COUR DES COMPTES
Séance solennelle du 6 septembre 2004
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Allocution de M. Philippe SÉGUIN, Premier président
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Vous me faites un grand honneur, Monsieur le Président de la République, en
assistant à mon installation en qualité de Premier Président de la Cour des
comptes.
Au-delà de la bienveillance d’un geste qui consacre des liens personnels plus que
trentenaires, votre présence exprime votre fidélité à cette Juridiction, l’importance
du rôle que vous lui reconnaissez, et l’estime que vous portez à ses magistrats, à
ses rapporteurs extérieurs, à ses assistants, à ses greffiers, à ses personnels
administratifs, il est vrai tous également dévoués au bien public.
La Cour elle-même, vous l’avez bien compris, s’enorgueillit que vous l’ayez
choisie naguère, pour votre entrée au service de l’Etat et que vous demeuriez son
magistrat honoraire le plus prestigieux.
Je vous suis d’autant plus reconnaissant de la confiance que vous avez bien voulu
me faire en me plaçant à la tête de ce que j’ai moi-même toujours considéré
comme l’une des plus nobles et des plus utiles institutions de la République.
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L’expression de ma gratitude va également à Monsieur le Premier Ministre et à
Monsieur le Ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
qui ont bien voulu vous proposer cette nomination.
Monsieur le Premier Ministre, vous avez déjà honoré la Cour de votre présence
lors d’une de ses récentes séances solennelles. Vous retrouver à nouveau dans
cette Grand’Chambre a donc une signification particulière dont je veux vous dire
toute ma gratitude.
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Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie, des Finances et de
l’Industrie, votre venue est, d’abord, à mes yeux un geste d’amitié, qui me touche.
Mais sachez que la Cour est également sensible à l’attention que vous avez déjà su
lui prêter ainsi qu’à la conviction qui est la vôtre qu’elle peut et doit, plus et mieux
que jamais, contribuer à la maîtrise des finances publiques et à la définition des
moyens de la modernisation de l’Etat. Il nous est arrivé de cheminer ensemble,
Monsieur le Ministre d’Etat. Je ne doute pas que la Cour pourra se louer de ce
nouveau parcours commun.
*
Mes remerciements et l’expression de mon amitié vont également à Monsieur le
Ministre de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la
Recherche, et à Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice. Ils vont à
Monsieur le Ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat, à
Monsieur le Secrétaire d’Etat au budget et à la Réforme budgétaire, à Monsieur le
Secrétaire d’Etat à la Réforme de l’Etat.
La Cour salue également par ma voix les représentants du Conseil constitutionnel,
du Conseil d’Etat, du Conseil économique et social, de la Cour de cassation et
l’ensemble des autres hautes autorités civiles, judiciaires et militaires présentes cet
après midi. Ces autorités participent du socle de notre République. Comme la
Cour, elles s’efforcent de la bien servir.
*
On comprendra que j’aie un mot particulier pour les représentants des
Assemblées, de leurs commissions des finances et des affaires sociales.
Je note à cet égard que ce n’est que la deuxième fois qu’un ancien Président
d’assemblée parlementaire accède au poste qui est désormais le mien. J’ai été
ainsi précédé par le tout premier chef du corps, Barbé-Marbois, qui fut Premier
Président plus de 25 ans durant puisqu’il ne consentit à quitter ses fonctions qu’à
l’âge de 89
ans. Le renouvellement de son parcours sera évidement difficile si
jamais il pouvait apparaître opportun.
Voilà, du moins, qui nous rappelle, au passage, que nous aurons à célébrer en
2007, comme il convient, le bicentenaire de la création de la Cour. Dès les toutes
prochaines semaines, j’ai bien l’intention de mettre en place les structures
chargées de son organisation.
Que nous nous contentions ainsi de deux cents ans d’ancienneté pourra
surprendre, quand on sait que les origines de la Cour remontent, pour le moins, au
début du XIVème siècle...
Il y eut, de fait, solution de continuité. Elle intervint en 1791 et je ne l’évoque pas
par hasard. A cette date, l’Assemblée constituante décida de contrôler elle-même
les comptes en se faisant assister d’un bureau de la comptabilité. Quinze ans
après, s’imposait l’évidence que le jugement des comptes ne pouvait être confié
qu’à une cour souveraine, composée d’hommes rigoureux, probes et libérés des
factions. L’Empereur se résolut donc à rétablir l’institution juridictionnelle.
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Pour ma part, je souhaite avec force que l’erreur de 1791 ne soit jamais
renouvelée, même si la tentation en existe parfois. Au motif qu’une partie de nos
activités ne sont plus de nature juridictionnelle. C’est, me semble-t-il, négliger une
évidence : toute atteinte au statut de la Cour aurait pour effet d’entamer son
autorité et d’affaiblir la portée de ses interventions.
Car, l’indépendance de l’Institution est fondée sur le statut de ses membres ; sur le
caractère collégial de ses décisions ; sur le fait que - sous réserve des prescriptions
de la loi - elle est le seul maître du choix de ses contrôles, même si ses choix
doivent en permanence être guidés par la détection des enjeux politiques et
financiers les plus importants. Elle est fondée, enfin et surtout, sur l’indépendance
du rapporteur même s’il doit accepter les disciplines de plus en plus fréquentes du
travail en équipe.
Or, l’impartialité est le corollaire forcé de l’indépendance. Tout magistrat appelé à
contribuer à la formation de l’opinion de la Cour doit taire ses préférences
personnelles. Sa robe le rappelle en permanence à ce devoir. Du coup, la variété
des opinions et des origines n’est plus un risque : elle devient une richesse.
Il est vrai que la Cour ne cherche pas à réprimer. Elle ne rêve pas de se constituer
un tableau de chasse. Elle ne veut qu’aider à l’amélioration des procédures, à
l’efficacité des interventions. Bref oeuvrer au bien public.
*
J’ai déjà évoqué, d’un mot, la collégialité. Elle ne vaut pas que pour la
délibération. François Logerot, dans son ultime message, nous a justement rappelé
que l’autorité à la Cour s’y exerce d’autant plus efficacement qu’elle est le
débouché naturel du libre débat préalable. Je n’oublierai pas ce sain principe.
Même s’il faut veiller en permanence à adapter les conditions de sa mise en
oeuvre. J’aurai ainsi à coeur de poursuivre la réflexion qu’avait engagée Jean
Marmot, avant que la mort nous l’arrache, sur le fonctionnement de nos
formations délibérantes.
*
En tout cas, autant le dire : c’est précisément l’originalité de sa position qui me fit
choisir la Cour, à ma sortie d’une Ecole Nationale d’Administration dont j’ai
toujours peine à comprendre qu’on conteste l’utilité sinon l’existence. Sans doute
mon attachement est-il à la mesure des efforts qu’il me fallut consentir pour
l’intégrer. On ne m’en voudra donc pas de me souvenir de ceux qui m’ont aidé à
préparer mon concours depuis l’IEP d’Aix-en-Provence, et qui constituaient une
équipe placée sous la houlette de James Charrier, premier membre de la Cour que
je rencontrai jamais.
Vous enseigniez vous-même dans cet établissement, Monsieur le Doyen des
présidents de chambre, et dans votre allocution, aux termes choisis, dont je vous
sais gré, vous avez su évoquer cette période avec beaucoup de délicatesse. Déjà,
vous donniez de la Cour la meilleure des images. J’ai moi-même gardé de mes
échanges avec le jeune auditeur que vous étiez un souvenir intense. Nous étions
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loin de nous douter que nous les reprendrions un jour, publiquement, dans cette
Grand’Chambre.
Oui, j’avais tant de raisons de me diriger vers la rue Cambon que ma décision était
prise avant même qu’on songeât à me la suggérer. Le démarchage allait pourtant
bon train. C’est Bertrand Labrusse, aujourd’hui notre médiateur, qui jouait alors
les chefs rabatteurs avec une efficacité et une capacité de persuasion digne des
sergents recruteurs de la Marine royale britannique au XVIIIème siècle.
*
Quelques semaines plus tard, Lucien Paye procédait à mon installation comme
auditeur aux côtés de mes camarades de promotion Christian Babusiaux, Guy
Mayaud, Daniel Valot et Etienne Pflimlin. J’en étais d’autant plus ému que le
Premier Président, alors directeur de l’Instruction publique, avait été le patron de
ma mère, institutrice en Tunisie. C’est Jean Le Vert qui m’accueillit à la
quatrième chambre, où il me désigna comme mentor le regretté Jacques
Labarraque, qui avait été chargé peu auparavant de l’enquête sur la disparition des
fameuses vedettes de Cherbourg.
*
Désiré Arnaud devait bientôt succéder à Lucien Paye, emporté par une cruelle
maladie. Il m’appela à ses côtés comme chargé de mission, ce qui me valut un
travail passionnant, un demi-bureau au premier étage et un droit d’entrée
permanent dans le bureau du Premier Président. Privilège que je retrouve, un peu
plus d’un quart de siècle plus tard.
C’est là que Michel Jobert, alors secrétaire général de l’Elysée, vint me chercher,
moins sans doute pour mes mérites que parce qu’il avait été ému de découvrir
qu’il avait côtoyé mon père dans les rangs de cette Armée d’Afrique, que vous
avez si justement célébrée, il y a quelques jours, Monsieur le Président de la
République
....
*
Si j’ai ensuite été tenu longtemps éloigné de la Cour, avant de retrouver sa
cinquième chambre, je n’ai pas manqué de suivre son évolution, et parfois même,
fût-ce indirectement, d’y contribuer.
Je sais ainsi que Bernard Beck sut associer la Cour à la préparation des textes
d’application de la loi portant création des chambres régionales. Chambres que
Jean Rosenwald mit en place en proposant la désignation de leurs présidents et en
décidant du recrutement et de l’affectation de leurs conseillers.
*
Voilà qui fait qu’on n’installe pas seulement aujourd’hui le Premier Président de
la Cour. On installe aussi le président du conseil supérieur des chambres
régionales des comptes. Et à ce titre, je veux dire ma volonté de garantir la
cohérence et l’unité des juridictions financières.
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Il se trouve que, dans les mois qui viennent, le champ d’action des chambres est
appelé à s’étendre. En effet, les domaines de compétence des départements et des
régions ont été accrus. Les chambres régionales pourraient ainsi être conduites à
examiner, dans le cadre de leurs missions, des politiques publiques majeures,
jusqu'ici contrôlées par la Cour, notamment dans les domaines de l'action sociale,
des transports ou de l'éducation.
Cela doit nous inciter à développer encore la coopération entre chambres
régionales afin de mieux appréhender la mise en oeuvre des politiques publiques
dans plusieurs collectivités,
mais aussi pour mieux utiliser les moyens
budgétaires et humains qui leur sont confiés. Par ailleurs, la relation étroite entre
les politiques publiques menées aux plans local et national imposera, plus encore
que par le passé, une collaboration permanente entre la Cour et les chambres
régionales.
Les contrôles et travaux communs entre nos juridictions seront sans doute rendus
plus aisés par le projet de loi qui prévoit la création de délibérés conjoints entre
plusieurs chambres régionales ou territoriales ou entre celles-ci et la Cour. Il nous
reviendra de donner à ce texte sa pleine ampleur en oeuvrant ensemble aux travaux
d’intérêt commun.
Enfin, les chambres régionales et territoriales, comme le fait la Cour à l’égard du
Parlement, devront avoir l’ambition d’apporter des réponses utiles et concrètes
aux
gestionnaires locaux, en se prononçant par exemple sur la fiabilité de leurs
comptes. Elles contribueront, ainsi, dans le respect des textes, à l’amélioration de
la gouvernance locale.
*
La création des chambres régionales ne fut pas sans conséquences sur
l’organisation et le fonctionnement de la Cour.
André Chandernagor sut les gérer avec beaucoup de tact. Parallèlement, il oeuvra à
la modernisation matérielle de la maison et il incita la Juridiction à aborder des
grands sujets d’actualité.
*
C’est à cette époque, si je me souviens bien, Madame le Procureur général, que
nos chemins se croisèrent et que je fus assez convaincant pour vous faire accepter
des fonctions hors la Cour.
Ce souvenir me donne l’occasion de vous remercier de vos propos et de vous dire
l’honneur et le plaisir que je ressens d’avoir été installé sur vos réquisitions. Je me
réjouis que l’occasion nous soit donnée de travailler à nouveau ensemble, car je
n’ai eu qu’à me louer d’avoir proposé, au Premier Ministre Jacques Chirac, il y a
quelques années, de vous nommer, à mes côtés, Déléguée à la condition féminine.
Vous y avez remarquablement réussi. Comment s’étonner dès lors que, sous votre
impulsion, le Parquet ait confirmé le rôle irremplaçable qu’il joue dans cette
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Maison certes, mais également dans l’ensemble du système des juridictions
financières ?
Madame le Procureur général, soyez assurée que vous pourrez compter sur moi
pour poursuivre l’action que vous avez légitiment lancée en compagnie de
François Logerot pour redéfinir le régime de responsabilité des ordonnateurs et
des comptables.
Je pense comme vous, comme Monsieur le Doyen des présidents de chambre,
qu’il s’agit là d’une réforme indispensable. Le dispositif actuel aura fonctionné
plus d’un siècle et demi. Il n’est pas anormal qu’il soit à bout de souffle.
La responsabilité du comptable s’est atténuée ; tandis que la distinction de
l’ordonnateur et du comptable était battue en brèche par l’évolution technique, le
recours aux opérateurs extérieurs ou encore l’institution d’une comptabilité en
droits constatés.
Or la liberté d’action accrue qui va être donnée aux gestionnaires à la faveur des
nouvelles règles du jeu budgétaire les met en situation d’exposer leur
responsabilité. Il faut que ce soit de manière visible et effective tout en s’efforçant
d’éviter une pénalisation croissante de l’action publique.
Ces idées cheminent. Mais lentement. Pour en accélérer le rythme, nous
organiserons un grand colloque sur ces questions de responsabilité auquel seront
invités à prendre part l’ensemble des responsables, des praticiens et des
universitaires concernés.
*
Ce n’est pas tout. Je voudrais dire aussi, devant Monsieur le Ministre d’Etat, mon
adhésion à l’idée du nécessaire allègement des contrôles obligatoires, dont la
charge pour la Cour est disproportionnée par rapport aux enjeux financiers qu’ils
impliquent. La Cour, qu’on taxe parfois hâtivement de conservatisme, a proposé
un système original fondé sur la notion de prescription acquisitive : au-delà d’un
certain délai, le comptable serait automatiquement déchargé, sauf si les
juridictions financières souhaitaient effectuer un contrôle juridictionnel adapté.
J’espère fermement que cette proposition pourra être prochainement examinée.
*
Dans la mesure où cette initiative contribuerait à recentrer la Cour sur l’essentiel,
je ne doute pas que Pierre Arpaillange, qui succéda à André Chandernagor,
l’approuverait, lui qui apporta à la Cour le poids de son expérience judiciaire et
qui eut encore le mérite, à la lumière de celle-ci, de commencer à renforcer la
rigueur de nos procédures contradictoires et le strict respect des droits de la
défense.
*
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Quant à Pierre Joxe, dont je salue la présence, outre qu’il sut mettre son propre
charisme au service de celui de la Cour, il accrut encore le rythme de
modernisation de cette Maison.
Il oeuvra puissamment, aussi, à son rayonnement international. Ses efforts ayant
été prolongés par son successeur, la Cour, aujourd’hui, fait mieux que tenir son
rang au niveau européen : elle conduit en outre une coopération très active avec
les institutions supérieures de contrôle francophones. Enfin, elle détient jusqu’en
2010 un mandat de commissaire aux comptes de l’ONU - et prochainement
d’INTERPOL – associant, dans une oeuvre commune, des membres de la Cour,
des chambres régionales, des experts des ministères ainsi que des collègues des
institutions francophones.
Il est reconnu que l’indépendance de jugement et l’expérience des équipes de la
Cour contribuent à renforcer la transparence du contrôle des organisations
internationales, notamment par les rapports publics portés à la connaissance des
Etats membres.
Le constat est d’autant plus réjouissant que tout cela n’est pas sans profit pour
nous. Le mandat contribue, en effet, utilement, à l’ouverture de la Cour aux
normes internationales d’audit et de certification des comptes. D’ores et déjà, un
transfert de savoir-faire a été opéré entre les équipes ONU et celle chargée à Paris
de la mise en place de la certification des comptes de l’Etat, grâce notamment à
l’introduction d’un progiciel d’aide informatique aux contrôles.
Pierre Joxe eut un autre grand mérite : celui de renforcer la coopération de la Cour
avec le Parlement, tout en veillant - je peux en témoigner, pour avoir été, si j’ose
dire, son correspondant, à l’époque - à ce qu’on ne se méprenne point sur son rôle.
Je pense moi-même que la Cour remplit désormais de manière satisfaisante son
rôle d’auxiliaire du Parlement et qu’elle doit continuer à demeurer à équidistance
entre l’exécutif et le législatif. Elle n’a vocation à être l’annexe ni de l’un ni de
l’autre. Je me souviens l’avoir dit lors du colloque que Pierre Joxe m’avait invité à
introduire en 1996 sur les relations entre la Cour et le Parlement. Et je me réjouis
que le Conseil constitutionnel ait confirmé cette analyse.
*
L’hommage que je dois maintenant à François Logerot ne relève pas que de la
courtoisie. Il se fonde sur la reconnaissance d’un bilan considérable.
Il suffirait pour s’en convaincre de citer quelques uns des textes intervenus au
cours des quatre années de sa Première présidence et qui figurent aujourd'hui, en
bonne place, dans le code des juridictions financières.
Je pense aux dispositions statutaires concernant notamment les magistrats des
chambres régionales, à la transmission aux commissions des finances des
assemblées des communications de la Cour aux ministres, aux possibilités
nouvelles de délégation par la Cour aux chambres régionales de l'examen des
comptes et de la gestion de certains organismes.
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Je n’oublie pas non plus qu’un statut d'emploi a été créé pour les rapporteurs à
temps plein, que la situation des assistants a été précisée, que plusieurs textes
importants relevant de la compétence propre du Premier président ont défini les
procédures de la Cour sur des points essentiels.
Je me permets de rappeler que parmi les textes que François Logerot a initiés
figure un projet de statut des magistrats de la Cour. Ce projet a été transmis, il y a
déjà plusieurs mois, à la direction générale de la fonction publique. Je serais
infiniment reconnaissant à Monsieur le Ministre de la Fonction publique et de la
réforme de l’Etat de bien vouloir demander à ses services de donner toute leur
mesure pour que ce texte puisse enfin être soumis au Parlement.
A toutes ces initiatives, qui eussent suffi à remplir un mandat de Premier
président, s'est ajoutée la
mise en place des dispositifs et procédures intéressant la
certification des comptes de l'État. La Cour sera ainsi en ordre de bataille pour
assurer cette tâche nouvelle qu'elle aura à exercer pleinement sur les comptes
2006.
Ainsi François Logerot laisse à son successeur un terrain précisément balisé.
Et je ne saurais mieux situer ce qu’a été son rôle qu’en disant que ma priorité sera
de poursuivre les chantiers qu’il a ouverts et de continuer à mettre en oeuvre les
orientations stratégiques qu’il nous a aidé à définir nous-mêmes, au terme d’une
longue réflexion et d’un réel débat qu’il eut la détermination et la patience
d’animer.
Mes chers collègues,
Je souhaite ainsi continuer la recherche d’une solution à nos problèmes
immobiliers. Si l’on me permet de détourner une formule chère au Procureur
général Pierre Moinot, je dirais en effet volontiers que les conditions de notre
installation matérielle ne sont pas qu’anciennes, elles ont beaucoup vieilli. Certes
un parfum d’austérité ne messied jamais à la Cour. Mais il y a des limites à tout.
Le problème est qualitatif : la distribution des surfaces et leur mode
d’aménagement pourraient être rediscutés. Il est aussi quantitatif : nous devons
tirer les conséquences des augmentations d’effectifs liées à l’apparition de
nouvelles tâches.
Or, il existe dans l’enceinte du Palais Cambon, un magnifique bâtiment, joyau
quasi unique en Europe de l’école d’architecture de Chicago. Ce bâtiment, à un jet
de pierre de la Concorde, sert pour l’essentiel d’entrepôt pour nos liasses. Il y a là
un vrai gâchis et une grande chance. Il me paraît très nécessaire d’ouvrir sans
tarder le processus permettant de transformer cet immeuble en lieu de travail
adapté.
Car un grand travail nous attend.
Nous avons à répondre aux nouvelles exigences posées par la loi organique du 1
er
août 2001 - la fameuse LOLF - sur deux terrains essentiels : la certification et
l’appréciation de la performance. Nous savons que M. le Premier Ministre et M. le
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Ministre d’Etat y sont d’autant plus attentifs que ce qui est en jeu est rien moins
qu’un véritable changement de culture.
Je ne crois d’ailleurs pas sortir de mon rôle en disant que le risque serait que les
nouvelles règles du jeu ne concernent vraiment qu’une minorité de spécialistes.
Un grand effort de mobilisation et de pédagogie est nécessaire, à tous les niveaux,
et du côté du législatif et du côté de l’exécutif.
De la réalité de cet effort dépend que la LOLF ne soit, au final, qu’une fantaisie
technocratique ou une double et importante avancée dans la voie d’une démocratie
plus vivante et dans le sens d’une réforme significative de l’Etat.
Pour ce qui nous concerne, il faudra que nous nous persuadions que la
certification ne constituera pas une révolution dans les pratiques de la Cour. La
Cour ne découvre pas les comptes de l’Etat. La certification implique seulement
une adaptation de ses méthodes, un investissement initial que mon prédécesseur a
largement entamé et une organisation interne adaptée. Elle exige aussi des moyens
qui ont été demandés et dont j'espère que la Cour continuera à les obtenir, car à
défaut, elle en serait réduite à procéder comme les commissaires aux comptes
privés : elle devrait adapter ses diligences aux moyens dont elle dispose.
Quant à ceux qui continueraient à douter de l’utilité de l’exercice, je voudrais dire,
pour les rassurer, que si la Cour aura à exprimer une opinion sur les comptes à la
lumière des normes de comptabilité, elle sera amenée également à exprimer des
positions sur les normes elles-mêmes qui conditionnent la fidélité de l'image
donnée par les comptes. De même, l’examen des états financiers de l’Etat devrait
être pour la Cour l’occasion, non seulement d’apprécier les évaluations proposées
dans les comptes, mais aussi de procéder à un examen détaillé des systèmes de
gestion et de contrôle mis en oeuvre.
C’est assez dire que l’exercice de la certification, bien conçu, non seulement ne
nous détournera pas de notre mission centrale de contrôle du bon emploi des fonds
publics, mais renforcera notre capacité à la conduire de manière approfondie.
*
Et justement c’est une invitation au contrôle de la performance et à l’évaluation
des politiques publiques que nous adresse par ailleurs la loi organique.
Je ne doute pas que la Cour saura y répondre. Après tout, comme M. Jourdain
faisait de la prose, cela fait longtemps que la Cour évalue les performances des
politiques publiques sans toujours, il est vrai, oser le reconnaître.
En nous engageant dans l’évaluation, nous resterons au coeur de nos
responsabilités.
Certes, nous aurons à nous souvenir que la Cour est un organisme de contrôle et
non un organisme d'étude. C'est d’ailleurs cela même qui justifie ses pouvoirs
d'investigation. Ses travaux n'ont pas pour objet de faire avancer la science mais
de déterminer très prosaïquement « ce qui marche ou ce qui ne marche pas » et, le
cas échéant, selon la formule ancienne, d’exprimer des « vues de réforme ».
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Nous devons rester également persuadés que l'appréciation des politiques
publiques est un exercice difficile. On raisonne aujourd'hui avec beaucoup de
raffinement sur la définition des indicateurs de ces politiques. Mais tout
responsable sait que l'action publique ne s'enferme pas toujours dans une demi-
douzaine de données chiffrées. Certains des objectifs ne sont d’ailleurs pas
chiffrables. Nos travaux, tout en étant fidèles à la lettre des modes d’emploi,
devront être également imprégnés de cette sensibilité à la complexité dont il nous
appartient de démêler les fils.
Enfin, il nous faudra rester modestes dans l'expression de nos opinions. Nous ne
sommes pas juges de l'opportunité des politiques publiques. Nous avons à
apprécier les moyens de ces politiques et tenter d’en évaluer les résultats. C’est
déjà une grande responsabilité, d’autant que la description des faits suggère
souvent la conclusion sans qu'il soit besoin de commentaires. Constater qu'il ne
passe personne sur un pont construit à grands frais porte en soi le jugement sur la
dépense.
Mes chers collègues,
Soyons bien conscients de ce qui est attendu de la Cour.
Le bilan, par exemple, des enseignements tirés de nos contrôles, pour éclairer une
opinion encore trop sceptique sur l’efficacité de nos interventions.
Mais il y a, évidemment, plus encore
....
Comme jeune magistrat, avec d’autres ici, j’ai connu la fin des trente glorieuses,
caractérisées par une population jeune, un taux de croissance élevé, un chômage
faible, des économies relativement protégées. Le bon emploi des fonds publics
était, comme aujourd'hui, une affaire de morale collective ; il était, moins
qu'aujourd'hui, une question d'efficacité économique. Parce qu’on avait les
moyens.
Plusieurs facteurs ont modifié ce décor. La mondialisation, l’apparition de
nouvelles concurrences, le déclin démographique européen, une croissance moins
forte avec, en fin de compte, la montée du chômage.
Les marges financières des collectivités publiques en sont devenues plus étroites.
Les finances publiques sont désormais soumises à des contraintes d'équilibre
d’autant plus strictes que les systèmes de prélèvements obligatoires entrent en
concurrence. Ceci à un moment où les besoins de redistribution sont loin de faiblir
avec le vieillissement de la population, la nécessité de subventionner un travail
non qualifié en concurrence directe avec celui des pays émergents, et celle de
compenser de nouvelles inégalités favorisées par l’ampleur et la rapidité des
changements.
A cela s'ajoutent des besoins en matière de services et d'investissements publics
qu'il revient aux collectivités publiques de satisfaire, non seulement pour le bien-
être de la population mais parce que la concurrence internationale ne joue pas
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seulement entre des économies mais entre des systèmes sociaux pris dans leur
globalité.
C’est dire que la donne est bouleversée. Plus que jamais, les responsables publics
ont besoin de voir leurs choix éclairés par les juridictions financières.
En d’autres termes, si la Cour n’existait pas, c’est maintenant qu’il faudrait
l’inventer.
Alors, mes chers collègues,
Souvenons-nous de ce que nous disait il y a huit ans, ici même, le chef de l’Etat.
Je prends la liberté de le citer :
« A l’heure où les prélèvements obligatoires, au-delà de la fiscalité pure de l’Etat,
atteignent des niveaux sans précédent et où les déficits publics fragilisent notre
pays, la Cour des comptes doit être l’aiguillon d’un Etat moins dépensier et plus
efficace. Les Ministres, comme le Parlement, ont besoin de son concours éclairé
pour désigner l’absence d’objectifs clairs dans les politiques publiques, les
défaillances observées dans les organisations et les procédures, les résultats par
trop médiocres ou insuffisants. »
Nous ne pouvons espérer meilleure feuille de route.
Mes chers collègues,
Je viens de vous et vers vous je reviens. Je le fais avec fierté et conscient des
attentes et des aspirations qui sont les vôtres, qui sont les nôtres. Soyez assuré que
je m’y consacrerai avec toute l’énergie, mais aussi l’enthousiasme nécessaires.
Monsieur le Président de la République, vous avez bien voulu accepter que je
préside aux destinées de la Cour.
Je puis vous assurer que consciente de sa responsabilité, elle ne décevra ni votre
confiance ni celle des Français.
* *
Je vais lever la séance. Mais je prie Mesdames et Messieurs les magistrats ainsi
que les membres du public de bien vouloir demeurer quelques instants à leur place
afin de nous permettre à Madame le Procureur général et moi de raccompagner M.
le Président de la République, M. le Premier Ministre, MM. les Ministres ainsi
que les autres personnalités que je remercie à nouveau de leur présence, en notre
nom à tous.
La séance est levée.
* * * *