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Allocution de Monsieur Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Ouverture du colloque
Garantir le bon emploi des dons des citoyens
La Cour des comptes et la générosité publique : 30 ans de mise en
œ
uvre de la loi du 7 août 1991
Jeudi 25 novembre 2021 – 09h30 (Grand’chambre et retransmis en direct en webinaire)
Madame et Messieurs les parlementaires,
Mesdames et Messieurs les directeurs et responsables publics,
Mesdames
et
Messieurs
les
dirigeants
et
représentants
d’organismes
philanthropiques,
Mesdames et messieurs, Chères et chers collègues,
Bonjour à toutes et tous et merci beaucoup de votre présence à ce colloque
de la Cour des comptes
. Je suis très heureux d’être parmi vous pour le lancement
de cette manifestation qui marque le trentième anniversaire de la loi du 7 août
1991, loi qui a confié à la Cour des comptes le contrôle du bon usage des dons
collectés par les organismes faisant appel à la générosité publique. C’est un très
beau sujet de colloque : comme le disait le poète Eluard, il n’y a pas de sagesse
sans générosité !
Je me réjouis tout particulièrement, en mon nom personnel et au nom de
l’ensemble des juridictions financières, d’accueillir tout à l’heure pour la
clôture de ce colloque Madame la secrétaire d’État chargée de la Jeunesse et
de l’Engagement, Sarah El Haïry
.
Je sais que le sujet lui tient particulièrement à c
œ
ur puisqu’elle est l’auteur d’un
rapport parlementaire «
pour une philanthropie à la française
» remis au Premier
ministre en février 2020.
Ce colloque fait l’objet d’un partenariat avec le journal La Croix
, qui, comme
chacun sait, est une référence en matière de générosité publique. Je remercie donc
toute l’équipe du journal pour son implication et son intérêt.
Je voudrais également remercier, pour leur présence et leur participation,
tous les intervenants et intervenantes qui se succèderont aujourd’hui.
Le haut
niveau de représentation de ce colloque illustre parfaitement l’importance des
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deux maîtres mots de la générosité publique : la transparence et la confiance. La
transparence dans l’utilisation des dons, indispensable pour bénéficier dans la
durée de la confiance des donateurs ! Et la confiance, qui prend du temps à
s’installer, peut disparaître très vite ! Cela justifie votre présence dans les murs de
la Cour car « la confiance n’exclut pas le contrôle ». Citer Lénine en ouverture
d’un colloque à la Cour n’est pas courant, mais je n’ai pas résisté tant la formule
est juste pour la générosité publique !
Le secteur de l’action caritative et philanthropique bénéficie aujourd’hui
d’une exceptionnelle confiance de nos concitoyens :
un puissant élan de
générosité en a encore attesté pendant l’épidémie de Covid. Il est bien naturel que
les citoyens attendent un respect scrupuleux des engagements pris pour
l’utilisation de leurs dons. Leur confiance doit se mériter, dans une exigence de
clarté et de transparence. Cet impératif éthique sera le fil rouge de notre journée.
Ce colloque se tient à la fois dans la Grand-chambre de la Cour et en
visioconférence, afin d’être accessible au plus grand nombre,
organismes
philanthropiques, chercheurs, universitaires, professionnels du droit et de la
finance, donateurs ou citoyens. Nous sommes près de 350 inscrits à cette journée
d’échange.
Vous me permettrez de saluer à distance en particulier nos collègues des Cours
des comptes du Gabon et de Madagascar qui ont souhaité s’associer à notre
réflexion. Je me réjouis du vif intérêt qu’elle suscite et je vous remercie, toutes et
tous, d’être avec nous aujourd’hui.
Ce succès n’aurait pas été possible sans une équipe très impliquée
. Je tiens à
cet égard à remercier la présidente de la 5e chambre de la Cour des comptes,
Catherine Démier, qui a organisé ce colloque avec le concours d’un groupe de
travail énergique, composé du président Antoine Durrleman, de Michel Clément,
Georges Capdeboscq, Robert de Nicolaÿ, Maia Rohner, Sylvie Hado et Michel
Anrijs. Merci aussi aux services de la Cour qui ont permis la tenue de cet
évènement.
Le colloque qui nous rassemble s’inscrit dans une double démarche – c’est
normal car c’est un anniversaire - de bilan et de réflexion pour l’avenir.
Bilan tout d’abord de 30 années de contrôle par la Cour des comptes.
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La compétence confiée à la Cour par la loi du 7 août 1991 pour contrôler les
comptes d’emploi des ressources des organismes privés faisant appel public à la
générosité se situe, par définition, aux frontières de l’intérêt général et de
l’initiative privée.
La Cour a, de par la loi, une mission inédite de «
contrôle de l’argent du public
»,
qui est différente de sa mission plus traditionnelle du «
contrôle de l’argent public
» même si un lien existe entre ces deux missions. Je rappelle bien sûr que les dons
du public bénéficient de déductions fiscales particulières qui représentent un coût
pour le budget de l’État.
Le législateur répondait à un double constat :
celui d’un fort développement
des appels à la générosité publique à la fin des années 80 d’une part, mais aussi
d’autre part le caractère délétère d’une situation dans laquelle les dons finançaient
davantage les frais de fonctionnement ou les coûts de collecte des organismes
bénéficiaires plutôt que les activités d’intérêt général pour lesquelles les dons
étaient versés. Les intérêts et les dons des donateurs n’étaient pas totalement
respectés. Le secteur en avait évidemment pris conscience et s’organisait déjà
pour s’auto-réguler, notamment avec l’adoption d’une ambitieuse charte de
déontologie, signée en 1989, donc on ne partait pas de rien.
C’est pour conforter cette indispensable régulation sans brider l’initiative et
l’engagement des acteurs et des donateurs, que le législateur a souhaité
l’intervention de la Cour des comptes, comme tiers de confiance, aux côtés
d’autres acteurs publics et privés, pour garantir le bon emploi de ces fonds.
Le premier contrôle de la Cour a d’ailleurs fait date.
Il s’agissait du contrôle
de l’Association pour la recherche sur le cancer (l’ARC), conduit et publié en
1996, qui devait aboutir à une transmission au pénal et,
in fine,
au prononcé d’une
peine d’emprisonnement pour le président de cette association.
La loi du 7 août 1991 a posé les fondations d’un dispositif qui s’est
progressivement renforcé, installé, depuis 30 ans, en parallèle des contrôles de la
Cour des comptes, puis de ceux également, à partir de 1996, de l’inspection
générale des affaires sociales dans son propre champ de compétence, et des
initiatives propres du monde de la philanthropie.
Depuis 1991, je crois pouvoir dire que la Cour des comptes a pleinement
investi cette nouvelle mission, et, dans les fonctions qui sont les miennes, je
continue à y veiller.
Dès l’origine, la Cour a créé en son sein, à la Cinquième
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chambre alors présidée par Pierre Grandjeat, un secteur spécifiquement consacré
à la «
générosité publique
», chargé de mettre en
œ
uvre cette compétence
particulière.
Depuis 30 ans, 77 rapports ont été établis par la Cour des comptes, sur des
organismes de tailles et de statuts divers, et soutenant toutes sortes de causes, qui
ont été sélectionnés selon une analyse multicritères, qui ne sont pas arbitraires
bien sûr, combinant une approche par les risques, une appréciation des enjeux
financiers et la volonté de diversifier les champs d’activité.
Les choix des contrôles de la Cour reflètent aussi son souci de donner un
éclairage global sur des politiques publiques
. La Cour a ainsi souvent choisi de
programmer l’examen du compte d’emploi des ressources d’organismes en lien
avec ses enquêtes, en raison du rôle majeur des associations dans le champ des
politiques sociales.
Il en est ainsi des enquêtes sur «
les personnes sans domicile
» en 2007 ou «
la
protection de l’enfance
» en 2009, puis en 2020.
Plus récemment, la Cour a mis en
œ
uvre ses compétences dans le cadre de
circonstances exceptionnelles.
À la suite de l’incendie de la cathédrale Notre-
Dame de Paris le 15 avril 2019, la Cour avait annoncé qu’elle s’engagerait, sans
attendre la fin des travaux, dans un contrôle de la collecte, de la gestion et de
l’emploi des fonds collectés dans le cadre de la souscription nationale lancée pour
sa reconstruction. Ce contrôle, qui était fait sous l’égide d’Antoine Durrleman et
qui a donné lieu à un rapport conséquent et puissant, a vocation à durer jusqu’à la
fin des opérations de reconstruction et doit donner lieu à la publication de rapports
réguliers.
En septembre 2020, très peu de temps après la catastrophe, elle a publié un
premier rapport qui a permis d’analyser cet élan de générosité sans précédent, à
la fois sur le plan national et international – ce fut un mouvement mondial, qui a
permis de collecter 824 M
, et de faire le point sur les premiers travaux engagés.
Elle va prochainement reprendre son contrôle pour examiner l’utilisation des 165
M
apportés pour permettre la sauvegarde de l’édifice, phase qui, comme vous le
savez, vient de se terminer.
De la même manière, les dépenses effectuées à partir des fonds collectés dans le
cadre de ce magnifique élan de générosité suscité par la crise sanitaire feront
pleinement partie plan de travail de la Cour dans les mois qui viennent. Nous
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allons explorer les conséquences de la crise Covid sur la générosité publique et
réciproquement.
Ma préoccupation première est que le citoyen, donateur effectif ou potentiel,
dispose d’une information fiable, transparente et aussi rapide que possible
sur l’usage qui est fait de ses dons.
Le rôle de la Cour est de faire la lumière sur
des situations complexes : «
elle établit l'ordre par la lumière
», dit notre adage
latin : «
dat ordinem lucendo
». C’est pourquoi, au-delà des transmissions
d’observations de la Cour prévues par la réglementation, nos rapports sur la
générosité publique sont systématiquement publiés. On retrouve ici notre
ambition, issue du projet stratégique JF 2025, d’une publication intégrale des
rapports des juridictions financières. Ce sera le cas dans peu d’années. Cela ne
peut pas dire une communication identique pour tous les rapports mais une
information totale du citoyen.
Nous ne sommes pas là pour «
épingler »
ni pour «
étriller »
, je dis ça car c’est
le marronnier qu’on retrouve à chaque fois dans la presse lors de la
publication des rapports. Il peut arriver que nous nous exprimons sur des
dérives des finances publiques et qu’il y ait des suites. Mais de manière
générale, ce sont des expressions malheureuses et fausses, que la presse
reprend trop souvent à mon goût.
Ces termes vengeurs, qui donnent une
impression vindicative, ne traduisent pas ce qu’est notre action et ce qu’elle doit
être. Le souhait de la Cour des comptes est d’abord d’accompagner, de soutenir
de façon constructive celles et ceux qui concourent à l’intérêt général.
La puissance publique n’a pas d’ailleurs le monopole de l’intérêt général et
l’apport des organismes philanthropiques est majeur
. Il n’y a pas un secteur
de la vie sociale d’où les associations et fondations seraient absentes.
Que ce soit dans l’action sociale, l’insertion, l’environnement, la consommation,
la culture, le sport. Elles sont l’expression d’un lien social, la manifestation d’une
citoyenneté active, qui met au c
œ
ur du pacte républicain l’acte fondamental du
don. Elles tissent les solidarités et mobilisent les énergies, avec une capacité
jamais démentie d’innovation et d’expérimentation dont les politiques publiques
s’inspirent ensuite souvent.
Ces organisations expriment aussi un idéal : faire participer chacun à un destin
collectif, pour y apporter sa contribution car «
il faut, autant qu’on peut, obliger
tout le monde
», comme disait La Fontaine. Le rôle de la Cour n’est pas seulement
à cet égard d’être un tiers de confiance, je l’ai souligné, qui atteste du bon usage
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des fonds versés mais également d'accompagner les organisations qui
œ
uvrent au
profit de l’intérêt général. En ce sens, nos publications ont vocation à diffuser de
bonnes pratiques.
En lien avec les acteurs du secteur, la Cour, je crois pouvoir le dire, a
construit au fil du temps un référentiel en matière de gestion des fondations
et associations organisé autour de quelques grands principes
qu’il faut
respecter : le respect de la volonté du donateur d’abord, la vérification de l’action
effective de l’organisme, le niveau maximum acceptable des frais de collecte, la
politique de placement des fonds, la mise en concurrence des prestataires, la mise
en place – c’est très important - de mécanismes destinés à éviter les conflits
d’intérêts, etc. Et donc, cette doctrine se met petit à petit en place et je crois que
c’est utile.
Nos rapports sont aussi accompagnés de recommandations à destination des
organismes contrôlés dans un objectif de meilleure gestion.
L’impact de nos rapports et de nos recommandations est-il significatif ? Nos
travaux de contrôles ultérieurs en témoignent souvent et nos interlocuteurs
nous le disent.
Ces réactions positives sont très stimulantes pour nos équipes ;
mon souhait est que la dynamique qui en découle, portée aussi en grande partie
par des organismes représentant le secteur philanthropique dont l’objectif est de
diffuser les bonnes pratiques de gestion, s’amplifie encore.
J’y attache une importance particulière, d’autant que les évolutions de ce secteur
sont importantes et multiples. Je pense ici à la forte augmentation du nombre
d’organismes philanthropiques, je pense à la diversité grandissante de leurs
formes juridiques, mais aussi à la hausse significative du volume des dons et des
dépenses fiscales correspondantes, avec des modes de collecte de plus en plus
diversifiés.
Et je pense que vous serez d’accord avec moi sur le fait que les enjeux sont
majeurs, pour les donateurs, pour les finances publiques et pour les bénéficiaires
des actions conduites par ces organismes pour les causes qu’ils servent !
Comment l’illustrer ? Les dons représentaient il y a 30 ans l’équivalent de
1,7
Md
et en 2019, ils atteignaient
8,5 Md
avec plus de
4,9 millions de foyers
fiscaux
donateurs et
104 000 entreprises mécènes
. En 2020, les dépenses fiscales
liées aux dons représentent un montant d’environ
2,9 Md
(particuliers et
entreprises).
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Les fondations et fonds de dotation sont passés d’un peu plus de 1 000 en
2001 à plus de 4 600 en 2020, et
il y aurait plus d’1,3 million d’associations
actives dont environ 1 850 reconnues d’utilité publique. Cette augmentation
s’accompagne d’une forte diversification de statuts juridiques.
Tout ceci nous invite à penser à demain.
Comment conserver la confiance des
donateurs dans un contexte caractérisé à la fois par un formidable élan de
générosité des particuliers et des entreprises, et par une diversification des organes
collecteurs et des formes de collecte ?
C’est ce dont je veux vous inviter à débattre à présent :
Tirer les
enseignements de notre action commune depuis 30 ans et partager nos réflexions
sur les modalités d’amélioration de la transparence dans l’utilisation des dons et
de renforcement de la confiance des donateurs.
À sa place et dans le plein exercice de sa mission, la Cour a – j’en suis persuadé -
un rôle dans cette réflexion mais je me tourne vers vous autres, responsables des
organismes faisant appel à la générosité publique et des pouvoirs publics pour que
nos débats soient les plus productifs.
Avant de conclure, je voudrais présenter rapidement le programme de cette
journée dans ses grandes lignes.
La matinée sera d’abord consacrée aux évolutions depuis 30 ans, notamment
la construction du dispositif de contrôle des organismes philanthropiques et
la professionnalisation de ces organismes
. J’ouvre une parenthèse pour dire que
le meilleur impact de nos contrôles demeure la professionnalisation de ces
organismes.
La première table-ronde portera sur la genèse de la mission de la Cour de contrôle
des organismes, sous l’animation de
Robert de Nicolaÿ
, conseiller maître
honoraire à la Cour.
La deuxième table-ronde évoquera quant à elle le développement des bonnes
pratiques des fondations et associations
en matière de transparence, de gestion,
de gouvernance et ce, notamment sous l’effet des contrôles de la Cour mais pas
uniquement, compte tenu du considérable effort, de l’investissement des acteurs
eux-mêmes en faveur d’une plus grande transparence – je pense notamment aux
labels Don en Confiance issu du comité de la Charte créée en 1989 et IDEAS créé
8
en 2005.
Anne Mondoloni
, présidente de section à la Cour, animera cet échange
entouré de deux grands témoins :
Jean-Marc Sauvé
, président de la Fondation
Apprentis d’Auteuil, que je salue chaleureusement, et
Patrice Douret
, président
des Restos du c
œ
ur.
La journée se poursuivra l’après-midi avec une troisième et dernière table-
ronde, animée par le président de chambre honoraire, Antoine Durrleman,
autour des nouveaux défis de la philanthropie en termes de transparence et
de confiance dans un contexte qui, comme je le rappelais, change très vite. Il
faut aussi préparer les trente prochaines années.
L’importance des thèmes abordés comme la qualité des intervenants sollicités
m’assure que cette journée d’échanges sera particulièrement riche et utile. Je suis
reconnaissant à la présidente Catherine Démier d’avoir bien voulu en faire la
synthèse avant que Mme
Sarah El Haïry, secrétaire d’État chargée de la
Jeunesse et de l’Engagement,
n’intervienne en clôture de ce colloque. Je dirai
également quelques mots. Je l’en remercie à nouveau.
Au terme de ce propos introductif,
je tiens à vous souhaiter une bonne et
fructueuse journée de travail.
Je laisse maintenant la place à la parole citoyenne, que vous savez essentielle pour
moi, dans un bref film introductif que je vous propose de visionner sans plus
attendre.
Excellent colloque à toutes et tous !