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L’Etat face aux enjeux industriels et
environnementaux : l’exemple des
mines d’or de Salsigne
Dans son rapport public 2003, la Cour, à partir de l’exemple des
mines d’or de Salsigne, a analysé la réponse de l’Etat aux enjeux
industriels, sociaux et environnementaux liés à l’exploitation de certains
sites industriels. Cette insertion faisait suite à un contrôle de la Cour sur
le réseau des directions régionales de l’industrie, de la recherche et de
l’environnement (DRIRE).
Parmi les recommandations de la Cour figurait la nécessité :
d’assurer la maîtrise de la dépense publique liée à la réhabilitation des
sites et sols pollués, aussi bien à Salsigne que sur l’ensemble du
territoire ; d’appliquer fermement les nouvelles dispositions législatives
renforçant les garanties exigées des exploitants pour faire face à leur
obligation de remise en état des sites pollués et enfin de séparer, au
niveau des services déconcentrés de l’Etat, les services en charge de
l’animation et de la veille économique de ceux à qui incombe la
responsabilité de la prévention des pollutions et des risques.
Dix-huit mois après la publication de ce constat, la Cour a pu
dresser un premier bilan des actions engagées par les pouvoirs publics.
88
COUR DES COMPTES
A - La maîtrise de la dépense publique en matière de
réhabilitation des sites et sols pollués
1 -
La maîtrise de la dépense publique à Salsigne
L’activité minière a cessé au printemps 2004. Comme le prévoyait
l’accord du 11 juillet 2001 conclu entre l’Etat et la société des Mines d’or
de Salsigne (MOS), dernier exploitant présent sur le site, les salariés les
plus âgés ont pu opter entre des mesures d’âge financées par l’Etat et des
dispositifs de formation-reclassement, majoritairement financés par
l’entreprise. Il a notamment été accordé aux mineurs de Salsigne
l’indemnité conventionnelle de cessation d’activité anticipée, mesure
d’âge créée pour les Mines de Potasse d’Alsace. Or, du fait des
dispositions de la loi du 22 août 2003 sur les retraites permettant de
racheter des années d’études, le nombre de salariés pouvant bénéficier de
ce dispositif a été plus élevé que prévu, renchérissant son coût pour les
finances publiques. Son montant maximal est estimé à 6,1 M€, dont
1,6 M€ en 2005.
S’agissant de la dépense mise en oeuvre pour la réhabilitation des
différents sites industriels, elle est récapitulée dans le tableau suivant.
Au 31 mai 2005, la dépense pour la réhabilitation s’élevait à
27,476 M€, soit 8,157 M€ de plus qu’à la date du rapport public. 10,908
M€ s’ajouteront de façon certaine à ce coût, dans le cadre des travaux
dont l’ADEME assure la maîtrise d’ouvrage sur le site « SEPS ». Cette
dépense sera accrue par la deuxième phase des travaux de réhabilitation
des sites dits « exclus » (sites industriels anciens), dont l’Etat est devenu
le propriétaire dans le cadre de la convention passée en juillet 2001 avec
la société MOS. Une étude est en cours pour préciser l’ampleur et la
nature des travaux qui restent à accomplir sur ces sites.
A ce stade, si la dépense à Salsigne apparaît très élevée (de toutes
les opérations de réhabilitation des sites et sols pollués à la charge de
l’Etat, celle-ci est la plus coûteuse), elle reste inférieure à ce qui avait été
envisagé puisque le précédent rapport public faisait état d’une dépense
prévisionnelle supplémentaire de 27,5 M€. En particulier, la société MOS
a honoré les engagements qu’elle avait pris dans le cadre de la convention
du 11 juillet 2001, c’est-à-dire financer la réhabilitation du site minier à
proprement parler à hauteur de 46 %. En outre, une approche globale de
la réhabilitation des différents sites (SEPS, MOS, sites dits exclus) a été
privilégiée, permettant de mettre en oeuvre un projet cohérent de
dépollution et de dégager certaines économies. Cette approche a fait
l’objet d’un avenant – en date du 8 janvier 2004 – à l’accord conclu entre
l’Etat et MOS.
Site et opération
Maîtrise
d’ouvrage
Financement Etat
Dépense
engagée au
31/05/2003
٭
Dépense
engagée au
31/05/2005
Dépense restant à engager
Site SEPS la Combe du
Saut – Subvention accordée
à SEPS pour le traitement
des déchets de la SMPCS
Société
SEPS
64-96-10
du
ministère
en
charge de l’industrie (abondés
par BRGM et l’ADEME)
4,73 M€
4,73 M€
Aucune – opération terminée
Site
SEPS
Travaux
d’urgence
DRIRE
Languedoc-
Roussillon
57-02-36
du
ministère
en
charge de l’industrie
1,77 M€
1,77 M€
Aucune – Opération terminée
Site SEPS – Réhabilitation
de l’ensemble du site
ADEME
67-30-30
du
ministère
de
l’écologie et du développement
durable (abondé par 62-92-10
du ministère en charge de
l’industrie)
12,035 M€
15,053 M€
10,022 M€ [fin de l’enveloppe
attribuée
par
la
commission
nationale des aides en mai 2003 et
nouvelle enveloppe attribuée en
2005]
Site MOS – Subvention
accordée à MOS pour la
réhabilitation du site
Société
MOS
64-96-10 du ministère en
charge de l’industrie (abondé
par 67-30-30
du ministère de
l’écologie et du développement
durable)
0,757 M€
3,211 M€
0,886 M€ [plafond maximal
envisagé par la convention de
2001]
Site MOS – Traitement des
eaux d’exhaure
MOS
Minefi - MED
0,027 M€
0,129 M€
Montant global non encore défini
Sites dits « exclus » et
réhabilitation de l’ensemble
du site
MOS / Etat
Minefi – ministère de
l’écologie et du développement
durable
Aucune
2,583 M€
Montant global non encore défini
– étude à venir.
TOTAL
Etat
19,319 M€
27,476 M€
10,908 M€
٭
Date de l’achèvement du contrôle par la Cour
90
COUR DES COMPTES
Les actionnaires de la société MOS envisageant à présent sa
dissolution, la propriété ultime des terrains doit être transférée à l’Etat ou
aux collectivités locales. Un rapport du conseil général des mines et de
l’inspection générale de l’environnement de mars 2005 a attiré l’attention
des pouvoirs publics sur le fait que si les terrains peu pollués peuvent être
affectés aux collectivités locales, ce n’est pas le cas de ceux où sont
entreposés des déchets, dans la mesure où ils réclament une surveillance
permanente et durable et présentent des risques qui ne peuvent être
assurés par les collectivités locales. Le rapport propose de confier au
BRGM la gestion de ces terrains, mais la décision des pouvoirs publics
n’est pas encore intervenue.
2 -
La maîtrise de la dépense publique en matière de
réhabilitation des sites pollués
Quand il est confronté à des sites dont les responsables sont
défaillants, comme à Salsigne, le ministère en charge de l’environnement
confie à l’ADEME la maîtrise d’ouvrage des travaux de remise en état de
ces sites.
Plus d’une centaine de sites, dont la moitié reste en cours de
retraitement, ont ainsi fait l’objet d’une intervention de l’ADEME.
On constate des variations importantes des crédits consacrés aux
sites pollués dont les responsables sont défaillants depuis 2000.
Crédits consacrés aux sites dont l’exploitant est défaillant
Année
2000
2001
2002
2003
2004
2005
Crédits en M€
12,9
14,4
15,3
7,4
6
12,8
Source : Ministère de l’écologie et du développement durable /ADEME /Engagements
juridiques
Ces variations s’expliquent par le fait que les opérations de
réhabilitation les plus importantes – comme Salsigne – peuvent
représenter plus de la moitié de la dépense globale. Or, à la date de la
publication, le risque était qu’une intervention de grande ampleur soit
rendue nécessaire sur le site de Noyelles-Godault (Pas de Calais), après la
fermeture des usines de Metaleurop Nord. Un nouvel exploitant privé
ayant racheté le site, l’intervention de l’ADEME a finalement été limitée,
pour l’essentiel, à la dépollution des terrains jouxtant l’ancienne
exploitation industrielle, la remise en état du site lui-même étant assurée
par le nouvel exploitant. Dès lors, le montant de l’engagement financier
de l’ADEME au titre des mesures de maîtrise des risques autour de
Metaleurop Nord a été limité à 1,488 M€.
OBSERVATIONS PORTANT SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES
91
En outre, comme le recommandait la Cour, l’ADEME a engagé
des procédures de mise en recouvrement à l’encontre des responsables
défaillants. A l’été 2005, deux procédures judiciaires ont permis à
l’ADEME de recouvrer 760 000 € ; 16 autres procédures restaient
pendantes.
La Cour constate que la dépense publique relative à la
réhabilitation du site de Salsigne et plus largement de l’ensemble des sites
à exploitants défaillants n’a pas connu de dérive significative depuis
2003. C’est un élément positif. Elle sera néanmoins attentive au coût
global de la réhabilitation du site de Salsigne. Elle attire également
l’attention des pouvoirs publics sur le risque qu’en l’absence de mise en
oeuvre effective des dispositions prévues par la loi du 30 juillet 2003, une
situation similaire à celle de Salsigne ne se produise sur un autre site
fortement pollué dont l’exploitant serait défaillant.
B - L’évolution de la réglementation des sites et sols
pollués visant à mieux responsabiliser les acteurs privés
Votée à la suite de l’émotion créée dans l’opinion publique par la
fermeture précipitée de l’usine de Metaleurop Nord à Noyelles-Godault,
la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques
technologiques et naturels et à la réparation des dommages prévoit des
dispositions visant à préciser et à renforcer les obligations des exploitants
en matière de réhabilitation des sites et sols pollués.
Pour être effectives, ces dispositions réclamaient la publication de
plusieurs décrets d’application.
1.
Le décret d’application de l’article 27 de la loi du 30 juillet 2003 –
codifié au L. 512-17 du code de l’environnement – a été publié au Journal
officiel du 16 septembre 2005. Ce décret clarifie les obligations pesant
sur l’exploitant en matière de réhabilitation environnementale et de
remise en état du site lors de la cessation de l’activité.
Jusqu’à présent, s’appliquait l’article 34-1 du décret de 1977, qui
évoque une obligation de « remise en état » du site, sans plus de
précision : le niveau de réhabilitation du site exigé de l’exploitant n’est
pas indiqué. Dans le cadre de la nouvelle législation, il est désormais
prévu que l’usage pour lequel l’exploitant devra réaliser les travaux de
dépollution est défini conjointement par l’exploitant, le maire et le
propriétaire. En cas de désaccord, l’usage retenu est comparable à celui
de la dernière période d’exploitation. Toutefois, le préfet peut, dans
certaines circonstances, fixer un niveau de dépollution plus contraignant,
permettant un usage cohérent avec les documents d’urbanisme en
92
COUR DES COMPTES
vigueur. En outre, pour les nouvelles installations, l’arrêté d’autorisation
fixe le niveau de dépollution à atteindre lors de la cessation d’activité : ce
niveau peut prévoir une dépollution permettant un usage différent du site.
Il convient de noter qu’à l’occasion de ce décret, le gouvernement
avait souhaité introduire une disposition permettant au préfet d’imposer
des prescriptions au détenteur, à défaut d’exploitant présent et solvable.
Cette disposition a été disjointe par le Conseil d’Etat, ce dernier
l’estimant dépourvue de base juridique suffisante. De telles prescriptions
ne peuvent être imposées qu’à l’ancien exploitant. Dans un arrêt
d’assemblée – Société Alusuisse-Lonza-France – du 8 juillet 2005, le
Conseil d’Etat a confirmé l’impossibilité pour l’Etat d’imputer au
détenteur la charge de la remise en état d’un site dont l’exploitant serait
défaillant. Cette décision rend dans la pratique la police administrative
inopérante et peut conduire à ce que l'Etat soit l'ultime payeur de la
réhabilitation d’un site à exploitant défaillant. Une modification de niveau
législatif est donc nécessaire pour permettre la mise en cause de la
responsabilité du propriétaire au titre de la police des installations
classées. Son opportunité semble d’autant plus forte qu’elle pourrait ainsi
faire obstacle à des montages visant à dissocier l’exploitant du détenteur,
ou encore à des actions visant à faire assumer par l’Etat les dépenses
nécessaires au changement d’usage d’un site alors même que l’initiative
en est prise par son propriétaire.
2.
La rédaction du décret d’application de l’article 31 de la loi du
30 juillet 2003 – codifié au L 516-2 du code de l’environnement - soulève
des difficultés persistantes. Aux termes de cet article, le préfet a
désormais la possibilité de demander aux exploitants de certains types
d’installations classées la constitution de garanties financières pour
satisfaire à leurs obligations environnementales, dont la remise en état des
sols en fin d’activité. Cette possibilité est ouverte dès lors que le préfet a
constaté l’insuffisance des capacités techniques et financières de
l’entreprise à remplir ses obligations.
Le retard pris dans l’élaboration du décret ne s’explique pas
seulement par des lenteurs inhérentes – qui seraient en elles-mêmes
critiquables - à l’administration, mais par la difficulté à trouver un accord
avec les milieux économiques concernés sur les modalités de mise en
oeuvre de mesures dont le coût peut être important pour les entreprises.
Cet état de fait est d’ailleurs souligné par le rapport d’expertise
IGF/IGE/CGM sur les garanties financières appliquées aux installations
classées remis aux ministres en novembre 2004 : ce dernier rappelle
qu’« un groupe de travail réunissant les administrations et les
représentants des entreprises et professions concernées a été constitué par
la direction de la prévention des pollutions et des risques à l’automne
OBSERVATIONS PORTANT SUR LES POLITIQUES PUBLIQUES
93
2003 pour conduire les réflexions préliminaires, mais il s’est vite heurté
au constat de positions très difficilement conciliables, et aux difficultés
intrinsèques à la définition de solutions viables et adaptées ». Ce rapport
d’expertise vise à proposer des solutions permettant de donner corps au
nouveau
dispositif
légal,
tout
en
tenant
compte
des
réalités
économiques. Parmi les différentes garanties financières recommandées
en vue de la remise en état des sites en fin de vie, figure notamment la
constitution d’un fonds de garantie interprofessionnel d’initiative
publique. En termes de calendrier, la mission propose de rédiger les
décrets d’application
d’ici la fin de l’année 2005 pour une entrée en
vigueur progressive du nouveau dispositif à compter du 1
er
janvier 2006.
Conformément aux orientations recommandées par la mission, la
rédaction du décret est en cours, mais il est peu probable qu’elle ait abouti
avant la fin de l’année 2005.
C - L’évolution de l’architecture du réseau des DRIRE
Contrairement à la recommandation formulée par la Cour, le
réseau des DRIRE n’a pas été scindé en deux services distincts, le
ministère en charge de l’industrie ayant d’ailleurs fait part de son
opposition à ce projet dans sa réponse publiée.
Néanmoins :
- depuis le premier programme triennal de l’inspection des
installations classées (1998-2001), il existe, au niveau des DRIRE, une
séparation stricte des fonctions d’accompagnement économique et de
contrôle des installations classées ;
- du fait du renforcement de l’effectif de l’inspection des
installations classées, cette activité est devenue le premier champ d’action
des DRIRE et elle concerne près de 50 % des personnels du réseau.
- la spécificité de la dimension environnementale des DRIRE a été
réaffirmée par le fait que celles-ci sont rattachées à deux pôles régionaux
de l’Etat mis en place par le décret du 5 octobre 2004 : le pôle « gestion
publique et développement économique » et le pôle « environnement et
développement durable ».
Alors qu’il était resté silencieux sur ce point dans sa réponse
adressée à la Cour en 2003, le ministère de l’écologie et du
développement durable se déclare aujourd’hui défavorable à une scission
des DRIRE. Il considère que la mise en place des pôles régionaux et les
expérimentations de rapprochement DRIRE-DIREN en cours ne doivent
pas remettre en cause l’unité des DRIRE.
94
COUR DES COMPTES
La Cour prend acte du souhait, exprimé par les deux tutelles, de
conserver l’architecture actuelle du réseau des DRIRE.
La Cour attire toutefois l’attention des ministères sur l’évolution
des emplois budgétaires de l’inspection des installations classées. En
effet, après l’accident de l’usine AZF de Toulouse (septembre 2001), un
plan de renforcement des effectifs de l’inspection avait été annoncé par le
gouvernement. 150 emplois supplémentaires ont ainsi été créés dans le
cadre de la loi de finances pour 2002. Alors qu’il devait être pluriannuel,
ce plan a été interrompu en 2003, année où aucun emploi budgétaire
supplémentaire n’a été créé. Puis un nouveau plan a été adopté pour les
années 2004-2007, 400 emplois nouveaux étant envisagés sur l’ensemble
de la période, dont 200 par redéploiement interne au réseau des DRIRE.
Or, si les 100 premières créations de postes et les redéploiements internes
prévus en 2004 ont été honorés, ils ne l’ont été que pour moitié en 2005 et
les perspectives sont incertaines pour 2006. La direction du budget
impute ce retard aux modalités de mise en oeuvre de la suppression de
certains services des DRIRE, lesquelles n’ont pas permis de dégager en
2005 les 50 emplois devant être transférés au ministère de l’écologie et du
développement durable. Elle insiste aussi sur la nécessité pour le
ministère en charge de l’écologie de procéder à des redéploiements
internes plutôt qu’à de nouvelles créations de postes budgétaires.
Dans un contexte budgétaire contraint, sans doute est-il est normal
que l’ensemble des services de l’Etat soient associés à l’effort de maîtrise
des effectifs de la fonction publique. Pour autant, la Cour juge regrettable
qu’à deux reprises des plans de renforcement des effectifs de l’inspection
des installations classées aient été remis en cause, limitant ainsi la
crédibilité des engagements pluriannuels de l’Etat dans un champ
d’action présenté comme prioritaire.