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De la suspension de la conscription à la
création d’une armée professionnelle
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PRÉSENTATION
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Le principe de la levée en masse de citoyens pour la défense du
territoire national est une création de la France révolutionnaire.
Sous diverses formes, la conscription a été maintenue pendant le
XIX
ème
siècle, mais appliquée de manière inégalitaire dans la mesure où
les obligations de service pouvaient dépendre d’un tirage au sort et même
être, le cas échéant, rachetées.
Institué sous sa forme moderne par une loi de 1905, le service
militaire universel et égalitaire a continué à évoluer au cours du
XX
ème
siècle. Sa durée avait été ramenée de trois ans et demi, au début du
siècle, à dix mois seulement en 1992. Parallèlement, la forme
d’accomplissement des obligations militaires fut diversifiée à partir de
1965, avec la création du service de coopération, du service de défense,
puis du service civil en entreprise, etc. Son nom même, prenant acte de
son caractère diversifié, avait été transformé en « service national ».
De plus en plus contesté, en particulier du fait de son caractère en
partie inégalitaire grâce à des possibilités d’exemptions devenues plus
larges, affaibli dans sa justification par la disparition du découpage de
l’Europe en deux blocs, le service national était particulièrement menacé
au milieu de la décennie 1990, même si ses partisans et ses détracteurs
continuaient à s’affronter sur le principe même de cet impôt citoyen.
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112
-
Envisagé lors de la décennie 1980, le remplacement des appelés
par du personnel professionnel, « la professionnalisation » des armées, est
apparu inéluctable lors de la première guerre du Golfe. En effet, le choix
politique de ne pas utiliser les appelés lors de ce conflit a compliqué le
déploiement des troupes en imposant la réorganisation préalable des
unités. De plus, la question de l’opportunité de maintenir des effectifs
considérables, dont l’emploi paraissait improbable depuis la disparition
de la menace soviétique, conduisait le ministère de la défense à envisager
une réduction importante de son format
1
, ébauchée lors de la mise en
oeuvre du plan « armées 2000 ».
Cette mutation dans le format et la composition des armées avait
déjà été accomplie par le Royaume Uni dès 1970 et les Etats Unis après la
guerre
du
Vietnam.
En
Europe
continentale,
si
certains
pays
abandonnèrent le modèle d’armée de conscription dans les années 1990,
comme l’Espagne, d’autres, comme l’Allemagne, conservent le recours
aux conscrits pour des raisons historiques ou politiques.
Le principe de suspendre progressivement la conscription dans
l’armée française a été arrêté en conseil de défense le 23 février 1996. La
mise en oeuvre de cette réforme a été l’enjeu des six années qui suivirent.
De 1997 à 2002, le ministère de la défense a organisé, suivant un
processus
temporellement
et
financièrement
précisément
défini,
l’abandon progressif de la conscription, la professionnalisation des forces
et l’adaptation de leur format.
A la fin de l’année 2002, la professionnalisation des armées peut
être considérée comme achevée dans la mesure où les armées ne
comptent plus aucun appelé dans leurs rangs et parce que le modèle des
effectifs professionnels fixé est dorénavant réalisé à plus de 99 %.
Cependant, une analyse purement quantitative de la réforme ne
rend pas pleinement compte de la mutation radicale en cours dans la
structure et la nature des forces armées. En effet, cette réforme a imposé
de revoir complètement les règles organisationnelles des armées afin de
pallier la disparition des trois avantages majeurs que procurait le recours à
des appelés : la disposition d’effectifs nombreux permettant de pourvoir
sans difficultés tous les emplois faiblement qualifiés, l’utilisation de
spécialistes de haut niveau déjà formés et aptes à occuper les emplois
dans les secteurs scientifiques et techniques et enfin la quasi-gratuité de
cette main d’oeuvre, tant dans son utilisation que pour son recrutement.
1
) Le format des armées au sens de la loi de programmation militaire recouvre
l’ensemble des moyens permettant à une armée de remplir ses missions, tant au plan
des effectifs qu’au plan des matériels opérationnels servis et des structures de soutien
et de commandement associées.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
113
Si ce bouleversement de grande ampleur, sans équivalent dans la
fonction publique, a été bien conduit et exécuté, la mise en place du
nouveau format n’a pas été sans difficultés. Par ailleurs, ce nouveau
modèle d’armée constitue un enjeu et un pari d’importance dans la
mesure
se
sont
révélés,
depuis
la
constitution
de
l’armée
professionnelle, les défis considérables qui conditionnent sa pérennisation
dans un environnement économique et une situation budgétaire subissant
de fortes contraintes.
I
Le remplacement des appelés
A
Du modèle d’armée de conscription au modèle
d’armée professionnelle
1
La situation en 1996
a)
Un effectif d’appelés important mais inégalement réparti entre les
armées
Lors de l’annonce par le Président de la République française de la
suspension de la conscription, les appelés étaient 201 498 sur 573 081
2
(dont 499 334 militaires), soit 40 % des effectifs militaires du ministère
de la défense. Leur importance numérique était variable suivant les
armées.
Répartition des effectifs d’appelés en 1996
Terre
Air
Marine
Gendarmerie
Autres
Total
Effectif total
268 572
93 552
69 878
93 669
47 410
573 081
Appelés
132 319
32 674
17 906
12 017
6 582
201 498
Poids relatif
49,3 %
34,9 %
25,6 %
12,8 %
13,9 %
35,2 %
(source : ministère de la défense)
De ce fait, la professionnalisation aura eu un impact très variable
suivant le niveau de professionnalisation antérieur de chaque armée. Sa
2
) Sauf mention expresse, les effectifs cités au présent rapport n’intègrent pas les
effectifs recrutés sur les comptes de commerce de la défense.
-
114
-
mise en oeuvre s’assimile à un bouleversement pour l’armée de terre dont
l’effectif était constitué à part pratiquement égale de professionnels et
d’appelés alors que son effet aura été plus réduit sur les autres armées.
b)
Une ressource aux compétences diversifiées
Les emplois confiés aux appelés couvraient presque l’ensemble
3
du spectre des spécialités existantes dans les armées et leur importance
était primordiale dans certains services qui se trouvent en grande
difficulté, du fait de la disparition de cette ressource. C’est le cas
notamment du service de santé des armées dont la Cour a déjà souligné la
situation préoccupante en termes d’effectifs
4
. Ce service employait en
effet 4 500 appelés, dont 835 appelés médecins qui représentaient 25 %
de l’effectif de cette catégorie. Or, la diminution du nombre de médecins
n’a pas été compensée par une réduction équivalente de la clientèle.
Dans d’autres services, les appelés apportaient un « plus » qui fait
défaut dorénavant, sans que la structure en ait été bouleversée pour
autant. Tel est le cas, dans les établissements de la délégation générale
pour l’armement (DGA) où les appelés, scientifiques du contingent
titulaires pour la plupart de diplômes de troisième cycle universitaire ou
de diplômes d’ingénieurs, exerçaient dans les secteurs de la recherche et
de l’enseignement.
C’est principalement dans les armées et la gendarmerie que le
poids et le rôle des appelés, tant numériquement que fonctionnellement,
étaient les plus importants.
Pour l’armée de terre et la marine nationale, les appelés pouvaient
concourir directement à la mission de combat, qu’ils soient affectés dans
des régiments (dont certains étaient totalement ou partiellement composés
de conscrits, hors encadrement supérieur), ou qu’ils servent sur des
bâtiments de la flotte qui constituent des unités opérationnelles à part
entière. Pour ces deux entités, la nécessité de modifier le format de
l’armée elle-même s’est avérée indispensable.
Pour l’armée de l’air et la gendarmerie nationale, les paramètres
différaient dans la mesure où la technicité de l’une conduisait à une
affectation des appelés dans des tâches de soutien (protection, soutien de
l’homme) et le cadre réglementaire de l’autre (habilitation d’officier de
3
) Etaient exclus certains emplois pour lesquels la durée de formation préalable
excédait largement celle du service national (pilotes d’avions de combat ou de
transport, mécaniciens spécialisés, etc.).
4
) Cf rapport public 2002, p. 219 et suiv.
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E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
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police judiciaire, exclusion des opérations de maintien de l’ordre)
cantonnait l’emploi des appelés dans des tâches auxiliaires. Cependant,
pour ces deux autres forces armées, la nécessité de trouver un palliatif à la
disparition des appelés s’est avérée aussi importante que pour la marine et
l’armée de terre dans la mesure où les appelés accomplissaient des tâches
indispensables au soutien de l’activité opérationnelle des unités et
assuraient, pour ce qui concerne la gendarmerie, des missions
opérationnelles.
2
Le nouveau modèle en 2002
L’armée française de 2002 présente un profil très différent de celui
qu’elle présentait en 1996, son format ayant été substantiellement réduit
et sa structure largement modifiée.
a)
Un format significativement réduit
La mise en oeuvre de la professionnalisation n’a pu s’accomplir
que grâce à une redéfinition du format de chaque armée.
Effectifs du ministère de la défense
Terre
Air
Marine
Gendarmerie
Autres
Total
Effectif budgétaire
1996
268 572
93 552
69 878
93 669
47 410
573 081
Annuité 2002 de
la LPM (1)
172 626
71 080
56 464
98 134
41 902
440 206
Source ministère de la défense
(1) Loi de programmation militaire
Cette redéfinition a impliqué une nouvelle formulation des
missions assurées par chaque composante du ministère, comme des
moyens qui y étaient consacrés.
Dans l’armée de terre, armée la plus touchée par la réforme, cette
réorganisation des structures, des missions et des moyens a pris le nom de
« refondation », terme manifestant l’importance du bouleversement
accompli. Pratiquement, cela s’est traduit par la dissolution de
51 régiments, de 218 établissements ainsi que la restructuration de plus de
221 organismes prenant en compte notamment le redécoupage des
structures territoriales de cette armée avec le passage de 9 à 5 « régions
Terre ». L’armée de terre a ainsi supporté 72 % des restructurations de la
défense sur la période 1996-2002.
-
116
-
Les autres armées ont vu également leur format diminuer, à un
moindre degré toutefois. La marine a dû désarmer une vingtaine de
navires dont 10 de manière anticipée, incluant notamment le porte avions
« Foch », ainsi que plus de 20 unités majeures (flottilles de l’aéronautique
navale, unité d’état-major et base aéronavale). L’armée de l’air, pour sa
part, a vu fermer définitivement dix bases aériennes (dont deux avec
plateforme aéronautique) sur les 42 existantes en 1996 ; 5 d’entre elles
ont été
transformées en détachement air, et une vingtaine d’unités, dont
une région aérienne sur les trois existantes en 1996, ont disparu. Enfin les
services interarmées (service des essences et service de santé) ainsi que
les organismes de la délégation générale pour l’armement ont également
resserré leur dispositif territorial.
La gendarmerie nationale, compte tenu de ses missions en matière
de sécurité intérieure, a été la seule force à voir ses effectifs augmenter.
Toutes les composantes du ministère ont ainsi été touchées par des
transferts, restructurations et réorganisations des unités maintenues.
b)
Une nouvelle répartition des effectifs par catégories
Le processus de professionnalisation a conduit également à
modifier structurellement le profil des personnels employés dans les
armées.
A l’annonce de la suspension de la conscription, chaque armée a
procédé à une analyse des postes occupés par les appelés afin de
déterminer les possibilités de réaffectation de ces tâches au personnel
existant ou la nécessité de procéder au recrutement de nouveaux
personnels.
Ainsi les 201 498 appelés ont été remplacés par du personnel
professionnel avec un taux de remplacement proche d’un pour trois, soit
68 623 recrutements complémentaires. Cependant cette substitution ayant
été accompagnée de redéploiements de compétences et d’une évolution
des organisations, l’encadrement a été diminué de près de 15 000 cadres,
officiers et sous-officiers.
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Source ministère de la défense – loi de finances initiale
Le principe ayant guidé les nouveaux recrutements a été de
recentrer le personnel militaire sur ses missions opérationnelles et de
chercher à le remplacer par du personnel civil lorsque les tâches à
accomplir n’étaient pas militaires. Ainsi, 7 248 civils complémentaires
ont été recruté (en deçà pourtant de l’objectif initial qui se montait à
9 275 agents). L’effectif budgétaire en militaires du rang engagés a cru de
47 632, renforcé par l’appoint de 24 788 postes de volontaires.
Quant au taux d’encadrement de l’armée française, il est passé au
cours de la même période de 50 % à 66 %.
0
100000
200000
300000
400000
500000
600000
LFI 1996
LFI 2002
Appelés
Civils
Volontaires
Militaires du rang
Sous-officiers
Officiers
73 747
80 995
214 828
200 516
38 456
37 738
44 552
92 184
24 788
573 081
436 221
Nouveau format des armées françaises
201 498
-
118
-
La féminisation des armées
La féminisation des armées n’est pas une conséquence directe de la
professionnalisation des armées et existait antérieurement à 1996.
Cependant, le recrutement massif de jeunes engagés pour honorer les
nouveaux emplois de l’armée professionnelle a nettement amplifié ce
phénomène, d’autant que les derniers quotas limitant le pourcentage de
femmes ont été supprimés en 1998.
Ainsi, si les armées sont féminisées à hauteur de 12 % en moyenne,
le nombre de femmes recrutées au titre des nouveaux types de contrats
atteint parfois 50 % Concernant les volontaires, le taux moyen de
féminisation se monte à 28 %.
Ce cheminement vers la parité nécessite des aménagements
importants en matière d’infrastructure ou des bâtiments de la marine afin
que soient adaptées notamment les conditions d’hébergement de ces
personnels. Il en résulte que le rythme de féminisation des unités est
progressif et la mixité dans les unités, notamment dans la marine,
strictement planifiée.
B
La mise en oeuvre de la réforme
1
Un rythme de recrutement trop lent
a)
Les insuffisances en effectifs civils
L’objectif d’augmentation de 11 % des effectifs en personnels
civils de la défense a été difficile à atteindre.
Au 31 décembre 2002, 4 961 emplois n’étaient pas pourvus sur un
effectif budgétaire de 80 997 postes. Sur l’ensemble de la période de
montée en puissance de la professionnalisation, le déficit s’est établi en
moyenne annuelle à 6 500 postes.
Les postes non pourvus se trouvent principalement dans le
domaine technique, la catégorie la plus concernée étant celle des ouvriers
d'Etat. Ces vacances dans les emplois administratifs, certes moins
nombreuses, ont eu également
des effets très pénalisants.
Les raisons de ce déficit persistant sont multiples. En premier lieu,
des retards ont été pris dans la création des postes à confier au personnel
civil. Les processus complexes de restructuration et de définition des
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PROFESSIONNELLE
119
profils de postes civils ont, en effet, accru les délais nécessaires à la mise
en place de concours.
En second lieu, confrontée à la nécessité de procéder au
reclassement des agents de la direction des constructions navales en voie
de restructuration, le ministère des finances a interdit à la défense
d’embaucher des ouvriers d’Etat ; ce blocage dans le recrutement n’a été
levé que partiellement en 2002.
Les effets, tant pratiques que psychologiques, de cette insuffisance
persistante en personnels civils sur les personnels de la défense ont été
importants entre 1997 et 2000, période au cours de laquelle le niveau des
effectifs du personnel militaire était lui aussi au plus bas.
Or, pour ce qui concerne les personnels civils, cette situation a été
aggravée par deux facteurs. Tout d’abord un certain nombre d’agents
recrutés n’étaient pas adaptés au niveau des emplois qui leur étaient
attribués. Ce fut particulièrement patent pour les ouvriers reclassés de
DCN, très qualifiés, partant inadaptés aux emplois précédemment
pourvus par des appelés. Le deuxième facteur aggravant est l’intégration
dans les chiffres de création de postes de 2 205 personnes antérieurement
sous statut de droit privé (dits « personnels Berkani
5
»), dont seul le statut
a changé et qui ne peuvent donc être comptés comme des emplois
nouveaux.
b)
Le relatif échec du recrutement des volontaires
Par ailleurs, le ministère de la défense s’est heurté à de réelles
difficultés pour pourvoir les postes de volontaires. Pour un effectif
envisagé dans la loi de programmation militaire 1997-2002 de 27 171 à
son échéance, les autorisations d’emploi au titre de l’année 2002 ont été
réduites à 24 788 postes. Au 31 décembre 2002, le déficit était de 22 %,
(- 28 % par rapport à l’objectif de la loi de programmation militaire),
seulement 19 428 volontaires étant présents dans les différentes structures
de la défense. La situation ainsi créée est particulièrement sensible dans
l’armée de l’air où le déficit enregistré était, à cette date, de 51 %, à
rapporter à un effectif théorique de 1942 postes budgétaires. L’armée de
terre était également fortement touchée avec un déficit de 40 % par
rapport à un nombre théorique de 5 544 postes.
5
) Un arrêt du tribunal des conflits en date du 25 mars 1996, attribuait au sieur
Berkani la qualité d’agent non titulaire de droit public alors que jusqu’à cette date, les
agents employés par les structures à personnalité morale distincte du ministère
(cercles, foyers) étaient considérés comme des personnels de droit privé, donc non
décomptés dans les effectifs budgétaires.
-
120
-
Cette difficulté à recruter des volontaires est la conséquence
directe de la faible attractivité de leur statut. Recrutés sur la base d’un
contrat d’un an renouvelable quatre fois, la rémunération des volontaires,
comparable à celle d’un « emploi jeunes », est perçue comme modeste,
compte tenu des contraintes de service propres au statut militaire. C’est
particulièrement vrai pour ceux d’entre eux qui sont déjà qualifiés et pour
les aspirants que leur cursus d’études pousse à chercher d’autres voies (en
2002, le déficit en volontaires aspirants de l’armée de terre se montait à
82 % de l’effectif budgétaire). Pourtant, les modalités d’accomplissement
de leur durée de service paraissaient adaptées à un cursus d’étudiant (avec
notamment la possibilité de concentrer les périodes de présence sur les
périodes de vacances scolaires).
Les principaux cadres d’emplois militaires dans les armées depuis
2002
Les volontaires
: servant sous contrat d’un an renouvelable quatre
fois, ces personnels, qui peuvent occuper des emplois de niveau officier,
sous-officiers et militaire du rang sont les « héritiers » des anciens appelés
en ce qu’ils témoignent du lien armée-nation. Ils ont vocation à ne faire
qu’un court passage dans les armées.
Les engagés sous contrat
: ils peuvent servir aux trois niveaux
hiérarchiques précédemment évoqués mais sont signataires de contrats
renouvelables de durée variable (2 à 8 ans). Ils ont vocation à rester dans
les armées pour des carrières de moyenne durée (en principe inférieures à
15 ans et au maximum de 20 ans) ou à être intégrés dans les statuts de
militaire de carrière qui peuvent les conduire jusqu’à la retraite.
Les militaires de carrière
: ils sont officiers ou sous-officiers et
appartiennent à la fonction publique pour une durée indéterminée qui peut
les conduire jusqu’à la retraite. Les officiers accèdent directement au statut
de carrière par concours ; les sous-officiers après une certaine durée de
service sous contrat (une dizaine d’années environ).
Le ministère de la défense a pris acte de l’échec relatif de ce mode
de recrutement en procédant à la suppression de 1590 postes de
volontaires de l’armée de terre dans la loi de finances initiale pour 2003.
c)
Le recrutement des engagés
En 1997, les armées n’étaient pas préparées à se présenter sur le
marché du travail pour y effectuer des recrutements massifs. En effet,
jusqu’à cette date, la ressource en main d’oeuvre d’exécution était
disponible sans recherches particulières dans la mesure où les contingents
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E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
121
de conscrits, représentatifs de la population française, offraient dès leur
arrivée dans les cadres les qualifications professionnelles souhaitées et un
éventail de niveau scolaire ou universitaire les rendant directement
utilisables, étant donné la variété des fonctions à remplir.
Avec la fin de la conscription, les armées ont dû développer des
compétences nouvelles de gestion des ressources humaines, notamment
en matière de recrutement. L’absence de cette culture et de cette
expérience de recruteur, dans les premiers temps, a conduit les armées à
privilégier des objectifs de volume d’effectifs sans que soit suffisamment
prise en compte la qualification des candidats.
Deux types d’effets ont découlé de cet état de fait initial.
Tout d’abord la faiblesse notable du niveau moyen de compétence
et de motivation des éléments recrutés a affecté l’ensemble des armées,
en étant plus ou moins sensible suivant le mode de recrutement adopté
par chacune d’elle. Dans la marine, les premiers recrutements ont été très
décevants mais ce sont améliorés au fil du temps. Pour l’armée de terre, le
taux de satisfaction de l’encadrement à l’égard des nouveaux engagés
reste faible.
L’exemple des engagés sur contrats court marine
En 1996, avant même la suspension de la conscription, la marine
avait décidé de recruter des engagés de courte durée en recourant au vivier
des demandeurs d’emploi inscrits dans les missions locales d’insertion.
Jeunes en difficulté, pas ou peu diplômés, ils avaient vocation à servir
deux ans dans la marine en étant, à terme, rendus à la vie civile après avoir
acquis une expérience et s’être réinsérés socialement.
Les premières expériences ont été décevantes, dans la mesure où
ces jeunes étaient instables et indisciplinés. De fait, un taux d’attrition très
important (42% les premières années) fut enregistré dès les premiers mois
de leur engagement et le nombre de sanctions disciplinaires et pénales,
élevé. Une augmentations très significatives des ratios d’encadrement dans
les unités concernées s’est révélé indispensable.
Dans un deuxième temps, grâce à une meilleure sélection des
candidatures par les missions locales d’insertion et une adaptation des
structures et de l’encadrement accueillant ces engagés, leur accueil au sein
des unités est apparu plus supportable.
Si cette expérience des « contrat court marine » (devenus, depuis,
des « engagés de courte durée ») a connu un réel succès en termes
d’intégration sociale (70 % des jeunes ayant suivi cette filière occupent un
-
122
-
emploi stable un an après la fin de leur contrat), elle n’a pas été sans
alourdir le poids des tâches des marins dans une période très contrainte.
La deuxième conséquence de cette politique de recrutement axée
principalement sur la satisfaction d’un besoin quantitatif a été la nécessité
pour les armées de multiplier les cadres statutaires afin que les cursus
proposés attirent le maximum de candidats. Ainsi, à côté de contrats de
longue durée (ouvrant la possibilité d’un temps de présence dans l’armée
d’une dizaine d’année ou d’une intégration comme sous-officier de
carrière), ont été créés des contrats de courte durée (limités à deux ou
trois ans à l’origine) afin de disposer d’une main d’oeuvre peu qualifiée et
souple d’emploi. La marine, par exemple, afin d’éviter de reporter
l’engagement de candidats en écoles de sous-officiers d’une année sur
l’autre, a créé des contrats dits « de moyenne durée » permettant au
candidat d’espérer une intégration dans l’école visée dès qu’une vacance
s’ouvrirait ou, à défaut, de servir 4 ans.
Face aux difficultés de recrutement, les armées ont élargi les
possibilités de renouvellement de ces différents contrats. Ainsi, des
contrats de courte durée peuvent dorénavant être renouvelés pour
permettre à leur titulaire d’atteindre une durée de service équivalente à
celle des engagés de longue durée, ce qui leur fait perdre les avantages de
souplesse qui les caractérisaient et diminue la lisibilité des offres
d’emploi. En effet, le niveau requis pour des candidats à un engagement
de courte durée n’est pas forcément adapté à un emploi de plus longue
durée qui suppose une progression technique et professionnelle. Les
armées cherchent donc empiriquement à trouver le juste équilibre entre
les coûts du recrutement, de la formation et du reclassement qu’entraine
un renouvellement fréquent des personnels, d’une part, et les durées
adaptées de contrats, d’autre part.
A terme, ces errements, comme la multiplication des statuts,
risquent de générer des frustrations parmi les engagés ne bénéficiant pas
de ces mesures et des revendications de titularisation de la part de
personnels qui n’ont pas vocation à l’être, fragilisant le climat social de
l’institution.
2
Des mesures coûteuses de reclassement dont les effets ont
souvent dépassé les objectifs
Tout en recrutant de nouveaux personnels, les armées ont dû
mettre en oeuvre une politique d’incitation au départ des cadres militaires
dont l’effectif devait être réduit afin d’être conforme au format de la
nouvelle armée professionnelle.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
123
Le dispositif juridique de reclassement des militaires dans des
emplois civils, qui existait avant 1996, a été complété par des mesures
d'incitation au départ. Deux possibilités étaient ouvertes au titre de la
période 1997-2002. Des pécules pouvaient être versés aux militaires
demandant leur mise en retraite anticipée dès lors qu’ils avaient
acquis
des droits à la retraite mais étaient encore assez éloignés de leur limite
d’âge statutaire. Des congés divers de reconversion rémunérés,
permettant à des militaires souhaitant intégrer le monde de l’entreprise
afin de suivre des formations (éventuellement financées par le ministère
de la défense), pouvaient atteindre jusqu’à 12 mois,.
Sur l’ensemble de la période, ce dispositif a coûté 659,6 M€ et a
bénéficié à 720 officiers et 13 000 sous-officiers, ce qui représente une
moyenne de 48 000 € par individu.
Il est très difficile de porter un jugement définitif sur les effets
exacts de cette politique d’aide au départ rapportée à son coût. En effet,
nombre des dispositifs utilisés dans le cadre de la professionnalisation
existaient antérieurement à sa mise en oeuvre. Par ailleurs, il serait
hasardeux d’estimer que les départs enregistrés ne sont intervenus que
grâce aux mesures d’aides proposées. L’effet de ces mesures à été très
hétérogène suivant les armées. De manière générale, et concernant les
pécules notamment, un effet d’aubaine a dû jouer puisque les demandes,
notamment en début de période où le montant de l’aide (dégressif par la
suite) était le plus élevé, ont largement excédé les prévisions et, par voie
de conséquence, les agréments. Devant le succès de ces mesures, des
aides au départ ont été accordées au-delà des prévisions et certaines
armées se sont trouvées confrontées à un déficit de cadres, non envisagé à
l’origine.
3
Une forte tension sur les cadres
La suspension de la conscription devait normalement être réalisée
seulement à la fin de l’année 2002. En réalité, à compter du 31 décembre
2001, restait sous les drapeaux moins d’un millier d’appelés ayant signé
un engagement volontaire de service long.
-
124
-
(Source Cour des comptes)
Dès 1999, l’effectif d’appelés effectuant leur service a été
systématiquement inférieur aux emplois ouverts, eux-mêmes revus à la
baisse par rapport à la loi de programmation militaire 1997-2002. Ainsi,
en 2000, pour un effectif budgétaire de 62 475 appelés, le nombre moyen
d’emplois pourvus n’était que de 53 131 ; de même, en 2001 pour un
effectif budgétaire de 22 818 appelés, le nombre de conscrits réellement
présents dans les forces se montait en moyenne à 13 549. Il résulte de ces
éléments que pendant les années 1999 à 2001 principalement, la
conjugaison de la diminution plus rapide que prévu du nombre des
appelés et le retard pris dans le recrutement des effectifs destinés à les
remplacer a fait peser sur les présents au sein du ministère des contraintes
très fortes. Elles n’ont pas été sans incidence sur son activité mais aussi
(et peut être surtout) sur le climat social des armées. En effet, alors
qu’elles étaient au cours de cette période très sollicitées par des
opérations militaires extérieures (ex-Yougoslavie, Rwanda, Afghanistan,
etc), mais également intérieures (plans POLMAR, Vigipirate, etc.), les
efforts demandés ont été supportés par un nombre restreint de militaires,
officiers et sous-officiers essentiellement, ce qui a certainement contribué
à faire naître des revendications à caractère social.
L’illustration de ce phénomène a été très sensible dans la
gendarmerie où les mouvements sociaux du mois de décembre 2001 ont
résulté notamment de l’insuffisance du nombre de volontaires à une
période où les besoins opérationnels se sont considérablement accrus.
0
20000
40000
60000
80000
100000
120000
140000
160000
180000
200000
E
f
f
e
c
t
i
f
r
é
a
l
i
s
é
Recrutements et déflation du nombre d'appelés
1996
1997
1998
1999
2000
2001
2002
Déflation du personnel appelé
CIVILS
Engagés
volontaires
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
125
C
Le coût de la réforme en 2002
1
Les difficultés de chiffrage du coût de la professionnalisation
Porter un jugement définitif sur le coût de la professionnalisation
est un exercice délicat, car les effets de cette réforme s’étendront sur les
années à venir.
Aussi, la Cour des comptes ne peut que se borner à évaluer des
effets connus de la réforme tels qu’ils sont appréhendables à la fin de
l’année 2002, sans que ce chiffrage puisse être considéré comme le coût
global et définitif de cette réforme.
En effet, la professionnalisation des armées est l’une des
composantes de la réforme du ministère de la défense à côté d’autres
restructurations, dont la principale est, bien évidemment la réduction du
format des armées, mais qui comprennent également, par exemple, la
réduction des coûts d’intervention de la délégation générale pour
l’armement (DGA). Ces réformes ont, par ailleurs, subi l’impact
d’événements ayant entraîné des modifications importantes au cours des
années 1997-2002. Il en va ainsi, notamment, du plan de redéploiement
de la gendarmerie et de l’augmentation de ses effectifs décidée lors de
conseils de sécurité intérieure successifs, de la prise en compte au sein du
budget de la défense de la direction des constructions navales (DCN) pour
sa partie étatique. D’autre part, des modifications du processus même de
la professionnalisation ont eu un impact important sur son déroulement
temporel telles que les mesures de diminution plus rapide du nombre des
appelés et la création concomitante de postes de volontaires.
Enfin, les difficultés déjà évoquées de recrutement des personnels
ont eu pour effet de reporter sur les années postérieures à 2002 certains
coûts de rémunérations et de charges sociales.
2
Un impact financier apparemment maîtrisé sur le titre III et
limité sur le titre V du budget du ministère de la défense
a)
Des crédits de fonctionnement en apparence maîtrisés
L’analyse des crédits prévus en loi de programmation militaire fait
ressortir une augmentation relativement modérée des dépenses de
fonctionnement sur la période considérée. En effet, la réduction des
effectifs s’est en réalité traduite par une redistribution des coûts entre
-
126
-
différentes catégories de personnels plus coûteux que les appelés. De
plus, cette croissance des dépenses ne peut qu’être partiellement imputée
à la professionnalisation, dans la mesure où elle intègre des dépenses non
prévues en programmation (loyers de la gendarmerie découlant du plan
de redéploiement de cette force armée par exemple). Si l’on ramène
l’exécution des budgets de la période au périmètre de la loi de
programmation militaire, l’augmentation des dépenses par rapport aux
prévisions se montent à un total d’environ 1,25 Md€ pour l’ensemble de
la période 1997-2002.
Exécution du titre III sur la période de professionnalisation
6
Md€
1997
1998
1999
2000
2001
2002
LPM
15,58
15,81
15,99
16,03
16,23
16,59
LFI
15,58
15,81
15,85
16,01
16,09
16,46
Exécuté
7
15,91
16,47
16,48
16,56
17,53
17,53
(source Cour des comptes)
Cette augmentation est le résultat de divers facteurs :
-
la majoration non prévue des coûts de mesures inscrites en
programmation (les revalorisations touchant les rémunérations
et accessoires, prises en faveur du personnel militaire, ont
représenté 323 M€ au lieu des 75 M€ prévus et les crédits
inscrits au fonds d’accompagnement de la professionnalisation
ont représenté 52 M€ au lieu des 17 M€ envisagés) ;
-
la
nécessité
de
financer
les
mesures
décidées
hors
programmation (création de nouveaux emplois, mesures
touchant la condition militaire, etc.), même si une part non
négligeable de leur coût a été absorbée grâce aux économies
réalisées sur le modèle prévu (postes vacants de personnels
civils ou de volontaires notamment).
Un autre paramètre explicatif de la croissance des dépenses du titre
III est naturellement le différentiel de coût entre les appelés et les
professionnels qui les remplacent. Ce différentiel est accru par l’octroi de
mesures de revalorisation salariales, auxquelles les appelés n’étaient pas
éligibles. A titre d’exemple, le coût annuel d’un volontaire en
6
) T III hors pension à périmètre de programmation et unité monétaire courants.
7
) Hors OPEX.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
127
gendarmerie se montait en 2001, suivant le ministère de la défense, à
15 229
€ par an contre 6 492 € pour un appelé
8
.
Mais cette relative maîtrise des dépenses du titre III n’est
qu’apparente.
En effet, l’objectif de la loi de programmation 1997-2002 incluait
une
réduction
de
20 %
du
montant
des
crédits
consacrés
au
fonctionnement courant. Or, sous la pression du coût croissant des
rémunérations, les crédits consacrés au fonctionnement courant des
armées ont été réduits de plus de 23 %
9
, ce qui a eu un impact
déterminant sur leur activité opérationnelle et sur l’entretien courant des
matériels. Ce phénomène a été accentué par les surcoûts dus à des
facteurs extérieurs au processus de professionnalisation (hausse du coût
des carburants, nécessité de financer les loyers des gendarmes dans leurs
nouvelles zones de compétence). De plus, la réduction des budgets de
fonctionnement a produit ses effets les plus sensibles en 1999 et 2000,
amplifiant encore la morosité des personnels de la défense, déjà très
touchés par les sous-effectifs.
En conséquence, l’exécution des dépenses de fonctionnement
courant des armées a largement excédé les crédits votés (18 % en 2002) et
certaines dépenses ont dû être différées.
b)
Un impact limité sur l’évolution des crédits d’investissement du
ministère de la défense
L’impact direct de la professionnalisation sur les crédits du titre V
du ministère de la défense apparaît en première instance très limité. En
effet, en ce qui concerne l’équipement des forces, l’effet de la suspension
de la conscription se confond avec celui de la réduction de format des
armées. Les coûts qui peuvent être rattachés directement à la
professionnalisation
découlent
essentiellement
des
opérations
d’infrastructure. A cet égard, seules l’armée de l’air et l’armée de terre
ont eu une politique clairement identifiée de prise en compte du
changement de statut des personnels appelés en personnels engagés, pour
mener leur politique immobilière. Ainsi, l’armée de terre, compte tenu
des effectifs concernés, a élaboré un plan d’action (plan « Vivien »)
visant à mettre en conformité avec les exigences de militaires engagés les
hébergements des anciens appelés dont la durée de présence sous les
drapeaux se limitait à quelques mois. Ces normes d’hébergement ont
8
) Base : gendarme adjoint/gendarme auxiliaire en 2001.
9
) à structure courante et francs constants 2002, méthode d’évaluation prévue par la
LPM 1997-2002. A structure constante 2002, cette déflation s’établit à 19,3 %.
-
128
-
d’ailleurs évolué au cours de la période et l’échéance du plan Vivien a été
prolongée à 2010. Pour mener à bien cette opération d’envergure
(création de 42 000 places), considérée comme prioritaire par l’armée de
terre, la défense s’est engagée à affecter sur ce projet 92 M€ par an. En
réalité, fin 2002, 568 M€, soit un dépassement des prévisions de plus de
15 M€, avaient déjà été dépensés sur la période au titre de ce plan.
A côté de ces coûts relativement modérés à l’échelle du budget
d’investissement de la défense (12,3 Md€ en LFI 2002), le ministère a
procédé à l’aliénation d’une partie de ses emprises immobilières, générant
des recettes évaluées à environ 23 M€ par an, en moyenne, depuis 1997.
Cette opération a fait apparaître la complexité et le caractère peu rentable
de l’aliénation des sites militaires en raison de leur faible attractivité et
des nécessités de procéder à des dépollutions préalables à toute mise en
vente. Cependant, ces aliénations sont autant la conséquence de la
réduction de format des armées que de sa professionnalisation.
Le bilan financier provisoire de la professionnalisation des armées
françaises, tel qu’on peut le dresser à la fin de 2002, est ainsi mitigé et
semble devoir renvoyer dos à dos ceux qui estimaient que cette réforme
allait être excessivement coûteuse et ceux qui pensaient qu’elle serait
génératrice d’économies substantielles.
En fait, l’analyse effectuée par la Cour des comptes fait apparaître
de nombreux éléments structurels qui constituent pour l’avenir de la
professionnalisation autant de défis d’importance à relever.
La journée d’appel à la préparation de défense
La loi du 28 octobre 1997 a institué une journée d’appel à la
préparation de défense (JAPD) dont la vocation principale est le maintien
du lien armée-nation par une information sur la place et le rôle de la
défense nationale. Se déroulant au sein des armées, cette JAPD est
organisée par la direction du service national (DSN) qui assurait la
sélection et l’orientation des appelés, antérieurement à la suspension de la
conscription.
Inscrite dans le cadre du « parcours de citoyenneté », comme le
recensement, cette journée est obligatoire pour tous les jeunes français,
garçons et filles. La présence à la JAPD entraîne la délivrance d’une
attestation indispensable pour s’inscrire à tout examen (y compris le
permis de conduire).
Si 700 000 jeunes environ participent chaque année à cette journée,
son impact est incertain et son coût élevé.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
129
Les enquêtes concernant l’image de l’institution « défense »,
menées auprès des jeunes ayant suivi cette sensibilisation, font, en effet,
apparaître des résultats mitigés et assez peu différents de ceux recueillis
auprès des jeunes n’y ayant pas encore participé. De plus, la portée de
cette journée en matière de recrutement reste à démontrer.
Enfin, l’organisation de cette journée nécessite des moyens
humains et financiers très importants. Ainsi la DSN qui en est responsable
administrativement emploie plus de 3 000 personnes (soit 41 % de ses
effectifs lorsqu’elle était responsable de la mise en oeuvre de la
conscription), alors même que le déroulement de la journée est assuré
principalement par du personnel prélevé sur les armées.
Le coût unitaire de la JAPD étant évalué à près de 160 € par jeune
concerné, le coût total s’établit à environ 150 M€ par an, ce qui, pour une
seule journée et eu égard à son impact sur les jeunes tel qu’il est constaté,
paraît considérable. Le ministère de la défense met en oeuvre depuis
octobre 2003 des mesures visant à mieux rentabiliser cette journée en
termes de facilitation du recrutement et de lutte contre l’illettrisme.
II
Les défis de l’avenir
A
Le renouvellement des ressources humaines
1
Le recrutement de personnels de la défense sur le marché de
l’emploi
a)
Des besoins sans rapport avec le volume de candidatures
envisageables
Comparé à d’autres secteurs régaliens de l’Etat, le modèle d’armée
résultant du processus de professionnalisation présente la particularité de
faire subsister en son sein de nombreux contrats à durée déterminée. Le
recours à ces cadres juridiques, préexistant à la suspension de la
conscription, s’est intensifié et l’essentiel des nouveaux recrutements
militaires a été réalisé par voie contractuelle et non par titularisation sous
statut de carrière. En 2002, les effectifs sous contrat représentaient 51 %
de l’effectif militaire total.
Cette forme juridique d’engagement apporte une grande souplesse
quant au profil des militaires recrutés. Mais, compte tenu des effectifs de
-
130
-
contractuels existants dans les armées et de la durée moyenne de leur
présence, la pérennisation du système retenu repose sur la capacité des
armées à renouveler leurs personnels, ce qui constitue un enjeu
d’importance.
En effet, en 2002, l’objectif de recrutement s’est élevé à 45 323 et
à 42 057 en 2003. En régime stabilisé, il est évalué par le ministère à
environ 30 000 recrutements par an. Or, le taux de sélection moyen
souhaité pour maintenir le niveau des candidats recrutés se situe aux
alentours de trois candidats pour un poste à pourvoir. De ce fait même, les
armées doivent pouvoir être en mesure d’attirer près de 90 000 candidats
par an. Cet objectif, très élevé, puisqu’il représente 23,7 % d’une classe
d’âge de garçons et 12 % d’une classe d’âge complète, est déjà difficile à
atteindre en période de faible croissance économique, où le nombre de
demandeurs d’emploi est important ; il le sera encore plus dans la durée,
face à un marché du travail plus tendu, notamment en raison de l’arrivée
de classes d’âge moins importantes.
b)
Des ratios de sélection peu élevés
De telles incertitudes quant à la réalisation des objectifs
quantitatifs de recrutements retenus par la défense risquent d’entraîner
une baisse du niveau général des
engagés, incompatible pourtant avec la
technicité croissante des tâches à réaliser.
D’ores et déjà, on peut observer que les ratios de sélection des
candidats ne répondent pas vraiment aux souhaits des directions des
ressources humaines, même si l’importance des difficultés rencontrées
diffère suivant les armées ou les services concernés et le niveau de
recrutement souhaité.
Bien qu’enregistrant une baisse régulière, la sélection reste très
élevée pour les carrières d’officiers. A ces niveaux d’emplois, encore très
prisés, et majoritairement pourvus par concours, la défense enregistre 8 à
13 candidats pour un poste à pourvoir, voire jusqu’à 20 candidats à la
délégation générale pour l’armement.
Pour les engagements de sous-officiers, le niveau de sélection,
compris entre 3 et 5, reste encore élevé.
Mais la vraie difficulté réside dans le recrutement des engagés
militaires du rang, pour lesquels le taux de sélection, très faible, se situe
en moyenne à 1,5. Ce ratio est encore plus bas pour la catégorie des
volontaires dont les emplois sont souvent attribués à raison d’un candidat
par poste.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
131
Cependant l’attractivité propre à chaque armée joue un rôle
déterminant. Ainsi, la gendarmerie nationale se voit adresser en moyenne
2,4 candidatures pour un poste de gendarme adjoint alors que l’armée de
terre a recruté des volontaires non-officiers en 2000 avec un taux de
sélection de 1,1 candidat présélectionné par poste à pourvoir.
c)
Des difficultés pour pourvoir les postes très qualifiés
A la faible attractivité des postes d’engagés à faible niveau de
qualification s’ajoutent de réelles difficultés à pourvoir les emplois de
spécialistes de haut niveau.
En effet, les filières professionnelles dans les armées couvrent
dorénavant l’ensemble du spectre des métiers du monde civil. De ce fait,
les recrutements à opérer sont soumis aux mêmes contraintes que sur le
marché ouvert de l’emploi. De plus, aux contraintes propres à la
profession exercée s’ajoutent les sujétions de service propres
10
à l’état
militaire.
Dès lors, il n’est pas surprenant que certaines spécialités soient très
significativement déficitaires. Tel est le cas des professions médicales et
paramédicales, mettant les hôpitaux des armées en grande difficulté, mais
aussi celui des professions liées aux secteurs de pointe comme le domaine
nucléaire, les télécommunications ou les spécialités informatiques.
A l’inverse, si les armées connaissent des difficultés pour
maintenir leur effectif de professionnels confirmés, le recrutement de
jeunes spécialistes par le recours à des contrats courts (moins
contraignants temporellement parlant) est un succès. Ainsi en est-il des
volontaires de haut niveau (VHN), embauchés pour une courte durée (un
an renouvelable) et employés directement dans des secteurs de pointes
(30 % d’entre eux travaillent dans les services techniques de la délégation
générale pour l’armement et les autres dans des écoles ou des centres de
formation et de recherche). Cependant, les militaires ainsi recrutés ne
peuvent être employés durablement dans la mesure où les jeunes engagés
sous ce statut n’ont pas vocation à servir longtemps dans les armées et
choisissent ce type d’emplois afin d’acquérir une première expérience
professionnelle. De nouveaux recrutements sont alors nécessaires sans
qu’une capitalisation sur l’expérience professionnelle puisse être réalisée
par le ministère sur cette population d’engagés.
10
) le statut général des militaire prévoit qu’un militaire peut servir « en tout temps et
en tout lieu » ce qui peut entraîner l’obligation de servir sur les théâtres d’opérations
extérieures, mais aussi des contraintes de mutations, de permanences, etc.
-
132
-
2
Le nécessaire accroissement de l’attractivité des armées
Face à ces difficultés, dont l’amplification au cours des années à
venir est prévisible, le ministère de la défense a mis en oeuvre différents
moyens d’action afin d’attirer et de maintenir dans ses cadres les
personnels qui lui sont nécessaires.
a)
Le développement de structures et de procédures de recrutement et
de reconversion
Des structures chargées du recrutement et du reclassement des
personnels ont été créées ou fortement développées.
La responsabilité de pourvoir au recrutement de ses personnels
militaires incombe à chaque armée ou service. Aussi, chaque secteur a-t-il
développé ses propres structures d’information et de recrutement
11
,
coordonnées par un échelon central et adossées à une politique de
communication propre.
Le coût de ces entités est relativement modéré, compte tenu de
l’enjeu que représente la réussite d’une politique active de recrutement.
Environ 2 350 personnes sont affectées à cette fonction et son coût serait
de l’ordre de 130 M€, sans que la défense soit en mesure de certifier ce
chiffre, faute d’outil analytique suffisamment performant.
Par ailleurs, si le développement d’une politique de reconversion
des personnels peut sembler,
a priori
, contradictoire avec le souci affirmé
de conserver le maximum de personnels dans ses cadres, il procède en
réalité tout à la fois de la nécessité fonctionnelle de disposer d’effectifs
suffisamment jeunes, s’agissant de personnel militaire, et du choix de la
défense de proposer aux candidats à l’embauche, pour les attirer, un plan
de carrière complet et attractif.
Cette politique est particulièrement nécessaire pour les spécialités
combattantes qui ne permettent pas un retour aisé au monde civil.
Pour assurer la pérennisation d’une politique du personnel
attractive, le ministère de la défense considère que, l’organisation mise en
place doit subsister dans l’avenir et que des
incitations financières
devront prendre le relais des mesures réglementaires de la période 1997-
2002, dorénavant caduques.
11
) Centres d’information et de recrutement de l’armée de terre - CIRAT -, bureaux
d’information sur les carrières de la marine - BICM -, etc.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
133
b)
Des mesures de fidélisation nécessaires mais coûteuses à terme
Conscient des écueils présents et à venir, le ministère a adopté
depuis 2002 des mesures visant à fidéliser ses personnels. Il s’agit
d’incitations financières individuelles, mais aussi de l’amélioration des
conditions de travail.
Le financement de ce dispositif est notamment assuré par le fonds
de consolidation de la professionnalisation cité dans le cadre de la loi de
programmation 2003-2008 et doté de 572,58 M€ sur l’ensemble de la
période. Ont été ainsi favorisées la création de primes de spécialités ainsi
que l’augmentation des aides financières à la mobilité des personnels.
Des réflexions sur l’adaptation des statuts et sur les éléments
participants de la condition militaire ont également été initiées par le
ministère de la défense. D’ores et déjà, a été mis en place un plan
d’amélioration
de la condition militaire (PACM) dont le coût est évalué à
278 M€ pour la période 2003-2008.
Enfin, indépendamment d’autres motifs plus impératifs, la fixation,
par la loi de programmation 2003-2008, d’objectifs élevés en termes
d’activité opérationnelle et d’entraînement, est affiché comme l’un des
moyens permettant de proposer à de jeunes candidats à l’engagement un
métier intéressant et motivant.
Le ministère estime que l’impact de ces mesures sur les dépenses
du titre III de son budget sera sensible en 2004. Si ce pas est franchi en
2004, aucune augmentation supplémentaire ne devrait grever les budgets
suivants au titre de la professionnalisation.
Il parait vraisemblable, au contraire, que cette consolidation de la
réforme va entraîner des surcoûts de fonctionnement des armées très
significatifs. Les différentes mesures envisagées ouvrent, par exemple, la
porte à une modulation des rémunérations de manière à permettre aux
armées d’adapter au mieux leurs recrutements à l’évolution du marché de
l’emploi. Or ce dispositif est en contradiction avec le principe général de
la rémunération liée au grade, fixé par le statut général des militaires. Le
bouleversement de ces règles, s’il est possible et souhaitable, ne pourra se
faire sans mesures salariales compensatrices.
La nécessité de prévoir des incitations financières importantes pour
permettre de maintenir les effectifs au niveau souhaité, notamment dans
les spécialités très déficitaires, résulte de la professionnalisation des
personnels et les exemples étrangers font apparaître le caractère très
inflationniste d’une armée professionnelle.
-
134
-
En ce sens, l’accroissement, depuis 1997, du nombre de militaires
professionnels bénéficiant des mesures annuelles ou exceptionnelles de
revalorisation salariale, accentue leurs poids sur le budget.
Un exemple étranger
Toutes les armées professionnelles sont confrontées à des
difficultés de recrutement de personnels, notamment très qualifiés.
Par exemple, l’armée canadienne considère que 41 % de ses
spécialités professionnelles posent de graves problèmes de recrutement,
ces difficultés concernant particulièrement les médecins, les juristes, les
pilotes ou les ingénieurs en télécommunication, etc.
Pour inciter ces spécialistes à s’engager, l’armée canadienne a
proposé des primes d’engagement pouvant atteindre 20 000 $ pour un
jeune diplômé, 40 000 $ pour un ingénieur et jusqu’à 250 000 $ pour un
médecin signant un contrat de trois ans.
Pour la période 1996-2012, les prévisions de l’Office of the auditor
général sur l’évolution du budget de la défense canadienne font apparaître
le poids considérable des charges de personnel sur les dépenses et ses
conséquences sur l’évolution des crédits affectés à l’investissement. Ainsi,
d’un ratio de 75 % de dépenses de fonctionnement pour 25 % de charges
d’investissement en 1996, le budget canadien de la défense passerait, à
l’échéance 2012, à un ratio de 90 % de charges de fonctionnement pour
10 % de dépenses en capital.
En matière d’investissement également, certaines opérations
découlant directement de la professionnalisation des armées, différées ou
étalées dans le temps, vont générer pendant plusieurs années des dépenses
importantes : achèvement du plan Vivien, remise à niveau du parc
immobilier locatif, etc. De plus, les exemples étrangers, comme les
dernières années d’exécution de la loi de programmation 1997-2002, font
apparaître que l’accroissement des rémunérations a un effet d’éviction des
dépenses en capital, tant il est vrai que le budget de la défense est
considéré globalement quant à son poids sur les finances publiques.
Pour pérenniser la réforme de la professionnalisation, le ministère
de la défense devra certainement consentir un effort financier très
important, vraisemblablement bien au-delà du coût des mesures déjà
décidées, mettant en péril l’économie de la loi de programmation 2003-
2008.
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
135
B
L’externalisation des tâches
1
Une option qui soulève des questions de principe
La possibilité de faire accomplir certaines tâches, notamment dans
le domaine des soutiens non combattant, par des intervenants extérieurs à
la défense, est l’une des questions récurrentes qui se posent au ministère.
Du fait de la professionnalisation des armées et du resserrement de
l’organisation et des effectifs, elle a pris récemment une dimension
nouvelle. En effet, l’un des principes directeurs adoptés pour présider au
remplacement des appelés, a été le recentrage du personnel militaire sur
ses missions combattantes et le recours à du personnel civil pour
accomplir
les
tâches
ne
relevant
pas
strictement
de
l’activité
opérationnelle.
Dans les faits, le recensement de ces tâches a présenté des
difficultés
conceptuelles
importantes.
En
effet,
les
missions
opérationnelles ne se limitent pas à la seule action du combattant, mais
englobent l’ensemble de « l’environnement » nécessaire à son transport
sur les théâtres d’opération, à sa vie sur le terrain, tant dans le cadre de sa
mission que pour son soutien individuel et collectif. Par ailleurs, le
caractère protéiforme des opérations menées par les armées modernes
(opérations de maintien de la paix, action humanitaire, assistance civilo-
militaire, etc.) ne rend pas aisée une répartition pertinente entre les tâches
du ressort d’un personnel militaire et celles pouvant être confiées à
d’autres intervenants.
Sur le territoire français, en métropole ou outre-mer, certaines
fonctions semblent pouvoir aisément être confiées à du personnel non
militaire (restauration, soutien administratif, soutien des appareils et
outillages, gardiennage, entretien, etc.). Néanmoins la nécessité de
préserver la maîtrise par le personnel militaire des compétences
nécessaires dans tous les domaines indispensables en opérations reste une
priorité des états-majors.
Pour toutes ces raisons, le ministre de la défense avait donc
souhaité, au début du processus de professionnalisation, que ne soit
envisagée l’externalisation de certaines tâches qu’en s’assurant de la
réversibilité des expériences lancées.
-
136
-
2
Une option dont la rentabilité reste à évaluer et dont l’emploi
est contraint par des choix antérieurs
Des expérimentations d’externalisation ont été menées dans
certains secteurs du ministère de la défense, les tâches de soutien étant
les
plus
concernées
par
cette
démarche.
Ainsi,
des
fonctions
antérieurement remplies par du personnel appelé ont pu être confiées à
des entreprises telles que le gardiennage, l’entretien des installations
(locaux et surfaces extérieures), le transport, etc. Du fait de la réduction
de format des armées consécutive à la professionnalisation, ont été
conduites d’autres expériences plus larges telles que l’externalisation de
missions de service public pour la marine (remorqueurs portuaires et de
service public), la formation aéronautique ou encore l’entretien des
véhicules de gamme commerciale.
En termes financiers, comme de volume d’activité, cette
externalisation des tâches reste cependant très marginale dans le
fonctionnement courant des armées. A titre d’exemple, les crédits
consacrés à des tâches externalisées se sont montés en 2002 à 425 M€ soit
2,4 % des dépenses du titre III du budget de la défense et 12 % des crédits
de
fonctionnement
courant.
Cette
faiblesse
relative
a
plusieurs
explications.
D’une part, les armées ont du mal à établir un bilan fiable des
expériences conduites, dans la mesure où les résultats ne sont pas évalués
en tenant compte des coûts enregistrés (notamment les charges de
personnels de la défense sont valorisées le plus souvent hors charges de
pensions). Par exemple, l’externalisation des tâches nécessite la passation
de marchés publics entraînant des charges complémentaires pour les
services administratifs. Une extension du recours à cette procédure
supposerait la création de postes nouveaux, générateurs de coûts. De plus,
le caractère très sporadique des expérimentations d’externalisation ne
permet de générer que peu d’effet d’échelle. Ainsi, il n’est pas avéré que
l’externalisation des tâches soit moins coûteuse que leur accomplissement
en régie.
D’autre part, contraint sans doute par les délais courts de
réalisation de la réforme, le ministère de la défense n’a pas conduit
d’étude suffisamment poussée, préalablement au remplacement des
appelés. Ainsi ces appelés ont-ils souvent été remplacés
mutatis mutandis
par du personnel civil. Un tel remplacement contraint la défense à
conserver la fonction concernée en son sein, pour éviter d’avoir à
supporter le double coût d’un contrat d’externalisation et celui des
personnels en poste. Tel est le cas, par exemple, du service du génie de
l’armée de terre qui a recruté massivement des personnels civils en 1997-
D
E LA SUSPENSION DE LA CONSCRIPTION À LA CRÉATION D
UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
137
2002, sans étudier au fond l’hypothèse de confier une partie de ses tâches
à des entreprises civiles. Le même type de problématique a été observé
dans la marine où la nécessité d’employer les ouvriers civils de DCN a
bloqué les possibilités d’externaliser certaines tâches d’entretien courant
des bâtiments à quai.
La
défense,
qui
souhaite
poursuivre
ces
expériences
d’externalisation, ne pourra faire l’économie de l’élaboration d’un
dispositif performant de connaissance des coûts, qui n’existe pas à ce
jour, débouchant sur une réflexion plus poussée sur l’opportunité de faire
exécuter certaines tâches par du personnel et dans des structures non
étatiques.
C
Le dispositif des réserves
1
Un object
i
f ambitieux
La nouvelle politique des réserves dans les armées a été organisée
par la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999. Ce texte prévoit le remplacement
d’un dispositif autoritaire de mobilisation de masse par un système plus
resserré et contractuel, fondé sur le volontariat.
Deux ensembles aux finalités distinctes sont à distinguer : la
réserve opérationnelle, chargée d’apporter un appoint aux forces
d’active et la réserve citoyenne, constituant le vivier de la réserve
opérationnelle, qui doit contribuer au développement de l’esprit de
défense et à l’entretien du lien armée-nation.
Ces différents statuts de réservistes sont soumis à un régime
d’emploi. Ainsi, les candidats qui souhaitent intégrer la réserve
opérationnelle doivent souscrire un engagement à servir dans la réserve
(ESR) qui limite leur emploi dans les armées à 30 jours par an.
Pour la réserve opérationnelle, l’objectif fixé par la loi de
programmation militaire 2003-2008 est de recruter 100 000 réservistes à
l’échéance 2015
12
. A cette date, et compte tenu de la durée maximale des
contrats de réservistes souscrits pour une durée d’un à cinq ans
renouvelables, le ministère de la défense devra recruter, chaque année, de
l’ordre de 20 000 réservistes, et vraisemblablement un nombre bien
supérieur. Cet objectif est extrêmement ambitieux puisque ces réservistes
devront être recrutés en sus des 30 000 recrutements à intervenir
12
) Un rendez-vous d’étape est prévu par la loi de programmation en 2008 où
l’effectif de réservistes à cette date devra se monter à 82 000 militaires.
-
138
-
annuellement dans l’armée d’active. Il est douteux que la défense puisse
recruter plus de 50 000 jeunes par an sans que le niveau qualitatif de cette
ressource en soit affecté.
2
Des premiers résultats décevants
Il est trop tôt pour porter un jugement définitif sur un système dont
la mise en oeuvre est trop récente (les décrets d’application de la loi
d’octobre 1999 n’ont été pris qu’en 2000 et 2001). L’échéance étant fixée
à 2015, le temps pourrait permettre à ce système de réserves de se
consolider.
Néanmoins, quatre ans après la publication de la loi, les résultats
de recrutement enregistrés sont assez décevants du fait de leur
hétérogénéité. En effet, si le nombre des engagements de réservistes est
encourageant s’agissant du personnel officier (entre 45 % et 85 % des
postes sont honorés), le taux est beaucoup plus faible pour les sous-
officiers (inférieur à 45 % en moyenne) et vraiment insuffisant pour les
militaires du rang (de l’ordre de 20 %).
La défense souhaite constituer une force de réserve en fidélisant du
personnel honoraire mais aussi en recrutant dans la société civile, parmi
les citoyens sans liens antérieurs avec l’armée. En fait, on constate que la
politique de fidélisation dans les cadres de
réserve d’anciens personnels
d’active enregistre un certain succès (le taux d’occupation des postes est
satisfaisant dans les hauts grades d’officiers et de sous-officiers, occupés
0
5000
10000
15000
20000
25000
30000
35000
40000
Officiers
Sous-officiers
Militaires du rang
Etat des recrutements dans la réserve
Cible
Réalisé
10 077
13 650
28 450
13 285
9 102
39 900
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UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
139
essentiellement par des personnels honoraires des armées) mais que les
directions du personnel échouent à recruter des candidats issus
directement de la société civile.
3
Une politique d’emploi qui reste à affiner
Face à ce défi, la loi de programmation militaire 2003-2008 prévoit
d’affecter 85,83 M€ aux mesures d’attractivité du dispositif des réserves
auprès des candidats civils, notamment pour les postes à pourvoir par des
militaires du rang.
Le choix de mesures incitatives pertinentes constitue le coeur du
dispositif. En effet, au cours de la période 1997-2001, la politique des
réserves n’a pas manqué de crédits mais ils n’ont pu être employés faute
de candidats motivés pour honorer les postes ouverts. Cette tendance à la
sous-consommation des crédits s’est inversée depuis 2002. Les armées
ayant, en effet, trop largement recruté dans le vivier des anciens
militaires, plus gradés et donc plus coûteux, les crédits restant sont
insuffisants pour rémunérer d’éventuels nouveaux candidats.
Cependant, la finalité d’emploi d’un dispositif de réserve aussi
volumineux au sein d’une armée professionnelle aux effectifs plus
resserrés qu’antérieurement n’est pas évidente. Si le ministère de la
défense n’arrive pas à définir une politique suffisamment lisible pour le
public, susceptible de générer des vocations auprès de civils n’ayant
jamais été employés précédemment par les armées, il est fort probable
que l’objectif de 100 000 réservistes ne sera pas atteint.
______________________
CONCLUSION
______________________
La réalisation de la professionnalisation des armées, réforme
d’ampleur considérable, a pu être conduite à son terme dans le
calendrier qui avait été fixé par la loi de programmation militaire 1997-
2002.
Si l’on constate que cette réorganisation des armées n’a pas fait
supporter au total à l’Etat, dans un premier temps, des charges
financières supplémentaires très élevées, il faut souligner qu’elle a eu
pour effet d’imposer aux personnels du ministère de la défense de très
lourdes
sujétions.
De
plus,
l’accroissement
des
dépenses
de
rémunérations a fait peser sur le budget de fonctionnement courant de la
défense un poids tel que l’activité opérationnelle des armées s’en est
ressentie et que l’entretien des équipements en a été très affecté.
-
140
-
Pour
l’avenir,
l’importance
des
besoins
de
l’armée
professionnalisée, en crédits comme en effectifs pose le problème de la
capacité du ministère de la défense à renouveler sa ressource humaine,
en qualité et en quantité, tout particulièrement en ce qui concerne les
militaires engagés sans qualification. De même, on peut émettre des
doutes, sur la possibilité de parvenir à construire un dispositif de réserve
à fort effectif dont, au demeurant, la justification n’apparaît pas
clairement.
Pour atteindre ses objectifs, la défense est d’ores et déjà contrainte
de financer des mesures coûteuses afin de fidéliser ses personnels comme
pour susciter de nouvelles candidatures. Cette contrainte devrait
s’accroître encore lorsque le ministère sera confronté à un marché de
l’emploi plus tendu.
Les objectifs d’effectifs programmés au titre de la LPM 2003-2008
supposent un effort financier important pour le pays. Il n’est pas exclu
que les dépenses envisagées pour soutenir ces objectifs se révèlent
inférieures aux charges réelles que les armées devront supporter pour
assurer la consolidation du dispositif professionnel. L’enjeu sera alors de
préserver l’investissement des armées face à un budget de fonctionnement
croissant. Dès lors, la Nation ne pourra faire l’économie d’une
augmentation des crédits consacrés à sa défense ou d’une révision de ses
ambitions telles qu’elles sont, pour l’instant, affichées dans le modèle
d’armée 2015, en termes de nombre et de nature des matériels à
disposition des forces comme des effectifs qui les servent.
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UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
141
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA DÉFENSE
Au-delà des remarques détaillées que vous trouverez en annexe,
l’insertion de la Court appelle de ma part les remarques suivantes :
- le rapport décrit de manière particulièrement objective la conduite
de la professionnalisation par les forces armées et les difficultés
rencontrées. La professionnalisation a effectivement constitué un
bouleversement qui a exigé un important effort d’adaptation pour
l’institution et induit beaucoup de contraintes pour le personnel.
- le
rapport
souligne
très
justement
que,
même
si
la
professionnalisation est formellement achevée, le recrutement et la
fidélisation du personnel restent des sujets de préoccupation, comme
d’ailleurs dans la plupart des armées professionnelles étrangères.
- le rapport adopte toutefois une position très critique sur le dispositif
des
réserves,
s’interrogeant
même
sur
un
volume
jugé
disproportionné avec les effectifs d’une armée au format resserré.
Or, c’est justement la diminution des effectifs d’active qui impose aux
forces armées de rechercher ailleurs le personnel et les expertises dont elles
ne disposent pas. Recourir ainsi, en complément d'une armée professionnelle
resserrée dans ses effectifs, à 45 000 réservistes pour les forces armées,
conduira à une situation comparable à celle du Royaume-Uni. La contrainte
budgétaire et le souci de rentabiliser les ressources allouées ne permettent
pas d’entretenir en permanence certaines spécialités rares ni la totalité des
compétences humaines nécessaires pour faire face à l’éventail des situations
possibles. Ainsi, disposer d’un nombre significatif de réservistes est une
nécessité pour une armée professionnelle, comme le prouvent d’ailleurs les
armées étrangères qui sont professionnalisées de longue date.
Par ailleurs, le rapport, qui souligne un manque de lisibilité de
l’emploi de la réserve, ne fait pas mention des dernières décisions prises par
le ministre de la défense, en juin 2003, sur la place de la réserve militaire
dans l’emploi des forces armées. Il serait souhaitable que ces décisions y
soient intégrées (cf. annexe).
Les réservistes remplissent en pratique de nombreuses fonctions :
- ils assurent la continuité des missions militaires en renforçant ou
remplaçant le personnel d’active, par exemple lors de certains
exercices, mais également en cas d’opérations extérieures (ex-
Yougoslavie…)
ou
intérieures
(lutte
contre
le
terrorisme,
catastrophes naturelles…) ;
- dans des domaines où les armées ne disposent pas en nombre
suffisant de personnes qualifiées, il est fait appel à des réservistes
-
142
-
experts
de
ces
domaines
(actions
civilo-militaires,
langues
étrangères…) ;
- les réservistes contribuent enfin à maintenir le lien entre l’armée et
la nation, lien que la suspension du service national aurait pu
distendre.
ANNEXE
Observations générales
Le rapport public de la Cour souligne l’effort considérable réalisé
ainsi que la part importante prise par l’armée de terre dans le processus de
professionnalisation des armées, alors même qu’elle continuait à remplir les
missions les plus diverses et sensibles tant sur le territoire national que sur
de nombreux théâtres d’opérations extérieures.
Par ailleurs, le rapport public met parfaitement en évidence la
nécessité, pour consolider la professionnalisation, de préserver l’attractivité
des carrières avec pour objectif le maintien des flux de recrutement et la
fidélisation des hommes et des femmes ayant rejoint l’institution.
Enfin, le ministère de la défense souligne la pertinence de la
conclusion du projet de rapport public, exception faite de la remarque sur la
justification du dispositif de réserve. En effet, la question majeure pour
l’avenir de l’armée professionnelle est bien celle du renouvellement de la
ressource humaine dans un contexte de marché de l’emploi qui deviendra
sans doute, à terme, de plus en plus tendu. Cette nécessité et celle du
rétablissement de la qualité de l’équipement des forces font que les crédits
consacrés à la Défense doivent être maintenus à un niveau élevé sauf à
admettre une révision à la baisse des ambitions de la France.
« Le recrutement des engagés »
Dans le domaine du recrutement, la Cour mentionne que, pour faire
face au recrutement massif, les armées ont multiplié les cadres statutaires
(contrats de longue durée et contrats de courte durée), élargi les possibilités
de renouvellement et que ces errements risquent de générer des
revendications de titularisation.
Cette remarque n’est pas exacte, notamment pour l’armée de terre,
qui employait, en 2002, plus de 65 000 engagés volontaires de l’armée de
terre (EVAT) sur les 92 000 militaires du rang engagés dans les armées ; elle
s’est, en effet, attachée, depuis 1997, à mettre en place des règles claires et
connues des intéressés :
- un cadre unique pour recruter les engagés, le statut d’EVAT ;
D
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UNE ARMÉE
PROFESSIONNELLE
143
- un premier contrat d’une durée de 3 ou 5 ans ;
- un statut de contractuel et donc l’impossibilité d’être titularisé
comme homme du rang.
Par ailleurs, alors qu’elle n’avait pu réaliser ses objectifs de
recrutement en gendarmes adjoints volontaires (GAV) en 2002, la
gendarmerie atteindra, fin 2003, ses droits budgétaires GAV, en effectif
instantané (15 203 pour le budget gendarmerie, 15 758 tous budgets
confondus). Avec une sélectivité qu’elle juge satisfaisante, elle est désormais
en mesure de maintenir ses effectifs à hauteur de ses droits actuels et de
pourvoir en outre aux 1 189 postes prévus au titre du rattrapage de la loi de
programmation militaire (LPM) 1997-2002.
« Des mesures coûteuses de reclassement dont les effets ont souvent
dépassé les objectifs »
Pour apprécier justement le niveau des mesures de reclassement, il
convient de se replacer dans le contexte de 1996 :
- compte tenu notamment de la situation économique, les flux de
départ étaient extrêmement réduits et il n’y avait guère de
perspective de les voir repartir ;
- l’engagement avait été pris au plus haut niveau de mettre en place
un dispositif d’accompagnement de grande qualité ; le souvenir des
lois de dégagement des cadres de la période 1945-1970 restait en
effet très présent dans la mémoire collective des armées.
La somme de 48 000 € par individu correspond en fait au coût moyen
de l’accompagnement d’un cadre dans un cabinet « d’out placement » ; elle
est même très inférieure aux sommes versées à nombre de salariés touchés
par des restructurations.
« Un impact limité sur l’évolution des crédits d’investissements du
ministère de la défense »
La Cour note que le prolongement de ce plan entraînerait un
dépassement des prévisions de 15 M€, alors qu’aucune estimation chiffrée
n’a été à ce jour établie par l’armée de terre.
« Des mesures de fidélisation nécessiares mais coûteuses à terme »
Il est précisé que le fonds de consolidation de la professionnalisation
inscrit en loi de programmation militaire (LPM) 2003-2008 possède un
caractère limitatif, à la fois dans la durée (stricte période de programmation)
et dans les crédits consacrés (572,58 M€). Les mesures financées par ce
-
144
-
fonds visent notamment à attirer les candidats au recrutement et à fidéliser le
personnel en activité, dans les spécialités jugées sensibles. Elles sont
réversibles, en fonction de la situation du marché de l’emploi et ne remettent
pas en cause les dispositions de l’article 19 du statut général des militaires.
En outre, le faible volume des fonds qui sont ainsi consacrés à ces
incitations financières (0,6 % des crédits annuels de rémunérations et
charges sociales du personnel militaire) conduit à nuancer le jugement porté
par la Cour (« …La nécessité de prévoir des incitations financières
importantes… »).
« L’externalisation des tâches »
Sur ce sujet de l’externalisation des tâches, une directive du 26 mai
2003 du ministre de la défense permet de prévenir les mesures susceptibles
d’avoir un impact négatif sur le personnel civil.
Par ailleurs, en l’absence d’expertise et d’expérience, la volonté des
armées a été de s’engager progressivement dans cette voie. Elles ont donc
mis en oeuvre une politique prudente, en s’appuyant sur des expérimentations
limitées, mais touchant à des domaines variés, et en retirant de chacune de
ces expérimentations le maximum d’enseignements.
« Le dispositif des réserves »
L’objectif du « modèle 2015 » est ramené, sur le plan interarmées, à
94 000 réservistes volontaires (dont 29 000 pour l’armée de terre). L’objectif
intermédiaire, en 2008, est de 68 000 volontaires (dont 23 000 pour l’armée
de terre) avec un taux d’activité annuel de 27 jours. Cet objectif devrait être
atteint par une augmentation annuelle de 6 000 réservistes (dont 2 000 pour
l’armée de terre). Par ailleurs, le décret d’application de la loi d’octobre
1999 a été pris en 2000 et adapté en 2001.
Le rapport surestime considérablement les difficultés de recrutement
dans la réserve. Fin 2002, plus de 32 000 hommes et femmes avaient signé un
engagement à servir dans la réserve opérationnelle, dont 7 000 nouveaux
réservistes pour la seule année 2002. Le dispositif de recrutement et de
formation des réservistes mis en place par les armées, à la suite de la
nouvelle organisation de la réserve, commence à porter ses fruits ; le taux de
réalisation des militaires du rang est en augmentation sensible depuis deux
ans.
Par ailleurs, des manifestations comme les journées nationales de la
réserve ont été mises en place afin d’améliorer la visibilité, par les citoyens,
des possibilités d’engagement dans la réserve. Des partenariats avec les
employeurs des réservistes sont également en projet.