Audience solennelle de la chambre régionale des comptes
Nouvelle-Aquitaine
Vendredi 1
er
Octobre 2021
Allocution de M. Pierre MOSCOVICI
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames, Messieurs les députés,
Mesdames les sénatrices,
Monsieur le Président de région, Cher Alain ROUSSET,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les hautes autorités présentes, civiles et
militaires, chefs de juridictions, magistrats, hauts fonctionnaires,
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues,
Avant toute chose, je voudrais remercier le Président Paul SERRE pour
son invitation.
Je suis sensible à son geste et très heureux de le retrouver, lui qui fut pour
moi un collaborateur aussi proche que précieux, dans ses nouvelles
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fonctions de président de CRC, en cette magnifique ville de Bordeaux et
dans cette superbe salle de l’ancien chapitre du couvent des Jacobins ! Il
a la lourde tâche de succéder à Jean François MONTEILS, désormais à
la tête de la Société du Grand Paris, mais il a toute ma confiance, je ne
l’ai pas choisi par hasard.
Je remercie également l’ensemble des personnels qui composent cette
juridiction, pour leur investissement professionnel, que je sais soutenu et
constant, malgré les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ils
exercent leurs fonctions depuis plus d’un an et demi. La CRC Nouvelle-
Aquitaine est l’une des plus importantes et plus performantes du réseau.
Elle a trouvé toute sa place dans le paysage institutionnel de cette région
qui est, comme le Président ROUSSET aime à la dire, grande comme
l’Autriche.
Elle a su, grâce à la mobilisation de tous, maintenir son activité à la fois
en quantité et en qualité – vous l’avez montré Monsieur le Président,
Monsieur le Procureur – pendant la crise de la Covid-19 dont, je l’espère,
nous voyons enfin l’issue. Je veux féliciter les magistrats et l’ensemble
des personnels pour cette performance et je sais que leur travail dans ce
cadre exceptionnel contribue à cette excellence.
Ma présence avec vous aujourd’hui, j’y tenais tout particulièrement
car elle signifie pour moi, enfin, la possibilité de sortir de Paris et des
murs de la rue Cambon
!
J’apprécie au plus haut point d’y être mais tout
de même je dois dire que la crise sanitaire et cette forme d’isolement
contraint – si elles m’ont amené à mener, depuis Paris, des
transformations que je crois très importantes, en effet cher Paul, de la
Cour et des chambres régionales des comptes – m’ont particulièrement
frustré et je commençais à sentir des fourmis dans les jambes.
Je suis très heureux de pouvoir assister à la première audience solennelle
d’une chambre régionale des comptes depuis ma prise de fonctions en
juin 2020. J’avais visité quelques chambres mais jamais dans cette
circonstance solennelle.
La cérémonie qui nous réunit aujourd’hui est donc doublement
réjouissante. Elle se tient tout d’abord, Paul SERRE l’a indiqué, sans
restrictions sanitaires de jauge ni de quota de présence, ce qui nous
permet d’accueillir plus largement les invités extérieurs et les membres de
nos juridictions. Il est très important pour moi que nous puissions
reprendre un fonctionnement, une vie normale, après ces mois d’épreuve
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collective.
Ensuite, elle est la marque de la reprise de mon « tour de France »
des chambres régionales !
Et croyez-moi, cette tournée revêt une
importance particulière pour moi car, lorsque j’ai intégré la Cour des
comptes, il y a bien longtemps, c’était en 1984, ces juridictions aujourd’hui
essentielles pour la vie démocratique locale et la vie démocratique du
pays étaient encore naissantes.
Venir à leur rencontre, venir à votre rencontre, c’est pour moi l’opportunité
d’apprécier combien les CRC ont grandi, combien elles sont devenues des
pièces centrales, légitimes, appréciées de la vie publique. Et en écoutant
les propos du président Paul SERRE, je ne puis qu’être conforté dans ce
constat : tout de même 90 % de recommandations suivies d’effets, c’est
impressionnant, c’est enviable, y compris pour la Cour des comptes
d’ailleurs. Au-delà de la signification de ce chiffre sur la qualité de votre
production, cela démontre bien que les CRC sont un outil, un partenaire
essentiel et c’est pour cela que ses travaux sont aussi précieux, aussi
utiles pour les décideurs locaux.
Les juridictions financières sont des institutions dynamiques et en
constante évolution pour s’adapter aux défis de l’action publique
,
sous l’impulsion de réformateurs, il en faut. Mais les réformateurs sont
d’abord entraînés par les membres, les magistrats mais aussi les
vérificateurs, les greffiers, les archivistes, le personnel support…désireux,
tous ensemble, de travailler dans une institution qui leur ressemble
chaque jour davantage.
Cette évolution, nous la poursuivons, je la poursuis, aujourd’hui avec une
vigueur renouvelée, dans un paysage économique et financier qui est
bouleversé par une crise certes imprévue, inédite et multidimensionnelle.
Ses séquelles – tant dans l’esprit des Français que sur les équilibres
macro-économiques et financiers – apparaissent déjà profondes et
durables.
En réponse à la demande du Président de la République et du
Premier Ministre, la Cour des comptes a remis un rapport le 15 juin dernier
portant sur la stratégie des finances publiques en sortie de crise. Ses
conclusions sont sans appel : les dépenses publiques ont explosé. La
Cour ne le critique en rien, le « quoi qu’il en coûte » était nécessaire :
quand on a affaire à une crise exceptionnelle, il faut des mesures
exceptionnelles. Mais cela a une conséquence : même dans le scénario
le plus optimiste, la croissance économique ne permettrait pas à elle seule
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une décrue durable de la dette publique rapportée au PIB.
Or, nous avons aujourd’hui une dette publique qui s’élève à 115 %, qui est
plus élevée que la moyenne européenne, plus élevée que celle de
beaucoup de nos partenaires. Je le dis avec fermeté et sérénité, nous ne
sommes pas encore au bout de la pandémie, l’incertitude sanitaire
demeure et il y a des efforts à faire pour soutenir la croissance française,
mais nous n’échapperons pas au rendez-vous incontournable que sont la
maîtrise de la dette et de la dépense publiques.
La Cour des comptes, le Haut-Conseil des finances publiques, le
Conseil des prélèvements obligatoires, les chambres régionales des
comptes et le Premier président que je suis seront là pour le rappeler,
tout simplement dans leur rôle.
Quand on dépense beaucoup, et il est légitime dans les circonstances que
nous vivons de dépenser beaucoup, il faut dépenser bien, et pour cela le
contrôle et l’évaluation ne sont pas une contrainte, ne sont pas un luxe.
Ce n’est jamais agréable et facile d’être contrôlé, il m’est arrivé de me
retrouver de l’autre côté de cette procédure. Le décideur ressent un
sentiment d’injustice, il pense qu’il fait bien en tout. Nous avons des élus
qui sont d’une grande intégrité dans notre pays et très dévoués au bien
public. Mais il n’empêche que le contrôle et l’évaluation sont une absolue
nécessité qui rendent en réalité service à celui qui est contrôlé ou évalué.
Nous vivons une période très déconcertante, nos concitoyens sont noyés
dans les « fausses nouvelles », ce que l’on appelle les fake news. Ils sont
effrayés souvent par ce qu’ils voient sur les chaines d’information en
continu, ils sont déstabilisés par les réseaux sociaux et ils ont besoin de
ce que nous appelons dans les juridictions financières des « tiers de
confiance », c’est-à-dire des sources d’information, d’analyse, de
propositions qui sont rationnelles et indépendantes et qui sont respectées
comme telles. De vigies, et c’est ce que nous sommes au fond.
Et qui est mieux placé que les juridictions financières pour analyser
l’action publique dans toutes ses dimensions, pour la faire connaître
au citoyen, pour lui offrir de vraies clefs de décryptage, et pour
s’assurer que l’argent public est efficacement utilisé ?
C’est là le rôle
central de nos institutions et le sens de l’article 15 de la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen : il ne peut pas y avoir de vie démocratique
si les pouvoirs publics ne sont pas obligés de rendre des comptes aux
citoyens de l’usage qu’ils font de l’argent public.
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Cette mission, elle peut paraitre simple dans son principe. Elle est en
réalité plus complexe dans la réalité, vous le savez bien. L’imprévisibilité
qui marque notre société contemporaine et la multiplication des attentes,
souvent contradictoires,
nous oblige à faire preuve de
souplesse
pour
nous y adapter au mieux.
Alors certes, comme le disait notre collègue et Académicien Pierre Moinot,
qui était Procureur général quand je suis devenu auditeur, «
la Cour n’est
pas vieille, elle est ancienne
». Jolie formule. Mais lorsque l’on a plus de
200 ans – nous avons été créés en 1807 par Napoléon – vous conviendrez
que la souplesse n’est pas nécessairement une qualité spontanée !
Même à l’aube de la quarantaine, comme les CRTC, elle peut parfois faire
défaut si l’on ne prend pas garde à l’entretenir par quelques exercices.
Mais notre histoire et nos valeurs communes sont, aussi et d’abord, notre
force. Et, tout en nous appuyant sur nos fondamentaux, nous avons su
nous adapter pour répondre aux attentes de nos concitoyens comme des
pouvoirs publics.
***
C’est dans cet état d’esprit que j’ai lancé un vaste chantier de
transformation pour l’ensemble des juridictions financières, appelé
« JF 2025 », avec pour but de construire d’ici cette date des
juridictions qui soient plus modernes, plus rapides, plus en phase
avec les attentes des citoyens.
Cette réforme, je l’ai voulue
transparente, participative et collective, elle a suscité une mobilisation et
parfois un enthousiasme dont je fus à dire vrai le premier surpris. Je
n’imaginais pas un tel mouvement et une telle participation. Etre à la tête
d’institutions aussi réactives, aussi agiles, si l’on souhaite utiliser un terme
à la mode, m’inspire fierté et confiance.
La quinzaine de groupes de travail et ateliers, les consultations, les
sondages internes et les études externes, pour mieux comprendre les
attentes des magistrats, des personnels et des citoyens, ont été menés
rapidement, très rapidement.
Nous avons même fait appel à un institut de sondage, Harris Interactive,
pour connaître le ressenti des Françaises et des Français face à nos
travaux : il a été très riche d’enseignements et là aussi très rassurant. Il
n’y a pas beaucoup d’institutions publiques qui peuvent se vanter d’être
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connu par plus de 90 % de nos concitoyens et appréciés par plus de 70
% d’entre eux. Mais cela nous a aussi appris par exemple que 82 % des
personnes interrogées étaient favorables à ce que les citoyens puissent
saisir les juridictions financières sur un sujet précis via une pétition.
C’est dire que certes nous sommes respectés, je ne dirais pas populaires,
mais c’est dire aussi les attentes immenses auxquelles nous devons
répondre !
Nous avons aussi fait l’objet, car j’y tenais absolument, de ce que l’on
appelle une « revue par les pairs », c’est-à-dire une forme d’examen de
notre fonctionnement et de nos orientations par une institution homologue
étrangère, européenne. Je dis « européenne », mais en réalité non
membre de l’Union européenne, parce que ce sont nos collègues
britanniques du National Audit Office qui ont conduit cette revue, qui était
sans concessions, qui a elle aussi été riche d’enseignements. J’ai
souhaité justement sortir de notre zone de confort, ne pas choisir une
cousine juridictionnelle mais justement une institution dont la culture était
très différente et d’essence parlementaire. Et cela a vraiment été
profitable !
Comme je m’y étais engagé, le chantier de transformation de JF 2025
est d’ores et déjà en cours de mise en œuvre
et se traduit
concrètement – vous le savez – dans nos activités.
Je ne vais pas vous
présenter ici toutes les novations déjà effectives, mais je veux en citer
quelques-unes brièvement :
la création d’une chambre contentieuse à la
Cour des comptes – un peu à l’image de ce qui existe aujourd’hui au
Conseil d’Etat – la participation des plus jeunes magistrats de la Cour aux
délibérés – il était temps, 214 ans après la création de la Cour tout de
même – le renforcement des liens entre la Cour et les CRTC, bien sûr, qui
est pour moi essentiel, c’est déjà ce qu’avait voulu mon illustre
prédécesseur Philippe SEGUIN et c’est ce que nous menons avec force.
Je veux rappeler tout simplement à ceux qui s’interrogent, ou s’inquiètent,
la participation des présidentes et présidents de chambres régionales et
territoriales à toutes les instances de décision. Aujourd’hui, le comité du
rapport public et des programmes, que je préside, n’est plus réservé aux
seuls présidents de chambres de la Cour des comptes puisqu’y figurent
désormais six présidents de CRTC. Et cela a complètement changé la
dynamique d’élaboration des programmes. Je pense aussi à la
simplification du circuit de publication des rapports, au raccourcissement
de nos délais de production – et je rappelle l’objectif : c’est passer de 15
à 8 mois pour l’ensemble des juridictions financières – l’ouverture, dès
2022, d’un droit de requête des citoyens en réponse à l’attente que
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j’évoquais plus tôt et enfin, une fois le projet de loi 3DS adopté – je veux
remercier la ministre Jacqueline GOURAULT d’avoir accepté l’introduction
d’une mesure que je proposais, j’espère que l’Assemblée nationale le fera
après le Sénat dans le cadre de cette mandature, je crois que c’est la
volonté gouvernementale d’y parvenir, et je pense que c’est un texte qui a
bien quelques vertus consensuelles – la compétence offerte aux CRTC
de mener en propre, et non plus seulement d’y
participer aux côtés de la
Cour, des évaluations de politiques publiques, à la demande en particulier
des exécutifs locaux. Convenez tout de même qu’en peu de mois les
évolutions engagées sont importantes ! Je ne voudrais pas qu’elles
donnent le tournis mais la pause n’est pas pour tout de suite. Nous irons
au bout de ce projet, c’est ma tâche.
La phase 2 de « JF 2025 », consacrée à nos ressources et à nos
moyens se termine maintenant, avec la même méthode participative.
Les conclusions ne sont pas encore complètement arrêtées mais je veux
en délivrer ici quelques premiers enseignements : collectivement, vous
vous êtes exprimés en faveur d’une institution à la culture managériale
renouvelée, d’une institution aux méthodes de travail refondées au service
de la qualité des travaux, d’une institution qui permette des parcours
d’excellence et des perspectives professionnelles valorisantes, d’une
institution attractive et ouverte, d’une institution à l’environnement de
travail de qualité, qui soit également responsable et engagée.
Ces éléments-là sont essentiels à mes yeux pour que les juridictions
financières soient confortées, renforcées et qu’elles répondent aux défis
actuels.
A ce titre, je veux maintenant dire quelques mots – on ne comprendrait
pas que je sois silencieux là-dessus – au sujet d’une réforme
particulièrement nécessaire pour les juridictions financières et qui aura
une portée historique puisqu’elle revient au fond sur l’édifice que Napoléon
avait construit. C’est un sujet sur lequel je m’exprimerai plus tard dans la
journée, dans un autre contexte, et sur lequel je suis conscient des
attentes particulières.
Je veux parler de la réforme à venir de la justice financière elle-même
et de la responsabilité des gestionnaires publics.
***
Je vais le dire très clairement parce que c’est comme cela que je le pense.
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Cette réforme est pour moi une absolue nécessité
, compte tenu du
déclin et de l’affaiblissement du système actuel, tant par le fait que,
reconnaissons-le, le régime de la responsabilité personnelle et pécuniaire
des comptables est largement inefficient, que par l’atrophie du
fonctionnement de la Cour disciplinaire budgétaire et financière.
Je le sais, la loi de finances rectificative pour 2011 a tenté de ranimer un
dispositif qui n’était déjà pas en bonne forme. En laissant notamment au
ministre chargé des comptes publics le droit d’annuler les conséquences
pécuniaires des jugements et arrêts des juridictions financières – c’est la
remise gracieuse, c’est l’assurance, qui font qu’en pratique il n’y a pas
grand monde qui soit vraiment sanctionné, reconnaissons-le – la réforme
s’est arrêtée au milieu du gué et n’a fait que retarder le déclin d’un
mécanisme usé depuis longtemps.
Alors je comprends les inquiétudes et les questions, je veux – je vais – y
répondre par le dialogue. Mais je le dis aussi avec fermeté et avec
tranquillité : il n’y a pas de place dans ce débat pour la nostalgie, sinon à
titre sentimental. Il est normal que l’on craigne un saut dans l’inconnu,
mais si nous n’avions pris garde, et sans réforme, ce métier serait mort de
sa belle mort dans quelques années et nous aurions été confrontés à ce
moment-là à des menaces bien plus redoutables.
C’est la raison pour laquelle, à partir du constat posé depuis
plusieurs années, connu et reconnu, il fallait avancer !
Les juridictions
financières ne peuvent faire comme si elles découvraient ce constat et ne
pas prendre le train du mouvement de modernisation de la gestion
publique.
Je parlais d’adaptation, d’évolution, dans le début de mon propos, voilà un
sujet qui s’y prête parfaitement. Je refuse sur ce sujet, comme sur tous les
autres, tout immobilisme et tout
statu quo
délétère.
Pourquoi ? Tout d’abord, je crois profondément en la fonction de
régulation du juge financier
, entre le juge pénal et la responsabilité
disciplinaire. Aux côtés de la responsabilité managériale, de la
responsabilité politique ou pénale, il y a une place pour une responsabilité
financière propre !
Ensuite, et c’est très important évidemment pour moi, je préside une
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institution mais je dirige aussi des corps. Je dois
protéger les
intérêts et les perspectives professionnelles
des centaines d’agents
des juridictions financières, magistrats, vérificateurs, greffiers, archivistes
et personnels administratifs. Or, vous n’êtes pas sans le savoir, il existait
des options plus brutales que celle qui s’annonce, plus amères et qui
auraient abouti à une suppression totalement inacceptable de la qualité
de juridiction de la Cour des comptes et des chambres régionales.
Je ne voulais pas que nous soyons transformés en simple corps d’audit et
que nous perdions notre inamovibilité, notre indépendance et notre qualité
de juge. Nous ne sommes pas dans un temps d’ailleurs où cela eut été
compris par la société.
J’ai combattu ces options et j’ai tenu la promesse que j’avais faite,
que je vous avais faite, lors de mon discours d’installation le 11 juin
2020 : la Cour des comptes et les chambres régionales resteront des
juridictions, et leurs membres resteront des magistrates et des
magistrats !
Mais cela a une contrepartie : c’est que nous jugions mieux
encore dans un système plus efficace et mieux adapté aux enjeux de la
gestion publique d’aujourd’hui.
Dans le nouveau régime proposé par le Gouvernement – c’est lui qui a
élaboré ce projet mais nous y avons été bien sûr associés –
les
juridictions financières
seront à la fois le juge des comptables et le juge
des ordonnateurs. Cela ne signifie pas, contrairement à ce que je lis de
façon erronée, que le principe de la séparation entre ordonnateurs et
comptables soit aboli, il est au contraire explicitement maintenu, ainsi que
la répression de la gestion de fait qui y est associée.
Alors oui, le Gouvernement a d’ores et déjà arbitré que le contentieux de
premier niveau serait concentré au sein de la 7
ème
chambre de la Cour, et
j’ai là aussi entendu parler d’une recentralisation. Ce n’est pas le cas parce
que cette 7
ème
chambre de la Cour sera composée de magistrats de la
Cour des comptes mais aussi, pour la première fois, de magistrats de
chambres régionales, dans une logique de constitution d’un pôle de
spécialisation et d’excellence. Cela va dans le sens de ce que je souhaite
faire, c’est-à-dire réaliser l’intégration fonctionnelle de la Cour et des
chambres régionales, offrir des perspectives nouvelles aux chambres
régionales des comptes.
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Cette unification du contentieux, voulue par l’exécutif, modifiera
vraisemblablement l’appréhension de cette facette du métier par les
magistrats financiers.
Elle peut, je redis en être conscient, susciter des
interrogations et même un peu d’inquiétude. Mais croyez-moi, dans le
dispositif qui sera mis en place, notre statut de magistrats financiers et les
garanties qui en découlent seront préservés, à la Cour comme dans les
CRC. Et surtout, avec une organisation nouvelle qui va améliorer la
qualité, la célérité et l’équité de la justice rendue, le respect des droits des
justiciables en sortira renforcé. C’est un objectif que nous partageons tous.
La création d’une chambre à la composition mixte est également, et
ce point ne devrait pas échapper à votre sagacité, un élément qui va
très clairement dans le sens du mouvement de rapprochement entre
la Cour et les chambres régionales
, que je mène avec force et
conviction, en harmonisant nos programmations, en partageant notre
gouvernance et en étendant aux chambres régionales les compétences
d’évaluation des politiques publiques. Vous devez, lorsque vous pensez à
l’avenir des juridictions financières, ne pas vous attarder sur tel ou tel
élément isolé mais évaluer l’ensemble des réformes en cours, et mesurer
l’ampleur de la transformation à venir de vos métiers et surtout les très
grandes opportunités que ce processus ouvre à chacun. Il me semble clair
que les CRC et leurs personnels, tous leurs personnels, sortiront
gagnants, je dirais même grands gagnants, de ces transformations.
En deuxième niveau, la Cour de discipline budgétaire et financière
aura disparu, et sera instituée une cour d’appel financière, que je
présiderai ès qualité, et qui sera composée de quatre membres de la
Cour, quatre membres du Conseil d’État et de deux personnalités
qualifiées, ce qui permettra d’enrichir la qualité de l’analyse.
Le projet
du Gouvernement, qui a passé – je le dis au passage – sans difficulté
l’examen exigeant du Conseil d’Etat, n’est pas une nouveauté juridique
puisque
l’échevinage
entre
magistrats
professionnels
et
non
professionnels existe déjà dans nombre de formations contentieuses, y
compris administratives. La loi devra naturellement veiller à la prévention
des
conflits
d’intérêts
des
personnalités
extérieures.
J’y
serai
extrêmement attentif.
Enfin, le Conseil d’Etat restera notre juge de cassation.
Le projet de texte du Gouvernement, et je me tourne vers les
parlementaires présents, pourra peut-être être encore amélioré, au
cours de la discussion parlementaire, notamment
pour définir
explicitement le champ des justiciables, pour étendre – je crois que c’est
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nécessaire – le champ des infractions financières génératrices d’un
préjudice financier significatif, et pour préciser certaines de celles qui
existent déjà dans le code des juridictions financières.
Mais cette réforme n’est en rien un affaiblissement des juridictions
financières, bien au contraire !
Elle en renforce le rôle comme les
pouvoirs. Pour la première fois, elles pourront prononcer de véritables
sanctions administratives concernant les fautes commises par les
comptables et les ordonnateurs :
des peines d’amende qui ne pourront ni être assurées, ni être
remises
par une autorité administrative ou politique. C’est la fin de
cette justice retenue selon laquelle le ministre pouvait, et peut
d’ailleurs aujourd’hui, annuler la portée des décisions des juges
financiers - atteinte évidente à la séparation des pouvoirs et vestige
d’une justice des siècles passés dont je m’étonne que certains
puissent en avoir une quelconque nostalgie ;
de véritables peines d’interdiction d’exercice professionnel
pour un ordonnateur ou pour un comptable fautif.
C’est une
avancée considérable, qui donnera toute leur portée aux travaux de
la juridiction.
Les juridictions financières sont plus que jamais attachées à la
probité, à la régularité et à la transparence de l’action publique
. Les
citoyens l’ont dit avec force lors du « Grand débat national », ils exigent
une redevabilité effective de l’administration qui les gouverne !
J’ai toute confiance dans notre capacité collective à tirer le meilleur parti
de cette réforme qui jette les bases d’une justice financière moderne. A
continuer à être des juridictions indépendantes et utiles à la société. A
s’inscrire sans complaisance dans cette évolution, avec comme seules
boussoles l’intérêt général et le devoir de justice.
J’ai toute confiance également en Paul SERRE, votre président, pour
inscrire cette belle chambre, dont je connais et apprécie l’excellence, dans
cette dynamique de modernisation.
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Mesdames, Messieurs,
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Pour conclure, je vous invite à suivre de près l’actualité des juridictions
financières dans les prochaines semaines : elle sera riche ! Elle sera aussi
passionnante et sera un puissant générateur de changement.
Stephen Hawking disait que
« l’intelligence, c’est la faculté de s’adapter
au changement »
.
Permettez-moi de dire que d’intelligence collective, les juridictions
financières n’en manquent pas !
Elles le prouvent tous les jours, et je
remercie tous leurs membres pour l’implication formidable dont ils font
preuve pour incarner cet élan transformateur dans leur éthique de travail
et dans leur approche de nos missions, que nous effectuons toujours au
nom des citoyens.
Je voudrais que vous tous ici soyez convaincus de mon engagement
personnel sur tous ces sujets.
Mon rôle – et je n’en ai qu’un – c’est de
faire valoir les intérêts et la voix de nos institutions avec lucidité, avec
exemplarité, avec indépendance, avec impartialité – chaque mot compte
–, au nom de nos institutions et de leurs membres, et surtout au service
des citoyens. C’est une haute mission, c’est une belle mission, dont je
mesure la responsabilité. Croyez qu’elle m’oblige et me mobilise à chaque
instant.
Merci de votre attention.