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PRÉSENTATION À LA PRESSE DES TROIS RAPPORTS
DE LA COUR DES COMPTES SUR LE SECTEUR HOSPITALIER
Jeudi 12 octobre 2023, 9h30
Cour des comptes
Discours de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et Messieurs,
Bonjour et merci pour votre présence
aujourd’hui
.
Je me réjouis de vous accueillir afin de
vous présenter trois rapports de la Cour portant sur le secteur hospitalier dans le contexte
post-crise covid-19.
À mes côtés, se tiennent
Véronique HAMAYON
, présidente de la sixième chambre chargée
des contrôles sur la sécurité sociale, ainsi que
Luc MACHARD
,
Yves COLCOMBET
,
Vincent
DALMAIS
et
Jennifer BOUAZIZ,
quatre des magistrats qui ont travaillé aux rapports qui nous
réunissent aujourd’hui
. Je souhaite les remercier, ainsi que
l’ensemble des équipes
qui ont
contribué à ces travaux, à la Cour et dans les chambres régionales des comptes pour le
troisième rapport. Il était important, en effet, que la Cour des comptes analyse les motifs de
la crise financière qui affecte
l’hôpital
malgré les moyens très importants qui lui sont alloués,
et apporte ses propositions pour une
meilleure utilisation de l’argent public
.
La Cour a souhaité une présentation conjointe de ces trois rapports, de manière à fournir
au citoyen la vision la plus globale possible sur le service rendu par les hôpitaux.
La crise sanitaire a mis en tension extrême le secteur hospitalier et en a durement et
profondément affecté le fonctionnement
.
S’il en était encore besoin, c
hacun a pu se rendre
compte de ses fragilités. Or, nous sommes, toutes et tous, particulièrement attachés à la
place qu’occupe l’hôpital dans notre pays
.
L’hôpital
permet un égal accès à des soins de
qualité à chacun, indépendamment de ses revenus et de sa condition. Il forme les praticiens
de demain et se doit d’être à la pointe de
l
’innovation en santé
.
Il ne
s’agit
donc rien moins, dans ces trois rapports, que de préserver
l’
hôpital.
Nous avons
une obligation de résultats. Le préalable en est que les moyens financiers supplémentaires
qui ont été décidés soient efficacement utilisés.
2
La Cour analysé la situation sous 3 angles :
-
premièrement
, celui de la réponse apportée par le Gouvernement à la
situation financière dégradée des hôpitaux publics et de la mise en place des engagements
pris lors du Ségur de la santé en mai 2020 pour amorcer leur désendettement et relancer
leurs investissements ;
-
deuxièmement
, celui des modalités de financement des hôpitaux, en se
concentrant sur le modèle de la tarificati
on à l’activité, plus communément appelée T2A
.
Cette dernière représente 60 % des recettes
d’assurance maladie
des hôpitaux publics, 70 %
pour les établissements privés non-lucratifs et 80 % pour les cliniques privées à but lucratif ;
ce deuxième rapport a été publié dès cet été pour éclairer les réflexions du ministère chargé
de la santé
sur l’évolution des modalités de la tarification
;
-
troisièmement
, et enfin, la Cour a analysé
la situation sous l’angle
des
rapports de concurrence et de complémentarité entre établissements de santé publics et
privés, à but lucratif ou non.
Ces rapports interviennent dans un contexte de pertes financières sans précédent pour les
hôpitaux publics
. Celles-ci ont atteint, selon les analyses de la Cour, 1,3
Md€ en 2022. Il faut
remonter à 2007 pour approcher ce niveau de pertes
. Une telle situation financière n’est
tout simplement pas tenable et appelle des réponses structurelles pour garantir la qualité et
la sécurité des soins et équilibrer les comptes des hôpitaux publics.
Le travail fourni par la Sixième chambre de la Cour apporte une analyse précise, assortie
de recommandations, pour éclairer le débat public au
moment où le Parlement s’apprête à
voter
l’objectif national des dépenses d’assurance maladie
(dans le cadre du projet de loi
de financement de la Sécurité sociale pour 2024), et tandis que le Gouvernement prépare
une réforme de la tarification à l’activité
.
*
Avant toute chose, je tiens à revenir sur trois
éléments structurants concernant l’hôpital,
et qui doivent, à mes yeux, être à l’esprit de chacun au moment d’évoquer ce sujet
:
Premièrement, les ressources humaines constituent une préoccupation majeure, et je
tiens à insister sur ce point.
Certes, l
effectif salarié des hôpitaux publics a augmenté de 2,7 % depuis 2018, et dépasse
1 million de personnes. Et
le Gouvernement a décidé d’importantes revalorisations salariales
pour répondre aux enjeux d’attractivité
. Après une montée en charge progressive depuis
2020, le montant des revalorisations s’élève désormais
, en 2023 et p
our l’avenir
, à + 7,6
Md€
en année pleine, par rapport à 2020.
Mais les ressources humaines sont de plus en plus contraintes, en raison du manque de
profils spécialisés, comme les infirmières et infirmiers de bloc opératoire et
d’
une
augmentation du nombre de soignants par patient dans ces mêmes blocs. Cela résulte aussi
3
d’une
hausse
de l’absentéisme après la crise sanitaire ou encore de difficultés
croissantes à
mobiliser le personnel soignant pour assurer des gardes et astreintes de nuit ou de week-
ends.
Deuxièmement
, la réduction de l’activité des hôpitaux publics, brutale en 2020, n’est pas
uniquement liée à la crise sanitaire.
Elle
résulte aussi d’une tendance de fon
d
: à la fin de
l’année
2022, une majorité des
hôpitaux publics n’avait pas retrouvé le niveau d’activité de 2019
, contrairement aux
cliniques privées à but lucratif ou non.
Exception faite des services
d’urgence
, qui sont je le rappelle de plus en plus souvent
débordés par les crises et par la difficulté croissante de faire participer la médecine de ville
à la permanence des soins, la population prise en charge par
l’hôpital
public a diminué
. Le
nombre de patients s’est réduit et
ces patients
restent moins longtemps à l’hôpital
. Cela est
dû au
développement de l’ambulatoire et
à la prise en charge des soins de réadaptation ou
de rééducation en dehors des
services d’aigu
, et de plus en plus à domicile.
La capacité d’accueil de l’hôpital public, notamment la nuit et le week
-end est aussi de
plus en plus contrainte
. Le manque de personnel conduit à des fermetures de lits et à des
restrictions de fonctionnement des blocs opératoires. Pour les éviter, certains hôpitaux
recourent à des expédients coûteux
comme les heures supplémentaires ou l’intérim
,
phénomène sur lequel la Cour est en train de se pencher. Face à ces situations,
l’
organisation
d’un territoire donné
pourrait être repensée, notamment en intégrant mieux
les moyens du secteur public et du secteur privé libéral.
Troisièmement, il faut prendre garde aux effets trompeurs des présentations qui se
réfèrent à des moyennes
. Il n’y a pas un hôpital mais des
hôpitaux aux situations toujours
spécifiques selon leur taille, leur localisation, leurs spécialités médicales, les conditions de
leur gestion et leur histoire.
De même, les relations entre hôpitaux publics et cliniques privées ne doivent pas être
appréhen
dées de manière théorique à l’échelle nationale
.
Elles doivent plutôt l’être
de
manière pragmatique, avec une grande attention portée à chaque territoire, en fonction des
besoins de la population, de la nature de l’équipement hospitalier, du potentiel d’activité
des divers établissements de santé.
La T2A a aussi des effets différenciés selon les capacités des établissements, selon les
dominantes de leur activité, selon les caractéristiques de la patientèle qui les sollicite
.
En termes financiers, un tiers des hôpitaux publics maintient ainsi des excédents de gestion
suffisants pour financer les investissements courants, un autre tiers concentre les difficultés
financières
, le dernier tiers enfin se situe autour de l’équilibre
.
En outre, les situations ne sont pas figées : certains hôpitaux améliorent fortement leurs
résultats alors que la
situation d’autres se dégrade
. Les solutions générales ne suffisent
4
donc pas
pour résoudre la crise de l’hôpital. U
n suivi fin de chaque établissement est
nécessaire pour définir des solutions adaptées à sa situation particulière.
Il me semblait important de souligner, en préambule, ces trois enjeux déterminants : les
ressources humaines, l’activité,
les spécificités des situations locales, pour mieux
comprendre les tensions rencontrées par l
’hôpital en France
.
Chacun des trois rapports
dont je vais vous faire maintenant la présentation succincte relève de ces enjeux, en tout ou
en partie.
*
J’en viens au
premier rapport
publié aujourd’hui, portant sur
la situation financière des
hôpitaux publics après la crise sanitaire.
Il faut reconnaître que le Gouvernement a réagi, dès mars 2020, en déployant des
dispositifs exceptionnels de soutien financier
.
Ceux-ci ont permis
d’éviter que les
baisses
importantes d’activité des hôpitaux publics
, ainsi
que les surcoûts liés à la prise en charge des patients atteints de covid-19
, ne pèsent sur l’état
de leurs finances. A posteriori, la Cour regrette néanmoins le manque de pilotage et de
contrôle de ces m
ontants répartis dans l’urgence, qui n’ont pas toujours été alloués là où les
besoins étaient les plus importants.
Par ailleurs, les hôpitaux ont bénéficié de ressources nouvelles pour financer les
revalorisations de salaires accordées dans le cadre des accords du Ségur de la santé
. En
conséquence, en 2020 et en 2021, les recettes des hôpitaux publics ont globalement évolué
à la hausse, et leurs résultats financiers se sont plutôt améliorés, malgré une activité plus
faible pendant la crise sanitaire.
En 2022, en revanche, on constate une forte dégradation des résultats, qui touche à la fois
les budgets principaux et les budgets annexes.
Les Ehpad rattachés à des hôpitaux publics,
notamment, sont devenus très déficitaires. Cette dégradation des résultats financiers devra
faire l’objet d’un examen approfondi
. Elle est liée en première analyse à
l’
activité toujours
atone de nombreux hôpitaux publics (
hors services d’urgence
),
d’une
part. Elle est liée
d’autre part
à une insuffisante prise en compte, dans les ressources supplémentaires
accordées
par l’
État, des augmentations de salaires consenties au niveau national dans le
cadre du Ségur de la santé.
Le Ségur de la santé a aussi
eu pour ambition d’engager
des mesures structurelles de
redressement financier de
l’
hôpital
: 6,5
Md€
ont été ainsi alloués au soutien de la
restauration des capacités financières des établissements publics et privés non-lucratifs,
tandis que 9
Md€
ont été accordés au soutien de
la relance de l’investissement hospitalier
.
Ces sommes ont été financées par un emprunt contracté par la
Caisse d’amortissement de la
dette sociale, pour 13
Md€
, et par un concours de
l’Union européenne dans le cadre
du plan
de relance pour 2,5
Md€
.
5
À cet égard, le rapport insiste sur deux préoccupations.
La première enveloppe de 6,5
Md€
, destinée à restaurer les capacités financières, aurait
dû soulager les hôpitaux les plus endettés.
L’endettement global des hôpitaux publics
atteint en effet 30
Md€
; il est très concentré, et fait peser une forte contrainte sur
l’investissement de nombre d’entre eux
. Cependant, le choix a été fait de saupoudrer le
versement au plus grand nombre, plutôt que de le concentrer sur les établissements les plus
en difficulté.
Par ailleurs, le mode de répartition des aides, par deux voies distinctes - administration
centrale et ARS-, a donné lieu à des biais importants et à des répartitions non-homogènes
sur le territoire, parfois non-conformes à leur objet.
La Cour a ainsi constaté que le montant
alloué au désendettement de certains hôpitaux était supérieur à leur dette. En outre, ces
aides, versées dans des délais resserrés, n’ont pas
systématiquement donné lieu à des
contreparties
de réduction des dépenses courantes et d’amélioration du service
,
contractuellement définies avec les ARS. C
’est
pourtant un point clef pour
s’assurer
que le
désendettement est effectif et durable.
Malgré le versement de ces subventions à partir de 2021,
l’endettement
global
de l’hôpital
public et
le nombre d’hôpitaux surendettés
sont repartis à la hausse en 2022.
La Cour
recommande donc de conditionner le versement du reliquat de ces aides aux établissements
les plus en difficulté, par la définition de stratégies individuelles de rétablissement, dans le
cadre d
e l’
offre régionale de santé.
L
a deuxième enveloppe, d’un montant de 9 Md€
, est destinée à la relance de
l’investissement hospitalier
; elle doit permettre de remédier à la vétusté des équipements
médicaux et des bâtiments
. Les ARS sont chargées de mettre
en œuvre
ce plan
d’investissement,
en relation avec les acteurs locaux, dans le cadre de stratégies régionales
définies.
Là encore, la Cour a constaté que le nombre
de projets d’investissement
sélectionnés est
trop élevé
. Comme ce fut déjà le cas dans les plans précédents, Hôpital 2007 et Hôpital
2012, il
en résulte des taux d’aide
par projet trop faibles au regard des besoins. À nouveau,
les subventions sont saupoudrées.
La réalisation des investissements, si les projets étaient poursuivis dans ces conditions,
contraindrait
les hôpitaux publics à devoir de nouveau s’endetter
ceci
au risque d’
une
nouvelle dérive de leur situation financière et d
’une
fragilisation supplémentaire de leur
gestion quotidienne
. Ce risque est d’autant plus fort dans un contexte d’augmentation du
coût de la construction et de hausse des taux d’intérêt
d’emprunt
.
À enveloppe d’aide aux
investissements structurants donnée, la Cour estime donc indispensable de revoir la
stratégie de programmation
des projets d’investissements
du Ségur, en priorisant les projets
ou en échelonn
ant leur mise en œuvre dans le temps
.
6
Ainsi, tant pour le désendettement des hôpitaux que
pour la relance de l’investissement
,
la Cour a constaté un défaut de pilotage
qui n’a pas permis d’
arbitrer entre les priorités ni
de
s’assurer que les moyens supplémentaires
alloués ne soient pas dilués
.
Il est toutefois encore possible de redresser la barre si des efforts de rationalisation sont
demandés
aux
établissements
les
plus
déficitaires,
et
si
le
choix
des
projets
d’investissement est
plus sélectif
. La Cour invite
l’État
à réorienter les politiques
structurelles afin qu’elles soient plus efficaces.
*
Le deuxième rapport que je souhaiterais vous présenter a, je le rappelle, déjà été publié en
juillet.
Mais il s’intègre parfaitement dans la réflexion globale que je développe aujourd’hui
devant vous.
Dans ce rapport, la Cour
s’est
intéressée aux vertus et aux limites de la tarification à
l’activité (T2A)
et aux adaptations à y apporter
.
La Cour s’inscrit dans le calendrier des
travaux du Gouvernement sur la réforme de la tarification hospitalière annoncé par le
Président de la République en janvier 2023. Les règles de tarification sont appelées à évoluer
selon des modalités qui devront être définies à partir de la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2024.
Permettez-
moi brièvement de rappeler d’où nous partons
. La T2A consiste en un paiement
par l’assurance maladie d’un tarif
préalablement défini, et appliqué à chaque séjour
d’
un
patient dans un hôpital.
Mise en œuvre progressivement à partir de 2004, elle a remplacé
pour les hôpitaux publics le versement de dotations globales forfaitaires.
L’enjeu pour les finances des hôpitaux est crucial puisque, comme je l’ai indiqué, plus de la
moitié des recettes versés par l’assurance maladie aux hôpitaux publics et aux cliniques
privées repose sur les produits de la tarification des séjours.
La Cour estime que la T2A est
un outil utile et performant de rationalisation du système de santé et de la régulation des
dépenses d’assurance maladie
.
En effet, en reposant sur une information détaillée et homogène, la T2A a permis de
rendre
plus objective la connaissance des coûts des établissements.
Elle est basée sur une
nomenclature médico-économique fondée sur une étude nationale des coûts. La répartition
des financements entre établissements est ainsi devenue plus équitable, en tenant compte
des coûts et du dynamisme de l
activité de chaque établissement.
La
T2A est aussi un outil permettant
d’orienter
l’offre
de soins en fonction de priorités de
santé publique.
Cela passe par la pondération de certains tarifs (traitement du cancer par
exemple). En outre, la T2A permet
d’organis
er les soins (développement de la chirurgie
ambulatoire) ou de faire évoluer les pratiques, comme le fait de
privilégier l’accouchement
par voie basse par rapport au recours à la césarienne.
7
En
introduisant une logique médico-économique à même de permettre un meilleur pilotage
budgétaire, la T2A a
incité
à la maîtrise des charges d’exploitation,
et contribué à faire
progresser l’organisation des soins et le pilotage de
s établissements de santé.
In fine, la T2A
a permis une régulation plus efficiente
des dépenses d’assurance maladie
.
La Cour a constaté l’attachement de l’ensemble des acteurs hospitaliers au maintien d’une
part prépondérante
de tarification à l’activité dans le financement
des établissements de
santé, au regard des avantages indéniables de ce système de tarification.
Cependant, il est
clair que les modalités de mise en œuvre de la T2A ont contribué à la délégitimer
en partie.
La Cour identifie trois limites au pilotage
et à l’utilisation générale
de la T2A, pour
l’allocation des financements de l’assurance maladie aux établissements hospitaliers
publics et privés
:
-
premièrement la T2A est devenue trop complexe, avec notamment plus de 3600
« groupes homogènes de séjours
», c’est
-à-dire de tarifs
; la multiplication de tarifs
entraînée par cette complexité
réduit la marge de manœuvre du régulateur
, et nuit à la
mutualisation des coûts des pratiques médicales traitant la même pathologie ;
-
deuxièmement, des distorsions excessives entre les tarifs et les coûts ont été
constatées, en contradiction avec le principe de neutralité tarifaire, entraînant des
situations durables de « sur » et de « sous » -financement.
Ces distorsions du « signal
prix »
, qu’elles aient été ou non volontaires,
ont eu des incidences, parfois mal anticipées et
sans rationalité économique globale,
sur l’organisation des soins et sur la répartition des
spécialités entre les hôpitaux publics et les cliniques privées ;
- troisièmement, la volonté de faire
respecter l’objectif national de dépenses
d’assurance maladie a conduit les pouvoirs publics à
faire évoluer les tarifs de façon
homothétique,
en fonction d’objectifs
globaux de réduction de dépenses, et non en
fonction de la réalité des coûts
. L
outil de tarification s
’est
déformé en devenant un
instrument important de régulation budgétaire pour contenir la dépense hospitalière, au
détriment de la situation financière des établissements.
Ces limites ne conduisent toutefois pas la Cour à remettre en cause la tarification à
l’activité
. En raison de ses bénéfices sur la rationalisation du système de santé et sur la
régulation des dépenses d’assurance maladie, la Cour recommande de maintenir
une part
prépondérante de financement des établissements hospitaliers fondée sur la T2A.
Toutefois ces limites invitent à
des évolutions de l’outil
de tarification,
que l’Agence
technique sur l’information de l’hospitalisation (ATIH)
est en mesure de conduire, pour
peu qu’elle soit
soutenue par ses tutelles
. Le pilotage de la tarification doit être rénové par
un
renforcement de l’
ingénierie financière, une meilleure
représentativité de l’étude
nationale des coûts, des délais plus courts de collecte des données et de construction des
tarifs, une meilleure lisibilité,
ainsi qu’une
plus grande neutralité tarifaire.
8
Ce
tte rénovation de l’outil doit s’accompagner
d’une consolidation des
outils connexes
. Je
pense notamment à la comptabilité analytique hospitalière et au codage médico-
économique de l’activité hospitalière
.
Enfin, la maîtrise des dépenses de l’hôpital ne doit plus reposer
seulement sur la
tarification
;
d’autres outils
doivent concourir à cette maîtrise, comme
l’ajustement des
dotations ou une réserve prudentielle accrue.
*
Le troisième rapport porte sur la relation de concurrence, mais aussi de complémentarité,
entre les établissements de santé publics et privés,
et les enjeux d’une meilleure
coordination
. La crise de covid-19 a mis en lumière
l’importance
de cet enjeu de
coordination
à l’échelle des territoires
.
À cet égard, deux constats peuvent être faits
.
D’une part,
la diversité des statuts et des
modalités de fonctionnement des établissements hospitaliers est un élément positif : la
concurrence respecte le principe fondamental du libre choix du patient ; elle stimule
l’innovation et l’évolution des pratiques au bénéfice de la qualité des soins.
D’autre part
, le développement de coopérations entre le public et le privé est nécessaire,
particulièrement dans les territoires où l
’offre hospitalière
est à peine suffisante et ne
permet pas un accueil et un traitement des patients dans les meilleures conditions.
Après la première vague de covid-19, des coopérations se sont ainsi organisées pour
l’accès aux soins critiques
,
spontanément ou sous l’impulsion des ARS
. Elles doivent
aujourd’hui
être développées pour permettre des conditions de traitement optimales des
patients dans tous les territoires, en surmontant les clivages historiques entre les secteurs
hospitaliers public et privé.
Si la complémentarité est ainsi souhaitée et parfois organisée, notamment dans les villes
moyennes, la concurrence de
meure, dans l’ensemble,
plus subie que pilotée, conduisant à
un
partage implicite de l’activité
dans la plus grande partie des territoires.
L’hôpital public est très
présent dans les soins non programmés en médecine et en
obstétrique mais relativement peu en chirurgie
. Dans le domaine de la chirurgie, la
possibilité de programmer les interventions en général et les tarifs de la T2A sont plus
favorables au secteur privé lucratif.
En revanche, les cliniques privées sont moins présentes dans
les services d’urgence et de
soins critiques
, parfois faute d’obtenir aisément des ARS les autorisations nécessaires
.
Et
les ARS ne peuvent pas conditionner la délivrance d’autorisations de chirurgie ou de
médecine à des cliniques par
des engagements d’accessibilité
des soins en contrepartie.
9
Ces différences de spécialisation entraînent des écarts dans la typologie des patients pris
en charge
. L
’hôpital public accueill
e, via
les services d’urgence des patients plus démunis,
aux pathologies plus nombreuses, plus
complexes et d’un niveau de sévérité plus élevé.
Au niveau loc
al, l’hôpital public est présent sur la
quasi-totalité des besoins de soins aigus
dans son territoire
. Il subit une concurrence du secteur privé dans les grandes
agglomérations et dans les zones urbaines dont la population croît, là où un opérateur privé
peut viser un équilibre économique en touchant une clientèle solvable.
Enfin, même si les règles de financement se sont rapprochées, on observe des disparités
importantes dans les statuts et les formes juridiques, dans les modes de soutien financier
et de
contrôle par l’Etat,
et dans les régimes sociaux et fiscaux.
Il existe une notion-clé, qui pourrait permettre
d’harmoniser les conditions de concurrence
et de coopération entre les diverses catégories d’établissements, en fonction des besoins
de la population
: il s’agit
du
« service public hospitalier »
, créé par la loi dite Boulin du
31 décembre 1970.
Cette notion
exclut aujourd’hui de son champ d’application le secteur privé lucratif.
Or,
lorsque cela est utile dans les territoires, des cliniques privées pourraient, pour tout ou
partie de leur activité, répondre aux besoins de prise en charge, tels que définis par les ARS,
dans un cadre contractualisé avec elles. Ces contrats prendraient en compte les critères
d’accueil adapté
des patients, de permanence des soins et
d’égalité
financière
d’accès
,
correspondant aux exigences du service public.
La Cour invite en conséquence à développer l’articulation entre autorisations d’activité et
obligations de service public.
Le point de divergence principal entre hôpitaux publics et cliniques privées à but lucratif
porte sur les conditions de rémunération des praticiens,
et donc sur l’étendue des
dépassements de tarifs opposables
.
Pourtant, l
a frontière entre les deux secteurs est
devenue plus poreuse
, avec, d’une part,
le développement de l’activité libérale des
praticiens hospitaliers publics, et
d’autre part,
la prise en compte du secteur privé et libéral
dans les plans régionaux de santé par les ARS.
La Cour estime donc que les modalités de la coexistence des hôpitaux publics et des
cliniques privées sur les territoires doivent être mieux organisés,
afin d’assurer un service
de qualité à l’ensemble des
patients.
Les pouvoirs dont disposent les ARS, notamment
l’octroi des autorisations d’activité,
pourraient être utilisés plus largement. Ils pourraient
avoir pour but
d’élargir
au secteur privé à but lucratif
l’organisation du
service public
hospitalier
.
Cela permettrait notamment
l’amélioration d
es conditions de prise en charge
des patients dans les territoires sous-dotés,
ou l’accès à certains équipements lourds.
Il existe néanmoins une condition essentielle de la participation de cliniques privées au
service public hospitalier
: la prise en charge ne doit pas se traduire, pour les patients, par
une augmentation de leur reste à charge, après la prise en compte des assurances
10
complémentaires de santé.
C’est la raison pour laquelle la Cour recommande, et je l’ai déjà
évoqué il y a quelques instants, d’introduire cette condition dans la délivrance des
autorisations d’activités de soins.
***
Mesdames et Messieurs,
Me voici arrivé au terme de la présentation de ces trois rapports. Nous ne pouvons pas
nous satisfaire de la situation actuelle de
l’
hôpital.
Les premières réponses apportées nous paraissent aller dans le bon sens pour répondre
aux principaux enjeux
; j’en veux pour preuve
notamment la réforme des autorisations
d’activité de soins,
les revalorisations salariales, les mesures de désendettement et de
relance de l’investissement
.
Les recommandations de la Cour insistent sur les conditions indispensables pour assurer la
pleine efficacité de ces mesures.
S’il fallait retenir une seule orientation commune à ces trois rapports, ce serait celle de la
nécessité d’une meilleure prise en considération
des spécificités de chaque établissement
:
le territoire
qu’il dessert, les
besoins de sa population, les contraintes de sa gestion, la
qualité des soins qu’il rend, l’activité qui lui est demandé
e
et qu’il accomplit effectivement,
qu’il
soit public ou privé
. C’est tout l’enjeu de la nouvelle génération de projets régionaux de
santé 2023-2028.
Pour répondre aux besoins, l
es services de l’
État, directions ministérielles et ARS,
disposent d’importants leviers
réglementaires et financiers
: la délivrance des autorisations,
la définition du service public hospitalier, la réforme de la
tarification à l’activité
, les
subventions allouées pour le désendettement et pour
l’investissement.
Ces leviers doivent
conforter les établissements hospitaliers, publics et privés, dès lors
qu’il
s permettent de
mieux répondre aux besoins de service public, pour tous les patients et dans les mêmes
conditions de soin.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entourent,
et
que je remercie à nouveau chaleureusement de leur travail, à votre disposition pour
répondre à vos interrogations.