PRÉSENTATION À LA PRESSE
DU RAPPORT PUBLIC THÉMATIQUE SUR LA FORMATION INITIALE
ET LE RECRUTEMENT DES ENSEIGNANTS DES PREMIER
ET SECOND DEGRÉS
Conférence de presse
Mercredi 1
er
février 2023 – 9h30
Grand’chambre
Allocution de Pierre Moscovici,
Premier président de la Cour des comptes
Mesdames et messieurs,
Bonjour et merci de votre présence.
Je suis heureux de vous accueillir pour vous
présenter notre rapport public thématique dédié à
la formation initiale et au recrutement
des enseignants des premier et second degrés
. J’ai à mes côtés
Nacer Meddah
, le
président de la 3
e
chambre, notre formation dédiée aux questions de culture, d’éducation et
de recherche au sein de laquelle cette investigation a été menée. Je tiens à saluer sans
attendre les rapporteurs et à les remercier pour ce travail d’ampleur :
Mme Isabelle
François
, conseillère référendaire,
Mme Christine Jamain et M. Gilles Pernias
,
vérificateurs, ainsi qu’en tant que contre-rapporteure,
Mme Mireille Riou-Canals
,
conseillère-maître.
Cette publication est l’aboutissement d’une instruction approfondie, qui a cherché à
donner une vue d’ensemble du creuset de ce pilier essentiel de notre service public
qu’est l’Education nationale.
Les rapporteurs ont interrogé les principales directions du
ministère de l’Éducation nationale, de la jeunesse et du ministère de l’enseignement
supérieur et de la recherche, les représentants des syndicats enseignants et étudiants,
France universités, le réseau des instituts nationaux supérieurs du professorat et de
l’éducation, les INSPE, ou encore les réseaux de l’enseignement catholique ou de
l’enseignement agricole.
Pour gagner en granularité, en connaissance du terrain, ils ont en outre mené des
contrôles renforcés et
in situ
dans quatre académies : Lille, Lyon, Toulouse et
Versailles
. Mais c’est sans doute via un sondage sur l’attractivité du métier d’enseignant
aujourd’hui, conduit auprès de 2 000 étudiants, que nous avons pu mettre en lumière les
facteurs de la crise de ce recrutement. J’y reviendrai.
Vous le voyez, c’est par la pluralité et la complémentarité des méthodes d’enquête que
la Cour construit ses observations et fonde ses recommandations, objectives,
impartiales et directement issues du terrain
. Pour ce qui est du périmètre, il comprend les
premier et second degré, c’est-à-dire l’ensemble des enseignants de la maternelle au CM2,
aujourd’hui professeurs des écoles, ainsi tous les enseignants du collège et du lycée.
Préélémentaire, élémentaire, collège, ainsi que lycée, le spectre est résolument large mais
les difficultés et les modalités sont croisées et justifiaient cette analyse systémique.
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Cette enquête survient ensuite dans un contexte que personne n’ignore – je m’en
entretenais avec le ministre il y a peu de jours, celui d’une crise du recrutement dans
l’éducation nationale.
La fabrique des fameux hussards noirs de la République traverse
des difficultés certaines, qu’il faut enrayer sans tarder pour éviter un effet boule de neige sur
la qualité de notre éducation nationale et donc sur la performance, le bien-être et l’éducation
de nos enfants.
Inutile de rappeler que la réussite scolaire des élèves doit beaucoup à la
qualité des enseignements. C’est vrai d’une part du point de vue strictement académique,
sur le plan du savoir, mais ça l’est d’autant plus que les missions du professeur se sont
complexifiées et étendues, et que ces professeurs prodiguent désormais aussi un véritable
accompagnement de l’élève.
S’il est vrai que ce phénomène de difficultés dans la formation s’observe aussi chez
nos voisins, notre vigilance ne doit pas laisser passer ce symptôme criant
: quelle est
la place que la société reconnaît aujourd’hui aux professeurs ? Quelles sont les conditions
concrètes d’exercice de leurs fonctions ?
Comment renouveler l’attractivité de cette carrière ? Autant de questions qui méritaient
amplement cette investigation.
La formation et le recrutement des enseignants est par ailleurs un sujet crucial du
point de vue de l’action publique, et donc pour la Cour, car il s’agit tout simplement du
plus gros bataillon de la fonction publique.
C’est dire si les volumes et les enjeux
concernés sont lourds et stratégiques. Pour contextualiser davantage, il faut rappeler que le
recrutement et la formation initiale des futurs professeurs ont connu plusieurs réformes au
cours des dernières décennies. D’abord, la création des
Instituts universitaires de
formation des maîtres
, les
IUFM
à la fin des années 80, qui a consacré le principe d’une
formation des maîtres par l’université. Ensuite, l’élévation à partir de 2010 du niveau de
diplôme exigé, qu’on appelle la
mastérisation
, et qui a remis en cause l’équilibre antérieur
entre le processus de formation et celui du recrutement, qui jusque-là se succédaient.
Notre rapport part donc de ce constat d’un cadre encore instable, qui ne garantit pas
que la formation prépare de manière satisfaisante les étudiants à leur prise de
fonctions, et il cherche ainsi à en faire le bilan.
J’en viens sans plus attendre aux trois messages clés de ce rapport.
Le premier, c’est que l’Éducation nationale fait face à une difficulté croissante dans son
recrutement, particulièrement sur certains territoires et dans certaines disciplines.
Le second, c’est que l’articulation entre la formation initiale et le recrutement s’est
relativement compliquée depuis la mastérisation, et que la réforme de 2019 n’a pas réussi à
la stabiliser.
Le troisième, c’est qu’il faut désormais tirer toutes les conséquences des réformes engagées
pour construire une politique performante de formation et de recrutement.
Notre analyse s’inscrit donc dans le cadre plus large d’une réflexion sur l’évolution du
métier de professeur, et les moyens alloués pour leur formation. C’est pourquoi la
politique du recrutement devra nécessairement être vigoureuse et volontariste, pour
éviter une dégradation déjà sensible.
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Rentrons sans plus attendre dans le vif du sujet. Comme je le disais, le nerf de
l’Education nationale réside dans la solidité de la formation en amont, puis dans la
sélectivité de son recrutement.
1. Pour autant, et c’est mon premier point, l’éducation nationale rencontre de plus en
plus de difficultés pour susciter des vocations.
Le volume des postes non pourvus et le recrutement de contractuels sont à ce titre de
bons indicateurs pour mesurer une incontestable désaffection vis-à-vis de l’éducation
nationale
. Pour évaluer le besoin d’enseignants, il faut d’abord comprendre qu’il varie
surtout en fonction de la démographie des élèves, de la tension sur telle ou telle discipline,
de la situation des académies, et des décisions de politique éducative. Pour autant, notre
enquête est parvenue à estimer qu’il aurait manqué, chaque année un peu plus
d’un millier
de postes, qui ne sont pas pourvus aux concours enseignants externes sur la période
2017-2021
, ce qui a entraîné mécaniquement le recours aux professeurs contractuels. La
réforme exceptionnelle de l’année 2022 a elle aussi colmaté la brèche par le recrutement
d’environ 4 500 professeurs non-titulaires.
Par ailleurs, notre enquête a identifié d’autres signes de la perte d’attractivité du
recrutement, mais ils varient selon les académies.
Certaines, comme Créteil ou
Versailles, connaissent des tensions majeures, qui s’illustrent par un nombre élevé de primo-
affectations de titulaires, des notes inférieures et des faibles candidatures au concours de
professeur des écoles.
Nous nous sommes donc penchés sur les facteurs de cette perte d’attractivité, qui
sont multiples et parfois d’ailleurs situés en amont des processus de recrutement,
comme la baisse du nombre des étudiants dans certaines filières universitaires
.
Comme l’a confirmé notre sondage, ces difficultés tiennent toutefois surtout de la
dégradation de l’image du métier enseignant, de ses conditions d’exercice et de sa
rémunération
. Je me permets de le préciser, mais le niveau des rémunérations n’est pas
traité de manière exhaustive dans ce rapport - c’est en effet l’un des facteurs évidents de
désaffection du métier, même si ce n’est pas le seul -.
Quelle a été jusqu’ici la réaction à cette crise des vocations ?
L’accent a été mis sur la
diversification des viviers de candidats aux concours, mais surtout comme je l’ai dit sur le
recours aux contractuels. Or, ce recours croissant à des recrutements, quel que soit la
bonne volonté de ces derniers, hâtifs et précaires est évidemment problématique à certains
égards.
2. J’en viens à mon second point, qui est que la formation initiale et le recrutement
doivent être mieux articulés, qui ont perdu en cohérence au fil des différentes
réformes. La création par la loi de 2013 des écoles supérieures du professorat et de
l’éducation, et des masters d’enseignement, les fameux masters MEEF
«
Métiers de
l’enseignement, de l’éducation et de la formation
» avait conduit à placer le concours de
recrutement à la fin de l’année de M1 ; cette imbrication du concours au milieu de la
formation posait beaucoup de problèmes d’organisation de la charge de travail des étudiants
qui peinaient à préparer un concours axé sur l’excellence disciplinaire et académique tout en
acquérant des compétences didactiques et pédagogiques indispensables dans leur futur
métier.
La réforme de 2019 a déplacé le passage du concours à la fin du master et mis l’accent sur
la « préprofessionnalisation » des étudiants en master MEEF, qui peuvent alors prendre une
classe en responsabilité pour un tiers temps.
Cela dit, pour cette préprofessionnalisation, qui
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est souhaitable, le ministère a mis en place plusieurs dispositifs, retracés par le rapport, mais
au risque d’une certaine complexité, espérons que les étudiants trouvent leurs repères !
Enfin, le coût de la formation initiale des enseignants reste toujours mal connu,
comme la Cour des comptes l’avait déjà souligné en 2018
. Elle l’estime à environ
un
milliard d’euros
. Celui de la réforme de 2019 n’a pas davantage fait l’objet d’un chiffrage de
la part des ministères concernés, alors que l’éducation nationale en tire de nouveaux
moyens d’enseignement, étudiants alternants et, après le concours, désormais passé en fin
de M2, fonctionnaires stagiaires à temps plein.
3. Cela m’amène à mon dernier message, qui appelle à une refonte plus globale des
modes de formation et de recrutement des enseignants.
Pour répondre, tout d’abord, aux difficultés de recrutement les plus aiguës
, la
Cour fait deux recommandations essentielles
La principale novation de ce rapport consiste à proposer
d’expérimenter, dans les académies
en difficulté et les disciplines en tension, une nouvelle voie d’accès au métier enseignant, par
un recrutement direct sur diplôme, et par entretiens, en contrepartie de l’affectation sur un
poste précis avec l’engagement de l’enseignant d’y demeurer pour la durée du contrat (de
trois à cinq ans).
Il s’agit donc d’un dispositif de
contrats à moyen terme ciblés sur des
postes difficiles à pourvoir,
avec un accompagnement renforcé par les corps d’inspection,
et qui pourraient déboucher sur un contrat à durée indéterminée (que l’éducation nationale
pourrait toujours refuser).
Par ailleurs,
pour compenser le manque d’attractivité de certains établissements des
académies de Créteil et Versailles, il est proposé de permettre aux recteurs de ces deux
académies d’utiliser des mesures et moyens financiers spécifiques
(des primes spéciales,
des avantages en termes de carrière, une visibilité et garanties sur les perspectives de
mobilité, de meilleures conditions de logement…). Il s’agit de pouvoir différencier les
rémunérations et l’accompagnement au profit de certains établissements, au-delà de la carte
de l’éducation prioritaire, et par un ciblage évitant tout effet d’aubaine.
Second volet des recommandations de la Cour, pour améliorer l’efficacité de la
formation initiale
:
La Cour recommande, et c’est une proposition cruciale pour le
premier degré,
de
construire
avec les acteurs universitaires et académiques un
continuum de formation sur cinq
années
conduisant
au
professorat
des
écoles,
sur
la
base
de
licences
professionnalisantes spécifiques
permettant l’accès au master MEEF
. En clair, il s’agit de
licences au moins bivalentes, permettant aux futurs professeurs des écoles de se former
dans les disciplines de base qu’ils devront enseigner, particulièrement le français et les
mathématiques. L’organisation de l’université en UFR disciplinaires ne favorise pas la
préparation au métier, les licences bivalentes restant rares. Le ministère a tenté d’y remédier
par l’encouragement de
parcours préparatoires au professorat des écoles (PPPE)
, à partir
de la rentrée 2021, qui se traduisent par une offre nouvelle de mentions de licences, dans
certaines universités, mais cette offre est marginale et disparate, seuls 13 des 25 PPPE
ouverts en 2021 offrant des licences combinant mathématiques et français.
Plus généralement, au-delà de l’accès à la profession enseignante, c’est au sein des écoles
et établissements que les nouveaux enseignants doivent être accompagnés dans leur
formation initiale, mission articulée autour des tuteurs.
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La Cour recommande donc
, sous l’impulsion des directeurs d’école et chefs d’établissement,
d’inscrire l’accueil et l’adaptation à l’emploi des nouveaux enseignants dans les projets
d’école et d’établissement.
D’autres recommandations, plus classiques, portent sur l’amplification de la diversification
des viviers de recrutement, la formation préalable minimale des contractuels avant leur prise
de poste, l’identification des coûts de formation, le bilan des récentes sessions de concours,
et les budgets de projet des INSPE.
Voici les recommandations principales que la Cour formule, dont vous retrouverez
l’exhaustivité dans ce rapport instructif – c’est le cas de le dire, et que je vous invite à
consulter.
L’éducation nationale est au cœur du pacte social. Les efforts de formation et de
recrutement des professeurs doivent être articulés les uns aux autres, dans un dialogue des
acteurs et une cohérence du parcours, de l’étudiant candidat à l’enseignant aguerri.
***
En guise de conclusion, je veux dire ma conviction que ce rapport témoigne de
l’éclairage impartial de la Cour sur les enjeux de long terme, comme le sont ceux
d’éducation.
Il mérite à ce titre une réception attentive et apartisane, car la qualité de
l’enseignement est une priorité nationale, un investissement d’avenir. Ce temps long et ces
répercussions systémiques doivent nous faire redoubler de vigilance : si un maillon de la
politique de formation ou de recrutement est défaillant, il faut souvent plusieurs années, voire
décennies, avant de pouvoir mesurer ses conséquences.
Être enseignant est un métier pareil à nul autre
. Je crois que la transmission de savoirs
est un talent précieux, rare – tout le monde n’a pas le don de la pédagogie - et pourtant
indispensable aux générations futures.
C’est pourquoi la Cour des comptes appelle au renforcement de la formation initiale, afin que
les futurs professeurs aient les moyens d’exercer leur vocation et soient reconnus à la
hauteur de leur utilité pour les prochaines générations.
Merci de votre attention. Je suis à votre disposition, ainsi que l’équipe qui a conduit
ce rapport, pour vos questions.