Sort by *
1
PRÉSENTATION À LA PRESSE SOUS EMBARGO DU RAPPORT AU
PREMIER MINISTRE SUR LES IMPACTS DU SYSTÈME DE RETRAITES
SUR LA COMPÉTITIVITÉ ET L
EMPLOI
Jeudi 10 avril 2025
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence
. J’ai grand plaisir à vous accueillir aujourd’hui pour vous présenter
le rapport de la Cour des comptes intitulé « les impacts du système de retraites sur la compétitivité et
l’emploi
». Je le remettrai au Premier ministre
tout à l’heure
avant de le présenter aux partenaires
sociaux.
Je rappelle que le rapport, dont vous avez déjà pu prendre connaissance, ainsi que l’ensemble
de nos échanges ce matin, sont sous embargo jusq
u’à
cet après-midi.
Et par embargo, j’entends un
véritable embargo
, contrairement à ce qui s’était déroulé lors de la publication de notre précédent
rapport sur les retraites.
Lors de sa déclaration de politique générale le 14 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé
qu’il
souhaitait remettre en chantier le sujet des retraites avec les partenaires sociaux, pour un temps
bref et dans des conditions transparentes.
Afin que cette démarche s'appuie sur des constats et des
chiffres indiscutables, il a saisi la Cour des comptes pour réaliser une mission en deux temps. La lettre
de mission du Premier ministre demandait à la Cour de dresser, en un mois, un constat objectif de la
situation financière du système de retraites et de ses perspectives à court, moyen et long-termes. Nous
avons publié ce premier rapport le 20 févri
er dernier, et je l’ai d’ailleurs présenté devant bon nombre
d’entre vous. Le Premier ministre nous a également demandé d’examiner dans un deuxième temps
les
impacts du système de retraites sur la compétitivité et l’emploi
.
Nous avons donc conservé la formation
ad hoc,
regroupant plusieurs chambres de la Cour et dont
j’ai moi
-même présidé la collégialité, qui avait été créée pour notre premier rapport sur les retraites.
Une équipe de magistrats, spécialistes dans les domaines
de l’économie, de l’emplo
i et des retraites,
a travaillé sans relâche pour faire aboutir ce travail en un temps qui restait très contraint. Je
souhaiterais donc remercier publiquement
les membres de l’équipe. Merci aux présidents de la
première, de la cinquième et de la sixième chambre, Carine Camby, Sophie Thibault et Bernard
Lejeune. Je remercie également la contre-rapporteure, Mathilde Lignot-Leloup, le rapporteur général,
Jérôme Brouillet, ainsi que les rapporteurs : Vincent Chevrier, Emmanuel Jessua, Nicolas Le Ru et
Amélie Morzadec.
Notre rapport
s’inscrit dans un contexte sensible
pour les négociations entre partenaires sociaux,
j’en suis bien conscient
.
J’ai rencontré, comme je l’avais fait lors de la rédaction du premier rapport,
l’ensemble des partenaires sociaux qui faisaient initialement partie du «
conclave ». Entre temps,
certains ont quitté ce cercle, d’autres y sont
demeurés, le format et le périmètre des discussions ont
2
évolué.
En tant
que Premier président de la Cour des comptes, je n’ai pas à me prononcer sur l’évolution des
négociations en cours.
Sinon pour dire une chose
: j’espère sincèrement qu’elles aboutiront à un
accord. Car, s’il y a un message à retenir de notre premier rapport, c’est que le
statu quo
en matière
de financement du système de retraites est impossible, ou du moins, il est insuffisant pour préserver
un système soutenable à moyen et long-terme.
Quelle que soit l’issue des
discussions en cours, je suis donc persuadé que nos deux rapports sur les
retraites, celui qui a été publié en février et celui que je m’apprête à vous présenter, feront date
. Ils
seront, je l’espère,
une base utile et indiscutable dans les négociations actuelles, mais aussi dans les
négociations futures entre partenaires sociaux.
Car,
n’en doutons pas, notre système des retraites
,
pour rester soutenable, nécessitera des adaptations au cours des prochaines années.
Avant d’entrer dans le détail de
s constats et conclusions de la Cour, permettez-moi de revenir en
quelques mots sur le périmètre de ce second rapport, et sur la méthode que nous avons adoptée.
Je débuterai par l’objet
de notre rapport
. Quelle était la demande du Premier ministre
? Qu’avons
-
nous analysé, et, peut-
être tout aussi important, que n’avons
-nous
pas
analysé ?
Conformément à la demande du Premier ministre, notre rapport documente les impacts
économiques des principaux paramètres du système de retraites, sur la compétitivité de notre
économie et sur l’emploi, en prêtant une attention particulière à l’emploi des s
eniors
. Nous avons
choisi d’examiner les trois
paramètres qui ont un effet direct sur l
’équilibre de notre
système de
retraites : le taux de cotisation, l’âge effectif de départ à la retraite
(
qui dépend de l’âge légal, mais
aussi de la durée
d’assurance
requise), et enfin
l’indexation des pensions
. Les effets de ces paramètres
sur le taux d’emploi et sur la compétitivité ont
donc été analysés.
La notion de compétitivité, elle-même, ne va pas forcément de soi
. L
’Insee défini
t la compétitivité
d’une économie comme sa capacité à gagner, ou non, des par
ts de marché sur ses concurrents. La
Commission européenne propose, quant à elle, une définition plus large de la « compétitivité
durable », qui
intègre les enjeux d’équité
. Nous avons prêté une attention toute particulière à cette
notion d’équité, qui est au cœur de l’évolution du système de retraites, qu’il s’agisse d’équité
intergénérationnelle ou intragénérationnelle. Pour une raison simple : les paramètres du système de
retraites ont des effets très différenciés selon les catégories de population concernées.
Compte tenu de ce large champ d’investigation,
le rapport que je vous présente aujourd’hu
i
comporte certaines spécificités.
D’abord, nous avons adopté une démarche comparative au niveau européen
. Certes, les règles de
notre système de retraites sont spécifiques à notre pays ; mais des
comparaisons avec d’autres pays
et dans le cadre européen sont nécessaires, pour apprécier leurs effets sur la compétitivité de
l’économie et
sur
l’emploi.
En effet, la notion de compétitivité est relative : elle
s’apprécie par rapport
à nos principaux concurrents et voisins. La Cour a choisi de concentrer son analyse sur les trois
principaux partenaires économiques européens de la France, qui ont aussi des modèles sociaux et de
retraites proches du modèle français :
l’
Allemagne,
l’Italie,
et
l’
Espagne. Avec la France, ces pays
représentent 70 % du PIB de la zone euro.
Deuxième spécificité de notre rapport :
nous n’avons pas produit
nous-mêmes l
’ensemble d
es
chiffres, modèles et projections qui sont au fondement de nos analyses
. Nous nous sommes appuyés
sur les modèles économiques disponibles, les données des administrations,
et surtout sur l’abondante
littérature économique qui existe sur les économies française, allemande, italienne et espagnole. Nous
3
avons auditionné de nombreux économistes spécialistes de ces sujets. Je ne les listerai pas, mais ils
sont systématiquement cités dans notre rapport lorsque nous reprenons leurs travaux
. C’est un point
important, sur un sujet où les points de vue sont souvent nuancés, voire divergents.
Je remercie
d’ailleurs
les économistes qui ont répondu à nos sollicitations, mais aussi les
administrations qui nous ont appuyés dans cette mission :
la Dares, la Drees, la Direction générale du
Trésor, ainsi que la Direc
tion de la sécurité sociale et la délégation générale à l’emploi et à la formation
professionnelle
.
Nous avons travaillé en bonne intelligence avec ces acteurs, qui ont accepté une
contradiction de nos travaux dans des délais record.
J’en viens
à présent aux questions que nous nous sommes posées, et auxquelles nous avons tenté
de répondre.
Dans le premier chapitre, nous avons « documenté »,
pour reprendre l’expression
de la lettre de
mission du Premier ministre,
l’évolution du taux d’emploi
et de la compétitivité en France par rapport
à nos partenaires européens
. Nous nous sommes demandés quel serait l’impact pour le système de
retraites français d’une amélioration du taux d’emploi ou de la compétitivité française. C’est un
exercice d’économie
-fiction, en quelque sorte, mais il est intéressant car il fournit des ordres de
grandeur.
Dans le deuxième chapitre, nous avons analysé les caractéristiques singulières du système
de retraites français et leur effet sur l’emploi et la compétitivité, en examinant
particulièrement
l’impact des réformes des retraites passées
. Enfin, le troisième chapitre prolonge les analyses de notre
précédent rapport : nous y examinons
l’effet des principaux leviers de réforme du système de retraites
sur la compétitivité et l’emplo
i : le taux des cotisations
, l’âge de départ et les conditions d’indexation
des pensions.
Nous en avons tiré des constats et des conclusions
sur les liens entre système de retraites d’une part,
et emploi et compétitivité,
d’autre part
, qui peuvent être résumés en quatre grands messages.
S
’agissant de la compétitivité
tout d’abord
:
l’impact du système de retraites
est indirect, et il
n’est
évidemment pas le seul facteur
d’une compétitivité française qui s’est dégradée
depuis le début des
années 2000.
L’évolution de la structure des cotisations a plutôt permis de réduire nos handicaps
en
termes de compétitivité coût ; mais le problème majeur réside maintenant dans notre déficit de
compétitivité hors coût.
S’agissant de l’emploi, les effets
du système de retraites sont plus nets :
à la suite des réformes des
retraites, l’augmentation du taux d’emploi des
plus de 60 ans est réel,
bien qu’
inégale selon les
catégories de populations
c’est l
à notre deuxième message.
Notre troisième message clef porte sur la nécessité de traiter ces situations inégales au regard de
l’emploi et des effets des réformes des retraites
:
celles des femmes, des personnes en moins bonne
santé, de ceux qui ont des conditions de travail plus pénibles. Les
enjeux d’équité sont
, et doivent être,
au cœur des évolutions des systèmes de retraite.
Enfin, notre quatrième message est le suivant :
il existe, ailleurs en Europe, des mécanismes qui
permettent une adaptation progressive des paramètres des systèmes de retraite aux évolutions
démographiques et économiques. Nous pourrions nous en inspirer.
Permettez-
moi à présent d’entrer dans le détail de ces quatre messages.
***
4
1.
Je débuterai par la compétitivité. Ce que nous constatons
, c’est que
le financement du système
de retraites a des effets ambivalents sur notre niveau de compétitivité.
Nous faisons un constat, dans ce rapport mais aussi dans de nombreux autres travaux récents de la
Cour : l
a compétitivité française s’est
structurellement dégradée, depuis le début des années 2000.
L’évolution de la balance des biens et des services,
tout comme
les performances relatives d’un pays
à l’exportation, permettent d’apprécier l’évolution de sa compétitivité.
Or, ces deux indicateurs
apparaissent dégradés
pour l’économie française.
Depuis 2006, la France a constamment enregistré
un déficit de la balance des biens et des services,
jusqu’à atteindre
21,5
Md€ en 2024.
Cela représente
0,7 point de PIB. Par comparaison, l
’Allemagne, l’Espagne et l’Italie
ont enregistré des excédents
importants en 2024, et il en est de même pour la zone euro
, dont l’
excédent
s’élève à
4,5 points de
PIB. Cette anomalie française, durable,
s’explique par un déficit persistant et croissant des échanges
de biens, notamment industriels.
C’est la conséquence directe de la désindustrialisation à l’œuvre dans
notre pays.
E
n 2023, la part de l’emploi industriel était stabilisée autour de 10 % dans l’emploi total en France,
contre 17 % en Italie et de 18 % en Allemagne.
Cette
dégradation s’inscrit aussi, plus largement, dans un contexte de décrochage de la compétitivité
de l’Union européenne par rapport aux Etats
-Unis et à la Chine
. La croissance dans
l’Union
européenne
a ralenti, du fait d’une baisse de la productivité, et ell
e a été plus lente que celle des Etats-
Unis de façon persistante
. En conséquence, l’écart de PIB entre les Etats
-
Unis et l’Union européenne
va en s’accroissant
: il est passé de 15 % en 2002 à 30 % du PIB en 2023, à prix constants. Environ 70 %
de cet écar
t s’explique par une productivité plus faible dans l’Union européenne. Ce décrochage a été
mis en évidence par le rapport remis à la Commission européenne par Mario Draghi en septembre
2024.
Dans ce contexte, quels sont les liens entre paramètres du système de retraites, et compétitivité ?
Il
est important de distinguer les effets du système et de son financement sur la compétitivité-coût
qui
mesure l’évolution des coûts de production, en particulier des coûts salariaux –
et sur la compétitivité
hors-coût, qui est,
comme son nom l’indique, associée à d’autres dimensions, comme les gammes de
produits, l’innovation, ou encore les compétences de la main
-
d’œuvre
.
Tout d’abord, le
financement des dépenses de retraites,
via
les cotisations sociales, explique une
partie des coûts salariaux unitaires
et donc de la compétitivité coût
de l’économie française.
En
France, le système de retraites est financé aux deux-tiers par des cotisations sociales sur la masse
salariale, qui ont donc un impact sur le coût du travail. Ces cotisations représentent environ 9,5 points
de PIB en France et en Espagne, un niveau supérieur à celui de nos partenaires et notamment de
l’
Allemagne, avec un écart de de 5 points et demie.
Cependant, la compétitivité-
coût n’est pas le principal sujet en France, aujourd’hui.
E
lle s’est
en effet
relativement améliorée,
d’abord avec les allégements généraux de charges
, puis avec la politique de
baisse du coût du travail mise en œuvre en France depuis 2013.
Ces politiques ont permis de résorber,
et même d’inverser, les
écarts
d’évolution des
coûts salariaux par rapport à nos principaux partenaires
européens. Entre 2000 et 2024
, l’évolution des
coûts salariaux unitaires a même été plus modérée en
France
qu’en
Allemagne, et que dans les principales économies de la zone euro.
C’est p
articulièrement
le cas
dans le bas de l’éventail des rémunérations
.
La faiblesse de la compétitivité hors-coût est plus préoccupante
; nous l’avons déjà souligné dans
notre rapport sur la politique industrielle paru en novembre dernier.
Les exportations françaises
n’ont pas connu
de montée en gamme depuis près de 25 ans, les dernières enquêtes PISA témoignent
d’un
décrochage scientifique, et nous ne sommes plus qu’à la dixième place mondiale en termes de
5
publications scientifiques.
En outre, en France, la structure des cotisations sociales consacrées au financement des retraites est
atypique, ce qui pourrait avoir un impact sur la compétitivité hors-coût
. En effet, les cotisations
sociales se caractérisent, dans notre pays,
par d’importants allégements de cotisations au niveau du
Smic et des plus bas salaires. Symétriquement, sur les niveaux de salaires les plus élevés, les cotisations
sociales sont plus importantes que chez nos partenaires européens. Cette structure de cotisations
permet de
préserver l’emploi peu qualifié en
France ; mais elle pourrait aussi peser, à terme, sur la
compétitivité hors-coût et la productivité française. Je tiens néanmoins
à souligner qu’il
n’existe pas
d’étude économique
, sur le cas français, qui permettrait de démontrer cette hypothèse.
Pour conclure sur la compétitivité, permettez-moi un
rappel en forme d’évidence
.
Le financement
du système de retraites est
l’
un des facteurs qui peut avoir un impact sur la compétitivité
et je vous
ai décrit les deux impacts principaux qu’il peut avoir
, sur la compétitivité coût et sur la compétitivité
hors coût
,
mais c’est loin d’êt
re le seul. Les autres prélèvements,
le coût de l’énergie,
les taux de
change ou
pour rester dans l’actualité –
, les droits de douane, doivent bien évidemment être pris en
compte lorsqu’on analyse la compétitivité de l’économie française.
*
2.
J’en arrive au deuxième message de notre rapport : les réformes des retraites ont entraîné une
augmentation du taux d’emploi des plus de
55 ans en France ; mais ce taux demeure faible par
rapport à nos partenaires européens, et il masque des inégalités.
La France, comme ses partenaires européens, est confrontée au vieillissement de sa population.
Au
sein de l’Union européenne, la population en âge de travaill
er a commencé à diminuer vers 2010,
principalement en raison de la baisse des taux de natalité, non compensée par un solde migratoire
positif.
De ce fait, la proportion de la population âgée de plus de 65 ans a augmenté partout en Europe.
Les projections démographiques à long terme suggèrent une poursuite de ce déclin.
En conséquence,
le « ratio de dépendance »
, c’est
-à-dire la part de la population de plus de 65 ans comparée à la
population de 20 à 64 ans, augmente pour tous les principaux pays européens. En France, ce ratio
passerait de 38 % en 2022 à 53 % en 2050.
Dans ce contexte, l’améliora
tion du
taux d’emploi
de la population active est essentielle
. Or, en
France, le taux d’emploi est faible.
En 2023, le
taux d’emploi
des personnes âgées de 15 à 64 ans
s’établissait à 68,4
%, en-dessous de la moyenne de la zone euro.
Le
taux d’emploi français a
certes progressé depuis 1995 ; mais pas aussi rapidement que chez nos
voisins.
Au niveau de la zone euro, seuls cinq pays, dont l’Espagne et l’Italie, ont un taux d’emploi plus faible
que la France.
Comme en Espagne et en
Italie, le taux d’emploi des jeunes est faible en France,
notamment en comparaison avec la situation allemande. Cependant, la cause principale
de l’écart du
taux d’
emploi français par rapport à nos partenaires,
c’est
la faiblesse du
taux d’emploi des homme
s
de 55 ans et plus. Certes, la part de seniors hommes en emploi a beaucoup progressé dans notre pays
au cours des trente dernières années ; mais les autres pays européens ont, eux aussi, connu une
augmentation importante du taux d’emploi de cette classe d’âge. L’écart s’est donc maintenu entre la
France et ses partenaires.
Dans ce contexte, nous avons analysé deux phénomènes : les effets
d’une augmentation du taux
d’emploi sur le financement du système de retraites
mais aussi, en miroir, les effets des paramètres
du système des retraites sur le taux d’emploi
.
6
Je passerai rapidement sur le premier point : les travaux de la direction générale du Trésor montrent,
logiquement, qu’une augmentation du taux d’emploi améliorerait le financement du système de
retraites.
Le Trésor a estimé l’impact
, sur les finances sociales,
d’un alignement du taux d’emploi
français sur le taux d’emploi allemand
: il en résulterait un gain net à long-
terme de 7 Md€ pour le
financement des retraites. Mais ces travaux sont purement théoriques.
Ce qui est intéressant, c’est
de comprendre comment le taux d’emploi pourrait être amélioré en France.
À cet égard, les études économiques concluent que les réformes des systèmes de retraites se sont
accompagnées d’une amélioration du taux d’emploi.
Je ne vous l’apprends pas, l’
ensemble des pays
européens ont réformé leurs systèmes de retraites au cours des 30 dernières années
notamment en augmentant progressivement l’âge de départ.
Au même moment, ces pays ont connu
une augmentation du
taux d’emploi
des personnes âgées de plus de 55 ans.
Les études économiques
montrent que ces deux phénomènes sont liés. Le
s mesures de recul de l’âge de la retraite
à 63, 65 ou
67 ans, décidées en Allemagne et en Italie, ont eu pour principal effet une augmentation du taux
d’emploi des seniors.
En France également, la réforme des retraites de 2010
qui a, je le rappelle,
porté l’âge
légal de
départ de 60 à 62 ans
s’est traduite par une augmentation très nette de l’emploi des personnes
âgées de 55 à 60 ans.
Au cours de la décennie 2010, l’âge de départ
effectif
à la retraite
, c’est
-à-dire
l’âge auquel les personnes prenn
ent réellement leur retraite, a augmenté de 2,1 ans. Et en moyenne,
le temps passé en emploi s’est allongé d’1 an et 7 mois.
C’est ce que l’on nomme «
l’effet horizon
» :
ce n’est pas l’âge des individus, mais la
distance
qui les
sépare de l’âge légal de la retraite, qui influence leurs comportements
ainsi que celui des entreprises.
C’est cette distance à l’âge légal
qui encouragera les individus proches de la retraite à se former ou
non, par exemple, ou à rechercher un emploi à un âge donné.
Mais
l’impact
de ce décalage
de l’âge légal
sur
le taux d’emploi dépend
de la situation des personnes
avant le recul de l’âge de départ.
Les études économiques montrent que la réforme de 2010 a eu pour
effet de prolonger les personnes dans leur situation sur le marché du travail. Les personnes qui étaient
en emploi
à l’approche de la soixantaine
, le sont restés. Mais ce
recul de l’âge légal peut également se
transformer en une augmentation du nombre de personnes
ni en emploi, ni en retraite.
Que recouvre
cette définition statistique ? les personnes au chômage, les personnes inaptes, les personnes en arrêt
maladie…
Il existe en effet des disparités importantes entre catégories socio-professionnelles, entre femmes
et hommes, et selon l
’état de santé
des seniors concernés.
Pour les ouvriers,
le recul de l’âge moyen
de
départ à la retraite ne s’est traduit qu’à 66 % par un
allongement de la durée en emploi ; ce taux est de plus de 85 % pour les professions intermédiaires et
les cadres.
S’agissant des
disparités entre les femmes et les hommes, la réforme des retraites de 2010 a entraîné
une augmentation de l’emploi après 60 ans
pour les deux populations
. Cependant, cette poursuite
de l’emploi s’est davantage faite à temps partiel
pour les femmes que pour les hommes.
Par ailleurs, au-delà de 55 ans, les femmes sont plus souvent
ni en emploi et ni en retraite
que les
hommes, et quand on les interroge sur les raisons de cette situation, elles citent fréquemment des
contraintes familiales ou personnelles. On retrouve ici la problématique connue du
rôle d’aidante
,
majoritairement
joué par les femmes, notamment à cet âge pivot où elles doivent s’occuper tant de
leurs parents que de leurs petits-enfants.
Je résume donc
nos conclusions sur les liens entre système de retraites et taux d’emploi
.
L’évolution
du taux d’emploi des seniors n’est pas un préalable aux réformes des retraites, c’en est une
7
conséquence. Les études économiques montrent que les
réformes de recul de l’
âge de la retraite ont
pour effet d’
augmenter
le taux d’emploi des
seniors. Toutefois cet effet observé « en moyenne » cache
des disparités importantes : la probabilité de se retrouver
ni en emploi, ni en retraites
est plus forte
pour les travailleurs les moins qualifiés, pour les femmes, et pour les personnes en difficulté de santé.
Il faut donc les accompagner de manière spécifique
, pour que les augmentations de l’âge de départ se
traduisent par un allongement du temps en emploi, pour tous, sans distinction ni discrimination.
*
3.
Cela me mène au troisième message qui se dégage de notre rapport : il est impératif de prendre
en compte et de
préserver l’équité
, intragénérationnelle et intergénérationnelle, dans les
réflexions
sur l’emploi des seniors
et sur les paramètres de notre système de retraites.
J’évoquerai d’abord la nécessaire préservation de l’équité au sein d’une même génération –
soit
l’équité «
intragénérationnelle ».
Au global, en 2023, une personne sur
cinq âgée de 55 à 64 ans n’est ni en emploi, ni en retraites, soit
1,6 sur les 8,5 millions de personnes de cette classe d’âge.
La plupart subissent leur situation
: c’est le
cas des environ 300 000 chômeurs
qui cherchent activement un emploi mais n’en tr
ouvent pas
; c’est
aussi le cas des personnes inactives pour une raison de santé ou de handicap.
Face à ces disparités, il est évident qu
’il
faut de nouvelles mesures, de la part des entreprises et des
pouvoirs publics, pour accompagner les seniors les plus vulnérables mais aussi les aidants, le plus
souvent des femmes
.
L’objectif est simple
: il faut que le recul de l’âge moyen de départ favorise le
maintien en activité, ou le retour à l’emploi,
de manière équitable, en tenant compte des difficultés
concrètes auxquelles sont confrontés certains seniors.
En France, les pouvoirs publics privilégient le levier du dialogue social, pour faire évoluer la
perception des seniors dans le monde professionnel.
C’est dans cet esprit que le récent accord
national interprofessionnel en faveur de l'emploi des seniors a été signé en novembre 2024. Il renforce
les
obligations de réaliser une négociation sur l’emploi des seniors dans les entreprises
. Il prévoit aussi
l’aménagement du temps de travail en fin de carrières
, en renforçant la possibilité de travailler à temps
partiel.
Mais il
faut également jouer sur d’autres leviers.
La Cour avait noté, dans son rapport sur les carrières
longues publié en 2019, que les seniors touchés par le chômage éprouvaient de grandes difficultés à
retrouver un emploi,
en raison de discriminations à l’embauche.
Ces discriminations se retrouvent également dans l’accès à la formation. Ainsi,
la Dares a montré que
les personnes de plus de 50 ans ont moins de chances que les plus jeunes d’être
retenues pour des
formations,
alors qu’elles se présentent plus souvent aux convocations
. Cela doit changer !
L
’équité intragénérationnelle
implique également de tenir compte des écarts persistants
d’espérance de vie
entre catégories de populations.
En Fra
nce, l’écart d’espérance de vie à 65
ans
entre les cadres et les ouvriers était de 2 ans pour les femmes, et de 3 ans pour les hommes en 2020.
Cet écart tend à se réduire, et il tient à de multiples facteurs qui dépassent les conditions de travail.
Mais il aboutissait tout de même, en 2018, à ce que les anciens ouvriers passent en moyenne deux
années de moins à la retraite que les anciens cadres, et ce, malgré des départs à la retraite plus
précoces.
Plus largement, pour pratiquement toutes les générations
depuis 1906, l’âge moyen de départ à la
retraite des retraités dont la pension est la plus faible, est plus élevé que celui des retraités dont la
pension est la plus élevée !
Le dispositif de départ anticipé pour carrière longue n’a pas changé cette
8
situation : ses effets sont concentrés sur les personnes qui touchent une pension moyenne, du 5ème
au 8ème décile de pensions. Les retraités dont les pensions sont les plus faibles, du 1er au 4ème décile
de pensions,
n’ont représenté que 13% des départs pour car
rière longue.
L’équité intragénérationnelle n’est donc pas garantie, en l’état actuel du système de retraites
; cet
enjeu doit demeurer au cœur des réflexions sur les évolutions du système.
Il en est de même de l’enjeu d’équité intergénérationnelle
de not
re système de retraites, c’est
-à-
dire la préservation de l’équité entre les générations actuellement à la retraite et les générations
futures.
La préservation de cette équité intergénérationnelle revient à poser la question de la
soutenabilité de notre système de retraites,
et de la répartition des efforts entre actifs et retraités. Cet enjeu est de plus en plus prégnant dans
toute l’Europe, à mesure du vieillissement de la population.
Aujourd’hui, la France consacre près de 14
points de son PIB aux dépenses publiques de retraite, soit
2,5 points de plus que la moyenne de la zone euro
.
Seule l’Italie a des dépenses publiques de retraite
plus élevées que notre pays. Le surcroît de dépense publique de retraites en France par rapport à la
moyenne de la zone euro
représentait plus de 66 Md€ en 2022. L’écart est
même de 118
Md€ par
rapport à l’Allemagne.
Cet écart
avec l’Allemagne
est dû pour moitié à la différence de richesse
nationale, et pour moitié aux paramètres du système de retraites, qui débouchent sur un niveau
moyen des pensions plus élevé et un âge moyen de départ à la retraite plus précoce que notre
partenaire.
L’évolution des rapports entre cotisants et retraités constitue un défi majeur pour le financement
de leurs systèmes de retraites.
Comme
nous l’avons montré dans notre premier rapport sur les
retraites, le financement et les paramètres actuels du système des retraites ne suffisent pas à
empêcher le creusement du déficit du système de retraites
: il serait de 15 Md€ en 2035, et de 30 Md€
en 2045.
L’accumulation de ces déficits gonflerait la dette
. Or, ces perspectives sont contradictoires
avec le principe même de la répartition, qui suppose que, pour chaque génération, les actifs financent
les pensions des retraités, sans reporter une partie de ce financement sur les générations suivantes.
Cette situation nous oblige
à prêter une attention particulière à l’équité intergénérationnelle du
système des retraites, notamment au niveau du pilotage de ses adaptations
. Tous les pays
européens, ou presque, sont confrontés aux mêmes problématiques. Certains ont adopté des
réformes pour y faire face, tout en garantissant l’équité du système.
Par exemple, certains pays se
fixent pour objectif une stabilité du temps passé à la retraite au cours de la vie, pour veiller à la
pérennité financière des systèmes de retraite et au partage équilibré des efforts entre les générations.
4.
Cette réflexion me mène au quatrième et dernier message de notre rapport : il existe, ailleurs en
Europe, des mécanismes qui permettent une adaptation progressive des paramètres des
systèmes de retraite aux évolutions démographiques et économiques.
Permettez-moi ici un bref rappel sur les paramètres qui déterminent le
solde d’un système de
retraites par répartition.
D’une part, ce solde dépend du nombre de cotisants, de leur revenu d’activité moyen et du taux de
prélèvement sur ce revenu affecté au financement des retraites. D
’autre part,
il dépend du nombre de
retraités et de la pension moyenne qui leur est versée.
L’ajustement de ces paramètres repose sur
trois leviers
: premièrement, le niveau des cotisations
sociales affectées aux retraites ; deuxièmement, le niveau moyen des pensions des retraités, qui
dépend des règles de calcul de la pension, mais aussi des règles de revalorisation
via
l’indexation sur
l’inflation
; et troisièmement, de
l’âge effectif moyen de départ à la retraite,
qui dépend notamment
9
de l’âge d’ouverture des droits
et de la durée
d’assurance
requise.
Dans notre premier rapport sur les retraites, nous avions examiné les effets de chacun de ces leviers
sur les perspectives financières du système de retraites.
Dans le rapport que je vous présente
aujourd’hui,
nous analysons leurs effets sur
la compétitivité et l’emploi.
Au terme de nos analyses, nous concluons que ces principaux leviers de réforme ont des effets
différenciés sur la compétitivité et l’emploi.
Une hausse des cotisations aurait un impact négatif sur
l’emploi et la compétitivité
; mais son ampleur pourrait varier,
selon que l’augmentation concerne les
cotisations employeurs ou salariales, et selon
qu’elle cible ou non les bas salaires.
A l’inverse,
reculer
l’âge
effectif de départ à la retraite, que ce soit par une augmentation de la durée
d
’assurance ou par un recul de l’âge d’ouverture des droits
, aurait un impact positif sur le taux
d’emploi
moyen.
Dans cette hypothèse,
l’augmentation de l’emploi des seniors n’affecterait pas
négativement la compétitivité. Mais,
vu les disparités de taux d’emploi entre catégories de
populations, que j’ai déjà évoquées, il faudrait mettre
en
œuvre
des mesures spécifiques, pour garantir
le maintien en emploi des seniors tout en tenant compte des difficultés concrètes de certains.
Enfin, la question de l
’indexation
automatique des pensions
sur l’inflation
a suscité de récents
débats.
Aujourd’hui, comme le prévoit la loi, les pensions sont indexées annuellement sur l’inflation.
Mais les dynamiques respectives des salaires et des prix, au cours des dernières années, ont conduit à
une réflexion sur une moindre
indexation des pensions par rapport à l’inflation
. En effet, en cas de
choc économique,
cette règle d’indexation automatique
peut conduire à augmenter les pensions de
retraites plus rapidement que les salaires. Les
études économiques montrent globalement qu’une
indexation inférieure à l’inflation aurait un
très
faible impact sur l’emploi.
Mais plus largement, cette
indexation sur
l’inflation
n’apparaît pas
nécessairement la mieux adaptée à
la recherche d’un
équilibre
durable et équitable du système de retraites. Une indexation au moins partielle sur les salaires, assortie
d’un facteur de soutenabilité
, comme chez certains de nos partenaires européens, présenterait
l’avantage de faciliter le pilotage du système de retraites
; surtout, elle exposerait les actifs et les
retraités de manière solidaire aux mêmes aléas économiques.
J’aimerais souligner que
nous avons analysé chacun de ces leviers isolément ; mais une réforme
pourrait, voire devrait, mobiliser et combiner plusieurs de ces leviers.
C’est ce qu’ont fait nos partenaires européens
.
Nos trois principaux voisins
l’
Allemagne,
l’Italie et l’Espagne –
ont mis en place différents outils
d’équilibrage de leur système de retraites. Les modalités d’association des partenaires sociaux à la
gouvernance de ces dispositifs sont variables, selon les pays. Elles reflètent les traditions de dialogue
social qui leur sont propres.
Mais ces dispositifs ont tous en commun de combiner plusieurs leviers, pour garantir à la fois la
pérennité financière des systèmes de retraite et le partage équilibré des efforts entre les
générations.
Certains mécanismes prévoient, par exemple, d’ajuster l’âge de la retraite en fonction
des gains d’espérance de vie. D’autres permettent
de revaloriser les pensions en tenant compte des
conditions démographiques et économiques. De telles règles permettraien
t d’équilibrer
, dans la
durée, le système de retraites ; mais elles doivent être décidées collectivement.
Par ailleurs, nos principaux partenaires européens ont aussi introduit des « clauses de revoyure »
automatiques dans la gestion de leurs systèmes de retraites, pour mettre fin aux incessantes
réformes par « à coup » qui ne garantissent pas nécessairement la soutenabilité du système à moyen
et long terme
.
Ces clauses de revoyure permettent d’ajuster le niveau des cotisations, celui des
10
pensions et l’âge de départ à la retraite, en fonction de l’évolution de plusieurs indicateurs
démographiques ou économiques.
En cas d’évolution favorable ou défavorable de
ces indicateurs, les
paramètres du système de retraites sont modifiés progressivement, selon des règles préétablies.
Ces mécanismes sont comparables à celui qui a été mis en place par les partenaires sociaux, dans le
cadre du pilotage des retraites complémentaires
de l’
Agirc-Arrco
. De telles règles, si elles étaient
convenues par les partenaires sociaux et votées par le Parlement, permettraient des adaptations
prévisibles, progressives et concertées du système de retraites, adaptées aux évolutions
démographiques et aux circonstances économiques, notamment lorsque celles-ci sont défavorables.
***
Voici, mesdames et messieurs, les constats et conclusions dont je ferai part, au nom de la Cour des
comptes, au Premier ministre et aux partenaires sociaux dans quelques heures.
Je n’ai bien entendu pas détaillé l’ensemble des analyses et constats tirés par la Cour des comptes
sur ces sujets complexes
et pourtant, j’ai été bien trop long
!
Je souhaiterais toutefois souligner que
les modèles et études écono
miques s’accordent, globalement, sur plusieurs impératifs.
Le premier impératif, le plus important et celui dont tous les autres découlent, c’est celui de préserver
l’équité de notre système de retraites –
son équité intragénérationnelle, mais aussi son équité
intergénérationnelle, qui est au fondement de tout
système par répartition. Le deuxième, c’est la
nécessité de renforcer la compétitivité de notre économie, dans un contexte de décrochage européen.
Le troisième impératif qui se dégage de nos analyses,
c’est
celui
d’améliorer le taux d’emploi en France,
en particulier pour les hommes de plus de 55 ans, dont la part en emploi est très faible comparée à
nos voisins.
Enfin, et ce n’est pas un impératif mais une perspective pour le futur
: nous pourrions nous
inspirer des réformes mises en œuvre par nos voisins européens, qui nous ressemblent. En combinant
plusieurs leviers, d’une part
; et en instaurant des clauses de revoyure, d’autre part, qui nous feraient
sortir d’un incessant
stop and go
en matière de réforme des retraites.
Il n’appartient pas à la Cour de formuler des propositions détaillées pour déterminer les
leviers de
l’amélioration du taux d’emploi et de la compétitivité française
, moins encore pour préconiser les
réformes des paramètres du système de retraites
. Nous avons seulement cherché à donner à chacun,
et d’abord aux
partenaires sociaux, les données incontestables pour comprendre ces enjeux, et les
principaux outils pour agir.
Je vous remercie et me tiens à votre disposition, ainsi que l’équipe remarquable qui a instruit ce
rapport, et que je remercie à nouveau, pour répondre à vos questions.