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Seul le prononcé fait foi
Audience solennelle de la chambre régionale des comptes
Provence-Alpes-Côte d’Azur
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Vendredi 15 Octobre 2021
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Allocution de M. Pierre MOSCOVICI
Premier président de la Cour des comptes
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Mesdames, Messieurs les préfets,
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames, Messieurs les sénateurs,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les hautes autorités civiles et militaires
présentes, chefs de juridictions, magistrats, hauts fonctionnaires,
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,
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Seul le prononcé fait foi
Avant toute chose, je souhaiterais remercier le Président Nacer MEDDAH
pour son invitation à cette très belle audience solennelle de la chambre
régionale des comptes Provence-Alpes-Côte-D’azur, qui fait salle
comble. Bravo !
Je remercie également l’ensemble des personnels qui composent cette
juridiction dynamique et efficace, pour leur investissement professionnel,
que je sais soutenu et constant, malgré la pandémie traversée,
éprouvante tant d’un point de vue personnel que professionnel.
Venir à leur rencontre – venir à votre rencontre – c’est bien
évidemment un plaisir mais aussi un moment essentiel à mes yeux.
C’est l’occasion de rencontrer, autrement que par écrans interposés ou au
bref détour d’un couloir parisien, les Femmes et les Hommes qui
composent le réseau des chambres régionales et territoriales des
comptes. C’est l’occasion de comprendre leur quotidien, de les écouter,
d’échanger, de mesurer combien leur collectif de travail est solide, investi,
exemplaire. Mais aussi d’entendre leurs contraintes, préoccupations,
aspirations, et d’y répondre. C’est le rôle d’un chef de corps. C’est mon
rôle, soyez assuré qu’il m’oblige à chaque instant.
La crise sanitaire et cette forme d’isolement contraint – si elles m’ont
amené à mener, depuis Paris, des transformations que je crois très
importantes en effet, cher Nacer, de la Cour et des chambres régionales
des comptes – m’ont frustré du contact avec la réalité hors de la rue
Cambon. Il était temps de
reprendre mon « tour de France » des
chambres régionales !
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J’aime à parler d’un « tour de France ».
Non pas seulement parce que
je suis un fan absolu de la grande boucle, mais par bien des aspects mon
tour des CRC y ressemble. Il est tout sauf monotone ! Il y a des étapes de
plaine, d’autres davantage escarpées, et même certaines réalisées avec
un- léger- vent de face.
Alors dès que j’ai pu, j’ai changé de braquet et quitté Paris : Nouvelle
Aquitaine il y a 15 jours, PACA aujourd’hui, Ile de France début novembre,
puis Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes avant la fin de l’année.
Les étapes vont s’enchainer, et j’en ressens un vif plaisir.
Lorsque j’ai pris les fonctions de Premier président j’ai tout de suite pris la
mesure de la transformation des chambres régionales. Quand je suis
entré à la Cour des comptes comme auditeur en 1984 – il y a bien
longtemps je le reconnais – ces juridictions étaient tout juste naissantes
et tout était à inventer. La légitimité ne se décrète pas, elle se construit. Et
elle se mesure dans le regard de l’autre.
Aujourd’hui, je le constate dans chacun de mes déplacements, je le
lis dans chacun de vos rapports examinés par le comité du rapport
public et des programmes, la légitimité des chambres régionales des
comptes est incontestable.
Parties prenantes du paysage démocratique
local, elles ont su devenir des institutions reconnues, vers lesquelles les
gestionnaires publics n’hésitent plus à se tourner. Je crois d’ailleurs, M. le
président, que celle qui m’accueille aujourd’hui en est un parfait exemple.
Il est également vrai que notre office peut parfois nous amener à mettre
en lumière des situations critiquables. N’y voyez ni acharnement ni esprit
belliqueux. Il s’agit simplement de remplir les missions que nous avons
reçues de la Constitution : s’assurer que l’argent public est bien et
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efficacement utilisé, analyser l’action publique dans toutes ses dimensions
et rendre publics nos diagnostics.
Dans cette période si déconcertante, déstabilisante pour nos concitoyens,
où la dette publique s’élève à 115 % du PIB, ce qui est plus élevé que la
moyenne européenne, plus élevé que beaucoup de nos partenaires – je
ne dis pas qu’il ne fallait pas dépenser, le « quoi qu’il en coûte » était
nécessaire : à crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles – mais dans
ce contexte inédit, nos métiers, ainsi que le rôle et la place des juridictions
financières sont confortés.
Car quand on dépense plus, il faut dépenser mieux ! Alors, le
contrôle et l’évaluation deviennent des outils incontournables.
Pas
un luxe ni une contrainte, non, tout simplement une nécessité.
***
Lors du vernissage de l’exposition relative au bicentenaire de la Cour des
comptes et au vingt-cinquième anniversaire des chambres régionales des
comptes, mon prédécesseur, Philippe SÉGUIN, avait eu ces mots :
« Les
juridictions financières doivent dialoguer avec les élus et pas seulement
juger ; elles doivent écouter, persuader, recommander plus encore que
censurer ou sanctionner. »
En d’autres termes, notre apport à la gestion publique,
ce n’est pas
uniquement le contrôle et l’évaluation, c’est aussi fournir aux
gestionnaires publics des éléments immédiatement utiles à leur
prise de décision.
Et pour ce faire, les chambres régionales ont su nouer des liens privilégiés
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avec les organismes et autorités de leur ressort. Cette relation de
confiance avec son environnement, la CRC PACA a su la construire –
n’est-ce pas Mesdames et Messieurs les préfets !
Je le savais dès avant de venir, car cette belle chambre jouit d’une
réputation enviable dans le réseau, mais j’en ai eu la confirmation depuis
mon arrivée à Marseille hier matin, au fil des entretiens conduits avec les
différentes autorités du ressort.
Pour autant, ce n’était pas gagné d’avance !
Nous avons toujours un
effort de pédagogie à fournir et c’est d’autant plus facile pour moi de faire
ce constat que j’ai été – dans une autre vie – de l’autre côté de la barrière.
Il n’est pas toujours aisé d’être dans la position du contrôlé et, j’ose, il
m’est parfois arrivé d’être un peu déçu, d’avoir la sensation d’être passé à
côté de quelque chose. Voilà pourquoi l’ancrage local des chambres
régionales, leur capacité de dialogue avec l’ensemble des intervenants du
ressort est un élément primordial.
Facilitatrices hier et aujourd’hui, pour accompagner les mesures
exceptionnelles adoptées dans l’urgence, les juridictions financières
seront demain vigilantes au bon emploi des deniers publics dans la
reconstruction économique et financière de notre pays.
Ces propos prennent une signification toute particulière, ici, à
Marseille
. Deuxième ville de France, d’une grande richesse culturelle et
humaine, Marseille est aussi une collectivité qui fait face à de nombreux
défis. Disons-le clairement, la crise sanitaire n’est pas exclusivement à
l’origine des sujets dont la presse se fait l’écho récurrent. Mais elle les a
renforcés, amplifiés, dans un territoire par nature hétéroclite.
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C’est dans ce contexte que le Président de la République a annoncé,
le 2 septembre dernier le soutien – massif il faut le reconnaître – de
l’Etat au plan « Marseille en grand ».
Les contours exacts sont encore
à définir, et le Chef de l’Etat est justement présent ici aujourd’hui pour les
fixer davantage, mais je peux d’ores et déjà vous affirmer que les
juridictions financières – et en particulier la CRC PACA – sauront prendre
toute leur part, dans le cadre des compétences qui sont les leurs et aux
côtés de l’État, dans le suivi des projets à venir.
Vous le voyez, ce contexte exceptionnel nous oblige. Nos concitoyens –
ce n’est pas moi qui le dis, mais c’est ce qui ressort du Grand débat
national conduit en 2019 – ne comprendraient pas que nous ne soyons
pas au rendez-vous d’une gestion efficiente des finances publiques.
***
C’est dans cet état d’esprit que j’ai lancé un vaste chantier de
transformation pour l’ensemble des juridictions financières, appelé
« JF 2025 », avec pour but de construire d’ici cette date des
juridictions plus modernes, plus rapides, plus en phase avec les
attentes des citoyens.
Je suis ravi – et à dire vrai même un peu surpris – de l’engouement
suscité par cette réforme
. Elle n’aurait pu se faire sans vous, mesdames
et messieurs, magistrats, vérificateurs, greffiers, archivistes et personnels
administratifs. Vous vous êtes collectivement emparés de cette
opportunité d’expression – que j’ai voulu la plus libre possible – pour
imaginer les juridictions financières de demain. Au fond, je ne m’étais pas
trompé en fondant ce projet sur la concertation, la transparence et la
participation de toutes et tous.
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Cet enthousiasme a permis de tenir le calendrier ambitieux que
j’avais fixé et les transformations de JF 2025 se traduisent d’ores et
déjà concrètement dans nos activités.
Ce projet a apporté des changements majeurs et croyez-moi, encore
impensables il y a peu de temps
. J’en citerai rapidement quelques-uns :
la création de la chambre contentieuse à la Cour des comptes, la
participation des plus jeunes magistrats de la Cour aux délibérés – il était
temps ! –, le renforcement des liens entre la Cour et les CRTC, que je
mène avec force. La participation des présidentes et présidents de CRTC
à toutes les instances de décision, dont le comité du rapport public et des
programmes, qui de ce simple fait a totalement changé de dynamique ! la
simplification du circuit de publication des rapports, le raccourcissement
de nos délais de production, l’ouverture, dès 2022, d’un droit de requête
des citoyens et enfin, une fois le projet de loi 3DS adopté, je l’espère – et
j’en profite pour remercier à nouveau la ministre Jacqueline GOURAULT
d’avoir accepté d’y insérer la disposition que je lui ai proposé – , la
compétence offerte aux CRTC de mener en propre, et non plus seulement
d’y
participer aux côtés de la Cour, des évaluations de politiques
publiques. Que d’avancées en si peu de mois !
Nous ne saurions pourtant nous arrêter en si bon chemin.
C’est en ce
sens que j’ai lancé une seconde phase, cette fois consacrée à nos
ressources et à nos moyens, avec la même méthode participative.
Les
conclusions ne sont pas encore complètement arrêtées, mais je veux en
délivrer ici quelques premiers enseignements : collectivement, l’ensemble
des membres des juridictions financières se sont exprimés en faveur d’une
institution à la culture managériale renouvelée, d’une institution aux
méthodes de travail refondées au service de la qualité des travaux, d’une
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institution qui permette des parcours d’excellence et des perspectives
professionnelles valorisantes, d’une institution attractive et ouverte, d’une
institution à l’environnement de travail de qualité, qui soit également
responsable et engagée.
Vous souhaitez, c’est légitime, que l’ensemble des juridictions financières
disposent demain d’un cadre de travail rénové, de nouvelles missions et
in fine
d’une place toujours plus importante dans le débat démocratique.
Forte de la confiance des acteurs publics, elles doivent être à la
hauteur de ces enjeux.
Être à la hauteur, ce n’est pas balayer toutes les
traditions pour plaire et être dans l’air du temps. Être à la hauteur, ce n’est
pas non plus rester figé sur ses positions en refusant de voir que le monde
autour est en perpétuel mouvement. Être à la hauteur – à mon sens – c’est
savoir se remettre continuellement en question et accepter de se
transformer lorsque cela est nécessaire.
C’est le sens du projet stratégique « JF 2025 », mais c’est aussi le sens
de la réforme de la justice financière qui sera bientôt soumise à
l’approbation du Parlement dans le cadre du projet de loi de finances. J’ai
déjà eu le loisir d’en discuter ce matin de manière privilégiée avec
l’ensemble du personnel de la CRC PACA. Je souhaiterais toutefois en
dire également quelques mots devant vous.
Ce projet, nous l’appelons de nos vœux depuis des années fort d’un
constat, celui du déclin d’un mécanisme usé.
Je citerais un seul
exemple : le pouvoir laissé au ministre chargé des comptes publics
d’annuler les conséquences pécuniaires des jugements et arrêts des
juridictions financières, atteinte évidente à la séparation des pouvoirs et
vestige d’une justice des siècles passés – c’est la remise gracieuse, c’est
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l’assurance, qui font qu’en pratique il n’y a pas grand monde qui soit
vraiment sanctionné, reconnaissons-le.
Je comprends les interrogations, voire les inquiétudes, que suscite
tout changement, mais je refuse sur ce sujet tout immobilisme et tout
statu quo
délétère. Il fallait avancer !
Et je crois profondément en la
fonction de régulation du juge financier, entre le juge pénal et la
responsabilité disciplinaire. Aux côtés de la responsabilité managériale,
de la responsabilité politique ou pénale, il y a une place pour une
responsabilité financière propre ! Croyez-moi toutefois, la nostalgie d’un
fonctionnement juridictionnel en déclin inéluctable, ne serait ni fondée, ni
constructive.
Dans le nouveau régime, proposé par le Gouvernement – à la
définition duquel nous avons naturellement été associés – les
juridictions financières seront à la fois le juge des comptables et le
juge des ordonnateurs.
Cela ne signifie pas, contrairement à ce que je
lis de façon erronée, que le principe de la séparation entre ordonnateurs
et comptables soit aboli : il est au contraire explicitement maintenu. Tout
comme le statut de juridictions de la Cour des comptes et des chambres
régionales, ainsi que la qualité de magistrates et magistrats de leurs
membres.
Vous n’êtes pas sans le savoir, il existait des options plus brutales que
celle qui s’annonce, plus amères et qui auraient abouti à une suppression
totalement inacceptable de nos qualités de juridictions.
Je ne voulais pas que nous soyons transformés en simple corps d’audit et
que nous perdions notre inamovibilité et notre indépendance, héritage
historique si précieux, auquel nous sommes attachés comme à un
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élément constitutif de notre identité avec notre qualité de juge. En bref, je
ne voulais aucune atteinte à ce qui fait notre crédibilité auprès de tous les
acteurs publics et auprès de nos concitoyens.
J’ai tenu la promesse que
j’avais faite, que je vous avais faite, lors de mon discours
d’installation le 11 juin 2020
.
Le projet de texte du Gouvernement, et je me tourne vers les
parlementaires présents, pourra peut-être encore être amélioré, au
cours de la discussion parlementaire,
notamment pour définir
explicitement le champ des justiciables, pour étendre – je crois que c’est
nécessaire – le champ des infractions financières génératrices d’un
préjudice financier significatif, et pour préciser certaines de celles qui
existent déjà dans le code des juridictions financières.
Mais cette réforme n’est en rien un affaiblissement des juridictions
financières, bien au contraire !
Elle en renforce le rôle comme les
pouvoirs. Pour la première fois, et il était temps, elles pourront prononcer
de véritables sanctions administratives concernant les fautes commises
par les comptables et les ordonnateurs.
Des peines d’amende qui ne
pourront ni être assurées, ni être remises
par une autorité administrative
ou politique. De véritables peines d’interdiction d’exercice professionnel
pour un ordonnateur ou pour un comptable fautif. C’est une avancée
considérable, et d’une toute autre portée que les sommes non rémissibles
infligées aujourd’hui.
Je suis conscient des inquiétudes et des questions qui peuvent
malgré tout subsister et je veux y répondre par le dialogue
. Je l’ai déjà
fait, je continuerais. Mais je le dis aussi avec fermeté et tranquillité : si
nous n’y prenons pas garde, car toute menace n’est pas écartée, et
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surtout sans réforme, la fonction juridictionnelle telle que nous l’exerçons
aujourd’hui serait morte de sa belle mort dans quelques années, dans peu
d’années même. Et nous aurions été confrontés à ce moment-là à des
attaques bien plus redoutables.
J’ai toute confiance dans notre capacité collective à nous emparer de cette
réforme et à mettre en œuvre une véritable justice financière moderne. A
continuer à être des juridictions indépendantes et utiles à la société,
guidées par le seul intérêt général.
J’ai toute confiance également en Nacer MEDDAH, votre président, pour
inscrire cette chambre, dont je salue le dynamisme et la qualité, dans cet
élan modernisateur.
***
Mesdames, Messieurs,
Quelle meilleure manière de conclure ces propos que de citer, une
nouvelle fois, Philippe SÉGUIN – à qui nous allons rendre hommage à
l’issue de cette audience solennelle – qui disait :
« Il ne suffit pas d’avoir
de l’appétit, il faut avoir de l’estomac »
.
Nous avons de l’appétit, et je ne dis pas cela par arrogance mal placée –
encore que la diversité de nos missions doit collectivement nous rendre
fiers – car nous exerçons un métier qui a du sens, dans des institutions
qui pèsent dans le débat démocratique, en contribuant à la transformation
publique, toujours au service de nos concitoyens.
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Mais nous avons aussi de l’estomac. Je l’ai dit – et je m’en réjouis – les
juridictions financières n’ont cessé d’évoluer. Nous avons su nous
remettre en question, nous adapter, nous rénover, faire notre mue. Cette
dynamique est nôtre, nous la confortons aujourd’hui avec une vigueur
renouvelée.
C’est le sens des réformes que j’évoquais, qui sont rendues
possibles par l’investissement formidable dont font preuve au quotidien
les membres des juridictions financières, qu’ils en soient une nouvelle fois
remerciés.
Et qu’ils soient en retour convaincus de mon engagement personnel
sans failles sur tous ces sujets
. J’ai à cœur de défendre les intérêts de
nos institutions, de faire entendre leur voix avec conviction mais lucidité,
avec impartialité mais quand il le faut avec fermeté. C’est une haute
mission, une belle mission, dont je mesure la responsabilité. Croyez
qu’elle me passionne et me mobilise totalement.
Merci de votre attention.