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PRINTEMPS DE L’ÉVALU
ATION
Lundi 17 juin - 16h
Palais Bourbon
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation du rapport sur l’exécution du budget de l’État
Monsieur le Président,
Monsieur le président de la commission des finances,
Monsieur le rapporteur général,
Mesdames et messieurs les députés,
Je suis très honoré de vous présenter en cet hémicycle et pour la deuxième année consécutive
les conclusions du rapport sur l’exécution du budget de l’État.
Par votre invitation, vous témoignez de l’intérêt que vous portez aux travaux des juridictions
fi
nancières et démontrez votre volonté d’en exploiter davantage les observations et
recommandations, faisant ainsi pleinement vivre l’article 47
-2 de notre Constitution.
L’année dernière, j’avais déjà eu l’occasion de saluer l’initiative que vous avez pris
e de
consacrer davantage de temps à l’examen des résultats de l’action publique dans le cadre du
« Printemps de l’évaluation ». Je suis heureux de le faire à nouveau cette année.
La Cour a souvent eu l’occasion de regretter le décalage frappant entre le
temps consacré à
débattre des dispositions de la loi de finances initiale et le désintérêt global que suscite ensuite
son exécution et l’analyse des résultats obtenus. Or, ce désintérêt est en complet décalage
avec la préoccupation d’efficacité et d’efficience de l’action publique exprimée par les Français
ces derniers mois, notamment à l’occasion du Grand débat national.
Notre pays demeure ainsi enfermé dans une approche uniquement quantitative du budget, qui
s’intéresse avant tout au volume des crédits programmés et à leur taux d’évolution. Il est
important de changer ce logiciel de pensée, de cesser de se préoccuper uniquement des
prévisions chiffrées pour donner au contraire toute sa place à l’évaluation des résultats de
l’action publique, c’est
-à-dire
, au fond, à la finalité poursuivie, les crédits n’étant qu’un moyen
un moyen important, certes
pour y parvenir.
En tentant de rééquilibrer ainsi la procédure budgétaire, vous redonnez donc vie à l’impératif
démocratique de rendre des comptes, d’assurer un contrôle exigeant de l’usage qui est fait de
l’argent public. Dans cette tâche difficile, soyez assurés que les juridictions financières se
tiennent à votre disposition.
C’est justement pour vous être plus utile que la Cour a procédé ces derniers m
ois à un certain
nombre d’aménagements des conditions d’instruction et de publication de plusieurs de ses
travaux. Nous en étions convenus l’année dernière à la même époque. Aussi, permettez
-moi,
en guise d’introduction, de dire quelques mots des changemen
ts qui ont été opérés.
2
D’abord, nous expérimentons avec vous et le ministère de l’Action et des comptes publics un
nouveau calendrier d’examen du projet de loi de règlement.
Vous le savez, son dépôt est intervenu une quinzaine de jours plus tôt que la période qui
prévalait jusqu’en 2017. Le ministre de l’Action et des comptes publics a d’ailleurs annoncé
souhaiter d’ici 2021 la poursuite et même l’accélération de ce calendrier pour que le projet de
loi de règlement soit déposé à la mi-avril, et, ce, afin de laisser davantage de temps à sa
discussion. Cette année, à nouveau, la Cour a avancé d’une semaine la date de publication
de son rapport sur l’exécution du budget de l’État, ainsi que celle de l’acte de certification des
comptes de l’État que j’ai prés
entés à la commission des finances de votre assemblée le 22
mai dernier.
Si ce resserrement du calendrier répond à une préoccupation vertueuse que nous avons
encouragée depuis longtemps, il est toutefois nécessaire qu’il soit mis en œuvre de façon
concert
ée et coordonnée pour qu’il n’affecte pas les conditions de réalisation des travaux de
la Cour. Pour conduire nos instructions et vous être le plus utile possible, nous avons en effet
besoin de disposer de l’ensemble des données statistiques, budgétaires e
t comptables à jour,
produites par les ministères économiques et financiers.
Déjà, cette année, l’avancement du calendrier de dépôt du projet de loi de règlement a posé
quelques difficultés, notamment pour les travaux du Haut Conseil des finances publiques que
je préside. Son avis sur le projet de loi a en effet dû paraître
quelques jours avant que l’Insee
ne publie les premiers résultats des comptes annuels de 2018, nécessaires au calcul du solde
structurel des administrations publiques. Ces résultats ont conduit le Gouvernement à réviser
le solde structurel de l’année 2018 mentionné dans le projet de loi de règlement. Le Haut
Conseil a modifié en conséquence le 6 juin dernier l’avis qu’il avait formulé, sans toutefois que
cela n’affecte, sur le fond, ses
conclusions initiales.
Pour répondre à vos attentes, nous avons aussi ajusté le contenu de nos travaux, en particulier
celui des notes d’exécution budgétaire qui sont annexées au rapport sur l’exécution du budget
de l’État.
D’abord, vous avez souhaité
y disposer de davantage d’analyses par programme, de
profondeur historique et de problématisation. Nous avons travaillé en ce sens et, de plus, pour
huit notes, nous avons ajouté des développements thématiques plus approfondis sur vos
sujets d’intérêt.
Nous espérons que les changements apportés répondent à vos attentes et nous serons très
attentifs à l’appréciation que vous y porterez. Nous le serons d’autant plus que ces notes, qui
représentent près de 3000 pages d’analyse, constituent une mine considérable d’informations
sur l’exécution des différentes missions budgétaires de l’État, directement mobilisables dans
beaucoup de vos travaux.
En plus de ces modifications apportées au format des notes d’exécution budgétaire, nous
avons ajusté ensemble le cal
endrier de détermination de la liste des travaux d’évaluation que
nous réalisons, Monsieur le président, Monsieur le rapporteur général, à votre demande, en
application de l’article 58
-2°
de la LOLF. Cette année, comme l’année dernière, la liste des
rapports dits « 58-2°
» sera ainsi arrêtée à l’été, à l’issue du « Printemps de l’évaluation » ; les
rapports que vous nous aurez alors commandés vous seront remis l’année suivante, pour la
nouvelle édition du « Printemps de l’évaluation ».
3
Enfin, en plus de notre rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, nous
publierons la semaine prochaine deux fascicules dédiés à l’exécution 2018 des comptes
locaux et sociaux. Auparavant, nous le faisions à l’automne.
Ils vous permettront de disp
oser désormais avant l’été, avant le débat d’orientation budgétaire,
de l’appréciation détaillée que portent les juridictions financières sur les résultats de l’exécution
budgétaire de chacune des grandes catégories d’administrations publiques au cours de
l’année précédente. Cela a d’autant plus d’intérêt et de sens que la situation de l’État est très
spécifique par rapport à celle des autres administrations publiques. La gestion 2018 l’illustre
bien.
***
J’en termine avec ces éléments de méthode et de c
alendrier pour en venir aux principales
conclusions du rapport sur l’exécution du budget de l’État en 2018.
D’abord, ce rapport détaille les conditions d’exécution du budget de l’État en 2018 ; nous
constatons à ce titre qu’elles ont été plus maîtrisées qu’en 2017.
Ensuite, il approfondit l’analyse de la situation singulière qui est celle du budget de l’État par
rapport à l’ensemble des administrations publiques. Ainsi, après trois années de quasi
-
stabilité, le déficit de l’État s’est
creusé, alors que le solde des administrations publiques
connaissait une évolution contraire.
*
Au regard des observations que nous avions formulées l’année dernière sur le caractère
particulièrement heurté de l’exécution du budget de l’État, des améliorations incontestable
s
ont été apportées à la gestion 2018. C’est le premier enseignement de ce rapport.
Nous nous fondons à ce titre sur un certain nombre d’observations, telles que le caractère
circonscrit des mises en réserve, la normalisation de la gestion infra-annuelle ou la limitation
des reports de charge. Nous constatons également que les normes de dépenses qui avaient
été fixées en loi de programmation ont été tenues et qu’aucun décret d’avance n’a été
nécessaire, alors que les gestions précédentes en avaient régulièrement connu plusieurs.
Naturellement, nous ne pouvons que souhaiter que cette amélioration de la qualité de
l’exécution du budget de l’État se poursuive. Nous recommandons même qu’elle s’amplifie
car, malgré les satisfécits que je viens de donner, quelques pratiques de gestion contestables
persistent.
Le rapport signale ainsi le maintien de sous-budgétisations, notamment dans le domaine des
opérations extérieures. Il relève également l’utilisation inappropriée de la dotation pour
dépenses accidentelles ou imprévisibles, qui a principalement couvert une sous-budgétisation
de 100 M€ liée au Mécanisme européen de stabilité.
*
En dehors de ces appréciations qualitatives, notre rapport formule un certain nombre
d’observations quantitatives sur la gestion 2018.
4
S’agissant des dépenses de l’État, la Cour relève que les nouvelles normes définies dans la
loi de programmation des finances publiques 2018-2022 ont été respectées. Elle constate, en
outre, que les dépenses du budget général de l’État, qui s’élèvent à 352,2 Md€, ont progressé
de 0,3
% par rapport à 2017 ; c’est un rythme de progression beaucoup plus limité que l’année
passée, où il était de 3,2 % sur un périmètre équivalent.
Ce ralentissement est toutefois moins marqué pour la masse salariale que pour les autres
dépenses. La Cour a constaté en effet qu’une grande partie de la progression des dépenses
de l’État observée
en 2018 tenait à l’augmentation des dépenses de personnel. Sous l’effet de
certaines créations d’emplois et de diverses mesures salariales prises ces dernières années,
ces dépenses se sont ainsi accrues de 2 % entre 2017 et 2018, malgré une stabilisation
glo
bale des effectifs. Aujourd’hui
, les dépenses de personnel représentent près de 39 % des
dépenses du budget général.
S’agissant des recettes de l’État, qui ont atteint 248,3 Md€, elles ont été nettement plus
élevées que la prévision établie en loi de finances initiale
l’écart étant de +8,7 Md€. Bien
qu’en hausse par rapport à la prévision, les recettes fiscales sont toutefois en légère baisse
par rapport à 2017, notamment en ra
ison de mesures importantes de baisses d’impôts prises
en 2018 ou les années précédentes.
Vous le savez, les baisses de prélèvements ont en effet été significatives ces dernières
années. Pour la seule année 2018, les mesures d’allègements fiscaux ont eu un impact net
de -
13,5 Md€ sur les recettes fiscales.
Aussi, même si elles sont plus élevées que les prévisions initiales, les recettes nettes totales
de l’État accusent une baisse d’un milliard d’euros par rapport à 2017. Cette baisse aurait
d’ailleurs atteint 3,8 Md€ si des recettes de droits de mutation perçues en 2017 n’avaie
nt pas
été imputées à tort sur l’exercice 2018.
Grâce à des recettes plus élevées qu’anticipé, le déficit de l’État a été relativement contenu
par rapport à la prévision établie en loi de finances initiale. Il atteint 76 Md€, soit 9,6 Md€
de
moins que le niveau fixé en loi de finances.
*
Ce constat ne doit toutefois pas occulter la trajectoire d’évolution et l’ampleur du déficit de
l’État. C’est le second enseignement de ce rapport.
À un tel niveau
76
Md€ –
le dé
ficit de l’État représente 23,4
% des dépenses nettes du
budget de l’État, c’est
-à-dire quatre milliards de plus que les dépenses de la mission
Enseignement scolaire et trois milliards de plus que les recettes d
e l’impôt sur le revenu
.
Surtout, et pour la première fois depuis 2014, le déficit
de l’État est en hausse par rapport à
l’année précédente, à hauteur de 8,3
Md€, sous le double effet des mesures de baisses
d’impôts et, dans une moindre mesure, de la progression des dépenses de l’État que j’ai
rappelée il y a quelques instants.
La traj
ectoire de l’État diverge ainsi de celle de l’ensemble des administrations publiques. En
effet, son déficit en comptabilité nationale a atteint près de 3 % du PIB en 2018 ; il est, de ce
fait, nettement supérieur au déficit de l’ensemble des administration
s publiques, qui a baissé
de 0,3 %
en 2018 pour s’établir à 2,5 %. En conséquence, alors que la dette de l’ensemble
des administrations publiques s’est stabilisée à 98,4 points de PIB, celle de l’État a progressé,
atteignant 78,3 points de PIB, soit 1,2 po
int de plus que l’année passée.
5
L’acte de certification des comptes de l’État que nous avons publié en même temps que le
rapport sur l’exécution de son budget nous donne à voir le caractère particulièrement dégradé
de la situation financière qui en résulte.
J’insiste sur ce point car nous constatons –
en le regrettant
q
u’années après années, nous
éprouvons face à ces ratios une forme de résignation, alors que cette situation est loin d’être
inéluctable. La meilleure preuve est sans doute de constater la singularité des comptes de
notre pays par rapport à ceux de beaucoup de nos voisins, qui ont
eux
amorcé et
commencé à réaliser une trajectoire de désendettement.
Au contraire, les états financiers de l’État français dont l’acte de certification re
nd compte
mettent en lumière sa situation nette fortement négative, à hauteur de 1 296 Md€ au 31
décembre 2018. Ce montant représente un passif équivalent à près de quatre années de
produits fiscaux. Il n’était « que » de deux années
si je puis dire
en 2006, lorsque la Cour
a certifié pour la première fois les comptes de l’État. Sans même tenir compte de ses
engagements hors bilan
qui atteignent tout de même près de 4 000 Md€ –
il apparaît donc
que le milliard d’actif de l’État –
c’est
-à-
dire ce qu’il
possède
représente deux fois moins que
ce qu’il doit.
Surtout, après trois années de quasi-
stabilité, le déficit de l’État s’est donc creusé en 2018,
alors que le solde des administrations publiques connaissait une situation inverse.
L’explication de cette divergence se trouve en grande partie dans la politiq
ue suivie en matière
de recettes et, plus particulièrement, de recettes fiscales.
L’État définit en effet cette politique pour ses propres impôts mais aussi pour les ressources
de la sécurité sociale et des collectivités territoriales ; il compense alors sur son budget les
baisses de prélèvements opérées. Alors que ces baisses portent sur toutes les administrations
publiques, c’est donc le budget de l’État qui en supporte l’essentiel du coût net. Or, l’État ne
peut pas équilibrer les baisses de recettes q
u’il prend en charge pour lui et pour les autres
administrations publiques à travers une action sur les seules dépenses qui le concernent ;
elles ne représentent d’ailleurs qu’un tiers du total de la dépense publique.
C’est pour cette raison, ainsi que le recommande notre rapport, qu’il convient de veiller, selon
nous, d’une part, à ce que les baisses de prélèvements obligatoires soient proportionnées à
des efforts de réduction des dépenses et, d’autre part, à ce que ces efforts soient répartis sur
l’ense
mble du champ des administrations publiques, et non sur le seul État.
***
En dehors des appréciations portées sur la gestion 2018, le rapport sur l’exécution du budget
de l’État formule également un certain nombre d’appréciations plus générales sur la
co
mplexité croissante du budget de l’État et la démarche de performance promue par la LOLF.
Elles font écho aux travaux que conduit actuellement votre commission des finances à
l’approche du 20
e
anniversaire de la LOLF.
Les appréciations formulées dans notre rapport soulèvent ainsi des questions essentielles
quant à la portée de l’autorisation budgétaire que vous donnez au moment du vote de la loi de
finances et, plus largement, quant à la mesure de la performance de l’ac
tion publique.
Ce sont des questions en apparence techniques mais qui font largement échos aux
préoccupations exprimées lors du Grand débat national par nos concitoyens en faveur
6
notamment de davantage de contrôle et de transparence sur l’utilisation des
moyens publics.
J’aimerais donc leur consacrer la seconde partie de mon propos.
*
La première réflexion ouverte dans ce rapport porte sur la complexité et l’illisibilité croissantes
du cadre budgétaire de l’État. C’est un mal dont vous êtes, d’une certa
ine façon, à la fois
victimes, dans la conduite de vos activités, et responsables, dès lors que vous autorisez des
dispositifs qui les perpétuent ou les renforcent.
Au fur et à mesure des lois de finances, la dépense de l’État apparaît ainsi comme un agré
gat
de plus en plus hétérogène, instable et, finalement, illisible. Il est difficile, voire parfois
impossible, de parvenir à délimiter les contours des moyens publics consacrés à telle ou telle
politique publique et leurs évolutions dans le temps. C’est p
ourtant à cet exercice de chiffrage
qu’ont tenté de se livrer les notes d’exécution budgétaire qui sont annexées à ce rapport.
Nous montrons à ce titre que, pour de nombreuses missions, une grande partie de l’effort
financier de l’État passe par d’autres
voies que les dépenses du budget général
en règle
général des dépenses fiscales, des rattachements de fonds de concours ou l’affectation de
taxes à des opérateurs
ce qui rend la compréhension de l’effort global de l’État extrêmement
complexe.
Certaines de ces entorses aux grands principes budgétaires me semblent à ce titre
particulièrement critiquables. C’est le cas des fonds sans personnalité juridique, auxquels nous
avons déjà accordé des développements substantiels. Nous le faisons à nouveau cette année
à l’encontre de l’un de leurs nouveaux spécimens, le fonds pour l’innovation et l’industrie, créé
en 2018.
Il ne nous revient pas de nous prononcer en opportunité sur l’objectif de politique publique
poursuivi par cette entité ; nous apprécions se
ulement d’un point de vue des règles de gestion
le vecteur budgétaire utilisé pour le financer. En l’occurrence, ce qui pose problème dans le
recours à un fonds sans personnalité juridique, c’est que ce vecteur fait échapper à votre
autorisation des crédits qui pourraient parfaitement être autorisés et gérés chaque année dans
un cadre budgétaire normal. Les crédits de ce fond pourraient sans difficulté être réintégrés
au budget général via une dotation sur le programme dédié à l’innovation.
Le contourneme
nt du principe fondamental d’universalité budgétaire est parfois justifié par la
volonté de « sanctuariser des crédits ». Cet argument n’est pas recevable dès lors que le
pouvoir exécutif dispose de cadres budgétaires de droit commun pour parvenir au même
résultat et que, s’agissant de la garantie du financement des priorités politiques qu’il a
déterminées, la décision lui appartient en totalité. Pour le dire simplement : cette zone grise
budgétaire, qui tend à se développer, pourrait
devrait !
être supprimée, en réalisant un
choix clair entre, d’un côté, une intégration au budget de l’État ou, de l’autre, une véritable
délégation à des opérateurs.
Quels que soient les moyens utilisés et les justifications politiques qui peuvent y être
apportées,
l’autorisation
budgétaire
et
le
respect
des
prérogatives
du
Parlement
s’accommodent difficilement de la fragmentation croissante qui affecte le budget de l’État.
C’est tout simplement
, me semble-t-il, une question de bon fonctionnement de la démocratie.
*
7
Notre rapport consacre aussi des développements substantiels aux dépenses fiscales ; c’est
un champ que nous avons déjà exploré à de multiples reprises, au regard du volume atteint
par ces dépenses et de leur progression. Leur montant représente ainsi pr
ès de 100 Md€ pour
l’année 2018. En isolant l’impact du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE,
nous constatons aussi que les dépenses fiscales ont augmenté de 1,8 % par an depuis 2013.
Globalement, les dispositifs n’ont de cesse de se m
ultiplier année après année, sans que ne
soient jamais réexaminés les dispositifs existants.
Là aussi, les dépenses fiscales posent, je crois, des questions profondes à notre démocratie
budgétaire. Alors qu’elles représentent le tiers des dépenses du budget général de l’État, elles
échappent en effet au processus politique d’arbitrage de la dépense qui s’applique aux crédits
budgétaires, aux processus administratifs et comptables de suivi de la dépense et aux
démarches d’évaluation
de la performance.
*
La seconde réflexion plus substantielle ouverte par ce rapport procède justement d’une
analyse de la démarche de performance promue par la LOLF.
Cette analyse confirme une perception que nous avions tous déjà : la culture de la
performance
, de l’efficacité, de l’efficience
est une greffe qui n’a pas encore complètement
pris. On peut en relever de multiples symptômes : une documentation budgétaire
surabondante, peu utilisée et d’une pertinence parfois incertaine, des indicateurs de
performance de qualité inégale et qui ne sont pas devenus de réels instruments de pilotage,
des politiques publiques peu évaluées, une allocation des moyens dé-corrélée des résultats,
des exercices de modernisation ou de réforme de l’action publique conçus sans aucun lien
avec la démarche de performation initiée par la LOLF
… et je pourrai malheureusement
multiplier encore les exemples.
Derrière ces symptômes, il y a aussi des pratiques administratives peu favorables à la prise
en compte de la performance des gestionnaires. C’est d’ailleurs l’un des grands motifs de
déception pour les pères de la LOLF dont je suis que de constater en effet aujourd’hui le faible
degré de responsabilisation des gestionnaires publics.
La responsabilisation ne se décrète pas, bien sûr ; la LOLF à elle seule ne pouvait pas aller à
l’encontre d’une culture de la méfiance dont sont trop souvent empreintes les relations entre
l’administration du budget et les gestionnaires publics, et qui, d’ailleurs, s’est trouvée renforcée
par les difficultés budgétaires issues de la crise de 2008.
Et pourtant, les agents publics sont plus que prêts
nous semble-t-il
à contribuer au
renforcement de l’efficacité et de l’efficience de la gestion publique. Mais ils ne peuvent le faire
qu’à condition qu’on leur donne de vraies marges de manœuvre et de la visibilité sur leurs
ressources, à condition qu’on contractualise avec eux sur les réformes à accomplir ; bref, à
condition qu’on leur fasse confiance. Ce n’est assurément pas le cas aujourd’hui, même si j’ai
eu l’occa
sion de saluer les ambitions récemment formulées par le Gouvernement en la
matière.
Ce bilan décevant de la démarche de performance promue par la LOLF ne doit toutefois pas
conduire au découragement, bien au contraire. Ce serait oublier combien ce texte a permis de
faire bouger les lignes et de dépasser la seule logique de moyens qui lui préexistait. Ce serait
aussi oublier, je l’ai dit, combien le contexte budgétaire particulièrement tendu qui a prévalu à
8
partir de 2008 a pesé sur l’horizon des gestionnai
res et en partie annihilé les effets positifs de
de dispositif de performance promu par la LOLF.
Sur la base d’un important travail de comparaison internationale, notre rapport propose donc
différentes pistes pour refonder ce dispositif. J’en résumerai
très brièvement ici quelques-unes.
D’abord, il recommande de cesser de confondre objectifs gestionnaires et objectifs politiques
comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui ; un gestionnaire ne peut être tenu pour
responsable que de ce sur quoi il a de vr
aies marges de manœuvre.
Il faut aussi s’appuyer bien davantage sur les résultats des évaluations de politiques publiques
pour décider de la bonne allocation des moyens de l’État : c’est précisément tout l’enjeu de
votre démarche du « Printemps de l’évaluation ». Aujourd’hui, plus des deux tiers des
responsables de programme que nous avons interrogés dans le cadre de ce rapport
considèrent que la budgétisation n’a pas de lien avec la performance. C’est très inquiétant et,
encore une fois, je crois que c’e
st incompréhensible pour nos concitoyens.
En regardant ce que font nos voisins, nous disposons de sources d’inspiration pour refonder
le dispositif de performance promu par la LOLF. Elles pourraient, par exemple, nous conduire
à réaliser régulièrement des revues de dépenses et des évaluations de politiques publiques,
selon un programme qui pourrait être arrêté en loi de programmation des finances publiques
et présenté au Parlement.
Ce sont autant de questions que la Cour aura l’occasion de traiter à nouveau dans le cadre
des travaux de bilan qu’e
lle consacrera à
la LOLF à l’approche de son 20
e
anniversaire. Des
initiatives seront sûrement
prises de votre côté d’ici là.
*
Au-
delà des problématiques de performance que je viens d’aborder, le champ des réflexions
que vous pourrez engager gagnera à être plus vaste encore, pour embrasser la cohérence
globale de la gouvernance des finances publiques et, en son sein, la place du Parlement dans
le débat budgétaire.
Il y a, je crois, deux sujets qui méritent tout particulièrement votre attention. Le premier est
celui du traitement de la pluri-annualité.
Vous le constatez mieux que nous : la gestion pluriannuelle de nos finances publiques n’est
pas satisfaisante. Ainsi, la loi de programmation des finances publiques que vous avez
adoptée il y a moins d’un
an et demi, couvrant la période 2018-2022, est déjà complètement
dépassée. Et, plus généralement, au-delà de la trajectoire du solde et de la dette, nombre de
dispositions structurantes qui sont contenues dans les lois de programmation sont rapidement
perdues de vue.
À l’inverse, les programmes de stabilité sont devenus des points d’ancrage beaucoup plus
contraignants pour nos finances publiques. Cela pose évidemment la question des conditions
de leur examen par la représentation nationale qui, en l’état,
semblent peu satisfaisantes.
L’audit des finances publiques réalisé par la Cour en 2017 proposait d’ailleurs d’inscrire dans
la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, le
principe d’un débat systématique suivi
d’un vote.
9
D’une façon générale, il semble regrettable que le Parlement soit encore si peu associé à la
définition de la stratégie budgétaire de notre pays. Je constate néanmoins les progrès
récemment réalisés dans ce domaine, parmi lesquels figurent les modifications apportées au
calendrier d’examen de la loi de règlement que j’ai saluées au début de mon propos.
À une moindre échelle, on peut aussi regretter la quasi-disparition dans la période récente des
contrats pluriannuels entre l’État et ses
grandes administrations ou opérateurs, à la différence
de ce qui existe et fonctionne de façon satisfaisante enter l’État et les caisses nationales de
sécurité sociale. Il y là aussi quelque chose qui pourrait être utilisé.
Cette comparaison pose d’ailleurs la question de notre capacité à disposer d’une vision
d’ensemble, intégrée, de nos finances publiques ; c’est le second point de réflexion que je
souhaite ouvrir devant vous.
Même s’il ne fait pas consensus, il
semble utile de remettre ce sujet sur la table, tant il est
toujours aussi difficile aujourd’hui de disposer d’une vision consolidée de la situation financière
des administrations publiques
État, sécurité sociale et collectivités locales
et de pouvoir
soumettre cette vision à la représentation nationale.
La question de la création d’un document financier fusionnant les lois de finances et les lois
de financement de la sécurité sociale s’était ainsi posée lors de la naissance de la LOLF. La
Cour avait formulé des réserves
d’ailleurs
sur ce point, mais la fiscalisation grandissante des
ressources de la sécurité sociale, qui est appelée à se renforcer, justifie que le sujet revienne
dans l’actualité
.
A minima, nous pouvons utilement progresser vers une meilleure articulation du débat
parlementaire sur ces deux textes, au stade de la programmation budgétaire comme de
l’exécution. Envisager, par exemple, une discussion générale commune, suivie d’un examen
des volets respectifs en dépenses et en recettes. Et, en aval, pourquoi ne pas imaginer une
loi de règlement commune à l’État et à la sécurité sociale –
ou, pour être plus ambitieux encore,
une « loi de résultats » ?
Je laisse bien sûr ces questions ouvertes à votre réflexion ; la Cour, je l’ai dit, aura sans doute
l’occasion de les aborder dans ses travaux d’ici 2021 et est disponible, bien sûr, pour
contribuer à votre travail.
***
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les députés,
Si l’exécution du budget 2018 s’est faite dans de meilleures conditions que l’année dernière,
la
situation financière de l’État demeure tendue, préoccupante. Dans ce contexte, nos
concitoyens se montrent de plus en plus attentifs au contrôle de l’utilisation qui est faite du fruit
des efforts auxquels ils ont consenti.
Cette exigence rend d’autant pl
us cruciale et pertinente votre ambition de créer ce rendez-
vous du contrôle des résultats de l’action publique qu’est le Printemps de l’évaluation. Mais,
plus qu’un moment dédié dans l’année, cette ambition doit être permanente et irriguer
l’ensemble des
travaux et activités de vos commissions. Soyez assurés que la Cour sera à
votre écoute et à votre disposition pour remplir toujours plus efficacement son rôle d’assistance
aux pouvoirs publics.
10
Je vous remercie de votre attention.