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Intervention de M. Didier Migaud, Premier président
Présentation à la presse du rapport public thématique sur
« Médecins et hôpitaux des armées »
Jeudi 7 octobre 2010
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous accueillir à la Cour pour la présentation du rapport public thématique sur
les médecins et hôpitaux des armées. J’ai à mes côtés l’équipe qui a mené cette enquête au long cours : Alain
HESPEL, président de la deuxième chambre, Olivier BROCHET et Pascal DESROUSSEAUX, rapporteurs,
Françoise Saliou, conseiller maître étant malheureusement empêchée pour raisons de santé.
Je vous remercie d’autant plus de votre présence que quelques extraits choisis d’une version
provisoire de ce rapport avaient été divulgués en avril dernier.
Je rappelle que le rapport est adopté dans sa version finale à l’issue de la séance de la chambre du
Conseil, qui réunit l’ensemble des conseillers maîtres et présidents de chambre, après contradiction avec les
administrations et les ministres concernés. Seul le document que vous avez entre les mains reflète la position
de la Cour.
L’enquête de la Cour est intervenue dans un contexte très particulier, avec d’une part un engagement
accru des forces armées, particulièrement en Afghanistan, et, d’autre part, une réforme du secteur hospitalier
civil, dont certains aspects, comme la tarification à l’activité, s’appliquent désormais aux hôpitaux militaires. Au
regard de ces deux éléments forts et structurants, la Cour a examiné si le service de santé des armées avait
les moyens d’assurer ses missions de soutien des troupes, tout en analysant son intégration dans le système
national de soins.
Seul le prononcé fait foi.
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Seul le prononcé fait foi.
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I – Le service de santé des armées est un instrument opérationnel bien doté, mais coûteux, et
qui ne remplit qu’imparfaitement sa mission militaire.
La première conclusion que nous tirons de ce rapport est que le ministère de la défense a à sa
disposition un instrument opérationnel indispensable, bien doté, servi par des personnels de qualité. Je vous
donne ici quelques chiffres qui permettent de bien mesurer la taille du service de santé des armées :
-
15.600 personnels dont plus de 2.000 médecins et internes et 4.500 infirmiers
-
un budget de l’ordre de 1,3 milliards d’euros dont 860 millions d’euros viennent du budget
de la défense et 450 millions sont le produit de l’activité hospitalière).
Aujourd’hui, ce service est parfaitement en état de faire face aux besoins actuels exprimés par le chef
d’état major des armées, sans difficultés majeures. Pour autant, le contrat opérationnel qui lui a été fixé par le
chef d’état-major des armées n’est pas parfaitement rempli. En cas de crise majeure par exemple, il
manquerait des infirmiers de bloc opératoire et les équipes chirurgicales nécessaires pour faire face à la
situation.
[ Formation ]
Si à présent l’on se penche sur la formation du personnel du service de santé des armées, il ressort
très clairement de nos travaux que le rapport coût-efficacité du système de formation adopté est aujourd’hui
peu satisfaisant. Les écoles de formation des praticiens du service de santé des armées ont des effectifs
beaucoup trop élevés par rapport au nombre d’élèves : en moyenne, il y a un personnel administratif ou de
soutien pour 2,8 élèves, alors même qu’aucun enseignement médical n’est dispensé dans ces écoles. Ce sur-
encadrement est donc très coûteux, alors même que les futurs médecins des armées sont à l’université pour
93 % de leur formation. Le regroupement des écoles de Bordeaux, que l’on appelait communément « santé
navale », et Lyon, qui a été prévu en 1981 pour finalement aboutir en septembre 2009, devrait permettre de
réduire ces coûts de fonctionnement excessifs.
Au-delà de la dimension financière, la Cour estime que la mission de formation militaire des écoles du
service de santé, qui est, rappelons-le, leur raison d’être, doit être renforcée. Entre leur deuxième et leur
sixième année d’études, les étudiants ne passent que 4 % de leur temps à suivre des formations
spécifiquement adaptées aux besoins du service de santé. C’est, au regard du coût représenté, trop peu.
Le coût élevé de cette formation, puisque les élèves sont payés pendant leur scolarité, ce qui les
différencie de leurs camarades étudiants de médecine, est un investissement lourd supporté par l’Etat, qu’il
faut protéger dans la durée. En particulier, les règles relatives au remboursement des frais de scolarité par les
agents qui démissionnent avant l’accomplissement de leurs obligations de service doivent être appliquées
avec davantage de rigueur, contrairement à la souplesse qui prévaut actuellement. Il faut aussi accentuer la
politique de maintien dans la réserve des personnels qui quittent le service.
Seul le prononcé fait foi.
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[Dans les régiments – la mission militaire ]
Une fois les personnels de santé affectés dans les régiments, il ressort des observations de la Cour
que la préparation opérationnelle des médecins et des infirmiers d’unité est loin d’être optimale pour répondre
à l’évolution des conflits que nous connaissons. L’activité médicale déclarée est faible, de l’ordre de 6 à 7
consultations par jour. En outre, près des trois quarts des consultations de soins des militaires et de leurs
familles se font pour des motifs ne relevant pas du service. Ces soins sans lien avec le service ne sont pas
facturés, ce qui occasionne un manque à gagner total de 10 millions d’euros par an pour le budget de l’Etat.
Les actes d’urgence, qui seraient pourtant les plus appropriés pour des praticiens militaires, sont de fait assez
rares, et la Cour remarque par exemple qu’il n’existe pas de politique organisée pour inciter les médecins à
prendre part à des gardes d’urgence dans les hôpitaux.
Du strict point de vue des armées, le service de santé remplit de façon satisfaisante ses missions
militaires. Si le service rendu en opérations extérieures est bon, la Cour a cependant noté qu’il n’existait pas
d’instrument de mesure élémentaire de l’efficacité opérationnelle. Si l’on prend un exemple révélateur, les
délais des évacuations sanitaires, qui doivent pourtant respecter des normes OTAN, ne font l’objet d’aucune
mesure. On peut pourtant penser qu’il s’agit là d’une donnée d’importance cardinale pour évaluer les soins
apportés à nos troupes.
Toujours si l’on examine les missions militaires du service de santé, les conclusions de la Cour font
apparaître que de manière générale l’adaptation aux conditions nouvelles d’engagement des forces a été
tardive. C’est le cas notamment en ce qui concerne le soutien « psychique » aux troupes. Ce manque
d’adaptation a aussi été constaté pour les capacités de transport des blessés, ou pour les perspectives de
mutualisation des services de santé avec nos alliés, ou encore pour le développement de la coopération civilo-
militaire. Autant de points sur lesquels ce rapport veut attirer l’attention des décideurs publics.
II – Le choix de conserver un réseau d’hôpitaux militaires s’avère aujourd’hui coûteux et inadapté : il
faut en corriger les défauts, ou se poser la question d’une refonte fondamentale du système.
Ce rapport examine aussi dans un grand détail les missions civiles du service de santé des armées,
en particulier son réseau d’hôpitaux militaires.
A la fin des années 1990, alors qu’une stratégie devait être retenue pour le futur du service de santé
des armées, le choix a été fait de conserver un dispositif hospitalier autonome. Cette option stratégique de
fond était parfaitement justifiable, même si ce n’était pas, loin s’en faut, la seule option envisageable. Nos
voisins et néanmoins amis Britanniques, par exemple, ont choisi une tout autre voie, qui consiste à placer les
chirurgiens militaires dans les structures hospitalières civiles les plus à mêmes de les préparer à leur activité
opérationnelle, et, parallèlement à accueillir les militaires blessés au sein du système civil. Il n’y a pas
d’hôpitaux distincts, ni pour les praticiens, ni pour les blessés.
Seul le prononcé fait foi.
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Après plus d’une dizaine d’années de mise en oeuvre de la stratégie retenue, la Cour a dressé un
premier bilan.
Au début des années 2000, le service de santé des armées a endossé, en complément de la mission
militaire dont nous avons parlé, une mission de service public. Mais il l’a fait pour des raisons d’opportunisme,
essentiellement parce qu’il avait besoin d’une patientèle civile étendue pour faire travailler ses équipes
hospitalières. Nous nous retrouvons donc aujourd’hui avec des hôpitaux militaires qui, contrairement à une
opinion largement répandue, soignent essentiellement des civils. Les civils, je le souligne, représentent 90 %
des patients des hôpitaux militaires. En conséquence, si l’on regarde la nature des soins prodigués, on peut
considérer que 95 % de l’activité médicale et chirurgicale des hôpitaux militaires n’a aucune spécificité
militaire.
Le rapport va plus loin que ces premiers constats : une des ses conclusions fortes est que malgré
l’adoption d’une mission de service public, le service de santé n’a pas joué le jeu de la coopération avec les
autorités civiles. On peut parler d’une inscription des hôpitaux militaires dans le dispositif de santé publique
« à la carte ». Dans certains cas, ce comportement est même allé jusqu’à prendre des décisions contraires à
l’intérêt général. Le cas de l’hôpital Sainte-Anne de Toulon en est une bonne illustration : sans concertation
avec les autorités civiles, et alors même que la mise en place de tels appareils dans les hôpitaux civils est
strictement réglementée, cet hôpital a été équipé en Tomographe par émission de positons (TEP) - il s’agit
d’un appareil coûteux utilisé notamment dans le diagnostic des cancers, et qui n’a aucune vocation militaire
particulière.
Au plan strictement opérationnel, cette stratégie d’organisation montre aujourd’hui ses limites. Les
équipes hospitalières n’ont pas un volume d’activité suffisant pour leur garantir un haut degré de compétence
pour les situations et cas qu’elles sont susceptibles de rencontrer sur les théâtres d’opérations extérieures. Le
taux d’occupation des lits est faible, à 52 % (contre des normes civiles de l’ordre de 75 à 85 %), tout comme
l’activité chirurgicale (l’on compte 140 séjours chirurgicaux par an et par chirurgien contre une moyenne de
243 dans des établissements civils comparables). Pour mémoire, ce dernier ratio (séjours par an et par
chirurgien) est de l’ordre de 326 séjours par an au centre hospitalier de Montauban, de 281 séjours au centre
hospitalier de Salon de Provence et de 297 séjours au centre hospitalier d’Arpajon, soit plus du double de ce
qui est constaté dans les hôpitaux militaires.
Pour conclure sur la mission publique de santé du service de santé des armées, j’insisterai sur trois
points, qui illustrent les difficultés d’adaptation de ce dispositif au contexte général actuel et les incohérences
qui en résultent :
-
Premièrement, pour maintenir des hôpitaux généralistes de qualité, il doit entretenir des
personnels nombreux et des spécialités qui pour beaucoup n’ont pas de véritable vocation
militaire ;
Seul le prononcé fait foi.
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-
Deuxièmement, il est difficile d’assurer aux services chirurgicaux, qui sont les seuls
véritablement concernés par les opérations extérieures, un niveau d’activité civile optimum
permettant de préserver leur caractère opérationnel ;
-
Troisièmement, l’évolution même de la technicité chirurgicale exigée pour les opérations
dans le civil ne répond pas aux besoins de la chirurgie de guerre.
III – Le rapport établit enfin que le dispositif retenu a un coût exorbitant, qui en fait l’équivalent
du premier déficit hospitalier de France.
Le rapport que vous avez entre les mains tire toutes les conséquences du choix qui a été fait de
conserver un système autonome d’hôpitaux militaires en examinant son coût, dans la tradition des rapports de
la Cour des comptes.
Il apparaît que ce dispositif présente un coût excessif, en raison en particulier du déficit d’exploitation
hors norme des hôpitaux militaires, qui est de l’ordre de 280 millions d’euros par an, ce qui en fait l’équivalent
du premier déficit hospitalier de France. Pour la Cour, il s’agit véritablement d’un déficit, et non d’un coût de
possession, argument avancé par le Service de santé des armées.
Alors que les neuf hôpitaux militaires réunis représentent en termes de lits une capacité équivalente à
celle du CHU de Toulouse, leur déficit d’exploitation correspond à celui cumulé de l’AP- Hôpitaux de Paris,
des Hospices civils de Lyon et de l’Assistance publique de Marseille. C’est tout à fait considérable.
Ce déficit est le résultat de la combinaison de trois facteurs :
-
une insertion insuffisante dans le dispositif public de santé ;
-
une structure des effectifs peu satisfaisante, avec en particulier une proportion trop élevée
de personnels non soignants et de nombreux médecins occupant des tâches
administratives (9 % d’entre eux) ;
-
une productivité médicale insuffisante, puisque les hôpitaux militaires se placent parmi les
20 % d’établissements hospitaliers les moins productifs.
Le ministère de la défense se retrouve ainsi dans la situation paradoxale d’avoir à consacrer chaque
année 280 millions d’euros d’un budget qui est déjà sous forte contrainte pour subventionner une activité de
santé, au profit de patients civils qui pourraient tout à fait être pris en charge par des structures publiques plus
efficientes.
Cette somme correspond à l’équivalent de six hélicoptères Caracal ou de quatre avions de transport
tactique, équipements qui manquent aujourd’hui aux armées, notamment en termes d’évacuation des troupes.
Seul le prononcé fait foi.
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Conclusion
En conclusion, la Cour souligne deux points tout à fait essentiels, et qui sont en quelque sorte le coeur
de notre message sur le service des santé des armées :
1)
Si l’on tient à conserver le modèle choisi
, alors il y a des pistes d’améliorations qui permettent
de renforcer l’efficacité opérationnelle du dispositif et de réduire le déficit. Ces pistes font l’objet des
recommandations dont la liste figure en fin de rapport. Elles doivent pour être efficaces être mises en oeuvre
de façon résolue et sans plus tarder. Cela passe notamment par un recentrage des médecins d’unité sur une
activité médicale plus opérationnelle et, dans le secteur hospitalier, par un adossement au dispositif de santé
publique, qui doit permettre une mutualisation avec les structures sanitaires civiles, et une amélioration de la
gestion des établissements. La politique d’autonomie complète par rapport aux autorités civiles de santé
publique doit être abandonnée : le ministère de la santé, les agences régionales de santé et l’école des hautes
études en santé publique doivent être mis à contribution pour améliorer le fonctionnement des hôpitaux
militaires.
2) Si ces réformes indispensables du système actuel ne suffisaient pas
, en particulier pour
réduire notablement le déficit d’exploitation des hôpitaux,
il conviendrait alors de changer de stratégie
. Le
ministère de la défense devrait alors imaginer un nouveau système, en fondant sa réflexion non sur les
structures qu’il souhaite préserver, mais sur ses besoins opérationnels et la façon la plus adaptée de les
satisfaire.
Ce rapport est clairement un rapport d’alerte
qui appelle une réponse déterminée du ministère de
la défense. La Cour n’oubliera pas, d’ici quelques années, d’examiner avec attention la pertinence et
l’exhaustivité de cette réponse.
Après cet énoncé des éléments clés d’amélioration et de refondation du système de santé des
armées, il ne me reste qu’à vous inviter à prendre connaissance du rapport de la Cour et de ses
recommandations.
Je vous remercie de votre attention et me tiens avec mes collègues à votre disposition pour répondre
à vos questions.