social fait
souvent obstacle à l'accompagnement global des personnes et de leurs
aidants dans leurs parcours (...). À cet égard, le département de la Somme
ne peut que confirmer ce constat et plaider, une nouvelle fois, pour un
nouvel acte de décentralisation permettant de mettre en cohérence les
politiques des solidarités, redonnant véritable un pouvoir d'agir aux
institutions auxquelles elles sont confiées.
En particulier, dans le domaine du handicap, deux incohérences
majeures entravent la capacité des acteurs publics agir efficacement :
-
le département a la responsabilité des mineurs confiés à l'aide sociale
à l'enfance, mais n'a aucune compétence en matière de prise en charge
des enfants en situation de handicap, alors même que le quart des
enfants confiés sont en situation de handicap ;
-
le département a la compétence de la prise en charge partielle des
adultes en situation de handicap mais donc pas des enfants, générant
un risque de ruptures de parcours des jeunes au moment du passage
à l'âge adulte.
Dans le domaine de l'insertion, comme maintes fois souligné, le
département paie la totalité de l'allocation RSA mais n'est compétent que
pour accompagner les publics les plus éloignés de
l’
emploi. Les
bénéficiaires les plus proches de l'emploi sont confiés à Pôle emploi, qui
n'a aucun intérêt immédiat à privilégier ces publics dans son approche, ni
aucune obligation de résultat.
De plus, dans un contexte de tension des finances publiques,
l'existence
d'une
double
tarification
de
certains
établissements
médico- sociaux comme les EHPADs ou les foyers d'accueil médicalisés
génère des surcoûts administratifs qu'il devient difficile de justifier.
La tutelle conjointe peut en outre représenter un frein à la réactivité
et à l'efficacité du département et de l'ARS en cas d'événements
indésirables graves touchant ces établissements, avec les conséquences
médiatiques désastreuses que cela peut faire peser sur un secteur entier,
déjà confronté à une image dégradée.
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330
Dans tous ces domaines, le département ne peut que regretter que
l’ensemble des réformes en c
ours, que ce soit dans le cadre de la
préfiguration de France Travail ou des futurs services publics territoriaux
de l'autonomie, ne soient pas à la hauteur des enjeux, en se bornant à
proposer de nouveaux dispositifs de coordination plutôt que d'ambitieuses
réformes structurelles améliorant l'efficience de ces politiques.
3.
Projet de recommandation n° 3 : définir des référentiels nationaux
relatifs aux données pour les principaux dispositifs d'aide sociale,
opposables aux éditeurs, en vue de rendre les systèmes d'information
des
départements
compatibles
entre
eux
et
d'améliorer
l'interopérabilité des outils (ministère des solidarités, de l'autonomie
et des personnes handicapées, départements, CNSA).
Le département partage cette analyse, il s'agit d'un sujet majeur. Le
besoin porte d'abord sur un « choc sur le numérique En effet, il est
paradoxal de devoir de plus en plus rendre compte finement des actions
réalisées, ce qui est tout à fait légitime, mais sans disposer des outils qui
permettent une remontée des données simple et fiable. Le caractère
extrêmement complexe et chronophage des remontées de données sur la
stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté en est un
exemple criant. Le sujet devient d'autant plus impérieux que la logique de
résultat s'impose dans certaines relations des collectivités territoriales
avec l'État, notamment dans le cadre des contractualisations pauvreté et
enfance Dès lors, l'existence de données fiables et non contestables devient
un enjeu financier.
Par ailleurs, l'interopérabilité est essentielle pour offrir aux usagers
un suivi de leur parcours cohérent et sans rupture dans un environnement
marqué par l'enchevêtrement des compétences. Pour ne donner qu'un seul
exemple, la vérification de l'inscription à Pôle emploi pour les
bénéficiaires du RSA reste extrêmement complexe pour le département,
alors même qu'il paie l'allocation pour 100 % des bénéficiaires.
Enfin, l'existence d'un référentiel opposable permettrait de disposer
de données comparatives de manière plus systématique. Cela constituerait
un précieux outil d'aide à la décision, à l'instar des données consolidées
des MDPH transmises tous les ans par la CNSA grâce à une remontée de
données organisée au niveau national depuis fort longtemps.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
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331
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL
DU VAL-DE-MARNE
Par votre envoi visé en référence, vous m'avez transmis un chapitre
relatif aux politiques sociales décentralisées destiné à figurer dans le
rapport public annuel 2023 de la Cour des comptes.
Conformément à cet envoi, vous trouverez ci-après mes remarques
sur ce rapport provisoire.
Je partage votre lecture d'un rôle peu opérant de chef de file des
politiques sociales confié aux départements par la loi, en raison,
notamment, de la profusion des acteurs locaux et nationaux intervenant de
façon indépendante dans ces domaines.
Le rapport pointe que cet état de fait traduit le caractère inabouti
de la décentralisation mais privilégie la recherche de solutions
pragmatiques sans se prononcer sur un éventuel approfondissement de la
décentralisation ou à l'inverse sur une recentralisation des politiques
sociales le cas échéant.
Les préconisations formulées dans le rapport portent ainsi sur
trois axes l'amélioration du pilotage par des schémas, l'amélioration du
pilotage par les données, le financement des aides individuelles de
solidarité (AIS).
Or, la question fondamentale que posent ce rapport et les questions
qui y sont formulées est celle de l'évolution souhaitée de la
décentralisation, dont les rédacteurs admettent qu'elle est aujourd'hui
perçue comme inaboutie.
En indiquant que l'État accompagne la mise en œuvre de grandes
politiques normatives en tant que garant du principe d'égalité, le rapport
fait peu de cas de la raison d'être, intrinsèque de la décentralisation, qui
était de favoriser l'émergence d'une démocratie locale, soumise au suffrage
des habitants, capable de conduire des actions adaptées aux réalités
territoriales contrastées, selon le principe de subsidiarité.
Certes, l’échelon national est légitime pou
r fixer le cadre général
des grandes politiques publiques sociales de protection de l’enfance, de
l’insertion, de compensation du handicap, de l’accompagnement et la
dépendance... Mais il revient aux élus locaux, en vertu de la
décentralisation, d’adapter les modalités de leur mise en œuvre au niveau
des départements voire même de les compléter.
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332
En ne choisissant pas entre égalité et subsidiarité, le rapport
s'enferme dans des solutions techniques faites d'animations conjointes de
schémas partenariaux, de conférences départementales et de remontées de
statistiques qui ne sont pas à la hauteur des enjeux par ailleurs bien
repérés dans le rapport. L'action réelle des départements en est minimisée,
alors qu'ils concentrent à eux seuls, 40
Md€ de dépenses soci
ales annuelles
et y consacrent 121 000 agents.
L'analyse de la qualité du service rendu par grandes politiques
départementales est trop rapide et semble même à charge. Elle n'envisage
notamment pas ces politiques sous l'angle de leurs résultats et pointe les
difficultés liées aux délais sans tenter d'en expliquer les causes,
Je souhaite rappeler et saluer l'engagement sans faille des travailleurs
sociaux et médicosociaux qui exercent leurs missions difficiles, un temps
qualifiées de première ligne, auprès de nos usagers les plus fragiles.
Leurs évaluations et accompagnements reposent sur des pratiques
professionnelles solides et étayées qui sont fort heureusement déconnectées
des logiques de soutenabilité financière qui s'imposent aux départements.
Le travail social n'a rien de mécanique, ses résultats ne sont
ni garantis, ni facilement quantifiables, mais il est fondamental pour
préserver la cohésion de notre société.
Il serait particulièrement regrettable qu'un pilotage des collectivités
territoriales par la donnée instaure un nouveau carcan administratif qui
préexistait à la décentralisation. La tentative de coordination par la CNSA
des systèmes d'information des MDPH ne peut absolument pas être citée
comme exemple, tant elle est menée pour un bénéfice final dont je doute
qu'il sera à la hauteur des moyens humains et financiers consentis dans les
territoires. Le dossier social unique est un projet intéressant à la condition
qu'il se cantonne à des informations essentielles utiles à tous et qu'il soit
conçu en lien étroit avec tous les acteurs selon un calendrier raisonnable.
De la même manière, la définition d'un socle commun d'informations
imposé aux éditeurs de logiciels présenterait de nombreux avantages si elle
faisait l'objet d'une concertation préalable réelle.
La proposition de copilotage, par le préfet, le directeur de l'ARS et
le président du département, des schémas départementaux est enfin
contraire aux principes de la décentralisation et du chef de filât. Ce
copilotage ne rendra d'ailleurs pas ces schémas davantage opérants,
puisque tant le préfet que le directeur de l'ARS ne pourront contraindre les
logiques financières décidées au niveau national.
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LES POLITIQUES SOCIALES DÉCENTRALISÉES : UNE COORDINATION
À CONFORTER, DES FINANCEMENTS À RÉFORMER
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Le rapport met en exergue le caractère insoutenable du financement
des allocations individuelles de solidarité et la nécessaire réforme que cela
impose. Toutefois, les mécanismes proposés, sous la forme d'une dotation
à 2 tiroirs, tant en maintenant un reste à charge des départements de 20 à
30 % de la dépense d'AIS n'est pas satisfaisant.
Le rapport rejoint ici la contradiction non résolue entre égalité et
subsidiarité. Soit l'égalité doit l'emporter, et alors la compensation doit
être intégrale. Soit la subsidiarité est le principe fondateur, et dans ce cas
le copilotage État/département n'a pas de justification.
Par ailleurs, le mécanisme proposé en laissant aux départements un
reste à charge de 20 à 30 % de la dépense d'AIS pour les pousser à
maitriser la dynamique de dépenses, tout en contractualisant 1 00/0 de la
dépense sous conditions d'engagements de performance par les
départements, revient finalement à leur laisser 30 à 40 % de reste à charge
contre 50 % aujourd'hui. Le mécanisme proposé ne me semble donc pas à
la hauteur du défi budgétaire par ailleurs démontré dans le rapport.
Le rapport provisoire a le mérite d'affirmer un grand nombre de
constats faits par les départements depuis plusieurs années. Néanmoins, les
solutions proposées semblent souvent contradictoires avec les principes de la
décentralisation et avec l'ampleur de l’évolution des dépenses d’AIS attendue.
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