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OUVERTURE DU COLLOQUE SCIENTIFIQUE
EN PARTENARIAT AVEC LE CNRS :
« RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET ACTION PUBLIQUE »
Mardi 8 décembre 2020 – 09h30 (visioconférence)
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Monsieur le président-directeur général du CNRS, cher Antoine Petit,
Monsieur le président-directeur général de l’Inria, Monsieur Bruno Sportisse,
Mesdames et messieurs,
Cher·es collègues,
Bonjour à toutes et tous et merci beaucoup pour votre présence à ce tout premier
colloque scientifique de la Cour des comptes, organisé en partenariat avec le CNRS et
l’Inria.
Je suis très heureux d’être parmi vous pour le lancement de cet évènement prévu et
organisé de longue date.
Je me réjouis tout particulièrement, en mon nom personnel et au nom de l’ensemble
des juridictions financières, d’accueillir tout à l’heure – vers 10h45 – la ministre de
l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal.
Je la
remercie infiniment de s’être rendue disponible et de contribuer dans ses fonctions à ce
premier colloque. Sa présence nous honore et rehausse encore davantage l’importance que
revêt pour nous ce moment, et je crois ici pouvoir parler au nom de nos partenaires du
CNRS et de l’Inria.
Je salue également bien sûr leur présence, à eux qui m’ont laissé le plaisir de ces
quelques mots d’introduction.
Leurs présidents, Antoine Petit et Bruno Sportisse, sont entourés virtuellement de leurs
équipes que je suis aussi très heureux d’accueillir et dont je salue la présence en nombre je
crois à cet évènement qui est un moment d’échange privilégié.
Depuis la signature de la convention de coopération scientifique et culturelle entre la Cour et
le CNRS le 16 novembre dernier, ce colloque constitue notre première initiative commune. Il
s’agit donc d’un évènement qui nous tient particulièrement à c
œ
ur et que nous attendions,
en tout cas pour ce qui nous concerne, avec grande impatience.
Je voudrais à cet égard remercier, pour leur présence, pour leur mobilisation, leur
participation, tous les intervenants et intervenantes qui se succèderont aujourd’hui.
Le contexte exceptionnel que nous traversons ne se prêtait évidemment pas à l’organisation
d’un colloque rassemblant physiquement un grand nombre de personnes, mais grâce à la
visioconférence, vous êtes plus de 260 inscrits à cette journée d’échange. Je me réjouis
donc de l’engouement qu’a suscité notre évènement commun et vous remercie, chacun et
chacune, d’être avec nous aujourd’hui.
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Ce succès n’aurait pas été possible sans une équipe organisatrice très impliquée.
Je
tiens à cet égard à remercier les nombreux services de la Cour qui ont contribué à la
préparation de ce colloque, en lien avec nos partenaires et sous la direction attentive et
efficace de Paul Serre, secrétaire général adjoint, qui le fait avec beaucoup d’énergie et de
talent. Je salue en particulier l’engagement du pôle formation et des chargés de projet de
coopération avec le CNRS, notamment Marie Reynier, Mathieu Moslonka-Lefebvre et Olivier
Brandouy, qui a beaucoup travaillé pour permettre la tenue de cet évènement et vient d’être
nommé recteur de l’académie de Reims. Nous lui transmettons d’ailleurs, et je l’ai fait, tous
nos v
œ
ux de succès.
***
1. L’évènement qui nous rassemble s’inscrit dans une démarche d’ouverture et
d’échange réciproque de la Cour avec, je le disais, le monde du savoir.
Les liens que nous entretenons avec l’univers académique, avec la recherche ne sont
bien sûr pas nouveaux, loin s’en faut.
D’ailleurs, le comité d’histoire de la Cour a publié
récemment un ouvrage, sous la direction de Georges Capdeboscq, qui porte précisément
sur les relations entre la Cour des comptes et la recherche scientifique depuis 1900. Il met
en évidence l’ouverture ancienne et sans cesse plus accentuée de notre juridiction à ces
enjeux.
Cette ouverture est d’abord celle de nos travaux.
Depuis déjà de nombreuses années, la
troisième chambre de la Cour est non seulement celle de la culture ou du sport mais aussi
celle de la connaissance. Elle consacre chaque année environ 40 % de son potentiel humain
aux politiques de création, de transmission et de valorisation du savoir. C’est d’ailleurs là où
j’ai débuté ma carrière il y a bien longtemps en tant qu’auditeur. C’est vous dire l’importance
de ces sujets pour nous ! Au-delà de nos thèmes de contrôle ou d’évaluation, la Cour a
également noué de nombreux partenariats avec des laboratoires universitaires de premier
rang, comme ceux de Sciences Po ou de la
Paris School of Economics
.
Notre ouverture au monde du savoir, c’est aussi celle de nos membres.
Plusieurs de
nos collègues sont issus de l’univers de la recherche – ils sont de plus en plus nombreux, ce
n’est pas le hasard, c’est volontaire et c’est heureux – d’autres le rejoignent au cours de leur
carrière, en intégrant les administrations placées sous la direction de la ministre de
l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation. Cette coloration des mobilités,
dans un sens comme dans l’autre, est une particularité forte de notre maison que j’ai à c
œ
ur
– je peux vous l’assurer – de conserver et de développer.
La Cour entretient donc de longue date des relations privilégiées avec la sphère de la
recherche, mais ces dernières ont récemment franchi une étape supplémentaire.
A
l’initiative de plusieurs membres de la Cour, mon prédécesseur, Didier Migaud, a en effet
lancé en novembre 2019 une stratégie formalisée de dialogue avec le monde du savoir.
Cette stratégie a désormais un an.
J’ai eu à c
œ
ur de la poursuivre dès mon arrivée en juin
dernier et je vous dis ici que je souhaite fermement encore l’accentuer pendant la durée de
mon mandat. Elle vise à resserrer les liens de la Cour avec le monde universitaire et à
renforcer notre compréhension mutuelle.
Ce rapprochement est pour moi, en tant que Premier président, absolument essentiel,
mais je ne pense pas seulement à l’institution dont j’ai la charge aujourd’hui.
Il se
trouve que j’ai occupé d’autres fonctions avant, au niveau local, national et européen, qui
m’ont toutes permis d’alimenter un certain nombre de convictions. L’une d’entre elles, c’est
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que l’action publique, pour être pertinente, pour faire sens, pour être stratégique doit
s’abreuver à plusieurs sources, notamment extérieures à l’administration. Je ne crois pas à
la technocratie et je crois au contraire que les évènements de cette année terrible, avec la
pandémie dévastatrice que nous traversons, l’ont souligné avec plus d’acuité qu’aucun
discours ne pourrait le faire : dans un monde de plus en plus complexe, la décision publique
a besoin de tous les éclairages – notamment scientifiques – et la science, de son côté, ne
peut pas être le pré-carré des experts mais elle doit être un outil à disposition du plus grand
nombre.
Le savant et le politique, c’était le titre d’un ouvrage de Max Weber, ne peuvent pas se
confondre, mais ils doivent échanger, connaître et comprendre la logique de l’autre.
Il
ne revient pas aux scientifiques de trancher ou d’imposer une décision – ils ne le souhaitent
pas d’ailleurs – mais une décision qui ne tient pas compte de la science peut être
dangereuse. L’exemple – ou le contre-exemple – américain pendant l’épidémie de Covid est
ici parlant.
Nous connaissons cette terrible citation attribuée au président du tribunal
révolutionnaire à Lavoisier, lors de sa condamnation : «
La République n’a pas besoin
de savants
».
Je ne vais pas me prononcer sur la véracité historique de cette anecdote, mais je suis
intimement convaincu qu’au contraire, la République a besoin de savants, qu’elle a besoin
de chercheurs et de chercheuses, peut-être plus que jamais, et que l’action publique ressort
à la fois nourrie et grandie par le rapprochement avec la recherche scientifique.
Comment peut-on aborder, par exemple, des politiques publiques aussi complexes
que la transition écologique sans connaissance et sans éclairage scientifique ?
Comment peut-on améliorer l’anticipation et la gestion des crises – nous savons que ces
crises vont se multiplier, qu’elles vont devenir de plus en plus gaves et systémiques, quelle
que soit leur nature, sans appui technique ? Comment peut-on participer au débat
démocratique sans savoir comment mieux y intégrer les données issues de la recherche ?
Ce sont ces questions qui animent aussi notre démarche de rapprochement avec le
monde du savoir.
Car les juridictions financières, pour rester crédibles et surtout pour rester
utiles, doivent évoluer en même temps que l’action publique. Si cette dernière intègre de
nouvelles dimensions, nous devons nous aussi les intégrer ; si elle rencontre de nouvelles
difficultés, nous devons les aborder.
À la lecture de la presse, nous avons malheureusement souvent l’impression que la Cour ne
remplit que deux missions – je déteste ces mots :
Première mission : c’est épingler ;
Deuxième mission : c’est étriller.
Nous ne sommes pas là pour étriller. Cela nous arrive parfois – quand c’est nécessaire, et
c’est aussi notre rôle de signaler les abus – peut-être même l’avons-nous déjà fait quand ce
n’était pas absolument nécessaire. Mais ces vocables spectaculaires ne résument pas ce
qu’est notre action et ce qu’elle doit être. L’objectif de la Cour et des chambres régionales et
territoriales des comptes n’est pas pour moi celui-là, il est d’abord de soutenir de façon
constructive toutes celles et ceux qui veulent améliorer l’action publique.
J’aime d’ailleurs à croire qu’au fond, les organismes de contrôle – comme les juridictions
financières – et le monde de la recherche poursuivent certaines ambitions communes :
permettre d’établir – ou de rétablir – des faits ;
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fournir des éclairages, parfois à partir d’hypothèses, sur l’avenir ;
chercher sans cesse à améliorer un procédé, une méthode, un fonctionnement.
Jusqu’où va cette communauté d’ambitions ?
Les rapporteurs des juridictions financières
seraient-ils des chercheurs qui s’ignorent ? Parfois, on a le sentiment que nos travaux sont
un peu académiques, ce qui pour moi n’est pas un défaut. Est-ce que nos publications sont
une forme de science, et devraient-elles l’être ? Il me semble que notre rapprochement n’est
pas une confusion.
Partant de mêmes faits, posant les mêmes hypothèses, les juridictions financières et
la recherche scientifique ne visent et n’atteignent pas, évidemment, les mêmes buts.
Il
y a dans la mission des juridictions financières deux obligations singulières. D’abord, c’est
compris dans leur intitulé même, celle de juger. Une publication des juridictions financières –
rapport ou arrêt – est certes la conclusion d’un raisonnement, mais c’est surtout le résultat
d’une décision prise par un collège de magistrats et magistrates – je tiens à ce que la Cour
reste une juridiction – et qui peut faire grief. L’autre obligation que la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen nous confie, c’est celle de rendre compte à la société des
opérations administratives. C’est depuis cette place singulière que nous contribuons dans un
sens, et à notre niveau, à la vérité et au progrès du savoir.
Que ce soit au service de l’État ou au service de la science, nous
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uvrons au fond toutes et
tous à des missions qui dépassent nos existences individuelles, parce que nous les savons
essentielles ; nous défendons des valeurs que nous cherchons bien sûr à incarner, parce
que nous les considérons comme fondatrices ; nous participons, en un mot, à un destin
collectif, qui se situe dans le temps long et auquel nous essayons, modestement et chacun à
sa place d’apporter une contribution.
Donc nos objectifs peuvent se rejoindre et nos engagements se ressembler
: c’est
pourquoi nous ne pouvons pas accomplir nos missions de façon totalement hermétique – je
parle de l’action publique d’un côté, de la recherche de l’autre. Nous avons trop à gagner à
travailler main dans la main, trop à apprendre en se rapprochant.
En tout cas, les juridictions financières, ont clairement besoin, et je parle pour nous,
du monde du savoir pour améliorer la conduite de leurs missions et renforcer la
solidité de leurs constats.
Je vais prendre un exemple qui est celui de l’évaluation des
politiques publiques. J’ai été dans une autre vie, avec Michel Rocard, au commissariat au
plan, qui a permis de lancer l’évaluation. C’est l’une des compétences explicites de la Cour
depuis la révision constitutionnelle de 2008 et je souhaite faire de notre institution l’instance
de référence en France – pas la seule, mais celle de référence – dans ce domaine.
Cet objectif, qui est ambitieux, nécessite d’importants moyens humains et techniques, pour
s’approprier de nouvelles méthodes et attirer de nouveaux profils. Nous avons déjà accompli
des efforts significatifs en ce sens, mais pour aller plus loin, il nous faut multiplier les
partenariats et les échanges de bonnes pratiques.
À leur niveau, je suis aussi convaincu que les juridictions financières peuvent aider la
recherche.
Elles peuvent le faire comme c’est déjà le cas en nouant des partenariats
d’expertise avec les centres de recherche, mais aussi, au-delà, en partageant les données
auxquelles elles ont accès, en ouvrant leurs archives, en fournissant leur expertise sur les
politiques publiques et l’administration, en présentant et confrontant leurs méthodes.
Je crois donc que les avantages mutuels sont donc multiples.
C’est pourquoi, j’en suis
convaincu, la signature de la convention de coopération scientifique et culturelle avec le
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CNRS constitue une avancée considérable. Je remercie encore, à cet égard, Antoine Petit et
ses équipes pour cette avancée partenariale totalement décisive.
La convention prévoit de nombreux projets communs, comme l’organisation de formations, la
production de publications conjointes, l’échange de documentations ou encore l’organisation
d’évènements. Elle stipule notamment qu’un colloque scientifique doit avoir lieu tous les
deux ans et je suis très heureux que, moins d’un mois après avoir signé la convention, nous
puissions – certes dans des conditions particulières – déjà tenir le premier.
L’évènement a lieu cette année, je l’ai dit au début de mon propos, en partenariat avec
l’Inria, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, et c’est une
excellente chose car nous allons justement aborder les sciences du numérique.
Le thème du numérique public aura donc en quelque sorte été le fil conducteur de l’année
2020 pour la Cour des comptes, puisque nous y avons consacré notre rapport annuel, que
les périodes de confinement, qui certes emportent leur lot de frustration et de tristesse, nous
ont obligés à un saut qualitatif en la matière et que l’évènement qui nous réunit aujourd’hui y
reviendra de manière approfondie, vu du côté des travaux de recherche.
***
2. J’en viens justement et rapidement au thème retenu pour ce premier colloque : «
Recherche scientifique et action publique ».
C’est un thème qui, vous le voyez, est volontairement très transversal et va nous permettre
d’aborder des enjeux structurants pour nos institutions. Avant de conclure, je voudrais
prendre quelques instants pour vous présenter rapidement le programme de cette journée.
La matinée sera d’abord consacrée au potentiel du numérique au profit de l’action
publique, avec deux sessions.
La première portera sur la variété des outils et usages,
sous l’animation de Marie Reynier, conseillère maître en service extraordinaire à la Cour,
avec comme intervenants :
David Chavalarias
et
Claire Mathieu
, qui sont directeur et directrice de recherche
au CRNS ;
Vittoria Colizza
, directrice de recherche à l’Inserm ;
Et
Mathieu Moslonka-Lefebvre
, rapporteur à la Cour.
La ministre interviendra à l’issue de cette première session.
La deuxième abordera
quant à elle les vecteurs d’impact pour les politiques publiques. Le secrétaire général du
Conseil des prélèvements obligatoires,
Christophe Strassel
, l’animera et
Bruno Sportisse
,
qui dirige je l’ai dit l’Inria, interviendra aux côtés de
Benoît Rottembourg
, également issu de
cet institut. Cette matinée d’échanges sera clôturée par Antoine Petit, le PDG du CNRS.
La journée se poursuivra ensuite autour du thème de « l’assurance qualité à l’ère des
données ».
Un atelier sera consacré au chantier suivant : « ouvrir les données, reproduire
les résultats ». Il sera animé par
Paul Serre
, secrétaire général adjoint et responsable du
Centre d’appui métier de la Cour, qui comporte notamment notre direction des méthodes et
données. Nous accueillerons
Danièle Bourcier
, directrice de recherche au CNRS, et
Christophe Pérignon
, directeur du groupement de recherche et d’études en gestion à HEC.
Enfin, une dernière table-ronde abordera les défis de l’ouverture des données, après une
introduction de
Serge Bauin
, expert des données ouvertes de la recherche au CNRS.
Animée par
Florent Laboy
, qui est justement notre directeur des méthodes et données et
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modérée par
Mathieu Moslonka-Lefebvre
, cette table-ronde accueillera
François
Bancilhon
, membre de la commission d’évaluation de l’Inria,
Étienne Drouard
, avocat
associé chez Hogan-Lovells, spécialiste de droit numérique, et
Kamel Gadouche
, directeur
du centre d’accès sécurisé des données, le CASD
.
Je suis donc persuadé que cette journée d’échange va nous permettre de prendre du recul
et de la hauteur sur ces sujets passionnants, mais aussi de mesurer tous les bénéfices que
nous pouvons attendre de notre coopération.
La qualité des thèmes abordés comme des intervenants sollicités souligne en tout cas la
grande ambition attachée à cet évènement et la force des liens qui unissent déjà les
juridictions financières et le monde du savoir que, je vous le redis, je souhaite renforcer
C’est la rapporteure générale de la Cour des comptes, Michèle Pappalardo, qui
assurera la clôture de l’évènement.
Je l’en remercie et lui souhaite bon courage, car il est
toujours plus facile de parler avant de brillants chercheurs comme je le fais qu’après eux !
***
J’en ai d’ailleurs terminé avec ce propos introductif.
Il ne me reste plus qu’à vous
souhaiter une bonne et fructueuse journée de travail et à vous remercier de votre attention.
Bon colloque !