2
L’Etat face aux enjeux industriels et
environnementaux : l’exemple des mines d’or
de Salsigne
_____________________
PRÉSENTATION
_____________________
Dans le cadre de l’enquête qu’elle a consacrée au réseau des
directions
régionales
de
l’industrie,
de
la
recherche
et
de
l’environnement (DRIRE), la Cour des comptes a procédé à une analyse
spécifique de la gestion par les pouvoirs publics des enjeux financiers,
sociaux et environnementaux qui s’attachent aux mines d’or de Salsigne
(Aude).
Aujourd’hui exploitée par une société privée, l’unique mine d’or
encore en activité sur le territoire national sera fermée en 2004.
L’extraction de l’or produisant des déchets à forte composante en
arsenic, le site est aujourd’hui, selon le ministère de l’écologie et du
développement durable, l’un des plus pollués de France.
Or, depuis l’intervention du bureau de recherche géologique et
minière (BRGM) en 1980, l’Etat, directement ou par l’intermédiaire de
ses établissements publics,
a joué
un rôle majeur à Salsigne : de garant
de la législation minière et environnementale, il est devenu exploitant
puis maître d’ouvrage et principal financeur de la réhabilitation du site.
A l’heure où s’achève l’exploitation de la mine, la Cour dresse le
bilan de plus vingt ans de politique industrielle et environnementale à
Salsigne.
Ce bilan montre la difficulté pour l’Etat d’arbitrer entre les
impératifs sociaux de soutien à l’emploi et la nécessaire prise en compte
du coût environnemental associé à la poursuite d’une activité polluante.
Surtout, il met en évidence les insuffisances de la législation en matière
de sites et sols pollués : en cas de défaillance de l’exploitant, c’est à
l’Etat qu’incombe, dans les faits, la réhabilitation du site, faisant peser
une lourde charge sur les finances publiques. Une insuffisance révélée
par l’exemple de Salsigne, mais dont la fermeture des usines de
Metaleurop Nord à Noyelles-Godault
a montré qu’il ne s’agissait pas
d’un cas isolé
.
Aussi la Cour se félicite-t-elle
de la récente évolution de
la législation dans le sens d’un renforcement des garanties exigées des
acteurs économiques mise en oeuvre par la loi du 30 juillet 2003 relative
à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation
des dommages. Il faudra veiller à ce que son application soit effective.
I
–
Vingt ans de politique industrielle
et
environnementale à Salsigne : coûts
et
dysfonctionnements
A
–
Un site industriel en crise chronique, un bilan
environnemental très dégradé
1
–
Les exploitants successifs
Le site de Salsigne est situé dans le département de l’Aude, au
nord de Carcassonne et au pied de la Montagne Noire. Il s’étend sur cinq
communes : Salsigne, Villanière, Lastours, Limousis et Sallèdes-
Cabardès. Sur le plan géologique, il s’agit d’un site très complexe qui
comporte des accumulations de minéraux sulfurés contenant divers
métaux (fer, cuivre, or) ainsi que de l’arsenic et du bismuth.
L’exploitation du minerai de fer dans la Montagne noire est pluri-
séculaire. En 1892, de l’or a été découvert sur ce site. La Société des
mines et produits chimiques de Salsigne (SMPCS) a été créée en 1924 par
des capitaux franco-belges. Au milieu des années 1950, la SMPCS a été
en partie rachetée par la société canadienne Cunningham Dunlop, via sa
filiale Cheni SA.
Confrontée à des difficultés financières croissantes, la SMPCS
cesse ses activités en 1979. Faute de trouver un repreneur privé, le cabinet
du ministre de l’industrie organise alors la reprise de ses activités par le
BRGM dans le cadre d’un montage complexe : sa filiale COFRAMINES
rachète 100 % de Cheni SA, qui détient elle-même 47 % de la SMPCS,
dont le BRGM devient ainsi le principal actionnaire.
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Des difficultés techniques, des erreurs stratégiques et la chute des
cours de l’or en 1990 conduisent au dépôt de bilan de la SMPCS. Le
tribunal de commerce de Carcassonne prononce la mise en liquidation de
la société le 3 février 1992.
Conformément aux ordonnances du tribunal de commerce de
Carcassonne, trois sociétés reprennent alors les activités de SMPCS :
- L’activité minière à proprement parler - deux mines d’or, l’une à
ciel ouvert, l’autre souterraine, correspondant aux concessions de
Salsigne et Villanière - est confiée à la société des mines d’or de Salsigne
(MOS), filiale de groupes miniers australiens. Cette solution permet la
reprise des anciens salariés, soit 175 personnes. En plus des deux mines
d’or, MOS devient propriétaire de l’essentiel des terrains détenus par la
SMPCS, ce qui inclut des sites anciennement exploités et fortement
pollués.
- Le retraitement en pyrométallurgie
19
du minerai extrait des mines
de Salsigne est confié à ECO-UNION. Spécialisée dans le traitement des
déchets, cette société créé une filiale à partir de capitaux franco-
allemands, la société d’exploitation de la pyrométallurgie de Salsigne
(SEPS). Les activités de la SEPS sont implantées à proximité des deux
mines d’or, sur le lieu-dit La Combe du Saut, dans le bassin versant de
l’Orbiel, cours d’eau affluent de l’Aude. La solution SEPS permet la
reprise des anciens salariés de la pyrométallurgie, soit 120 personnes.
- L’exploitation des « haldes », des résidus miniers contenant
encore un faible pourcentage d’or, est confiée à la société en nom
collectif Lastours (SNC Lastours), dont les capitaux sont français,
américains et suisses.
19
) La pyrométallurgie engendre une transformation des sulfures en oxydes et permet
une séparation entre les éléments volatils (soufre, arsenic, bismuth, plomb, cadmium)
et les éléments qui le sont moins (fer, silicium, aluminium, cuivre, argent et or).
Les exploitants successifs du site de Salsigne
1924 : SMUS
Changement d’appellation
Exploitation
de la Mine et
pyrométallurgie
1966 : SMPCS
1980 : Rachat par COFRAMINES
(BRGM)
Traitement des
1989 : SNC
SMPC
stériles anciens par
Lastours
cyanuration =
« Monitoring »
1992 : SEPS
SMPCS
Exploitation de la
Exploitation
pyrométallurgie
minière
SNC Lastours
SEPS
MOS
Cessation
Dépôt de bilan
d’activités
Site orphelin
Aujourd’hui :
MOS
ADEME
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Ces trois sociétés ont connu depuis lors une évolution chaotique.
SNC Lastours a cessé son activité en 1997, cédant alors l’essentiel
de ses terrains, restés fortement pollués, à MOS.
Déficitaire dès 1993, la SEPS a été mise en liquidation judiciaire le
19 février 1996, entraînant le licenciement des 100 salariés de la société.
MOS a été admise en redressement judiciaire en juillet 1999. Une
période d’incertitude s’est alors ouverte, MOS poursuivant ses activités
dans l’attente d’un éventuel repreneur. Un jugement du tribunal de
commerce, confirmé par la Cour d’appel de Montpellier le 24 octobre
2000, a permis à MOS de sortir de l’état de redressement judiciaire dans
le cadre d’un plan de continuation de quatre ans. Une convention a
ensuite été passée le 11 juillet 2001 entre le ministre en charge de
l’industrie, la société et ses actionnaires. Cette convention prévoit la mise
à l’arrêt définitif de la mine en 2004. En 2003, MOS employait encore
170 salariés à Salsigne.
L’ensemble des activités minières ou liées à la mine auront donc
cessé à cette date, mettant un terme à un exploitation industrielle plus que
centenaire du site de Salsigne.
2
–
Le bilan environnemental et sanitaire
Au moment où s’achève l’exploitation des mines de Salsigne, les
principales
nuisances
environnementales,
selon
les
informations
recueillies par la Cour, sont les suivantes :
- grave atteinte au paysage sur les sites industriels : bâtiments liés à
l’activité minière et à la pyrométallurgie à démonter ; déchets
tantôt confinés dans des hangars de fortune, tantôt entassés à l’air
libre dans des « plages » prévues à cet effet ; terrils hérités
d’anciennes activités industrielles dans la Montagne noire ;
- pollution durable des sols à l’arsenic, interdisant un usage autre
qu’industriel du site ;
- pollution des eaux de l’Orbiel à l’arsenic, qui les rend impropres
à la consommation domestique comme à l’arrosage (20
communes concernées, 10 000 habitants) ;
- arrêtés préfectoraux d’interdiction de la commercialisation du
thym et des légumes-feuilles du fait des dépassements réguliers
des taux d’arsenic admissibles relevés dans ces plantes (5
communes concernées, 3800 habitants).
Les données épidémiologiques sont plus difficiles à établir.
Principal polluant présent sur le site industriel, l’arsenic peut avoir un
effet immédiat d’empoisonnement en cas d’ingestion. Selon des données
transmises par la préfecture de l’Aude, plusieurs intoxications sont
intervenues entre 1965 et 1970, dont l’une au moins a entraîné un décès.
L’exposition à l’arsenic peut aussi favoriser le développement de
pathologies graves et en particulier de cancers. A partir de novembre
1995, la DDASS de l’Aude a saisi le Réseau national de santé publique
(RNSP, devenu depuis Institut de veille sanitaire) pour procéder à une
évaluation des conséquences sanitaires de la pollution d’origine
industrielle de Salsigne. Les résultats des deux enquêtes
20
, qui ont été
actualisés en 2001, indiquent :
- s’agissant de la période passée : un taux anormalement élevé de
cancers respiratoires chez les hommes et de cancers digestifs
chez les femmes de la vallée de l’Orbiel, qui s’explique autant
par une exposition professionnelle sur le site industriel
qu’environnementale, dans l’ensemble de la vallée ;
- s’agissant de la période actuelle : une surexposition des résidents
à l’arsenic, mais de faible amplitude et sans doute moins forte
que par le passé ; la surexposition semble toutefois plus
importante pour les enfants de mineurs et de viticulteurs, en
raison de risques de consommation domestique des produits du
jardin, de l’eau de puits et de vin de production locale.
Ces différents éléments montrent que, si le degré de pollution du
site tend à diminuer, ses effets passés ont pu être très graves. Par ailleurs,
la réhabilitation du site industriel et la dépollution des eaux de l’Orbiel,
désormais engagées, exigeront des financements importants.
B
–
Les risques liés à l’intervention du BRGM (1980-
1992) ont été sous-estimés par l’Etat
C’est au cours de l’année 1979-80 que l’Etat est intervenu pour la
première fois de façon significative à Salsigne, mine jusqu’alors détenue
par des capitaux privés.
Or, en décidant la reprise de la SMPCS par le BRGM via sa filiale
COFRAMINES, l’Etat a sous-estimé plusieurs risques.
20
) L’enquête de mortalité se fonde sur des données épidémiologiques concernant la
population de la vallée de l’Orbiel entre 1968 et 1994. L’enquête d’exposition a été
menée en octobre 1997 auprès de 681 personnes, sélectionnées par tirage au sort à
partir d’une base de sondage actualisée fournie par les mairies, dans 24 communes.
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–
Le risque économique
Le premier risque était d’ordre économique. Saisis en avril 1979 de
l’intention du ministère en charge de l’industrie d’organiser la reprise de
la SMPCS par COFRAMINES, tous les administrateurs représentant les
intérêts privés ainsi que le directeur général du BRGM et le sous-
directeur du Trésor avaient souligné la non viabilité du projet et les
difficultés qu’aurait l’Etat à se désengager de la mine en cas d’échec.
Ainsi, lors du conseil d’administration du 15 janvier 1980, un
administrateur privé affirmait-il que
«l’acquisition et le contrôle de la
mine de Salsigne n’est pas dans le droit fil de la mission envisagée pour
COFRAMINES lorsque cette société a été conçue. Cette mission
consistait essentiellement à aider à la réalisation de projets résultant des
travaux du BRGM. Or la mine d’or de Salsigne est exploitée depuis plus
de 50 ans. De surcroît, il est apparu que le souci de l’emploi des mineurs
l’emportait, dans l’esprit des pouvoirs publics, sur les préoccupations
économiques. Dans ces conditions, l’affaire aurait plutôt dû être orientée
vers un groupe minier français privé. Si l’épuisement du gisement
exploitable, non impossible d’ici dix années, ou une quelconque évolution
économique, venaient à nécessiter
une décision de fermeture, un
exploitant privé serait beaucoup moins mal placé, pour éviter d’être
obligé de déverser sa fortune dans Salsigne, que COFRAMINES, dont
tous les actionnaires relèvent de l’Etat ».
Aux réticences des administrateurs privés, le gouvernement de
l’époque a opposé la nécessité d’assurer un contrôle français sur la mine,
qui, en l’absence de repreneur privé, ne pouvait être que public. D’un
point de vue social, il s’agissait de préserver 300 emplois dans une région
déshéritée. D’un point de vue économique, le pari a été fait que la hausse
du cours de l’or pourrait compenser les investissements à réaliser sur le
site et sa faible rentabilité : comme l’explique l’adjoint au commissaire du
gouvernement, « l’intérêt porté par COFRAMINES, qui bénéficie
aujourd’hui, en contrepartie des risques pris, d’une conjoncture favorable
des cours de l’or, répond au souci du gouvernement d’assurer un contrôle
français sur cette mine dont l’importance régionale n’échappe à
personne.»
21
Le conseil d’administration du 15 janvier 1980 a ainsi
entériné le principe d’une reprise des activités de la SMPCS par
COFRAMINES.
Au terme d’une gestion chaotique, le tribunal de commerce de
Carcassonne a prononcé le 3 février 1992 la mise en liquidation de la
SMPCS. Pour le BRGM, la reprise de la SMPCS s’est traduite par une
perte cumulée de 76,22 M€ depuis 1980. Le montant de la perte inclut la
21
) Selon le PV du conseil d’administration de COFRAMINES du 15 janvier 1980.
condamnation, devenue définitive le 6 février 2001, de l’ensemble des
actionnaires à verser une somme de 30,49 M€ en comblement de passif
de la liquidation de la SMPCS. Depuis 1992, le BRGM, COFRAMINES
et CHENI SA sont engagés dans de multiples procédures judiciaires
contre le liquidateur de la SMPCS : ces procédures n’ont toujours pas
abouti. En outre, une entreprise étrangère, actionnaire privé minoritaire de
CHENI SA, tient le BRGM pour seul responsable des erreurs de gestion
ayant mené à la faillite de la SMPCS, laquelle a dévalorisé sa
participation dans Cheni : à ce titre, un risque de contentieux existe entre
le BRGM et KIC.
2
–
Le risque environnemental et ses conséquences financières
Le risque environnemental qui s’attachait à la poursuite de
l’activité minière n’a pas davantage été pris en considération par l’Etat en
1980.
A cette date, le caractère fortement polluant de l’activité minière
était pourtant connu des pouvoirs publics locaux. Plusieurs graves
intoxications à l’arsenic ayant été constatées entre 1965 et 1970 dans la
vallée de l’Orbiel, le préfet de l’Aude avait depuis lors interdit la
consommation des eaux de puits en provenance de l’Orbiel ainsi que la
vente des légumes irrigués avec ces eaux.
Outre les risques sanitaires pour les riverains, la dimension
environnementale du dossier de Salsigne n’était pas sans incidence
financière pour l’exploitant. En vertu de la législation sur les installations
classées alors en vigueur (article 34 du décret du 21 septembre 1977 pris
pour l’application de la loi du 16 juillet 1976 relative aux installations
classées pour la protection de l’environnement), l’exploitant a une
obligation de « remise en état » du site lorsqu’il cesse ses activités. En cas
de succession d’exploitants, le dernier exploitant reprend à son compte le
passif environnemental de son prédécesseur. De même, la loi n°75-633 du
15 juillet 1975 relative aux déchets impose à tout producteur de déchets
d’en assurer l’élimination
22
. En faisant intervenir le BRGM sur le site via
l’une de ses filiales, l’Etat l’exposait donc au risque de se retrouver
22
) Art. 2 codifié L 541-2 :
« Toute personne qui produit ou détient des déchets dans
des conditions de nature à produire des effets nocifs sur le sol, la flore et la faune, à
dégrader les sites ou les paysages, à polluer l’air ou les eaux, à engendrer des bruits
et des odeurs et, d’une façon générale, à porter atteinte à la santé de l’homme et à
l’environnement, est tenue d’en assurer ou d’en faire assurer l’élimination
conformément aux dispositions du présent chapitre, dans des conditions propres à
éviter lesdits effets ».
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financièrement responsable de sa réhabilitation ultime et de l’élimination
des déchets qui y étaient produits ou entreposés.
Ce risque n’était pas que théorique. Mais, c’est à l’Etat lui-même,
et non au BRGM, qu’il a fini par échoir. En 1992, lors de sa cessation
d’activité, la SMPCS a en effet laissé plus de 60 000 tonnes de déchets
arséniés sur le site de l’exploitation pyrométallurgique. Lors de la réunion
interministérielle du 29 janvier 1993, les représentants du ministre de
l’économie et des finances ainsi que celui du budget ont plaidé pour que
l’Etat, en lieu et place du BRGM, soit déclaré responsable des 60 000
tonnes de déchets abandonnés sur le site : « Les ministres de l’économie
et des finances et du budget ne contestent pas la nécessité de rétablir le
site. Ils excluent que la responsabilité en revienne au BRGM, qui n’en a
pas les moyens financiers. Une prise en charge par le budget de l’Etat est
incontournable. Elle ne doit pas transiter par le budget du BRGM, ce qui
engagerait sa responsabilité et accroîtrait le risque de comblement de
passif qui pèse sur lui »
23
. En dépit des réticences du représentant du
ministre en charge de l’environnement, favorable à une prise en charge
directe par le BRGM, cette solution a été finalement retenue.
Ainsi, après avoir entraîné le BRGM dans une affaire qui n’était
pas rentable et qui, de surcroît, pouvait nuire à son image, l’Etat se voyait
dans l’obligation de protéger l’établissement public de toute action visant
à l’impliquer dans la prise en charge du passif, tant économique
qu’environnemental, de la SMPCS. Ce faisant, il acceptait d’assumer sur
ses deniers propres le coût de la mise en sécurité et du retraitement des
déchets, évalués lors de la réunion interministérielle de janvier 1993 à
15,24 M€.
En sous-estimant les risques économiques et environnementaux de
la reprise de l’activité minière de Salsigne par une filiale du BRGM,
l’Etat a commis une erreur stratégique majeure dont il a lui-même dû
assumer les conséquences. C’est aussi ce que montre l’épisode de la
SEPS.
C
–
Agissant pour le compte de l’Etat, l’exploitant
privé SEPS (1993-1995) a aggravé la pollution du site
Ayant reconnu sa responsabilité à l’égard des déchets abandonnés
par SMPCS, l’Etat a choisi d’en confier le traitement à la SEPS, par
ailleurs repreneuse de l’activité de pyrométallurgie.
23
) Citation extraite du procès verbal de la réunion interministérielle du 29 janvier
1993.
Une convention a ainsi été conclue entre le ministère en charge de
l’industrie et la SEPS le 1
er
juillet 1993.
Or, d’une part les engagements de l’Etat à l’égard de la SEPS ont
manqué de clarté : contrairement à ce qui avait été décidé au niveau
interministériel, la convention du 1
er
juillet 1993 ne confie à la SEPS que
le retraitement de 10 000 tonnes de déchets pour un montant de 6,25 M€,
les 50 000 tonnes restant à traiter pour un montant de 8,99 M€ faisant
l’objet d’une deuxième convention qui n’est intervenue que le 30
décembre 1994. D’autre part, loin d’améliorer l’état du site, la SEPS l’a
dégradé : si elle a traité 7 000 tonnes de déchets pour le compte de l’Etat
et a reçu à ce titre 4,73 M€, elle a parallèlement produit et abandonné sur
place plus de 23 000 tonnes de déchets supplémentaires. Les dirigeants de
la SEPS ont d’ailleurs été condamnés le 13 avril 2000 par la cour d’appel
de Montpellier à quatre mois de prison avec sursis et 30 489,80 €
d’amende pour avoir entreposé sur le site de Salsigne des déchets
toxiques qu’ils avaient déclaré avoir incinérés.
Lors de la cessation de ses activités en 1995, la SEPS a laissé un
site plus pollué que celui qu’elle avait trouvé en 1992, alors même que
l’Etat lui a versé 4,73 M€ pour en assurer la dépollution. En réalité, le
projet de la SEPS était d’obtenir de l’Etat l’autorisation d’ouvrir une
décharge de classe 1 sur le site de Salsigne, perspective beaucoup plus
rentable que l’activité de pyrométallurgie.
Au niveau local, une relation tendue s’est instaurée entre la DRIRE
du Languedoc-Roussillon et la SEPS. Intervenant au titre de la législation
sur
les
installations
classées
(tutelle
ministère
en
charge
de
l’environnement), la DRIRE a sanctionné à plusieurs reprises la SEPS au
motif qu’elle ne respectait pas les normes environnementales. Pour cette
raison, la DRIRE a demandé au préfet de l’Aude qu’il ne délivre que des
autorisations d’exploitation provisoires à cette société, fragilisant d’autant
sa situation. Mais, curieusement, la DRIRE, qui était également
responsable du suivi de la convention Etat-SEPS pour le compte du
ministre en charge de l’industrie, ne s’est pas opposée à son exécution par
la SEPS, alors même que la convention prévoyait que l’intervention de la
SEPS devait s’effectuer
« dans le respect de l’environnement et sans
transfert de pollution ».
Cette contradiction montre la difficulté pour une
administration déconcentrée d’avoir à agir pour le compte de deux
ministères de tutelle aux intérêts et aux priorités contradictoires. Dans une
réponse à la Cour en date du 3 juillet 2002, le ministère de l’écologie et
du développement durable (MEDD) a d’ailleurs critiqué la mise en oeuvre
de la convention Etat-SEPS :
«la SEPS a généré plus de nuisances qu’elle
n’en a supprimé, ce qui peut amener à s’interroger sur la mise en oeuvre
du plan de reprise présenté en 1993 en vue de traiter une partie des
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déchets produits par la SMPCS et sur le bilan à tirer de l’utilisation des
crédits publics dans ce cadre. »
D
–
L’Etat doit désormais assumer financièrement
l’essentiel de la réhabilitation du site
1
–
La réhabilitation du site de la SEPS
En vertu de l’article 34-1 du décret du 21 septembre 1977, la SEPS
avait une obligation de remise en état du site. En vertu de la législation
sur les déchets, elle avait également la responsabilité de leur élimination.
Mise en liquidation judiciaire le 19 février 1996, elle n’a pas satisfait à
ces obligations. Les procédures engagées par l’Etat contre la SEPS
(10 arrêtés préfectoraux édictés entre 1996 et 1999 pour un montant de
18,7 M€)
sont restées sans résultat.
Le coût de la réhabilitation du site SEPS de la Combe du Saut a
donc été supporté par l’Etat.
En 1998, la DRIRE a dû assurer elle-même, dans des conditions
d’urgence indiscutables, la surveillance du site et certains travaux de
confinement des déchets pour un montant de 1,77 M€.
A partir du 1er janvier 1999, la maîtrise d’ouvrage des opérations
de dépollution et de mise en sécurité du site SEPS a été confiée à
l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME).
Conformément aux compétences que lui reconnaît la loi
24
, cette dernière
intervient pour le compte de l’Etat sur les sites et sols pollués dont les
responsables sont défaillants.
Un rapport d’une mission d’inspection des ministères en charge de
l’environnement et de l’industrie a estimé, en juin 1998, le coût de
l’intervention de l’ADEME à Salsigne (site de la Combe du Saut) entre
23 M€ et 30 M€. Sur la base de ce rapport, complété par une série
d’études, l’ADEME a évalué, début 2002, ce coût à 36,7 M€. Inquiets
d’une tel écart entre cette évaluation et celle, certes plus sommaire, de la
mission d’inspection, les ministères en charge de l’environnement et de
l’industrie ont demandé en juin 2002 à l’ADEME de dépêcher une
mission d’audit. Selon les conclusions des auditeurs, qui ont été avalisées
par l’administration, l’ADEME ne devra pas dépenser plus de 26 M€ à
Salsigne. Au 27 mai 2003, la dépense engagée s’élevait à 12,035 M€.
Financée à parité par les deux ministères, cette intervention représente
24
) Article L 541-3 du code de l’environnement.
plus de deux années du budget moyen de l’ADEME pour cette mission.
Outre la réhabilitation du paysage et le confinement des terres polluées,
les opérations pilotés par l’ADEME devraient permettre de réduire les
apports d’arsenic dans l’Orbiel. Toutefois, en raison d’autres sources de
pollution, les eaux de l’Orbiel ne seront pas potables. Il n’est pas garanti
que leur usage redevienne possible pour l’arrosage des cultures
maraîchères.»
2
–
La réhabilitation des autres sites industriels
Mais, pour l’Etat, la réhabilitation du site SEPS de la Combe du
Saut ne représente qu’une partie de la dépense environnementale à
engager sur le site de Salsigne.
En effet, l’Etat a également accepté de participer à la réhabilitation
du site minier exploité par la société MOS. Une convention a été passée à
cette fin le 11 juillet 2001 par le ministère en charge de l’industrie avec
MOS et ses actionnaires : elle prévoit la participation de l’Etat à hauteur
de 4,12 M€ aux travaux de remise en état du site minier. Au 31 mai 2003,
l’Etat avait engagé une dépense de 757 998 € dans ce cadre.
La convention du 11 juillet 2001 prévoit également le transfert à
l’Etat d’autres terrains (sites dits « exclus » de Nartau et de Malabau)
détenus par MOS et qui présentent une forte pollution à l’arsenic du fait
d’anciennes activités minières. Le ministère de l’écologie et du
développement durable ne souhaitant pas que l’ADEME se voit attribuer
la propriété de ces terrains, il a été décidé lors de la réunion
interministérielle du 27 janvier 2003 de les confier au ministère de
l’économie, des finances et de l’industrie. C’est donc à ce ministère
qu’échoit désormais la charge de la réhabilitation de ces sites, dont le
principe a été arrêté par le cabinet du Premier ministre. Justifiée tant pour
des raisons paysagères que pour améliorer la qualité des eaux de l’Orbiel,
elle sera très coûteuse : 7,93 M€, selon une estimation de la DRIRE
Languedoc-Roussillon de 1998, qui doit désormais être précisée par une
nouvelle étude.
Enfin, selon la convention du 11 juillet 2001, l’Etat accepte
également de prendre à sa charge l’intégralité du traitement des eaux
d’exhaure de la mine souterraine. Cette opération devrait représenter une
dépense comprise entre 1,52 M€ et 3,05 M€. Au 31 mai 2003, l’Etat
n’avait engagé que 27 827 € à ce titre.
La convention Etat/MOS de 2001 ne présente pas des insuffisances
aussi graves que celle passée, à la hâte, avec la SEPS en 1993. Sans doute
l’atténuation de la responsabilité financière de l’exploitant obéit-elle à des
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considérations d’opportunité : sans la convention, MOS menaçait de faire
faillite, laissant à l’Etat l’intégralité de la charge de la remise en état du
site, comme cela s’est produit avec la SEPS. Il n’en demeure pas moins
que cette procédure est contraire au principe du pollueur-payeur et qu’elle
intervient alors même que l’exploitant est toujours en activité : l’Etat
n’est pas ici en présence d’un site dit « orphelin ». Soucieux de
responsabiliser les exploitants et craignant qu’elle ne constitue un
précédent coûteux pour les finances publiques, le ministère de l’écologie
et du développement durable a refusé de s’associer à la convention,
signée par le seul ministère en charge
de l’industrie
25
. De plus, certains
experts considèrent que le cahier des charges imposé à MOS n’est pas
suffisamment ambitieux d’un point de vue environnemental, ce qui
constitue une faveur supplémentaire accordée à cette société. Enfin, la
convention n’a pas été notifiée à la Commission européenne alors qu’elle
met en oeuvre une aide de l’Etat à une société privée supérieure à
100 000 €.
E
–
Un coût élevé pour les finances publiques
Le tableau ci-dessous récapitule l’ensemble des coûts supportés par
l’Etat ou devant l’être pour assurer la réhabilitation du site industriel de
Salsigne.
25
) Une position réaffirmée par le représentant du MEDD lors de la réunion
interministérielle sur Salsigne du 27 janvier 2003 : « cet accord crée un précédent
susceptible d’entraîner de nouvelles demandes de la part d’autres entreprises et,
notamment pour cette raison, le MEDD y a atoujours été hostile. »
Dépense environnementale engagée par l’Etat et restant à engager sur le
site industriel de Salsigne
Site et opération
Maîtrise
d’ouvrage
Financement Etat
Dépense
engagée au
31/05/2003
Dépense restant à
engager
Site SEPS la Combe du
Saut - Subvention accordée
à SEPS pour le traitement
des déchets de la SMPCS
Société SEPS
64-96-10 du ministère de
l’industrie (abondés par le
BRGM et l’ADEME)
4.73 M€
Aucune
Site SEPS – Travaux
d’urgence
DRIRE
Languedoc-
Rouussillon
57-02-36 du ministère de
l’industrie
1.77 M€
Aucune
Site SEPS – Réhabilitation
de l’ensemble du site
ADEME
67-30-30 du ministère de
l’écologie et du
développement durable
(abondé par 62-92-10 du
Ministère de l’industrie)
12,035 M€
13, 965 M€
estimation des
auditeurs retenue par
le ministère de
l’écologie et du
développement
durable en mai 2003
Site MOS – Subvention
accordée à MOS pour la
réhabilitation du site
Société MOS
64-96-11 du ministère de
l’industrie (abondé par 67-
30-30
du ministère de
l’écologie et du
développement durable)
0,757 M€
3,36 M€
montant maximal
inscrit dans la
convention Etat-MOS
de juillet 2001
Site MOS – Traitement des
eaux d’exhaure
MOS
Non précisé
0,027 M€
1.52 M€ à 3.05 M€
estimation
Sites dit « exclus » –
Réhabilitation des sites
Etat
Ministère de l’économie,
des finances et de
l’industrie
Aucune
7.93 M€
estimation ministère
de l’industrie –
DRIRE 1998
TOTAL
Etat
19, 319 M€
27,505 M€
26
Au 31 mai 2003, le coût pour l’Etat de la réhabilitation des sites
s’élève à 19,319 M€. Une dépense supplémentaire de l’ordre de
27,505 M€ sera nécessaire pour la réhabilitation de l’ensemble des sites
(y compris les « sites exclus »), soit un montant total de 46,82 M€.
Encore faut-il préciser que cette dépense environnementale ne
représente qu’une partie de la dépense des pouvoirs publics à Salsigne. La
convention avec MOS prévoit également le financement du plan social de
l’entreprise par le ministère en charge
de l’industrie, à hauteur de
26
) En prenant pour le traitement des eaux d’exhaure l’hypothèse médiane de
2,25 M€ et en intégrant le coût de la dépense, dont le principe n’est pas encore arbitré
par l’Etat, de la réhabilitation des sites exclus.
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2,29 M€. Il convient
également de rappeler la perte de 76,22 M€ subie
par le BRGM via sa filiale COFRAMINES entre 1980 et 1992.
Ainsi, si l’Etat mène à bien l’intégralité des dépenses actuellement
envisagées, il aura dépensé de 125,33 M€ à Salsigne pour assurer la
survie – provisoire – d’une activité en déclin et pour en traiter les
nuisances environnementales. Le niveau de cette dépense est à rapprocher
du nombre de salariés concernés lors de la décision de reprise de la
SMPCS par le BRGM : 300. En outre, en dépit des travaux de
réhabilitation du site, les sols resteront durablement pollués.
Le dossier des mines d’or de Salsigne révèle une succession
d’erreurs de l’Etat : une première erreur a consisté à organiser la reprise
par une filiale du BRGM
d’une société en faillite et dont aucun
investisseur privé ne voulait se porter acquéreur ; une deuxième erreur a
consisté à subventionner une société, la SEPS, qui n’offrait pas toutes les
garanties nécessaires et dont l’activité n’a fait qu’aggraver la pollution du
site. Ces deux erreurs commises, l’Etat s’est trouvé le principal
responsable des travaux de réhabilitation des sites. En exonérant MOS,
unique société encore en activité à Salsigne, de l’essentiel de ses
obligations environnementales, l’Etat est allé au bout d’un engrenage,
d’intervention publique, dont les premiers pas remontent à 1980. Les
arbitrages stratégiques ont été constamment pris à Paris au niveau
interministériel, alors même que la DRIRE locale était soumise aux
intérêts divergents de ses deux tutelles : le ministère en charge de
l’industrie et celui en charge de l’environnement. Cette situation n’était
pas de nature à favoriser un règlement rapide et optimal des difficultés
soulevées par les mines d’or de Salsigne.
Il est vrai que, pour l’Etat, le coût de ces erreurs stratégiques a été
renchéri par les insuffisances de la réglementation en matière de sites et
sols pollués.
II
–
Un révélateur des insuffisances de la
réglementation en matière de sites et sols pollués
A
–
La politique de l’Etat en matière de sites et sols
pollués
La surveillance et la gestion des sites et sols pollués constituent
l’une des missions des services de l’environnement industriel - inspection
des installations classées - du réseau des DRIRE. Au niveau central, la
politique nationale des sites et sols pollués est définie par la direction de
la prévention des pollutions et des risques (DPPR) du ministère de
l’écologie et du développement durable.
Conséquence d’un activité industrielle présente ou passée, la
pollution des sols peut entraîner des risques pour la santé humaine, dont
l’intensité dépend de l’usage du sol et du sous-sol. Lorsque des sites
pollués entraînent un impact, de façon quasi-systématique, cet impact se
traduit par une dégradation de la qualité des eaux souterraines. Ce n’est
pas tant la présence de polluants dans le sol qui pose problème que le fait
qu’ils puissent atteindre plusieurs cibles : les écosystèmes, les eaux
souterraines et surtout les salariés ou les riverains.
Si on la rapporte aux deux siècles de l’histoire industrielle de la
France, la prise de conscience de l’enjeu que représentent les sites et sols
pollués est récente : elle date de la fin des années 1970, quand la
législation relative aux installations classées en a précisé le cadre et,
surtout, que l’Etat a fait procéder au premier inventaire des sites pollués
ou susceptibles de l’être (1978). Puis, c’est essentiellement à partir du
début des années 1990, que le ministère en charge de l’environnement a
fixé ses principes et méthodes d’action en la matière.
Ils peuvent se résumer de la façon suivante :
1
–
Les principes de la politique de l’Etat en matière de sites et
sols pollués
Les trois principes directeurs
1) Connaître
Deux inventaires des sites et sols pollués sont en cours de
constitution :
Les anciens sites industriels
: il s’agit des sites qui, dans le passé,
ont abrité une activité industrielle ou de service pouvant être à l’origine
d’une pollution des sols. Les données sont collectées par les DRIRE dans
toutes les régions de France, puis rassemblées dans la base de données
« BASIAS », gérée par le BRGM et accessible sur Internet. Lors de son
achèvement, prévu en 2005, cette base devrait conserver la mémoire de
300 à 400 000 sites. Dans l’ensemble, ces sites ne sont plus une source
active de risques ; mais, durablement pollués, ils peuvent le redevenir s’ils
font l’objet d’un usage inadapté ou de travaux sans précaution. Cet
inventaire présente donc des informations essentielles pour de nombreux
acteurs – riverains, mais aussi notaires, vendeurs, acquéreurs ou
aménageurs potentiels.
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Les sites nécessitant une action des pouvoirs publics
: il s’agit des
sites qui, en raison de leur pollution avérée ou quasi-certaine, appellent
une action spécifique pour surveiller les impacts,
connaître les risques et
les maîtriser. Cette action incombe au premier chef à l’exploitant du site ;
les services de l’Etat doivent veiller à sa mise en oeuvre et, si nécessaire,
intervenir directement en cas de défaillance des responsables. En 2003,
3500 sites avaient été inventoriés sur ce tableau de bord des actions de
l’Etat. La base de données « BASOL » qui présente ces sites est
consultable sur le site Internet du ministère en charge de l’environnement.
2) Prévenir
Pour prévenir l’apparition de nouvelles pollutions des sols,
l’administration peut mobiliser les dispositions réglementaires prises en
application de la législation sur les installations classées : réalisation d’une
étude d’impact ; mise en place de dispositifs de rétention et de
confinement ; dispositions relatives à l’épandage et à la gestion des
déchets. Encore faut-il que ces dispositions soient respectées, ce qui, de
l’aveu même du ministère en charge de l’environnement, n’est pas
toujours le cas, en particulier pour les activités passées.
La surveillance des sites industriels tout au long de leur activité
constitue un autre moyen de prévenir l’apparition de nouvelles pollutions.
Dans cet esprit, 1300 installations classées en activité doivent produire des
études de sols ; 3000 autres sont astreintes à surveiller les eaux
souterraines au niveau de leur site. En outre, l’article 116 de la loi du
15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques prévoit que les
entreprises
cotées
ajoutent
à
leur
bilan
comptable
un
rapport
environnemental et social.
3) Traiter et réhabiliter
Les mesures à mettre en oeuvre peuvent être simples : clôture du
site, enlèvement des fûts stockés à l’air libre, mise en place d’une
surveillance.
Dans un deuxième temps, des travaux de réhabilitation doivent être
conduits. Ils tiennent compte de l’usage auquel le détenteur du site les
destine.
Lorsqu’un site a été traité en fonction d’un usage donné, il convient
de veiller à ce qu’il ne soit pas ultérieurement affecté à un nouvel usage
incompatible avec la pollution résiduelle du site sans que les études et
travaux nécessaires soient entrepris. Pour ce faire, l’administration peut
édicter des restrictions d’usage
-1 317 sites concernés en 2003..
Source : ministère de l’écologie et du développement durable
A travers ces trois principes directeurs – connaître, prévenir,
réhabiliter – la politique des sites et sols pollués est guidée par un
impératif : non pas traiter l’ensemble des pollutions en tant que telles,
mais identifier et maîtriser les risques – pour l’homme au premier chef,
pour l’environnement plus largement – associés à ces pollutions.
Selon une étude du ministère de l’écologie et du développement
durable, l’investissement global – tant public que privé – dans la gestion
et la réhabilitation des sites et sols pollués représentait en 2000 un coût
compris entre 200 et 300 M€, réparti pour un tiers en travaux, le solde en
études. Cette politique n’ayant pas achevé sa montée en puissance, son
coût total devrait tripler d’ici 2005, en particulier en raison du nombre
croissant de changements d’usage de sites par les propriétaires et les
aménageurs.
2
–
Les principales difficultés rencontrées
La vigilance de l’administration en matière de sites et sols pollués
étant récente, les pouvoirs publics doivent aujourd’hui solder des
situations héritées du passé, qui sont parfois très dégradées. En
particulier, il n’est pas rare que des sites anciennement industriels aient
ensuite fait l’objet d’un usage résidentiel, sans que leur réhabilitation soit
intervenue ou ait été suffisante. Il peut alors en résulter des conflits entre
les nouveaux occupants, les anciens responsables et l’administration.
Une deuxième difficulté provient du fait que les exploitants ne sont
pas toujours respectueux des normes édictées par l’administration. Dans
ce cas, les arrêtés préfectoraux et les sanctions, qu’elles soient
administratives ou pénales, s’accumulent sans trouver de traduction
concrète dans les faits.
Une troisième difficulté se manifeste quand un site pollué n’a plus
de responsable (exploitants, liquidateurs, propriétaires) identifié ou
solvable. Telle est la situation observée à Salsigne. C’est également le cas
de l’usine de Metaleurop Nord à Noyelles-Godault, dont l’annonce de la
fermeture précipitée sans réhabilitation du site a fortement ému l’opinion
au début de l’année 2003.
Quand il est confronté à des sites dont les responsables sont
défaillants, le ministère en charge de l’environnement charge l’ADEME
de la maîtrise d’ouvrage des travaux de remise en état sur ces sites.
Jusqu’en 1999, ces actions étaient financées par la taxe sur l’élimination
des déchets spéciaux. En 1999, ce dispositif a été remplacé par la taxe
générale sur les activités polluantes. Les crédits consacrés aux sites
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pollués dont les responsables sont défaillants ont évolué de la façon
suivante depuis 2000
27
:
Crédits consacrés aux sites dont l’exploitant est défaillant
Année
2000
2001
2002
2003
Crédits en M€
18
11,43
2,96
19,2
source : ministère de l’écologie et du développement durable
Une centaine de sites, dont la moitié reste en cours de retraitement,
ont ainsi fait l’objet d’une intervention de l’ADEME. Ces interventions
ont pour finalité la maîtrise des risques présents sur ces sites, dans le
souci de la protection de l’environnement et de la santé humaine. Mais
l’Etat doit aussi tenir compte du coût de ces interventions et retenir, pour
chacune de ces opérations, un objectif environnemental supportable par
les finances publiques. En effet, les procédures en recouvrement ensuite
engagées par l’ADEME à l’encontre des responsables ou de leurs ayants
droit sont rarement couronnées de succès.
B
–
Les insuffisances de la réglementation
Selon la réglementation des sites et sols pollués (article 34-1 du
décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l’application de la loi
du 16 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de
l’environnement) lorsqu’une installation cesse son activité, l’exploitant
doit remettre son site dans un état tel qu’il ne présente plus de risque pour
l’environnement.
Le but est d’imposer à l’exploitant le principe du pollueur-payeur,
selon lequel c’est à lui, et non à la puissance publique, d’assurer les coûts
de dépollution du site. Pour l’Etat, il s’agit d’éviter de récupérer la charge
d’un site sans responsable identifié ou solvable.
Mais cette réglementation se heurte à des difficultés d’application,
comme le montre de façon particulièrement éclairante l’exemple de
Salsigne.
D’une part, aucune garantie efficace n’est prise contre le risque de
défaillance ou d’insolvabilité de l’exploitant. Sauf dans le cas des
carrières et des décharges, ce dernier n’est pas tenu de constituer des
27
) Les montants indiqués ci-dessous n’intègrent pas le financement de la
réhabilitation de Salsigne, qui fait l’objet de crédits spécifiques des Ministères en
charge de l’industrie et de l’environnement – cf. supra.
garanties financières durant le cycle même de l’exploitation au titre de la
dépollution future. Si l’exploitant s’avère défaillant, comme ce fut le cas
de la SMPCS puis de la SEPS à Salsigne, l’Etat peut certes engager des
procédures administratives ou pénales contre lui, mais sans grande chance
d’aboutir. Ainsi, les procédures engagées contre la SEPS sont restées sans
résultat : le liquidateur de la SEPS étant insolvable, la procédure de
travaux d’office a été mise en oeuvre et sa réalisation a été confiée à
l’ADEME.
En cas de défaillance de l’exploitant, l’Etat peut théoriquement se
retourner contre le « détenteur », c’est-à-dire le propriétaire, même non
exploitant, si le locataire a disparu, pour mettre en oeuvre les mesures de
dépollution du site. Mais le fondement juridique de cette mise en cause
est incertain, si bien que le Conseil d’Etat (CE, 21 février 1997, Société
Wattelez) a précisé que le propriétaire actuel d’un site ne peut être tenu,
en cette seule qualité, d’en assurer la dépollution. Dans un arrêt rendu la
même année, la cour administrative d’appel de Lyon (CAA Lyon, 10 juin
1997, Zogger) considère pour sa part, qu’à défaut d’exploitant présent et
solvable, l’administration peut mettre en cause la responsabilité du
dernier propriétaire en sa qualité de détenteur du site, alors même que
celui-ci n’a jamais exercé l’activité industrielle à l’origine des dangers.
Il
en résulte de nombreux contentieux entre l’administration et les
détenteurs, sans garantie de succès pour les différentes parties. Dans le
cas de Salsigne, aucune des procédures engagées contre le mandataire
liquidateur de la SEPS, détenteur du site de la Combe du Saut où la
DRIRE et l’ADEME ont effectué des travaux d’office, n’a abouti. La
charge de la dépollution incombe de ce fait à l’Etat.
Une autre forme de remontée en responsabilité consisterait à
permettre à l’Etat de se retourner contre l’actionnaire ou contre les
sociétés mères en cas de défaillance de l’exploitant. Mais, à ce jour, le
droit des sociétés exonère la responsabilité de l’actionnaire ou de la
société mère vis-à-vis de ses filiales, sauf dans des cas limitativement
énumérés par la loi : responsabilité pour faute, acte anormal de gestion ou
gestion de fait. Dans les faits, l’administration s’engage rarement dans de
telles actions, juridiquement complexes et très incertaines quant à leur
résultat. Dans le cas de Salsigne, l’Etat n’a pas cherché à mettre en
évidence la responsabilité du BRGM lors de la défaillance de la SMPCS
en 1992, et il n’a pas davantage cherché en 1996 à faire assumer par
ECO-UNION, actionnaire de référence de la SEPS, le coût de la
dépollution du site. Dans le cas de METALEUROP, si le MEDD et
l’ADEME ont entrepris par voie de référé de mettre en cause la
responsabilité des actionnaires, ils ont été déboutés en première instance
comme en appel.
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Si une remontée en responsabilité auprès des actionnaires s’avérait
juridiquement difficile à mettre en place, il pourrait alors être envisagé de
demander en amont à ces derniers des cautions ou des garanties.
III
–
Les nécessaires évolutions
A
–
Renforcer la responsabilité des acteurs
économiques et préciser le degré exigé de réhabilitation
du site
Une évolution de la législation (loi de 1976 sur les installations
classées et décret d’application de 1977) paraît
nécessaire pour :
- renforcer
les
garanties
(provisions
comptables,
assurance,
redevance pollution alimentant un fonds national) apportées par
l’exploitant à l’administration quant à ses capacités de financer le
coût de la remise en état du site ;
- permettre véritablement la mise en cause du détenteur, en cas de
défaillance de l’exploitant ;
- élargir le régime de responsabilité des sociétés mères vis-à-vis de
leurs filiales, en cas de défaillance de l’exploitant, voire tout au
long du cycle de l’exploitation (caution ou garantie de la maison
mère).
L’émotion soulevée dans l’opinion publique par la fermeture de
l’usine de Metaleurop Nord à Noyelles-Godault a ouvert la voie à une
première évolution de la législation. La loi n°2003-699 relative à la
prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des
dommages du 30 juillet 2003 comprend ainsi plusieurs articles consacrés
à la question des sites et sols pollués.
Ces articles législatifs visent à renforcer, pendant l’activité des
installations, les mécanismes de vérification des capacités financières des
entreprises pour faire face à leur obligation de remise en état des sites.
Est
instituée
pour
certaines
catégories
d’installations
une
obligation d’information du représentant de l’Etat dès lors qu’un
changement substantiel intervient dans la capacité financière de
l’entreprise. Le fait de ne pas se conformer à cette obligation est puni de
sanctions pénales. Si le préfet constate à cette occasion, ou lors du
changement d’exploitant, que l’entreprise n’est plus en mesure de faire
face à ses obligations de dépollution, il peut demander la constitution ou
la révision de garanties financières en vue de la remise en état des sites
pollués. Le champ de ces garanties financières, actuellement restreint aux
seules carrières, installations de stockage et usines SEVESO, sera étendu
par décret pour couvrir les industries les plus polluantes. L’application de
ce nouveau dispositif aux installations existantes sera progressive.
Il appartiendra également à un décret de définir les modalités
d’application du dispositif des garanties financières en matière de sites et
sols pollués. Les outils de garanties financières actuellement prévus par le
décret du 21 septembre 1977 pris pour l’application de la loi relative aux
installations classées se limitent à des cautions d’établissements de crédit
ou d’assurance. Pour les garanties financières relatives aux sites et sols
pollués, le gouvernement et l’administration privilégient d’autres
instruments financiers : sont évoqués notamment des cautions ou
garanties de la société mère, des mécanismes d’épargne pollution ou des
fonds bloqués.
Un autre évolution apportée par la loi du 30 juillet 2003 est de
mieux délimiter l’objectif à atteindre en matière de réhabilitation
environnementale. Jusqu’à présent, s’appliquait l’article 34-1 du décret de
1977, qui évoque une obligation de « remise en état » du site, sans plus de
précision : le niveau de réhabilitation du site exigé de l’exploitant n’est
pas indiqué. Dans le cadre de la nouvelle législation, il est désormais
prévu que l’usage pour lequel l’exploitant devra réaliser les travaux de
dépollution est défini conjointement par l’exploitant, le maire et le
propriétaire. En cas de désaccord, l’usage retenu est comparable à celui
de la dernière période d’exploitation. Toutefois, le préfet peut, dans
certaines circonstances, fixer un niveau de dépollution plus contraignant,
permettant un usage cohérent avec les documents d’urbanisme en
vigueur. En outre, pour les nouvelles installations, l’arrêté d’autorisation
fixe le niveau de dépollution à atteindre lors de la cessation d’activité : ce
niveau peut prévoir une dépollution permettant un usage différent du site.
La loi du 30 juillet 2003 a donc pour effet de renforcer les
obligations pesant sur l’exploitant quant au niveau de dépollution à
atteindre après le cycle industriel.
Au total, la nouvelle législation accroît les garanties exigées des
exploitants quant à la remise en état d’un site industriel. Cette évolution
est conforme aux enseignements de l’affaire de Salsigne. Mais il est
regrettable qu’il ait fallu attendre le retentissement médiatique suscité par
la fermeture de l’usine de Metaleurop Nord à Noyelles-Godault pour
adopter de telles mesures. Les insuffisances de la réglementation avaient
été identifiées de longue date par l’administration, qui plaidait en
conséquence pour une évolution de la législation
.
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En outre, l’effectivité de la loi dépendra de la précision de ses
décrets d’application. A ce jour, le dispositif qui sera finalement retenu
pour les garanties financières n’est pas encore arrêté. Sans pénaliser les
entreprises, il devra permettre de sécuriser les sommes nécessaires à la
remise en état des sites. Pour les filiales, toute solution permettant la
remontée vers la société mère paraît économiquement justifié et
socialement équitable : il convient de mettre en échec les changements
d’organisation n’ayant pour but que de faire échapper l’entreprise à ses
responsabilités.
B
–
Mieux prendre en compte le coût futur des
nuisances environnementales dans les arbitrages publics
Deuxième
enseignement
significatif
de
Salsigne :
en
cas
d’intervention publique motivée par la volonté de préserver l’emploi,
l’ensemble des coûts devrait être pris en considération par l’Etat pour
fonder sa décision ultime.
Dans le cas de Salsigne, quand il a été décidé d’organiser la reprise
d’une société privée en faillite par le BRGM, ce n’est pas seulement la
faible rentabilité économique de l’opération qui a été méconnue, c’est
aussi son coût environnemental final qui a été ignoré. Sous l’impulsion du
ministère en charge de l’industrie, les impératifs sociaux ont prévalu,
alors même que l’Etat, en lieu et place de son établissement public, s’est
finalement trouvé comptable des dégâts environnementaux occasionnés
par la poursuite de l’activité minière. Sans doute, il n’est pas toujours aisé
d’évaluer le coût environnemental final d’une activité industrielle. Sans
doute également, les préoccupations en la matière sont désormais plus
fortes qu’elles ne l’étaient à la fin de la décennie 1970. Toutefois,
si
l’ensemble du coût – social et environnemental – avait été évalué
correctement dès 1980, il n’est pas certain que l’Etat aurait pris le risque
de poursuivre les activités minières : la fermeture de la mine et la
reconversion du site auraient pu être envisagées dès cette date, à moindre
coût final pour l’Etat.
C
–
Envisager une évolution de l’architecture du
réseau des DRIRE
Le troisième enseignement de Salsigne concerne la cohérence
même du réseau des DRIRE. Si les arbitrages locaux incombent au préfet
et si le cabinet du Premier ministre a pris les décisions ultimes, la
situation de conflit d’intérêt objectif dans laquelle s’est trouvée la DRIRE
du Languedoc-Roussillon, écartelée entre les attentes contradictoires de
ses deux tutelles, n’a pas été de nature à favoriser un règlement rapide et
optimal des difficultés rencontrées. L’épisode de la SEPS, à travers lequel
la DRIRE a fait à la fois preuve de fermeté sur l’application des normes
environnementales et d’étroitesse de vue dans la mise en oeuvre de la
convention passée avec le ministère de l’industrie, suffit à le démontrer.
En outre, il n’est nul besoin de se référer au seul exemple de
Salsigne pour mesurer à quel point le ministère en charge de
l’environnement et celui de l’industrie obéissent à des logiques distinctes,
voire antagonistes.
Dès lors, il serait beaucoup plus satisfaisant de scinder le réseau
des DRIRE en deux services territoriaux distincts : le premier, placé sous
la tutelle du ministère en charge de l’industrie et agissant en étroite
coordination avec les régions, serait chargé d’une mission
de veille
économique ; le deuxième pôle, placé sous la tutelle du ministère en
charge de l’environnement, aurait la charge des sécurités industrielles et
environnementales – parmi lesquelles figure la politique des sites et sols
pollués.
__________
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
_________
La loi du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques
technologiques et naturels et à la réparation des dommages a pour effet
de renforcer à la fois les garanties apportées par l’exploitant durant la
phase d’activité et les obligations pesant sur lui quant au niveau de
dépollution à atteindre après le cycle industriel.
Au regard des dysfonctionnements révélés par l’analyse des
politiques publiques mises en oeuvre depuis plus de vingt ans à Salsigne,
la Cour formule trois recommandations :
- Appliquer fermement les nouvelles dispositions législatives
renforçant les garanties exigées des exploitants pour faire face à leur
obligation de remise en état des sites pollués
. La Cour ne peut que se
féliciter des évolutions récentes de la législation en la matière, même si
elle regrette qu’il ait fallu attendre un nouveau cas de fermeture d’usine
à exploitant défaillant pour tenter de remédier à des insuffisances
identifiées de longue date. Il convient désormais de veiller à ce que le
futur décret d’application précise la nature des garanties exigées des
exploitants ; de même, sur le terrain, la mobilisation des services
régionaux de l’environnement industriel sous l’autorité du préfet sera
nécessaire pour donner tout son sens à cette nouvelle législation.
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- Mieux prendre en compte, dans les arbitrages publics, le coût
environnemental de toute décision visant à assurer la pérennité d’une
activité industrielle polluante
. Face à une pression des salariés et de
l’opinion s’exerçant dans ce sens, le souci de préserver l’emploi apparaît
le plus souvent prioritaire pour l’Etat. Néanmoins, les risques
environnementaux étant désormais mieux appréhendés et la législation en
la matière ne cessant de se renforcer, la décision publique doit en
mesurer pleinement les enjeux, notamment financiers.
- Séparer, au niveau des services déconcentrés de l’Etat, les
services en charge de l’animation et de la veille économique de ceux à
qui incombe la responsabilité de la prévention des pollutions et des
risques
. Une telle évolution remettrait en cause l’architecture actuelle du
réseau des DRIRE, placé sous la double tutelle du ministère de l’écologie
et du développement durable. Elle serait le gage d’une plus grande
transparence de l’action publique et de l’amélioration de sa perception
par les citoyens.
RÉPONSE DU MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’INDUSTRIE
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes intitulé
« l'Etat face aux enjeux industriels et environnementaux : l'exemple des
mines d'or de Salsigne » fait le bilan de la politique industrielle et
environnementale menée à Salsigne, ainsi que des actions conduites sur le
terrain pendant plus de vingt ans. La Cour souligne les difficultés pour l’Etat
d’arbitrer entre les impératifs sociaux de soutien à l’emploi et la nécessaire
prise en compte du coût environnemental associé à la poursuite d’une
activité polluante.
En 1980, le Gouvernement a choisi de privilégier l’emploi dans le
traitement de cette affaire. Avec le recul dont nous disposons aujourd’hui,
force est de constater que les résultats n’ont pas été à la hauteur des objectifs
affichés et que de surcroît des dégradations ont été apportées à la qualité de
l’environnement.
Cet échec s’explique probablement par des insuffisances dans les
analyses faites à l’époque mais aussi, largement, par le comportement
critiquable de l’opérateur retenu pour la poursuite de l’exploitation et de la
réhabilitation du site, qui a d’ailleurs donné lieu à plusieurs procès verbaux
dressés par la DRIRE.
La Cour se fonde sur ce constat d’échec pour recommander de
séparer, au niveau des services déconcentrés de l’Etat, en particulier des
DRIRE, les services de l’animation et de la veille économique de ceux à qui
incombe la responsabilité de la prévention des pollutions et des risques.
Or, l’organisation administrative actuelle n’a pas empêché la DRIRE
de sanctionner les comportements infractionnels de l’opérateur au regard de
la législation sur la protection de l’environnement. La Cour reconnaît
d’ailleurs elle-même la fermeté dont la DRIRE a fait preuve à cet égard.
Séparer les services actuellement chargés, au sein de la DRIRE, de
l’animation et de la veille économique d’une part, de la prévention des
pollutions et des risques d’autre part, n’aurait à mon avis en rien amélioré la
mise en oeuvre de la priorité donnée à l’emploi par le Gouvernement. Au
contraire, les désaccords entre les deux services ainsi créés auraient
vraisemblablement rendu encore plus malaisée la mise en oeuvre de la
stratégie ainsi arrêtée par le Gouvernement, sans pour autant améliorer la
protection de l’environnement.
Il convient de ne pas sous-estimer l’intérêt que représente l’exercice
par un même service déconcentré d’un ensemble diversifié de missions à
destination des acteurs industriels, ce qui, à bien des égards, peut être
considéré comme une avancée en termes d’organisation de l’Etat.
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RÉPONSE DU MINISTRE DE L’INTÉRIEUR, DE LA SÉCURITÉ
INTÉRIEURE ET DES LIBERTÉS LOCALES
Il est relevé tout d’abord par la Cour les difficultés de gestion liées à
une grave situation de pollution industrielle, en soulignant particulièrement
les carences et responsabilités de l’Etat. Il est également indiqué que les
aspects économiques et sociaux l’ont toujours emporté dans cette crise, la
plupart des décisions ayant été prises en méconnaissance des impacts
environnementaux.
Aujourd’hui, dans une telle situation, le coût environnemental ne
pourrait plus être ignoré ou écarté. Le coût de la réhabilitation, dans le cas
présent, totalement à la charge de l’Etat, est exorbitant.
Pour la Cour, l’exemple des mines d’or de Salsigne est le révélateur,
outre
d’une
prise
de
conscience
tardive,
de
l’insuffisance
de
la
réglementation de l’Etat en matière de sites pollués. Les dispositions qui
existent ne sont d’aucune utilité, dès lors que l’exploitant est défaillant ou
insolvable.
La Cour formule trois séries de propositions pour faire évoluer la
réglementation :
- renforcer la responsabilité des acteurs économiques et préciser le
degré de réhabilitation des sites à obtenir ;
- mieux prendre en compte dans le coût futur les nuisances
environnementales ;
- séparer au sein des services déconcentrés de l’Etat les services en
charge de l’animation et de la veille économique de ceux à qui
incombe la responsabilité de la prévention des pollutions et des
risques et pour ce faire envisager une évolution de l’architecture du
réseau des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de
l’environnement (DRIRE).
Sur le premier point, la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la
prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des
dommages apporte une première réponse dans ses articles 27 à 32
notamment, en prévoyant de nouvelles obligations en matière de remise en
état (principe de la remise en état, prescriptions de réhabilitation fixées par
le préfet, information sur le niveau de pollution, sanctions, constitution de
garanties financières…). Toutefois, plusieurs décret en Conseil d’Etat sont
encore nécessaires.
Il convient également de préciser que la question des sols intéresse la
Commission européenne, au même titre que l’eau ou l’air. Elle a en effet
produit le 16 avril 2002 une communication intitulée « vers une stratégie
thématique pour la protection des sols », où la question de la contamination
des sols par les exploitations minières, les installations industrielles, les
décharges est évoquée. Elle pourrait se traduire par des mesures de niveau
communautaire, notamment sur le point de la surveillance.
Par ailleurs, l’analyse de ce projet de rapport fait apparaître que,
depuis l’apparition des difficultés des mines d’or de Salsigne, seul l’Etat est
intervenu pour tenter de redresser leur situation économique et financière. Il
n’a pas été porté à ma connaissance que les collectivités territoriales aient
été sollicitées.
Enfin, il convient de noter que l’intervention de l’Etat doit s’inscrire
dans la législation relative aux aides d’Etat et être conforme au droit
européen de la concurrence, sujet relevant sur ce point précis de la
compétence du ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.
En ce qui concerne la troisième recommandation formulée par la
Cour, j’observe qu’elle pourra nourrir la réflexion sur la réforme de
l’administration territoriale qui est actuellement en cours et qui vise à créer
des pôles régionaux, pour assurer une efficacité accrue de l’action de l’Etat.
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE
ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
D’une manière générale, le rapport de la Cour n’appelle pas de
remarques particulières du ministère de l’écologie et du développement
durable. Les informations et les analyses contenues dans ce rapport retracent
bien les préoccupations et les positions prises par le ministère en charge de
l’environnement dans le traitement de ce dossier complexe de la gestion des
mines d’or de Salsigne dont les spécificités ont pu conduire le gouvernement
à adopter une approche particulière.
Pour ce qui est de la partie du rapport de la Cour relative à la
réglementation en matière de sites et sols pollués, la loi n° 2003-699 du
30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels
et à la réparation des dommages introduit de nouveaux dispositifs législatifs
visant, d’une part, à mieux anticiper, dans la vie des entreprises, les
problèmes de pollution des sols et, d’autre part, à mettre en place des
mécanismes de garanties financières visant à assurer la remise en état des
sites pollués en fin d’activité. De tels dispositifs devraient permettre d’éviter
que de situations analogues à celles de Métaleurop ne se reproduisent.
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RÉPONSE DE LA PRÉSIDENTE DE L’AGENCE DE L’ENVIRONNEMENT
ET DE LA MAÎTRISE DE L’ÉNERGIE (ADEME)
Concernant l’évolution du coût des opérations de réhabilitation
confiés à l’ADEME, il me paraît nécessaire d’apporter les précisions
suivantes :
- le coût des travaux à réaliser par l’ADEME estimé par le rapport de
la mission d’inspection des ministères en charge de l’environnement
et de l’industrie (entre 23 et 30 M€) était hors taxes. Tous les autres
chiffres cités sont quant à eux des coûts TTC et notamment celui de
36,7 M€ ;
- par ailleurs, il faut souligner que l’estimation de la mission
d’inspection date de juin 1998, alors que l’évaluation de l’ADEME
(36,7 M€) date de mars 2002. L’indice du prix des travaux publics
(TP01) a progressé de 15 % sur cette période. Une réactualisation
de l’estimation initiale serait nécessaire pour comparer les coûts ;
- enfin de nombreux travaux, dont le coût n’avait pas été pris en
compte dans le rapport de la mission d’inspection, ont été intégrés
dans le projet initial de l’ADEME, la réalisation de ces travaux
ayant entre temps été demandée par l’administration : excavation de
300 000 m3 de déchets enfouis non identifiés initialement, nettoyage
de bâtiments et fosses, etc.
Au total, si l’on se réfère à l’estimation initiale, on peut soutenir que
les coûts ont été parfaitement maîtrisés.
La Cour souligne par ailleurs que l’administration s’engage rarement
dans des actions judiciaires visant à mettre en cause la responsabilité des
actionnaires. On peut souligner que le ministère de l’écologie et du
développement durable et l’ADEME ont entrepris par voie de référé de
mettre en cause la responsabilité des actionnaires dans la récente affaire
METALEUROP. En première instance, ils ont été déboutés et l’arrêt en
appel, rendu le 6 août 2003, a confirmé l’ordonnance du tribunal de grande
instance.
L’ADEME a également tenté de mettre en cause la responsabilité du
groupe ELF, actionnaire principal de la société ELIPOL. Cette société, mise
en liquidation, exploitait l’ancienne décharge de Montchanin et l’ADEME a
dû s’y substituer pour assurer la maintenance du site (coût annuel à la
charge de l’agence de l’ordre de 0,6 M€). L’ADEME vient d’être déboutée
de sa demande formulée auprès du tribunal de commerce de Nanterre. Elle
envisage de faire appel.