La gestion du régime d’indemnisation
des intermittents du spectacle
_____________________
PRESENTATION
____________________
Le « régime des intermittents du spectacle » s’entend de deux
dispositifs distincts. Le premier, géré par l’Unédic, fait l’objet de deux
annexes à la convention générale d’assurance chômage dont l’une
(l’annexe 8) couvre les techniciens et l’autre
(l’annexe 10) les artistes du
spectacle vivant (théâtre, cirques, …). A partir de 2004, un régime
financé par l’Etat est venu s’ajouter à celui de l’assurance chômage.
Créé à la suite des nombreuses manifestations et grèves d’intermittents
suscitées par le durcissement en 2003 des conditions d’admission dans
les annexes 8 et 10, ce dispositif a d’abord été organisé sous la forme
d’un « fonds spécifique provisoire », puis d’un « fonds transitoire ». Ces
fonds successifs, alimentés par des crédits du ministère chargé de
l’emploi ont eu pour objet essentiel de maintenir une indemnisation pour
les personnes que les nouvelles règles excluaient du bénéfice des annexes
8
et 10.
Au cours des trois dernières décennies, la Cour a analysé à
plusieurs
reprises
la
gestion
du
« régime des
intermittents
du
spectacle »
77
. Quatre ans après la dernière enquête, et dans un contexte
profondément renouvelé par l’intervention de l’Etat, la Cour a décidé de
revenir sur ce sujet.
77) Cour des comptes - rapport public 1983 (pp.44-45) ;
rapport public annuel 1993
(pp. 421-436) ;
rapport public 2002 (pp.297-314).
226
COUR DES COMPTES
Les partenaires sociaux ont conclu le 21 décembre 2006 un accord
qui s’inscrit dans la logique de celui signé en 2003, même s’il comporte
quelques modifications dans le mode d’évaluation des droits. Cet accord
met fin à l’incertitude qui prévalait depuis près d’un an sur l’évolution du
régime, mais ne remet pas en cause les observations faites par la Cour
sur son économie générale.
I
-
Un dispositif original en butte à des
déséquilibres croissants
1 -
Un cas unique en Europe
L’intermittence est profondément ancrée dans l’histoire du système
français de protection sociale. En effet, la mise en oeuvre de règles
d’indemnisation spécifiques aux salariés du secteur du spectacle et de
l’audiovisuel est intervenue dès les années 1930. A partir des années
1960, celles-ci ont pris la forme d’un régime spécifique au sein de
l’assurance chômage. Une annexe 8 à la convention générale d’assurance
chômage a ainsi été créée en 1964
au profit des techniciens du spectacle.
Ces derniers ont été rejoints en 1967 par les artistes du spectacle vivant,
regroupés au sein d’une annexe 10 à la même convention.
Le régime des intermittents qui résulte de ces deux annexes
apparaît comme une spécificité française. Il ne se retrouve dans aucun des
systèmes d’indemnisation du chômage existant à l’étranger. Les
réglementations d’assurance chômage des Etats membres de l’Union
européenne ne prévoient pas en général de régimes spécifiques selon les
professions. L’Espagne et la Belgique ont simplement introduit des
adaptations limitées à leur réglementation pour tenir compte de certaines
particularités d’exercice de ces professions. L’Allemagne et l’Italie ont
adopté des règles particulières pour les intermittents ou les saisonniers qui
peuvent s’appliquer aux professionnels du spectacle sans toutefois leur
être réservées.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
227
Les intermittents du spectacle : le cadre juridique
Le régime des intermittents du spectacle résulte des annexes 8 et 10 de la
convention générale d’assurance chômage. Il assure une indemnisation aux
demandeurs d’emploi qui, techniciens ou artistes du spectacle vivant, justifient
d’une durée de travail supérieure à 507 heures sur une période de référence qui
s’élève selon les cas à 10 mois ou dix mois et demi. Cette indemnisation est
limitée à une période maximale de 243 jours. Depuis le 1
er
juillet 2004, un
« fonds spécifique provisoire » - devenu « fonds transitoire » le 1
er
janvier 2005
–, financé sur le budget de l’Etat, permet de maintenir une allocation pour les
techniciens ou artistes du spectacle qui, ne justifiant pas du nombre minimum
d’heures requises pour être affiliés aux annexes 8 et 10, ont néanmoins une
durée d’activité de 507 heures au cours des 12 derniers mois.
Le contrat à durée déterminée dit « CDD d’usage » est un autre élément
essentiel du statut juridique de l’intermittence. Cette expression désigne un
contrat de travail particulier, prévu par l’article L. 122-1-1 3° du code du travail,
qui autorise le recours aux contrats à durée déterminée dans les secteurs
d’activité définis par décret ou par voie d’accord ou de convention collective
étendue dès lors qu’ «
il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat de
travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du
caractère par nature temporaire de ces emplois
». L’article D. 121-2 du code du
travail mentionne 20 secteurs d’activité concernés par ces dispositions. Parmi
ceux-ci, on trouve notamment les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel,
l’information, la production cinématographique et l’édition phonographique. Le
CDD d’usage assouplit certaines règles protectrices du CDD de droit commun,
notamment pour ce qui est de la durée, du délai de carence et de l’indemnité de
fin de contrat.
2 -
Le creusement du déficit des annexes 8 et 10
Le régime des intermittents du spectacle constitue aujourd’hui l’un
des piliers de l’emploi culturel dans notre pays. Alors que le nombre
d’actifs du secteur culturel est estimé à 430 000, les intermittents
indemnisés par l’Unédic étaient un peu moins de 100 000 en 2005. Plus
encore que sa part dans l’emploi culturel, c’est la dynamique de cette
forme d’emploi qui est frappante : de 9 060 en 1984, le nombre des
intermittents indemnisés par l’Unédic est passé à 41 038 en 1991, puis à
92 440 en 2000 pour culminer à 105 600 en 2003. Il est trop tôt pour
déterminer si le léger recul intervenu depuis lors infléchit durablement la
tendance à la hausse ou s’il constitue seulement une pause dans cette
évolution.
228
COUR DES COMPTES
L’augmentation du nombre des intermittents s’est accompagnée
d’un déficit croissant du régime des annexes 8 et 10. Alors qu’il s’élevait
à 229 M€ en 1991, il avoisine désormais le milliard d’€. En 2005, il a
représenté 993 M€, soit 31 % du déficit total de l’assurance chômage. Au
cours des dernières années, la contribution des intermittents aux résultats
financiers globaux de l’assurance chômage a été d’un ordre de grandeur
comparable : de 2001 à 2005, les seules annexes 8 et 10 ont ainsi expliqué
28 % du déficit cumulé de l’Unédic, alors que les intermittents ne
représentent que quelque 3 %
78
des demandeurs d’emplois.
3 -
La création d’un nouveau dispositif d’indemnisation financé
par l’Etat
Dans un contexte marqué à la fois par le creusement du déficit des
annexes 8 et 10 et la dégradation générale des comptes de l’assurance
chômage, les partenaires sociaux ont conclu le 26 juin 2003 un protocole
qui
réforme
profondément
le
fonctionnement
du
régime
des
intermittents
79
. Mal accueillie par les intermittents, cette réforme a
provoqué de nombreuses manifestations ainsi que l’annulation de
plusieurs festivals à l’été 2003. Au printemps 2004, l’Etat a annoncé son
implication financière dans le dispositif d’indemnisation des intermittents
à travers un « fonds spécifique provisoire ». Créé au 1
er
juillet 2004, ce
fonds avait pour objet de compenser les effets de la réforme de 2003 pour
les intermittents les plus fragiles. Il a été reconduit le 1
er
janvier 2005
sous le nom de « fonds transitoire ».
78) Ce taux mesure la proportion des intermittents indemnisés fin décembre 2005, par
rapport au nombre total de demandeurs d’emplois indemnisés par l’Unédic.
79) Ce protocole du 26 juin 2006 a été suivi de plusieurs décisions : un avenant du 8
juillet 2003, qui vise essentiellement à échelonner dans le temps l’entrée en vigueur
des mesures décidées le 26 juin ; une série d’avenants du 13 novembre 2003, qui
supprime certaines des dispositions les plus contestées de l’accord du 26 juin ; un
agrément ministériel résultant d’un arrêté du ministre des Affaires sociales, du Travail
et de la Solidarité en date du 12 décembre 2003.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
229
II
-
Une réforme qui a laissé persister
d’importantes dérives
A - Une réglementation devenue plus restrictive
Deux instruments d’action sont à la disposition des partenaires
sociaux pour intervenir sur l’évolution des effectifs et des dépenses du
régime : la redéfinition du champ des annexes 8 et 10 ; l’élévation du
seuil d’accès au dispositif. La réforme de 2003 privilégie nettement cette
deuxième voie.
1 -
Un champ d’application globalement inchangé
L’entrée dans le régime des intermittents du spectacle est soumise
à
une double condition relative à la fonction exercée par l’allocataire et
au secteur d’activité de l’employeur. Si la condition relative au métier
exercé par l’allocataire est consubstantielle à la logique du régime, celle
relative au secteur d’activité de l’employeur a été mise en place plus
tardivement : en 1992 pour l’annexe 8 et en 1999 pour l’annexe 10.
L’évolution passée suggère que le degré d’ouverture de ce champ
entretient une relation étroite avec l’évolution des effectifs et des
dépenses du régime. Ainsi, l’introduction de la condition relative au
secteur d’activité de l’employeur en 1992 a coïncidé avec un répit dans
l’augmentation des charges d’indemnisation. A l’inverse, l’aggravation
du déficit, à la fin des années 1990, a été concomitante d’une ouverture
croissante du régime des intermittents résultant notamment du protocole
conclu entre les partenaires sociaux le 20 janvier 1999. Celui-ci a ainsi
ouvert le bénéfice de l’annexe 8 aux salariés intermittents relevant du
secteur de l’édition phonographique, aboutissant à couvrir un secteur
industriel qui ne concourt pas directement à la production de spectacles.
L’accord du 20 janvier 1999 a également étendu l’annexe 10 aux secteurs
de la gestion des salles de spectacle (salles de concerts, théâtres, mais
aussi cabarets, cafés-concerts, cabarets théâtres, maisons de la culture…)
et des services annexes aux spectacles (machinerie, costumes, éclairage,
ainsi que production et promotion de spectacles)
80
. Il est à noter, par
ailleurs, que tout employeur peut entrer dans le champ des annexes 8 et
10 s’il est à la fois titulaire d’une licence de spectacles et affilié à la caisse
des congés du spectacle. Enfin, le champ d’application apparaît
80) Avant l’entrée en vigueur du protocole du 20 janvier 1999, les entreprises de
services annexes aux spectacles ne relevaient de l’annexe 10 que si elles étaient
affiliées au régime d’assurance chômage au 1er juillet 1992.
230
COUR DES COMPTES
particulièrement poreux dans le cas des organisateurs de spectacle
occasionnel, pour lesquels il est difficile aux Assédic de s’assurer qu’il
s’agit bien d’un spectacle vivant et non d’une activité relevant plutôt de
l’événementiel (manifestations sportives ou politiques, par exemple).
Comme l’avait souligné la Cour dans son rapport public 2002, « le
dispositif des annexes 8 et 10 présente un degré d’ouverture
particulièrement large qui le rend très perméable à de nouvelles entrées
d’allocataires ».
Les partenaires sociaux n’ont pas procédé, à l’occasion de la
réforme de 2003, à une redéfinition du périmètre du régime des
intermittents. Le protocole du 26 juin 2003 a seulement procédé au
transfert des techniciens du spectacle vivant, qui relevaient auparavant de
l’annexe 10, vers l’annexe 8 afin d’homogénéiser les populations
présentes dans l’un et l’autre de ces dispositifs. Ces dernières regroupent
désormais les allocataires sur la base des métiers : d’une part, les
techniciens du spectacles relevant de l’annexe 8 ; d’autre part, les artistes
regroupés dans l’annexe 10. En revanche, les autres possibilités de
réforme du champ, notamment par une réduction de la liste des métiers
éligibles, n’ont pas été retenues.
2 -
Une élévation des seuils d’accès au régime
La voie d’action privilégiée lors de la réforme de 2003 a été celle
de la maîtrise des dépenses par une élévation des seuils d’accès au
régime. Ainsi, les intermittents doivent désormais accumuler sur une
période raccourcie (10 mois pour l’annexe 8, 10,5 mois pour l’annexe 10
contre 12 mois auparavant) les quantités de travail nécessaires à leur
entrée dans le dispositif, soit 507 heures au minimum. Par ailleurs, ces
heures doivent avoir été effectuées pour des employeurs intervenant dans
le champ des spectacles, de l’audiovisuel et du cinéma, alors
qu’auparavant, les activités effectuées dans d’autres secteurs pouvaient
être prises en compte à concurrence de 2/3 du total, pour autant que les
trois derniers mois fussent réalisés dans le périmètre de l’intermittence.
Parallèlement, il a été procédé à un raccourcissement des droits au
chômage des intermittents, qui sont passés de 365 jours à 243 jours. La
conséquence de cette modification réglementaire est que les droits à
indemnisation ne sont plus examinés à date fixe (dite « date
anniversaire ») comme cela était le cas précédemment, mais au terme
d’une période glissante qui varie en fonction de la rapidité de la
consommation des droits à indemnisation. Enfin, la formule de calcul de
l’indemnité journalière a été revue : auparavant fondée exclusivement sur
des informations concernant la rémunération des bénéficiaires, elle a été
modifiée pour prendre en compte également la durée de travail déclarée.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
231
B - La stabilisation de la situation financière des
annexes 8 et 10
1 -
La persistance d’un fort déficit
Les mesures décidées en 2003 ont eu des répercussions très nettes
sur les comptes des annexes 8 et 10. Elles ont induit une baisse très nette
du taux de croissance des dépenses. Après avoir augmenté à un rythme
annuel supérieur à 10 % depuis le début des années 2000, les dépenses du
régime ont vu leur progression limitée à 8,3 % en 2004 et à 2,8 % en
2005. Encore ces chiffres sont-ils exprimés en valeur brute ; en effet, une
partie des allocataires a bénéficié jusqu’à la fin 2005 de dispositions
transitoires empêchant le protocole de 2003 d’exercer pleinement ses
effets. Corrigée de ces dispositions transitoires, la progression des
dépenses des annexes 8 et 10 en 2005 est ramenée à 0,2 %, soit une quasi-
stabilisation des dépenses. Le protocole de 2003 n’avait, en revanche, pas
prévu de mesures nouvelles concernant les recettes dont les modalités de
calcul avaient été révisées en 2002 lorsque le doublement des cotisations
avait été approuvé par les partenaires sociaux. L’effet de ce doublement a
été pleinement perceptible dès 2003, avec une augmentation des recettes
de 49,2 % qui faisait suite à une augmentation de 25,3 % en 2002. Depuis
lors, la dynamique des cotisations a retrouvé un rythme plus modéré :
7,6 % en 2004 et 2,5 % en 2005.
L’effet conjugué du ralentissement de la croissance des dépenses et
de l’augmentation des recettes a conduit à une stabilisation du déficit en
2005 : celui-ci a augmenté de 14 M€ en données brutes, passant de
965 M€ en 2004 à 979 M€ en 2005. Il est toutefois à souligner que les
données corrigées des dispositions transitoires aboutissent à une inversion
du sens de cette évolution : le déficit corrigé pour 2005 s’établit en effet à
962 M€, soit 3 M€ de moins qu’en 2004. Au total, l’évolution financière
des annexes 8 et 10 depuis la mise en oeuvre de la réforme de 2003 a été
plutôt favorable ; la dynamique des dépenses a été fortement freinée et le
déficit a tendu à se stabiliser. Ce dernier demeure néanmoins à un niveau
élevé, les prestations représentant près de six fois le montant des
cotisations perçues au titre des annexes 8 et 10.
232
COUR DES COMPTES
Le déficit des annexes 8 et 10 du régime d’assurance chômage
Année
Prestations
versées
(M€)
Cotisations
encaissées au
titre de l'Ac
(M€)
Rapport
prestations /
cotisations
Solde des
annexes 8
et 10 (M€)
1991
260
31
847%
-229
1992
383
50
771%
-333
1993
381
52
740%
-329
1994
373
67
557%
-306
1995
428
71
600%
-357
1996
497
74
667%
-423
1997
556
75
743%
-481
1998
630
86
737%
-544
1999
699
86
816%
-613
2000
742
96
777%
-646
2001
850
99
857%
-751
2002
957
124
772%
-833
2003
1 075
185
581%
-890
2004
1 164
199
585%
-965
2005
1 181
202
579%
-979
2005 corrigé
1 166
204
572%
-962
Source : Unédic
2 -
Les évolutions contraires des effectifs indemnisés et de
l’allocation moyenne
La stabilisation du déficit des annexes 8 et 10 recouvre deux
évolutions de sens contraire : en effet, la diminution des effectifs du
régime à partir de 2004 s’est accompagnée d’une augmentation de
l’allocation
journalière
moyenne
perçue
par
les
professionnels
indemnisés.
a)
Une baisse du nombre d’allocataires
Après une augmentation très forte depuis le milieu des années
1990, le nombre des allocataires des annexes 8 et 10 a reculé pour la
première fois en
2004 et a poursuivi sa baisse en 2005 : après avoir
culminé à 105 600 en 2003, il s’établit à 104 625 en 2004 et 99 367 en
2005. L’entrée en vigueur du protocole de 2003 a donc été suivie par une
baisse des effectifs indemnisés.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
233
Evolution du nombre d'allocataires des annexes 8 et 10
0
20000
40000
60000
80000
100000
120000
1991 1992 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
annexe 8
annexe 10
ensemble
Source : Unédic
Cette évolution traduit l’impact des règles mises en place en 2003
qui ont contribué à écarter une partie des allocataires du bénéfice des
annexes 8 et 10
81
. Toutefois, la baisse des effectifs pourrait n’être que
temporaire : en effet, les données disponibles concernant le premier
semestre 2006 mettent en évidence une reprise des flux d’entrée dans le
régime
82
.
b)
La progression de l’allocation journalière moyenne
L’allocation journalière moyenne versée dans le cadre des annexes
8 et 10 a fortement augmenté au cours de la période postérieure à 2003.
Alors qu’elle s’élevait en moyenne à 47,70 € en 2003, elle est passée à
57,93 € en 2004 pour atteindre 58,64 € en 2005, soit une augmentation de
23,4 % en deux ans. Si les deux annexes ont bénéficié de cette évolution
globale, un écart substantiel subsistait entre elles : fin 2005 en effet,
l’allocation journalière moyenne était de 67 € pour les allocataires de
l’annexe 8 (techniciens) contre 50,08 € pour ceux de l’annexe 10
(artistes). Pour l’essentiel, cette évolution ne résulte pas d’une
modification de leur offre de travail par les intermittents (hausse de
81) L’évolution en sens contraire des annexes 8 et 10 pour l’année 2004 s’explique
par le fait que le protocole de 2003 a affecté les techniciens du spectacle vivant, qui
relevaient auparavant de l’annexe 10, à l’annexe 8. La première connaît donc une
baisse, tandis que la seconde voit ses effectifs augmenter.
82) Cette évolution se décompose en une augmentation de l’ordre de 4% des effectifs
de l’annexe 8 et une quasi-stabilisation de l’annexe 10.
234
COUR DES COMPTES
salaire ou augmentation des durées travaillées) mais de la refonte de la
formule de calcul de l’allocation journalière décidée dans le cadre de la
réforme de 2003.
Des revenus en forte hausse depuis 2001
Le contexte de l’augmentation de l’allocation journalière versée dans
le cadre des annexes 8 et 10 a incité à la Cour à s’interroger sur les revenus
des intermittents du spectacle. Ceux-ci peuvent être approchés à partir des
données dont disposent les Assédic : les salaires déclarés par les allocataires
(qui ne sont pas des salaires réels mais des salaires bruts plafonnés) ainsi que
les indemnités versées à ces derniers. L’addition de ces deux revenus fait
apparaître une approximation des ressources totales dont disposent les
intermittents.
Encore
convient-il
de
souligner
que
celle-ci
mène
nécessairement à une sous-estimation : en effet, elle ne prend en compte ni la
partie du salaire supérieure au plafond de l’Unédic, ni les éventuelles autres
sources de revenus des intermittents (droits d’auteur notamment).
Ainsi estimé
a minima,
le revenu moyen des allocataires des annexes
8 et 10 s’établissait à 27 294 € en 2005. Ce montant a fortement progressé au
cours des dernières années : en effet, il n’était que de 21 150 € en 2001 ;
l’augmentation a donc été de 29% en quatre ans. Une analyse de la
distribution de ces revenus montre par ailleurs que 72% des intermittents se
situent au-dessus de 18.000 € annuels, une proportion elle-même en
augmentation au cours des dernières années : elle s’établissait en effet à
56,7% en 2001. Une évolution comparable est constatée à l’extrémité
supérieure de l’échelle des revenus : alors que 4,5% des intermittents
indemnisés disposaient de revenus minimum supérieurs à 42.000 € en 2001,
ils étaient 16,7% en 2005.
Selon ces estimations, les revenus des intermittents indemnisés dans le
cadre des annexes 8 et 10 ont évolué de façon très favorable au cours des
dernières années.
La réforme de 2003 peut donc être analysée comme l’addition de
deux effets de sens contraire : une diminution des effectifs qui s’est
manifestée dès 2004 et a tendu à limiter les charges du régime ; une
augmentation de la valeur moyenne des prestations versées qui a
contribué à alourdir le montant des dépenses par allocataire. Le deuxième
effet l’a largement emporté sur le premier puisque les dépenses totales
des annexes 8 et 10 ont progressé de 11,3% entre 2003 et 2005 (8,5 % si
l’on neutralise l’effet des dispositions transitoires). La réforme a donc
affecté de façon très différente les allocataires, certains étant exclus du
bénéfice des annexes 8 et 10 tandis que d’autres voyaient leurs conditions
d’indemnisation s’améliorer de manière substantielle.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
235
C - D’importantes dérives persistent dans le
fonctionnement des annexes 8 et 10
1 -
Le rapport entre la durée de travail et celle de l’indemnisation
est en diminution constante
La comparaison entre la durée globale de travail déclarée dans le
cadre des annexes 8 et 10 et le nombre total des journées d’indemnisation
met en évidence une évolution inquiétante : en effet, les périodes
indemnisées progressent plus rapidement que le nombre d’heures de travail
déclarées. Ainsi, alors que l’on comptait en moyenne 3,2 heures travaillées
par journée indemnisée en 2003, ce rapport était tombé à 2,7 en 2005.
Cette évolution est la plus marquée pour l’annexe 8, où l’on passe de 4,4 à
3,1 heures travaillées pour une journée d’indemnisation entre 2001 et
2005; pour l’annexe 10, ce rapport passe de 2,7 à 2,4. La diminution du
rapport
entre
les
heures
travaillées
et
le
nombre
de
journées
d’indemnisation confirme qu’au-delà du durcissement bien réel des règles
d’admission dans les annexes 8 et 10 que traduit la baisse des effectifs, les
allocataires satisfaisant aux nouvelles règles en tirent un avantage plus
important qu’auparavant.
2 -
L’échec des incitations à l’allongement du temps de travail
déclaré par les intermittents
Le raccourcissement des périodes de travail déclarées correspond à
une tendance de longue période du régime des intermittents du spectacle.
Ce phénomène peut traduire une progression des effectifs d’allocataires
plus rapide que celle de la demande de travail du secteur ; on ne peut
toutefois écarter qu’elle soit également liée à des pratiques de sous
déclaration des périodes travaillées. Afin d’inciter à une meilleure
déclaration, la réforme de 2003 a introduit dans la formule de calcul de
l’indemnisation des intermittents un facteur permettant de prendre en
compte le nombre d’heures déclarées par ces derniers.
Cette formule n’a pas eu l’effet escompté. Les données disponibles
suggèrent au contraire que la variation de l’allocation journalière en
fonction de la durée déclarée a découragé la déclaration des heures
travaillées au-dessus d’un certain seuil : ainsi, des simulations
83
ont
montré que pour un salaire annuel de 16.250 €, le taux de l’allocation
journalière décline à partir de 620 heures de travail, ce qui n’incite
évidemment pas les intermittents à développer leur activité déclarée.
83) Rapport de la mission Guillot au ministre de la Culture et de la Communication,
octobre 2005
236
COUR DES COMPTES
3 -
La « permittence », une pratique coûteuse pour le régime
d’assurance chômage
Le terme de « permittence » désigne le phénomène selon lequel
des salariés bénéficiant du régime de l’intermittence sont employés de
façon permanente ou quasi permanente par un même employeur. Cette
pratique est aujourd’hui très répandue : une analyse portant sur l’année
2005 a montré que 14% des allocataires des annexes 8 et 10 ont effectué
100% de leur temps de travail auprès d’un même employeur. Si l’on
considère les allocataires ayant effectué au moins 70% de leur temps de
travail déclaré auprès d’un même employeur, ce taux représente 42% du
total et atteint 71% pour les personnes indemnisées au titre de l’annexe 8
(39% pour ceux relevant de l’annexe 10). La masse des prestations qui
leur a été versée au cours de l’année 2005 est estimée à 206 €M€. La
permittence est donc aujourd’hui un phénomène massif, particulièrement
présent dans l’audiovisuel notamment public
84
. Or les conventions
successives régissant les annexes 8 et 10 n’ont mis en oeuvre aucun
dispositif visant à la décourager. L’assurance chômage est pourtant la
principale victime de cette pratique qui offre aux employeurs le moyen de
reporter sur l’Unédic une partie des frais fixes de rémunération de leurs
salariés.
Une étude de cas menée par l’Unédic à la demande de la Cour – et
dont les résultats figurent dans le tableau n° 2 ci-dessous - a ainsi montré
que pour un nombre de jours travaillés équivalent à un quart temps, les
sommes versées à un permittent par l’Unédic peuvent être supérieures à
celles qui lui sont versées par son employeur alors même que ses revenus
mensuels (salaires et indemnités de chômage confondus) sont proches de
ceux d’un salarié de même qualification travaillant à temps plein en
contrat à durée indéterminée. Il résulte de cette situation une altération de
la notion de revenu de remplacement, l’allocation versée par l’assurance
chômage constituant dans les faits un complément de salaire.
84) cf. rapport de M. Gourinchas au ministre de la Culture et de la Communication
concernant le recours à l’intermittence dans l’audiovisuel public, 14 janvier 2004.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
237
Comparaison des coûts et des revenus d’un salarié de même
qualification en CDI ou en CDD d’usage
Emploi de
chef
monteur
Ce que verse
l’Assédic
mensuellement
Ce que verse
l’employeur
mensuellement
Ce que
perçoit le
salarié
Situation
du salarié
Si CDI
0 €
4009,58 €
+ 259,82 € de
charges RAC
3207,66 €
net
Travaille 5
j et 35 h /
semaine
Si CDD
d’usage
1247,04 €
1648,36 €
+ 182,10 € de
charges RAC
2895,40 €
net
Moyenne
de 6 à 7
jours
travaillés /
mois
Source : Unédic
Au-delà des charges que la permittence fait peser sur les annexes 8
et 10, sa compatibilité avec les principes fondamentaux de l’assurance
chômage apparaît problématique. En effet, selon l’article 1
er
§ 1 de la
convention générale d’assurance chômage, il revient à l’Unédic
«
d’assurer un revenu de remplacement pendant une durée déterminée
aux salariés involontairement privés d’emploi et (de) favoriser leur
retour à l’emploi
». Force est de constater que la permittence n’entre pas
dans le cadre de cette définition, tant par l’altération de la notion de
revenu de remplacement qu’elle induit que par le doute qu’elle peut
susciter concernant la réalité de la privation d’emploi que subirait
l’allocataire.
4 -
Un dispositif de lutte contre la fraude qui ne permet pas
d’éliminer le risque de collusion entre employeurs et salariés
Dans son rapport public 2003, la Cour avait constaté que «
les
organismes du régime d’assurance chômage ne se sont préoccupés que
tardivement des questions relatives à la fraude. Cette carence a été
particulièrement nette s’agissant des annexes 8 et 10, que leur nature
purement déclarative rend sensibles à ce problème
». A partir de 2003,
les institutions de l’assurance chômage se sont progressivement dotées de
structures plus étoffées en matière de lutte contre la fraude. Deux voies
ont été explorées : l’une consiste à opérer un rapprochement systématique
entre les informations déclarées par les intermittents et celles déclarées
par leurs employeurs ; l’autre passe par un rapprochement entre les
informations détenues par les différents organismes de protection sociale
238
COUR DES COMPTES
du secteur du spectacle (Audiens et la Caisse des congés spectacles
notamment). Seule la première a véritablement pu être menée à bien, la
seconde ayant achoppé jusqu’en 2006 sur des difficultés concernant la
comparabilité des informations détenues par ces différents organismes.
Toutefois, malgré les importants moyens mis en oeuvre, les résultats de
ces opérations de contrôle sont restés modestes. Ainsi, en 2005, 191 cas
de fraude ont pu être identifiés. Leur impact financier était estimé à
344.000 €, soit un montant extrêmement faible, tant au regard des
sommes correspondant aux annexes 8 et 10 (1 197 M€ de prestations
versées et 204 M€ de cotisations recouvrées en 2005) que des moyens
mis en oeuvre pour lutter contre la fraude (32 agents à temps plein
auxquels il convient d’ajouter les « correspondants A8-A10 » et les
auditeurs fraude présents au sein de chaque Assédic). La modestie des
résultats enregistrés par le dispositif de lutte contre la fraude de l’Unédic
peut s’expliquer en partie par une montée en puissance encore
incomplète du dispositif de contrôle : jusqu’au début 2006, en effet, les
rapprochements entre les déclarations des employeurs et celles des
salariés n’ont pas été assurées pour toutes les catégories d’employeurs
(seuls les employeurs occasionnels faisaient l’objet d’un contrôle
exhaustif).
Elle pourrait également résulter du fait que le dispositif de lutte
contre la fraude mis en place par l’assurance chômage ne prend en
compte qu’une partie des risques de fraude occasionnés par le régime des
intermittents. En effet, si l’Unédic s’est donné les moyens de vérifier la
cohérence des renseignements qui lui sont transmis respectivement par les
employeurs et les salariés,
elle n’est pas en mesure de vérifier la véracité
de ces déclarations dans les cas de collusion entre employeurs et salariés :
en effet, les emplois d’intermittents sont, par nature, éphémères et la
réalité des prestations accomplies difficilement vérifiable. En pratique, les
organismes de l’assurance chômage n’ont pas la possibilité de détecter de
manière systématique les fraudes pouvant résulter de la déclaration
conjointe par l’employeur et le salarié de périodes de travail et de
rémunérations ne correspondant pas à la réalité, ni l’URSSAF ni
l’inspection du travail ne contrôlant par ailleurs l’effectivité des périodes
de travail déclarées. Le système de lutte contre la fraude mis en place par
l’assurance chômage laisse donc subsister un « angle mort » ; pour
l’heure,
il
ne
peut
donc
prétendre
à
sécuriser
entièrement
le
fonctionnement des annexes 8 et 10.
Face à cette situation, deux modes d’action sont possibles pour le
régime d’assurance chômage : une intensification des contrôles sur place
lors des manifestations donnant lieu à l’emploi d’intermittents ; une
individualisation des cotisations versées par les employeurs. La première
nécessite une coopération accrue de l’Unédic non seulement avec les
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
239
services de l’inspection du travail, mais aussi avec les sociétés de droits
d’auteur qui disposent de leurs propres services d’inspection des
spectacles. La seconde direction consisterait à rendre le taux de cotisation
des
employeurs
variable
en
fonction
du
nombre
de
journées
d’indemnisation que leur activité engendre. Ainsi, les employeurs ayant
recours de façon abusive au système – dans le cadre de la permittence
notamment – verraient leurs charges s’alourdir avec l’accroissement de
leur recours à des salariés intermittents.
III
-
L’inquiétante évolution du fonds transitoire
La création d’un dispositif d’indemnisation financé par l’Etat avait
pour but de compenser certains des effets les plus contestés de la réforme
de 2003. Après un démarrage relativement lent, ce dispositif a connu une
forte expansion que les ministères chargés de son pilotage ne sont pas
parvenus à maîtriser.
A - L’intervention de l’Etat visait à neutraliser certains
effets de la réforme des annexes 8 et 10
1 -
Un dispositif provisoire qui s’est inscrit dans la durée
Un « fonds spécifique provisoire » est entré en vigueur au 1
er
juillet 2004. Alimenté par des crédits du ministère chargé de l’emploi, il a
reçu pour objet d’indemniser les intermittents exclus du bénéfice des
annexes 8 et 10 en raison des nouvelles règles mises en place par la
réforme de 2003. Ce dispositif prévoyait le versement d’une allocation
aux personnes justifiant d’une durée d’activité de 507 heures dans le
champ des annexes 8 et 10. Celle-ci est recherchée non pas sur une
période de référence de 10 mois ou de 10 mois et demi comme le fait
l’assurance chômage, mais sur une période de 12 mois, correspondant à
l’ancienne période de référence utilisée par l’assurance chômage avant la
réforme de 2003. Le « fonds spécifique provisoire » permet donc, du
point de vue des intermittents, une neutralisation de l’effet de cette
dernière.
Initialement limité à six mois, ce fonds a été reconduit au
1
er
janvier 2005 sous le nom de fonds transitoire. Comme son appellation
le suggère, ce nouveau fonds qui reprend l’essentiel des règles de son
prédécesseur a pour objet d’assurer la transition entre le système
d’indemnisation résultant du protocole du 26 juin 2003 et un nouveau
système, dont l’entrée en vigueur était attendue pour le 1
er
janvier 2006
240
COUR DES COMPTES
(le protocole de 2003 expirant au 31 décembre 2005). En réalité, les
partenaires sociaux ne sont pas parvenus à conclure un nouvel accord et
ont prorogé le texte de 2003. Bien que n’y étant pas contraint
juridiquement, l’Etat a tiré les conséquences de cette situation en
prorogeant le fonds transitoire. Si le principe d’un fonds de solidarité
permanent devant prendre à terme le relais du dispositif actuel a été
affirmé à plusieurs reprises par le ministre de la Culture et de la
Communication, la date de clôture du fonds transitoire reste encore
incertaine à ce jour.
Les règles de fonctionnement du « fonds spécifique provisoire » puis
du « fonds transitoire »
Les deux dispositifs successifs d’indemnisation des intermittents mis
en place par l’Etat à partir du 1
er
juillet 2004 sont fondés sur les principes
suivants :
- le fonds garantit un revenu de remplacement aux intermittents qui ne
peuvent bénéficier de l’allocation d’aide au retour à l’emploi, faute de
justifier de la condition d’affiliation requise, mais qui ont travaillé au moins
507 heures sur une période de 12 mois précédant la perte de leur emploi ;
- le revenu de remplacement financé par le fonds est appelé
« allocation du fonds spécifique provisoire ». Son calcul est identique à celui
de l’allocation de retour à l’emploi, à l’exception du paramètre faisant
intervenir la durée d’affiliation (335 jours pour les annexes 8 et 10 ; 365 jours
pour le fonds spécifique provisoire ; ce paramètre intervient notamment au
diviseur du salaire journalier de référence) ;
- l’allocation du fonds spécifique provisoire – puis du fonds transitoire
– est versée par les Assédic, l’Etat ayant conclu avec l’assurance chômage
une convention de gestion du dispositif.
2 -
Un rôle d’atténuation des effets de la réforme de 2003
Entre l’ouverture du fonds spécifique provisoire, le 1
er
juillet 2004,
et la fin du mois de juin 2006, il a été procédé à l’admission de 28 932
dossiers. La quasi-totalité des allocataires du fonds bénéficiaient
précédemment des annexes 8 et 10 (98,8 % en 2005), ce qui apparaît
logique s’agissant d’un dispositif qui avait été créé pour compenser l’effet
de la réforme de ces deux annexes. De la même façon, 82 % des
bénéficiaires du fonds transitoire sortent de ce dispositif pour retrouver
une indemnisation dans le cadre des annexes 8 et 10. En revanche, faute
d’avoir pu accumuler une durée d’activité suffisante, 17 % environ
sortent du système sans que l’on puisse connaître leur sort, soit qu’ils se
soient dirigés vers un autre type d’emploi, soit qu’ils aient dû avoir
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
241
recours aux minima sociaux. Entre l’entrée dans le fonds et la sortie de ce
dispositif s’écoulent en moyenne 83 jours. Cette durée d’indemnisation
est plus longue pour les techniciens de l’annexe 8 (93 jours) que pour les
artistes de l’annexe 10 (78 jours). Lorsque l’on considère les deux
annexes, on constate également que les durées les plus longues
concernent les tranches d’âge de moins de 25 ans et de plus de 55 ans ; il
est donc probable que les allocataires les plus fragilisés par la réforme des
annexes 8 et 10 aient été ceux se situant soit au début, soit à la fin de leur
carrière.
Au total, l’analyse des effectifs du fonds transitoire montre que
celui-ci a joué le rôle pour lequel il avait été conçu : un rôle subsidiaire
visant à compenser le rehaussement des conditions d’admission dans les
annexes 8 et 10. Pour un peu plus de 4 bénéficiaires sur 5, il a constitué
une étape permettant un retour dans les annexes 8 ou 10 dans un délai
légèrement inférieur à trois mois. Pour un peu moins d’un allocataire sur
5 en revanche, il a constitué un sas ouvrant soit vers un changement
d’activité professionnelle, soit vers les minima sociaux.
3 -
Le coût budgétaire du dispositif
Après un démarrage assez lent en 2004 (4,6 M€ de dépenses), le
dispositif a connu un essor très vif à partir de 2005 (73,7 M€ de
dépenses). Ainsi, les dépenses mensuelles d’indemnisation n’ont dépassé
les 2 M€ qu’à partir du mois d’avril 2005 pour dépasser le seuil des 10
M€ en septembre de la même année. Depuis lors, elles se sont stabilisées
à un niveau compris entre 11 et 13 M€ par mois, soit un rythme de
dépense annuel proche de 150 M€. Si l’on additionne ces dépenses avec
celles engagées dans le cadre des annexes 8 et 10 du régime d’assurance
chômage, on constate que le rythme de progression des dépenses totales
d’indemnisation liées à l’intermittence n’a pas été affecté par la réforme
de 2003.
242
COUR DES COMPTES
Dépenses d'indemnisation des intermittents du spectacle
depuis 2000
600
700
800
900
1000
1100
1200
1300
1400
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Millions d'euros
Dépenses A8 A10
Dépenses Fonds transitoire
* fonds spécifique provisoire jusqu’au 31 décembre 2004
Source : Unédic
B - Les ambiguïtés de la réglementation du fonds
transitoire
L’inflexion très nette observée en 2005 dans les dépenses du fonds
transitoire est liée en grande partie à des difficultés apparues dans
l’application de la réglementation.
1 -
La question de la réutilisation des heures de travail
Le ministère de la culture et de la communication a été saisi à de
nombreuses reprises, dès la mise en place du dispositif du fonds spécial
provisoire puis du fonds transitoire, de plaintes émanant d’allocataires
auxquels l’attribution de l’allocation avait été refusée au motif que les
Assédic
n’auraient
pas
apprécié
leurs
droits
conformément
à
la
réglementation applicable. En particulier, les allocataires affirmaient que le
calcul des 507 heures de travail ouvrant droit à l’allocation n’avait pas été
fait sur la période de 12 mois prévue à l’article 2 § 1 de la convention Etat-
Unédic pour la gestion de l’allocation du fonds spécifique provisoire, puis
du fonds transitoire.
De fait, dans un premier temps, les antennes Assédic
chargées de l’instruction des dossiers ont considéré qu’elles ne pouvaient
pas prendre en compte pour la recherche des 507 heures des périodes de
travail ayant déjà servi pour une admission antérieure à l’allocation de
retour à l’emploi (ARE). Une telle situation pouvait être observée, en effet,
dans les cas où une admission à l’ARE avait eu lieu moins de 12 mois avant
le dépôt d’un dossier au titre de l’allocation du fonds transitoire (AFT).
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
243
Afin de lever ces ambiguïtés d’interprétation de la convention, le
ministre de la culture et de la communication a adressé le 6 avril 2005 au
directeur général de l’Unédic une lettre dans laquelle il demandait la prise
en compte pour l’ouverture des droits au titre de l’AFT des heures ayant
éventuellement déjà servi à ouvrir des droits à l’ARE. L’impact sur les
admissions de cette nouvelle interprétation a été massif. En effet, sur les
15.563 allocataires entrés dans le fonds transitoire au cours de l’année
2005, 84,3% ont eu recours à la réutilisation de périodes d’affiliation.
2 -
La détermination de la période de référence
Des travaux conduits par une mission d’étude à l’automne 2005
ont montré que, dans certains cas, les Assédic seraient remontées
nettement au-delà de la période de 12 mois pour rechercher la durée de
travail nécessaire à l’affiliation, en contradiction avec l’article 2 § 1 de la
convention Etat-Unédic relative à la gestion de l’allocation transitoire. En
effet, les Assédic ont fait démarrer la période de 12 mois non pas à
compter du dépôt de sa demande par l’allocataire, mais à compter de la
fin de la dernière période de travail permettant de trouver 507 heures de
travail sur 12 mois. Il convient de préciser que cette dernière période de
travail ne correspond pas forcément au plus récent contrat de travail mais
peut concerner un contrat de travail antérieur pour autant qu’à
l’expiration de ce dernier, l’Assédic puisse bien établir que l’allocataire
remplit la condition d’une période de travail de 507 heures sur 12 mois.
Cette pratique, appelée « glissade », correspond aux règles en vigueur
pour l’évaluation des droits à l’ARE, les textes concernant l’AFT ne
permettant pas à l’Unédic d’étendre cette pratique au fonds transitoire.
Loin d’être marginale, la « glissade » a eu un impact très fort sur
les admissions dans le dispositif. Ainsi, il y a été fait recours pour 41,9 %
des admissions de l’année 2005, soit 6.528 allocataires. Or, bien qu’ayant
pris connaissance de l’interprétation contestable donnée par l’Unédic à la
réglementation du fonds et de ses conséquences financières, ni le
ministère de la culture ni celui chargé de l’emploi n’ont donné
officiellement à l’Unédic d’instruction tendant à y mettre fin. De ce fait,
elle n’a pas été remise en cause par l’Unédic.
C - Le pilotage du fonds par l’Etat
Le fonctionnement du fonds transitoire a mis en présence trois
intervenants : l’Unédic, qui verse les prestations pour le compte de l’Etat ;
le ministère chargé de l’emploi, qui dispose des crédits budgétaires
correspondants et suit l’exécution des dépenses ; le ministère de la culture
et de la communication, qui intervient pour interpréter les règles de
fonctionnement du fonds.
244
COUR DES COMPTES
L’intervention conjointe des ministères chargés de la culture et de
l’emploi dans la gestion du dispositif résulte de la nature du fonds transitoire, à
la fois politique culturelle et politique de l’emploi. Sans être critiquable en
elle-même, cette double commande a pris une forme qui n’a pas favorisé la
responsabilisation des acteurs.
- Le ministère de la culture et de la communication a exercé
de facto
le
pilotage du fonds ; c’est en effet le cabinet du ministre qui a adressé à
l’Unédic les instructions nécessaires au fonctionnement du dispositif,
levant notamment les ambiguïtés d’interprétation du texte quand elles se
sont posées ; bien qu’il ait pris cette place centrale dans la gestion du
dispositif, le ministère de la culture et de la communication n’a pas jugé
utile de se doter d’une structure administrative lui permettant de faire
face à la charge de travail correspondante dont on pouvait espérer
qu’elle serait temporaire.
- La structure compétente pour le suivi du fonds au sein du ministère
chargé de l’emploi est la délégation générale à l’emploi et à la formation
professionnelle, et plus spécialement, sa mission « indemnisation du
chômage ». Son rôle s’est limité à la préparation et à l’exécution des
avances à l’Unédic et au suivi de l’évolution du dispositif. Bien que les
dépenses du fonds aient été effectuées à partir de crédits du ministère
chargé de l’emploi, la DGEFP n’a pas assuré le pilotage effectif du
dispositif, laissant ce rôle au ministère de la culture et de la
communication.
- Enfin, l’Unédic a insuffisamment contribué à éclairer la gestion du
dispositif par l’Etat. Si la convention de gestion conclue avec l’Etat lui
imposait certaines obligations en matière d’informations statistiques,
plusieurs lacunes sont apparues. Ainsi, la présentation des rapports de
gestion du fonds a adopté une logique de comptabilité de caisse et non
une comptabilité en droits constatés qui aurait pourtant facilité une
gestion prévisionnelle des flux financiers par l’Etat. Par ailleurs,
l’Unédic n’a pas jugé nécessaire de soumettre le versement de
l’allocation du fonds transitoire par les Assédic à son dispositif de
contrôle interne. La qualité des traitements offerte par l’Unédic à ces
prestations d’Etat demeure donc inconnue.
Au total, aucun des acteurs en présence n’a été mis en situation
d’effectuer un réel pilotage du fonds : le ministère de la culture et de la
communication a assuré la réalité de l’orientation du fonds sans avoir à en
assumer les conséquences financières ; le ministère chargé de l’emploi a mis
les crédits à disposition sans prendre une part visible au pilotage du dispositif ;
l’Unédic a interprété la réglementation applicable d’une manière d’autant plus
libre que les informations et les éléments d’analyse qu’elle transmettait à l’Etat
étaient faiblement détaillés.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
245
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Le régime d’assurance chômage des intermittents apporte au
financement du spectacle et de l’audiovisuel, dans des conditions peu
transparentes, une contribution déterminante. Ce régime met ainsi en
cause des problématiques qui dépassent le seul cadre de l’indemnisation
du chômage et renvoient à la fois au mode de financement de l’activité
culturelle dans notre pays et à la structure économique du secteur du
spectacle et de l’audiovisuel et aux règles d’aide régissant l’emploi dans
ces secteurs. Dans ces conditions, la Cour ne peut que recommander aux
autorités responsables de l’Etat et aux partenaires sociaux de poursuivre,
au-delà de l’accord auquel ces derniers sont parvenus le 21 décembre
2006, une réflexion d’ensemble sur ce sujet. D’autre part, la Juridiction
formule les quelques recommandations particulières ci-après.
Concernant la transparence du régime :
Afin de poursuivre la démarche engagée tendant à une meilleure
responsabilisation des acteurs ainsi qu’au développement d’un débat
public informé sur la question de l’intermittence, il est nécessaire
d’améliorer les conditions dans lesquelles les données financières
concernant le fonctionnement du régime d’indemnisation sont rendues
accessibles. Ceci suppose de :
- faire établir par les ministères concernés, avec l’appui de
l’Unédic, un rapport annuel public retraçant l’évolution des principales
caractéristiques de l’emploi et de l’indemnisation des intermittents
(ressources des salariés, contribution des employeurs, ressources et
charges du régime, contribution de l’État, etc.) ;
- créer et rendre accessible une base de données tenue par
l’Unédic, dont l’objet serait de dresser pour chaque employeur un compte
faisant apparaître les cotisations versées ainsi que les dépenses
correspondantes d’indemnisation des salariés ayant travaillé pour cet
employeur (ces dépenses étant calculées au prorata des heures travaillées
pour l’employeur concerné par rapport au total des heures déclarées par
le salarié).
246
COUR DES COMPTES
Concernant les annexes 8 et 10 :
La Cour est amenée à rappeler certaines des orientations qu’elle
avait suggérées lors de sa précédente intervention de 2003 et à les
augmenter de pistes nouvelles tendant à :
−
redéfinir de façon plus stricte le champ d’application des annexes
8 et 10 ;
−
revoir les conditions dans lesquelles les employeurs peuvent avoir
recours à l’emploi intermittent et notamment au CDD d’usage ;
−
poursuivre la démarche engagée de différenciation du traitement
des bénéficiaires des annexes 8 et 10, notamment de la formule de
calcul de leurs indemnités, afin de mieux tenir compte des
conditions d’emploi respectives de ces deux catégories de
salariés ;
−
responsabiliser davantage les employeurs en rendant leurs taux de
cotisation
variables
en
fonction
du
nombre
de
journées
d’indemnisation induites par chacun d’entre eux ; cette mesure
aurait pour avantage de lutter contre d’éventuels comportements
de collusion entre salariés et employeurs en rendant coûteux pour
ces derniers un recours abusif à des emplois intermittents, comme
cela est notamment le cas dans le cadre de la « permittence » ;
−
intensifier les efforts de lutte contre la fraude, en développant le
dispositif actuellement en cours de mise en place et en développant
les échanges d’informations avec les organismes tiers, y compris
les sociétés de droits d’auteurs.
Concernant enfin le fonds transitoire :
−
mettre fin aussi rapidement que possible à la situation provisoire
qui prévaut depuis plus de deux ans et qui s’est accompagnée de
conditions de gestion inadaptées ;
−
un fonds pérennisé devrait être doté de structures permettant un
pilotage satisfaisant, notamment en identifiant clairement les
responsabilités
respectives
des
différentes
administrations
concernées par sa gestion.
LA GESTION DU REGIME D’INDEMNISATION
DES INTERMITTENTS DU SPECTACLE
247
RÉPONSE DU MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’INDUSTRIE
Les observations de la Cour concernant les différentes modalités
d’indemnisation des intermittents du spectacle constituent une source
d’information extrêmement précieuse et de propositions utiles tant sur le
régime d’assurance chômage que sur les allocations de solidarité financées
par l’Etat.
L’analyse du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie
rejoint très largement celle de la Cour, qui conduit à penser qu’une réflexion
de fond sur le système est nécessaire. Elle a été menée au cours de l’année
2006 par l’administration, concernant le régime de solidarité, et a conduit à
un nouveau régime en cours de mise en place ; pour ce qui concerne
l’assurance chômage, les partenaires sociaux ont également mené des
travaux, qui ont abouti à la conclusion d’un accord sur une révision des
annexes VIII et X du régime, mais doivent se poursuivre en 2007 de façon
plus importante, pour déboucher sur un régime plus efficace et plus contrôlé,
qui limite les effets négatifs identifiés sans remettre en cause la solidarité
entre les salariés.
Dans ce cadre, l’un des principaux axes de réflexion devrait
concerner la lutte contre la fraude et notamment celle qui résulte des cas de
collusion entre le salarié et son employeur, notamment dans les cas (liste
malheureusement non limitative) :
-
où les activités déclarées sont en partie fictives ;
-
où le salarié travaille en réalité à plein temps mais en étant
périodiquement déclaré comme demandeur d’emploi pour que
l’assurance chômage prenne, de fait, en charge une part de sa
rémunération ;
-
où des employés administratifs sont déclarés comme techniciens
du spectacle ;
-
où les interruptions d’emploi ne sont pas involontaires mais
décidées conjointement entre le salarié et son employeur, risque
important dans le cas (parfois qualifié de « permittence ») du
salarié qui déclare toutes ses heures de travail ou presque chez le
même employeur.
Quant au régime de solidarité décidé par l’Etat en 2004 et qui a pris
la forme provisoire d’un régime transitoire et conventionnel, il va être
remplacé à compter de 2007 par un système d’indemnisation pérenne prévu
en loi de finances et dont les modalités seront fixées par décret et par
convention de gestion entre l’Etat et l’Unedic.
248
COUR DES COMPTES
Ce nouveau système devrait conduire à une meilleure maîtrise des
dépenses d’indemnisation et devrait s’accompagner d’un pilotage renforcé ;
à cet égard, il faudra veiller comme l’a signalé la Cour à ce que le
responsable du programme concerné, en charge du financement, soit le réel
pilote du dispositif. Ce principe, indispensable dans la logique de la loi
organique relative aux lois de finances, requiert en pratique que le ministère
de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement joue pleinement son rôle,
ainsi qu’il l’a fait récemment en demandant à l’Unédic de ne plus appliquer
le système dit « de glissade » permettant d’ouvrir des droits aux allocataires
au titre de périodes d’activité anciennes.
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNÉDIC
Dans le cadre de la mission de la Cour des comptes relative à « La
gestion du régime d’indemnisation des intermittents du spectacle », je vous
prie de bien vouloir noter que les échanges d’informations avec la caisse des
congés payés sont mis en place depuis le mois d’octobre 2006 et que le
rythme de ces échanges sera mensuel à partir du second semestre 2007.