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PRÉSENTATION À LA PRESSE DES OBSERVATIONS DÉFINITIVES PORTANT SUR
L
’
ORGANISATION DE LA COUPE DU MONDE DE RUGBY 2023 EN FRANCE
Mardi 8 avril 2025
–
10h15
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous présenter
aujourd’hui
le rapport de la
Cour relatif à
l’organisation de la Coupe du monde de rugby
en 2023.
À mes côtés, sont présents
Nacer Meddah
, président de la 3
ème
Chambre,
Emmanuel Suard
, président
de la section Enseignement scolaire, sports, jeunesse et vie associative,
Jean-Christophe Potton
, le
contre-rapporteur, ainsi que les rapporteurs :
Dominique Lefebvre,
Paul Riffaud,
et
Sandrine Della
Gaspera
, vérificatrice.
Je souhaite les remercier chaleureusement pour leur implication et pour leur travail approfondi sur
ce sujet.
***
Avant de vous exposer les principales recommandations de la Cour, permettez-moi de revenir
rapidement sur nos travaux liés à
l’organisation de grands événements sportifs
internationaux.
Du fait de son contexte sportif, logistique et fiscal, la France est devenue
l’
un des premiers pays
organisateurs d’événements sportifs de portée internationale, avec une réussite reconnue et
saluée
.
Les candidatures françaises, portées par des fédérations sportives délégataires de missions de service
public, ont toujours bénéficié d’un appui politique, financier et opérationnel des pouvoirs publics
.
Cet appui a un double motif
:
l’impact
de l
’organisation de ces événements sur le développement de
la pratique sportive et de la fédération sportive concernée et, plus généralement,
l’
impact supposé
bénéfique sur l’économie nationale, notamment touristique,
ainsi que
sur l’image de la France.
Une
f
ois la candidature retenue, l’
organisation de ces compétitions repose sur des cahiers des charges
stricts des fédérations internationales, dans une logique de «
privatisation des profits et de
socialisation des pertes
». Cette organisation impose des engagements tout à la fois importants et
divers des pouvoirs publics, et donc des coûts publics parfois significatifs.
Or, l
’État
n
e dispose pas d’une doctrine claire et étayée
, ni
d’outils fiables
, pour analyser les
conditions dans lesquelles il apporte, ou non, son soutien, aux candidatures portées par les
fédérations sportives nationales.
Il en va de même des collectivités territoriales, alors que leur
intervention est souvent très importante, et ces manifestations ne pourraient pas se tenir sans elles.
Nous avions déjà fait ce constat dans notre rapport public thématique de 2017 sur les soutiens publics
à l’organisation de
l’Euro 2016 de football
; nous tirons les mêmes conclusions pour ce qui concerne la
Coupe du monde de rugby 2023.
2
Nous
faisons également des constats plus spécifiques à l’organisation de la Coupe du monde de
rugby
. Les dysfonctionnements qui ont marqué cette organisation ont conduit la Cour à formuler des
recommandations pour les futurs grands événements sportifs internationaux. Sans même attendre la
publication de nos rapports sur le bilan des Jeux de Paris 2024, en juin et en octobre prochain, ces
recommandations sont directement mobilisables
pour la préparation des Jeux d’hiver Alpes 2030
,
alors que des décisions fondatrices essentielles s
ont en passe d’être prises
J’en viens donc aux principaux messages et conclusions de notre rapport.
La dixième
Coupe du monde de rugby s’est déroulée en France du 8 septembre au 28 octobre 2023.
Cette grande manifestation sportive internationale est la troisième par sa dimension, après les Jeux
olympiques et la Coupe du monde de football. La France
l’
avait déjà organisée une première fois en
2007. Mais la candidature a de nouveau été attribuée, un peu à la surprise générale, à la fédération
française de rugby, la FFR, en novembre 2017 par la fédération internationale de rugby. Cette
fédération internationale, la
World Rugby
, est la
propriétaire de l’événement et de ses droits
commerciaux.
Pour la FFR, l’organisation de la Coupe du
monde de rugby représentait une opportunité : non
seulement pour promouvoir le rugby, mais aussi et surtout pour tirer des revenus significatifs en
faveur de son développement
. Le dossier de candidature affichai
t un objectif de 68 M€ de résultat,
porté ult
érieurement à près de 100 M€.
Or, non seulement ces objectifs n’ont pas été atteints
, mais
les ressources laissées en héritage pour le développement du rugby en France sont quasi-nulles, voire
négatives. En tout état de cause, elles sont bien en-deçà des objectifs avancés lors de la candidature,
et même de celui obtenu lors d
e l’
édition 2007 en France, à 36
M€.
La FFR, dont la situation financière
est déjà fragile, pourrait enregistrer une perte pouvant aller de 11 à 30 M€
. Cela mettrait en péril la
poursuite de ses activités, de celle de ses 1 900 clubs et de ses 300 000 licenciés.
La question posée est donc de savoir pourquoi, et comment, nous en sommes arrivés là, alors même
que la Coupe du monde de rugby 2023 a été un grand succès populaire, médiatique, sportif et même
économique
. En outre, elle a été la Coupe du monde de rugby la plus rentable pour
World Rugby
depuis sa création en 1987 ; la fédération internationale a réalisé à cette occasion, et de loin, le
meilleur résultat financier de son histoire
, de l’ordre d’au moins 500
M€
.
*
Ce paradoxe entre le succès de la manifestation, et son résultat financier final pour la FFR, est plus
qu’étonnant
.
Il provient des engagements excessifs pris par la FFR pour obtenir à tout prix
l’organisation de l’événement auprès de
World Rugby
.
Il découle également de choix stratégiques et
de choix de gestion contestables, voire risqués, qui ont été pris dans le cadre de la préparation du
Tournoi. En particulier, le
lancement de multiples projets annexes à l’événement
, comme «
Campus
2023
» sur lequel je reviendrai,
a engendré un déficit final de plus de 15 M€.
Il en est de même pour
ce qui concerne la gestion et la commercialisation
des prestations d’hospitalités et
de voyages,
acquises auprès de
World Rugby
pour un
montant à l’évidence excessif,
pour faire basculer le vote du
conseil de la fédération internationale
.
Cela a conduit à faire perdre entre 20 et 53
M€
à
l’organisation
de la Coupe du monde.
En réalité, ces pertes substantielles ont pour origine les conditions dans lesquelles a été piloté le
dossier de candidature par la FFR, et les conditions dans les
quelles l’État
y a apporté son soutien
.
Elles résultent aussi des défaillances constatées dans la gouvernance des entités chargées de
l’organisation de la Coupe
:
d’une part
, le
comité d’organisation
constitué
sous la forme d’un
groupement d’intérêt public
«
France 2023
», qui associait
la FFR et l’État
, et,
d’autre part,
le
groupement d’intérêt économique
«
Hospitalités et Voyages
», créé en septembre par la FFR avec
3
Sodexo Sports et Loisirs.
Le
GIP s’est substitué
à cette société en septembre 2019, pour acquérir et
gérer les droits commerciaux liées aux prestations d’hospit
alités et de voyages.
La responsabilité du premier directeur général de «
France 2023
», qui avait préalablement préparé
le dossier de candidature, est directement engagée ; mais celles
de la FFR et de l’
État le sont tout
autant, du fait de leur absence de contrôle
–
dans le cadre de la candidature, puis de la gouvernance
et de l’
organisation mises en place pour préparer la Coupe du monde.
Il aura fallu attendre
la crise de gouvernance intervenue à l’été 2022
, et la révocation du directeur
général à
moins d’un an de la manifestation, pour que, sous l’impulsion de l’État, une évolution
substantielle de la gouvernance et de
l’
organisation interne intervienne, et permette finalement la
livraison de la Coupe du monde dans de bonnes conditions
. Cela n’a pa
s permis, pour autant, de revenir
sur les principaux choix qui ont conduit à cet échec financier majeur pour la FFR.
*
Permettez-moi de revenir successivement
sur ces constats, avant de conclure sur les
recommandations de la Cour pour éviter que de tels errements se reproduisent
à l’avenir
.
1.
D’abord, soyons tout de même positifs, j’aimerais souligner que la Coupe du monde a été un
incontestable succès populaire, médiatique et sportif, avec une organisation performante, et
sans incidents majeurs.
Plus de 2,4 millions de billets ont été vendus, pour les 48 matchs tenus dans neuf villes de
l’hexagone
.
C’est
le meilleur résultat enregistré depuis la création de la Coupe du monde de rugby en
1987 : cela traduit le succès de la stratégie de billetterie mise en place par «
France 2023
», et
l’attractivité du rugby pour nos concitoyens
. Plus de 425 000 visiteurs étrangers ont été accueillis, et
le nombre de prestations d’
hospitalités et de voyages vendus a été également le meilleur enregistré
depuis 1987. Le nombre de téléspectateurs cumulé a dépassé 230 millions, et les 10 villages du rugby
installés dans les villes-hôtes ont été fréquentés par 1,6 million de spectateurs.
Selon l’
étude de mai 2024 sur
l’
impact
de l’événement,
les dépenses directes réalisées par les
visiteurs, les structures organisatrices, les partenaires commerciaux et les autorités publiques se
seraient élevées à 1,8 Md€
,
et l’impact total sur l’économie française à 871 M€.
Il s’en est suivi un élan
en faveur du rugby, notamment chez les jeunes, comme en témoigne le nombre
de licenciés de la fédération française de rugby. La portée de certains projets de responsabilité sociale
et environnementale qui ont accompagné l’événement
,
ainsi que l’impact d’une organi
sation sans
incident notable
sur l’image de la
France, renforcent ce bilan
a priori
très positif.
Ce succès
d’organisation mérite d’autant plus d’être souligné
que la crise
de gouvernance à l’été
2022 avait mis
en péril la bonne livraison de l’événement
.
Mais la réussite de la Coupe du monde de
rugby, un an avant les Jeux de Paris était un test majeur.
2.
Notre deuxième message, beaucoup moins positif, porte sur le budget de l’événement
: il a
constitué un succès économique et financier majeur pour
World Rugby
, mais un échec financier
inquiétant pour la FFR, avec un coût public important.
C
omme je l’ai déjà indiqué
, cette Coupe du monde a engendré le meilleur résultat financier net
depuis sa première édition, en 1987, pour
World Rugby
et pour sa filiale de droit irlandais
Rugby
World Cup Limited,
détentrice des droits commerciaux.
Ce résultat financier exceptionnel
,
d’au moins
500 M€, est
nettement supérieur aux éditions de 2015 en Angleterre et de 2019 au Japon. Il est en
partie dû à
l’augmentation substantielle de la redevance d’organisation du tournoi
, de 170
M€
, payée
4
par le comité d’organisation «
France 2023 ». Il provient aussi de la vente à France 2023 de droits
commerciaux et de partenariats domestiques, pour
35 M€
, ainsi que de droits de prestations
d’hospitalités et de voyages
, pour 81,3
M€
, au
groupement d’intérêt économique (GIE) «
Rugby
Hospitalités et Voyages ».
Cette Coupe du monde aurait donc dû être également un succès financier pour le comité
d’organisation
et la FFR
.
Mais il
n’en a rien été
; bien au contraire. Le résultat final disponible pour le développement du rugby
en France est très
éloigné de l’objectif affiché dans le cadre de la candidature
; il pourrait même être
quasi
nul, voire négatif.
En résumé, le bilan financier est le suivant.
Le budget exécuté du GIP «
France 2023 »
est de
478 M€
en recettes, dont 20
M€ de contributions publiques
, et de
423 M€ en dépenses
,
dont 196 M€ de
redevances versées à
World Rugby
. Il est très éloigné du budget de la candidature. A
titre d’exemple,
les
dépenses opérationnelles d’organisation du tournoi
, en intégrant celles prises en charge
directement par l’État et les collectivités
,
s’élèvent
à 311
M€
: c’est
31 % supérieur au budget de
candidature. Le résultat du GIP « France 2023 »,
strictement lié à l’organisation du
tournoi, est le
meilleur enregistré depuis la première Coupe du monde de rugby de 1987
. Il n’est finalement
, en
première analyse, pas très éloigné du résultat avancé lors de la candidature, à 55
M€ prévus contre
68 M€.
Mais le résultat final
du comité d’organisation
global, arrêté en juillet 2024,
n’est que de
+ 23 M
€
.
Cela est dû aux pertes
substantielles, près de 16 M€,
sur l
’opération
« Campus 2023 », et aux pertes
tout aussi importantes du GIE « Rugby Hospitalités et Voyages ». Le déficit opérationnel de ce GIE en
charge des activités commerciales est en effet
de 20 M€
, et son déficit final de 36
M€
, et ces pertes
sont imputées au GIP « France 2023 ». Ce résultat final pourrait être encore substantiellement alourdi
par les avis de redressements fiscaux intervenus en décembre 2024.
L’issue d
es contentieux commerciaux et fiscaux du GIE paraît pour le moins incertaine, et le résultat
final du GIP « France 2023 » se situera entre 30
M€
et 15
M€.
Pour sa part, la FFR enregistrerait au
mieux une perte de 11
M€ et au
pire une perte de 29
M€.
Et, finalement, alors que la candidature
annonçait un bénéfice minimal de 68
M€ pour le développement du rugby en France, le résultat
financier global de la Coupe du monde de rugby 2023 serait au mieux de 19
M€ et,
au pire, négatif, à
hauteur de
–
14
M€.
J’ajoute que l
e coût global de la manifestation, après consolidation des comptes de toutes les
entités, est de près du double de ce qui était affiché dans le budget de la candidature, soit un coût
global de 678
M€
.
Ce coût est même de 769 M
€
,
lorsqu’on y ajoute
les contri
butions de l’État et des
collectivités territoriales
qui n’ont
pas transité par les comptes de ces entités.
Ainsi, le montant total des contributions publiques
à l’organisation de l’événement s’élève
in fine
à
139
M€
, dont 57 M
€ pour l’État et 81
M€
pour les collectivités territoriales.
Il est supérieur de plus
de 50 % à celui annoncé dans le budget de candidature.
C’est notamment le cas
des contributions des
collectivités territoriales, définies de façon imprécise sur le plan financier et sur le plan matériel dans
la phase de candidature. Elles ne reposaient alors sur aucun engagement chiffré précis.
*
Permettez- moi de
m’arrêter
un instant et pour insister sur les trois raisons principales de ce mauvais
résultat.
5
D’abord, l’attribution à la FFR de la Coupe du monde 2023 a été obtenue au prix d’engagements
financiers auprès de
World Rugby ;
or ces engagements étaient mal maîtrisés et insuffisamment
expertisés
s’agissant de leur mise en œuvre opérationnelle
. Les principaux choix ont été décidés selon
des procédures opaques, et sans études préalables sérieuses sur les risques
. C’est
surtout le cas des
multiples projets
annexes à l’événement
, qui devaient en
accroître l’acceptabilité et l’exemplarité sur
les plans social, sociétal et environnemental. En particulier, le programme « Campus 2023 » entendait
de professionnaliser le rugby français,
avec l’ambition de former 2 023 apprentis dans les domaines du
sport, de l’événementiel et de la sécurité
.
Mais ce projet
s’est révélé être un gouffre financier pour le GIP, avec d’i
mportantes fragilités
juridiques, financières et opérationnelles
. Son coût global, de
plus de 80 M€
, et le coût total estimé
par apprenti, de 62
838 €
, apparaissent très élevés.
Certes,
1 297 jeunes ont pu bénéficier, avec succès pour la plupart, d’une formation diplômante et
d’une expérience unique
; mais le bilan
en termes d’insertion dans l’emploi sportif
est incertain. Ces
résultats interrogent sur les raisons pour lesquelles l’État a soutenu ce programme,
avec près de 60
M€ de contributions publiques, et en a validé les présentations financières
. Un examen préalable aurait
dû conduire, sinon à son retrait, du moins à des modifications de son ambition et de ses modalités de
mise en œuvre.
Deuxième raison de ce mauvais résultat financier : l
’acquisition par la FFR, pour un montant excessif,
des droits de commercial
isation des prestations d’hospitalités et de voyages
.
D
ès l’origine
, cette
acquisition a
mis en cause l’équilibre économique de l’événement, car elle était
adossée à des
prévisions initiales erronées. Puis, faute
d’un modèle économique viable
, les décisions prises pour
commercialiser les droits d’hospitalités et de voyages ont traduit une fuite en avant permanente
, et
des prises de risques toujours plus grandes,
dans l’espoir d’équilibrer
in fine
le budget du GIE. Ces
décisions ont fini par accroître son déficit final. Par ailleurs, l
’attribution de ces droits aux opérateurs
chargés de les commercialiser a été réalisée sans garantie du respect des grands principes de la
commande publique
. Même si le GIE n’était pas
soumis au code de la commande publique, il aurait pu
utilement se référer à ses grands principes.
Enfin, la troisième cause de déficit pour l’entité en charge de l’organisation de la Coupe,
c’est
l’entrée
du
groupement d’intérêt public « France 2023 », qui
associait la FFR et l’État,
dans le groupement
d’intérêt économique « Hospitalités et Voyages », créé par la FFR avec Sodexo Sports et Loisirs.
Ce
rapprochement des deux entités a été fait en parallèle du retrait de la société
Sodexo Sports et Loisirs
du GIE
,
alors qu’il en était
le partenaire industriel principal ;
mais il s’est surtout fait
à l’insu des conseils
d’administration du GIP et du GIE.
En mettant les instances des deux entités devant le fait accompli, le directeur général du GIP a
outrepassé les pouvoirs qui lui étaient attribués. Pourtant, le retrait de
Sodexo
, principal partenaire
industriel de la FFR dans le GIE, aurait dû conduire à la dissolution de celui-ci, et à la reprise de ses
droits et obligations par France 2023. L
’État
aurait donc dû
s’opposer à cette décision, ce qu’il n’a pas
fait.
Par ailleurs, la non-application volontaire, par le GIE,
d’une règle fiscale
applicable aux billets, a
conduit à des redressements fiscaux
.
Ceux-
ci
, s’ils étaient
in fine
confirmés, impliqueraient un déficit
majeur de 53 M€
, qui sera imputé pour partie à France 2023 en raison du rapprochement des deux
entités, et pour le solde à la FFR.
Ce que constate donc la Cour, c’est que la
gouvernance de la candidature et de la préparation de la
Coupe du monde a été défaillante. Cela
engage la responsabilité de la FFR et de l’État
.
6
3.
C’est pourquoi
la Cour des comptes fait des recommandations fortes, pour que tels errements
ne se reproduisent pas à l’avenir
,
dans l’org
anisation de grands événements sportifs
internationaux.
La Cour fait tout d’abord des recommandations relatives à la préparation des candidatures aux
grands événements internationaux.
Dans ce domaine, nous avons fait deux constats
. D’abord, nous avons observé
une défaillance des
instances de la FFR dans le pilotage de la candidature. En effet, la préparation du dossier de
candidature a été confiée par le président de la FFR à M. Claude Atcher. Les instances ont simplement
avalisé le fait de candidater ; mais elles
n’ont
jamais été saisies du dossier de candidature dans son
intégralité, ni même d’une synthèse des engagements
financiers qu’il c
ontenait, et pas davantage de
documents d’analyse des enjeux et
des risques associés.
L’importance
des engagements financiers pris
par la FFR pour l’organisation de la Coupe du monde,
ainsi
que les enjeux liés notamment à l’héritage
pour la fédération, auraient nécessité des débats et des délibérations
ad hoc
. Ils auraient aussi
nécessité un contrôle approfondi de la part des services administratifs, juridiques et financiers de la
FRR, et de ses instances.
Ensuite, le soutien de
l’État a été apporté sans expertise préalable sérieuse
, sur la soutenabilité et la
cohérence du budget de candidature
–
qui a finalement été très éloigné du budget réalisé.
L’État a
aussi accepté de porter son soutien en
méconnaissance d’éléments essentiels de
la candidature. Par
exemple, il s’est retrouvé
indirectement membre du GIE après la sortie de
Sodexo Sports et Loisirs
et
l’intégration du GIE au GIP
en septembre 2019.
Le soutien de l’État a aussi été réalisé
sans analyse des
risques supportés par la FFR
. Or, il s’agit d’une
fédération sportive agréée par l’État
, délégataire de
missions de service public. Or, sur les 289
M€
d’engagement
s financiers pris par la FFR, 7
6 M€
étaient
garantis par elle-même. Cela aurait mérité un examen préalable approfondi.
L
a Cour estime que l’
État ne peut pas, et ne doit pas se désintéresser des conséquences financières,
pour les fédérations sportives,
de l’organisation de grands événements internationaux
.
Ces
événements supposent en tout état de cause
l’
appui matériel et financier
de l’État,
ainsi que celui des
collectivités territoriales hôtes. Ces engagements doivent être mieux encadrés.
La Cour fait donc trois recommandations en ce sens, et je comprends, vu la réponse du délégué
interministériel aux grands événements sportifs,
qu’il ent
end
les mettre en œuvre à l’avenir.
D’abord, la Cour recommande que les
engagements pris par les pouvoirs publics auprès des
fédérations candidates fassent
l’objet de procédures établies et rigoureuses, contrairement à la
pratique actuelle de cas par cas.
Ces procédures permettraient à l’État et aux collectivités
-hôtes de fonder leur soutien sur une
expertise complète et approfondie de la soutenabilité financière et opérationnelle de la candidature,
et des risques associés pour la fédération sportive et les pouvoirs publics. Un tel examen approfondi,
indépendant de la fédération candidate,
fait l’objet d’une deuxième recommandation de la Cour. Enfin,
troisième recommandation relative aux candidatures, les engagements juridiques, financiers et
opérationnels de l’État et des collectivités hôtes devraient être davantage précisés,
dans leur principe
et dans leurs modalités, dès la phase de candidature.
Le reste des recommandations de la Cour porte sur la gouvernance et l’organisation interne des
comités d’organisation de ces grands événements internationaux
.
S’agissant
du comité
d’organisation de la Coupe du monde de rugby
, la défaillance du conseil
d’administration du GIP jusqu’à l’été 2022
a permis au premier directeur général de prendre des
décisions stratégiques et de gestion sans aucun contrôle.
Ce dernier
a bénéficié d’une délégation de
7
pouvoir illimitée sur le plan financier sans même que soient établies des procédures de contrôle
a
posteriori
de ses décisions,
Le statut de GIP retenu pour le comité d’organisation présentait
pourtant des garanties fortes, en
raison de la place accordée à l’État
. Il
disposait d’une minorité de blocage
et
d’un commissaire du
gouvernement
au conseil d’administration
. Par ailleurs, le GIP était soumis au contrôle général
économique et financier de l’É
tat. La convention constitutive du GIP, signée en avril 2018 par le
Premier ministre et le président de la FFR, avait retenu la mise en place
de comités d’audit, d’éthique
et de rémunération, sur le modèle mis en place pour le COJOP « Paris 2024 ».
Mais le conseil
d’administration
du GIP est devenu pléthorique à la suite de la désignation de près
de quarante personnalités qualifiées
.
Cela a dilué la représentation des membres fondateurs du GIP,
et le conseil d’administration a
été
relégué jusqu’à l’été 2022 à un rô
le délibératif formel.
L’incomplétude, l’imprécision et le caractère
superficiel des informations communiquées aux administrateurs ne leur ont pas permis de mettre en
œuvre leurs prérogatives décisionnelles, ni d’exercer un contrôle suffisant des décisions
prises.
L’exercice de leurs prérogatives
, par le commissaire du gouvernement et par le contrôle général
économique et financier de l’État,
été défaillant. Il en a été de même des comités régaliens mis en
place.
À
cette défaillance de la gouvernance s’est
ajoutée une organisation interne dysfonctionnelle,
marquée par une forte centralisation du processus de décision.
Les fonctions opérationnelles ont été
sous-dotées, de même que les fonctions administratives, juridiques et financières. La formalisation
insu
ffisante des procédures internes, le déploiement inachevé d’outils de gestion et l’absence de
dispositif de contrôle interne, ont contribué à ces dysfonctionnements.
Il aura donc fallu attendre la crise de gouvernance intervenue en juin 2022, et la publication de
plusieurs articles de presse mettant en cause le management du directeur général du GIP, pour que
l’État
déclenche des enquêtes sur la gestion du GIP.
Ces enquêtes ont été conduites respectivement
par le comité d’éthique du GIP, l’inspectio
n du travail et les inspections générales des finances et de
l’éducation, du sport et de la recherche
, qui ont été saisies par la ministre des sports et des Jeux
olympiques et paralympiques.
Les premières conclusions de l’IGF et de l’IGESR
les ont conduites à saisir dès septembre 2022 le
Parquet national financier,
en vertu de l’article 40 du code de procédure pénale,
car elles avaient
observé des faits susceptibles de poursuites
. Je précise que
l’instruction est toujours en cour
s ; en
conséquence, les faits susceptibles de poursuite
n’ont pas été examinés par la Cour
dans le cadre de
ce rapport.
Au vu de ces constats, la Cour estime qu’il faut
préciser et renforcer les relations entre les pouvoirs
publics
–
soit l’
État et les collectivités-hôtes
–
e
t les comités d’organisation des principaux grands
événements sportifs internationaux.
Il faut également renforcer et préciser leurs règles
d’organisation
et de fonctionnement.
La Cour fait plusieurs recommandations en ce sens.
Elles portent notamment sur les conditions de
nomination des dirigeants des comités d’organisa
tion, et sur la nomination des membres des comités
indispensables comme les comités
d’audit, d’éthique et de rémunération
. Les modalités et les moyens
de fonctionnement de ces comités indépendants doivent être assurés. Il est également souhaitable
que les conseils d’administration intègrent des personnalités indépendantes
, distinctes des entités
organisatrices.
8
La Cour recommande également que
l’État se dote d’
une doctrine de contrôle des comités
d’organisation des grands événements sportifs internationaux d’envergure
.
Cette doctrine devrait
être adossée à des objectifs préalablement définis,
ainsi qu’à des procédures de coordination des
représentants statutaires de l’État
: les administrateurs, le commissaire du gouvernement, le contrôle
général économique et financier
… Cela permettrait
d’en assurer l’effectivité.
Nous recommandons enfin
d’in
scrire d
ans les statuts des comités d’organisation des grands
événements sportifs,
le respect des principes de libre accès, d’égalité de traitement et de
transparence dans l’attribution des contrats et marchés.
***
Voilà, mesdames et messieurs, les principales observations que je souhaitais partager avec vous.
Merci de votre attention. Je suis à votre disposition, ainsi que l’équipe qui a conduit ce rapport,
et que
je remercie à nouveau pour ce travail, pour répondre à vos questions.