AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTRÉE
Lundi 24 janvier
–
15h30
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le président du Sénat,
Mesdames et messieurs les ministres,
Monsieur le Vice-
président du Conseil d’État,
Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles et militaires présentes,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Madame la Procureure générale,
Mesdames et messieurs les présidents de chambre,
Mesdames et messieurs, Mes chers collègues,
Je suis très heureux de vous retrouver aujourd’hui pour cette audience solennelle de
rentrée. La nouvelle vague épidémique qui frappe notre pays nous oblige
malheureusement à nous réunir en format restreint
et je le regrette, tant les audiences
solennelles sont traditionnellement des moments de partage forts et hautement symboliques
pour notre institution, moments dont nous avons dû nous priver depuis maintenant deux ans.
Réjouissons-nous toutefois de pouvoir nous retrouver cette année, fût-ce dans ce format
encore mixte
–
nombre de nos collègues suivent l’audience solennelle sur l’écran de leurs
ordinateurs
–
et espérons que l’année qui s’ouvre soit celle, enfin, du retour à la normale.
Je
veux avoir, en vous accueillant, un mot particulier pour André Chandernagor, le Premier
président qui m’a accueilli comme auditeur dans cette Grand’c
hambre il y a bien longtemps,
et à qui le Président de la République remet ce soir à Aubusson les insignes de Grande
Croix dans l’ordre de la
Légion d’Honneur. J’espère que nous pourrons vite nous retrouver ici
autour de lui pour fêter ses 100 ans. Et nous sommes en ce jour avec lui par la pensée.
Traditionnellement, l’audience solennelle de rentrée est un moment privilégié pour accueillir
de nouveaux collègues :
cette année, du fait des contraintes sanitaires, nous avons choisi
d’installer les nouveaux arrivants en une autre occasion, pour limiter la jauge et le format de
l’audience. Nous les saluons ici avec la procureure générale, et nous l
eur souhaitons la
bienvenue.
Cette audience de rentrée conserve une portée symbolique, puisque nous avons
l’honneur et le plaisir de recevoir de très hautes autorités de l’État, autour de vous,
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Monsieur le Premier ministre, Monsieur le Président du Sénat, et plusieurs membres
du gouvernement
.
Cher Jean Castex, Monsieur le Premier ministre, chacun sait ici que vous êtes un membre
de notre compagnie, et tout le monde connaît votre attachement à la Cour, que vous
montrez à nouveau aujourd’hui. Je vous souh
aite la bienvenue dans cette maison qui est la
vôtre. En entrant ce matin au 13 rue Cambon, vous avez d’ailleurs peut
-être songé à cette
phrase de Francis Scott Fitzgerald :
«
C’est quelque chose de revenir chez soi. C’est le
même cadre, la même odeur, la
seule chose qui ait changé, c’est vous
»
.
Cher Gérard Larcher, monsieur le Président du Sénat, votre présence nous honore au plus
haut point. La Cour aime à se définir comme un tiers de confiance, à équidistance entre
l’exécutif et le législatif, et je veux devant vous rappeler toute l’importance que j’attache à
nos relations avec le Parlement, avec l’Assemblée nationale comme avec la Haute
Assemblée, qui suit l’ensemble des travaux des juridictions financières, ceux de la Cour mais
aussi ceux des chambres régionales et territoriales des comptes.
Je salue, enfin, toutes les personnalités représentant les hautes autorités civiles et militaires,
qui nous font l’amitié d’assister à cette séance solennelle
: elle témoigne de la solidité et
l’étroitesse des l
iens qui sont les nôtres. A tous, je souhaite une excellente année 2022, et
vous dis ma très chaleureuse bienvenue.
***
J’évoquais il y a quelques instants la situation de permanence, presque d’éternité, qui
s’attache à ces lieux comme à nos rites.
Je me permets de nuancer quelque peu le
propos de Francis Scott Fitzgerald. Si on regarde les murs, les plafonds, les tapisseries de la
Grand’chambre, rien ne semble avoir changé, c’est vrai, pourtant la Cour que vous
retrouvez, Monsieur le Premier ministre, n’
est ni tout à fait la même ni tout à fait une autre.
À
l’instar du reste du pays, nous avons en effet été profondément marqués par
l’ampleur et la violence de la pandémie qui s’est propagée à travers le monde et a
bouleversé tant notre organisation que nos habitudes et notre fonctionnement.
Passé
l’effet de sidération, nous nous sommes collectivement employés à trouver des solutions.
C’est cet engagement de toutes et de tous qui nous a permis de bien résister à la crise
et de poursuivre notre activité.
Permettez-
moi de m’en réjouir et d’en être fier. Je veux
d’ailleurs une nouvelle fois remercier l’ensemble des personnels, quel que soit leur métier,
leur grade, leur fonction, pour leur mobilisation sans faille, qui a permis à la Cour de
poursuivre sa mission et de tenir sa place dans le débat public, en dépit de ce contexte si
difficile.
C’est grâce au travail de tous, témoin de notre résilience et de notre capacité
d’adaptation, que nous avons malgré tout réussi à tenir les objectifs très ambitieux
que nous nous étions fixés.
Cette dynamique s’est aussi traduite dans la conception, puis
la mise en œuvre des transformations du plan stratégique «
JF 2025
», que j’ai initié dès le
jour de ma nomination il y a maintenant 19 mois, dont nous voyons déjà les premiers effets
et qu’il faudra poursuivre jusqu’à son terme, 2025. Nous avons trouvé en nous, malgré ce
temps d’épreuve, les ressources d’un élan et d’un renouveau collectif, qui nous a permis de
définir un projet ambitieux, participatif et désormais partagé.
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Transformer les juridictions financières n’est pas pour moi un caprice ou une
formalité, c’est une ardente obligation, qui passe par leur modernisation, afin qu’elles
soient à même de répondre aux nombreux défis à venir.
L’ensemble des initiatives que
nous avons lancées en 2021 visaient ainsi à nous mettre encore davantage en phase avec
notre temps. Je pense notamment au renforcement de nos capacités d’analyse des données
produites par l’administration, à notre réactivité pour analyser les dépenses enga
gées
pendant cette crise sanitaire, à l’approfondissement de nos travaux sur la transition
écologique et au renforcement des liens avec le monde du savoir par
la signature de
conventions avec plusieurs institutions universitaires et scientifiques. Je ne suis bien sûr pas
exhaustif, mais je souhaite vous montrer la force de notre volonté et tout le chemin parcouru
pour renforcer notre institution.
Nous pouvons également nous réjouir d’avoir renforcé le rayonnement européen et
international de la Cour.
Malgré la pandémie, les déplacements et rencontres avec nos
homologues étrangers
–
parfois en visioconférences
–
et notre participation active aux
différents organes internationaux ont été largement salués par nos partenaires, qui y ont vu à
juste titre la vol
onté d’intensifier encore nos relations de coopération.
Ces actions prendront tout leur sens avec le mandat d’auditeur externe de l’ONU, obtenu à
nouveau en novembre dernier, mandat à la fois prestigieux et exigeant, qui va mobiliser des
équipes importan
tes pour 6 ans, ainsi qu’avec la présidence française du Conseil de l’UE,
qui vient tout juste de débuter, et dans le cadre de laquelle nous organiserons une grande
conférence internationale sur le rôle des institutions supérieures de contrôle européennes et
l’avenir de l’Europe.
Au vu de cette activité intense, il n’est finalement pas étonnant que notre maison n’ait
en rien perdu de son attractivité, au contraire.
Non seulement celle-ci ne se dément pas,
mais elle sera même renforcée par les actions de la phase 2 de « JF 2025 », qui traite de
nos ressources, au premier chef humaines. Soyez assuré, Monsieur le Premier ministre, que
la Cour s’adaptera à la réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique voulue
par le Président de la République. Je salue ici la qualité de la relation que nous avons
entretenue sur le sujet avec vous-même et avec votre ministre, Chère Amélie de Montchalin,
merci de la considération que vous accordez à la Cour par votre présence.
Je suis toutefois conscient qu’avec la suppression de l’ENA et la fin du recrutement direct
des auditeurs à la sortie de l’école, cette attractivité ne se postulera pas, elle devra se
construire et se défendre. Eh bien, nous allons nous y employer ! Je reste en effet très
attaché à ce que cette institution soit aussi un corps vivant, rayonnant, qui offre à ses
membres des carrières alternées, intéressantes à l’intérieur de la Cour et riches à l’extérieur
de nos murs, comme beaucoup de ceux qui sont ici aujourd’hui l’illustrent, à votre image,
Madame la Ministre en charge du logement, chère Emmanuelle Wargon !
Là encore, nous avons multiplié les dispositifs ambitieux et innovants, avec le lancement
d’une campagne «
marque employeur » pour nos recrutements futurs
–
levier d’une politique
active et ciblée
–, l’installation prochaine d’un délégué à la mobilité et la promotion de la
diversité et de l’égalité –
valeurs cardinales des juridictions financières figurant au cœur de
« JF2025 » et qui se matérialisent déjà par des conventions avec les « Prépa Talents ».
Je ne suis pas nostalgique
. La réforme de la haute fonction publique nous prive certes du
sang neuf que nous apportait le recrutement d’auditeurs à la sortie de l’ENA, et beaucoup ici
peuvent le regretter, mais elle ouvre de nouvelles oppo
rtunités, celles en particulier d’un
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recrutement mieux maîtrisé et d’une diversification sociale de la haute fonction publique, à
laquelle je suis moi aussi très attaché. C’est dans cet esprit que nous définirons et piloterons
les dispositifs de sélection
et d’intégration qui doivent être mis en place. Afin de respecter au
mieux la philosophie de cette réforme, la politique d’accompagnement des carrières sera elle
aussi rendue plus dynamique, plus ouverte, plus personnalisée.
Si nous nous inscrivons pleinement dans la volonté de moderniser la haute fonction
publique de l’État –
miroir de nos propres actions internes, vous l’avez compris –
je
serai toutefois particulièrement vigilant à ce que l’équité soit assurée dans la mise en
œuvre de la réforme
.
Votre Gouvernement souhaite valoriser et revaloriser la condition des administrateurs de
l’État, c’est un objectif que je partage
: l’État a besoin de serviteurs motivés et considérés.
Mais il a tout autant besoin de magistrats financiers respectés et impliqués. Ils ne demandent
aucun traitement de faveur, mais ils ne souhaitent pas non plus être délaissés.
À
ce titre, nous sommes très heureux qu’un travail soit conduit, en lien avec vos services, sur
la mise en cohérence nécessaire du volet indiciaire et indemnitaire en comparaison avec
d’autres corps de statut comparable, je pense notamment aux administrateurs de l’État. La
présence aujourd’hui, auprès de vous, de vos deux ministres en charge de la fonction
publique et des comptes publics témoigne aussi de votre volonté de faire aboutir
positivement ces chantiers.
Ainsi, les juridictions financières innovent et se transforment en permanence.
Les
orientations stratégiques prises depuis ma nomination nous permettent, je le crois, d’être
parfaitement armés pour
faire entendre notre voix dans le débat public, au cours d’une
année 2022 qui s’annonce particulièrement chargée, avec des échéances démocratiques
déterminantes pour la Nation.
***
Trois chantiers majeurs appellent à mon sens notre attention en cette nouvelle année.
Ils sont autant de signaux de notre volonté de consolider et d’approfondir encore les
transformations entreprises pour façonner des juridictions financières à même de répondre
aux nouveaux besoins de l’action publique et des citoyens.
Il s’agira d’abord de conforter la place des juridictions financières comme « tiers de
confiance » capables d’apporter aux Françaises et aux Français une information claire
et transparente sur l’ensemble des politiques publiques.
La relation de confiance qui lie les juridictions financières et les citoyens est forte.
Nous jouissons, et nous en sommes fiers, d’un important capital de sympathie et de respect,
que nous devons chaque jour nous employer à mériter par la qualité de nos travaux. Les
Français attendent beaucoup de la Cour des comptes, et à raison, en particulier pour éclairer
leurs choix dans les débats sur les politiques publiques.
Cette confiance repose sur notre capacité à « dire vrai », pour reprendre les mots de Michel
Foucault, à ne rien dissimule
r, ne rien mélanger, ni rien arranger de la vérité. C’est le parler
-
franc, sans crainte de plaire ou de déplaire, qui dérange parfois mais qui sert toujours et qui
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fit dire à Alexandre le Grand, «
Si je n’étais pas Alexandre, je serais Diogène
».
Si je n’é
tais
pas au pouvoir, je serais indépendant du pouvoir.
Afin de toujours mieux identifier et répondre aux attentes des citoyens, de renforcer
nos liens, de nous rapprocher d’eux, nous ouvrirons une plateforme citoyenne
innovante dans les prochaines semaines
. Les Français seront ainsi associés au choix de
certains de nos thèmes de contrôle. Notre volonté est de travailler sur des sujets de
préoccupations concrets, pour être davantage lus, davantage compris, et donc davantage
écoutés.
La crise sanitaire a profondément changé nos vies et bouleversé la conduite de
l’action publique. Dans cette période de mutation, de transformation, les juridictions
financières doivent plus que jamais assumer leur rôle de vigie.
C’est le sens de notre
engagement visant à donne
r à la définition des choix stratégiques d’endettement et de
dépense
–
qui n’est, disons
-
le, que partiellement effective aujourd’hui –
toute leur place dans
le débat public. C’est pour cela que j’ai souhaité renforcer encore davantage nos capacités
d’évalu
ation des politiques publiques.
À horizon 2025, nous y consacrerons ainsi 20 % de nos ressources
–
contre 5 %
aujourd’hui –
notamment avec la possibilité ouverte aux chambres régionales des
comptes d’en réaliser
. C’est là une disposition du projet de loi
3DS, dont j’espère, et je le
dis en ayant la chance de m’adresser à la fois au Président du Sénat et au Premier ministre,
et en votre présence, Monsieur le Ministre en charge des relations avec le Parlement et à la
participation citoyenne, cher Marc Fesneau, avec qui nous entretenons des relations
régulières et fructueuses, qu’il sera définitivement adopté avant la fin de la mandature. Ce
texte
permettra
aussi
d’évaluer
des
projets
d’investissement
exceptionnels,
comme « Marseille en grand », et de garantir un meilleur suivi des recommandations des
chambres régionales des comptes sur les entreprises publiques locales. Je remercie à cette
occasion la Ministre Jacqueline Gourault pour son engagement en faveur de notre
proposition.
Ce chantier est d’autant pl
us important que le débat public est pollué par les fausses
nouvelles et la désinformation.
La crise sanitaire n’a fait qu’accélérer ce processus de
remise en cause permanente du monde du savoir. Dans ce contexte, les juridictions
financières assument de dire la vérité aux citoyens, y compris en mettant sur la table des
sujets qui ne figurent pas toujours à la « Une
» de l’actualité. Nous avons ainsi publié treize
notes structurelles, reconnues, je crois, comme de grande qualité, courtes, pédagogiques
mais précises
–
et qui ont rencontré un écho important. Nous continuerons d’apporter, en
ces temps troublés mais déterminants pour l’avenir de la nation, notre contribution
indépendante et objective au débat public, sous des formats novateurs et encore plus
accessibles à tous.
Deuxième axe : la sortie de la crise nous oblige collectivement à réinventer la
gouvernance de nos finances publiques, dans ce contexte de dégradation forte de nos
comptes publics, et les juridictions financières prendront toute leur part dans ce
projet majeur.
J’ai déjà eu l’occasion d’aborder ce sujet maintes fois.
J’ai dit –
au nom des juridictions
financières
–
notre conviction : la sortie de la crise et du « quoi qu’il en coûte »
- dont je redis
la parfaite légitimité, car il a per
mis de sauver des vies, de soutenir l’économie et de
préserver la cohésion sociale -
doit être l’occasion de réformer profondément la gouvernance
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des finances publiques et de parachever, deux décennies après son adoption, notre «
constitution financière »,
pour disposer d’une véritable maîtrise des finances publiques.
Je me réjouis que la loi organique relative à la modernisation de la gestion des finances
publiques et la loi ordinaire relative au Haut Conseil des finances publiques et à l’information
du Parlement sur les finances publiques poursuivant ces objectifs aient pu être adoptées
dans les derniers jours de 2021. Merci au président de la commission des finances de
l’Assemblée, cher Éric Woerth, et au rapporteur général du budget, cher Laurent Saint
-
Martin, d’avoir initié et porté cette proposition de loi organique jusqu’à son aboutissement.
Merci de votre participation aujourd’hui.
La réforme de la LOLF, vingt ans après son adoption, améliore indéniablement la
gouvernance des finances publiques,
en reprenant notamment des recommandations que
nous avions formulées en novembre 2020. Elles visaient à renforcer la programmation
pluriannuelle et donner les éléments du débat public sur la dette, à assurer la clarté des
choix publics et permettre la compré
hension de l’usage des deniers public.
Pour autant, ces textes ne permettent encore pas de proposer une vision globale des
finances publiques, que ce soit par une discussion générale sur les recettes publiques, ou
par la définition d’une règle consensuell
e de partage des impôts entre administrations
publiques ou la création d’une instance pérenne de concertation.
Ils ne permettent pas non plus d’instaurer des revues de dépenses selon un calendrier défini.
Et vous le savez mieux que personne, seuls un engagement politique fort et des choix clairs
en faveur de la maîtrise de nos finances publiques permettront de leur donner un cadre
efficace et sain de gouvernance. C’est ce que nous appelons de nos vœux.
Autre aspect très important de cette réforme : le Haut Conseil des finances publiques
aura désormais pour mission d'apprécier le réalisme des prévisions de finances
publiques et des lois de programmation sectorielles
alors que, jusqu'à présent, seul celui
des prévisions macroéconomiques lui incombait. C’est
une bonne chose.
Toutefois, je persiste à souhaiter qu’à terme, notre Haut Conseil, pour lequel j’ai un
attachement très particulier, pour l’avoir porté sur les fonts baptismaux en 2012 lorsque
j’étais ministre des Finances, dispose d’un mandat aussi ét
endu que celui de ses
homologues européens, tant en matière d’évaluation de mesures nouvelles en recettes et en
dépenses, que de soutenabilité de la dette.
Je suis persuadé que le rôle des institutions budgétaires indépendantes sera
essentiel dans l’appl
ication de nouvelles règles européennes de finances publiques,
plus lisibles et favorables à la croissance, qui devront être définies après la crise
Covid
.
La révision de ces règles, je l’espère, avancera de façon décisive pendant la
présidence française d
e l’Union Européenne. A terme, dans ce cadre rénové, nous aurons
besoin d’un Haut Conseil des finances publiques doté de compétences plus larges.
Je poursuivrai donc inlassablement mon travail de conviction pour y parvenir.
Nous le savons tous ici, la sit
uation de nos finances publiques n’est pas uniquement
due à la crise sanitaire, elle est le résultat de plusieurs décennies de déséquilibres.
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Inverser la tendance suppose que de nouveaux outils soient déployés
. C’est ce que
nous avons recommandé dans plusieurs rapports récents, notamment dans celui que vous
avez bien voulu nous commander, Monsieur le Premier ministre, avec le Président de la
République, rapport intitulé «
Une stratégie de finances publiques pour la sortie de crise »
.
Notre recommandation porte sur une stratégie équilibrée reposant sur deux piliers : le
renforcement de la croissance potentielle et la maîtrise des dépenses publiques. Je suis en
effet persuadé, avec la Cour, que nous devons à la fois nous garder de l’austérité, qui
affaiblit
l’É
tat et le service public, comme de la croyance naïve dans la capacité de la
croissance retrouvée à réduire seule les déficits et la dette.
Le Gouvernement que vous dirigez, Monsieur le Premier Ministre, et le Parlement, s’en
sont déjà saisis et nous en sommes très heureux
. Nous resterons naturellement
mobilisés et disponibles dans la suite des débats, sur la gouvernance financière, sur la
soutenabilité de la trajectoire de la dette publique mais aussi sur la stratégie d’un
investissement fécond pour la
croissance potentielle porteur d’avenir, pour l’école, pour la
transition écologique, pour l’industrie et le numérique notamment.
Enfin, et il s’agit d’une transformation essentielle, nous devons mettre en œuvre la
réforme historique de la responsabilité financière des gestionnaires publics que vous
avez souhaitée, Monsieur le Premier ministre, et dont vous avez arbitré les grandes
lignes.
Nous partageons le même constat
: le système actuel de responsabilité financière
était devenu obsolète, il était à bout de souffle
. Nous ne pouvions pas continuer ainsi, le
statu quo
était devenu intenable. Il devenait urgent de s’atteler à sa transformation et je me
réjouis de l’adoption de l’article 168 de la loi de finances pour 2022, qui pose les bases d’un
régime unifié de responsabilité des gestionnaires publics, comptables comme ordonnateurs.
C’était l’un des points structurants de notre plan de transformation «
JF 2025 ».
Le texte d’habilitation dessine un régime répressif, qui met fin à la responsabilité
personnelle et pécuniaire des comptables et redéfinit les infractions actuellement
poursuivies devant la CDBF
. Ainsi, à compter de la date d’entrée en vigueur fixée par
l’ordonnance à venir, le juge financier ne jugera plus les comptes des comptables,
construction intellectuelle dépassée et inadaptée à la réalité, mais bien les auteurs des
fautes financières les plus graves, qu’ils soient ordonnateurs ou qu’ils soient comptables
publics.
L’organisation retenue garantit le maintien de notre statut de juridicti
on
, et le renforce
même, puisque pour la première fois depuis 1807, une chambre de la Cour, la chambre du
contentieux, connaitra de la responsabilité de l’ensemble des gestionnaires publics, pour
sanctionner de véritables fautes financières. Nous préservon
s ce statut, c’était une nécessité
mais pas forcément une évidence, tant certains semblaient empressés de revenir dessus,
voire sur notre indépendance. Je ne peux que m’en réjouir, tant cette dimension fonde notre
responsabilité et notre crédibilité. Il y a place dans ce pays pour une justice financière pleine
et indépendante, aux côtés des autres ordres de juridiction dont vous avez la charge de
l’administration, Monsieur le garde des Sceaux, cher Eric Dupond
-Moretti, qui nous faites
l’amitié d’être des nô
tres en ce jour.
De la sorte, notre double nature persistera, en étant même modernisée
: les chambres
contrôleront ou évalueront la gestion des politiques publiques et la chambre du contentieux
jugera les gestionnaires publics ayant commis des fautes financières graves. En cela, la
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réforme ne pourra que renforcer notre institution, car elle consacre les pouvoirs et le rôle de
l’acteur central de la redevabilité publique en France.
Je souhaite insister sur plusieurs points saillants de la réforme auxquels je suis
particulièrement attentif :
D’abord, la réforme doit aboutir à une véritable justice financière avec un régime de
nature répressive, calqué sur celui de la CDBF
, venant sanctionner les fautes
personnelles commises par les agents publics. Dans ce régime moderne, qui doit être
transparent pour nos concitoyens, l’intervention à l’instance du ministre du Budget, propre à
la « justice retenue
» qui caractérisait la RPP, n’a à mon sens plus lieu d’être, elle ne serait
de l’intérêt de personne ;
En deux
ième lieu, la définition d’infractions et de sanctions doit être de nature à
responsabiliser les gestionnaires publics
, et il doit appartenir au juge de construire la
jurisprudence la plus pertinente. Il y a là un enjeu d’exemplarité de l’action publique q
ui
justifie le maintien, autour de l’infraction sanctionnant la faute grave ayant causé un préjudice
financier significatif, d’infractions aujourd’hui poursuivies devant la CDBF et qui ont prouvé
leur pertinence pour assurer le respect de l’ordre public financier. S’agissant des sanctions,
elles doivent être d’un niveau suffisamment dissuasif, laissé à l’appréciation du juge, pour
empêcher les comportements fautifs ;
Ensuite, la réunion des magistrats de la Cour et des chambres régionales et
territoriales
des comptes pour l’instruction et le jugement des gestionnaires publics
au sein de la chambre du contentieux constitue une nouvelle étape du rapprochement
fonctionnel des juridictions financières
. Je n’ai cessé de le promouvoir depuis mon
installation, et je le porterai tout au long de mon mandat à la tête des juridictions financières,
tant je suis persuadé que la Cour des comptes et les chambres régionales et territoriales des
comptes sont les deux faces d’une même pièce, à l’heure où les décisions publiqu
es à
l’échelle nationale et au niveau territorial sont étroitement imbriquées. Ce rapprochement
dont mon prédécesseur Philippe Séguin avait déjà eu l’intuition, il y a 15 ans, est le
sens de
l’histoire, tout simplement, et il nous appartient de le faire en
core progresser ;
Je me félicite par ailleurs de la création d’un double degré de juridiction
, avec une Cour
d’appel financière, que nous partagerons avec nos collègues du Conseil d’Etat, et je vous le
dis, Monsieur le Vice-président, cher Didier Tabuteau, à quel point ces regards croisés sont
à mes yeux enrichissants. Cette architecture offre une garantie supplémentaire aux
justiciables à l’égard du droit en maintenant pour l’essentiel la composition de la CDBF qui
avait démontré son utilité ;
Enfin, des mesures de simplification
, essentielles au fonctionnement des juridictions
financières, permettront d’améliorer l’efficacité des contrôles menés par ces dernières, mais
aussi de mieux rendre compte de l’activité juridictionnelle et de contrôle. Monsieur l
e Premier
ministre, j’attire votre attention sur l’importance de ces mesures qui sont indissociables de la
réforme du régime de responsabilité.
La proposition du Gouvernement répond dans ses grands principes aux constats
partagés depuis bien longtemps par la majorité des magistrats, malgré quelques
différences d’approche.
La nostalgie, en la matière, est hors de propos. Personne ne doit
avoir de regrets pour ce qui ne marchait pas ou plus et pour un système qui courrait, sans
changements, rapidement à sa fin.
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Le Gouvernement a voulu et porté cette réforme, et c’est son rôle. Le mien est bien
sûr de contribuer à sa réussite, mais aussi, et ce n’est nullement contradictoire, de
veiller à la place et au rôle des juridictions financières dans ce dispositif.
Alors que je
me suis attaché dans mes prises de paroles à défendre la réforme dans toutes ses
composantes, la préparation de l’ordonnance fait encore l’objet d’un travail intense, en lien
avec vos services et les services de l’État concernés. Je tiens notamm
ent à souligner la
qualité du travail mené avec vous, Monsieur le ministre des Comptes publics, cher Olivier
Dussopt, et avec vos équipes, qui ont porté le projet de réforme au Parlement, et dont les
services sont également concernés au premier chef.
La réussite de cette réforme impliquera par la suite que nous conduisions des
changements importants à la Cour, pour ne laisser personne sur le bord de la route
,
notamment en réorientant certains métiers, en renforçant la formation au nouveau régime de
tous les personnels et en nous dotant des moyens humains et matériels pour réussir cette
réforme. Sa mise en œuvre est de notre responsabilité, et nous saurons l’assumer. C’est ma
tâche, et c’est le sens de ma mission à la tête des juridictions financières. Soye
z certains
que j’y mettrai toute mon énergie, tant je suis convaincu que la réussite de cette réforme est
importante pour le citoyen et décisive pour les juridictions financières.
Je suis convaincu que nous saurons faire face à ces transformations, qui se
traduiront
in fine
par une justice financière plus moderne, plus cohérente et mieux
comprise, et donc plus efficace pour les justiciables.
***
Monsieur le Premier ministre,
Monsieur le président du Sénat,
Mesdames et messieurs les ministres et les parlementaires,
Monsieur le Vice-
président du Conseil d’Etat,
Mesdames et messieurs les hautes autorités civiles et militaires présentes,
Mesdames et messieurs, Mes chers collègues,
Les juridictions financières auront, plus que jamais, un rôle essentiel à jouer dans les
temps qui viennent
.
Nous devrons nous montrer à la hauteur de notre histoire, de notre réputation, du respect et
de l’attention que nous apportent nos concitoyens, en assurant tour à tour ce rôle de « tiers
de confiance », de vigie et d’
expert, capable de prendre du recul pour évaluer les politiques
publiques et contrôler les comptes et la gestion à l’aune de la crise sanitaire.
J’ai toute confiance en chacune et chacun d’entre vous pour que nous puissions jouer
tout notre rôle, au sein des institutions de la République, et ainsi encore mieux servir
notre pays.
Je connais votre engagement pour faire rayonner les juridictions financières non
seulement en 2022, mais également au-
delà, et je fais pleinement miens les mots d’Henri
Bergson :
« J’ai toujours voulu que l’avenir ne soit plus ce qui va arriver, mais ce que nous
allons en faire »
. Ensemble, nous continuerons à bâtir des institutions en mesure de
répondre mieux encore aux défis de leur temps.
10
Je vous remercie de votre attention, et espère que cette nouvelle année permettra de tourner
la page de la période éprouvante que nous venons de traverser et de nous projeter
collectivement vers un avenir prometteur, pour notre pays et pour chacun de nous.
L’audience est levée.
Je vous remercie.