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- Seul le prononcé fait foi -
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Séance solennelle
de la Chambre régionale des comptes Île-de-France
et de la chambre territoriale des comptes Saint-Pierre-et-Miquelon
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Vendredi 22 février 2019
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Allocution de M. Didier MIGAUD
Premier président de la Cour des comptes
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Messieurs les préfets,
Monsieur le ministre,
Mesdames, Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les hautes autorités présentes, chefs de juridictions,
magistrats, hauts fonctionnaires, chefs de services, responsables universitaires,
officiers supérieurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues,
Avant toute chose je souhaiterais adresser mes remerciements au président
MARTIN pour son invitation. Je tiens également à remercier toutes celles et ceux qui
ont répondu positivement à cette invitation. Votre présence démontre l’importance
que vous accordez à l’action de la chambre régionale d’Île-de-France comme à celle
des juridictions financières dans leur ensemble, et je m’en réjouis.
L’audience solennelle est un moment important dans la vie d’une juridiction, qui
permet de mettre en exergue ses missions, le sens de son action et l’intérêt de ses
travaux.
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C’est aussi l’occasion pour moi de venir à la rencontre des personnels et magistrats
de la chambre, avec lesquels je n’ai pas quotidiennement la possibilité d’échanger.
Je suis heureux de pouvoir leur témoigner de vive voix ma reconnaissance pour leur
investissement professionnel que je sais soutenu et constant. Chacun d’entre eux
contribue à asseoir la place des juridictions financières au sein de notre démocratie.
Je les en remercie vivement et reviendrai un peu plus longuement sur le rôle
essentiel des juridictions financières auquel ils donnent toute sa portée.
Je suis heureux de constater que la composition de la chambre évolue. L’apport de
compétences nouvelles et de sang neuf est toujours important. Important, d’abord,
pour permettre à la chambre de se saisir des missions nombreuses et croissantes
qui lui sont attribuées. Important aussi, pour accompagner l’élargissement et la
transformation de son périmètre de contrôle, à l’ère de la révolution numérique.
Important enfin, pour lui permettre de demeurer en prise avec son temps.
Les deux magistrats installés ce matin contribuent déjà, ou vont contribuer à la
mission fondamentale des juridictions financières : s’assurer du bon emploi de
l’argent public, en rendre compte à nos concitoyens.
Je sais pouvoir compter sur vous pour participer activement à notre effort collectif,
grâce à votre force de travail et aux connaissances et compétences acquises au
cours de vos parcours respectifs. Je vous adresse tous mes vœux de réussite dans
vos nouvelles fonctions.
Vous servez désormais une institution qui a reçu de la Constitution et de la loi des
missions spécifiques et exigeantes. Une institution qui s’est considérablement
modernisée et professionnalisée au fil des années, aussi bien dans l’exercice de ses
métiers que dans son organisation administrative, pour être à la hauteur de ses
responsabilités croissantes.
Les missions des juridictions financières ne cessent, en effet, d’évoluer pour
répondre aux nouvelles attentes des citoyens mais aussi du législateur, voire des
organismes contrôlés eux-mêmes. Elles se doivent d’y répondre en s’adaptant. Cette
capacité d’adaptation est l’une des qualités essentielles que les citoyens sont en
droit d’attendre des administrations publiques et ce sera le deuxième message sur
lequel il me paraît important d’insister.
***
J’en viens tout d’abord au premier point que je souhaite aborder sur le rôle et la
place des juridictions financières dans notre paysage institutionnel.
Les missions confiées aux juridictions financières s’inscrivent pleinement dans
l’objectif de recherche d’une action publique centrée sur l’intérêt général. Je veux
souligner une fois encore leur détermination à contribuer à une action publique
performante, transparente, et à la promouvoir. C’est l’un des enjeux majeurs auquel
notre pays est aujourd’hui confronté.
Comme il a été rappelé dans les discours que nous venons d’entendre, la mission
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impartie aux juridictions financières est tout d’abord de veiller à la régularité de la
gestion des deniers publics tout en s’assurant que les décisions prises respectent les
principes d’intégrité et de probité. Le crédit de l’action publique exige en effet des
gestionnaires publics un devoir d’exemplarité.
Pour autant, et si importante soit-elle, cette première étape n’est pas suffisante en
elle-même pour s’assurer de la qualité de la gestion publique.
Les juridictions financières doivent aussi s’assurer que les moyens consacrés à la
mise en œuvre des politiques publiques permettent d’atteindre les objectifs qu’elles
sont censées poursuivre et que les élus eux-mêmes ont définis, et ce, au meilleur
coût possible. En d’autres termes, il leur appartient de veiller à ce que l’action
publique soit efficace et efficiente.
L’attention des gestionnaires publics se focalise encore trop souvent sur la seule
question des moyens consacrés aux différentes politiques, en oubliant, ou en évitant,
de s’interroger sur les résultats obtenus par rapport à ceux qui étaient attendus.
L’augmentation de la dépense ne garantit pas automatiquement, loin s’en faut,
l’amélioration de l’action publique, ni la satisfaction des citoyens. Si les résultats
étaient proportionnels aux moyens investis, notre pays détiendrait une place de choix
dans le classement mondial. Or, il souffre d’un paradoxe. Il dépense en moyenne
bien plus que ses voisins pour financer ses services publics, près de 56 % de la
richesse annuelle produite. Et pourtant, la performance de nos services publics n’est
pas à la hauteur de ces moyens importants. En la matière, les marges d’amélioration
sont importantes.
Nous ne sous-estimons pas la tâche des gestionnaires publics à ce sujet et nous
sommes conscients que les choix à faire et les arbitrages à rendre sont difficiles.
Beaucoup de décideurs s’y emploient avec conviction et détermination et il faut le
souligner.
Difficiles pourquoi ? Parce que les attentes de nos concitoyens à l’égard du service
public et de l’usage de l’argent public sont de plus en plus importantes. Parce
qu’elles sont parfois contradictoires les unes des autres. Parce que les moyens dont
disposent les pouvoirs publics pour y répondre ne sont pas illimités.
Pour faire face à ces attentes, le chemin réside certainement dans l’amélioration de
l’efficacité et l’efficience des dépenses, dans l’analyse des questions d’organisation,
de fonctionnement et de répartition des moyens, dans l’amélioration de la
performance des services publics.
Il est parfois reproché aux juridictions financières d’excéder les limites des missions
qui leur sont imparties en se faisant juge de l’opportunité des choix politiques, ou
bien d’être « hors sol ».
Mais, les juridictions financières jouent pleinement leur rôle lorsqu’elles apprécient
les résultats atteints par rapport aux objectifs poursuivis et qu’elles dessinent les
trajectoires d’améliorations, ou de corrections, possibles. Ce n’est pas apprécier
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l’opportunité d’une décision ou d’une stratégie. C’est le simple reflet de la
préoccupation d’une action publique efficace et efficiente, qui en donne pour son
argent.
Les juridictions financières peuvent, et doivent, attirer l’attention des décideurs sur le
décalage parfois significatif entre les ambitions déclarées, les moyens déployés et
les résultats atteints. La difficulté de notre pays est que nous avons trop longtemps
été indifférents aux résultats publics.
Il s’agit avant tout pour les juridictions financières, d’apporter un éclairage extérieur,
indépendant et impartial, pour susciter et alimenter la réflexion. Sans jouer les
cassandres, sans nous substituer aux représentants du suffrage universel auxquels
revient toujours, en dernier lieu, la responsabilité d’arbitrer. Les juridictions
financières raisonnent toujours sur le fondement des lois, des délibérations
adoptées, du
corpus règlementaire
. Ce n’est jamais nous qui fixons les objectifs.
Par le regard extérieur et indépendant qu’elles portent sur les décisions qui sont
prises et leur mise en œuvre, les juridictions financières souhaitent éclairer le débat
public sur les choix qu’il convient de faire au service de l’intérêt général. En cela,
elles sont véritablement essentielles à notre démocratie.
Ceci me conduit à évoquer devant vous la notion de transparence. Car il n’est pas de
démocratie sans transparence de l’action publique. A l’heure des fausses nouvelles,
de la désinformation, de la propagation de rumeurs, l’accès à une information
objective et fiable est menacé. La parole publique, qu’elle émane des représentants
du suffrage universel ou d’experts indépendants, est de plus en plus mise en doute.
La publication de nos différents travaux permet d’informer fidèlement le citoyen, c’est
une mission constitutionnelle, sur les actions entreprises et les moyens - auxquels il
contribue par l’impôt - qui y sont dédiés.
A ce titre, le rôle des juridictions financières est intimement lié à notre fonctionnement
démocratique. Sans information claire, précise, objective et complète du citoyen, il
n’est pas de confiance possible envers les institutions, pas d’adhésion réelle aux
projets communs.
Leur positionnement au sein des institutions, à équidistance entre les pouvoirs
législatif et exécutif, totalement indépendant des pouvoirs publics nationaux ou
locaux, et l’information sans concession, mais étayée, objectivée, qu’elles diffusent,
placent pleinement les juridictions financières dans leur rôle de sécurisation des
fondements de notre démocratie.
Compte tenu des enjeux financiers de son ressort, la chambre régionale d’Île-de-
France est particulièrement attendue sur ce terrain. Ses travaux illustrent
parfaitement le positionnement des juridictions financières à cet égard. Je pense bien
entendu aux plus médiatiques d’entre eux, notamment ceux qui ont porté sur les
animations emblématiques conduites sur le domaine public de la Ville de Paris, en
lien avec la Grande roue et le marché de Noël, la gestion du personnel de la Ville de
Paris, ou encore les communes défavorisées d’Île de France, ce dernier figurant au
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rapport public annuel 2019.
Si les juridictions financières continuent d’alerter ainsi les décideurs publics sur des
écarts ou des dérives possibles par rapport aux engagements pris, c’est que le
risque de se voir imposer à moyen ou long terme des choix dictés par un contexte
économique non maitrisable reste grand. Au moment où le redressement de nos
comptes publics semble marquer le pas, après huit années ininterrompues de baisse
de notre déficit public, il serait hasardeux de se contenter de compter sur une
évolution positive de facteurs externes pour maîtriser son avenir. La mission des
juridictions financières est de susciter ou de contribuer à une prise de conscience sur
l’importance d’une meilleure maîtrise des finances publiques et sur les actions
concrètes à mettre en œuvre pour préserver la capacité du pays à choisir son avenir
et non à le subir. Cela est également vrai pour les collectivités territoriales dont le
rôle dans l’équilibre des finances publiques est important. Leur champ de
compétences, particulièrement large, touche directement aux préoccupations
quotidiennes et fondamentales de nos citoyens.
Je cite souvent l’exemple de l’Italie, qui m’a frappé. En s’écartant initialement, dans
sa dernière loi de finances, des recommandations de la commission européenne, le
gouvernement italien a pris un risque et souhaité montrer une rupture avec la
doxa
. Il
a toutefois été contraint de revoir rapidement sa copie. Non par crainte de
contrecoups des instances européennes, ou des états membres, mais au regard des
réactions, particulièrement vives, des marchés financiers, qui ont immédiatement
renchéri le coût du financement dans des proportions insoutenables pour le budget
italien.
Notre capacité collective à rester maître de notre destin repose aussi largement sur
une qualité essentielle, qui est en réalité une nécessité : celle de savoir nous
remettre en cause. Remettre en cause nos décisions pour en adopter de meilleures,
remettre en cause nos organisations pour en trouver de plus efficientes.
Si les juridictions financières s’efforcent quotidiennement de rappeler ces principes
aux organismes qu’elles contrôlent, elles doivent aussi savoir se les appliquer à
elles-mêmes.
***
Ceci me conduit au second point de mon propos. Comme toute administration, notre
devoir est de nous interroger, constamment, sur l’efficacité et l’efficience de notre
action. Pour conserver et remplir le rôle dont je viens de rappeler les contours, et
comme l’a indiqué le président MARTIN, il est nécessaire de savoir évoluer et
s’adapter aux nouveaux enjeux qui s’imposent à nous.
Je souhaiterais prendre deux exemples pour vous démontrer l’engagement et
l’efficacité des juridictions financières à cet égard, qui feront écho aux éléments du
président Martin.
En premier lieu, j’évoquerai les mutations connues par le réseau des chambres
régionales et territoriales des comptes. Elles ont su depuis plus de trente ans adapter
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leurs procédures, leurs méthodes et leurs outils pour satisfaire aux exigences des
principes fondamentaux des juridictions financières que sont l’indépendance, la
collégialité et le respect du contradictoire.
Elles ont également su adapter leur organisation et elles l’ont fait en profondeur. Cela
est notamment passé par une réorganisation très significative du réseau des
chambres régionales des comptes en métropole. Dès 2012, et ce de manière très
proactive, il a semblé pertinent de resserrer le réseau des chambres régionales pour
en faire des entités de tailles plus importantes, plus visibles, plus lisibles et plus
professionnelles encore, dans un paysage institutionnel lui-même en mutation. Cet
exemple illustre largement la capacité des juridictions financières à s’adapter et à se
réformer, parfois même avec un temps d’avance.
Si la chambre régionale et territoriale d’Île-de-France et de Saint-Pierre-et-Miquelon
n’a pas été directement touchée par la réorganisation du réseau des CRTC, elle est
très largement concernée par les transformations significatives de la nouvelle
organisation territoriale – je pense ici à la métropole du Grand Paris, à
l’établissement
public
Société
du
Grand
Paris,
à
la
réorganisation
de
l’intercommunalité en Grande couronne et aux différents transferts de compétences
qui ont un impact significatif sur le fonctionnement de ces collectivités et sur la mise
en œuvre des politiques publiques. Ses contributions à ce sujet, notamment le référé
relatif à l’organisation territoriale en région Île-de-France, rappelé par le président,
sont une occasion supplémentaire de démontrer son utilité.
En second lieu, je me réfèrerai au développement et à l’approfondissement des
travaux communs entre les chambres régionales et territoriales et la Cour des
comptes au cours des dernières années. C’est une illustration concrète de notre
capacité à évoluer pour répondre au mieux aux objectifs qui nous sont fixés. Compte
tenu du caractère de plus en plus imbriqué et complexe des politiques publiques aux
niveaux national et local, une approche exclusivement organique des contrôles, sans
vision transversale, n’est aujourd’hui plus suffisante, ni satisfaisante.
Les chambres régionales et territoriales des comptes sont très actives dans ce
domaine. A cet égard, la chambre d’Île-de-France représente parfaitement les efforts
importants déployés par les juridictions financières pour travailler ensemble sur des
problématiques et des politiques publiques qui implique de nombreux opérateurs
publics de différentes natures. Rares sont d’ailleurs les thématiques transversales qui
peuvent se passer de l’Île-de-France dans leur périmètre géographique d’étude. La
juridiction est donc par nature particulièrement investie sur les différents thèmes de
contrôle communs. Citons par exemple les travaux sur les piscines et centres
aquatiques
publics,
la
gestion
des
opérations
funéraires,
ou
encore
les
rémunérations et le temps de travail des personnels de la sécurité civile.
D’autres évolutions stratégiques sont en cours, notamment au regard de la
transformation numérique. Nous nous sommes fixés l’objectif ambitieux de basculer
l’ensemble de nos procédures vers le « tout numérique » d’ici 2021, notamment dans
nos échanges avec les organismes contrôlés. Ces évolutions constituent un levier de
modernisation de nos métiers. Elles nécessitent une réflexion continue sur notre
manière d’aborder et de conduire les contrôles et nous sommes bien entendu
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pleinement engagés dans cette réflexion.
Cette capacité explique en partie la confiance que le législateur accorde aux
juridictions financières dans leur ensemble. Il n’est donc pas surprenant que ce
dernier n’hésite pas à leur confier de nouvelles missions, qui viennent conforter leur
rôle au sein des institutions de notre République et leur capacité reconnue à
contribuer efficacement à l’amélioration de la gestion des services publics et au
renforcement de l’efficacité et de l’efficience des politiques publiques.
Il faut se réjouir de cette confiance. C’est le gage d’un professionnalisme reconnu.
Ces nouveaux chantiers sont autant de défis dont les juridictions financières sauront
s’emparer pour continuer à s’efforcer de servir, au mieux, l’intérêt général.
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Mesdames et Messieurs,
Vous l’aurez compris, les juridictions financières constituent dans leur ensemble une
institution attachée à des valeurs, des principes forts, qui constituent des piliers
indispensables au bon fonctionnement de notre démocratie, à la place qui est la leur,
sans se substituer au suffrage universel. N’y voyez pas une posture conservatrice.
Bien au contraire, la volonté de préserver ces principes impose un effort constant de
remise en question, d’évolution, pour en améliorer l’efficacité. Les juridictions
financières se doivent d’être exemplaires à cet égard. Il s’agit pour nous d’une
préoccupation constante.
J’espère avoir pu vous faire partager les ambitions des juridictions financières :
ancrées dans une tradition séculaire, dont témoigne le cérémonial de l’audience
solennelle à laquelle nous venons d’assister, elles constituent un point de repère
solide au sein de nos institutions et de notre démocratie, un tiers de confiance,
indépendant et efficace, vers lequel les citoyens comme les décideurs n’hésitent pas
à se tourner. Tout en restant à la place que le législateur leur a confiée, elles
s’efforcent de participer au renforcement de l’efficacité et de l’efficience de l’action
publique et de faire vivre la démocratie au niveau national comme au niveau local.
La fin d’année 2018 a conduit les Français à exprimer d’une façon inédite les
attentes très fortes qu’ils manifestent depuis longtemps à l’égard des gestionnaires
publics.
Dans ce contexte, conscientes de leurs responsabilités, les juridictions financières
redoubleront d’efforts pour accomplir leurs missions : éclairer les représentants du
suffrage universel, s’assurer de la régularité et de la probité de la gestion publique,
rechercher une efficacité accrue de la dépense et être forces de propositions.
Je sais pouvoir compter sur l’engagement et le fort investissement de tous les
personnels et magistrats des juridictions financières pour mener à bien ce défi dans
le cadre de la préservation de l’intérêt général auquel, j’en suis convaincu, toutes les
personnes ici présentes, et bien au-delà, sont très attachées.
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Je vous remercie de votre attention.