COMMUNIQUÉ DE PRESSE
5 octobre 2023
Rapport public thématique
UNE SURPOPULATION CARCÉRALE PERSISTANTE,
UNE POLITIQUE D’EXÉCUTION DES PEINES EN
QUESTION
Depuis plus de vingt ans, la population incarcérée augmente de façon continue pour
atteindre fin 2022 un niveau inégalé de 73 000 détenus. La France figure parmi les dix pays
européens où la population incarcérée progresse. En leur sein, les hommes - jeunes,
marqués par des fragilités sociales et médicales, notamment psychologiques - sont
majoritaires, et s’inscrivent dans des parcours de récidive avec de multiples condamnations.
Les maisons d’arrêt conservent ainsi, dans une certaine mesure, la vocation asilaire qui a
longtemps été la leur. Il en résulte une aggravation de la suroccupation des établissements
pénitentiaires : fin 2022, le taux d’occupation des maisons d’arrêt était de près de 143 %.
Cette suroccupation constitue une contrainte majeure pour la politique d’exécution des
peines d’incarcération, dont le coût global a été évalué par la Cour à environ 4 Md€.
Des causes complexes et des leviers difficiles à actionner
La suroccupation expose les détenus et les personnels à des conditions de détention marquées
par des tensions quotidiennes, la promiscuité et des risques de violence accrus. Des
condamnations de l’État en ont résulté, notamment devant la Cour européenne des droits de
l’homme. Plusieurs facteurs y contribuent : tout d’abord, la réponse pénale à la délinquance
s’est durcie ces dernières années. Les incarcérations et leurs durées ont ainsi augmenté de
façon significative - le nombre d’années de prison ferme prononcées a augmenté de près de 70
% en vingt ans. Certains crimes et délits font l’objet d’une répression accrue (les violences
intrafamiliales, les délits routiers ou les violences envers les forces de l’ordre). L’augmentation
du recours aux comparutions immédiates et le maintien, à un niveau élevé, du taux de
détention provisoire renforcent cette tendance. Une seconde cause tient à l’effet limité des
alternatives à l’incarcération (bracelet électronique, travail d’intérêt général, etc.) sur le nombre
de détenus. Les pouvoirs publics ont donc actionné plusieurs leviers, comme la construction de
nouveaux établissements pénitentiaires (« Programme 15 000 »), la maximisation des taux
d’occupation, dont les limites semblent avoir été atteintes, ou le déploiement de la nouvelle
politique des peines pour réduire les courtes peines de prison. Mais leur impact est resté à ce
jour limité. De même, l’expérimentation de dispositifs dits de « régulation carcérale », fondés
notamment sur l’idée qu’un partage d’informations entre autorité judiciaire et administration
pénitentiaire sur le niveau d’occupation permettrait de réguler les flux d’incarcération au plan
local, ne s’est pas traduite par une baisse des taux d’occupation.
Une différenciation croissante des modalités d’exécution des peines
Le système pénitentiaire s’ajuste en développant des prises en charge différenciées. Pour des
publics ciblés, détenus radicalisés, violents ou auteurs d’infractions à caractère sexuel, des
procédures d’orientation et de gestion spécifique se développent, en fonction des besoins, et
souvent en réponse à l’urgence. Aussi nécessaires soient-elles, ces démarches innovantes
doivent faire l’objet d’une évaluation systématique et d’un suivi des moyens importants qui leur
sont consacrés en comparaison de ceux accordés aux autres détenus. Dans les détentions
classiques, la différenciation des prises en charges progresse également, en vue de structurer
des parcours d’incarcération et de réduire les risques de récidive après la prison. Mais le
déploiement de ces parcours est rendu complexe par la surpopulation carcérale et pose la
question de l’équilibre global entre les différents quartiers dans les établissements. Les
structures d’accompagnement à la sortie n’échappent pas à cette problématique.
Leur contribution spécifique doit être clarifiée, non seulement à l’égard des autres
établissements pénitentiaires, mais également en termes de « publics cibles ».
Des sorties de détention marquées par des procédures complexes
Pour prévenir la récidive, les acteurs de l’exécution des peines doivent préparer avec les
condamnés leur sortie progressive de détention, notamment par des aménagements de peine.
La sophistication du droit de l’aménagement des peines et la systématisation des procédures
juridictionnelles pour le mettre en œuvre n’ont toutefois pas permis, à ce jour, d’atteindre cet
objectif et de limiter les sorties sans accompagnement. L’action du ministère de la Justice doit
se poursuivre en vue de renforcer le déploiement des placements extérieurs et de la semi-
liberté, qui permettent un accompagnement du détenu, parallèlement aux détentions sous
surveillance électronique en fort développement. La libération sous contrainte, procédure
simplifiée d’accès aux aménagements de peine en vue d’une sortie anticipée, n’a pas produit
les résultats attendus depuis sa création en 2015. N’ayant pas fait l’objet d’évaluation, elle a
pourtant été rendue plus systématique, conduisant, pour les plus courtes peines, à examiner
les perspectives de sortie peu de temps après l’entrée en détention. Cette évolution a pour
effet de mobiliser les acteurs judiciaires et pénitentiaires sur la gestion des procédures, parfois
aux dépens d’un travail d’individualisation effective du suivi des détenus en vue d’accroître leurs
chances de réinsertion et de réduire les risques de récidive. La systématisation de l’examen des
libérations sous contrainte à trois mois de la fin de peine depuis le 1er janvier 2023 risque
d’accentuer encore cette tendance et la pression qui s’exerce sur les services.
Plus fondamentalement, les constats de la Cour posent la question de l’équilibre d’un système
profondément réformé en 2019. Son fonctionnement actuel n’est pas satisfaisant au regard
d’un objectif ambitieux de prévention de la récidive. Les évolutions envisageables, qui relèvent
d’un débat démocratique et d’une orientation forte de la politique pénale, requièrent une
évaluation approfondie de sa mise en œuvre, qui n’a pas été réalisée malgré les réorientations
majeures intervenues depuis 20 ans.
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