AUDIENCE SOLENNELLE
DE LA CHAMBRE RÉGIONALE DE COMPTES
PROVENCE-ALPES-CÔTE-
D’AZUR
Jeudi 14 février 2019
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Monsieur le Préfet de région,
Mesdames et Messieurs les députés et sénateurs,
Madame, Monsieur les présidents de conseil départemental,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs les hautes autorités présentes, chefs de juridictions, magistrats, hauts
fonctionnaires, chefs de services, responsables universitaires, officiers supérieurs,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues,
Je souhaite tout d’abord m’associer aux remerciements adressés à l’instant par le président
Meddah et le Procureu
r financier à l’attention de toutes les personnalités présentes aujourd’hui
à l’audience solennelle de la chambre régionale des comptes Provence
-Alpes-
Côte d’Azur.
Votre présence, Mesdames et Messieurs, honore la juridiction car elle souligne l’importance
que vous attachez à ses missions, à son activité et à sa place dans les institutions locales.
Elle est le signe de votre attachement au bon fonctionnement des institutions de notre
démocratie et je m’en réjouis.
C’est également un plaisir pour moi de par
tager ce moment privilégié avec les magistrats et
personnels qui composent et animent les chambres régionales et territoriales et en particulier
celle qui nous accueille aujourd’hui.
A travers les allocutions qui viennent d’être prononcées, vous avez pu m
esurer à quel point le
champ de compétences des juridictions financières est diversifié. Il comprend des missions de
natures distinctes, d’ordre juridictionnel ou non, mais toujours complémentaires.
La palette de ces missions, que vous avez rappelée Monsieur le président, M. le Procureur
financier, en retraçant le bilan des activités de la chambre, s’est élargie avec le temps, de par
la volonté du législateur. Mais si les missions sont de plus en plus diversifiées, leur finalité peut
se résumer de manière
simple puisqu’il s’agit de s’assurer du bon emploi de l’argent public et
d’en rendre compte à nos concitoyens.
Cet objectif, nous le servons en respectant un ensemble de valeurs, qui forment notre éthique
professionnelle et personnelle, et qui ont pour noms : dignité, loyauté, rigueur, exemplarité.
Le président de la République a souhaité engager un débat de fond sur les réponses à
apporter aux préoccupations profondes des Français. Dans ce cadre, les juridictions
financières ont un rôle à jouer. A l’he
ure des fausses nouvelles, de la désinformation, de la
propagation de rumeurs, l’accès à une information objective et fiable est menacé. La parole
Seul le prononcé fait foi
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publique, qu’elle émane des représentants du suffrage universel ou d’experts indépendants,
est de plus en plus mise en doute.
Par les travaux qu’elles rendent publics et les constats qu’elles établissent, les juridictions
financières contribuent à la bonne information des citoyens, en leur fournissant des éléments
objectifs, étayés, contredits et vérifiés, sur
l’emploi de l’argent public.
L’audience solennelle de chacune de ces juridictions est toujours l’occasion de rappeler le
rôle, le sens et la portée de leurs actions.
Permettez-
moi dès lors de m’arrêter sur ce rôle fondamental, celui qui fait écho à la r
égularité
et à la transparence de l’action publique, mais aussi à la recherche de l’efficacité et de
l’efficience dans la mise en œuvre des politiques publiques.
C’est là le cœur et la raison d’être des juridictions financières autour desquels j’articule
rai mon
propos.
***
En matière de régularité, de probité de l’action publique, le rôle des juridictions financières est
de veiller à ce que les règles de la comptabilité et de la gestion publique soient appliquées et
respectées par les divers acteurs
chargés de la mise en œuvre des politiques publiques.
Elles disposent pour ce faire de plusieurs leviers, que vous avez rappelés, M. le procureur
financier.
Le premier et le plus ancien de ces leviers réside dans notre rôle de juge des comptes. Cette
mis
sion découle de l’un des principes essentiels de l’organisation de nos finances publiques :
celui du contrôle par le comptable de la régularité des actes de l’ordonnateur et de leur exacte
traduction comptable et financière.
Dans cette organisation, les comptables publics, indépendants des ordonnateurs, sont tenus
d’assurer des contrôles qu’ils sont les seuls à effectuer. Il s’agit là d’une fonction essentielle
pour garantir la régularité de la gestion publique. Elle se retrouve d’ailleurs pour cette rais
on
dans toutes les organisations soucieuses de sécurité budgétaire et financière, y compris
privées.
Afin d’assurer l’indépendance et l’effectivité de ces contrôles, les comptables publics sont
personnellement et pécuniairement responsables, devant le juge des comptes, de la
surveillance qu'ils sont tenus d’effectuer.
Cette responsabilité, corollaire de leur indépendance vis-à-
vis de l’ordonnateur et de leur
pouvoir de contrôle, est indéniablement un des éléments qui fondent la confiance de nos
concitoyens dans ceux qui ont la charge de la chose publique.
Fondement de notre ordre financier public, cette organisation constitue un système éprouvé
et doit être préservée. Bien sûr des évolutions sont nécessaires pour s’adapter aux enjeux de
modernisation de la gestion publique. Mais elles ne doivent pas conduire à vider de sa
substance un régime de responsabilité qui contribue très largement à la transparence et à la
régularité de l’action publique.
Seul le prononcé fait foi
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En matière de gestion, le champ du contrôle exercé par les juridictions financières est plus
large. De nature non juridictionnelle, il n’a pas pour vocation première de sanctionner ou de
faire sanctionner par nos collègues du judiciaire. Même s’il porte lui aussi naturellement et en
premier lieu sur le respect des
règles en vigueur dans les nombreux domaines d’intervention
de la gestion publique.
Les observations formulées font l’objet d’un suivi régulier et rigoureux pour inciter les
gestionnaires à les prendre en compte rapidement, vous l’avez évoqué M. le prés
ident, M. le
procureur financier.
Le suivi statistique que nous réalisons chaque année montre que 72 % des recommandations
formulées entre 2015 et 2017 par la Cour des comptes ont été totalement ou partiellement
mises en œuvre par les administrations. Ce
tte proportion est encore supérieure dans les
chambres régionales et territoriales des comptes, où elle s’élève à 79 %. Et si l’on s’intéresse
aux recommandations totalement mises en œuvre, elles sont de 41 % pour les chambres
régionales, ce qui témoigne du réel impact de leurs travaux sur la gestion locale.
A travers le contrôle de la gestion, les juridictions financières ont aussi pour mission de veiller
à ce que les moyens engagés dans la mise en œuvre des politiques publiques permettent
d’atteindre les
objectifs fixés, par les élus eux-mêmes, et ce au moindre coût. Pour le dire
autrement, il leur appartient de contribuer à ce que l’action publique soit la plus efficace et la
plus efficiente possible.
Beaucoup de nos travaux le démontrent : la performance de nos services publics ne dépend
pas exclusivement du volume des moyens qui y sont consacrés. L’efficacité marginale de
chaque euro supplémentaire investi est même souvent décroissante. Je le dis et le répète
souvent car cela caractérise un mal français : le niveau des dépenses publiques en France
est plus élevé que dans la plupart des autres pays qui nous sont comparables, en Europe ou
dans le monde. Les résultats qui en découlent ne sont, pour autant, pas supérieurs, bien au
contraire. Ils apparaissent souvent décevants au regard des moyens déployés et des efforts
consentis.
Nous le savons -
et c’est là le cœur de nos travaux
- des marges importantes existent en
repensant l’utilité de chaque euro dépensé. Or, ces marges sont insuffisamment exploitées
et
il appartient aux décideurs d’orienter le mieux possible les moyens publics pour maximiser leur
efficacité.
Les juridictions financières peuvent, et doivent, attirer l’attention des décideurs sur le décalage
parfois significatif entre les ambitions déclarées, les moyens déployés et les résultats atteints.
Au fil des contrôles que nous effectuons, il nous appartient évidemment de souligner ce qui ne
fonctionne pas et de formuler des recommandations utiles pour remédier aux dérives de
gestion que nous constatons parfois. Mais notre activité nous conduit aussi à relever les
progrès constatés, à identifier les voies nombreuses de transformation de la gestion publique
et à observer le professionnalisme, l’engagement et le sens de l’intérêt général des agents
qui
concourent à la modernisation de l’action publique. Nous en sommes les témoins lors de nos
contrôles : nombre d’organismes publics engagent des processus courageux de
transformation.
J’ai eu l’occasion de l’indiquer lors de la présentation à la presse de notre rapport public annuel
le 6 février dernier
: le propos des juridictions financières aujourd’hui ne se veut pas résigné ;
il est au contraire volontairement optimiste et s’efforce
de formuler des pistes d’amélioration
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les plus utiles aux représentants du suffrage universel auxquels revient toujours, en dernier
lieu, la responsabilité de décider.
Ainsi, sans s’arrêter aux simples constats, les chambres régionales et territoriales d
es
comptes, en toute indépendance, encouragent la transformation de l’action publique, en
formulant des recommandations concrètes et opérationnelles, destinées aux décideurs.
Par la publication de leurs travaux, les juridictions financières informent également les citoyens
sur les moyens engagés pour mettre en œuvre les politiques publiques qui les concernent au
premier chef et auxquelles ils contribuent par l’impôt.
Si leurs critiques se veulent sans complaisance, les juridictions financières, à travers leurs
recommandations, ne cherchent pour autant ni à sanctionner, ni à imposer telle mesure de
redressement ou telle réforme.
Je l’ai dit, et je le répète, il n’est pas dans leur rôle de se substituer à celui des représentants
du suffrage universel. Il
appartient en revanche aux juridictions financières d’apporter un
éclairage extérieur, indépendant et impartial, afin de susciter et d’alimenter la réflexion, d’aider
à la décision.
Cette mission est aujourd’hui d’autant plus fondamentale que la maîtrise
de nos finances
publiques reste un enjeu majeur tant au niveau national que local. Sans marge de manœuvre
financière, la capacité à effectuer des choix structurants pour l’avenir se réduit et les rend
dépendants d’aléas conjoncturels extérieurs.
A cet ég
ard, il faut souligner la place importante qu’occupent les administrations publiques
locales. D’abord, bien sûr, parce que leur champ de compétences est large et qu’il porte sur
des politiques qui touchent directement aux préoccupations quotidiennes et fondamentales de
nos citoyens, comme en matière de logement, de transport, d’emploi ou de formation
professionnelle. Ensuite parce que leur rôle dans le redressement des finances publiques ces
dernières années a été significatif.
Au moment où le redressement de nos comptes publics semble marquer le pas, après huit
années ininterrompues de baisse de notre déficit public, les efforts engagés doivent être
poursuivis, tant au niveau national que local. Les juridictions financières continueront de se
mobiliser en ce sens.
***
La fin d’année 2018 a conduit les Français à exprimer d’une façon inédite les attentes très
fortes qu’ils manifestent depuis longtemps à l’égard des gestionnaires publics avec une
exigence de redevabilité qui est désormais de plus en plus clairement exprimée.
Des attentes qui s’expriment tout d’abord envers la performance de l’action publique.
Nous ne sous-estimons pas la tâche des gestionnaires publics à ce sujet et nous sommes
conscients que les choix à faire et les arbitrages à rendre sont difficiles.
Difficile pourquoi
? Parce que les attentes de nos concitoyens à l’égard du service public et de
l’usage de l’argent public sont de plus en plus importantes. Parce qu’elles sont parfois
contradictoires les unes des autres. Parce que les moyens dont disposent les pouvoirs publics
pour y répondre ne sont pas illimités.
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Pour faire face à ces attentes, sans tomber dans les travers du recours au déficit ou de
l’alourdissement de la fiscalité, le chemin réside dans l’amélioration de l’efficacité et l’efficience
des dépenses, dans l’analyse des questions d’organisation, de fonctionnement et de
répartition des moyens, dans l’amélioration de la performance des services publics.
Les juridictions financières jouent pleinement leur rôle lorsqu’elles indiquent qu’il y a des
marges dans l’efficacité ou l’efficience de telle ou telle dépense publique. C’est le simple reflet
de la préoccupation d’une action publique efficace et efficiente, qui en donne pour son argent.
Des attentes qui s’expriment
ensuite au regard de la transparence des décideurs publics.
Si le rôle des juridictions financières n’est pas uniquement répressif, je l’ai indiqué, dans
certaines situations, la question de l’engagement de la responsabilité des gestionnaires
publics se pose.
Or, il faut bien constater que le régime actuel de mise en jeu de leur responsabilité n’est plus
adapté aux attentes de nos concitoyens et aux exigences en matière de transparence de la
vie publique. S’il existe bel et bien une juridiction répressive
, compétente pour engager la
responsabilité des ordonnateurs, cette institution est peu visible.
Plus de soixante-dix ans après sa naissance, la Cour de discipline budgétaire et financière
(CDBF), c’est d’elle dont je parle, reste mal connue, trop peu sai
sie, avec une capacité
d’intervention et un caractère dissuasif pour le moins limités. Le champ de ses justiciables, qui
exclut notamment les élus locaux, entraîne, pour ces derniers, une quasi-immunité
juridictionnelle, situation dont nos concitoyens ont de plus en plus de difficultés à comprendre
la justification.
A sa création, le 25 septembre 1948, il avait été fait le choix d’écarter les personnes détenant
un mandat électif local de son champ d’intervention. Cette décision reposait sur le fait que les
élus, contrairement aux autres gestionnaires publics, bénéfici
ent d’une légitimité démocratique
dont la contrepartie serait la mise en jeu de leur responsabilité politique devant les électeurs.
Ce principe n’a pas été depuis remis en cause par le législateur. Et, ce, alors même que le
poids du secteur public local
s’est considérablement accru, sous l’effet du développement de
la décentralisation et des transferts de compétence qui en ont résulté. La gestion des deniers
publics est aujourd’hui, plus que jamais, lourde, complexe, délicate. La responsabilité qui en
découle pour les élus suit bien évidemment cette trajectoire toujours croissante, exponentielle
même.
Pour autant, le régime de responsabilité des ordonnateurs locaux n’a pas évolué depuis 1948
et n’a pas été adapté à ces évolutions profondes. Face à des co
mpétences toujours plus larges
et plus complexes à mettre en œuvre, dans un contexte où l’irrégularité et la faute de gestion
sont de moins en moins acceptées par nos concitoyens, la seule réponse répressive est
souvent celle du juge judiciaire, avec le risque de pénalisation excessive de la gestion
publique, qui n’est pas plus satisfaisante que l’irresponsabilité.
Les
juridictions
financières
partagent
le
constat
selon
lequel
une
plus
grande
responsabilisation des ordonnateurs et des gestionnaires est nécessaire pour permettre aux
initiatives de transformation de l’action publique de tenir toutes leurs promesses. Faire
davantage confiance, simplifier les mesures de contrôle a priori - auxquelles les juridictions
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financières sont d’ailleurs tout à fait favo
rables -
pour donner plus de marges de manœuvre
aux gestionnaires publics implique nécessairement une contrepartie sous la forme d’une
responsabilité plus forte. Et, pour avoir un sens, cette responsabilité doit s’accompagner d’un
régime de sanctions approprié.
Entre le risque d’une pénalisation excessive des décisions de gestion et celui d’une forme
d’irresponsabilité financière, je suis convaincu qu’il existe une place pour une responsabilité
administrative proportionnée, de nature à sanctionner, à un juste niveau, les fautes de gestion
et les manquements aux règles budgétaires et comptables. Elle devra reposer sur une
articulation plus étroite entre les ordres judiciaire et financier pour apporter la réponse la plus
adaptée possible, et trouverait toute sa place aux cotés de la responsabilité politique qui
s’assume par le biais du suffrage universel.
Nous le voyons, il devient nécessaire d’opérer un changement de paradigme fondamental.
Gageons que l’objectif toujours réaffirmé et poursuivi par les jurid
ictions financières,
d’efficacité et d’efficience dans la dépense publique, et de respect de la régularité des actes
de gestion sera, dans les prochains mois, au cœur des enjeux de la rénovation dé
mocratique
désormais à l’œuvre.
***
Les attentes de nos co
ncitoyens sont fortes et légitimes à l’égard de nos institutions. Et ce
dans un univers particulièrement exigeant, en perpétuelle mutation, notamment d’ordre
technologique, qui implique une forte capacité à anticiper, accompagner et participer aux
modifica
tions constantes de notre société. Nos institutions démocratiques se doivent d’y
répondre en recherchant de nouvelles méthodes et formes d’organisation pour renforcer leur
performance.
Par leurs travaux et leurs analyses, les juridictions financières ont pour ambition de constituer
à la fois une référence solide en termes de régularité et une force de proposition pertinente en
termes de performance. Maillon essentiel de l’édifice démocratique, elles constituent à la fois
un lanceur d’alerte institutionnel
et un tiers de confiance vers lequel les institutions comme les
citoyens n’hésitent pas à se tourner.
Je souhaiterais conclure en exprimant ma reconnaissance et mes encouragements aux
magistrats et personnels de la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte
d’Azur dont je sais l’engagement soutenu et enthousiaste. Permettez
-moi ici de vous en
remercier collectivement.
Je souhaite étendre ces encouragements à l’adresse de toutes celles et ceux qui, au service
de l’intérêt général, contribuent à la mise en œuvre de l’action publique, qui participent au
quotidien à la gestion et à la bonne marche des administrations et qui, sur le terrain, sont
souvent appelés à mettre en œuvre des réformes difficiles et complexes.
Je vous remercie.