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AUDIENCE SOLENNELLE DE RENTREE
Jeudi 17 janvier 2019 - 11h00
Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, messieurs les ministres et les parlementaires,
Mesdames, messieurs les hautes personnalités présentes,
Mesdames et Messieurs,
Pour les cinq auditeurs installés à l’instant, pour leurs familles, comme pour la Cour, la
cérémonie qui vient de se dérouler constitue un temps fort. Par le serment qu’ils ont prononcé,
ces jeunes fonctionnaires sont devenus magistrats des comptes.
*
Ce
serment n’est ni une vaine incantation, ni un rite de passage désuet. Il est l’engagement
de consacrer sa vie professionnelle au service de nos concitoyens et de valeurs communes.
La plus importante
à nos yeux
est insc
rite au fronton de cette Grand’c
hambre. Je veux
parler de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «
La société a le
droit de demander compte à tout agent public de son administration
».
L’inamovibilité et l’indépendance qu’emporte le statut de magistrat des c
omptes ne sont ni des
remparts ni des privilèges, mais la condition primordiale d’exercice de nos missions. Elles
assurent une liberté d’action qui nous oblige : instruire loin du souci de plaire ou de déplaire ;
formuler des analyses étayées, contredites, objectives ; programmer librement nos travaux,
tout en répondant aux demandes émanant des pouvoirs publics.
La robe n’est ni un moyen de nous cacher, ni l’apanage d’une corporation fermée. Elle marque
publiquement notre appartenance à une collégialité, dont les membres, quels que soient leurs
opinions ou leurs itinéraires, analysent, statuent en vertu des mêmes règles, garantissant à
chacun, respect des droits et équité du jugement.
Et si, tout à l’heure, il n’y avait aucune
observation à la lecture du compte rendu de la précédente audience de la Cour, la collégialité
donne lieu d’habitude à de nombreux débats.
Pour notre institution, l’apport de compétences nouvelles et de sang neuf est essentiel.
Essentiel pour lui permettre de se saisir des missions nombreuses et croissantes qui lui sont
attribuées. Essentiel pour accompagner l’élargissement et la transformation de son périmètre
de contrôle à l’ère de la révolution numérique. Essentiel pour qu’elle demeure une institution
en prise avec son temps, où se transmettent, à travers le cycle des générations, le savoir et le
savoir-faire.
Comme leurs prédécesseurs, les jeunes magistrats que nous venons d’installer feront ici
l’apprentissage d’un métier passionnant. Ils le feront au plus près des réalités
de la gestion
publique, Monsieur le Procureur général, et dans la pratique éprouvée du contrôle sur le
terrain.
Le terrain : voilà précisé
ment le cœur de notre activité.
Seul le prononcé fait foi
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Notre présence en ces murs parisiens ne doit pas faire oublier que l’essentiel de notre mé
tier
se pratique hors les murs du Palais Cambon.
D’abord, parce que les juridictions financières –
outre la Cour des comptes
ce sont aussi dix-
sept chambres régionales et territoriales, dont les travaux sont indispensables pour assurer le
contrôle de l
a probité, de la régularité et de l’efficacité de l’action publique locale. Ensuite et
surtout, parce que le quotidien d’un magistrat des comptes l’amène à interagir avec une grande
variété d’interlocuteu
rs de nos politiques publiques.
Ici, avec les perso
nnels d’une direction centrale de ministère ou d’un service déconcentré de
l’État ; là, avec ceux d’un établissement public ; ailleurs, d’une collectivité territoriale, d’une
entreprise publique, d’une fondation faisant appel à la générosité, d’un hôpital ou d’un
établis
sement
d’enseignement
supérieur
;
parfois
aussi,
avec
des
fédérations
professionnelles, des experts, des chercheurs ou encore des organisations syndicales.
Pour demeurer en prise avec ces réalités de terrain, notre institution se transforme,
s’appliquant ainsi à elle
-même ce
qu’elle recommande aux autres.
Renouvellement de l’exercice de programmation de nos enquêtes, refonte de notre
organisation interne, engagement dans le virage du numérique, rénovation de nos normes
professionnelles, alignement du réseau des chambres régionales des comptes sur la nouvelle
carte des régions, modernisation de notre communication : tels sont certains des chantiers
achevés ces dernières années, ou en cours aujourd’hui.
Au travers de ces différents chantiers,
notre objectif est d’être utiles aux pouvoirs publics et
aux représentants du suffrage universel. Il nous faut pour cela réinterroger régulièrement nos
procédures.
Ainsi, pour que le Parlement dispose des informations nécessaires à la tenue du débat
d’orientation budgétaire, nous expérimenterons en 2019 la modification de notre calendrier de
publication. Nous publierons désormais avant l’été l’ensemble de nos analyses financières sur
l’exécution des comptes de l’année écoulée –
comptes sociaux et locaux compris.
Afin que nos publications puissent être toujours plus utiles, nous continuerons aussi à en faire
évoluer la forme, le contenu. Le rapport public annuel qui paraîtra début 2020, sur la base des
instructions réalisées en 2019, comportera par exemple une partie thématique, consacrée, en
l’espèce, au numérique au service de l’action publique. Dans le même temps, nous avons à
cœur de poursuivre la modernisation de nos supports de communication pour les rendre plus
pédagogiques et innovants, en renforçant
par exemple
le format de nos synthèses ou en
réalisant
davantage d’animations vidéos.
Enfin, la crise que connaît notre pays nous invite à poursuivre la réflexion que nous avons
engagée sur la meilleure façon de renforcer les liens
déjà nombreux !
que nous entretenons
avec les citoyens. Nous avons pour habitude d’associer de nombreuses parties prenantes aux
travaux d’évaluation que nous conduisons. Sans doute pouvons
-nous
toujours, bien sûr,
dans le respect de nos procédures
aller plus loin et réunir par exemple des comités
d’usagers, sollicitant, de cette façon, directement les citoyens.
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Seul le prononcé fait foi
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Cet effort permanent de réforme est la condition de l’exercice de nos missions. Il nous permet
de faire vivre une exigence incontournable dans notre
démocratie et d’une criante actualité :
rendre compte de la qualité de la gestion publique, de son efficacité et de son efficience.
Au-
delà de nos missions de contrôle de régularité et celles de certification, notre rôle, c’est de
mettre les résultats de
l’action publique face à leurs objectifs, qui ont été arrêtés par les
pouvoirs publics, et au regard des moyens déployés pour les atteindre. En ne souhaitant alors
ni jouer les Cassandre ni les oiseaux de mauvaise augure : notre rôle est de pointer ce qui
dysfonctionne, de signaler à la fois les situations de gaspillage et les
effets d’aubaine
, comme
les pratiques efficientes de gestion.
Sans nous limiter au seul exercice de constat, il nous revient aussi de proposer des
recommandations concrètes afin qu’e
lles puissent éclairer le Gouvernement et le Parlement,
les représentants du suffrage universel, par qui s’exerce –
en vertu de notre Constitution
la
souveraineté nationale.
Décrypter des politiques publiques, établir les faits sans complaisance ni simplification,
objectiver des éléments en débat, enrichir notre regard des expériences réalisées à l’étranger,
dépasser les apparences et les raccourcis qui aujourd’hui
ont tendance à se multiplier. Ces
missions fondamentales et passionnantes, nous les exerço
ns aujourd’hui dans un contexte
particulièrement exigeant.
Plus que jamais, à l’heure des fausses nouvelles, de la désinformation, de la propagation de
rumeurs, l’existence d’une information objective et fiable est menacée. Plus que jamais, la
parole publ
ique, qu’elle émane des représentants du suffrage universel ou d’experts
indépendants, est mise en doute. Plus que jamais, il nous revient de demeurer fidèles à
l’exigence formulée en 1807 par François Barbé
-Marbois, premier Premier président de la
Cour de
s comptes qui s’exprimait ainsi : «
Il faut toujours dire le vrai en matière de finances,
même et surtout dans les difficultés, car le soupçon va au-delà du vrai et exagère la réalité, et
le Trésor comme les particuliers en souffrent
».
«
Dire le vrai
» nécessite de prendre le temps de l’analyse, de la vérification des faits, de la
contradiction et de l’établissement des constats, résistant ainsi au règne de l’hyper
-actualité,
à la tyrannie de l’instant et
à la tentation du court-terme.
Au sein des juridictions financières, cette prise de recul est indispensable pour conduire des
instructions étayées et contredites avec les administrations. Elle doit nous permettre d’éclairer
les décisions que doivent prendre les pouvoirs publics et les représentants du suffrage
universel.
Nous sommes conscients que les choix à faire et les arbitrages à rendre sont difficiles.
Parce que les attentes de nos concitoyens à l’égard du service public et de l’usage de l’argent
public sont immenses. Parce que ces attentes sont aussi parfois contradictoires les unes des
autres. Parce que l’expression de l’intérêt général est souvent entravée par celle d’intérêts
particuliers
je le répète souvent, l’intérêt général n’est pas la somme de ces intérêts
particuliers ! Et parce que, surtout, les moyens dont disposent les pouvoirs publics pour
répondre à ces attentes ne sont pas illimités.
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Dans le même temps, la crise que traverse notre pays met en lumière le sentiment qui réside
chez une partie de nos concitoyens que ceux qui les gouvernent ne rendraient pas
suffisamment compte de leur gestion et même se seraient déconnectés d’une certaine
réalité.
Cette perception nous invite collectivement à ne pas baisser la garde sur les fondements
mêmes de notre mission.
L’obligation de rendre des comptes va en effet au
-delà de la seule transparence sur le coût et
les résultats de l’action publique, m
ême si elle en est un élément essentiel. Elle implique
notamment que la responsabilité des gestionnaires publics puisse aussi être engagée dans
les conditions prévues par la loi. C’est le rôle des juridictions financières que de le faire. Cette
responsabil
ité obéit en effet à un régime particulier, soumis à l’office des juges financiers et
qui garantit la transparence et la r
égularité de l’action publique.
Monsieur le Premier ministre, vous avez souhaité, dans le cadre des travaux conduits au sein
du Comit
é Action publique 2022, engager une réflexion sur l’avenir du régime de responsabilité
des gestionnaires publics, comptables et ordonnateurs.
Les juridictions financières sont non seulement prêtes à prendre toute leur part à cet exercice,
mais auront aussi des propositions précises et concrètes à formuler. Le Procureur général
vient d’en exprimer quelques
-
unes, la Cour le fera après débats, comme c’est la règle.
Elles
vont dans le sens d’une nécessaire rénovation de ce régime. Mais une rénovation qui n
e le
vide pas de sa substance.
Une évolution du régime de responsabilité des gestionnaires publics ne doit en effet conduire
ni à la confusion des rôles, ni à la dilution des responsabilités.
Nos concitoyens ne comprendraient pas, à l’heure où leurs exigence
s sont plus fortes que
jamais en matière de redevabilité de la gestion publique et de probité de ceux qui en ont la
charge, que la réforme de ce régime aboutisse à une forme d’irresponsabilité générale, dans
laquelle aucun gestionnaire public n’aurait de compte à rendre des décisions qu’il prend ou
des intérêts financiers dont il a la charge.
Aussi, le rôle du comptable public, à travers le contrôle qu’il exerce sur l’ordonnateur, doit être
selon nous
préservé, car il garantit la sécurité et la régularité des dépenses, ainsi que la
transparence et la fiabilité de l’information financière. Quant à l’ordonnateur, sa responsabilité
peut être mise en œuvre devant la Cour de discipline budgétaire et financière, mais cette
juridiction au périmètre trop limité, voit échapper à sa compétence un grand nombre de
gestionnaires publics, en particulier les ordonnateurs locaux.
Enfin, la responsabilité financière des gestionnaires ne saurait être confondue avec leur
responsabilité managériale. Certes, elle est indisp
ensable et mérite encore d’être élargie, dans
la logique-
même de la LOLF. Vous le souhaitez d’ailleurs, monsieur le Premier ministre, et
nous ne pouvons que vous y encourager, tellement, aujourd’hui, tout
nous paraît organisé pour
ne pas responsabiliser suffisamment les gestionnaires publics, voire quelquefois pour les
déresponsabiliser. La responsabilité managériale est essentielle donc, mais elle ne suffit pas,
n’étant pas conçue pour sanctionner des décisions irrégulières ou réparer les préjudices
causés à la collectivité.
De son côté, la responsabilité pénale
tout aussi essentielle !
n’est pas l’unique réponse
aux défaillances de la gestion. Une articulation plus étroite entre le juge pénal et le juge
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financier nous semble à ce titre nécessaire pour apporter la réponse la plus adaptée aux
irrégularités de gestion.
***
L’audience solennelle de rentrée de la Cour est aussi l’occasion d’évoquer les défis à relever
pour redresser la situation
toujours fragile
de nos finances publiques.
En la matière, des efforts ont incontestablement été réalisés ces dernières années. Depuis
2009, le déficit des comptes publics s’est réduit de façon ininterrompue. À l’automne dernier,
la Cour a par exemple salué le quasi-
retour à l’équilibre financier de
la Sécurité sociale
sans
occulter toutefois la fragilité de ce rééquilibrage.
Mais si elle salue ces progrès, notre juridiction constate toutefois, qu’en 2018, ces efforts de
redressement semblent marquer le pas. Les objectifs de maîtrise de dépense devraient
toutefois être tenus, ce qui
si
c’est le cas –
méritera d’être souligné.
Après huit années de baisse, et selon les prévisions disponibles, le déficit public français ne
devrait guère se réduire en 2018, par rapport à 2017. Le diagnostic est identique, voire plus
inquiétant, si l’on raisonne indépendamment de la conjoncture économique ; je fais ici
référence à notre déficit structurel.
La conséquence de cette situation, nous la connaissons : notre pays ne parvient pas à
stabiliser sa dette publique. Elle tangente désormais la barre symbolique des 100 % de notre
produit intérieur brut.
L’’écart se creuse avec nos partenaires européens, do
nt beaucoup ont
engagé un mouvement, non pas de stabilisation, mais de nette résorption de leur dette. Ainsi,
près de quarante points de produit intérieur brut (PIB) séparent désormais le niveau de dette
publique français de celui de l’Allemagne alors que
tous deux étaient comparables il y a douze
ans.
Un haut niveau de dette et des déficits récurrents exposent aux conséquences d’une remontée
des taux d’intérêt que nous savons probable, voire certaine, même si elle sera
vraisemblablement progressive. Des t
aux d’intérêt qui augmentent, c’est
tout simplement une
charge qui s’accroît sur nos comptes ; c’est une consommation qui baisse chez nos
concitoyens ; ce sont des perspectives d’investissement qui sont amputées pour notre pays.
Plus un État est dépendant, moins il est souverain.
Dans un pays proche du nôtre
l’Italie –
le vote de la trajectoire budgétaire pour 2019 a donné
un nouvel exemple de la contrainte forte que les marchés financiers sont capables d’exercer
sur des États endettés. C’est notamment s
ous leur pression, face à une subite remontée des
taux, que l’Italie a dû revoir ses prévisions budgétaires, en
-deçà des ambitions initiales,
pourtant affirmées avec beaucoup de force.
Le relâchement des efforts de redressement engagés en France entamerait la crédibilité de
notre pays et sa capacité à peser sur les réformes en cours au sein de l’Union européenne.
Surtout, ne pas avoir complétement rétabli la situation des finances publiques par le passé
prive aujourd’hui les pouvoirs publics de marges de
manœuvre utiles pour soutenir l’activité et
protéger nos concitoyens les plus fragiles.
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Au-
delà des normes ou des chiffres, l’enjeu financier pour notre pays est donc de préserver
les conditions de son indépendance budgétaire et de sa souveraineté.
J’ai déjà eu l’occasion
de rappeler cette citation : «
La plus grande liberté naît de la plus grande rigueur
», disait Paul
Valéry. Si le mot de rigueur peut avoir une connotation négative, il faut ici le comprendre non
pas au sens d’orthodoxie budgétaire, mais
de rigueur dans la gestion publique, pour qu’elle
soit plus transparente, plus efficace et plus efficiente.
À bien des égards, notre pays se trouve aujourd’hui confronté à beaucoup d’interrogations et
d’incertitudes. La trajectoire budgétaire pour 2019, définie à l’automne 2018 dans le projet de
loi de finances, a été substantiellement modifiée par les décisions prises en fin d’année. Or, la
prévision retenue dans la loi de finances pour 2019, portant le déficit public à 3,2 % du PIB,
n’intègre pas les mesures contenues dans la loi portant mesures d’urgence, adoptée
ultérieurement, ce qui rend cette prévision incertaine. Elle repose par ailleurs sur un scenario
macroéconomique arrêté en septembre dernier, fragilisé depuis par des évolutions
conjoncturelles défavorables, dans le monde et en Europe.
Compte tenu de ces incertitudes, la trajectoire retenue en loi de finances initiale, comme dans
la loi de programmation pour les années à venir, mérite sûrement
d’être rapidement actualisée
afin d’y intégrer l’im
pact de ces dispositions nouvelles et celui de la dégradation de la
conjoncture.
Au-delà, il reste possible de répondre aux attentes qui se sont exprimées, sans renoncer aux
engagements pris devant les Français et sans renoncer à l’effort de re
dressement des
comptes publics.
Pour cela, pour alléger le poids de la fiscalité, comme pour financer des mesures nouvelles
sans recourir au déficit, notre pays doit parvenir à améliorer l’efficacité et l’efficience de ses
dépenses.
En la matière, les marges sont importantes.
Je le dis souvent : notre pays souffre en effet d’un douloureux paradoxe. Il dépense en
moyenne bien plus que ses voisins pour financer ses services publics
nous y consacrons en
effet près de 56 % de la richesse annuelle que nous produisons. Et pourtant, la performance
de ces services n’est pas toujours à la hauteur de tels moyens, comme si, en la matière,
s’appliquait une loi des rendements décroissants. Le niveau actuel de nos dépenses devrait
pourtant permettre à notre pays de bénéficier de bien meilleurs services publics.
Comment en est-
on arrivé là ? Par une certaine addiction à la dépense. Par un refus d’évaluer
,
pendant longtemps,
les politiques publiques qui sont mises en œuvre et de tenir compte de
ce
lles qui existent déjà. Par une trop longue indifférence aux résultats de l’action publique –
indifférence d’autant plus forte que, pendant longtemps, elle a pu être financée
, cette action
publique,
par l’augmentation substantielle de la dette sans que cel
le-ci ne se traduise par un
accroissement de la charge, bien au contraire.
De longue date, il perdure en France l’idée que l’augmentation des dépenses publiques
améliore nécessairement le fonctionnement des services publics et la satisfaction de nos
conci
toyens. C’est oublier que tout n’est pas qu’une question de moyens ; cela peut l’être –
bien sûr
mais les questions d’organisation, de fonctionnement
, de répartition des ressources
sont aussi essentielles.
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Face à cette addiction à la dépense, les pouvoi
rs publics, comme le législateur, n’ont trop
souvent accordé qu’une attention limitée à l’analyse de la performance des moyens publics.
Je pense ainsi au temps longtemps réduit consacré à l’examen par le Parlement de la loi de
règlement et à l’e
xécution de la loi de finances.
Cette situation est loin d’être inéluctable. C’est notre conviction. Cet état d’esprit commence
d’ailleurs à changer
-
et nous nous en réjouissons. Le Sénat et l’Assemblée nationale, au
travers des initiatives de leurs commissions des finances, accordent désormais plus de temps
à l’examen de l’exécution du budget et à celui de sa performance.
Au cours de nos instructions, nous constatons également les efforts réalisés dans de
nombreuses administrations pour engager des transformations courageuses. Nous voyons le
mérite, l’enthousiasme et le dévouement des agents du service public.
Et ceci nous pousse à
l’optimisme.
Certains de nos travaux sont d’ailleurs l’occasion de mettre en lumière de bonnes pratiques :
ici, un dispositif de redis
tribution efficace, là, le redressement financier d’un établissement en
difficulté, ailleurs encore, des économies réalisées grâce à la réorganisation d’un service
public.
Il reste cela dit encore beaucoup, tellement à faire.
Les circonstances actuelles
imposent, non pas de freiner, mais d’accélérer et de concrétiser
l’indispensable démarche de transformation de l’action publique,
non pour le plaisir de
transformer, mais pour un service public plus performant encore.
Pour ce faire, les possibilités existent ; elles sont multiples.
Du côté des recettes, des marges existent, en remettant par exemple à plat les trop
nombreuses niches fiscales et sociales qui grèvent nos ressources. Les situations de rente
créées parfois et qui nuisent à l’équité du prélèvement de l’impôt méritent, à ce titre, d’être
réexaminées dans les meilleurs délais. La lutte contre toutes les formes de fraude peut aussi
vraisemblablement être plus soutenue encore.
Du côté des dépenses, les juridictions financières mettent aussi en évidence dans leurs
travaux de nombreuses pistes complémentaires : accélérer la transition numérique des
services publics, réduire les effets d’aubaine induits par certains transferts sociaux, supprimer
les doublons de compétences entre l’État et les collectiv
ités territoriales, rationaliser
sans
dégrader leur qualité
l’organisation des services publics. Je pourrais continuer, mais vous
renvoie plutôt à l’ensemble de nos publications.
La parution dans quelques jours du rapport annuel de la Cour illustrera encore la richesse de
ce champ des possibles.
La difficulté de la tâche
que nous ne nions pas
constituera, j’en suis certain, un moteur
d’action plutôt qu’un frein qui l’empêcherait. Pour reprendr
e ainsi les mots de Sénèque : «
Ce
n’est pas parce qu’une chose est difficile que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons
pas qu’elle est difficile
». En la matière, monsieur le Premier ministre, votre volonté d’agir peut
susciter notre optimisme, conscient que vous êtes que tarder à s’en saisir peut rendre les
choses plus difficiles encore.
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***
Monsieur le Premier ministre,
Mesdames, messieurs les ministres et les parlementaires,
Mesdames, messieurs les hautes personnalités présentes,
Mesdames et Messieurs,
La fin d’année 2018 a conduit à l’expression d’attentes très fortes à l’égard de l’État, et plus
généralement, des gestionnaires publics.
Au-delà des mesures immédiates, le Gouvernement a souhaité engager un débat de fond sur
les réponses à apporter à ces fractures anciennes et profondes.
La parole est désormais aux Français dans le cadre du débat national que vient de lancer le
Président de la République.
Les juridictions financières ont naturellement vocation à contribuer, dans l’exercice de leurs
missions, à cet exercice. Au travers des travaux que nous réalisons
qu’ils concernent les
thèmes retenus par le Président de la République ou
d’autres politiques publiques –
nous
avons toujours le souci d’objectiver des constats, de formuler des recommandations concrètes
et d’éclairer les conditions de leur mise en œuvre. Nous le conserverons d’autant plus cette
année.
Pour conclure, je forme deva
nt vous quatre vœux pour 2019 :
celui que nos travaux, en continuant d’alimenter le débat démocratique, renforcent la
confiance de nos concitoyens dans l’action publique et participent utilement à la
réforme de notre pays ;
celui que les efforts de redressement de nos finances publiques et de transformation
du service public permettent à notre pays de préserver sa capacité à faire des choix
souverains dans un contexte de plus en plus incertain ;
celui que les agents publics gardent confiance, enthous
iasme dans l’accomplissement
des missions qui leur sont confiées ;
et celui, enfin et surtout dirais-je, que notre pays sache reconnaître, dans sa formidable
diversité, la richesse de ses ressources, et de ses talents afin qu’il y puise, comme il
l’a touj
ours fait, la capacité à se transformer, tout en demeurant fidèle aux valeurs qui
fondent notre République.
Très bonne année à tous et à notre pays.
Je vous remercie.