Sort by *
PRÉSENTATION À LA PRESSE DU RAPPORT SUR L
ENSEIGNEMENT PRIMAIRE
Mardi 20 mai
9h
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs, bonjour et merci de votre présence.
J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous présenter le rapport sur l’enseignement
primaire.
Ce rapport constitue la suite des travaux engagés par la Cour sur les politiques publiques en faveur
des jeunes, thème de notre rapport public annuel publié en mars dernier.
La France, comme les
autres pays européens, entre dans un tournant en matière démographique
; et l’action publique à
destination de la jeunesse est tout à la fois une nécessité, une opportunité, et une source
d’immenses défis. Parmi eux, l’adaptation de notre système éducatif n’est pas le moindre à relever,
pour une jeunesse aujourd’hui plurielle.
Ce rapport important
porte sur le premier niveau d’éducation
; il porte surtout sur une politique
publique considérée comme « la première priorité nationale ».
L’expérience montre, en effet, que
l’éducation des enfants joue un rôle fondamental pour le développement des compéte
nces futures,
dans un monde qui est, nous le savons, en constante évolution.
Avant d’entrer dans le détail de nos constats et recommandations, je souhaite saluer le travail
remarquable et très approfondi de l’ensemble des artisans de ce rapport.
Il est le
fruit d’un travail
accompli collectivement par la troisième chambre de la Cour et douze chambres régionales et
territoriales des comptes :
l’enquête a, en effet, été menée dans le cadre d’une formation
interjuridictions, c’est à dire commune à la Cour et
à ces douze chambres régionales des comptes. Je
remercie
Nacer Meddah
, le président de la formation en charge de ces travaux, le contre rapporteur
Philippe Rousselot
, président jusqu’à une période récente de la deuxième section en charge des
sujets d’enseignement scolaire, ainsi que l’ensemble des équipes de la Cour et des CRTC. Elles ont
permis de donner une vision à la fois nationale et territoriale,
surtout
territoriale, de cette politique
de plus en plus partagée entre l’État et les collectivités.
La m
obilisation importante des CRTC et de la Cour permet d’illustrer de façon concrète la politique
publique de l’enseignement primaire, au cœur des territoires et de leur histoire, avec plus de
47 000 écoles et 370 000 enseignants concernés.
Dans notre rapport, de nombreux exemples, sous
forme d’encadrés notamment, permettent d’analyser concrètement le vécu de nos concitoyens et
des acteurs locaux. Le rapport offre ainsi un regard renouvelé sur ce qu’est aujourd’hui
l’enseignement primaire en France. À titre d’exemple, ce rapport s’intéresse à la fois aux communes
en zone rurale en Haute-
Corse, au défi du droit à l’éducation à Mayotte, au pilotage de la carte
scolaire en Dordogne ou encore à l’organisation des rythmes scolaires en Polynésie française.
*
2
Notre rapport comporte plusieurs grands messages.
Le premier message, c’est le constat de l’échec de notre politique publique d’enseignement
primaire
: le niveau des élèves n’est absolument pas à la hauteur, l’organisation de l’enseignement
est en décalage av
ec les besoins de l’enfant et les inégalités s’aggravent.
Notre second message, quelque paradoxal avec le premier, c’est que nous dépensons toujours plus
pour l’école primaire.
Notre troisième message, c’est la nécessité d’adapter la gouvernance de l’en
seignement primaire :
le système éducatif est aujourd’hui trop centralisé et n’intègre pas suffisamment tous les acteurs,
notamment les collectivités territoriales.
Notre dernier message, c’est l’impérieuse nécessité de repenser le modèle actuel de l’écol
e pour
résorber les enjeux actuels, et intégrer les défis du futur.
***
J’en viens donc à mon premier message, le constat de l’échec de notre politique publique
d’enseignement primaire, malgré des dépenses croissantes.
Le niveau des élèves, d’abord, atteint des niveaux très bas, trop bas, et cette situation est
inacceptable, il faut bien le dire, relativement aux pays comparables.
En dépit d’une augmentation constante ces dix dernières années de la dépense consacrée à l’école
primaire, le niveau des élèves a suivi une tendance inverse
. Les évaluations internationales portant
sur le niveau des élèves de CM1 permettent de classer la France par rapport aux autres pays. Et les
résultats sont inquiétants. En mathématiques, l
a France est classée dernière des 21 pays de l’UE
ayant participé à l’enquête. En français, la situation n’est guère plus satisfaisante
: après une baisse
continue depuis 2001, les performances des élèves ont stagné entre 2016 et 2021, dates des
dernières
études, et notre pays reste à l’antépénultième place des 18 pays de l’UE ayant participé à
ces évaluations.
Ces classements s’accompagnent, par ailleurs, d’un étiolement de la part des très bons élèves
.
Cette part est désormais très largement en-deçà des moyennes européennes.
En 2023, 2,5 % des élèves français avaient un niveau jugé « avancé » en mathématiques par l’étude
Timss, soit moins que la moyenne de l’OCDE à 11,5 %, tandis que 43,7 % avaient un niveau jugé
« bas », contre 27 % en moyenne OCDE.
Au-delà de ce niveau globalement trop bas, nous avons constaté une aggravation des inégalités
entre élèves au cours de l’enseignement primaire.
Notre rapport traite des inégalités sociales, de genre ou encore territoriales.
Toutes s’aggravent.
La sortie
de l’école primaire est marquée par une corrélation très nette entre la performance
scolaire des élèves et la position sociale de leurs parents
. La difficulté scolaire apparaît en effet
fortement liée à la position sociale. De même, l’écart de performance
en français entre filles et
garçons est significativement plus élevé en France que dans le reste de l’Union Européenne. Ces
constats sont d’autant plus paradoxaux que les élèves français passent, en moyenne, plus d’heures à
apprendre les fondamentaux que
dans d’autres pays européens.
La Cour relève aussi de nombreuses disparités territoriales, dont les facteurs peuvent être
multiples.
En métropole, 64 départements scolarisent moins de 10 élèves au km2, quand quatre
départements en scolarisent plus de 500. Ces disparités ont des répercussions sur la réussite scolaire,
3
avec des enfants scolarisées dans des centres urbains qui connaissent en moyenne une meilleure
progression en CP
certes aussi car ils ont un niveau initial plus faible, et donc une plus grande
marge de progression. A l’inverse, les inégalités sont particulièrement aigües dans les académies
ultramarines. Si le coût d’un écolier y est supérieur de 30 % à la moyenne nationale, le niveau des
élèves y est particulièrement préoccupant ; plusieurs encadrés de notre rapport évoquent ce défi.
Enfin, et surtout, l’école creuse les inégalités, ce qui est difficilement entendable eu égard aux
objectifs de notre système éducatif
. Les inégalités de performance d’origine sociale observées en
début de sixièm
e s’expliquent pour moitié par celles déjà présentes en début de CP
; mais l’autre
moitié des facteurs d’inégalités se constituent au fil de la scolarité
! Tant en français qu’en
mathématiques, les enfants de cadres améliorent légèrement leurs résultats au cours de la scolarité,
quand les enfants d’ouvriers voient leurs résultats diminuer.
Ce déterminisme social semble être un facteur constitutif du système éducatif actuel
. Pour l’heure,
la France reste le pays de l’OCDE où les compétences à 15 ans sont l
e plus liées au milieu social Cela
nous montre que les efforts pour réduire les inégalités de performance doivent être consentis le plus
tôt possible dans la scolarité des élèves.
Ce qui explique en partie ces mauvais résultats, et ce que la Cour relève,
c’est
une organisation en
décalage très net avec les besoins de l’enfant, qu’il s’agisse de l’organisation du temps scolaire ou
du service au bénéfice des élèves.
D’abord, l’organisation du temps scolaire n’apparaît pas, aujourd’hui, conçue selon les inté
rêts de
l’enfant
.
Selon l’Académie nationale de médecine, l’aménagement du temps scolaire en France n’est
pas en cohérence avec les connaissances de la chronobiologie de l’enfant
; et cela, à tous les niveaux
de l’organisation
: journée, semaine ou année scolaire.
Ce que la Cour souligne, en s’appuyant sur les
données scientifiques disponibles, c’est notamment
le rôle néfaste de la semaine dite de 4 jours.
Même si aucune enquête systématique ne permet de comparer l’organisation de la semaine ou de la
journé
e scolaire dans les différents pays, l’extrapolation des données de l’OCDE permet de dégager
un modèle dominant, celui d’une semaine scolaire de cinq jours pleins.
La semaine de quatre jours n’est, elle, en vigueur que dans
l’enseignement primaire français.
À la suite de ce constat, la loi de juillet 2013 a modifié profondément l’organisation du temps
scolaire, en répartissant les heures d’enseignement sur une semaine de quatre jours et demi
. Mais
cette modification d’ampleur des rythmes scolaires s’est révélée très hétérogène dans sa mise en
œuvre. Elle n’a pas été évaluée, ni stabilisée dans le temps, puisqu’un décret pris en 2017 permet de
revenir à la semaine de quatre jours par dérogation.
Il est aujourd’hui indispensable que l’on puisse
revenir rapidement à l’esprit de la loi de juillet 2013. Il en va de l’intérêt de l’enfant et des résultats
de notre système scolaire.
Au-
delà de l’organisation du temps scolaire, nous soulignons la nécessité d’une meilleure qualité
du service au bénéfice des élèves.
Cela soulève avant tout la question du recrutement, de la
formation initiale et continue et de la qualité de l’enseignement des enseignants.
La nécessité de développer l’attractivité du métier d’enseignant dans le premier d
egré est,
aujourd’hui, reconnue par tous les acteurs
. La qualité de l’enseignement est de loin le premier levier
pour influer sur la réussite et l’épanouissement à long terme d’un élève. Pourtant, la France est
confrontée à d’importantes difficultés à pourvoir l’ensemble des postes nécessaires. Un chiffre
éclairant : en 2024, seuls 8 920 candidats sur les 10 270 postes offerts de professeurs des écoles ont
été pourvus, tous concours confondus, et en incluant le recrutement externe supplémentaire
organisé dans les académies de Créteil et de Versailles ! Le climat scolaire, le stress face à des besoins
de plus en plus divers au sein d’une même classe, ou encore l’affectation par académie plutôt que
par département, sont présentés comme les freins majeurs pour
postuler. C’est encore plus le cas
4
dans certaines zones géographiques déficitaires, ce qui pose un problème d’équité vis
-à-vis des
enfants scolarisés.
La Cour préconise donc de prévoir une affectation
par département
à l’issue
du concours de
recrutement, dans les académies présentant de fortes difficultés de recrutement de professeurs.
À cet égard, la Cour note avec intérêt la réforme de la formation des enseignants, annoncée pour la
rentrée 2026.
Elle prévoit la création d’un
e licence pluridisciplinaire préparatoire au professorat des
écoles, l’ouverture des concours d’enseignant du premier et du second degré dès le niveau bac+3, et
le statut d’élèves fonctionnaires rémunérés pour les lauréats en formation pendant deux ans. Ce
tte
évolution semble répondre aux préconisations de la Cour
: développer l’attractivité du métier
d’enseignant et attirer plus de candidats. Mais il est bien sûr trop tôt pour se prononcer sur les effets
à venir de la réforme.
La politique de l’enseignement primaire est donc, globalement, en situation d’échec, en dépit de
dépenses qui ne cessent de croître et d’effectifs qui ne cessent de baisser
!
*
Cela me mène à notre deuxième message, quelque peu paradoxal :
nous dépensons toujours plus
pour l’éco
le primaire, malgré les résultats décevants que je viens de dévoiler, et en dépit de la
baisse importante des effectifs.
La baisse des effectifs est une réalité qui ne cesse de s’accélérer.
L’école du premier degré a accueilli
6,3 millions d’élèves à la
rentrée 2024
, contre 7,1 millions à la rentrée 1972. L’effectif 2024 est en
baisse de
66 900 élèves par rapport à 2023,
après une diminution de 82 900 élèves observée entre
les rentrées 2022 et 2023. Cette baisse devrait se poursuivre aux rentrées suivantes
: l’effectif
prévisionnel est de
5 993 100 élèves à la rentrée 2028,
soit environ 350 000
élèves de moins qu’à la
rentrée 2023.
Mais paradoxalement, la baisse du nombre et du niveau des élèves s’accompagne d’une
augmentation continue de la dépense, publ
ique comme privée, consacrée à l’enseignement du
premier degré
. Nous relevons, comme dans notre rapport en 2023, que la dépense réelle en faveur
de l’enseignement primaire est mal connue et mal évaluée
; elle est probablement sous-estimée. Je
souhaiterais
néanmoins souligner quelques chiffres, qui montrent bien que la baisse des effectifs n’a
pas eu d’effet, jusqu’à présent, sur le coût de l’enseignement primaire.
La dépense totale à destination de l’école primaire est estimée à 55 Md€ en 2023.
C’est 2
% du PIB
français, ce qui représente 29
% de la dépense nationale d’éducation évaluée à 180
Md€, qui
comprend l’enseignement supérieur et la formation continue.
En dehors de la crise sanitaire, cette
dépense a connu une croissance continue sur les 10 dernières années, : elle a augmenté de 12 %
entre 2013 et 2022, soit une hausse de 6
Md€ hors inflation.
La baisse des effectifs a tout de même permis une diminution continue de la taille des classes dans
les écoles publiques au niveau élémentaire.
On est ainsi passés de 23,1 élèves par classe en 2009, à
20,9 à la rentrée 2024. Cela a aussi permis de mener la politique du dédoublement des classes de CP,
CE1, et de grande section de maternelle pour l’enseignement prioritaire. Toutefois, le récent rapport
de la Cou
r des sur l’enseignement prioritaire montre que les effets concrets sur la réussite des élèves
restent très nuancés. Pourtant, les moyens mis en œuvre sont importants
: 15 987 emplois
supplémentaires en équivalents temps plein, pour un coût de près de 800
M€ par an pour le seul
dédoublement des classes.
5
Nous avons également analysé la répartition de la dépense consacrée à l’école primaire
. Cette
dépense, qui ne cesse de croître, est désormais partagée à part quasi-
égale entre l’État et les
collectivités territoriales
.
Le premier des financeurs est l’État, qui a consacré 20,1
Md€ à l’école primaire en 2022.
Cette
dépense se répartit principalement en dépenses de personnels
et notamment pour les enseignants
et les accompagnants d’élèves en situation de handicap. S’y ajoutent 8,9
Md€ en pensions de
retraites.
Mais l’effort financier des collectivités territoriales est désormais comparable à celui de l’État
hors
pensions
. Il représente 19
Md€ en 2022, principalement en dépenses de fonctionnement des écoles
et d’investissement, même si cette dépense est encore mal évaluée, faute d’un outil statistique
adapté. Les communes et groupements de communes sont très largement majoritaires, puisqu’ils
sont compétents pour la construction, l’entretien et l’équipement
des bâtiments scolaires, ainsi que
pour la rémunération de certains personnels non-enseignants.
De tels montants montrent qu’il est absolument indispensable de s’interroger sur l’efficience de la
politique éducative
. Et cette efficience doit s’apprécier en prenant en compte l’ensemble des
dépenses d’éducation. Car malgré l’augmentation de la dépense pour l’école primaire, la France
dépense moins que les autres pays dans l’enseignement du premier degré
: 1,3 % du PIB, contre
1,5 % en moyenne dans les pays d
e l’OCDE. Mais à l’inverse, la dépense consentie pour
l’enseignement secondaire est plus élevée en France que dans l’OCDE. L’écart entre les niveaux de
dépenses des deux niveaux d’éducation est particulièrement important en France
: il s’élève à 43
%,
contre 13
% en moyenne dans l’OCDE
! La poursuite du rééquilibrage engagée ces dernières années,
par exemple avec le dédoublement des classes, est donc nécessaire.
Plus largement, il est impératif d’améliorer la
qualité
de la dépense consacrée à l’enseignemen
t
primaire, en renforçant son efficience et sa projection dans l’avenir –
et la Cour fait des
recommandations en ce sens.
*
J’aimerais développer notre troisième grand constat, qui touche, justement, à l’efficience
de la
politique d’enseignement primaire
: la nécessité d’adapter la gouvernance de l’enseignement
primaire.
En effet, nous soulignons que le système éducatif est aujourd’hui trop centralisé
. Il n’intègre pas
suffisamment tous les acteurs, et ce à tous les niveaux
: au niveau de l’école, dans l’articulation avec
les collectivités, et dans l’intégration de l’ensemble de la communauté éducative. Or, ce que nous
avons relevé, c’est que l’Éducation nationale ne montre pas de volonté de mieux intégrer les autre
s
acteurs.
Au niveau de
l’organisation des écoles primaires
, la gouvernance et le pilotage doivent être
réformés.
La gouvernance des écoles primaires est un enjeu de longue date
d’ailleurs, elle n’a pas
été modifiée depuis le XIXème siècle, contrairement aux collèges et lycées qui sont devenus des
établissements publics locaux d’enseignements. L’organisation actuelle n’est pas aboutie, et une
réforme est nécessaire.
D’abord, le statut, le rôle et les missions des directeurs d’école doivent évoluer.
Les situations des
directeurs d’école sont aujourd’hui très diverses, car leur statut repose sur un système de décharge
de leurs activités d’enseignement, qui est aujourd’hui obsolète. Ce système limite fortement la
capacité d’action du directeur en matière d
e pilotage éducatif, et donc limite la cohérence globale de
l’action éducative.
6
Créer un statut de directeur, ou à défaut généraliser progressivement une décharge totale,
permettrait de clarifier son positionnement vis-à-
vis de l’équipe pédagogique
. Cela permettrait
aussi de lui donner les leviers pour piloter le projet pédagogique, pour systématiser le projet d’école
en l’adaptant aux spécificités du territoire, et pour renforcer son rôle auprès des partenaires
extérieurs.
Cela doit aussi aller de pair
avec une démarche d’évaluation plus développée. Pour les écoles les plus
importantes, ces projets d’écoles pourraient aller jusqu’à prendre la forme d’un contrat d’objectifs et
de moyens négocié avec les autorités académiques.
Nous recommandons donc, en p
arallèle d’une refonte de la gouvernance des écoles, d’engager la
réforme du statut de directeur d’école –
en généralisant progressivement la fonction de directeur à
temps complet, et en commençant par les écoles regroupées.
L’organisation
entre
les écoles, ou la structuration des réseaux scolaires, est un autre autre levier
de réforme identifié par la Cour, pour lequel la concertation avec les collectivités territoriales est
essentielle.
Le pilotage de plusieurs établissements doit répondre à deux objectifs : la mise en réseau
des écoles, et le maintien d’une offre pédagogique de qualité.
La Cour engage donc à systématiser les regroupements d’écoles ou les regroupements
pédagogiques, dans les territoires confrontés à une baisse continue du nombre d’élève
s scolarisés
.
De fait, 18 % des écoles ne comprennent déjà plus qu’une classe ou deux.
La politique de l’enseignement primaire doit aussi être
mieux concertée avec les collectivités, en
particulier s’agissant des prévisions démographiques et de leurs effe
ts sur la carte scolaire
. Les
enjeux sont nombreux. Je pense notamment à l’évolution du bâti scolaire, qui touche à la sécurité, au
bien-
être des élèves, à la transition écologique et à l’adaptation thermique des bâtiments
; je pense
aussi à la gestion des
ressources humaines, et notamment au recrutement d’accompagnants sur le
temps périscolaire
; je pense enfin, bien entendu, au suivi du budget, à l’organisation de la
restauration scolaire ou du transport scolaire par exemple.
Mais la coordination entre
l’État et les collectivités est parfois insuffisante.
La cohérence des
financements consacrés à ces missions pourrait être mieux assurée. De même, l’articulation des
politiques publiques de l’enseignement primaire et de la préscolarisation pourrait être re
nforcée.
Pour atteindre ces objectifs, la Cour recommande d’établir des conventions triennales entre les
élus concernés et les services de l’éducation nationale.
Ces conventions permettraient d’objectiver
la politique éducative du territoire et
d’assurer la cohérence des financements et des politiques
publiques en fonction de cette trajectoire.
Enfin, nous préconisons de
mieux associer la communauté éducative avec l’ensemble des
partenaires
de l’école
: collectivités territoriales, familles et
parents d’élèves mais aussi d’autres
entités publiques ou entreprises.
Cela passe d’abord par la formation continue des enseignants, qui sont confrontés aux évolutions
très rapides de la société et des attentes vis-à-vis du système éducatif.
Cela passe aussi par le
développement d’une logique partenariale au sein de la communauté éducative. D’ailleurs, la
direction générale de l’enseignement scolaire souligne que le déficit de temps pour
« se concerter et
faire vivre un projet
» est identifié par les enseignants et les corps de direction comme le principal
frein au pilotage de projets à destination des élèves.
Mais des coopérations pragmatiques sont possibles et efficaces
. Nous développons par exemple,
dans notre rapport, le cas du soutien volontariste au bilinguisme franco-
allemand à l’école en
Moselle. Pour former les enseignants à l’allemand et ainsi conserver une offre d’apprentissage
7
bilingue dès la maternelle, une convention-cadre a été établie entre le rectorat, la région, les
départements et l’univ
ersité de Lorraine pour la période 2019-2035.
Cet exemple montre combien une action volontariste et coordonnée des collectivités et des services
locaux de l’Éducation nationale, peut faire émerger avec pragmatisme des projets pédagogiques
locaux au bénéfice des élèves.
La place des parents devrait, elle-aussi, être renforcée dans la communauté éducative
. Au-delà des
conseils d’école où siègent les représentants de parents d’élèves, leur place reste limitée. Dans
l’OCDE à l’inverse, la place accordée aux parents d’élèves au sein de l’école est centrale dans la
grande majorité des pays. En Slovaquie par exemple, le conseil d’école est même compétent pour
proposer un directeur ou le révoquer !
En matière d’intégration de la communauté éducative, il conviendr
ait aussi de mieux associer
l’école privée sous contrat aux objectifs de mixité sociale.
C’est indispensable, alors que ce secteur
représente environ 14 % des enfants scolarisés dans le primaire. À la suite de la publication de notre
rapport sur l’enseigne
ment privé sous contrat, qui mettait en évidence une mixité sociale en net
recul depuis 20 ans et le creusement de l’écart entre le public et le privé, un protocole d’accord et un
plan d’action avait été signé le 17 mai 2023 avec l’enseignement catholique.
Mais ce protocole n’est
pas contraignant, et il faudra veiller à son respect.
Enfin, il faut s’assurer de la continuité pédagogique entre école primaire et collège.
Je rappelle ici
que le troisième cycle comprend le CM1, le CM2 et la 6
ème
. En Europe, de nombreux pays on fait le
choix de rattacher la classe de 6ème à l’école primaire. Sans aller jusque
-là, des rapprochements
peuvent être organisés, souvent dans le cadre d’une réhabilitation des bâtiments ou du
regroupement autour d’un projet commun. En Eu
rope, de nombreux pays on fait le choix de
rattacher la classe de 6ème à l’école primaire. C’est le cas de la Suède, du Danemark, de la Finlande,
de l’Estonie ou encore de la Pologne.
Le pilotage de ce type de projets en France renvoie à la nécessité, po
ur le directeur d’école, de
disposer de décharges suffisantes et d’un statut plus encadré.
*
J’en arrive enfin au quatrième message de notre rapport
: repenser le modèle actuel de l’école est
une impérieuse nécessité, pour résorber les enjeux actuels, et intégrer les défis du futur.
La baisse des effectifs scolarisés doit être considérée comme une opportunité pour repenser le
modèle actuel de l’école, en replaçant l’élève au centre des ambitions collectives.
Or, cette
évidence est parfois perdue de vue d
ans l’organisation actuelle.
Pour ce faire, trois défis doivent être relevés
.
Nous préconisons d’abord de centrer les innovations pédagogiques sur le bien
-être des élèves.
La
notion de bien-être est présentée, dans la circulaire de rentrée scolaire de 2023 du ministère,
comme une priorité. Cette circulaire met l’accent sur plusieurs modalités : protéger la santé mentale
des élèves, favoriser des comportements responsables, construire une culture de l’égalité et du
respect mutuel, favoriser l’inclusion des élèves en situation de handicap… Certaines actions sont déjà
mises en œuvre, comme le programme Phare, de lutte contre le harcèlement entre élèves.
Le bien être des élèves passe également par une meilleure mise en cohérence entre les activités
scolaires, périscolaires et extrascolaires.
De nombreux dispositifs existent et ont des effets positifs :
«
l’École ouverte
», les « cités éducatives », le « plan mercredi
»… Selon l’enquête menée en 2021
-
2022 auprès des établissements ayant mis en œuvre le dispositif « l’École ouverte », les résultats des
8
élèves se sont améliorés pour 41 % d’entre eux dans le premier degré, preuve que ces démarches
constituent un facteur favorable.
Mais les associations d’élus regrettent l’insuffisante concertation de l’État pour la mise en œuvre de
ces plans. Le développement d’une contractualisation pluriannuelle, comme je l’ai évoqué, et le
renforcement du statut de directeur d’école, permettraient une meilleure articulation entre les
temps de l’enfant. De même, l’évaluation
de chacun de ces dispositifs devrait être systématique.
Nous préconisons aussi de mieux tirer parti du numérique dans la pédagogie
. Les défis sont
nombreux
: il serait erroné de penser que l’utilisation que les jeunes font des objets connectés
constitue une véritable compétence numérique.
Il existe une volonté de structuration et de pilotage du numérique éducatif par l’éducation
nationale.
Le service public du numérique pour l’éducation a été créé en 2013, avec une direction
spécifique au ministère, une instance de concertation au niveau national, des délégués de région
académiques
ad hoc,
etc
.
Des opérations d’équipement des écoles ont aussi été menées
; par
exemple, l’appel à projet « socle numérique pour les écoles élémentaires » financé dans le cadre
de
France Relance à hauteur de 115 M€, a permis d’équiper un tiers des écoles qui ne disposaient pas
encore de matériels adaptés.
Malgré toutes ces démarches, de nombreuses défaillances apparaissent en matière de
développement du numérique dans l’enseign
ement du premier degré.
Il n’existe pas de vision
consolidée du développement et de l’utilisation des supports numériques dans l’enseignement
primaire. Une autre difficulté concerne la mesure des risques d’inégalités entre écoles, dues à
l’investissement financier inégal des collectivités territoriales, qui n’ont pas toutes les mêmes
capacités. La répartition des compétences entre État et collectivités dans ce domaine apparaît
obsolète, d’autant qu’aujourd’hui les enjeux de maintenance s’ajoutent aux enjeux
d’investissement.
Plus largement, il faudrait mettre le numérique au service des apprentissages, mais en tenant
compte des capacités des enfants et en définissant des limites.
Toutefois, vu les effets néfastes de
l’utilisation abusive des écrans, nous préconisons d’assurer une progressivité de l’usage de
numérique éducatif, afin de l’adapter aux facteurs de développement de l’enfant.
Mettre le numérique au service de la pédagogie nécessite aussi d’accompagner les enseignants, de
mieux former les équipes
éducatives, et de développer la robustesse, la sécurité, l’accessibilité, la
qualité et l’écoresponsabilité des outils informatiques
.
Nous recommandons donc également de
renforcer la formation initiale et continue des enseignants pour favoriser une meilleure intégration
du numérique comme outil pédagogique.
Le dernier défi, et pas des moindres, auquel l’école doit faire face, c’est l’intégration de la
transition écologique dans ses perspectives.
Les travaux de la Cour montrent que 52 % des
établissements
présentent des risques de grande ampleur pour l’avenir
: canicule, gonflement des
argiles, inondation, et j’en passe. Plusieurs mesures ont été mises en œuvre pour répondre aux
enjeux d’adaptation des écoles à la transition écologique
: un projet de rénovation lancé en 2023 par
le président de la République ; le projet EduRenov financé par la banque des territoires pour la
rénovation énergétique de 10 000 écoles, pour un montant de 2
Md€ d’avances sur prêts
remboursables
; un Fonds vert de 500 M€ pour la ré
novation thermique et la végétalisation des
écoles, une cellule spécifique pour le bâti scolaire au ministère de l’éducation… Mais toutes ces
démarches se heurtent à une absence de consolidation des données, des besoins et des
financements requis. À titre
d’information, l’institut de l’économie pour le climat estime en 2021 à
1,5 Md€ les besoins pour adapter l’ensemble des bâtiments des collectivités territoriales à la
transition écologique
sachant que le bâti scolaire représente un peu plus de la moitié de ce
patrimoine.
9
La diminution attendue des effectifs doit donc mener à repenser le modèle actuel, au regard des
besoins massifs en termes d’adaptation des locaux, et compte tenu des contraintes budgétaires,
mais aussi du peu d’efficience de la politique
d’enseignement primaire
. Cela
pose certes des
questions de coordination des responsabilités et de financements.
Mais c’est surtout une
perspective pour reconsidérer l’école comme un lieu de vie favorable au bien
-être des élèves. Il faut
permettre aux enf
ants de mieux s’épanouir dans leur environnement en veillant à faire de ces
bâtiments des lieux d’éveil. Le but est également d’assurer une plus grande polyvalence des usages
des espaces scolaires, compte tenu des investissements très importants à venir.
À travers ces défis, il s’agit bien pour notre pays de placer l’élève au centre de nos ambitions
collectives.
***
Mesdames, messieurs, voici les éléments d’analyse et les recommandations que je souhaitais
porter à votre connaissance.
Le renforcement du
capital humain est l’une des principales priorités de politique structurelle
recommandée à la France par l’OCDE
. L’expérience montre que l’éducation des enfants joue un rôle
fondamental pour le développement des compétences futures, dans un monde qui est, disons-le,
instable. Ces politiques publiques ne sont pas seulement une réponse à des besoins immédiats ; elles
constituent aussi un investissement stratégique pour bâtir une société plus équitable, plus résiliente
et plus prospère.
L’échec scolaire débute dès l’école primaire, et même avant.
Pour améliorer ses performances,
notre système scolaire doit renforcer sa gouvernance, réexaminer son organisation, renforcer
l’attractivité de la fonction d’enseignant et adapter la gouvernance
des écoles.
Bien sûr, notre rapport n’entre pas dans le contenu des enseignements et les méthodes
pédagogiques, qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour.
Mais nous faisons, vous le voyez,
des recommandations dans tous les domaines que nous avons examinés : formation des professeurs,
attractivité, rythmes scolaires, organisation des écoles et statut des directeurs, gouvernance
territoriale de l’école primaire, adaptation des bâtiments à la transition écologique, intégration du
numérique dans l’éducation tout en l’adaptant au développement de l’enfant… Ces défis sont
immenses, mais nous devons les relever, nous n’avons pas le choix. C’est une question essentielle,
d’équité, d’efficience, et un enjeu essentiellement démocratique.
Mesdames, messieurs, je vous remercie pour votre attention
. Je me tiens à votre disposition, ainsi
que l’équipe qui a instruit ce rapport et que je remercie à nouveau, pour répondre à vos questions.