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La rétention des étrangers en situation
irrégulière
_____________________
PRESENTATION
____________________
Les centres et les locaux de rétention administrative (CRA et LRA)
sont utilisés pour retenir les étrangers en situation irrégulière avant leur
éloignement du territoire national. Leur gestion est placée sous la
responsabilité de la direction générale de la police nationale ou de la
direction générale de la gendarmerie nationale. En juin 2006, dix-neuf
centres de rétention administrative (seize gérés par la police, trois par la
gendarmerie) étaient en service en métropole et trois outre-mer.
Les centres de rétention administrative ont été créés le 5 avril 1984
par décision du Premier ministre et mis en place par le biais de simples
circulaires sur le fondement de l'ordonnance du 2 novembre 1945
relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France.
Pendant longtemps, aucun texte réglementaire n’a fixé ni les lieux
d'implantation ni le nombre de centres autorisés. Aucune condition
particulière n'était requise pour ouvrir et gérer de tels lieux jusqu’à ce
qu'un décret du 19 mars 2001 suivi de deux arrêtés interministériels du
24 avril 2001 viennent
fixer la liste des CRA et définir les aménagements
dont ceux-ci devaient bénéficier dans un délai de trois ans.
Entre-temps, le fonctionnement des centres de rétention a subi
l’impact, d’une part, de la décision prise en 2003 par le ministre de
l'intérieur de doubler, dès l’année suivante, le nombre d’étrangers
éloignés du territoire national en le faisant passer de dix à vingt mille,
d’autre part, de l’allongement de la durée maximale de rétention, portée
de 12 à 32 jours par la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de
l’immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité.
416
COUR DES COMPTES
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,
entré en vigueur le 1
er
mars 2005, dispose que peuvent être placés dans
des lieux de rétention ne relevant pas de l’administration pénitentiaire les
étrangers faisant l’objet d’un arrêté de reconduite à la frontière ou d’un
arrêté d’expulsion, ainsi que ceux qui se trouvent en instance de
réadmission dans un autre Etat membre de l’Union européenne. Pris en
application dudit code, un décret du 30 mai 2005 relatif à la rétention
administrative et aux zones d’attente a abrogé le décret du 19 mars 2001
en introduisant certaines améliorations sur les aménagements exigés tout
en repoussant jusqu’au 31 décembre 2006 l’obligation de mise aux
normes des locaux.
La question des CRA et des LRA avait déjà été évoquée dans le
rapport public particulier que la Cour avait consacré, en novembre 2004,
à l’accueil des immigrants et l’intégration des populations issues de
l’immigration. Elle recommandait notamment d’améliorer l’implantation
immobilière des centres et de procéder à un recensement et à un contrôle
des locaux de rétention. La Cour a décidé de procéder en 2006 à un
examen plus approfondi et actualisé de cet aspect particulier de la
politique de reconduite aux frontières des étrangers en situation
irrégulière.
I
-
Les conditions de la rétention administrative
A - Les conditions matérielles
Jusqu’en 2005, les conditions matérielles de la rétention n’ont pas
respecté
les
obligations
imposées
à
l'administration
par
l'arrêté
interministériel du 24 avril 2001, pris en application du décret du
19 mars
2001 précité. L’aménagement des locaux n’a pas été mis en conformité à
l’échéance prévue du 31 décembre 2004. Des manquements a l’exigence
d’espaces réservés aux femmes, de locaux de visite et d’un lieu de
promenade extérieure ont été observés dans de nombreux CRA.
Dans plusieurs CRA, parmi les plus importants, les conditions
sanitaires et d’hygiène réservées aux étrangers étaient très dégradées et
constituaient parfois une véritable atteinte à la dignité humaine. Elles ont
été dénoncées par maints rapports dont, en dernier lieu, celui du Conseil
de l’Europe de février 2006 sur le respect effectif des droits de l’homme
en France.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
417
S’agissant des centres présentant les conditions matérielles d’accueil
les plus vivement critiquées, il a fallu attendre mai 2006 et l’ouverture du
nouveau CRA de Marseille-Le Canet pour que le centre de Marseille-
Arenc soit enfin fermé, et juin de la même année pour qu’il en soit de
même de la section des hommes du Palais de justice de Paris, transférée
dans le CRA de Vincennes. Par ailleurs, un programme d’urgence a été mis
en oeuvre en 2005 qui a en partie porté ses fruits. Doté d’un budget de 2
M€, il a permis d’améliorer l’état des locaux existants et de les munir d’un
certain nombre d’équipements élémentaires faisant défaut jusqu’alors.
Enfin, la commission nationale de contrôle des centres et locaux de
rétention administrative et des zones d’attente, instituée par la loi du
26 novembre 2003 et organisée par le décret du 30 mai 2005 n’a été
installée qu’en mars 2006. Chargée de veiller au respect des normes
d’hygiène, de salubrité, de sécurité et d’aménagement, ainsi que des droits
des étrangers dans les lieux de rétention, cette commission a le pouvoir de
formuler des observations et des recommandations dans un rapport annuel.
B - L’exercice des droits des étrangers
L’information des étrangers retenus sur leurs droits ainsi que les
conditions d’exercice de ces derniers sont restées insuffisantes. Jusqu’à une
date récente, les centres n'avaient pas tous établi de règlement intérieur
conforme, trois ans après la publication des textes le rendant obligatoire.
Le recours à un interprète, prévu par l'article 35 bis de l'ordonnance de
1945 modifiée, est resté purement formel, de même que l’assistance d’un
conseil. L'absence d’information préalable des étrangers sur leurs
déplacements (audiences, présentation au consulat, embarquement),
pourtant rendue obligatoire par le modèle de règlement intérieur de 2001, a
été la source de fortes tensions dans les CRA.
Des améliorations récentes ont été apportées en ce qui concerne le
règlement intérieur. Des arrêtés du 2 mai 2006 ont réaffirmé l’obligation
d’afficher le règlement traduit dans les langues les plus couramment
utilisées afin de permettre la correcte information des étrangers sur
l’exercice de leurs droits. En revanche, la situation reste toujours
préoccupante s’agissant du droit de recourir à un interprète pendant toute la
durée de la rétention, rappelé par le code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile (article L.551-2). Aucune disposition n’est
prise pour le mettre en oeuvre effectivement ce qui rend difficile, en
particulier, les demandes d’asile qui doivent être formulées en français. De
même, les dysfonctionnements relatifs à l’information préalable des
étrangers sur leurs déplacements, désormais aussi inscrite dans le code
(article L.553-5), ne sont pas levés.
418
COUR DES COMPTES
C - Le renforcement tardif des capacités d’accueil
Les conditions de vie dans les CRA se sont fortement dégradées
entre 2002 et 2005 en raison de l’augmentation des décisions de
placement en rétention et surtout de l’allongement de la durée moyenne
de séjour dans les centres qui a doublé de 5,3 à 10,2 jours. Le nombre
moyen d’étrangers hébergés quotidiennement est passé de 370 en 2002 à
840 en 2005. La capacité totale d’accueil n’a pas évolué au même rythme.
Le taux moyen d’occupation des centres s’est donc élevé de 55 % à 83 %.
Avec des taux moyens de plus de 90 % en 2005, des CRA comme ceux de
Paris, Bobigny ou Marseille, sont souvent arrivés à saturation.
Le ministère de l’intérieur avait prévu de faire face au doublement
des éloignements, d’une part, par un plan d'urgence prévoyant l'ouverture
de 265 places supplémentaires avant la fin de 2004 d’autre part, par un
programme dit « CRA-1000 » portant sur la construction de dix centres
supplémentaires d'une capacité totale de 1000 places dans le cadre d’une
procédure de location avec option d’achat sous maîtrise privée.
Le programme CRA-1000 n’a pu voir le jour. En revanche, le plan
d'urgence a été mis en oeuvre, pour plus de la moitié grâce à l’extension
des locaux existants, l’occupation de nouveaux locaux plus vastes et la
restitution au centre du Mesnil-Amelot des places prélevées en 2003 par
la zone d’attente de Roissy. Pour le reste, l’accroissement des capacités
d’accueil a été obtenu à superficie constante, ce qui a aggravé la
promiscuité dans les centres. Au total, le nombre de places disponibles
dans les CRA de métropole est passé de 682 en janvier 2003 à 944 en juin
2005, loin de l’objectif affiché initialement de 1215 à la fin 2004.
L’adaptation de la capacité d’accueil des CRA aux nouveaux
objectifs quantitatifs de la politique d’éloignement n’a été effective qu’à
compter de 2006 avec l’ouverture de quatre nouveaux centres (Marseille-
Le Canet, Toulouse-Blagnac, Roissy-Charles de Gaulle, Plaisir),
l’extension de deux centres existants (Vincennes, Lille) et l’augmentation
de places sans extension des locaux dans deux centres (Rouen, Bobigny).
En ajoutant les travaux accomplis sur les sites relevant de la gendarmerie
nationale (création des centres de Metz et de Rennes, aménagement de
celui de Strasbourg), la capacité totale des CRA de métropole devait
atteindre 1.537 places en janvier 2007.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
419
D - Les locaux de rétention administrative
1 -
Un régime à deux vitesses
Le décret du 19 mars 2001 avait prévu la possibilité, lorsque les
circonstances de temps ou de lieu font obstacle au placement immédiat
dans un CRA, de placer l'étranger dans un local de rétention
administrative (LRA) ouvert par arrêté préfectoral, généralement dans un
commissariat. Comme ces locaux n'offrent pas les mêmes conditions
d’accueil ni les mêmes garanties de respect des droits des étrangers, le
placement doit y revêtir un caractère provisoire. Sa durée ne peut excéder
48 heures sauf en cas de recours, s'il n'existe pas de centre de rétention
dans le ressort du tribunal administratif ou de la cour d'appel.
Le décret du 30 mai 2005 n’a pas supprimé l’existence d’un tel
système à deux vitesses. Il a néanmoins renforcé les contraintes imposées
à l’aménagement des LRA qui doivent désormais disposer d’une pièce
réservée aux avocats comme les CRA. Cependant, de grandes différences
subsistent
entre
les
deux
régimes
de
rétention.
Les
exigences
d'aménagement et d’équipement des LRA demeurent beaucoup plus
sommaires. Ainsi, la salle réservée au service médical, l’espace de
promenade à l’air libre et la salle de détente n’y sont pas obligatoires.
L’exercice effectif des droits des étrangers retenus n’est pas
entouré des mêmes garanties. Dans les centres de rétention, la
réglementation impose l’intervention d’une association à caractère
national ayant pour objet d’informer les étrangers et de les aider à exercer
leurs droits. Dans les locaux de rétention, cette garantie n’est pas rendue
obligatoire par le décret de 2005 (comme précédemment par celui de
2001) qui prévoit seulement que les étrangers
« peuvent »
bénéficier du
concours d’une association
« à leur demande ou à l'initiative de celle-
ci »
. D'ailleurs, la convention passée entre l’Etat et la Cimade, renouvelée
en 2002 et 2006, prévoit l'intervention de cette dernière dans les centres et
non dans les locaux de rétention administrative.
Enfin, alors que la liste des CRA est fixée par arrêté
interministériel, il n'existe toujours pas d'obligation pour l'administration
de tenir à jour et de publier l'inventaire des LRA ouverts sur le territoire
national.
420
COUR DES COMPTES
2 -
Un contrôle insuffisant
Loin d’être marginal, le recours aux locaux de rétention se
développe. Selon les données fournies par la direction des libertés
publiques et des affaires juridiques (DLPAJ), 9 674 étrangers y ont été
maintenus en 2005 pour tout ou partie de leur rétention, contre 5 890 en
2002. Certains LRA ont une fréquentation équivalente à celle d'un centre de
rétention. Le local de Choisy-le-Roi, par exemple, ouvert par le préfet du
Val-de-Marne par arrêté du 22 juin 2001, accueille près de 1 500 étrangers
par an.
La DLPAJ a transmis à la Cour plusieurs inventaires différents des
LRA permanents ouverts en métropole. Le plus récent, arrêté en mai 2006,
en comportait 73, un grand nombre ayant été ouverts récemment. En
revanche, certains, pourtant toujours en fonctionnement, ne figuraient pas
sur cet inventaire, comme celui d’Amiens.
Le recours aux locaux de rétention administrative est parfois non
conforme aux textes. Déjà, les informations transmises en 2004 par la
DLPAJ et la DCPAF sur la durée de séjour dans les LRA ont montré que le
délai légal maximal de 48 heures pouvait être largement dépassé pour une
proportion importante des étrangers retenus. Dans au moins neuf LRA sur
73, la durée moyenne de séjour des étrangers retenus était en 2005 comprise
entre quatre et neuf jours.
Certes, le maintien dans des tels locaux peut excéder 48 heures en
cas de recours formé devant le tribunal administratif ou la cour d'appel, s'il
n'existe pas de CRA dans le ressort de ces derniers. Cependant, la fréquence
des recours ne suffit pas à justifier les durées observées. D’ailleurs, la durée
moyenne de rétention dans certains locaux, comme celui de Versailles,
dépasse 48 heures bien qu’ils soient situés dans un département doté d’un
CRA dans les ressorts de la cour d’appel et du tribunal administratif. Un
certain nombre de locaux de rétention administrative sont utilisés en lieu et
place des centres de rétention. Certains étrangers y sont maintenus jusqu'à
leur éloignement du territoire national. Cette constatation est corroborée par
le décalage existant entre le nombre de reconduites à la frontières (19 841)
enregistrées par la DCPAF et le nombre d’étrangers éloignés (17 198) à leur
sortie des CRA au vu des statistiques de la DLPAJ.
Par conséquent, la réglementation en vigueur tolère, sans prévoir un
dispositif suffisant de contrôle, une dérogation importante au régime de
droit
commun
applicable
aux
étrangers
maintenus
en
rétention
administrative. En période de saturation des capacités d'accueil des CRA, ce
régime ambigu ne peut qu’encourager la multiplication des locaux de
rétention administrative à caractère permanent et provoquer des risques
d’abus.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
421
II
-
Les résultats de la politique d’éloignement
La Cour avait recommandé un renforcement des mesures de lutte
contre l’immigration irrégulière, préalable indispensable à l’amélioration
des modalités d’accueil et d’intégration des immigrants. Elle relève les
efforts récemment entrepris en matière de politique d’éloignement.
Le nombre d’étrangers éloignés du territoire national est passé de
10 067 en 2002 à 19 841 en 2005. Ce résultat a été obtenu par
l’augmentation des placements en rétention à la suite du renforcement
très sensible des interpellations d’étrangers en situation irrégulière et des
arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière (APRF). De surcroît,
selon les statistiques de la DLPAJ, le taux de reconduite des étrangers
retenus dans les CRA a été relevé de 38 % en 2002 à 68 % en 2005.
A - L’accroissement du nombre d’étrangers retenus
Le ministre a demandé aux préfets, dans une circulaire du 22
octobre 2003 puis de façon réitérée, d’intensifier les contrôles d'identité
sur la voie publique en mobilisant toutes les possibilités ouvertes par
l'ordonnance du 2 novembre 1945 et l'article 78-2 du code de procédure
pénale. Instruction leur a été donnée de prendre systématiquement des
arrêtés de reconduite à la frontière (APRF) à l'encontre des personnes
interpellées en situation irrégulière. Chaque préfet de département s’est
vu assigner un nombre d’éloignements à effectuer dans l’année.
De fait, le nombre des interpellations d’étrangers en situation
irrégulière s’est élevé en métropole à 82 814 en 2005, en hausse de 67 %
par rapport à 2002. Le total des mesures d’éloignement décidées a connu
une progression de 50 %, atteignant le nombre de 73 705. Enfin, 29 257
étrangers ont été placés dans un centre de rétention, soit 16 % de plus
qu’en 2002.
B - L’augmentation du nombre des reconduites
Elle est due à la forte augmentation, de 16 200 en 2002 à 24 124 en
2005, du nombre de dossiers transmis par les préfectures au bureau
centralisateur de la DCPAF, le bureau de l’éloignement (« Burel »), mais
aussi à la plus grande capacité de ce dernier à les traiter. Ainsi, le
pourcentage des mesures d’éloignement reçues par le bureau mais non
exécutées a baissé de 39 % à 30 %.
422
COUR DES COMPTES
L’interruption de la procédure d’éloignement sur décision du juge
administratif ou judiciaire n’a touché que 8,9 % des dossiers transmis en
2005 au lieu de 10,6 % en 2002. En particulier, la part des assignations à
résidence
154
est devenue marginale. Le doublement de la durée moyenne
de rétention ainsi que différentes initiatives du ministère ont permis de
faciliter la délivrance des laissez-passer consulaires qui n’ont pas été
obtenus dans les délais dans 5,8 % des cas en 2005 au lieu de 7,9 % en
2002. L’échec des éloignements causé par la reconnaissance des
demandes d’asile est devenu très rare du fait de la réduction du délai
imposé pour les formuler
155
.
En outre, les motifs d’échec constatés par la DCPAF au moment de
la mise en oeuvre matérielle des éloignements ont reculé. Les refus
d’embarquer des étrangers n’ont empêché que 3,4 % des éloignements
contre 6,4 % en 2002, notamment grâce au recours accru au transport
aérien sous escorte. L’évolution est encore plus nette pour l’absence de
moyens de transport qui n’a interrompu que 1,1 % des procédures
d’éloignement dont le bureau de l’éloignement a été saisi au lieu de 4,2 %
trois ans auparavant.
Les centres de rétention administrative sont au carrefour d’un
ensemble de procédures administratives et juridiques complexes qui
mobilisent des moyens importants au sein des services de police et de
gendarmerie, des préfectures, ainsi que des juridictions et des services
consulaires. Le renforcement du dispositif administratif et policier mis en
oeuvre a permis au ministère de l’intérieur de doubler le nombre de
reconduites
à
la
frontière
sans
remédier
néanmoins
aux
dysfonctionnements observés en amont à divers stades de la procédure.
En effet, si 68 % des personnes placées en rétention ont été éloignées du
territoire national en 2005, le pourcentage n’est que de 27 % par rapport à
l’ensemble des étrangers frappés d’une mesure d’éloignement et même de
17 % pour l’ensemble de ceux qui ont été interpellés en situation
irrégulière. Les résultats de cette politique ne doivent donc pas être
mesurés uniquement à travers le nombre de reconduites effectives mais
aussi au regard des moyens mobilisés.
154) Les décisions d’assignation à résidence n’ont empêché l’exécution que de 1,9 %
des mesures d’éloignement en 2005 au lieu de 2,9 % trois ans auparavant.
155) La reconnaissance des demandes d’asile n’a interrompu en 2005 que 0,8 %
prodécures d’éloignement transmise au Burel contre 2,0 % en 2002.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
423
C - La mesure des résultats obtenus
Le dispositif de suivi statistique présente un certain nombre de
lacunes et d’incohérences qui font douter de sa fiabilité et empêchent de
mettre en perspective les moyens mis en oeuvre et les résultats obtenus en
nombre d’étrangers effectivement éloignés du territoire national.
1 -
La fiabilité du dispositif statistique de suivi
L’absence de résultats connus des APRF par voie postale (34 429
en 2005) est une première source de difficulté. Dans les statistiques, le
nombre d’éloignements effectivement exécutés à la suite de tels arrêtés
est quasiment nul. En conséquence, le taux d’exécution des mesures
prononcées est très différent selon que l’on inclut ou pas les APRF par
voie postale. Pourtant, la DLPAJ a constamment réaffirmé au cours des
dernières années, notamment par voie d’instruction aux préfets, la
nécessité de prendre systématiquement de tels arrêtés à l’encontre des
étrangers auxquels était opposé un refus de titre de séjour, arguant qu’ils
étaient exécutables sans délai en cas d’interpellation.
De manière générale, le suivi des éloignements décidés et non
exécutés est défectueux. Jusqu’en 2004, la DLPAJ a produit des
statistiques annuelles pour l’ensemble des mesures décidées. Les
décisions non exécutées étaient réparties par catégorie de mesures et par
cause d’échec, mais l’analyse était succincte et approximative.
Désormais, la DLPAJ n’assure plus le suivi systématique des causes de
non aboutissement des mesures d’éloignement. Celui-ci est dévolu au
bureau de l’éloignement qui n’est pourtant saisi que du tiers des dossiers.
Les statistiques annuelles sont établies seulement pour les
éloignements décidés et exécutés. Toutefois, le manque de cohérence de
ces données conduit à douter de leur fiabilité. Par exemple, le nombre des
éloignements n’ayant pas abouti en 2005 (53 856) ne correspond pas à la
somme des mesures non transmises (49 581) et des mesures non
exécutées par ce bureau (7 312).
Enfin, des données partielles sur les diverses causes d’échec
recensées sont centralisées par la DLPAJ. Classées en quelques rubriques
peu homogènes et parfois redondantes, elles ne portaient en 2005 que sur
21 361 mesures représentant moins de la moitié des éloignements non
exécutés dans l’année. Même en déduisant la totalité des APRF par voie
postale, au moins sept mille cas d’échec restent inexpliqués.
424
COUR DES COMPTES
2 -
L’analyse insuffisante des difficultés rencontrées
La mesure des résultats obtenus en regard des moyens mis en
oeuvre en amont de la rétention administrative est problématique. Les
interpellations ont été doublées, mais moins d’une sur deux donne lieu à
un APRF
156
. Le ministère ne dispose pas d’analyses suffisantes de cette
situation alors qu’un important dispositif policier et administratif est
mobilisé par les quatre-vingts mille interpellations opérées annuellement.
La référence à l’expiration du délai de garde à vue, susceptible
d’empêcher d’instruire le dossier de l’étranger, reste imprécise et non
évaluée. Les autres motifs cités ne sont pas de nature à justifier les
pourcentages enregistrés.
De même, les mesures d’éloignement se sont fortement accrues,
mais moins de 40 % sont suivies d’un placement en rétention et ce taux
s’est nettement dégradé de 2002 à 2005
157
. La seule explication invoquée
est le manque de places dans les centres et locaux de rétention. Les
statistiques de la DLPAJ évaluent à 7 461 le nombre d’étrangers libérés
en 2005 pour ce motif. L’insuffisante capacité d’accueil des CRA
n’apparaît pas néanmoins à la mesure du décalage observé qui a porté sur
près de vingt mille personnes.
Enfin, les causes et le taux de refus par le juge des libertés et de la
détention des demandes de prolongation de la rétention ne sont plus
suivis. Le ministère n’est pas en mesure de produire le taux de remise en
liberté des personnes retenues pour vice de procédure imputable aux
services, qui est pourtant l’un des indicateurs inscrits dans le programme
annuel de performances de la police nationale.
D - Le coût de la politique d’éloignement
L’absence d’évaluation véritable du coût global de la politique
d’éloignement contraste avec la priorité absolue donnée par le ministère
de l’intérieur à l’accroissement du nombre d’étrangers reconduits à la
frontière à partir des centres de rétention.
156) Le rapport entre le nombre d’interpellations d’étrangers en situation irrégulière et
le nombre d’APRF pris sur interpellation est relativement stable : 46,0 % en 2001,
43,7 % en 2002 et 45,6 % en 2005.
157) Le rapport entre le nombre d’éloignements décidés et le nombre de placements
en rétention a baissé de 51,2 % en 2002 à 39,7 % en 2005.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
425
Le coût de fonctionnement des centres de rétention n’est toujours
pas établi avec précision. En outre, à ces charges de fonctionnement
s’ajoute le coût des reconduites à la frontière qui ne fait l’objet d’aucun
chiffrage comme l’a souligné la commission d’enquête sénatoriale sur
l’immigration clandestine dans un rapport publié en avril 2006. La Cour
avait déjà constaté en 2004 que la direction générale de la police
nationale ne connaissait pas le montant réel des dépenses engagées au
cours des années précédentes pour le fonctionnement des centres de
rétention administrative gérés par ses services (DCSP et DCPAF) au
moyen des crédits centralisés de l'article 27 « reconduites à la frontière »
du chapitre 34-41.
Les bilans financiers établis, à la demande de la juridiction, par la
direction de l’administration de la police nationale (DAPN) étaient
inexploitables à cause du caractère à la fois incomplet et hétérogène des
données collectées auprès des préfectures. Ils n’intégraient pas les
dépenses engagées par un certain nombre de centres importants. La nature
des dépenses prises en compte était différente d'un CRA à l'autre.
L’ensemble des frais de fonctionnement (alimentation, entretien
courant des locaux, blanchisserie, frais d'interprétariat, frais consulaires)
devant normalement relever du budget des centres au vu des instructions
en vigueur n’était pas systématiquement intégré. Inversement, certaines
dépenses relevant d’autres budgets étaient parfois comptabilisées, comme
les dépenses médicales et d'hospitalisation, les frais d’usage des véhicules
(carburant, péage) ou le coût de travaux d'aménagement. En conséquence,
l’estimation par la DAPN d’un coût annuel de l’ordre d’1M€ pour
l’ensemble des CRA de métropole et d’outremer ne pouvait être
considérée comme significative et fiable.
Selon les dernières informations transmises à la Cour, la DGPN
évalue désormais à 6,658 M€ en 2004 et 8,091 M€ en 2005 la somme des
dépenses de fonctionnement engagées dans les CRA placés sous sa
responsabilité. D’un montant beaucoup plus élevé qu’antérieurement, ces
estimations ne paraissent cependant toujours pas exhaustives. Ainsi, la
comptabilisation des frais d’hébergement et de restauration (1,780 M€ en
2005) ou d’entretien des locaux (1,006 M€) reste partielle et variable d’un
CRA à l’autre. Alors que les frais de transport sont normalement
comptabilisés
par
ailleurs,
certains
sont
néanmoins
imputés
au
fonctionnement de quelques centres. Aucune dépense n’est enregistrée
pour le CRA de Bordeaux. Au total, hormis ce dernier, le coût de la
rétention aurait fluctué en 2005 de 0,56 € à 85,44 € par étranger et par
jour. De tels écarts jettent le doute sur l’exactitude des derniers bilans
financiers établis par le ministère.
426
COUR DES COMPTES
Outre le fonctionnement des CRA, la direction générale de la
police nationale reconnaît qu’elle n’est pas encore en capacité de calculer
le coût analytique global de l’éloignement d’un étranger en situation
irrégulière, supporté par ses services. Celui-ci devrait résulter de l’analyse
des dépenses engagées en fonctionnement et en investissement par
l’ensemble des acteurs aux différentes étapes de la procédure. Il
conviendrait de valoriser les dépenses de personnel engagées dans les
centres (890 policiers en mai 2006), mais aussi, en amont de la rétention,
dans les services de police (interpellations, gardes à vue, transferts) et les
préfectures
(378
agents
en
équivalent
temps
plein
affectés
à
l’éloignement), comme en aval (transports des étrangers éventuellement
sous escortes internationales).
Les estimations sommaires transmises à la Cour (40 M€ en 2002,
76 M€ en 2004 et 100 M€ en 2005), résultats d’un premier effort
d’analyse dans le cadre de la préparation du budget de 2007, portent en
fait sur les éléments de coût de l’ensemble des actions de lutte contre
l’immigration irrégulière, au-delà de la seule politique de l’éloignement.
Ainsi, les dépenses de fonctionnement prises en compte (16,6 M€
en 2004, 21,0 M€ en 2005) concernent aussi les zones d’attente,
particulièrement celle de Roissy (8,14 M€ en 2004, 9,27 M€ en 2005). Au
titre des frais de personnel, elles recouvrent, sauf la police aéroportuaire,
toutes les missions de la PAF, notamment les contrôles aux frontières
extérieures, qu’il conviendrait de dissocier des missions strictement liées
à la reconduite des étrangers à la frontière. En revanche, des services
participant à cette dernière, autres que la police aux frontières ou la
sécurité publique, ne sont pas pris en compte, comme ceux des
préfectures départementales, de la préfecture de police de Paris ou des
compagnies républicaines de sécurité.
Hormis le nombre d’éloignements réalisés dans l’année, le
ministère de l’intérieur n’a pas été en mesure en 2006 de produire les
deux autres indicateurs retenus dans le projet annuel de performances de
la police nationale en application de la loi organique sur les lois de
finances (LOLF).
Tel a été le cas en effet non seulement, comme déjà mentionné, de
l’indicateur n°3 sur le taux de remise en liberté des personnes placées en
rétention administrative, mais aussi de l’indicateur n°1 « coût moyen
d’une rétention en CRA police », dont la portée est pourtant limitée
puisqu’il ne prend en compte que les heures de
fonctionnaires consacrées
à la garde des étrangers retenus (y compris leur présentation devant les
autorités administratives, judiciaires et consulaires), les frais inhérents
aux escortes internationales, le coût des moyens de transport mis en
oeuvre et les frais de fonctionnement des CRA.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
427
La Cour note que le ministère s’est engagé à produire cet
indicateur en 2007 grâce à la mise en oeuvre de la main courante
informatisée au sein de la PAF et à la généralisation du logiciel ELOI
dédié à la gestion des CRA.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
La relance de la politique d’éloignement du territoire des
étrangers en situation irrégulière, partie intégrante d’une politique
globale d’immigration a été engagée avant même que l’adaptation
nécessaire des capacités des centres de rétention ne soit assurée. De
même la mise aux normes de l’aménagement des CRA a été tardive. Le
respect de l’exercice des droits des étrangers retenus reste incomplet. A
l’avenir, un contrôle plus rigoureux devrait être exercé sur les conditions
de séjour des étrangers notamment dans les locaux de rétention
administrative dont l’usage n’est pas aujourd’hui suffisamment encadré.
Le doublement du nombre de reconduites à la frontière a été
obtenu au prix d’un accroissement important des moyens mobilisés pour
le fonctionnement des centres, mais aussi dans les préfectures et dans les
services de police et de gendarmerie, sans que l’ensemble des
dysfonctionnements existant en amont de la rétention ait été corrigé. Il
conviendrait d’avoir une mesure plus précise de l’efficacité de l’action
publique à chaque stade de la procédure. A cet égard, le ministère de
l’intérieur devrait se doter d’un véritable outil d’analyse des difficultés
rencontrées.
Enfin, il doit progresser dans l’évaluation du coût global de cette
politique qui paraît avoir été négligée jusqu’à présent. A cet égard, il lui
faut se mettre rapidement en conformité avec le projet annuel de
performance de la police nationale.
428
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’INTÉRIEUR
ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
I- Les conditions de la rétention administrative
A- Les conditions matérielles
La Cour relève que les conditions matérielles de rétention
n’auraient
pas respecté, jusqu’en 2005, les obligations imposées par l’administration
par l’arrêté interministériel du 24 avril 2001 et que les conditions d’accueil
des étrangers dans certains centres de rétention ont été dénoncées par maints
rapports, dont en dernier lieu celui du Conseil de l’Europe en février 2006.
Un programme d’urgence a été mis en oeuvre en janvier 2005. Doté
d’un budget de 2 M€ (crédits ouverts en LFR 2004), il a permis d’améliorer
l’état des locaux existants et de les munir d’un certain nombre d’équipements
élémentaires nécessitant un renouvellement ou faisant défaut jusqu’alors.
Au-delà de ce programme, plus de 4,8 M€ d’investissement ont été affectés
aux travaux d’entretien et de réhabilitation des centres existants (Marseille
Arenc, Paris dépôt, Nantes, Nice, Bordeaux et Bobigny) sur la période 2004-
2005. Les centres de Nanterre et de Versailles qui ne répondaient pas aux
normes ont été fermés et des travaux d’aménagement dans plusieurs centres
ont permis une amélioration des conditions de rétention, conformément aux
prescriptions qui avaient été faites. Début 2005, la totalité des centres
existants en métropole disposaient d’une cour de détente extérieure, d’une
séparation hommes/femmes et de locaux de visites.
Par ailleurs, on rappellera que le gouvernement a souhaité, à
l’occasion de l’adoption de la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise
de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité,
modifier profondément le cadre de la rétention administrative par
l'augmentation des garanties offertes aux retenus dans l'exercice de leurs
droits en contrepartie de l’allongement de la durée de rétention.
Aussi, pour faire face à ces nouvelles dispositions législatives, le
ministère de l'intérieur et le ministère de la défense ont élaboré un
programme immobilier assurant, d'ici à l'horizon 2007, la création de
nouvelles places en centres de rétention administrative par l'agrandissement
des centres existants et la construction de nouveaux centres. La fermeture des
centres anciens qui devenaient inadaptés à la nouvelle durée de la rétention
est intervenue parallèlement
Par ailleurs, il est apparu dans ce nouveau contexte que les normes
minimales d'équipements prévues par le décret n°2001-236 du 19 mars 2001
auxquelles devaient satisfaire les centres et locaux de rétention devaient être
redéfinies.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
429
De plus, au-delà de ces considérations matérielles, l'allongement de
la durée moyenne de séjour a obligé à repenser l'esprit même de la rétention
en envisageant le développement de prestations de service plus nombreuses
et d'une qualité accrue permettant à l'étranger d'envisager son éloignement
dans des conditions sereines.
Le ministre d’Etat avait ainsi réaffirmé à l’occasion des discussions
sur la loi du 26 novembre 2003 précitée que son action viserait également à
l’amélioration des conditions de rétention administrative.
C'est pour répondre à l’ensemble de ces préoccupations qu'une
mission menée conjointement par l’inspection générale de l’administration et
l’inspection générale des affaires sociales du ministère en charge des affaires
sociales a été diligentée.
Les conclusions de la mission, livrées au mois de juillet 2004, ont
servi à l’élaboration du décret n°2005-617 du 30 mai 2005 relatif à la
rétention administrative et aux zones d’attente, codifié aux chapitres 1 et 3
du titre V du livre V de la partie réglementaire du code de l’entrée et du
séjour et du droit d’asile. Des normes d’équipement et de confort plus
favorables ont ainsi été élaborées et les missions relatives à l’assistance
juridique et au soutien matériel et psychologique des étrangers retenus ont
été précisées.
Ces évolutions, qui se sont traduites par la fermeture des centres de
rétention de Versailles, de Saint Louis, de Marseille-Arenc et de la partie
homme du Palais de Justice de Paris, ont reçu un accueil favorable de la
part des organes internationaux en charge du respect des droits de l’Homme.
Ainsi, à l’occasion de sa dernière visite en octobre dernier, le comité
européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements
inhumains ou dégradants a pu constater des conditions d’accueil
satisfaisantes constatées dans les centres de rétention de Palaiseau, de
Toulouse-Cornebarrieu, de Vincennes II et de Marseille-Canet, sites
inspectés au cours de leur visite en France.
A la fin de l’année 2006, l’ensemble des centres respectent les
nouvelles prescriptions.
Enfin, comme le souligne la Cour et dans le cadre de la volonté
gouvernementale de renforcer les droits des retenus, une commission
nationale de contrôle des centres et locaux de rétention administrative et des
zones d’attente
a été mise en place par la loi du 26 novembre 2003 précitée
et par le décret n°2005-616 du 30 mai 2005 codifié à la section 3 du titre Ier
du livre Ier de la partie réglementaire du code de l’entrée et du séjour et du
droit d’asile précité.
430
COUR DES COMPTES
Cette instance est chargée de veiller au respect des droits des
étrangers maintenus dans les lieux de rétention et dans les zones d’attente
conformément au code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile, ainsi qu’au respect des normes relatives à l’hygiène, la salubrité, la
sécurité, l’équipement et l’aménagement de ces lieux.
Elle se caractérise par la diversité de ses membres puisqu’elle
rassemble des magistrats de l’ordre judiciaire et administratif, des
représentants des assemblées parlementaires, des représentants de la société
civile au travers de deux associations (la Croix Rouge française et la
Cimade), une personnalité qualifiée en matière pénitentiaire désignée par le
Garde des sceaux, ministre de la justice et des représentants de
l’administration.
Cette diversité est source d’échanges et permet d’enrichir les débats
relatifs aussi bien aux conditions de maintien des étrangers en attente de leur
éloignement du territoire, qu’à l’amélioration constante des conditions de
rétention ou aux garanties apportées à ces étrangers dans l’exercice de leurs
droits. Le travail de cette commission s’inscrit dans une volonté de
transparence sur l’évolution des conditions de rétention.
Après chaque visite, la commission établit un rapport à l’attention du
ministre de l’intérieur, assorti le cas échéant de recommandations. De
surcroît,
chaque
année,
elle
remet
un
rapport
d’activité,
assorti
éventuellement de recommandations visant à améliorer les conditions
matérielles et humaines de maintien en rétention ou zone d’attente et joint ses
observations au rapport sur les orientations de la politique d’immigration
déposé par le Gouvernement devant le Parlement.
A ce jour, la commission a visité les deux CRA de Paris, les CRA de
Palaiseau,
de Coquelles, du Mesnil-Amelot et de Lyon, ainsi que le LRA de
Nanterre.
B- L’exercice des droits des étrangers
Comme le souligne la Cour, l’intégralité des centres de rétention
administrative disposent aujourd’hui d’un règlement intérieur
pris en
application de l’arrêté INT D 0600425A du 2 mai 2006. D’ici la fin de
l’année 2006, ces règlements vont être traduits par l’administration centrale
du ministère de l’intérieur dans les langues les plus couramment utilisées et
recensées dans l’arrêté INT D 0600426A paru au Journal officiel du 6 mai
2006.
Au-delà, la Cour s’inquiète des conditions du recours à un interprète
,
prévu à l’article L 551-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du
droit d’asile (CESEDA), et notamment en matière d’asile.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
431
Sur ce point, il convient de souligner d’une manière générale qu’en
application de l’article R 553-11 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile précité, la mise à disposition et la prise en
charge par l’administration des frais liés à l’assistance d’un interprète pour
les étrangers maintenus dans un lieu de rétention qui ne comprennent pas le
français, ne sont exigées que dans le seul cadre des procédures
d’éloignement dont ils font l’objet.
En matière d’asile, on rappellera que l’article R 723-1 du code
précité précise que les demandes de reconnaissance du statut de réfugié,
qu’elles soient déposées au guichet d’une préfecture ou en rétention
administrative, doivent être rédigées en français.
Par ailleurs,
s’agissant spécifiquement
des demandes d’asile
adressées alors que l’étranger est maintenu dans un centre ou un local de
rétention, ce sont les articles R 553-15 à R 553-17 du code précité qui
régissent cette question. En outre, cette démarche ne constituant pas un
élément de la procédure d’éloignement, les dispositions de l’article
R 553-11 du code précité, qui mentionnent qu’en dehors des procédures
d’éloignement, la rétribution d’un interprète est à la charge de l’étranger,
s’appliquent.
Néanmoins, il apparaît clairement que l’administration ne saurait
faire obstacle au droit des étrangers de se faire assister d’un interprète ou du
traducteur de leur choix. A ce titre, les centres de rétention administrative
mettent à disposition, pour la plupart d’entre eux, les coordonnées
téléphoniques des greffes des TGI qui disposent de listes d’interprètes
traducteurs agréés.
Il convient enfin de souligner que le Conseil d’Etat a, dans sa décision
n°282275 du 12 juin 2006, confirmé la légalité de l’intégralité des
dispositions du décret du 30 mai 2005 et rejeté le recours en excès de
pouvoir déposé par différentes associations, et particulièrement de celles
concernant l’asile en rétention.
Ainsi, la Haute juridiction a considéré que « ni les articles L 111-7,
L.111-8, L 551-2, L 723-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile, ni aucune disposition législative, ni aucun principe
s’imposant au pouvoir réglementaire ne font obligation à l’Etat d’assumer
les frais résultant de l’assistance des interprètes mis à la disposition des
demandeurs d’asile dans le cadre de la présentation des demandeurs
d’asile ». En outre, la section du contentieux a estimé que « si les
associations requérantes soutiennent que les demandeurs d’asile ne sont pas
tous placés dans une situation identique, dès lors que certains maîtrisent la
langue française ou
peuvent avoir recours, à leur charge, à un interprète,
cette circonstance de pur fait ne saurait révéler une différence dans la
situation juridique des intéressés et est, dès lors, dans incidence sur le
respect du principe d’égalité ».
432
COUR DES COMPTES
S’agissant de l’information préalable des étrangers sur leurs
déplacements
, de nombreuses améliorations ont été effectuées contrairement
à ce qu’indique la Cour. Ainsi, le centre de rétention du Mesnil-Amelot
procède, tous les jours, à l’affichage des prévisions de départ des étrangers
retenus. Plus généralement, conformément d’une part à l’article L 553-5 du
CESEDA, et, d’autre part, à l’article 24 du modèle de règlement intérieur
figurant en annexe de l’arrêté INT D 0600425A du 2 mai 2006 précité,
l’ensemble des centres de rétention administrative assurent l’information des
étrangers retenus sur l’état de leur dossier administratif, à leur demande.
L’administration prend toutefois acte du constat de la Cour qu’elle est
parfois faite avec retard et considère que ces pratiques peuvent
éventuellement s’expliquer par la multiplicité des tâches des greffes.
Pour y remédier, l’article R 553-2 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile précité prévoit la possibilité d’adjoindre auprès
des chefs de centre, par arrêté interministériel, un responsable de la gestion
des dossiers administratifs dont l’une des missions consisterait à informer les
retenus sur l’évolution de leur dossier. Un projet d’arrêté est actuellement en
cours de rédaction au sein des services du ministère de l’intérieur.
Enfin, on notera que la commission nationale de contrôle des centres
et locaux de rétention administrative et des zones d’attente n’a émis aucune
remarque particulière à l’occasion de ces dernières visites dans les CRA sur
ce point.
C- Le renforcement tardif des capacités d’accueil
L’augmentation de capacité de rétention a été conforme à la prévision
avec 263 nouvelles places ouvertes entre janvier 2003 et juin 2005
.
Cet accroissement s’est principalement fait grâce à l’extension des
centres de Lyon, Lille, Toulouse, Bordeaux, Sète, Rouen et Coquelles, ainsi
que la restitution de places au Mesnil-Amelot, permettant d’augmenter la
capacité de 244 places, pour un montant global de travaux de 5 M€.
Seules les augmentations de capacité du centre de Coquelles de 56 à
75 places et du centre de Marseille Arenc (de 48 à 60 places), soit 31 places,
se sont faites à superficie constante.
Le programme d’extension de la capacité a été décidé dès la fin de
l’année 2004 avec la création de 5 centres par la police nationale (Marseille
Le Canet, Toulouse, Lille, Orly et Deuil la Barre), et 4 centres par la
gendarmerie (Mesnil Amelot, Metz, Perpignan et Rennes). La procédure
retenue pour la réalisation de ces centres n’est pas la location avec option
d'achat (LOA), mais la procédure de conception réalisation aménagement
exploitation maintenance (CRAEM), permettant de sélectionner sur la base
d’un programme technique détaillé, un groupement constitué d’un architecte,
d’un bureau d’études techniques, d’une entreprise de construction et d’une
entreprise de maintenance ayant la charge du site pendant 3 ans. A titre
exceptionnel, le délai de réalisation a été le premier critère de choix des
attributaires.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
433
Cette procédure dérogatoire, prévue par la LOPSI, a permis de livrer
les nouveaux centres moins de 18 mois après la décision de lancement des
opérations. Il n'y a pas d'autre exemple de construction publique de cette
importance menée dans ces délais
.
Ce programme a été confirmé lors de la réunion du comité
interministériel du 22 juillet 2005 et complété par l’extension des centres
d’Hendaye, Rouen et Coquelles et la création d’un centre à Nîmes et d’un
centre à Roissy-en-France en substitution du centre de Deuil la Barre.
Ainsi, ce sont bien 10 centres qui seront créés d’ici juin 2008, pour
une capacité totale de 1.162 places de rétention, sans compter les projets
d’extension.
Le nombre de places de rétention administrative en métropole est
passé de 943 en juin 2005 à 1.288 en septembre 2006, notamment grâce à la
livraison du centre de Palaiseau (38 places) en octobre 2005 et à l’ouverture
en 2006 des centres de rétention administrative de Plaisir (33 places),
Marseille Le Canet (136 places), Toulouse (126 places), et aux extensions de
Paris Vincennes (+80 places), Rouen Oissel (+20 places) et Geispolsheim
(+8 places).
Dans le même temps, le centre de rétention administrative de
Marseille – Arenc (60 places) et la partie hommes du dépôt à Paris (66
places) ont été fermés.
La livraison de 96 places en novembre 2006 à Lille et les extensions
des centres de Rouen-Oissel (+14 places) et de la partie femmes du dépôt à
Paris (+8 places) ainsi que la livraison des centres provisoires de la
gendarmerie nationale à Rennes et Metz permettront de porter la capacité à
1.451 places d’ici janvier 2007.
L’augmentation de capacité du CRA de Rouen a été réalisée en
réhabilitant une partie non utilisée du bâtiment et non pas à superficie
constante. Par ailleurs, l’augmentation de capacité du CRA de Bobigny s’est
faite dans le respect les normes du décret du 30 mai 2005.
D- Les locaux de rétention administrative
La Cour souligne à juste titre les contraintes supplémentaires qui sont
désormais imposées en matière d’aménagement des locaux de rétention
administrative (LRA) mais regrette l’absence d’obligation pour ces
structures de disposer d’une salle réservée au service médical, d’un espace
de promenade à l’air libre et d’une salle de détente
.
434
COUR DES COMPTES
En application de l’article R 553-6 du code précité, seuls sont en effet
exigés pour les locaux de rétention administrative les équipements suivants :
- des chambres collectives non mixtes
- des équipements sanitaires en libre accès, comprenant des lavabos,
douches et w-c
- un téléphone en libre accès
- un local permettant de recevoir des visites
- un local réservé aux avocats
- une pharmacie de secours.
L’ensemble de ces équipements doit permettre un accueil digne des
retenus pendant la courte durée de placement dans les locaux de rétention
administrative puisqu’en application de l’article R 551-3 du code précité, la
durée maximale de placement dans ce type de structure est limité, sauf
exceptions prévues par la réglementation, à 48 heures.
Par ailleurs, se plaçant sur le terrain juridique, la Cour estime que
l’exercice effectif des droits des étrangers retenus en LRA n’est pas entouré
des mêmes garanties
qu’en centre de rétention en indiquant que
l’intervention d’une association à caractère national ayant pour objet
d’informer les étrangers et de les aider à exercer leurs droits n’est pas
rendue obligatoire dans les locaux de rétention.
Il est exact que le décret du 19 mars 2001 prévoyait que l’action de
l’association chargée du soutien juridique des étrangers retenus dans les
CRA s’exerçait aussi dans les LRA et dans des conditions définies dans la
convention que cette association passait avec l’Etat pour l’ensemble des
lieux de rétention du territoire national.
Si ce principe est maintenu dans le nouveau régime réglementaire de
la rétention administrative puisque l’article R 553-4 du code précité prévoit
aussi la possibilité de bénéficier d’un soutien juridique dans les LRA, il
n’impose toutefois, pas qu’il soit fourni par la même association que dans les
CRA.
Cette rédaction tient en fait compte de l’impossibilité matérielle et
objective,
pour
une
seule
association,
d’assurer
l’intégralité
des
interventions dans les locaux de rétention. Cette « décentralisation » du
soutien juridique ne porte toutefois pas de rupture d’égalité entre les
étrangers maintenus en CRA et ceux maintenus en LRA. On notera en outre
que la Cimade, association qui intervient en centre de rétention en
application du marché public passé en janvier 2006 avec l’Etat, continue
d’intervenir
dans
de
nombreux
locaux
de
rétention
administrative
permanents (Limoges, Choisy-le-Roi par exemple).
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
435
Au-delà, la Cour signale l’absence d’obligation pour l’administration
de tenir à jour et de publier l’inventaire des LRA ouverts
sur le territoire
national. Sur ce point, il convient tout d’abord de noter que les préfectures
sont tenues d’assurer la publicité des arrêtés portant création des locaux de
rétention, que ces derniers soient temporaires ou permanents. Cette publicité
prenant la forme d’une parution au recueil départemental des actes
administratif, l’ensemble des acteurs de la rétention, et notamment les
associations en charge du soutien aux étrangers, sont informés de l’existence
d’un lieu de rétention.
En outre, en application de l’article R.553-5 du code de l’entrée et du
séjour des étrangers et du droit d’asile, une copie de l’arrêté de création
d’un LRA est transmise sans délai au procureur de la République, au
directeur départemental des affaires sanitaires et social et au président de la
commission nationale de contrôle des centres et locaux de rétention
administrative et des zones d’attente. Cette formalité substantielle, qui
garantit la régularité de la création du local, permet donc à la commission
de contrôle de disposer d’une liste actualisée des locaux de rétention
administrative et d’assurer plus efficacement les missions qui lui sont
confiées par la loi du 26 novembre 2003 précitée.
La Cour note par ailleurs que le recours aux locaux de rétention
administrative se développe. Elle estime aussi que certains LRA sont utilisés
en lieu et place des centres de rétention et s’inquiète de l’absence d’un
dispositif suffisant de contrôle.
Le recours plus fréquent aux locaux de rétention administrative
est
corrélé à la forte augmentation, depuis 2002, du nombre d’étrangers faisant
l’objet d’une mesure d’éloignement (le nombre de mesures prononcées a
progressé de 50% entre 2002 et 2005) et à l’absence de places
immédiatement disponibles en centre de rétention administrative, les délais
de construction des nouvelles structures d’accueil ne permettant pas une
mise à disposition immédiate.
Aussi, lorsqu’il est impossible de procéder à un transfert immédiat en
CRA, le recours au LRA doit nécessairement être mis en oeuvre.
Dans cette hypothèse, l’administration centrale du ministère formule
des instructions aux préfectures qui vont dans le sens d’une application
stricte du décret n°2005-617 du 30 mai 2005 codifié.
Il faut alors distinguer les LRA temporaires et permanents :
- s’agissant des LRA temporaires, il est demandé aux services
territoriaux de recourir autant que faire se peut aux prestations d’un
établissement hôtelier, quitte à les réquisitionner ;
436
COUR DES COMPTES
- s’agissant des LRA permanents, deux cas peuvent se présenter : soit
les services de police disposent, dans leurs locaux, d’un espace
aménagé, soit un local se situant en dehors des locaux de police ou de
gendarmerie est dédié au LRA et spécialement aménagé. C’est le cas
des LRA d’Allonnes (Sarthe) qui a ouvert au début de l’année 2006
(appartement aménagé) ou de Cercottes (Loiret) qui a été aménagé
dans une ancienne caserne de gendarmes.
A titre anecdotique, on relèvera que la liste des LRA adressée à la
Cour par la DLPAJ à la suite du recensement effectué en mai 2006 ne
concernait que les LRA permanents. Or, le LRA d’Amiens, cité par la Cour
comme ne figurant pas dans ce document, est un local à vocation temporaire.
Il convient cependant de souligner que ce recensement a montré que,
à l’exception de cinq locaux, tous respectent les durées maximales de
rétention prévues par l’article R 551-3 du code précité
qui limite à 48 heures
la durée maximale de maintien des étrangers dans les locaux de rétention
administrative, sauf dans l’hypothèse où il n’existe pas de centre de rétention
administrative dans le ressort du tribunal administratif amené à statuer sur
la légalité d’un arrêté de reconduite à la frontière ou dans le ressort de la
cour d’appel compétente pour statuer sur l’ordonnance du juge des libertés
et de la détention. Dans ces cas, l’étranger peut être maintenu jusqu’à ce que
le président du tribunal administratif ou jusqu’à ce que la cour d’appel ait
statué.
En outre, les articles R 552-17 et R 552-18 du code précité précisent,
qu’en dehors des audiences de prolongation de rétention, l’étranger en
rétention qui en fait la demande peut saisir le juge des libertés et de la
détention afin que soit réexaminée sa situation. Celui-ci peut, dans ce cadre,
mettre fin à la rétention lorsque des circonstances nouvelles de droit ou de
fait apparaissent.
Le maintien des étrangers en local de rétention au-delà de la période
réglementaire rentre dans le cadre de ce dispositif qui tire toutes les
conséquences de la réserve d’interprétation établie par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 20 novembre 2003.
Toute absence de respect des dispositions réglementaires est donc
susceptible d’être sanctionnée par les juridictions, ce qui constitue en soi un
dispositif de contrôle de l’action administrative.
Reste que, et bien que cette pratique ne concerne que 7.8% des LRA et
6% des étrangers retenus, l’administration ne saurait approuver ou tolérer
des pratiques qui seraient contraires à la réglementation en vigueur. Aussi,
toutes les instructions ont été données aux préfectures concernées afin
qu’une application stricte du décret précité soit effectuée.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
437
On notera enfin que l’intégralité des LRA ont désormais un fondement
légal, ce qui répond favorablement aux observations formulées par la Cour
dans son relevé de constatations provisoires.
II- Les résultats de la politique d’éloignement
B- L'augmentation du nombre des reconduites
La Cour souligne les améliorations sensibles
qui ont pu être
constatées dans le fonctionnement des services en charge de la lutte contre
l’immigration irrégulière, notamment au travers de la forte diminution du
taux d’annulation des mesures de reconduite frontière par les tribunaux
administratifs (on constate une diminution globale et constante du taux
d’annulation des mesures de reconduite à la frontière (15.93% en 2005,
16.8
% en 2004 et 17.1% en 2003), cette diminution étant d’autant plus
significative que le nombre de recours déposés devant les juridictions
administratives a progressé pour sa part de plus de 84% entre 2003 et 2005)
et de l’accroissement du taux de délivrance des laissez-passer consulaires (le
taux global de délivrance s’est sensiblement amélioré, passant de 26.9%
pour l’année 2003 à 45.73% en 2005).
Cette mobilisation s’est concrétisée par une très forte augmentation
du nombre d’étrangers en situation irrégulière effectivement éloignés. En
effet, entre 2002 et 2005, le nombre de reconduites a progressé de presque
88%, passant de 10562 à 19849
.
Néanmoins, la Cour estime que les moyens mis en oeuvre pour assurer
le doublement du nombre de mesures d’éloignement exécutées ne se sont pas
accompagnés d’actions sur les dysfonctionnements observés en amont
à
divers stades de la procédure. Ainsi, la Cour note que seuls 27% des mesures
prononcées et 17% des étrangers en situation irrégulière interpellés au cours
de l’année 2005 ont fait l’objet d’un éloignement effectif.
Il convient tout d’abord de réaffirmer que la définition d'un objectif
quantitatif a été préférée à la fixation d'un taux d'exécution global des
mesures d'éloignement qui ne rend qu'imparfaitement compte de la réalité de
la lutte contre l'immigration irrégulière. En effet, une amélioration du taux
d'exécution des mesures d'éloignement ne signifie pas que le nombre de
mesures effectivement exécutées a progressé. Or, l’augmentation de ce
nombre en valeur absolue apparaît bien de nature à restaurer la crédibilité
de la politique de gestion des flux migratoires.
Par ailleurs, les faibles taux de reconduite relevés au regard du
nombre d’interpellations et de prononcés d’une mesure s’expliquent par
divers facteurs.
En effet, toutes les interpellations d'étrangers en situation irrégulière
ne donnent, par définition, pas nécessairement lieu au prononcé d’un arrêté
de reconduite à la frontière.
438
COUR DES COMPTES
Au-delà des situations dans lesquelles les délais de garde à vue ne
permettent pas à l'administration de réaliser un examen de la situation de
l'étranger et de prononcer un arrêté de reconduite à la frontière, plusieurs
facteurs peuvent expliquer les faibles rapports constatés.
Ainsi, le ministère de l'intérieur a entrepris depuis 1998 de développer
la notification des APRF par voie postale. Cette politique, réaffirmée dans le
cadre de la circulaire du 22 octobre 2003 relative à l'amélioration de
l'exécution des mesures de reconduite à la frontière, permet de faire courir
les délais contentieux et offre ainsi la possibilité, lors d'une interpellation par
les services de police ou de gendarmerie, de mettre à exécution une mesure
d'éloignement devenue définitive. Or, toutes les mesures prononcées sur ce
fondement ne sont pas mises à exécution au cours de l’année de référence.
Par ailleurs, et plus généralement, les nombreuses interpellations ou
mesures prononcées ne peuvent systématiquement être menées à terme en
raison des nombreux obstacles rencontrés lors de la mise à exécution de la
mesure. Ainsi, les annulations des mesures par la juridiction administrative,
les décisions des juges des libertés et de la détention défavorables à
l’administration à l’occasion de l’examen des demandes de prolongation ou
l’absence de délivrance de laissez-passer consulaires constituent autant de
freins à la mise en oeuvre effective des mesures d’éloignement.
C- La mesure des résultats obtenus
La Cour estime que les statistiques fournies par le ministère
n’apparaissent pas totalement cohérentes
, ce qui fait douter de leur fiabilité.
A ce titre, la Cour indique que le nombre des éloignements n’ayant pas
abouti en 2005 (qui correspond pour la Cour à la différence entre le nombre
de mesures prononcées et le nombre de mesures exécutées sur l’année) ne
correspond pas à la somme des mesures non transmises au bureau de
l’éloignement de la DCPAF et des mesures non exécutées par ce bureau. De
même, les données centralisées par la DLPAJ à partir du recueil statistique
effectué par les préfectures ne portent, pour l’année 2005, que sur moins de
la moitié des éloignements non exécutés dans l’année.
Le décalage constaté s’explique par l’absence de mise à exécution,
pour une année considérée, de l’ensemble des mesures prononcées. La
différence entre ces deux catégories d’actes n’est donc pas pertinente pour
assurer une comparaison fiable.
Dans ce cadre, aux différents éléments de réponse déjà fournis tenant
notamment au développement de la notification des APRF par voie postale, à
l’annulation des mesures par la juridiction administrative, aux décisions
défavorables des juges des libertés et de la détention ou à l’absence de
délivrance de laissez-passer consulaires, il doit être ajouté la recherche
d’efficacité visant à adapter le dispositif administratif et policier à la
situation concrète des étrangers susceptibles de faire l’objet d’une mesure
d’éloignement.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
439
D’une manière générale, la Cour déplore l’analyse insuffisante des
résultats obtenus en regard des moyens mis en oeuvre par les services en
charge de la lutte contre l’immigration irrégulière dans l’exercice de leur
mission.
On notera à cette fin qu’afin d’accompagner la politique de pilotage
par objectif de la lutte contre l’immigration irrégulière, le ministère de
l’intérieur a mis en place différents outils institutionnels chargés d’assurer
l’analyse des résultats obtenus. Ainsi, au plan local, une circulaire du
23 août 2005 a organisé la mise en place de pôles départementaux
d’immigration. Ces structures, composées des services de police et de
gendarmerie, des magistrats, des bureaux des étrangers des préfectures
assurent, sous l’autorité du préfet de département l’analyse de l’ensemble de
l’information opérationnelle relative à la lutte contre l’immigration et
déterminent les moyens d’action les plus efficaces.
Par ailleurs, l’administration centrale du ministère de l’intérieur a
mis en place un centre national d’animation et de ressources. Cette structure,
inter-directionnelle (DCPAF, DLPAJ), a notamment en charge le pilotage de
la politique d’éloignement par la définition et le suivi des objectifs
départementaux d’éloignement et par l’animation d’un réseau des acteurs
locaux de l’éloignement. L’exercice de ces missions induit des déplacements
dans les départements.
Ainsi, depuis le mois de février 2005, 36 déplacements dans les
départements de la France métropolitaine ont été effectués. Organisées sous
forme de journées d’échanges, ces visites permettent d’une part d’apporter
conseils et appui aux différents acteurs locaux de l’éloignement par la
création d’un réseau des acteurs de l’éloignement et la mutualisation de
bonnes pratiques et, d’autre part, d’identifier au mieux les difficultés
auxquelles les services en charge de la lutte contre l’immigration irrégulière
sont confrontés. Ces déplacements, qui ont concerné en premier lieu les
préfectures dont les objectifs en matière d’éloignement étaient les plus
importants, sont aujourd’hui consacrés aux départements de strate moyenne
et inférieure dont les résultats en matière d’éloignement apparaissaient
faibles. Concentrées sur l’analyse d’un territoire, périmètre jugé plus
pertinent afin d’évaluer plus efficacement les effets des actions menées
localement, ces visites permettent d’analyser les difficultés rencontrées dans
l’exécution des mesures d’éloignement et de recenser les bonnes pratiques en
rencontrant
l’ensemble
des
acteurs
judiciaires
et
administratifs
de
l’éloignement. Cette approche territoriale permet d’assurer un suivi et une
analyse plus efficace des situations tout en proposant des solutions concrètes
et adaptées sur la base des expériences rencontrées dans l’ensemble des
départements visités. Elle permet en outre d’analyser dans le détail les
causes d’échec à l’exécution des mesures d’éloignement.
440
COUR DES COMPTES
Par ailleurs, il convient de souligner que la DCPAF assure un suivi
statistique des causes et du pourcentage d’inexécution des mesures
d’éloignements dans le cadre des saisines du BUREL. Ainsi, au titre des 10
premiers mois de l’année 2006, sont relevés sur 6 097 échecs à
l’éloignement :
¾
5 219 annulations préfectorales résultant pour 2 042 individus
(39.13 %) d’une décision des juridictions judiciaires ou administratives ;
pour 1 130 individus (21.65 %) d’une carence de laissez-passer consulaires ;
pour 347 individus (16.23 %) de l’absence de présentation d’un étranger à
sa convocation ; pour 1200 individus (22.99%) de motifs divers tenant, à une
libération par la préfecture (146 cas soit 2.80 %), à l’absence de l’étranger à
son domicile (185 cas soit 3.54 %), à la saturation du centre de rétention
(145 cas soit 2.78 %), à une demande d’asile politique (86 cas soit 1.65 %), à
une erreur matérielle dans le dossier du reconduit (145 cas soit 2.78 %).
¾
551 échecs pour refus d’embarquement.
¾
327 échecs pour absence de moyens de transport.
Sur le suivi des causes de refus de prolongation de la rétention par le
juge de la liberté et de la détention, les motifs ne sont jamais communiqués
au BUREL de la DCPAF. Les préfectures se contentent en ce domaine
d’adresser une annulation de la demande initiale sans préciser le motif qui a
conduit le magistrat à décider de la libération d’une personne.
De plus, tout suivi par le service policier à la base de l’interpellation
apparaît totalement illusoire. Les recours surgissent à plusieurs stades de la
rétention, bien après la clôture de la procédure initiale, et les placements en
C.R.A., gérés selon une approche nationale, suppriment toute possibilité de
communication établie localement.
Aussi, et en complément des analyses effectuées d’une part à l’échelle
départementale et d’autre part par la DCPAF, le ministère a souhaité doter
les services en charge de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière
d’une application informatique capable d’apporter à la fois une cohérence
dans le suivi des procédures des préfectures et dans la gestion des différents
centres de rétention administrative par les services de police ou de
gendarmerie compétents.
Dans ce cadre, il a été décidé d’utiliser et d’étendre au niveau
national une application dont les développements étaient particulièrement
avancés dans le département des Pyrénées Orientales et à la Direction
centrale de la police aux frontières. Il s’agissait des applications SIRSEI
(Système Informatisé en Réseau de Suivi des Etrangers Incarcérés) et
SUEDEE (Suivi des Etrangers devant Etre Eloignés)-DDPAF 66- qui ont été
regroupées
avec
deux
autres
programmes -
GESTEL
(Gestion
de
l’éloignement par la DCPAF) et SUICRA (programme de suivi des centres de
rétention administrative géré par la DLPAJ) - en un seul projet nommé
ELOI.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
441
La mise en oeuvre effective, dans les prochains mois, d’ELOI assurera
une homogénéisation des pratiques et permettra un suivi statistique précis de
l’ensemble des causes d’échec à l’éloignement.
D- Le coût de la politique d’éloignement
La Cour pointe en premier lieu l'absence d'évaluation du coût global
de la politique d'éloignement et s'étonne que le coût de fonctionnement des
centres ne soit toujours pas établi avec précision. Elle considère que
« l'estimation par la DAPN d'un coût annuel de l'ordre d'1 M€ pour
l'ensemble ces CRA de métropole et d'outre-mer [ne peut] être considérée
comme significative et fiable d'autant que les dépenses concernant certains
CRA ne sont pas renseignées ».
Cette remarque est pour partie justifiée même si la responsabilité n'en
incombe pas uniquement à la Police nationale. J'ajoute que le rapport de la
Cour des comptes porte sur les années 20003, 2004 et 2005, donc avant
l'entrée en vigueur de la LOLF.
Deux éléments de réponse peuvent être apportés à la Cour sur ce
premier point :
- d'une part le coût de fonctionnement interne d'un grand nombre de
CRA
(13
au
total)
est
actuellement
supporté
par
l'administration
pénitentiaire (et ce jusqu'au 1er janvier 2007). La Police nationale n'a donc
guère de visibilité sur une dépense exécutée par un autre ministère.
La gestion "hôtelière" de l'ensemble des CRA par la Police nationale
à partir du 1er janvier prochain suite au désengagement de l'administration
pénitentiaire va considérablement faciliter le suivi de la dépense et permettre
d'avoir une vision globale du coût puisque désormais tous les CRA construits
et gardés par la Police nationale seront également gérés par elle pour leur
fonctionnement courant
.
- d'autre part, il est exact que malgré des relances régulières, les
remontées d'informations des préfectures sur les dépenses effectuées par elles
en matière de rétention administrative sont très lacunaires. Le système actuel
fait que l'exécution de la dépense relative aux CRA est "éclatée" entre 100
préfectures, 8 SGAP et 9 SATP.
L'entrée en vigueur de la LOLF permet désormais d'assurer un suivi
amélioré de la dépense de fonctionnement et d'équipement
. En effet, par
l'infocentre INDIA, en effectuant des requêtes multi-critères par compte du
plan comptable de l'Etat (alimentation, blanchisserie, traductions, etc…), par
code ordonnateur (les 100 préfectures, les SGAP), par action LOLF
d'imputation (en l'occurrence l'action 4 "police des étrangers et sûreté
aéroportuaire internationale") et par BOP (en l'occurrence le BOP 1
"commandement et soutien" où figurent les crédits pour l'éloignement hors
billetterie) il est désormais possible d'avoir un suivi satisfaisant de la
dépense de rétention administrative.
442
COUR DES COMPTES
Ainsi, je vous indique qu'au 3 novembre 2006, 14 M€ ont été
consommés et 25,9 M€ engagés pour les dépenses de rétention administrative
(et de délivrance des laisser-passer consulaires). Cette situation est conforme
à celle envisagée lors de l'élaboration du PEC 2006.
Il convient de noter que la Direction Générale de la Police Nationale
va très prochainement adresser une circulaire aux préfectures et aux SGAP
pour leur repréciser les comptes PCE à utiliser afin d'éviter une
hétérogénéité qui serait préjudiciable au suivi de la dépense.
Parallèlement,
il est envisagé de demander aux préfectures de ne plus transmettre les
tableaux d'emplois des crédits de l'ex-article 27, ces remontées étant
lacunaires et ne fournissant aucune information qu'INDIA ne produise déjà.
La haute juridiction financière estime également que l'évaluation du
coût global de la politique de lutte contre l'immigration clandestine est
discutable. Ce dernier point est inexact dans la mesure où l'évolution de la
dépense depuis 2004 a été précisément évaluée en application de la méthode
de la "justification au premier euro". Il est exact cependant que ce montant
ne comprend pas les seules dépenses d'éloignement mais toutes les dépenses
liées à la lutte contre l'immigration clandestine.
La Cour déplore aussi que la DGPN ne soit pas en mesure d'établir
un coût analytique global de l'éloignement d'un étranger en situation
irrégulière, alors qu'il s'agit là d'un indicateur du projet annuel de
performance de la Police nationale. Il est exact que dans le projet annuel de
performances 2006 l'indicateur relatif au coût d'une rétention (et non d'un
éloignement) en CRA police n'était pas renseigné. Il l'est dans le PAP 2007
même si son mode de calcul est encore perfectible, notamment parce qu'il
n'intègre pas pour l'heure les dépenses de masse salariale (ce qui devrait être
possible en 2007 avec le déploiement complet de la MCI dans les services de
la PAF). Les restitutions fournies par INDIA permettront également d'avoir
une meilleure vision des dépenses de fonctionnement liées à la rétention.
Enfin, la Cour constate avec regret que l'indicateur figurant au PAP
sur le taux de remise en liberté de personnes placées en rétention
administrative n'est pas renseigné. Le logiciel "ELOI" actuellement en phase
de test par la DLPAJ dans les CRA et les préfectures devrait permettre de
remédier, en 2008, à cette situation.
LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS EN SITUATION IRRÉGULIÈRE
443
RÉPONSE DU MINISTRE DE L’ÉCONOMIE ET DES FINANCES ET
DU MINISTRE DÉLÉGUÉ AU BUDGET ET A LA RÉFORME DE
L’ÉTAT, PORTE PAROLE DU GOUVERNEMENT
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes sur « La
rétention des étrangers en situation irrégulière » appelle les remarques
suivantes.
Le rapport met en exergue l’absence d’évaluation véritable du coût
global de la politique d’éloignement.
Il signale notamment la difficulté pour obtenir des coûts de
fonctionnement des centres de rétention administrative, l’intégration des
postes de dépenses n’étant pas homogène d’un centre de rétention à l’autre.
Il semble que de ce point de vue, la présentation en missions-programmes-
actions, avec une action dédiée à la police des étrangers et à la sûreté des
transports internationaux, ait permis d’établir plus clairement les frais de
fonctionnement des centres de rétention administrative.
Le rapport évoque l’absence de mesure du coût complet de
l’éloignement d’un étranger en situation irrégulière, lequel devrait reposer,
non seulement sur l’évaluation des dépenses dans les centres, mais
également sur la valorisation des dépenses relatives aux phases amont et
aval de la rétention (transports, escortes). Sur ce point, les crédits relatifs à
la phase aval sont désormais retracés dans la justification au premier euro
du projet annuel de performances. Nous mettrons à l’étude, en liaison avec le
ministre de l’intérieur, l’identification des dépenses amont dédiées à la
politique de l’éloignement.
Enfin, vous critiquez le non-renseignement des trois indicateurs de
performances relatifs à cette politique. Dans le projet annuel de performance
pour 2007, deux de ceux-ci ont été renseignés ; seul demeure à renseigner
l’indicateur relatif au taux de remise en liberté des personnes placées en
rétention pour vice de procédure. Les données nécessaires devraient être
disponibles en 2007.