AUDIENCE SOLENNELLE
INSTALLATION DU PREMIER PRÉSIDENT
Jeudi 11 juin 2020
–
11h00
Allocution de Catherine Hirsch de Kersauson,
Procureure générale
Merci, Monsieur le Premier président, de me don
ner la parole pour m’acquitter d’une double
et agréable tâche.
En s’assemblant aujourd’hui pour votre installation, la Cour est heureuse d’accueillir
à sa tête,
le 36
e
Premier président et le 9
e
magistrat issu de l
’auditorat auquel échoit l’honneur de la
présider.
Je tiens à vous présenter, au nom du Parquet général, mes très vives félicitations et vous dire
que nous nous réjouissons de votre nomination après le long intérim qui a suivi celle de Didier
Migaud à la tête de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le 31 janvier
dernier.
Permettez-
moi aussi, Monsieur le Premier président, mes chers collègues, de saluer l’action
de Sophie Moati, doyenne des présidents de chambre qui a fait fonction de Premier président
durant cette période, dans les conditions difficiles de la crise sanitaire de la Covid-19 que nous
avons vécue. Avec la finesse et la fermeté que nous lui connaissons, et l’esprit collégial qui
l’anime, Sophie Moati a su faire vivre des
juridictions financières « dématérialisées », dont les
membres étaient confinés à leur domicile, reliés entre eux par des messageries,
visio-conférences et autres outils de communication
–
qui
n’ont déso
rmais plus de secrets pour
eux.
Je tiens à souligner la rapidité avec laquelle les juridictions financières se sont adaptées à
cette situation inédite, dans le respect des principes qui les fondent : l’indépendance, le respect
du contradictoire et la collégialité. Cette réactivité, nous la devons à l’espri
t collectif qui anime
chacun de ceux qui composent les juridictions financières ainsi qu’à l’efficacité dont a su faire
preuve le secrétariat général. Je veux à mon tour remercier l’ensemble des personnels pour
leur mobilisation et leur implication durant cette période éprouvante.
Même si l’épidémie de
Covid-
19 n’est pas encore tout à fait derrière nous, et le format réduit
de l’audience solennelle de votre installation, Monsieur le Premier président, en témoigne, je
me réjouis que le déconfinement progressif de notre pays, dont un membre de la Cour a été
le maître d’œuvre, se déroule selon le calendrier prévisionnel et que, s’agissant de la Cour, le
taux de présence soit passé de 20 à 40 % depuis le 2 juin. Je suis en effet convaincue pour
ma part
que si les juridictions financières ont démontré qu’elles étaient capables de fonctionner
en « télétravail », elles ont besoin de la présence physique de leurs membres. Notre ADN est
constitué par la confrontation d’idées et de réflexions dans le cadre de
délibérés collégiaux
débouchant sur l’expression des opinions et des messages de la Cour. Je souhaite donc que
nous revenions progressivement à un mode de fonctionnement « normal » sans nous priver
des enseignements de cette période de télétravail pour certains aspects de notre organisation.
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Derrière la permanence d’un cérémonial auquel nous sommes tous attachés, c’est une
institution confrontée à de multiples enjeux dont, Monsieur le Premier président, vous prenez
aujourd’hui la barre.
Je me limiterai à trois de ces enjeux, essentiels du point de vue du ministère public.
Le premier concerne la stratégie de contrôle des juridictions financières. La crise sanitaire et
ses conséquences pour les finances publiques doivent conduire la Cour et les chambres
régionales et territoriales des comptes à remettre à plat leur programmation, qu’il s’agisse des
sujets de contrôle ou de leurs modalités. La Cour est attendue sur la gestion de la crise
sanitaire, sur l’état de la France à l’issue de la crise. Je pense év
idemment à la situation des
finances publiques (État, sécurité sociale, collectivités locales) mais aussi à la situation des
grandes entreprises publiques, de transport par exemple, profondément affectées par la crise.
Ces sujets justifieront des travaux d
’audit et d’évaluations de politiques publiques.
Mais les programmes annuels et pluriannuels de la Cour devront également faire une large
place au contrôle de la régularité de la dépense publique compte tenu des montants d’aides
financières consentis par
l’État et les collectivités locales aux entreprises et aux salariés.
Monsieur le Premier président, les programmes des chambres pour 2020 ont été ajustés ces
dernières semaines sous l’impulsion de la doy
enne des présidents de chambre et de la
rapporteure générale. Au-
delà, la programmation triennale méritera d’être revue.
Le deuxième enjeu sur lequel je souhaite appeler votre attention, Monsieur le Premier
président, c’est la responsabilité des gestionnaires publics. C’est loin d’être une question
nouvelle pour les juridictions financières mais elle reste pendante tant la situation actuelle de
la responsabilité des comptables comme des ordonnateurs n’est pas satisfaisante.
Votre prédécesseur et moi-même avons confié en mai 2019 à la rapporteure générale
l’animation d’un groupe de travail chargé de nous faire des propositions d’évolution des
régimes de responsabilité des gestionnaires publics.
En octobre 2019, la Cour et le Conseil d’État
ont tenu, ici même, dans cette G
rand’chambre,
un colloque sur cette
question qui a permis d’engager un dialogue qui m’apparait
indispensable, entre les parties prenantes, le Conseil d’État bien sûr, mais aussi la Direction
générale des finances publiques, les ordonnateurs élus et les responsables de programmes.
En décemb
re 2019, le ministre de l’action et des comptes publics confiait à Jean Bassères,
directeur général de Pôle emploi, une mission consistant à lui faire des propositions sur le
régime de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics. Son rapport devait
être remis fin mars 2020.
La situation d’intérim dans laquelle la Cour s’est trouvée à partir de fin janvier puis la crise
sanitaire ont évidemment retardé le dépôt de ce rapport.
En revanche, le groupe de travail interne aux juridictions financières a achevé ses travaux, et
la rapporteure générale a mis au point une note présentant différentes hypothèses
d’évolutions.
Il vous appartient désormais, Monsieur le Premier président, d’arrêter la méthode
et le calendrier qui permettront d’avancer
sur cette question essentielle.
Mais sans attendre que les réflexions en cours débouchent sur une réforme de la
responsabilité des gestionnaires publics, votre prédécesseur et moi-même avons arrêté à
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l’automne dernier un plan de relance de la CDBF, à droi
t constant, que le secrétaire général
de la CDBF et le Parquet général ont commencé à mettre en œuvre.
J’en viens au troisième enjeu qui tient au recrutement de la Cour suite aux propositions
formulées par le rapport Thiriez en janvier dernier. Les juridictions financières ne peuvent que
souscrire à la nécessité d’un recrutement de la haute fonction publique plus diversifié, du
décloisonnement des différentes fonctions publiques, et de l’adaptation de la formation des
fonctio
nnaires aux nouveaux enjeux de l’action publique. Il importe en même temps que la
Cour des comptes, qui est une juridiction avant d’être un grand corps, dont le crédit repose sur
son indépendance, l’importance de ses missions, et la rigueur de ses procédur
es, puisse
compter sur un recrutement de qualité en début de carrière.
Pour répondre à ces enjeux, Monsieur le Premier président, vous disposez d’atouts nombreux.
Le premier tient au hasard… À moins qu’il ne s’agisse du destin. Vous êtes né un 16
septembre, 150 ans après la loi du 16 septembre 1807 qui donna naissance à la Cour des
comptes. Comment ne serais-je pas sensible à ce signe, étant moi-même née un 16
septembre ?
Plus sérieusement, vos atouts sont avant tout liés à votre parcours et à votre personnalité que
la doyenne des présidents de chambre vient de nous présenter. Les hautes responsabilités
qui ont été les vôtres dans des situations variées vous ont donné une connaissance
approfondie des rouages de l’État, des collectivités territoriales co
mme des instances
européennes.
En deuxième lieu, vous prenez la tête d’un corps qui est non seulement un exceptionnel capital
d’intelligence et un rare vivier de compétences, mais qui est aussi prêt à se mobiliser sous
votre impulsion, autour d’un projet
ambitieux. Vous bénéficiez des innovations menées par vos
prédécesseurs, Pierre Joxe, François Logerot, Philippe Séguin et Didier Migaud. J’aurai
évidemment le plaisir de revenir sur la première présidence de Didier Migaud dans son éloge
que je prononcera
i l’an prochain.
Je veux également souligner l’apport irremplaçable que constitue le réseau des chambres
régionales et territoriales des comptes par leur ancrage territorial et la qualité et les
compétences de leurs membres. Les liens qui les unissent à l
a Cour n’ont cessé de se
renforcer depuis leur création et, par leurs rapports d’observations, elles jouent tout leur rôle
de régulateur de la démocratie locale.
Enfin, vous avez devant vous le temps nécessaire pour concevoir et porter un projet pour les
juridictions financières.
Monsieur le Premier président, les magistrats, rapporteurs, experts, vérificateurs, greffiers, et
personnels administratifs qui composent la Cour et les chambres régionales et territoriales des
comptes sont fiers d’appartenir aux
juridictions financières. Je suis sûre que, partageant cette
fierté, vous saurez l’entretenir et lui donner de nouvelles raisons d’être.
À titre personnel, je vous assure du soutien sans réserve du ministère public. Par sa fonction,
celui-ci veille à la
conformité de nos procédures à la loi et au respect de l’ordre public financier;
il est sensible à tout ce qui peut améliorer la qualité de nos travaux et leur impact sur la gestion
publique. C’est pourquoi il appelle de ses vœux les évolutions nécessaires
et il vous
accompagnera résolument dans leur mise en œuvre.