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L’ENTRETIEN
DES ROUTES
NATIONALES ET
DÉPARTEMENTALES
Rapport public thématique
Mars 2022
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
Cour des comptes - www.ccomptes.fr - @Courdescomptes
Sommaire
Procédures et méthodes
................................................................................
5
Synthèse
.........................................................................................................
9
Récapitulatif des recommandations
...........................................................
15
Introduction
..................................................................................................
17
Chapitre I
L’absence d’une véritable politique routière nationale
........
23
I - La fragmentation croissante de la compétence routière en France
............
23
A - Le mille-feuille routier
...................................................................................
23
B - La persistance de financements croisés importants
.........................................
27
C -
L’existence d’une double responsabilité en
agglomération
............................
28
D - Les limites des coordinations opérationnelles
................................................
29
II -
Un État qui n’assume plus son rôle de
supervision de l’ensemble
du réseau routier
.............................................................................................
31
A - Une méconnaissance des réseaux décentralisés
..............................................
31
B -
L’affaiblissement de l’expertise scientifique et
technique
..............................
35
III -
Deux illustrations d’une politique nationale insuffisamment
affirmée
..........................................................................................................
38
A - La sécurité routière
: un rôle de l’infrastructure à
mieux
prendre en compte
................................................................................................
38
B - La prise en compte du défi environnemental
..................................................
40
Chapitre II
L’insuffisance des outils de pilotage et
de
programmation
............................................................................................
47
I -
Un patrimoine dont l’état reste mal connu
................................................
47
A - Le réseau national : une lente dégradation
......................................................
47
B - Les réseaux départementaux : une connaissance inégale de leur état
.............
52
II -
Un patrimoine dont l’utilisation devrait être connue plus précisément
..........
55
A -
Le service rendu à l’usager
: un déficit de suivi auquel il faut remédier
.........
55
B - Un suivi du trafic à consolider et à moderniser sur les routes
décentralisées les plus importantes
.......................................................................
56
III - Des processus de programmation des travaux souvent inadaptés à
des besoins de long terme
..............................................................................
57
A - Le réseau national : un effort de rationalisation réel mais incomplet
..............
57
B - Les routes départementales : une rationalisation encore embryonnaire
..........
58
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COUR DES COMPTES
4
Chapitre III Des réformes et des réorganisations nécessaires
.................
69
I - Associer davantage les usagers à la définition de ces politiques
et à leur mise en œuvre
..................................................................................
69
A - Des liens plus étroits avec les usagers
............................................................
69
B - Une plus grande publicité à donner à la politique routière
..............................
71
II - Des niveaux de service à adapter
.............................................................
72
III - La réforme devenue nécessaire du réseau national
.................................
73
A - Un mode de gestion à repenser
.......................................................................
73
B - La question lancinante du financement
...........................................................
76
IV -
Dans les départements, les leviers d’amélioration
de la gestion à mobiliser
................................................................................
78
A - Le resserrement des organisations et les gains de productivité
.......................
78
B -
L’investissement dans les moyens matériels pour améliorer l’efficience
.......
80
C - La diversité des pratiques en matière de recours au secteur privé
...................
81
D -
L’attractivité des métiers de la route
...............................................................
82
Conclusion générale
.....................................................................................
85
Liste des abréviations
..................................................................................
87
Annexes
.........................................................................................................
89
Réponses des administrations et organismes concernés
.........................
113
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Procédures et méthodes
En application de l’article L. 143
-6 du code des juridictions
financières, la Cour des comptes publie chaque année un rapport public
annuel et des rapports publics thématiques.
Ces travaux et leurs suites sont réalisés par l’une des sept chambres
que comprend la Cour ou par une formation associant plusieurs chambres
et/ou plusieurs chambres régionales ou territoriales des comptes.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité
de la Cour ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes,
donc aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que l’élaboration
des rapports publics :
l’indépendance, la contradiction et la collégialité.
L’indépendance institutionnelle des juridictions financières et
l’indépendance statutaire de leurs membres garantissent que les contrôles
effectués et les conclusions tirées le sont
en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique
que
toutes
les
constatations
et
appréciations faites lors d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes
les
observations
et
recommandations
formulées
ensuite,
sont
systématiquement soumises aux responsables des administrations ou
organismes concernés ;
elles ne peuvent être rendues définitives qu’après
prise en compte des réponses reçues et, s’il y a lieu, après audition des
responsables concernés.
Sauf pour les rapports réalisés à la demande du Parlement ou du
Gouvernement, la publication d’un rapport est nécessairement précédée par
la communication du projet de texte, que la Cour se propose de publier, aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Dans le rapport
publié, leurs réponses sont présentées en annexe du texte de la Cour.
La collégialité intervient pour conclure les principales étapes des
procédures de contrôle et de publication. Tout contrôle ou enquête est confié
à un ou plusieurs rapporteurs. Le rapport d’instruction, comme les projets
ultérieurs d’observations et de recommandations, provisoires et définitives,
sont examinés et délibérés de façon collégiale, par une formation
comprenant au moin
s trois magistrats. L’un des magistrats assure le rôle de
contre-rapporteur et veille à la qualité des contrôles.
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COUR DES COMPTES
6
La présente enquête a été pilotée par une formation
inter
juridictions
qui
a associé la Cour des comptes et neuf chambres régionales des
comptes
Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne, Bourgogne-Franche-Comté,
Centre-Val-de-Loire, Grand Est, Hauts-de-France, Normandie, Occitanie et
Provence-Alpes-
Côte d’Azur. Outre quelques intercommunalités, les
chambres régionales ont contrôlé 16 départements, répartis sur le territoire
métropolitain, en
milieu
urbain comme rural, et
présentant des
caractéristiques variées
,
notamment de relief.
Au niveau national, la Cour a examiné la gestion par l’
État du réseau
routier national non concédé et, plus largement, la politique routière menée
par celui-ci (direction générale des infrastructures, des transports et de la
mer). Pour ce faire, elle a notamment étudié sur place le fonctionnement des
directions interdépartementales des routes (DIR) Méditerranée, Massif
central
et Ouest. Elle a également contrôlé l’établissement public
constituant l’élément principal du réseau scientifique et technique (le
Cerema, Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la
mobilité et l’aménagement).
Cette enquête nationale a été complétée
d’un travail de comparaison
avec
la gestion assurée par une société concessionnaire d’autoroute ainsi
qu’avec deux pays européens voisins de la France (
Espagne et Royaume-Uni
pour la seule Angleterre, le Pays de
Galles, l’Ecosse et l’Irlande du Nord
ayant leur propre réseau
), qui n’a pu donner lieu à des déplacements en raison
de la crise sanitaire de 2020.
Les juridictions financières ont utilisé les données collectées auprès des
entités contrôlées. Elles ont également exploité les comptes des départements
centralisés par la direction générale des finances publiques (DGFiP).
Des échanges ont eu lieu avec les principaux acteurs concernés au
niveau territorial, dont les présidents et les directeurs de collectivités, et avec les
services de l’
État au niveau national et dans les administrations déconcentrées.
En outre, la FCJ a pris l’initiative d’auditionner des responsables des principales
administrations centrales concernées (direction générale des infrastructures, des
transports et de la mer ; direction du budget), du Cerema ainsi que de
l’
A
ss
emblée
des départements de France
(ADF)
.
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PROCÉDURES ET MÉTHODES
7
Le projet de rapport a été préparé, puis délibéré le 6 janvier 2022, par
une formation commune aux juridictions, présidée par Mme Podeur,
présidente de chambre, et composée de MM. Le Mer, Michaut et Advielle,
conseillers maîtres, de Mme Daussin-Charpentier, conseillère référendaire,
Mme Courcol et MM. Launay et Baumann, présidents de section de
chambre régionale des comptes, ainsi que, en tant que rapporteur général,
de M. Daniel Vasseur, conseiller référendaire, en tant que rapporteur
général adjoint, de M. Olivier Cuny, premier conseiller de chambre
régionale des comptes, M. Le Mer étant contre-rapporteur.
Il a été examiné et approuvé, le
18 janvier 2022
, par le comité du
rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de
M. Pierre
Moscovici,
Premier
président,
MM. Morin,
Andréani,
Mme Podeur, M. Charpy, Mme Camby, rapporteure générale du comité,
Mme Démier et M. Bertucci, présidents de chambre, MM. Martin, Meddah,
Advielle, Lejeune, Mmes Bergogne et Renet, présidents de chambre
régionale des comptes,
ainsi que
Mme Hirsch, Procureure générale,
entendue en ses avis.
Les rapports publics de la Cour des comptes sont accessibles en ligne
sur le site internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des
comptes.
Ils sont diffusés par La Documentation Française.
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Synthèse
La France compte environ 1,1 million de km de routes, ce qui fait
de son réseau un des plus longs et des plus denses d’Europe. La plus grande
partie est gérée par les collectivités territoriales
près de 380 000 km par
les départements et plus de 700 000 km par les communes
notamment à
la suite de plusieurs vagues de décentralisation intervenues au bénéfice des
départements en 1972, à hauteur de 55 000 km, et en 2006, pour 18 000 km
supplémentaires.
Ces décentralisations se sont accompagnées de transferts de
personnel et, à partir de 2006, d’une ample réorganisation des structures
chargées de leur entretien. Les DDE (directions départementales de
l’équipement), qui s’occupaient jusqu’à cette date ta
nt des routes
nationales que départementales, ont disparu au profit de 11 DIR (directions
interdépartementales des routes), structurées selon une logique d’itinéraire
et centrées sur le réseau national « résiduel ». Ce dernier ne représente
aujourd’hui plu
s que 1,1 % du linéaire national (hors autoroutes
concédées), mais près de 19 % du trafic.
Ce processus de décentralisation a vocation à se poursuivre. La loi
relative à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et à
la simplificatio
n de l’action publique locale (
« 3DS ») prévoit un nouveau
cycle de transfert de parties substantielles du réseau routier national. Sa
mise en œuvre laisse la plus grande place à la négociation entre les
collectivités locales et l’
État, voire entre collectivités, de sorte que son
résultat reste à ce jour peu prévisible.
Il s’ensuit une fragmentation croissante de la compétence routière
en France. Au total, notre pays évolue vers un modèle complexe, et assez
rare en Europe, dans lequel les responsabilités sont réparties entre tous les
niveaux de collectivités publiques, la part du réseau national non concédé,
en particulier, devenant très faible, tandis que l’avenir des autoroutes
concédées demeure incertain à l’échéance des contrats en vigueur. Or, il ne
semble pas que cette transformation et ces perspectives aient donné lieu à
une réflexion sur le nouveau rôle de l’
État en matière de politique routière.
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COUR DES COMPTES
10
L’absence d’une véritable politique routière.
Dans ce contexte de décentralisation progressive du réseau routier
national, la question du rôle de l’
État en matière routière revêt, en effet,
une acuité croissante. La responsabilité de ce dernier ne se limite pas à la
gestion d’un réseau national toujours plus réduit. L’
État est également, et
reste, le g
arant, de par la loi, de la cohérence et de l’efficacité de l’ensemble
du réseau routier de notre pays, décentralisé ou non. Or, il manifeste peu
d’appétence pour ce rôle et ne s’est pas donné les moyens indispensables à
l’exercice de cette responsabilité.
Ainsi, il lui manque l’information sur la voirie des collectivités
locales, leur état, leur entretien et leur usage, qui lui est nécessaire pour
disposer d’une vision globale et des moyens d’harmoniser et de coordonner
les politiques routières, dans le respect des principes de la décentralisation.
La question de la sécurité des ponts, sur laquelle plusieurs accidents
dramatiques ont récemment attiré l’attention, illustre cette méconnaissance
du réseau décentralisé : il aura fallu attendre le plan de relance de 2020
pour que l’État, constatant sa méconnaissance du nombre total de ponts à
vérifier, décide de mettre en œuvre un programme national permettant le
recensement et l’évaluation de l’état de ces ouvrages d’art dans les petites
communes, ce qui ne peu
t constituer qu’une première étape.
De même, l’
État
s’avère dorénavant mal armé pour assurer sa
mission de conseil et d’appui pour la gestion des réseaux. Le réseau
scientifique et technique (RST) de l’État
1
, en matière routière, a vu ses
effectifs divisé
s par deux en une vingtaine d’années.
En particulier, le
Cerema
2
, devenu sa principale composante
3
et soumis à une continuelle
réduction de ses crédits, a connu une grave crise de gouvernance et tente
encore aujourd’hui de se restructurer. Il est de moins en moins en mesure de
répondre aux besoins d’expertise sur l’ensemble du territoire. Cette politiq
ue
d’attrition est devenue contradictoire avec la priorité officiellement donnée à
l’amélioration de l’entretien des infrastructures.
Pourtant, la décentralisation routière aurait plutôt dû aller de pair
avec le renforcement de ce RST, dans le souci de pré
venir les effets d’un
certain émiettement de cette compétence et de donner aux collectivités
territoriales les moyens de l’exercer au mieux. Ces dernières déplorent
elles-mêmes cet affaiblissement.
1
Ensemble d’organismes, de services et d’établissements sous tutelle du ministère de
la transition écologique, contribuant à l’ingénierie, l’expertise et la recherche dans les
domaines de l’aménagement et du développement durable.
2
Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.
3
Aux côtés de l’université Gustave Eiffel, dans le domaine de la recherche, et des
conférences techniques territoriales, qui réunissent à l’échelle locale les techniciens des
collect
ivités territoriales et des services déconcentrés de l’État.
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SYNTHÈSE
11
Ce déficit de stratégie nationale est illustré par la faible place
qu’occupe la question des infrastructures dans la politique de sécurité
routière. Si les routes elles-mêmes constituent rarement la principale cause
des accidents, leur entretien et leur aménagement peuvent jouer un rôle
appréciable dans la réduction des risques
4
. De ce point de vue, il serait
souhaitable de placer la délégation à la sécurité routière sous la tutelle
conjointe des ministres de l’intérieur et des transports.
Il en va de même de la prise en compte de la protection de
l’environnement
et du changement climatique, priorité d’avenir qui donne
lieu pour l’instant à des pratiques diverses et non coordonnées. Or, le
changement climatique produit dès maintenant des effets sensibles, en
particulier dans les territoires de montagne, du fait de
l’accélération des
cycles gel-dégel, de la multiplication des inondations et des glissements de
terrain, ou encore des périodes de sécheresse. Améliorer la résilience des
infrastructures suppose une action de long terme à forte composante
technique, combinant maintenance prédictive, techniques classiques
d’assainissement des chaussées et solutions innovantes.
En concertation avec les collectivités territoriales, l’ampleur de ces
enjeux justifie la définition et la mise en œuvre d’une véritable politique
routière nationale. Il y a à cela des préalables : la connaissance et le suivi
de l’ensemble des réseaux, au moyen de la remontée obligatoire de
données, mais aussi la remise à niveau de l’outil indispensable que
constitue le réseau scientifique et technique public.
L’insuffisance des outils de pilotage et de programmation.
S’agissant du réseau national, l’État assure un suivi régulier et
normalisé de l’état de ses chaussées et de ses ouvrages d’art depuis les
années 1990. Cependant, pour les chaussées, cette évaluation annuelle
restait partielle et manquait de précision. Elle servait principalement à
répartir les crédits entre les DIR et à établir une note globale, par
construction peu évolutive. Cette dernière tendait à montrer une lente
dégradation, la proportion de surfaces de chaussée exigeant des travaux
d’entretien étant ainsi passée en une dizaine d’années de 43% à 53%.
Le ministère a décidé de recourir à un nouveau dispositif beaucoup
plus perfectionné, reposant sur l’imagerie 3D et la géolocalisation,
qui
permet une actualisation annuelle pour tout le réseau. Malheureusement, sa
mise a œuvre a rencontré de nombreuses difficultés qui ont privé les
services d’une évaluation objective pendant plusieurs années et, à l’avenir,
ces derniers n’auront pas la p
ossibilité de comparer les résultats du nouvel
indicateur avec ceux de l’ancien. Il ne semble pas acquis non plus que ce
nouvel indicateur puisse servir à la sélection et à la programmation des
chantiers au niveau national, ce qui demeure pourtant un objectif légitime.
4
Cour des comptes,
Évaluation de la politique publique de sécurité routière
, juin 2021.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
12
S’agissant des réseaux départementaux, les contrôles menés par
les juridictions financières ont montré que seuls 40 % des départements de
l’échantillon avaient réalisé une campagne d’évaluation de toutes leurs
chaussées. Une légère majorité a recours à des méthodes automatisées sur
les axes les plus structurants, mais certains s’en remettent encore aux
observations faites par les agents lors des patrouilles.
La fréquence insuffisante et l’hétérogénéité des procédures
utilisées conduisent à relativiser la validité des appréciations portées sur
l’état des chaussées départementales à partir des mesures effectuées
aujourd’hui. Par ailleurs, la part d’ouvrages d’art non évalués, y compris
dans des collectivités importantes, reste significative. Au
total, il s’avère
donc difficile de juger de l’état actuel de ce patrimoine. L’élaboration d’une
grille d’harmonisation des diagnostics des chaussées, sous l’égide du
Cerema et en concertation avec les collectivités, est indispensable pour
disposer de constats fiables et prendre des décisions judicieuses en matière
de travaux d’entretien.
En outre, l’information sur les routes nationales rendue publique
dans les documents budgétaires annuels apparaît trop limitée, parfois plus
que par le passé. Ainsi, elle ne couvre pas certains éléments de ce
patrimoine (échangeurs, aires de repos, dépendances), les aspects de
sécurité et de qualité de service, ou encore de coûts unitaires. À cet égard,
la correcte information du citoyen et de la représentation nationale suppose
un enrichissement de la batterie des indicateurs présentés avec le projet de
loi de finances et l’établissement d’un bilan annuel de la politique routière
nationale, en concertation avec les collectivités territoriales.
L’État s’est tourné récemmen
t vers des cabinets suisses pour
établir des scénarios technico-économiques simulant les conséquences de
différents niveaux d’effort budgétaire sur l’évolution future de l’état de son
réseau. Sur cette base, la loi d’orientation des mobilités a prévu une
t
rajectoire financière jusqu’en 2027 et au
-delà
dépassant à terme 1
Md€
par an (contre 775
M€
en 2016). Cette augmentation est substantielle. Pour
autant, selon les estimations des experts suisses, elle ne suffirait pas pour
maintenir à son niveau actuel
l’état moyen du réseau, en raison du
vieillissement de ce patrimoine.
Dans les départements, l’entretien et l’exploitation restent encore
trop souvent des variables d’ajustement, en fonction de la situation
financière mais aussi d’autres priorités d’inves
tissement. On doit
néanmoins constater une reprise de l’investissement spécifiquement
routier, amorcée en 2017 et plus nette à partir de 2018-2019. Les dépenses
correspondantes ont ainsi progressé de 17 % entre 2016 et 2020, pour
atteindre 3,6
Md€
.
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SYNTHÈSE
13
Malgré
les progrès d’une démarche pluriannuelle (surtout pour les
ouvrages d’art), la programmation, dans les collectivités locales, demeure
le plus souvent empirique, sans règle claire entre dégradations constatées
et crédits affectés. Elle se réduit parfois à une répartition forfaitaire entre
territoires. Sa formalisation pourrait passer par la présentation de plans
pluriannuels dans les rapports d’orientations budgétaires présentés aux
assemblées délibérantes.
Des réformes et des réorganisations nécessaires pour
une efficience accrue.
L’organisation actuelle du réseau national non concédé en France
est devenue une originalité en Europe. L’État demeure à la fois
propriétaire, stratège, régulateur et opérateur, à la différence de l’exemple
anglais, mais aussi du modèle ferroviaire et aéroportuaire de notre pays.
La transformation des DIR n’a pas été réellement engagée.
À titre
d’exemple, le calcul des rémunérations comprenant de multiples primes
s’avère extrêmement complexe et reconnaît insuffisamment la responsabilité
et le rôle des cadres intermédiaires, notamment des chefs de centre
opérationnel. Pour l’instant, l’administration centrale s’est peu interrogée sur
la pertinence des normes, souvent anciennes, fixées dans les DIR, parfois par
crainte de remettre en cause leur organisation, voire leurs habitudes.
Pourtant, à l’image de ce qui se pratique en Angleterre, le suivi de la qualité
du service perçue
par les usagers, de même qu’une meilleure association de
ces derniers à la collecte de données de terrain
5
, auraient pour intérêt de
fa
ciliter l’adaptation aux besoins réels des niveaux de service (fréquence des
patrouilles, temps d’intervention sur incidents ou délai de
« retour au noir »
après des chutes de neige etc.). Par comparaison, plusieurs départements ont
su davantage adapter ces objectifs, mais aussi leurs organisations, aux
moyens disponibles. Ces démarches devraient inspirer l’ensemble des
gestionnaires routiers, État comme collectivités territoriales.
Le pilotage assuré par le ministère apparaît à la fois trop étroit,
s’agiss
ant de la programmation des opérations les plus importantes, et trop
lâche s’agissant des pratiques et de l’exploitation. Il conviendrait, quel que
soit le cadre juridique retenu à l’avenir pour ces activités, de mettre en place
une contractualisation plur
iannuelle d’objectifs et de moyens entre
administration centrale et services de gestion, en particulier afin
d’améliorer l’efficience de l’ensemble de cette organisation.
5
Notam
ment grâce aux nouveaux outils numériques, cette forme d’expression étant
aujourd’hui laissée à des initiatives privées.
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COUR DES COMPTES
14
De fait, cette réforme du mode de gestion, l’adaptation des niveaux
de service, de m
ême qu’une meilleure connaissance des besoins grâce à
des indicateurs plus précis et plus pertinents, peuvent contribuer à
d’importants gains d’efficacité. Certaines dépenses d’entretien préventif
permettent également de réaliser, à terme, d’importantes éc
onomies, en
évitant des réparations beaucoup plus lourdes dans le futur. Néanmoins, la
situation actuelle appelle également une réflexion sur les ressources,
pérennes, à affecter à ces besoins majeurs et durables, qui pourraient être
éventuellement fondées
sur l’usage de la route.
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Récapitulatif des recommandations
Orientation 1 :
se donner les moyens d’une politique routière
nationale
1.
Après concertation avec les collectivités territoriales, définir une
politique routière applicable à l’ensemble du réseau, incluant les
impératifs de la sécurité routière et le défi de la transition écologique
(
État, d’ici 2025
).
2.
Organiser au niveau national une remontée obligatoire des données
relatives à l’ensemble des réseaux et les intégrer dans un système
d’information partagé (
État, départements, d’ici 2024
).
3.
Renforcer l’expertise routière du Cerema, clarifier son périmètre par
rapport au secteur privé et faciliter les conditions de sa mobilisation
par les collectivités territoriales (
État, Cerema, d’ici 2025
).
Orientation 2 : renforcer les outils de pilotage
4.
Mettre en place un système, unifié et intégré, de priorisation et de
programmation des travaux d’entretien sur le réseau
national non
concédé, fondé sur des critères objectifs (
État, d’ici 2024
).
5.
Enrichir la batterie des indicateurs LOLF relatifs à la gestion du réseau
routier national, notamment pour mieux suivre la qualité de
l’exploitation et du service rendu aux usagers,
et en rendre compte dans
un bilan annuel de la politique routière nationale (
État, d’ici 2024
).
6.
En concertation avec les entités concernées, confier au Cerema la tâche
d’élaborer une grille d’harmonisation des diagnostics des chaussées
des départements et des intercommunalités supportant les trafics les
plus importants (
Cerema, État, d’ici 2024
).
7.
Soumettre au conseil départemental l’approbation d’un scénario
technico-
budgétaire pluriannuel pour l’entretien de son réseau
(
départements, d’ici 2025
).
Orientation 3 :
améliorer l’efficience et garantir un service adapté
8.
Réexaminer et formaliser des niveaux de service adaptés aux trafics et
en assurer le contrôle (
État, départements, d’ici 2024
).
9.
Réformer la gestion du réseau routier national non concédé, en mettant
en place une contractualisation pluriannuelle d’objectifs et de moyens
avec les directions interdépartementales des routes (
État, d’ici 2024
).
10.
Se donner les moyens d’un financement pérenne des réseaux non
concédés, national et départemental, sans exclure des prélèvements liés à
l’usage des routes, notamment pour le fret (
État, départements, d’ici 2025
).
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Introduction
La France compte environ 1,1 million de km de routes, ce qui fait
de son réseau un des plus longs
et des plus denses d’Europe
6
. La plus
grande partie est gérée par les collectivités territoriales
près de
380 000 km par les départements et plus de 700 000 km par les communes,
ces derniers étant exclus du champ du présent rapport car répondant surtout
à des besoins de desserte des habitations. Cette répartition fait suite à
plusieurs vagues de décentralisation au bénéfice des départements, la
dernière remontant à 2006, à hauteur de 18 000 km, après 55 000 km en
1972
7
.
La mise en œuvre de la loi relative
à la différenciation, la
décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de
simplification de l’action publique locale (dite
« 3DS ») pourrait
s’accompagner de nou
veaux transferts au bénéfice des départements et des
métropoles, voire, de manière expérimentale, aux régions (cf.
infra
).
Le réseau national, le plus structurant, ne représente
désormais qu’un
peu plus de 21 000 km, dont 9
000 km d’autoroutes concédées, entretenues et
exploitées, en contrepartie de recettes de péages, par des sociétés privatisées
(également exclues du champ du présent rapport), ainsi que 12 000 km de
routes nationales non concédées. Il est devenu
l’
un des moins étendus de
l’Union européenne
8
. Dans le cadre du présent rapport, ont été recueillis et
synthétisés des éléments de comparaison internationale avec deux pays
voisins
l’Angleterre
et l’Espagne. Leurs
modèles d’organisation très
différents du cas français offrent un utile contrepoint, sans que l’on puisse
en
tirer de conclusion générale, faute, en particulier, de données suffisamment
sûres et précises quant à leurs performances (cf. annexes 3 et 4).
6
16
464 km par million d’habitant contre moins de 5
000 en Espagne et en Italie.
7
Ayant pu donner lieu par la suite à des transferts de ces derniers vers les métropoles
(3 000 km).
8
Ainsi, le total des routes nationales atteint environ 65 000 km en Allemagne, 34 000
km en Espagne et 25 000 km en Italie.
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18
Carte n° 1 :
le réseau routier national
Source : DGITM
Ce réseau national non concédé n’en conserve pas moins un rôle
stratégique, ayant d’ailleurs été conçu comme tel, puisqu’il supporte près
de 20
%
de la circulation routière (et plus du tiers
, si l’on y ajou
te les
autoroutes concédées). De plus, celle-ci, tirée à la hausse par les flux de
longue distance, notamment internationaux, y augmente plus fortement que
sur le réseau secondaire.
Tableau n° 1 :
parts du linéaire et de la circulation des différentes
catégories de routes
Longueur
en km (2018)
%
réseau
% circulation
(2019)
Évolution de la circulation
entre 1990 et 2019
Réseau national
21 221
1,9 %
34,3 %
+60,9 %
dont autoroutes concédées
9 067
0,8 %
15,8 %
+78,3 %
dont autres routes nationales
12 154
9
1,1 %
18,6 %
+49,1 %
Réseau secondaire
1 082 552
98,1 %
65,7 %
+7,5 %
dont routes départementales
378 401
34,3 %
nd
nd
dont routes communales
704 151
63,8 %
nd
nd
Ensemble du réseau
1 103 773
10
100 %
100 %
+45,5 %
Sources: Bilan annuel des transports 2019 ; SDES - bilans de la circulation (données provisoires de juillet 2021)
9
Dont 2
603 km d’autoroutes non concédées.
10
Par comparaison, la longueur du linéaire ferroviaire atteint 28 077 km ; du réseau
ferré de transports urbain, 1 294 km ; et fluvial, 5 065 km.
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INTRODUCTION
19
Jusqu’en 2006, la gestion opérationnelle des routes nationales
comme départementales incombait aux directions départementales des
routes (DDE) de l’
État. Depuis lors, les conseils départementaux ont pris
pleinement en charge cette compétence, tandis que le réseau national
« résiduel » a été confié à de nouvelles administrations déconcentrées, les
directions interdépartementales des routes (DIR), réorganisées selon une
logique d’itinéraire.
Dans le cadre de cette enquête, la Cour a examiné la gestion des
routes nationales et la politique routière mise en œuvre par l’
État, tandis
que neuf cha
mbres régionales des comptes ont contrôlé l’action déployée
dans ce domaine au sein d’un échantillon de 16 départements et de
quelques intercommunalités
11
(cf. liste en annexe 1). Ce rapport présente
la synthèse de ces différents travaux, enrichie
d’analyse
s issues des
données disponibles dans l’ensemble des comptes départementaux
.
Outre les chaussées et les ouvrages d’art (dont les ponts et les
tunnels, mais aussi les murs de soutènement), ce patrimoine regroupe un
ensemble d’éléments extrêmement variés
: aires de stationnement,
dépendances « bleues » (bassins de retenue des eaux) et « vertes »
(abords), équipements de la route
12
, mais aussi tous ceux qui sont
nécessaires au fonctionnement des services (véhicules, engins, notamment
de fauchage et de déneigement, outils de gestion de trafic).
L’entretien et l’exploitation
: définitions et acteurs
L’entretien vise le maintien en état du patrimoine de manière à lui
permettre de continuer à rendre durablement les services actuels. On
distingue l’entretien couran
t (bouchage de nids de poule, pontage de
fissures…), les opérations de requalification (ou de réparation faisant suite
au constat de dégradations de nature structurelle) et l’entretien préventif
(mise en œuvre d’enduits superficiels, reprise des couches de
surface).
Contrairement à l’entretien courant, ces deux dernières catégories de
travaux
prennent
la
forme
d’opérations,
définies,
budgétées
et
programmées, puis principalement réalisées par recours à la sous-traitance.
Dans le cadre de ce rapport, on retrace également certaines opérations de
modernisation, comme la sécurisation des tunnels et la mise aux normes
environnementales, bien que n’étant pas de l’entretien au sens strict.
11
Le nombre d’intercommunalités contrôlées à l’occasion de la présente enquête est
cependant trop limité pour en tirer des enseignements généraux.
12
Dont les glissières de sécurité, la signalisation horizontale et verticale, les portails,
portiques et hauts mâts, l’éclairage, les dispositifs de retenue de chute de blocs, les
écrans acoustiques, le réseau d’appel d’urgence.
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COUR DES COMPTES
20
Cet entretien se différencie du développement du réseau, hors du
champ de ce
rapport, c’est
-à-dire la construction de nouveaux itinéraires,
mais aussi l’aménagement de routes déjà existantes, quand il implique une
modification substantielle du patrimoine et de ses fonctionnalités - par
exemple, un élargissement (construction d’une
voie supplémentaire), ou la
création d’un rond
-point. En pratique, le partage entre entretien et
développement peut prêter parfois à discussion, notamment quand cet
aménagement reste d’une ampleur limitée (rectification de virage) et/ou
parce qu’il va de
facto de pair avec une rénovation du tronçon concerné.
L’exploitation des routes recouvre les activités ayant pour objectif
d’optimiser les conditions du trafic, de prévenir et détecter les incidents et
accidents, ainsi que les interventions rendues nécessaires, la viabilité
hivernale (ensemble des actions visant à limiter les effets des phénomènes
hivernaux sur l’usage des routes), l’information des usagers ou encore le
nettoyage. Là encore, il peut exister des problèmes de frontière. Certains
travau
x peuvent s’interpréter aussi bien comme du
« petit entretien » que
comme des activités permettant l’écoulement du trafic dans des conditions
normales. Les uns comme les autres sont principalement exercés en régie,
c’est
-à-dire directement par les administrations gestionnaires (État ou
collectivité). La répartition du linéaire est précisée dans le tableau n° 1.
Qu’il s’agisse de l’entretien ou de l’exploitation, chacune de ces
administrations peut donc solliciter
des prestataires privés, maîtres d’œuvre
et entreprises de travaux publics. Elles peuvent aussi avoir recours au réseau
scientifique et technique13
pour satisfaire leurs besoins d’ingénierie et
d’expertise. Les conditions de ce recours sont toutefois variables selon le
gestionnaire. Contrairement aux
collectivités territoriales, l’État n’
a pas à
mettre en œuvre
une procédure de mise en concurrence pour faire appel au
Cerema, par exemple. Le projet de loi dite « 3DS » prévoit une solution pour
qu’il en aille dorénavant de même pour les collectivités
.
P
ratique très ancienne, l’entretien des routes est devenu à proprement
parler une politique, en France, à la suite de l’hiver 1962
-1963, qui a entraîné
de fortes dégradations et des besoins de reconstruction importants. De cette
période datent le calcul de
l’âge des chaussées, l’utilisation des premiers
matériels d’auscultation et la standardisation des matériaux. Parallèlement,
les » Trente Glorieuses » ont connu un développement du fret routier sans
commune mesure avec le passé, qui a soumis les infrastructures à de fortes
sollicitations. L’accroissement du trafic a également conduit à mettre en place
des dispositifs d’exploitation visant aussi bien l’amélioration de la sécurité
routière, que le confort des usagers et la fluidité de la circulation.
13
Ensemble d’organismes, de services et d’établissements sous tutelle du ministère de
la transition écologique, contribuant à l’ingénierie, l’expertise et la recherche dans les
domaines de l’aménagement et du développement durable, au service de la décision
publique et des acteurs économiques sur tout le territoire.
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INTRODUCTION
21
Le présent rapport intervient après une période de baisse des
crédits
d’entretien routier
et
des dotations de l’État aux collectivités
, au
cours de la première partie de la décennie 2010, faisant craindre
l’accumulation d’une
« dette grise » ou de coûts « reportés ». Cette notion
correspond à l’idée qu’un manque d’entretien obligera dans le futur à des
investissements, souvent plus importants
14
, soit sous la forme de travaux
plus lourds de requalification, soit
d’un besoin de reconstruction
en raison
d’une durée de
vie raccourcie.
O
n peut prendre l’exemple de l’usure d’une chaussée
:
Schéma n° 1 :
e
ntretien d’une chaussée routière
et évolution de son état
Source : IDRRIM (Institut des routes, des rues et des infrastructures pour la mobilité)
Il convient donc d’éviter de devoir
réaliser des travaux importants
en urgence et pour de nombreuses infrastructures en même temps. En outre,
des inquiétudes sur l’état des ouvrages d’art se sont récemment nourries de
plusieurs accidents dramatiques, comme l’effondrement du pont Morandi
de Gênes en Italie, le 14 août 2018.
En France, la route assure près de 90 % du transport, tant de
voyageurs que de marchandises, et demeure le seul vecteur de
désenclavement dans de nombreuses parties du territoire
15
. Elle est
devenue synonyme de fortes atten
tes et d’innovations, dans le contexte des
14
Notamment parce que la dégradation d’une chaussée est d’abord lente, puis
s’accélère, une fois que son étanchéité n’est plus assurée.
15
Dans l’Aveyron, la faiblesse de la desserte aéroportuaire et ferroviaire fait par
exemple
de l’A75 et de la RN88 des axes vitaux, en capillarité avec les routes départementales.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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22
transitions numérique, environnementale et énergétique. Un concept de
route « intelligente » ou de « quatrième génération » a pris corps :
connectée et interagissant avec les véhicules, plus écologique dans sa
conception, son équipement (bornes de recharge électrique, « route
électrifiée » permettant la recharge sans arrêt du véhicule) et son entretien
(ex : recyclage des matériaux et respect de la biodiversité), voire
productrice nette d’énergie, mais également plus sûre pour ses usagers.
Cette modernisation ne doit cependant pas faire oublier les deux
déterminants anciens et fondamentaux de l’usure des routes, conditionnant
l’activité des se
rvices chargés de leur entretien :
l’eau (en particulier le
cycle gel/dégel) ainsi que le trafic poids-lourds.
Le présent rapport fait le constat d’un défaut de stratégie nationale,
en raison d’une fragmentation croissante de la compétence routière et d’un
e
forme de désengagement de l’
État
à l’égard d’une de ses missions, ce
qu’illustrent certaines insuffisances de la gestion de ces infrastructures au
regard des impératifs de sécurité routière et de protection de
l’environnement (
chapitre I).
Cette situatio
n appelle un renforcement des outils de pilotage, qu’il
s’agisse du suivi de l’état des réseaux
, de leur utilisation et de la qualité du
service rendu ou de la programmation des travaux d’entretien, souvent
restée par trop empirique (chapitre II).
Par-del
à cette rationalisation du suivi de l’état et de l’usage des
routes, un effort de réorganisation de cette activité s’avère nécessaire,
en vue
d’une plus grande efficience. Ceci implique, en particulier, une réforme du
mode de gestion des routes nationales,
aujourd’hui obsolète, mais aussi une
rigueur accrue de la part des collectivités territoriales (chapitre III).
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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Chapitre I
L’absence d’une
véritable politique
routière nationale
La compétence routière est largement partagée entre tous les niveaux
d’administration
publique,
à
la
suite
d’un
proce
ssus
ancien
de
décentralisation. L
’État n’en
reste pas moins légalement le garant de la
cohérence e
t de l’efficacité du ré
seau routier dans son ensemble. Cette
décentralisation devait avoir pour contrepartie
la mise en œuvre d’
instruments
lui permettant dans la concertation de jouer tout
son rôle, ce qui n’a pas été le
cas. Une nouvelle approche apparaît particulièrement nécessaire au regard de
deux enjeux : la sécurité routière et les défis de la transition écologique.
I -
La fragmentation croissante de
la compétence routière en France
A -
Le mille-feuille routier
La compétence routière se caractérise par une segmentation
croissante, qui va encore être accentuée à la suite de l
adoption de la loi
relative à la différenciation, à la décentralisation, à la déconcentration et à
la simplification de l’action publique locale (
« 3DS »). En effet, cette loi
prévoit une rétrocession « à la carte » de certaines routes nationales aux
départements et métropoles volontaires, mais aussi la possibilité
d’expérimentations de cette gestion par des régions volontaires pour une
durée de huit ans
16
. À cet égard, pour mener des discussions qui ne doivent
16
Pendant cette période, des transferts de gestion de routes sont également possibles
entre régions et départements.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
24
pas seulement porter sur des modalités de transfert, il conviendrait que
l’
État
s’appuie sur une vision stratégique de ce que doit être le futur réseau
national, alors que la loi « 3DS »
autorise le transfert d’autoroutes
17
, de
routes à grande circulation ou d’importance européenne. Il devrait
également veiller à un souci de rationalité dans la répartition entre régions
et départements des itinéraires n’ayant plus vocation à en faire partie
.
Bientôt,
donc, aussi bien communes qu’intercommunalités,
départements, régions et État pourraient avoir à assurer
la tâche d’exploiter
et d’entretenir des routes. En outre,
deux articles visent à faciliter la
délégation de maîtrise d’ouvrage, c’est
-à-dire la possibilité pour une
collectivité de réaliser, si elle le souhaite et
a priori
à ses frais, des
opérations d’aménagement sur une partie du patrimoine d’une autre
collectivité ou de l
État, en accord avec ces derniers. À certains égards, le
mille-feuilles tend à devenir un écheveau. L
e Conseil national d’évaluation
des normes a rendu un avis défavorable sur ce projet de loi, critiquant une
« complexification importante du droit en vigueur »
18
.
Schéma n° 2 :
les différents acteurs chargés du réseau routier
Source : Cour des comptes
17
En ce cas, le préfet y conserverait le pouvoir de police de la circulation, ce qui
induirait un degré de complexité supplémentaire.
18
Délibération du 1
er
avril 2021.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
25
1 -
Une répartition qui n’est pas toujours rationnelle
entre État et collectivités
La répartition des voies résulte de l’histoire, de négociations avec les
collectivités et de leurs situations particulières, notamment au plan financier.
Ainsi, il n’est pas rare que certains tronçons soient demeurés routes nationales
parce que des départements n’ont pas voulu en supporter la charge.
Des ajustements ont été souhaités par certains
d’entre eux dans le
cadre des discussions relatives au projet de loi « 3DS ». Le département de la
Savoie s’est
ainsi déclaré favorable à la reprise des 60 km de la route nationale
90 en Tarentaise, à l’exception de la voie rapide urbaine de Chambéry et de
la section à 2X2 voies entre Albertville et Moutiers, qui pourraient être
confiées à une société concessionnaire d’autoroute.
Cette position a toutefois
été exprimé
e sous réserve d’une négociation financière à conclure, compte
tenu des ouvrages non courants situés sur cet axe.
Ces demandes peuvent être liées à des doléances, au niveau local,
quant à l’état des RN concernées, qui conduisent des élus à vouloir en deven
ir
propriétaires pour faire les travaux nécessaires (cas de la RN6 en Essonne). En
soi, elles constituent d’ailleurs des motifs d’interrogations
sur la qualité de la
gestion de son réseau par l’
État et sur les
moyens qu’il y consacre.
À
l’inverse, plusieur
s départements en particulier ruraux ont
indiqué leurs réserves quant à la perspective d’un nouveau transfert. Celles
-
ci portent sur l’état des réseaux
concernés
, l’évaluation des compensations
et le transfert de moyens humains d’ingénierie.
Certaines hésitations ne tiennent pas à des raisons financières mais à
des conflits d’usage de la route, entre trajets pendulaires domicile
-travail, de
quelques kilomètres (prioritaires pour les métropoles) ou de plusieurs dizaines
de kilomètres (départements), et de transit économique, familial et de loisirs
(régions). Ces conflits sont notamment dus au développement des métropoles
et à la périurbanisation, qui augmentent les phénomènes de congestion.
À cet égard, on peut citer l’exemple de la prise de position des
préf
ets de Bretagne et des Pays de la Loire à l’occasion de la concertation sur
la décentralisation de certaines portions du réseau national,
en l’occurrence
la liaison entre Rennes et Nantes (RN 137), extrêmement fréquentée. Ils
mettaient en garde contre de potentiels effets négatifs de décisions
conduisant à son partage entre plusieurs gestionnaires : «
Parce qu’il gère
une partie importante de ce réseau, l’État apparaît, à Rennes comme à
Nantes, comme le niveau idoine (arbitre, pilote, expert) pour construire des
projets communs et assurer un équilibre entre ces différents intérêts »,
c’est
-
à-dire entre
diverses catégories d’usagers
et de trajets, énumérés plus haut.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
26
Au total, le caractère négocié de ces futurs transferts, fondé
essentiellement sur les demandes des collectivités, pourrait avoir pour
résultat, par exemple, que
l’
État
conserve la responsabilité d’itinéraires
d’intérêt départemental ou que des routes d’importance comparable seront
décentralisées ou non, selon les cas. Au vu des conditions juridiques
actuellement connues de cette nouvelle phase de décentralisation, on ne
peut exclure qu’
in fine
, des collectivités prennent en charge des itinéraires
d’intérêt national
,
si l’
État, décisionnaire en dernier ressort, ne se donne
pas une doctrine et ne fixe pas un cadre clair à ces négociations, tandis que,
réciproquement, il continuerait
de gérer des routes en réalité d’intérêt
local,
dans le cas où les collectivités n’en réclameraient pas le transfert
.
2 -
Un classement parfois empirique entre entités locales
Une part parfois significative des réseaux départementaux demeure
en réalité d’intérêt communal ou intercommunal. Les départements du
Doubs et des Alpes
de-Haute-
Provence l’estiment
ainsi de
l’ordre de 15
%.
Il a pu s’agir d’une politique
volontariste au nom de la solidarité territoriale,
c’est
-à-
dire d’une forme de soutien des départements à des communes
défavorisées comme en Indre-et-Loire (plus de 500 kms concernés).
Des départements ont indiqué avoir effectué un travail de réflexion
préparatoire en vue de transferts au cas par cas, à défaut de pouvoir engager
une démarche systématique de rationalisation en particulier vis-à-vis de
petites communes
souffrant d’une insuffisance
de moyens, peu désireuses
de responsabilités supplémentaires.
Derrière cette question se trouve celle du devenir de voies très peu
fréquentées pour lesquelles existent des itinéraires alternatifs, donc pouvant
entraîner un coût disproportionné pour certaines petites communes, voire
certains départements, au regard de leur utilité. Une concentration des
moyens sur les voies les plus fréquentées est néanmoins envisageable.
Une tentative
d’adaptation
du niveau de service à une faible
fréquentation
En Haute-Marne, les élus départementaux ont entamé en 2015 une
réflexion visant à définir de nouveaux principes directeurs, réviser la classification
arrêtée en 2002 et reconsidérer le traitement des routes les moins fréquentées.
Dans le souci de réaliser des économies, la réflexion s’est orientée
vers la créatio
n d’un nouveau niveau de service qualifié de
« chemin
d’intérêt local
». Cette nouvelle catégorie de routes devait être réservée aux
seuls ayants droits riverains et la vitesse autorisée limitée à 30 km/h. Cette
hypothèse a été abandonnée. En 2021, la révision du schéma directeur
n’avait toujours pas abouti.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
27
Au sein du bloc communal, la référence
à l’intérêt communautaire,
c’est
-à-
dire de l’intercommunalité dans son ensemble, peut soulever des
difficultés de définition, et aboutir, en pratique, à des partages sans lien
avec le trafic supporté, la continuité d’itinéraires voire les fonctions des
voies. C’est notamment le cas lorsqu’une simple liste de voies est retenue.
Par ailleurs,
en l’absence de définition légale du périmètre
de
gestion
de la voirie, la communauté assure parfois l’entretien des
seules
chaussées transférées mais non, par exemple,
les tâches d’exploitation
comme le nettoyage, le balayage et le déneigement. Cette situation a déjà
été évoquée et illustrée par la Cour
19
B -
La persistance de financements croisés importants
Les difficultés de nombreuses collectivités, en particulier de petite
taille, à mobiliser les moyens financiers et humains nécessaires à cette
gestion, expliquent la fréquence des « financements croisés » entre
gestionnaires locaux
mais aussi avec l’État. Il en va de même de
l’importance des besoins d’assistance technique qui se trouvent satisfaits,
en pratique, de manière très variable.
Les financements croisés entre État et départements sont parfois
rejetés par principe, comme dans le Doubs pour la RN 57, mais parfois, au
contraire, abondamment pratiqués.
L’exemple du
financement de la modernisation de la RN88
La RN88, qui relie Toulouse à l’A75 en traversant le département de
l’Aveyron d’
est en ouest
via
Rodez, constitue un axe structurant pour le
développement de ces territoires. Elle est sous maîtrise d’ouvrage de l’État.
Le conseil départemental ayant souhaité la mise à deux fois deux
voies sur l’ensemble du linéaire le plus rapidement possible, a accepté de
financer près du quart sur la partie ouest, à hauteur de près de 50
M€
. La
collectivité réalise en outre,
en maîtrise d’ouvrage déléguée
, une section de
7,5 km pour un coût 32
M€
.
Symétriquement, et parfois dans le cas des mêmes départements, il
arrive que
l’État accorde des subventions pour réaliser de
s travaux
imprévus et urgents (cas des Alpes-de-Haute-Provence).
19
Cour des comptes,
Les finances publiques locales 2020
, fascicule 3, décembre 2020.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
28
Le fait de solliciter les finances locales pour des routes nationales va
à l’encontre de
l’esprit de la décentralisation de 2004
, qui prévoyait que
l’
État se recentre sur
un nombre limité d’axes
jugés stratégiques,
pleinement à sa charge. En outre, certains départements peinent déjà
financièrement à faire face à leurs responsabilités de gestionnaires routiers.
C -
L’existence d’une double responsabil
ité
en agglomération
En agglomération, la responsabilité des routes départementales
n’incombe pas seulement aux départements. Ces derniers doivent assurer
l’entretien des emprises routières, en application du code de la voirie routière, et
les maires le rôle de police de la circulation tel que défini dans le code général
des collectivités territoriales
20
. De même, l
e département n’est en principe pas
seul tenu d’assurer le nettoyage et le déneigement. Ainsi, même si la
jurisprudence administrative a défini la compétence voirie comme un « bloc
insécable d’attributions
», elle prend en considération les pouvoirs de police
du maire pour opérer des partages de responsabilité en cas de contentieux.
De ce fait, plusieurs départements comme la Haute-Savoie, le Nord et
l’Indre
-et-Loire ont,
à fins de clarification et d’équité de
traitement, produit
des guides d’intervention à l’attention des communes. Les conventions entre
gestionnaires départementaux et com
munaux sont très fréquentes, qu’elles
soient de portée générale ou qu’elles aient trait à des sujets particuliers
comme la prise en charge de l’entretien des arbres en bord de routes.
20
La police municipale recouvre selon l'article L. 2212-2 du code général des
collectivités territoriales « tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage ».
Lorsque le maire initie des travaux sur la voie départementale en agglomération à cette
fin, ce qui peut inclure l'aménagement des trottoirs ou la pose de ralentisseurs, il doit
recueillir l'accord du président du conseil départemental lorsque cela a pour effet de
modifier l’
assiette de la voie. À défaut de convention conclue avec la commune, ce
dernier devient responsable d
e l’entretien des aménagements.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
29
D -
Les limites des coordinations opérationnelles
1 -
Une coopération ponctuelle et peu formalisée entre
gestionnaires de voirie
La coopération entre départements, en particulier limitrophes,
demeure limitée et très peu formalisée. Elles portent très souvent sur des points
singuliers comme des ouvrages d’art en Occitanie ou
les limites de passage des
engins de viabilité hivernale. Les coopérations menées par ou avec l’
État
restent aussi ponctuelles. Le Gard a ainsi confié la surveillance et l’exploitation
de deux sections de route en 2X2 voies situées entre le Gard et le Vaucluse à
la DIR Méditerranée par souci de continuité avec le réseau national.
Au-delà de la coopération à leurs frontières, les départements
devraient rechercher des gains d’efficacité grâce à des mutualisations de
services entre eux,
mais aussi avec d’autre
s catégories de gestionnaires
routiers (État, intercommunalités). La mise en commun des laboratoires
d’analyses routières, que certains départements ont conservés
, comme en
Indre-et-Loire
21
, vecteurs d’harmonisations techniques et d’innovations,
pourrait êt
re envisagée, dans le cadre d’une réflexion et d’une réforme, plus
larges, à l’échelle du réseau scientifique et technique national.
La gestion en temps réel du trafic sur des itinéraires très fréquentés
peut nécessiter une coordination entre gestionnaires
, à l’exemple de
l’agglomération brestoise ou de la Savoie. Un protocole d’échange
d’informations a ainsi été conclu en 2018 entre le préfet et les présidents
du conseil départemental du Finistère et de Brest métropole.
Le protocole breton d’échange d’info
rmation de janvier 2018
Signé par les préfets de région et du Finistère, la présidente du
conseil départemental et le président de Brest Métropole, ce protocole
concerne le réseau stratégique du Finistère, constitué de 250 km de routes
nationales, de 548 km de routes départementales et de 45 km de voies
départementales transférées à la métropole. Le périmètre comprend
notamment les liaisons vers les ports et les principaux sites militaires.
Ce protocole prévoit un élargissement de cette coopération
à l’ensemble
des routes des gestionnaires signataires, lorsque l’évènement considéré se
rapporte à certains accidents graves ou mortels ou encore à un évènement
entraînant un risque important en termes de sécurité ou d’environnement.
L’objet du protocole
est double : préciser le rôle de chaque acteur dans le volet
routier des situations de crise,
d’une part, préciser les modalités d’échange des
données et informations relatives au réseau routier, d’autre part.
21
Ces laboratoires réalisent des contrôles des travaux confiés aux entreprises privées et
constituent une ressource d’ingén
ierie pour les services opérationnels.
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30
Les schémas directeurs d’agglomération de gest
ion du trafic conclus
entre État, région, département et agglomération peuvent être un outil pour
limiter la congestion et améliorer l’information des usagers. Ils favorisent le
parcours de certains usagers,
via
des mesures de partage de la voirie et
aménagements spécifiques (aires intermodales, de covoiturage, arrêts de
transports en commun). En Savoie, un centre de gestion du trafic (PC Osiris)
est partagé entre le département et les services de l’État. Il assure la
surveillance, diffuse l’information routière et prend l’initiative, au besoin, des
opérations sur l’intégralité du réseau départemental et national non concédé.
La prise en compte du point de vue de l’usager
(cf.
infra
) devrait
conduire à une réflexion sur l’homogénéisation des niveaux de servi
ce en
continuité d’itinéraire relevant de plusieurs gestionnaires, réflexion qui
reste en l’état très limitée.
2 -
Des relations souvent délicates avec les gestionnaires
d’autres
types de réseaux
Les relations avec d’autres entités, comme la SNCF et VNF (Voies
navigables de France), par exemple, en matière de ponts de rétablissement
22
,
s’avèrent souvent insatisfaisantes et donnent rarement lieu à des
conventions cadre. Dans l’Hérault, 80
% de ces ouvrages au croisement
d’infrastructures de transports
ne font l’objet d’aucune convention de
gestion. Certaines conventions sont parfois contestées par l’une des parties.
Le recensement des ouvrages arrêté en 2020 en application de la loi
23
, certes
nécessaire, ne résoudra pas les difficultés constatées. Une généralisation des
conventions cadre apparaît donc souhaitable.
Par voie réglementaire
24
, a été mis en place un guichet unique
renseignant sur les différents réseaux (électricité, gaz, eau, fibre optique,
etc.). Selon certains services routiers, leur localisation manque encore de
précision
25
. Enfin, des difficultés avec les opérateurs de télécommunication
22
Les ponts de rétablissement sont des ouvrages construits pour rétablir des voies de
communication interrompues par une nouvelle infrastructure de transport (route et
autoroute, voie ferrée, canal).
23
Loi n° 2014-774 du 7 juillet 2014 visant à répartir les responsabilités et les charges
financières concernant les ouvrages d'art de rétablissement des voies.
24
Décret n° 2011-1241 du 5 octobre 2011 relatif à l'exécution de travaux à proximité de
certains ouvrages souterrains, aériens ou subaquatiques de transport ou de distribution.
25
Les communes ou leurs établissements doivent établir des fonds de plan permettant
d’identifier l’emplacement des réseaux avec précision et réduire les risques
d’endommagement. Les échéances s’étalent jusqu’en 2032.
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
31
ont été également signalées à l’occasion du déploiement de la fibre, comme
dans les Alpes-de-
Haute Provence lors de l’effondrement d'un regard de
canalisation
26
en 2020. Les sous-traitants des principaux opérateurs, ne
respecteraient pas toujours les règles de sécurité (arrêtés de circulation,
signalisations défaillantes, supports des infrastructures non entretenus).
II -
Un État qui
n’assume plus
son rôle
de supervision de
l’ensemble
du réseau routier
A -
Une méconnaissance des réseaux décentralisés
Par-
delà la gestion de son propre réseau non concédé, l’
État est
responsable d’une mission plus large, que lui a confiée la loi. De fait, l’article
L. 111-1 du code de la voirie routière prévoit que « l'État veille à la cohérence
et à l'efficacité du réseau routier dans son ensemble ; il veille en particulier à
la sécurité, à la cohérence de l'exploitation et de l'information des usagers, à
la connaissance statistique des réseaux et des trafics ainsi qu'au maintien, au
développement et à la diffusion des règles de l'art.
[…]
».
Cet article du code de la voirie routière a été introduit par la loi du
13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales (article 18),
pour garantir la cohérence d’ensemble de la gestion des routes et,
notamment, le maintien d’une véritable politique technique à l’échelle
nationale, après la disparition des directions départementales de
l’équipement, qui géraient les réseaux à l
a fois national et départemental.
La loi prévoyait, en particulier, la production par les collectivités
et la transmission à l’
État
d’informations en quantité importante, lui
permettant de continuer à assurer un suivi global
27
.
En réalité l’
État
n’a
26
Un regard est un ouvrage maçonné rond ou rectangulaire qui se situe au-dessus d'une
canalisation et dont le but est de permettre la visite et l'entretien d'une conduite
souterraine, d'un aqueduc ou d'un égout.
27
Article 130 de la loi de 2004 : « Tout transfert de compétences de l'État à une
collectivité territoriale entraîne pour celle-ci l'obligation de poursuivre, selon des
modalités définies par décret en Conseil d'État, l'établissement des statistiques liées à
l'exercice de ces compétences. Ces statistiques sont transmises à l'État. En vue de la
réalisation d'enquêtes statistiques d'intérêt général, les collectivités territoriales et leurs
groupements transmettent à l'État des informations individuelles destinées à la
constitution d'échantillons statistiquement représentatifs. L'État met à disposition des
collectivités territoriales et de leurs groupements les résultats de l'exploitation des
données recueillies en application du présent article ou de l'exploitation de données
recueillies dans un cadre national et portant sur les domaines liés à l'exercice de leurs
compétences. Il en
assure la publication régulière […]
».
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32
aujour
d’hui que peu d’informations sur la voirie des collectivités locales,
notamment parce que certains décrets d’application relatifs à
cette
loi n’ont
pas été pris. Ceci concerne, en particulier, les trafics. Ainsi, les statistiques
de circulation routière au niveau national sont souvent issues de données
de consommation de carburant (donc fiscales) plutôt que de remontées de
comptages. Comme on l’a vu au tableau présentant l’évolution de la
circulation selon les différentes catégories de routes (cf.
supra
tableau n°1),
ce dispositif ne permet pas de mesurer et distinguer les trafics sur les routes
respectivement départementales et communales.
1 -
Intérêt et limites de l’Observatoire national de
la route
Dans une certaine mesure, la création de l’Institut des routes, des rues
et des infrastructures pour la mobilité (IDRRIM)
28
, en 2010, puis, plus
spécifiquement, de l’ONR (Observatoire national de
la route) créé en 2016
et
porté par l’IDRRIM, sont venues combler ce manque d’information.
C’est
essentiellement dans les travaux de cet observatoire que la DGITM
29
trouve
, aujourd’hui,
les données sur les réseaux décentralisés.
L’ONR s’est donné pour mission de partager les connai
ssances en
vue d’évaluer l’efficacité des politiques techniques ainsi que de décrire
l’état du réseau routier et des financements qui lui sont consacrés
(notamment aux fins d’établir une corrélation entre ces deux variables).
Cependant, cette coopération relève exclusivement du volontariat.
L’engagement des
collectivités territoriales participantes à fournir des
données fiables ne peut compenser les importantes limites relatives
notamment à l’exhaustivité, l’harmonisation et la publicité des données.
Ainsi, on relève que dans les rapports publics annuels
de l’ONR
depuis
2017, la taille des échantillons varie selon les questions et les années. Si le
nombre total de départements ayant fourni des données sur au moins l’une
d’elles atteint 68 en 202
1, seuls 40 d
’entre eux en ont fourni à propos de l’état
global des chaussées, qui constitue un point essentiel. En outre, l’analyse de
l’évolution de ces dernières entre 201
9 et 2020
, qui nécessite d’avoir des
données pour les mêmes départements au titre de ces deux a
nnées, n’a été
possible que pour 25
d’entre eux
. De même, les échantillons de métropoles
n’en regroupent qu’
un nombre variable pour chacun des thèmes. Aucune
donnée n’a pu être publié
e
s’agissant du reste du bloc communal.
28
Qui
fédère l’ensemble des acteurs publics et privés, gestionnaires comme prestataires,
don
neurs d’ordre et industriels de la route
.
29
Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer.
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
33
Le recueil des données techniques repose sur les déclarations et les
évaluations faites ou diligentées par les collectivités elles-mêmes, sans
référentiel harmonisé
. L’ONR a mis au point une grille de correspondance
entre différentes méthodes s’agissant de
la situation des ouvrages d’art,
dont le caractère scientifique ne peut être entièrement garanti.
L’intégration
prévue des données communales issues du programme « Ponts » (cf.
infra
)
ne constituera qu’une avancée modeste, ne portant pas remède au problèm
e
plus général du recensement et de l’évaluation de l’ensemble de ces
ouvrages d’art, mis en exergue par un rapport
parlementaire
30
.
Il n’y a même rien de tel pour les chaussées, les départements
communiquant un avis sans référence commune sur leur état comme sur
leur évolution. Cette dimension déclarative, compte-tenu de la diversité des
méthodes, relativise les comparaisons qui peuvent être faites, malgré les
efforts d’homogénéisation de l’ONR, en particulier quand il s’agit de
suivre la part des chaussées jugées en « bon état ».
Pour sa part, le recueil des données financières se fonde
principalement sur la comptabilité fonctionnelle des collectivités. Les
retraitements demandés se limitent à des proratas des charges communes
et à un contrôle de cohérence pour les charges de personnel. De plus, la
définition des différents types de dépenses d’investissement peut donner
lieu à interprétations. Enfin, la présente enquête a pu montrer que certaines
données transmises dans un premier temps
à l’ONR étaient, en
réalité,
erronées (cas des Alpes-de-Haute-Provence). L
’observatoire n’a
, en effet,
pas de pouvoir de contrôle sur les éléments qui lui sont communiqués et ne
peut donc introduire ou suggérer les corrections nécessaires.
Le rapport publié synthétise et anonymise une production plus
étendue, dont la diffusion est restreinte aux répondants, ce qui nuit à la
transparence de données d’intérêt public
. Ainsi, par exemple, les résultats
financiers sont présentés par groupes de départements définis par la seule
taille de leur population, indépendamment de leur superficie et de leur
relief. Cela
limite grandement la possibilité d’étudier les corrélations entre
variables et de comparer les performances. Les dépenses de personnel en
sont exclues
, alors qu’elles en représentent une part substantielle et
par
ailleurs variable, en fonction des choix de recours à la sous-traitance.
Un simple renforcement des moyens de l’ONR ne lui pe
rmettra pas
d’atteindre les objectifs qui lui ont été fixés.
Sans remettre en cause cette
instance
d’analyse partagée, les remontées d’information que l’État est en
droit d’attendre au regard de ses responsabilités générales devraient
s’étendre, de manière
obligatoire, à certaines données relatives non
30
Sécurité des ponts : éviter un drame
, rapport d’information n°609, Sénat, octob
re 2019.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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34
seulement aux trafics mais aussi à l’état des réseaux, chaussées comme
ouvrages d’art –
informations dont le champ pourrait donner lieu à une
concertation avec les collectivités locales. Elles enrichiraient aussi les
bases de données de l’ONR et les échanges au sein de l’IDRRI
M.
On pourrait ainsi s’inspirer de l’exemple
anglais, qui voit le
Department for Transport
publier chaque année une évaluation des routes
gérées par les collectivités locales (cf. annexe 3).
2 -
Un manque de coordination stratégique à l’échelle locale
Seule la gestion des routes dites à grande circulation fait l’objet d’une
forme de coordination obligatoire entre l’État et les autres exploitants de
réseaux routiers, en raison de leur importance
31
. Pour le reste, directions
interdépartementales des routes (
de l’État
), et services routiers des collectivités
locales ignorent le plus souvent, en pratique, ce que font leurs vis-à-vis locaux.
Il n’existe généralement pas de cadre formel de
coordination entre eux,
que ce soit en matière de régulation de trafic, de programmation des travaux
d’investissement et d’entretien
32
. Les coopérations se nouent principalement
dans le cas de co-
financements ou de maîtrises d’ouvrage déléguées,
notamment à
l’occasion de la mise en œuvre des contrats de plan
État-région,
donc seulement
à l’occasion
de la réalisation de nouveaux aménagements.
3 -
La sécurité des ponts : des avancées limitées
Le recensement et l’évaluation de la sécurité des ouvrages d’art
constit
ue un point sensible, sur lequel l’opinion publique a été alertée par
certains accidents dramatiques. Plus généralement, les ouvrages de notre pays
doivent faire face à un vieillissement généralisé, puisque la construction d’une
part importante d’entre eux
remonte à l’après
-guerre, alors que leur espérance
de vie est estimée à 100 ans. Leur examen et leur suivi requièrent une attention
et des savoir-faire particuliers, notamment en fonction des matériaux utilisés,
de diverses natures : maçonnerie, métal, béton armé et précontraint. Le
rapport d’information présenté au Sénat en octobre 2019
,
Sécurité des ponts :
éviter un drame
, soulignait la grande méconnaissance à ce sujet, le nombre
total de ponts en France ne pouva
nt être estimé qu’à 50 000 près
33
.
31
Elles comprennent 9 000 km de RN, 34 000 km de toutes départementales et
1 000 km de routes communales.
32
Il y a des exceptions, comme l’atteste l’exemple de la DIR Nord, qui organise une
réunion annuelle sur ce sujet avec les autres gestionnair
es d’infrastructures.
33
Entre 200 000 et 250 000, selon ce rapport, dont 24
000 appartiennent à l’État
et
100 000 à 120 000, aux départements.
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
35
Le plan de relance de 2020 a prévu un effort en faveur des petites
communes puisqu’un programme national
« Ponts » financera des
opérations
de recensement et d’évaluation, à
réaliser par des bureaux privés,
sous l’égide du Cerema.
À
l’issue de ces diagnostics, les collectivités se
verront remettre des « carnets de santé » accompagnés de prescriptions en
matière de surveillance et d’entretien. Ce programme s’efforcera de donner
une vision nationale du patrimoine de ces petites collectivités, notamment
grâce à une base publique de données géographiques administrée par le
Cerema, et de développer des outils numériques permettant de surveiller
l’état des ouvrages d’art (
« ponts connectés »).
Cette démarche concerne environ 28 000 communes de moins de
10 000 habitants, éligibles en fonction de critères financiers
soit à peu près
68 000 ponts. Elle vise à pallier les conséquences de la suppression, en 2014,
de l’assistance technique pour des raisons de solidarité et d’aménagement du
territoire (ATESAT). Toutefois, elle ne règle pas la question des travaux
apparaissant nécessaires, dont le financement reste de la responsabilité des
collectivités
qui peuvent avoir recours aux dotations de l’Etat de droit
commun. Le plan de relance 2020, qui a fait peu de place à la route,
n’a donc
pas été l’occasion de mettre en chantier le
« plan Marshall » ni même le
recensement exhaustif réclamé par certains
34
.
B -
L
’affaiblissement de l’expertise
scientifique
et technique
L’affaiblissement du réseau scientifique et technique (RST), qui
assure un rôle
majeur en matière routière, qu’il s’agisse de recherche
appliquée, de diffusion des savoirs et des bonnes pratiques, de conseil et de
prestation directe de services, apparaît naturellement préjudiciable à la
mise en œuvre d’une véritable politique nationale. Il s’avère même
paradoxal dans le contexte de décentralisations routières successives qui
ont multiplié les maîtr
es d’œuvre et d’ouvrage,
ce qui rend
d’autant plus
nécessaires des références communes, des coordinations et un suivi à
l’échelle nationale.
En outre, on observe, à la suite des réductions
d’effectifs
et des départs à la retraite, un certain déclin des capacités
d’expertise et d’ingénierie au sein des services rout
iers, ce qui, au
demeurant, concerne également les DIR de l’
État.
À cet égard, la mise en place, récemment annoncée,
d’un comité
de pilotage de la doctrine technique routière rassemblant maîtres d’ouvrage
et organismes techniques ne saurait compenser la tendance actuelle
d’affaiblissement du niveau d’expertise.
34
Aux États-
Unis, le plan d’investissement adopté par le Congrès en 2021, comprend
l’équivalent de 90 Md€ en fav
eur de la rénovation des ponts, routes et autoroutes ainsi que
6 Md€ en vue de la construction d’un réseau national de stations de recharge électrique.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
36
Ce RST connaît une véritable rétraction, au demeurant largement
planifiée et annoncée par les pouvoirs publics, mais aussi déplorée par la plupart
des acteurs de la politique routière. Un précédent rapport de la Cour évaluait, en
1998, à 1 300 les effectifs se consacrant à la route au sein des différents
organismes concernés, ce qui garantissait (concomitamment au rôle des DDE)
une forme de qualité minimale sur tous les réseaux. Par comparaison, le
Cerema, issu
en 2013 du regroupement d’un certain nombre d’entre eux, ne
compte plus que 656 ETP affectés spécifiquement à la route aujourd’hui
35
.
Le Cerema
Créé par la loi du 28 mai 2013 portant diverses dispositions en matière
d’infrastructures et de services de transport, le Centre d’études et d’expertise sur
les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (
Cerema) résulte de
la fusion de 11
services techniques de l’
État : trois organismes centraux à
compétences thématiques, le Centre d’études sur les réseaux, les transports,
l’urbanisme et les constructions publiques (Certu), le Centre d’études techniques
maritimes et fluv
iales (Cetmef) et le Service d’études sur les transports, les routes
et leurs aménagements (Setra), d’une part, huit services déconcentrés, les Centres
d’études techniques de l’équipement (CETE), d’autre part.
La loi précise qu’il
« constitue un centre de
ressources et d’expertises
scientifiques et techniques interdisciplinaires apportant son concours à
l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques en
matière d’aménagement, d’égalité des territoires et de développement
durable, no
tamment dans les domaines de l’environnement, des transports
et de leurs infrastructures, de la prévention des risques, de la sécurité
routière et maritime, de la mer, de l’urbanisme, de la construction, de
l’habitat et du logement, de l’énergie et du clim
at ».
La constitution de ce nouvel établissement public à caractère
administratif découle
de la nécessité d’adapter l’organisation du ministère
chargé de l’équipement et de l’environnement à l’évolution des attributions
respectives de l’
État et des collectivités territoriales et de mieux prendre en
compte les enjeux du développement durable dans ses principaux domaines
de compétence, notamment la gestion des routes. Placé sous la tutelle du
ministère de la transition écologique, il a en effet pour ambition
d
»
apporte[r] aux acteurs territoriaux un appui en termes d’ingénierie et
d’expertise technique dans les neuf domaines qui composent ses activités,
dans l’optique de favoriser une transition vers une économie sobre en
ressources et décarbonée, respectueus
e de l’environnement et équitable
».
Le Cerema, dont la vocation est très large, constitue le principal
vecteur du RST
de l’
État dans le domaine des infrastructures routières, qui
représentent aujourd’hui 25 à 30
% de ses activités.
35
Soit 27% de ses effectifs totaux.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
37
Depuis sa création, l’
établissement est soumis à une réduction
continuelle de ses crédits et de ses effectifs. Ainsi, entre 2014 et 2019, la
subvention pour charges de service public a diminué de 11
%
, ce que n’a
que partiellement compensé l’augmentation de ses recettes
commerciales.
Entre ces deux dates, son plafond d’emplois a été réduit de près de 18
%
,
passant de 3 155 à 2 594. Il est prévu une nouvelle réduction
d’effectifs
d’ici
2022,
de l’ordre de 240 ETP à périmètre constant
. Cette situation a
d’ailleurs entraîné
, en 2017,
une crise de la gouvernance de l’établissement.
Elle conduit inéluctablement, dans le domaine routier, à une
diminution de ses prestations, voire fragilise son expertise
, d’autant que les
gains d’effectifs liés à
certains regroupements ou à la réorganisation des
fonctions support ont déjà été réalisés. De fait, les 17 laboratoires issus du
réseau des Ponts et Chaussées, de valeurs devenues inégales, n’ont plus la
compétence et les équipements nécessaires pour répondre partout aux
besoins des gestionnaires. Plus généralement, le Cerema a de moins en
moins les moyens d’apporter une aide efficace sans allongement important
des délais, alors qu’on lui fixe par ailleurs l’objectif légitime d’étendre
son
offre aux collectivités locales et de renforcer son rôle dans de nouveaux
domaines, comme le changement climatique. La perspective de recourir
aux services du Cerema sans publicité ni mise en concurrence préalables a
été ouverte aux collectivités adhérentes dans le cadre de la loi « 3DS ».
À tout le moins, le
rapport du CGEDD et de l’IGA sur l’avenir du
Cerema recommande le maintien au niveau actuel des emplois et de la
subvention pour charge de service public. Par ailleurs, il conviendrait de
définir une stratégie claire de répartition de l’expertise routière entre les
services de l’Éta
t, ses opérateurs, comme le Cerema, et le secteur privé,
aux fins de s’assurer de l’existence d’une offre adaptée aux besoins.
Les insuffisances ou l’absence d’une
expertise privée, en particulier
dans certains domaines ou territoires, l’effort programmé par l’
État dans la loi
d’orientation des mobilités de 2019 (LOM) en faveur de l’entretien routier,
ainsi que l’attachement de nombreux gestionnaires routiers, au niveau local, à
la possibilité de recourir à des techniciens compétents et impartiaux justifient
une stabilisation voire un renforcement des effectifs « routiers » du Cerema,
dans un secteur qui a longtemps constitué une filière d’excellence française.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
38
III -
Deux illustrations
d’une politique nationale
insuffisamment affirmée
A -
La sécurité routière :
un rôle de l’infrastructure
à mieux prendre en compte
La
politique de sécurité routière relève de la compétence de l’État,
qui définit des orientations et des règles. Néanmoins, chaque gestionnaire
routier y contribue dans la mesure où il est responsable de ses
infrastructures. Ce souci doit irriguer l’ensemble des actions, par exemple
quant à l’état de la chaussée et la signalisation.
À
l’occasion de la présente enquête, des départements ont fait état de
l’absence depuis plusieurs années de réunions sur l
es circonstances des accidents
mortels, dont l’initiative devrait relever des services de l’État (cas de l’
Indre-et-
Loire
ou de l’Aube). Cela n’empêche pas les départements concernés de mener
leurs propres analyses en lien avec les forces de l’ordre, mais
elles sont réalisées
en n’ayant qu’un accès limité aux bases de données
pertinentes
(sur l’alcoolémie,
l’usage de stupéfiants, les décès postérieurs à l’accident, l’âge des victimes
, etc.).
Si la route est rarement le facteur principal des accidents, son entretien et
son aménagement constituent aujourd’hui une des voies d’avenir de la politique
de sécurité routière, dont les résultats globaux tendent actuellement à plafonner.
En effet, l’infrastructure
pourrait jouer un rôle plus important dans la diminution
des risques. Il s’agit, d’une part, de réduire la probabilité de la survenance d’un
accident
grâce à la limitation des sources d’erreurs des conducteurs et la
possibilité de « rattrapage » de celle-ci, auxquels peuvent contribuer une
meilleure visibilité de la signalisation et la largeur des accotements, par exemple.
Il s’agit, d’autre part, d’atténuer la gravité de ses conséquences, qui dépend de
l’environnement du véhicule. On peut citer l’exemple des obstacles latéraux qui
peuvent transformer un écart de conduite en accident mortel et,
a contrario
, des
glissières de sécurité, qui peuvent sauver des vies
36
.
À cet égard, placer la délégation à la sécurité routière sous la tutelle
conjointe des ministres de l’intérieur et des transports, ainsi que le
recommande un récent rapport de la Cour des comptes
37
, permettrait de
mieux prendre en compte l’ensemble des facteurs dans le cadre d’une
approche renouvelée, dite de « route pardonnante »
(c’est
-à-dire qui
minimise les effets des erreurs de conduite).
36
Une mauvaise conception de celles-ci pouvant toutefois aggraver le danger pour les
deux-roues.
37
Cour des comptes,
Évaluation de la politique publique de sécurité routière
, juin 2021.
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
39
Certes, la préoccupation liée aux infrastructures est ancienne et se
matérialise par certaines procédures
38
, telle la démarche SURE (sécurité
des usagers sur les routes existantes), fondée sur l’analyse de
l’accidentologie, et ISRI (inspections de sécurité routièr
e des itinéraires),
basée sur des relevés d’anomalies lors de trajets d’observation.
Toutefois, outre un déclin
des études d’accidentologie les plus
approfondies, on constate une certaine routine dans l’action des services de
l’État. Les directions interd
épartementales ne produisent pas de véritable
analyse en la matière et ont peu recours aux nouveaux outils numériques.
Ce manque d’implication, notamment le
déficit
d’appropriation de ce sujet
par les centres d’exploitation et d’intervention (CEI)
39
, contraste avec le
suivi assuré par les sociétés concessionnaires d’autoroutes et les initiatives
prises par certains conseils départementaux particulièrement actifs dans ce
domaine. De fait, ces derniers sont parfois confrontés à un niveau élevé
d’accidentologie
, les routes départementales concentrant près des deux
tiers des décès sur le tiers du linéaire national.
Ces initiatives reposent notamment sur les possibilités offertes par
les nouveaux outils numériques qui permettent de détecter les incidents de
condui
te, même légers, et de traiter des données de masse. C’est le cas dans
le cadre du programme S_
VRAI (Sauver des Vies par le Retour d’Analyses
sur Incidents)
mené par l’Université Gustave Eiffel
et le Cerema, en
collaboration avec le département du Doubs et. Ces avancées prometteuses,
parfois mises en œuvre par des unités opérationnelles spécifiques,
pourraient
inspirer l’ensemble des gestionnaires de routes locales (dont
l’engagement reste en fait très inégal)
mais aussi un renouvellement des
pratiques de l
’État
. À cet égard, il convient de mettre en place les moyens
d’exploiter pleinement les
données des véhicules, celles-ci devenant
accessibles en vertu d’
une ordonnance prise en application de la loi
d’orientation des mobilités
,
Par ailleurs, une question particulière concerne tant la sécurité
routière que la préservation du patrimoine routier : la lutte contre la
surcharge des poids lourds (PL). Ainsi,
l’effondrement du pont de
Mirepoix-sur-
Tarn, en octobre 2019, s’explique
-t-
il par le passage d’un
camion
et d’une remorque d’un poids total de 40 tonnes sur un ouvrage
38
Il convient également de souligner la mise en œuvre de politiques «
thématiques »,
(tunnels, fortes pentes, passages à niveaux…) souvent décidées à la suite d’accidents
graves qui ont choqué l’opinion publique.
39
Unités de base en charge de l’exploitatio
n et de la surveillance des routes nationales
au plus près du terrain, tandis que le siège des DIR assure des fonctions de gestion des
crédits, d’ingénierie, de programmation, de maîtrise d’œuvre et d’ouvrage des travaux.
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COUR DES COMPTES
40
métallique d’une capacité maximale de 19 tonnes. Selon certaines
estimations, 10% des PL en circulation seraient en surcharge
40
. Or, l’État
n’a déployé que 29 stations de pesage en marche. Il a
pparaît donc opportun
d’augmenter le nombre et les moyens des contrôles du poids des véhicules
utilitaires (une enveloppe de 2,4
M€
a été prévue en 2022) et, en outre, de
renforcer les pouvoirs des agents du ministère qui en sont chargés.
À cet égard, on peut relever que certains départements comme la
Haute-
Loire ont mis en place une vidéosurveillance des ouvrages d’art
sensibles, soumis à des limitations de tonnage.
B -
La prise en compte du défi environnemental
Le défi environnemental en matière routière est
double. Il s’agit à la
fois de limiter l’empreinte écologique de l’infrastructure mais aussi
de
l’adapter aux effets
du changement climatique
pour qu’elle continue
d’
assurer parfaitement toutes ses fonctions.
1 -
Une protection de l’environnement qui donne li
eu à
des pratiques diverses et non coordonnées
Cette préoccupation donne d’ores et déjà lieu à de nombreuses
réalisations concrètes visant à la protection des milieux et de la biodiversité
(fauchage raisonné
41
et interdiction de l’usage des produits phytosanitaires,
préservation des « dépendances bleues », diminution de la consommation de
sel), à
la limitation de l’utilisation d’énergie fossile et des émissions de gaz à effet
de serre (recours à des enrobés tièdes ou froids, à des enduits superficiels à
émulsion de bitume, recyclage au moins partiel des déchets lors des réfections).
Certains départements comme la Somme ont mis en place un
écocomparateur permettant d’analyser de manière objective l'empreinte
environnementale des solutions proposées par les entreprises en solution
de base ou en variantes dans le cadre des appels d'offres.
D’autres
tentatives
ponctuelles ont été relevées
comme l’expérimentation d’un
kilomètre de route
recueillant l’énergie solaire dans l’Orne.
40
Déclaration du secrétaire d’Etat aux transports, sur la sécurité des ponts en France,
au Sénat le 2 octobre 2019.
41
Le fauchage raisonné consiste à limiter la fréquence des tontes au strict nécessaire
pour préserver la faune et la flore.
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
41
Toutefois, sauf en matière de fauchage raisonné, ces initiatives s’avèrent
très diverses et non coordonnées
42
et il y a peu de prescriptions, alors que les
enjeux concernent chaque gestionnaire
. Il n’existe pas non plus d’approches et
de bilans systématiques partagés
43
facilitant l’intégration de cette politique dans
les pratiques quotidiennes. Cela concerne notamment la question des coûts qui
conditionne une demande de financement auprès de l’
État, évoquée par certains
départements.
En fait, il n’y a même pas
les moyens
de s’assurer de la correcte
mise en œuvre des quelques prescriptions législatives
existantes, comme les
obligations de recyclage prévues à l’article 79 de la loi relative à
la transition
énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015.
Par ailleurs, on ne peut qu’être frappé par l’écart existant, entre la
relative modestie de ces initiatives, au moins au plan financier, et
l’ampleur
de moyens mobilisés par les sociétés concessionnaires
d’autoroutes
(des
centaines d
e millions d’euros), en particulier à la suite des différents plans
de relance ou d’investissement autoroutiers. En effet,
ces plans ont permis
de financer des aménagements nombreux, variés, coûteux et relativement
systématiques, en échange d’allongements
de la durée des concessions ou
de hausses des péages
44
. Une nouvelle
fois, l’existence de ressources
spécifiques et la disparité des moyens financiers aboutissent à des niveaux
d’ambition très inégaux entre réseaux concédé et non
concédé.
Un autre exemple de différences peu justifiables peut être cité : la
question des amiantes
45
dans la reprise des chaussées, qui créent un risque
sanitaire, en particulier lors des travaux de voirie. Le ministère a élaboré
une cartographie, des stratégies d’intervention adaptées et d’information
du personnel.
Enfin, certaines innovations mériteraient une plus grande diffusion,
comme en matière de viabilité hivernale.
42
À la suite du Grenelle de l’environnement de 2008, une convention d’engagement
volontaire a toutefois été signée par un peu plus de la moitié des départements. Un bilan
publié en 2020 dans la revue générale des routes et de l’aménagement met en avant
l’augmentation du taux de recyclage depuis 2009 et la diminution des émissions de gaz
à effet de serre. Ces émissions progressent cependant à nouveau depuis 2017.
L’IDRRIM a publié en 2021 une nouve
lle prop
osition de pacte d’engagement, qu’il
souhaite assortir du suivi d’objectifs et d’indicateurs chiffrés
43
Les rapports sur la situation en matière de développement durable que doivent
produire chaque année les départements contiennent des éléments relatifs à la voirie
mais leur contenu n’est pas normalisé.
44
En 2008, un « paquet vert
» a acté 1 Md€ de travaux supplémentaires à visée
environnementale. Le plan de relance autoroutier, de 2015, et le plan d’invest
issement
autoroutier, de 2017, prévoient, entre autres, à nouveau plusieurs centaines de millions
d’euros au total pour ce type d’opérations.
45
Parfois utilisées, jusque dans les années 1990, pour accroître la durabilité des couches
de finition.
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COUR DES COMPTES
42
Une viabilité hivernale plus économique et plus écologique
Des capteurs intégrés dans la couche de roulement peuvent mesurer
la température des chaussées, préalable au déclenchement d’interventions
de salage et limitant le volume répandu.
En Aveyron, ce système a permis une baisse de 15 % des quantités de
produits utilisées. Pendant un hiver « moyen », la baisse de consommation
de 640 tonnes de sel induit une économie de 50 000
€.
De même, dans la
Somme, des matériels embarqués permettent de mesurer non seulement la
température de la chaussée, la température dans
l’air, le point de rosée mais
aussi un coefficient d'adhérence.
La Savoie expérimente ce type d’outils après avoir investi près d
e
1
M€
dans l’outil de production locale de saumure
46
. Le département estime
la réduction de sel répandu de 15 à 20 % et 2 à 3 000 tonnes ainsi non
déversées, soit une économie de 170 000 à 250 000
€ par an
.
2 -
La résilience des infrastructures à l’épreuve
du changement climatique
Dans le Gard, plus de la moitié des 13
M€
des dépenses de réparations
sur 2014-2018 ont été dues aux intempéries des années 2015 et 2016. En 2018,
un seul épisode pluvieux dans l’Hérault a provoqué des dépenses à hauteur de
2,7
M€
. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, le coût de telles réparations a atteint
5
M€
en 2019. Cette politique essentiellement curative se traduit dans ce dernier
département par l'importance croissante des travaux imprévus et urgents.
Ces phénomènes sont en partie imputables au changement
climatique, qui exerce des effets d’ores et déjà sensibles.
L
’accroissement
des risques naturels
crée une concurrence dans l’attribution des crédits au
détriment de l’entretien traditionnel. Les phénomènes d’inondations se
conjuguent avec des périodes de sécheresse
, d’
intense à caniculaire. Les
dégradations peuvent être accentuées par la présence d’ar
gile dans les sous-
sols du fait d’un phénomène de retrait
-gonflement, comme dans le Grand
Est (un quart du réseau concerné dans l’Aube, soit plus de 1
000 km), en
région Centre-Val-de-Loire ou encore dans le Dunkerquois. Ces
sécheresses répétées obligent à des travaux récurrents, notamment pour
prévenir des déformations pouvant augmenter les risques d’accident. Cinq
départements de la région Centre Val-de-
Loire ont d’ailleurs passé des
contrats avec le Cerema
sur ce sujet. Chacun d’eux expérimente une
technique différente pour en prévenir les conséquences sur les chaussées.
46
La saumure, le sel et la bouillie de sel sont différents types de fondants utilisés pour
la viabilité hivernale. La saumure est du sel dilué avec de l’eau. Le sel est utilisé sous
forme de cristaux. La bouillie de sel est un mélange de saumure et de sel en cristaux.
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L’ABSENCE D’UNE
VÉRITABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
43
Du fait de leurs caractéristiques physiques et de la météorologie, les
routes de montagne ont une durée de vie réduite de 30 à 50 % au-dessus de
800 mètres d’altitude, selon une estimatio
n faite pour la Haute-Savoie.
L’incidence du réchauffement climatique y est aussi plus forte, accélérant
leur vieillissement. De fait, les cycles gel/dégel, cause importante de
dégradations, deviennent plus nombreux alors qu’auparavant les périodes
de gel continu étaient plus longues. On constate des alternances rapides de
chutes de neige et de pluies abondantes. En période estivale, les orages sont
plus fréquents et plus intenses.
Une recrudescence des glissements de terrain, des coulées de boues et
des laves torrentielles conduit ainsi à une croissance des budgets dits
«
d’urgence
» en Savoie : de 2
M€
par an environ en moyenne à 4
M€
par an
depuis 2014 voire davantage pour les années exceptionnelles
6,8
M€
en
2018 et plus de 9
M€
en 2015. Les évènements dramatiques d’octobre 2020
dans la vallée de la Vésubie et de la Roya
des pluies diluviennes
s’accompagnant de crues brutales ont détruit habitations et routes –
induiront
évidemment des charges financières
d’un ordre de grandeur
bien supérieur.
Photo n° 1 :
chutes de blocs rocheux
Source : département Haute-Savoie (Bioge)
En Haute-
Savoie, face à l’augmentation tendancielle d
es dépenses
générées par ces phénomènes, un renforcement de la surveillance
via
des
diagnostics réguliers dits « multirisques naturels »
s’avère nécessaire. Il en
est de même de la planification de la rénovation des ouvrages de génie civil
sur les axes majeurs. Les intempéries de l’hiver 2017/2018 ont provoqué
un surcoût de 6,6
M€.
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COUR DES COMPTES
44
Photo n° 2 :
glissement de terrains
Source : département de Haute-Savoie (Saint-Jean-de-Sixt)
Améliorer la résilience des infrastructures suppose une action de
long terme associant projections
, techniques classiques d’assainissement
des chaussées et solutions innovantes.
Enfin, outre les chaussées et les
ouvrages d’art, les dépendances sont
aussi victimes des effets du changement climatique. Les arbres
d'alignement peuvent souffrir de la croissance d’espèces nuisibles liées aux
températures hivernales moins
froides, ce qui implique l’usage de moyens
de protection pour les agents lors d'interventions curatives, comme dans
l’Aube. Les pics de chaleur, comme les épisodes de vents violents plus
fréquents, les fragilisent également. Le conseil d'architecture, d'urbanisme
et de l'environnement (CAUE) de l’H
érault a formulé par exemple des
recommandations de plantation d’espèces adaptées.
La croissance des coûts induite par le changement climatique
concerne l’ensemble des départements, les
enjeux financiers étant
particulièrement élevés dans les territoires montagneux, ce à quoi les règles
des finances locales ne
permettent pas aujourd’hui de
répondre
47
. À cet
égard, une meilleure connaissance des coûts dus au changement
climatique, notamment, pourrait constituer un élément
d’une réflexion
pour une éventuelle réforme dans ce domaine.
47
La péréquation financière entre départements, au titre des droits de mutation ou de la
cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ne prend aucunement en compte les charges
de voirie ; en revanche, la dotation globale de fonctionnement versée pa
r l’État prend en
compte la longueur des linéaires routiers, en distinguant les zones de montagne et les autres.
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L’ABSENCE D’UNE VÉRI
TABLE POLITIQUE ROUTIÈRE NATIONALE
45
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Les décentralisations successives et la disparition des DDE ont
donné à l’ensemble des routes gérées directement par des services de l’État
un caractère résiduel, tandis que s’affaibl
issait son réseau scientifique et
technique, garant de doctrines et de pratiques relativement harmonisées.
Faute, par ailleurs, d’instance de coordination et d’implication du
ministère compétent, cet état de fait a conduit à l’effacement d’une
véritable politique nationale.
Il en découle un manque de cohérence et des inégalités parfois peu
justifiables entre les différentes composantes du réseau non concédé,
national et local. Dans ces conditions, il y a lieu de concevoir une stratégie
nationale rénovée, incluant les enjeux de sécurité routière et de transition
écologique dont les effets sont d’ores et déjà sensibles.
La généralisation progressive de la compétence routière à tous les
niveaux d’administration publique ne s’est, de surcroît, pas faite
systématiquement selon le niveau d
’intérêt des routes ou la continuité d
es
itinéraires. Financements croisés et doubles responsabilités sur les mêmes
voies ne facilitent ni la gestion par les collectivités ni la compréhension
pour l’usager.
Dans ce contexte, il apparaît que ni
la lettre ni l’esprit de la
décentralisation de 2004
n’ont été respectés
, dans la mesure où celle-ci
prévoyait, en contrepartie du transfert de la propriété de certaines routes,
un renforcement des moyens de suivi de l’
État, et réaffirmait son rôle
consistant à
veiller à la cohérence et à l’efficacité du réseau routier dans
son ensemble. En tout état de cause, tout transfert supplémentaire, dans le
cadre d’une nouvelle étape de la décentralisation, doit s’accompagner de
mesures adéquates lui
permettant d’assurer les obligations qui
demeureront les siennes. Il existe pour cela un préalable
disposer d’une
bonne connaissance des réseaux
et un outil à pérenniser
le réseau
scientifique et technique.
De l’avis même de plusieurs départements, l’hétérogénéité des
pratiques et des référentiels va s’accentuer du fait des
départs en retraite
des personnels issus des anciennes DDE
de l’État. En l’occurrence, il
s’agirait de
se donner les moyens
d’un partage de l’information,
de
l’expertise
et d’une doctrine technique concertée, c’est
-à-
dire d’une pleine
réussite de la décentralisation routière. Toutefois, le besoin de
coordination va au-
delà d’un tel
partage. Il
requiert la mise en place d’une
instance de discussion, éventuellement en étendant les fonctions du comité
de pilotage de la doctrine technique précédemment cité, voire des
conventionnements entre État et collectivités, garantissant une certaine
harmonisation des pratiques à chaque fois que cela apparaît souhaitable.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
46
Il conviendra, en outre, de prévoir
et d’organiser
les nombreuses
adaptations des infrastructures rendues nécessaires par les transitions
écologique et numérique. Ceci concerne
, par exemple, l’
électrification des
motorisations
(d’où
l’installation
de
bornes
de
recharge)
et
l’
autonomisation au moins partielle des véhicules
(d’où, potentiellement,
des routes à « connecter »). La tâche de diffusion des savoir-faire et de
coordination des acteurs revient naturellement à l’
État.
Si la
tâche de coordonner la définition d’une p
olitique routière
nationale,
en concertation avec l’ensemble des collectivités
, revient à
l’
État, les outils de pilotage et les décisions prises, que ce soit en matière
de niveaux de service, de leur organisation
ou de dépenses d’entretien,
relèvent naturellement de chacun des gestionnaires.
En contrepartie, ils
ont un devoir de responsabilité et de transparence quant aux résultats de
leurs politiques.
La Cour formule les recommandations suivantes :
1. Après concertation avec les collectivités territoriales, définir une
politique routière
applicable à l’ensemble du réseau et
incluant les
impératifs de la sécurité routière et le défi de la transition écologique (État,
d’ici 2025)
.
2. Organiser au niveau national une remontée obligatoire des
données
relatives à l’ensemble des réseaux
routiers et les intégrer dans un
système d’information
partagé
(État, départements, d’ici 2024)
.
3. R
enforcer l’expertise routière du Cerema, clarifier
son périmètre
par rapport au secteur privé, et faciliter les conditions de sa mobilisation
par les collectivités territoriales
(État, Cerema, d’ici 2025)
.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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Chapitre II
L’insuffisance
des outils de pilotage
et de programmation
Un suivi détaillé et global
des réseaux, qu’il s’agisse de leur état ou
de leur utilisation, ne sera possible
qu’en garantissant la
fiabilité des
données afférentes et leur comparabilité, à catégorie de voies équivalentes.
Il constitue la condition
d’un
pilotage de qualité et de la rationalisation de
programmation des travaux,
aujourd’hui inachevée
.
I -
Un patrimoine dont l’état reste mal connu
A -
Le réseau national : une lente dégradation
1 -
Une information publique pour le moins limitée
Avant 2009, les documents budgétaires comportaient de nombreux
indicateurs permettant de mesurer la performance de la gestion des routes
nationales au regard de trois objectifs : améliorer la sécurité et la qualité de
service du rése
au (accidentologie, état des routes et services à l’usager),
moderniser efficacement ce dernier en maîtrisant les dépenses, entretenir et
exploiter au meilleur coût. Des enquêtes menées par le Centre de recherche
pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) donnaient un
éclairage sur le degré de satisfaction des usagers, cette notation distinguant
l’appréciation de l’état de l’infrastructure, d’une part, de la qualité de services,
d’autre part. Le fait de porter à la fois sur le réseau concé
dé et non concédé
autorisait d’intéressants rapprochements entre infrastructures objectivement
comparables, comme les autoroutes, qu’elles soient concédées ou non –
alors
que des usagers sont parfois obligés de constater une différence de qualité
notable d
e part et d’autre des barrières de péage.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
48
À partir de 2009, cette évaluation s’est trouvée diluée dans une
nouvelle architecture budgétaire plus large, dans le souci d’une vision pl
us
synthétique et intermodale, d’où une réduction drastique du nombre
d’indicateurs. En définitive, demeurent aujourd’hui deux indicateurs
relatifs à l’état, respectivement, des chaussées et des ouvrages d’art, ce qui
signifie aussi que certaines parties du patrimoine (échangeurs, aires,
dépendances) ne font pas l’objet d’un
tel suivi.
Sans les multiplier à
l’
excès, i
l importe donc d’enrichir
leur
nombre en allant au-
delà du seul état des chaussées et des ouvrages d’art et
en distinguant, comme auparavant, autoroutes concédées, non concédées
et autres routes nationales, ce qui permettrait
d’avoir des moyennes
pertinentes et de pouvoir comparer ce qui est réellement comparable. En
outre, un bilan annuel de la politique routière nationale pourrait en retracer,
en concertation avec les collectivités territoriales, une présentation plus
complète que dans les documents budgétaires.
2 -
Les chaussées : un suivi dont la réforme est encore inaboutie,
un linéaire qui continue de se détériorer
Les dégradations des chaussées se caractérisent principalement par leur
profondeur, ce qui permet de juger si elles sont structurelles ou superficielles.
Schéma n° 3 :
l
es différentes couches d’une chaussée
Source : Routes de France
Entre 1992 et 2018, l’État a mis en œuvre un outil d’évaluation des
chaussées baptisé « Image Qualité du réseau routier National » (IQRN) reposant
sur des relevés visuels de désordres par sections de 200 mètres, effectués par le
Cerema par tiers du réseau chaque année. Il différait de celui utilisé pour les
autoroutes concédées
une situation en soi
préjudiciable à l’évaluation des
priorités d’entretien à l’échelle de tout le réseau, concédé ou non.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
49
La note attribuée constituait un indicateur financier du coût de
réparation des chaussées, d’après la définition d’une solution de travaux
permettant de la restaurer dans son état de référence. Elle servait au suivi de la
valeur des chaussées au niveau national
48
et, surtout, à la répartition des crédits
budgétaires entre directions interdépartementales des routes (DIR), mais non à
la programmation de travaux, ce qui aurait exigé que les dégradations soient
localisées et diagnostiquées de manière précise et adéquate.
L’indicateur
de performance relatif à cette politique, présenté avec le
projet de loi de finances, résultait simplement de la moyenne de ces notes.
Comme les campagnes de relevé se faisaient par tiers, les résultats afférents
à une année n correspondaient à des mesures réalisées en n-3, n-2 et n-1. Les
données tendaient à montrer une dégradation lente mais continue. Une
analyse plus détaillée fait ressortir le choix qui a été fait d’accepter une
détérioration généralisée mais limitée, plutôt que de préserver avant tout les
routes les plus structurantes.
Tableau n° 2 :
é
volution de l’IQRN
(note sur 20)
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
16,78
16,46
16,39
16,44
16,39
16,27
16,26
16,18
16,06
16,05
Source : PLF (2020)
On établissait cette note sur 20 d’après un catalogue de désordres
pouvant affecter les routes. Zéro (sur 20) impliquait une reconstruction à
neuf tandis qu’un 20 signifiait que la chaussée était en parfait état.
Une note
de 17 correspondait à un état considéré comme satisfaisant.
Comme on le voit, non seulement les résultats annuels se situaient
en-dess
ous de cet objectif, mais ils s’en éloignaient. L’augmentation des
moyens n’avait donc pas d’effets visibles, ce que la méthode d’évaluation
qui introduit une forme de retard, ne peut entièrement expliquer. Cette
détérioration était également attestée par la hausse de la proportion des
surfaces nécessitant des travaux d’entretien, passée en une dizaine
d’années, de 43
%
à 53
%
.
L
’État a décidé d’une refonte de ce dispositif, en fixant l’objectif
d’une mesure annuelle et améliorée ainsi que d’une auscultati
on selon un
rythme quadriennal de la totalité des autres voies que celle de droite
(traditionnellement examinée), bretelles et échangeurs compris. Ce
dispositif automatisé (« Aigle 3D ») associe balayage laser, imagerie 3D et
géolocalisation. Plus objectif et beaucoup plus précis, il devrait être
directement utilisable pour la gestion de l’entretien, la programmation et la
mise en œuvre d’une véritable maintenance prédictive.
48
137 Md€ fin 2019 (valeur à neuf
- coût de remise en état). La valeur des autoroutes
concédées atteignait, pour sa part, 163,7 Md€.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
50
Une double campagne d’estimation
menée la même année selon les
deux méthodes était censée fournir le moyen de raccorder
l’
ancien et le
nouvel indicateur. Cette tâche s’est toutefois avérée impossible
49
, de sorte
que la profondeur tem
porelle de l’IQRN a été perdue. En outre,
pendant
une période de transition, ce suivi et son compte rendu dans les documents
budgétaires n’ont plus été assurés convenablement.
À court terme, cette
transition laborieuse a provoqué d’autres perturbations, dans l’allocation
des moyens aux différentes DIR des crédits pour l’entretien des chaussées.
Ainsi, la DIR Ouest a-t-elle dû faire face à un recul de 31
%
du budget
afférent en 2021, alors qu’il aug
mentait de 40
%
pour la DIR Sud-Ouest,
par exemple. De tels à-coups nuisent à la programmation des travaux et,
plus généralement à la mise en œuvre d’une politique de long terme.
À l’avenir,
le décalage temporel entre les relevés sur le terrain, le
calcul des indicateurs et leur publication, bien que réduit
50
, demeurera
sensible et il n’est pas certain que le nouvel instrument puisse servir à la
sélection et la programmation des chantiers.
Tableau n° 3 :
chaussées, réalisations de 2020
51
2018
2019
2020
2021
Prévision
actualisée
2022
Prévision
2023
Cible
Ancien indicateur
IQRN
16,05
16,05 (valeur
2018 reconduite)
Sans
objet
Sans objet
Sans
objet
Sans
objet
Nouvel indicateur :
% des chaussées
nécessitant un
entretien de surface
ou de structure
Sans
objet
46,1%
48,9 %
50 %
50 %
52 %
Nouvel indicateur :
% des chaussées
nécessitant un
entretien de structure
Sans
objet
16,75%
18,64 %
19,5 %
20,5 %
22 %
Source :
Cour des comptes, d’après programme annuel de performance relatif au programme 203
Infrastructures et services de transports
), annexé au PLF 2022
49
Ces dif
ficultés semblent surtout jeter un doute sur la fiabilité de l’ancien indicateur.
50
Ainsi, les valeurs du Projet de Loi de Finances 2022 (rendues publiques fin 2021)
relatives à 2021 consistent en des « prévisions actualisées » de mesures faites en 2020,
celles-
ci n’étant pas encore disponibles au
moment du PLF.
51
Publiées dans le programme annuel de performance relatif au programme 203
(
Infrastructures et services de transports
), annexé au PLF 2022.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’INSUFFISANCE DES
OUTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
51
Sous les réserves qui viennent d’être évoquées
, les données,
prévisions et objectifs du programme annuel de performance afférent au
PLF pour 2021 révèlent donc la poursuite d’une tendance à la dégradation,
malgré l’effort budgétaire consenti depuis 2015.
Les documents
budgétaires ne fournissent aucune explication à cet égard, non plus qu’à
propos des cibles fixées, qui prennent acte de cette tendance défavorable.
3 -
Les ouvrages d’art
: un patrimoine qui aurait cessé
de se détériorer
Dans leur cas, un système
d’information IQOA (image qualité des
ouvrages d’art) mis en œuvre depuis 1995 pour les ponts, puis étendu aux
murs en 2006, donne lieu à une inspection par tiers tous les ans. Ce sont
des inspections menées par des agents des DIR qui permettent de classer
les désordres selon leur gravité, alors que les sociétés concessionnaires
confient cette tâche à des cabinets
privés et que l’IQRN fait l’objet de
campagnes de mesures effectuées par un organisme extérieur, le Cerema.
Plus généralement, en raison des risques que leur détérioration fait
courir, les ouvrages d’art donnent lieu à un suivi défini de manière précise
par une instruction technique nationale. Il consiste en des contrôles
annuels, des visites d’évaluation tous les trois ans
, comme on vient de le
voir, et des inspections détaillées tous les six ans en moyenne
52
. Ce suivi
régulier et rigoureux semble prémunir, en France, contre le risque
d’effondrement, mais non contre celui d’un vieillissement généralisé
conduisant à de nombreux besoins de travaux au même moment.
Il n’en
reste pas moins que, d
’après l’indicateur IQOA, l’état de ces ouvrages
serait aujourd’hui stabilisé.
Tableau n° 4 :
i
ndicateur issu de l’IQOA
: % des ouvrages
en bon état structurel
2012
2016
2017
2018
2019
2020
2021
88,1 %
86,8
%
88,3
%
88,9
%
88,9
%
88,6
%
87,8
%
Source : PLF (2022). PAP du programme 203
52
Des dispositifs de surveillance renforcés s’appliquent aux ouvrages jugés les plus détériorés.
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COUR DES COMPTES
52
B -
Les réseaux départementaux : une connaissance
inégale de leur état
1 -
L’état des chaussées
: un suivi insuffisant au vu
du vieillissement du réseau
Les départements recourant aux seules patrouilles des agents des
services routiers et à leur connaissance empirique pour faire le bilan de
l’état des chaussées, comme dans l’Orne
sont devenus rares. Toutefois, la
multiplication des campagnes d’évaluation plus ou moins automatisées
frappe par leur caractère disparate, leur fréquence souvent faible et des
périmètres le plus souvent limités
53
. Ceci empêche généralement d’en faire
des outils de programmation des travaux mais aussi de comparaison entre
réseaux, en l’absence d’une grille d
e lecture harmonisée des différentes
méthodes d’auscultation employées.
Seuls 40
%
des départements de l’échantillon retenu par les
juridictions financières ont mené une campagne généralisée à l’ensemble
de leur réseau, quelle que soit son ampleur. Une légère majorité a eu
recours à des méthodes automatisées, donnant lieu à une notation
objectivée, mais ce, sur une partie parfois très réduite de leur réseau. Une
fréquence inférieure à quatre ans est rare, comme par exemple dans les
deux départements savoyards.
L’amélioration récente des diagnostics de chaussées en Haute
-Savoie
Avant 2017, un seul opérateur du pôle routes parcourait et évaluait
annuellement entre 200 à 300 km du réseau le plus fréquenté. Il fallait cinq
ans pour en avoir une vision complète. Quant aux voies moins circulées,
leur état était ponctuellement évalué par les services déconcentrés du
département avec la même grille d’analyse
, mais la multiplicité des
intervenants rendait les résultats incertains.
En 2017, une campagne d’auscultation
à grand rendement a été
externalisée pour le réseau de première catégorie puis étendue au réseau
secondaire l’année suivante. La périodicité du relevé est de trois ans avec
un tiers du réseau à relever chaque année. Cette démarche repose sur un
système de notation basé sur un ensemble de relevés et mesures afin
53
Plusieurs expérimentations et projets de recherche collaborative sont en cours.
L’Institut pour la recherche appliquée et l’expérimentation en génie civil coo
rdonne par
exemple des travaux relatifs aux mécanismes de dégradation, aux méthodes de
diagnostic et à l’évaluation de la durée de vie des chaussées. Ce projet associe huit
départements et devrait se terminer fin 2022.
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
53
d'obtenir des indications sur les dégradations et les déformations. Ces
relevés et mesures sont ensuite pondérés dans une notation globale qui doit
servir de base à l'établissement des programmes d'entretien des chaussées et
permettront à terme de mesurer l'évolution de leur état. Le département a
ainsi réalisé un effort important de cohérence et de méthodologie.
Cependant, le relevé par tiers complique le suivi des indicateurs.
Ainsi, avec les techniques actuelles, il apparait pertinent de
privilégier le relevé d’une image complète du réseau tous les trois ans plutôt
qu’un relevé partiel annuel. En réponse à cette observation de la chambre
régionale des comptes, le président du conseil départemental
indique qu’il
fera évoluer la méthodologie.
L’objectivation de cette évaluation n’implique pas
forcément son
externalisation auprès d’un partenaire privé. En Moselle, les relevés sont
réalisés en interne. Deux agents sillonnent le territoire en véhicule, munis
d’une tablette permettant mesures et géolocalisations.
L’appréciation donnée par les gestionnaires (bon état/nécessitant
entretien/mauvais état) fait apparaitre des différences très importantes entre
entités qui ne sont explicables que par la « subjectivité » des répondants
aux questionnaires des chambres régionales ou la diversité des seuils fixés
et des critères de pondération. Le suivi dans le temps d’informations aussi
élémentaires que l’âge des couches de roulement, n’est pas toujours
disponible (30 %
de l’échantillon). Certains départements ne centralisent
pas les données issues des fiches de relevé des dégradations et des travaux
d’entretien produites par les unités locales.
L’âge moyen pour l’échantillon contrôlé (13,6 ans en 2019) masque
des écarts importants, celui-ci se situant autour de 20 ans dans trois
départements et autour de sept ans, dans trois autres
54
. Certains
départements font des calculs à partir des surfaces traitées chaque année et
non des moyennes des âges réels de chaque section.
Dans ce contexte,
toute appréciation portée sur l’état des réseaux
locaux apparaît sujette à caution. À partir des données départementales
disponibles, il peut être conclu
a minima
à un vieillissement des chaussées,
du fait d’un renouvellement tro
p tardif.
54
Au sein DIR, la moyenne, également
d’un peu plus de 13 ans, recouvre des disparités
moins importantes, cet âge allant de 11 ans à la DIR Sud-Ouest à 17 ans, aux DIR Nord-
Ouest et Méditerranée.
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54
2 -
Les ouvrages d’art
: un examen davantage normé, un effort
d’investissement récent à maintenir
En général, les dispositifs de suivi départementaux sont plus
complets en ce
qui concerne les ouvrages d’art.
Toutefois, la part non notée de ces derniers est parfois significative,
supérieure à 10 %
pour plus d’un tiers des départements contrôlés.
Elle
dépasse même 75 %
dans trois d’entre eux (Aube, Doubs et Haute
-Marne).
Il est par ailleurs impossible de porter une quelconque appréciation sur
l’état d
es murs de soutènement, dans la mesure où dans la plupart des
départements de l’échantillon
, leur recensement reste très incomplet.
Les méthodes de notation incluent souvent, outre un indice d’état du
patrimoine, une mesure de l’intérêt socio
-économique des ouvrages. La
plupart des départements établissent leurs dispositifs de surveillance en
référence à l’instruction nationale, avec plus ou moins d’adaptations. Il a été
constaté en particulier que les visites annuelles sommaires n’étaient pas
systématiques. Plusieurs gestionnaires ont décidé un renforcement de leurs
équipes affectées mais l
’identification de correspondants ouvrages d’art dans
les unités territoriales dotés d’un logiciel de gestion du patrimoine constitue
le dispositif de surveillance le plus abouti, comme en Indre-et-Loire.
On constate globalement une amélioration sur les dernières années,
grâce à un effort d’investissement récent
pour réparer les ouvrages les
moins bien notés. Cet effort reste nécessaire au vu de la progression entre
2015 et 2019, dans la moitié des départements contrôlés, du nombre
d’ouvrages soumis à des restrictions de circulation et/ou du nombre de
réhabilitations lourdes à mener. En Haute-Marne,
d’importants travaux
doivent se poursuivre pour résorber le retard accumulé des opérations
d’entretien et faire face au vieillissement des ouvrages. Comme d’autres,
ce département est par ailleurs confronté à
l’accroissement du poids et du
gabarit des véhicules agricoles en circulation sur le réseau secondaire, ces
derniers bénéficiant de dérogations.
Dans les agglomérations, des campagnes de diagnostic externalisées
ont été menées après la prise de compétence
55
, par exemple par la
communauté urbaine de Reims.
55
Les intercommunalités prenant le statut de communauté urbaine deviennent
obligatoirement compét
entes sur l’ensemble des réseaux de voirie communaux. C’est
aussi le cas des métropoles qui bénéficient, en outre, de transferts en provenance des
départements.
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
55
La campagne de diagnostic initiée par le Grand Reims
Après transfert au 1er janvier 2017, le linéaire de voirie géré par le
Grand Reims
s’élevait à près de 1 600 km,
dont environ un tiers sur le
territoire de la ville de Reims
En 2018, un bureau d’étude technique spécialis
é dans le domaine
routier a réalisé, pour le compte du Grand Reims, un diagnostic de ses
chaussées qui comportait une auscultation, une notation et une proposition
de programme pluriannuel d’entretien.
Présenté sous forme de rapport d’études, il est accom
pagné
d’une
banque d
e données d’images numérisées.
En complément de ce diagnostic,
un recensement des ouvrages d’
art a été réalisé en 2019. Il comprend
notamment un état des lieux technique, l’identification d’un programme de
travaux et des
actions d’inspe
ction et de suivi.
En l’absence d’une telle démarche
de diagnostic, la faible
connaissance de l’état des voies reprises fait craindre une sous
-évaluation des
besoins et des compensations financières négociées au moment du transfert
aux intercommunalités, et donc des difficultés de financement pérenne de la
compétence. Le risque d’inadéquation existe aussi pour les
métropoles.
II -
Un patrimoine dont l’utilisation devrait être
connue plus précisément
A -
Le service rendu à l’usager
: un déficit de suivi
auquel il faut remédier
Il n’y a pas d’indicateur de la qualité de l’exploitation et du service
perçue par l’usager s’appliquant au réseau national
56
, contrairement à ce qui
existe au Royaume-
Uni (pour ce qui est de l’
Angleterre) où ces aspects sont
examinés à la fois par le régulateur et un comité d’usagers
(cf. annexe 3).
Le ministère a annoncé l’élaboration d’indicateurs visant à évaluer
l’importance (la longueur des bouchons) et l’intensité (différence entre
vitesses pratiquée et à vide) de la congestion au droit des grandes
agglomérations, aux fins d’évaluer ce phénomène et l’effet des
investissements réalisés. Il s’agirait d’une avancée notable, mais la qualité
du service rendu par les routes ne se limite pas à la fluidité de la circulation.
56
Il n’en existe pas davantage dans les départements contrôlés.
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COUR DES COMPTES
56
B -
Un suivi du trafic à consolider et à moderniser sur
les routes décentralisées les plus importantes
Le choix de comptages permanents, périodiques ou occasionnels relève
d’une analyse stratégique des axes à suivre. Des stations permanentes dites
Siredo
57
existaient sur les routes nationales transférées en 2006 et n’ont pas
systématiquement été conservées ou renouvelées par tous les départements.
Certains gestionnaires ont fait le choix de réduire le volume de leurs dispositifs.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, les trafics évoluant peu, il a été décidé en
2017 de réduire les points de comptages mobiles de 352 à 151. Certains
départements comme le Doubs n’ont pas de comptages permanents alors que
d’autres en ont augmenté le nombre comme dans le Gard.
Ces points fournissent des données instantanées de trafic en
distinguant véhicules légers et poids lourds, par sens de circulation.
L’exploitation des données peut se faire
via
un logiciel (Finistère, Moselle,
Indre-et-Loire), qui intègre transferts automatiques de ces comptages
permanents et saisie manuelle des comptages effectués par des stations
tem
poraires, c’est
-à-dire mobiles. Celles-ci apportent des informations sur
des axes supplémentaires, sans pouvoir établir les mêmes distinctions.
À
titre d’infor
mations complémentaires, les départements ont pu
solliciter des sociétés privées collectant des données de trafic sur les
origines et les destinations des véhicules. Par ailleurs, des dispositifs de
surveillance comme des caméras peuvent s’avérer utiles po
ur des points
singuliers où le croisement de poids-
lourds est délicat (Gard). L’existence
d’un trafic pendulaire et touristique en augmentation comme en Haute
-
Savoie et dans l’Hérault justifie le recours à des outils de gestion
dynamiques,
comme
des
panneaux
à
message
variable,
à
la
vidéosurveillance ou la création de centres de gestion du trafic, comme il
en existe en Moselle, permettant une exploitation en temps réel.
Le transit de poids lourds sur des routes départementales (et
a
fortiori
, communales) constitue un enjeu, en particulier au regard de leurs
effets néfastes sur des voiries qui n’ont pas été conçues pour le supporter.
Ainsi, le constat de reports de trafic, c’est
-à-dire d
» itinéraires de fuite »,
a conduit à des limitations de tonnage par les collectivités comme en Indre-
et-Loire, sur les axes parallèles aux autoroutes. Cependant, les services ne
sont pas toujours en mesure de les quantifier. Une difficulté tient par
ailleurs au fait que le droit et la jurisprudence limitent fortement la
poss
ibilité de prendre des arrêtés d’interdiction de circulation visant
certaines catégories de véhicules.
57
Le système informatisé de recueil de données routières (Siredo) a été créé par les
services de l’État dans les années 1980 et 1990.
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L’INSUFF
ISANCE DES OUTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
57
III -
Des processus de programmation
des travaux souvent inadaptés à des besoins
de long terme
A -
Le réseau national : un effort de rationalisation réel
mais incomplet
Les services de l’État ont réalisé ou commandité des exercices de
prospective et scénarisation technico-économique, projetant les conséquences
de la programmation de moyens financiers sur
l’état du réseau. En particulier,
ils ont recouru, en 2018, à un audit externe confié à des cabinets suisses.
La loi d’orientation des mobilités
de 2019 (LOM) prévoit pour le
réseau national
une trajectoire financière en augmentation jusqu’en 2027,
en détaillant la répartition des crédits entre principaux postes de dépense,
la priorité étant donnée à la préservation du patrimoine sur le
fonctionnement des services et l’exploitation des routes au quotidien.
L’effort consenti
58
apparaît substantiel, si cette trajectoire est respectée.
Tableau n° 5 :
évolution des dépenses en faveur du réseau national
non concédé (en
M€
)
2012
2016
2019
2022
Moyenne
2023-2027
Moyenne
2028-2032
Moyenne
2033-2037
676,4
775,5
825
59
871,2
951,2
1028,2
1028,2
Source : DGITM
Toutefois, selon le calcul des experts suisses précités, cette
augmentation ne suffirait pas pour maintenir à son niveau actuel l’état
moyen du réseau, en grande partie construit dans l’après
-guerre ou ayant
bénéficié de renforcements réalisés entre 1970 et 1990
donc désormais
confronté à un vieillissement généralisé.
L’effort de productivité
et
d’adaptation des niveaux de service
, possible et nécessaire, auquel doit
s’astreindre le réseau des DIR
, ne permettra pas de combler cet écart.
58
Auquel doit contribuer le Grand Plan d’Investissement (GPI), à hauteur de 700 M€ d’ici 2022.
59
Dont, à titre d’information, 90,7 M€ pour l’exploitation, 84 M€ pour l’entretien
courant, 307 M€ pour la préservation des chaussées, 65 M€ pour celle des ouvrages
d’art, 71,6 M€ pour les équipements, etc.
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COUR DES COMPTES
58
De plus, cet accroissement des crédits ne prend pas en compte, de
manière planifiée et systématique, les nouveaux besoins induits par la
transition énergétique et numérique
60
, voire des impératifs anciens mais
renforcés, par exemple en matière de propreté ou de gestion de trafic.
Enfin,
l’audit externe recommandait de mettre en
place un système
national, unifié et intégré, de suivi de l’état des routes et de priorisation des
travaux. Ceci constituerait, en effet, une première étape nécessaire en vue
d’une objectivation
plus rigoureuse de la hiérarchie des besoins à travers
toute la France. Le ministère concède que les instruments actuels ne
peuvent remplir cette fonction et que chaque DIR « a développé plus ou
moins d’outils spécifiques associés
». Une approche plus globale
permettrait aussi de comparer, autant que faire se peut, la performance des
différentes DIR et unités de gestion de base, en rapprochant moyens et
résultats. Or
, l’
État
déclare n’envisager qu’une démarche gradualiste,
considérant qu
» une stratégie nationale commune vers laquelle chacune
des DIR pourrait tendre
à sa manière semble plus adaptée qu’une
« démarche unique et descendante ».
Ces justifications s’avèrent peu
convaincantes et
la recommandation de l’audit externe
demeure pertinente.
B -
Les routes départementales : une rationalisation
encore embryonnaire
À titre liminaire, il convient de rappeler que si le gestionnaire public
doit s’efforcer à l’efficience, le
niveau des dépenses d’entretien ne peut être
que très variable, en fonction
de l’exigence de qualité
de services,
de l’état
initial des infrastructures, du trafic, en particulier de celui des poids lourds,
et des contraintes géographiques (rendant nécessaire, par exemple, un
nombre plus ou moins important d’ouvrages d’art
).
60
Qui ont pu donner lieu à des financements ponctuels par ailleurs. Ainsi le plan de
relance de septembre
2020 a affecté 25 M€ à l’aménagement de voies réservées sur les
routes nationales non concédées.
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
59
Tableau n° 6 :
d
épenses d’entretien, d’exploitation et de régénération
Réseaux français
Dépenses/km par an
Autoroutes concédées (2017)
196 000
Réseau routier national non concédé (2018)
120 665
Départements (2017)
15 372
Réseaux urbains (2017)
109 633
Réseaux de montagne (2017)
29 634
Réseaux à dominante rurale (2017)
7 979
Ex. : réseau structurant de la Savoie (2016-2018)
60 651
Données internationales
Italie : agence en charge des routes nationales et locales (2016)
42 090
Highways England (2017)
194 124
Source :
rapport de l’IGF et du CGEDD
, Évolution de la gestion du réseau routier national non
concédé, novembre 2018.
Ces ordres des grandeurs sont utiles à connaître, mais seules des
comptabilités
analytiques
suffisamment
précises
permettraient
de
comparer la performance des différents gestionnaires, à caractéristiques
données des infrastructures.
Ainsi le coût unitaire particulièrement élevé dans le cas de
Highways
England
(devenue
National Highways
)
s’explique
principalement par le fait
que cette entreprise à capitaux publics gère un réseau de routes stratégiques
qui ne représentent que 2 % du linéaire total, mais 34 % du trafic. On peut
néanmoins
relever qu’il excède sensiblement la moyenne calculée pour le
réseau national français (concédé ou non), d’environ
150 000
, pour une
part dans le linéaire total équivalent. Il est vrai que les routes anglaises font
depuis quelques années l’objet d’un effo
rt de remise à niveau ambitieux, ce
qui peut constituer une des explications possibles (cf. annexe 3).
Si
l’on s’en tient à de simples moyen
nes, on peut également
observer, en France, des dépenses au kilomètre sur les routes nationales
non concédées sensiblement inférieures
(de l’ordre de 40
%) à leurs
équivalentes sur les autoroutes concédées, alors que la circulation au
kilomètre
n’
y
est qu’un peu
moins élevée (15 %).
En outre, une annexe au présent rapport (cf. annexe 11) fait état des
dépenses moyennes au kilomètre constatées dans les départements
contrôlés, classés selon leurs caractéristiques en termes de population et de
relief. Elles
s’avèren
t trois fois supérieures dans les départements de haute
montagne que dans les autres départements ruraux situés à plus faible
altitude, ce qui illustre le poids des contraintes géographiques.
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COUR DES COMPTES
60
1 -
L’entretien et l’exploitation, une variable d’ajustement
Dans une majorité des départements de l’échantillon étudié, les
crédits
de fonctionnement (hors masse salariale) ont diminué sur la période
61
. Ceci
s’est traduit
par des ajustements des niveaux de service mais il a été aussi
constaté une reprise des investissements amorcée en 2017 et confortée à
partir de 2018-2019 dans un contexte financier plus favorable
62
.
Graphique n° 1 :
dépenses de voirie des départements
en millions d’euros
Source : Cour des comptes à partir des données DGFiP (cf. annexe 11)
Sauf exception, les investissements routiers supplémentaires ont
concerné principalement de grosses réparations de chaussées ou
d’ouvrages d’art, plutôt que des autres dépenses. Les réseaux les plus
structurants ont été le plus souvent privilégiés à quelques exceptions près,
comme dans le Doubs.
61
Ce qui est d’autant plus significatif qu’on a observé une
forte augmentation des prix
dans le même temps. L
’indice TP09 « Fabrication et mise en œuvre d’enr
obés » a
progressé de 17 % entre la moyenne 2015 et celle de 2019 (+ 9
% pour l’indice TP08
« Travaux d'aménagement et entretien de voirie »).
62
L’amélioration sur la dernière période pourrait se confirmer au vu de la tendance favorable
des recettes de droits de mutation, Ces dernières sont néanmoins par nature volatiles.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
61
Graphique n° 2 :
dépenses de grosses réparations (GR) des
départements (en millions d’euros)
Source : Cour des comptes à partir des données transmises par les collectivités contrôlées
(cf. annexe 11).
À la suite de la crise sanitaire, des chantiers se sont arrêtés et les
redémarrages ont été ralentis par les protocoles sanitaires. Toutefois, seules les
dépenses de fonctionnement accusent une baisse conjoncturelle (- 3,7 % entre
2019 et 2020). La progression de l’investissement s’est poursuivie (+
3,6 %)
conduisant à celle des dépenses totales (+ 1,6 %
). On doit signaler qu’un
département a adopté un plan de relance local comportant une importante
composante voirie. Plus de 11
M€
de dépenses nouvelles d’investissement ont
été consacrés principalement à des travaux de renforcement de chaussées en
Savoie. Dans le Doubs, une anticipation de la programmation au début de 2021
a été décidée afin de soutenir l’activité du secteur des travaux publics.
D’une manière générale, l'entretien et l'exploitation des rou
tes restent
trop souvent des variables d'ajustement, en fonction certes de la situation
financière mais aussi d’autres priorités comme
, par exemple, la participation à
un projet ferroviaire (Gard). Parfois, les grosses réparations peuvent bénéficier
indirectement des retards des opérations de modernisation et de la réaffectation
en leur faveur des crédits afférents en cours d’année. Ceci est préjudiciable à
la constance dans le temps qui devrait caractériser toute politique d’entretien.
Afin de limiter l’in
cidence de ces écueils, une rationalisation des processus de
programmation apparait nécessaire.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
62
2 -
Des documents de cadrage souvent anciens,
quelques démarches intégrées et territorialisées
En
l’absence
d’obligations
réglementaires
s’imposant
aux
départements
, le constat peut être fait d’une multitude de documents de
cadrage financiers et techniques plus ou moins régulièrement actualisés.
On peut trouver des exemples de documents devenus probablement
inadaptés. L
es niveaux de service d’exploitation tels que
délibérés dans le
dossier d’organisation de la viabilité hivernale
restent inchangés dans les
Alpes-de-Haute-Provence depuis 2003. Les règlements de voirie
63
de la
Haute-
Loire et de l’Aube datent respectivement de 2003 et 2006.
Les unités territoriales adaptent parfois elles-mêmes les niveaux de
service, du fait de la trop grande ancienneté des délibérations correspondantes
ou d’un manque de contrôles effectués par les administrations de rattachement.
Cette situation n’est évidemment pas saine.
À
l’inverse,
quelques démarches intégrées ou même déclinées
territorialement méritent d’être relevées comme dans le Nord ou en Indre
-
et-Loire par exemple.
Les démarchés intégrées dans le Nord et en Indre-et-Loire
Dans le Nord, en 2015, la direction de la voirie a développé une
démarche qualité certifiée ISO 9001. Si la réorganisation de la direction, à
partir de 2016, n’a pas permis de maintenir la certification,
la démarche s’est
toutefois poursuivie et couvre désormais les principaux processus métiers,
supports et management.
Les grands axes définis pour 2019-2020 et repris dans le guide des
niveaux de service sont déclinés en objectifs opérationnels. Pour les atteindre,
les principaux processus sont décrits et détaillés précisément dans des fiches ad
hoc. La démarche est animée par la mission « qualité sécurité ».
Cette démarche structurante autorise un suivi et une évaluation régulière
des actions, au moyen d’indicateurs d’activités et de résultats associés à chacun
des processus, dont l’évolution de certains d’entre
eux est étudiée lors de
réunions mensuelles. Les revues annuelles permettent d’effectuer une
évaluation globale des résultats obtenus, donnant lieu à la définition d’un plan
d’actions dans une optique d’amélioration continue. À titre d’exemple, les
constats opérés ont amené à revoir et adapter les niveaux de service, comme le
nombre de patrouilles ou le programme d’entretien des dépendances.
63
Le règlement de voirie fixe les dispositions administratives et techniques relatives à
l’utilisation du domaine public routier. Il présente notamment les modalités d'exécution
des travaux de voi
rie. Il s’adresse à la fois aux riverains qui souhaitent accéder au
domaine public ou l’occuper (accès privé) et aux p
rofessionnels (réseaux divers).
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
63
En Indre-et-Loire, la politique routière repose sur un dispositif
formalisé et complet, appuyé sur de nombreux docum
ents d’organisation et
des plans d’intervention opérationnels territorialisés. Même si des mises à
jour et des bilans sont nécessaires, la démarche est intégrée et un service
chargé de l’entretien et l’exploitation à l’échelle du département en est le
garant. Lors des phases de pré-validation des programmes de travaux, une
forme de contrôle qualité est par exemple effectuée au niveau central avec
l’appui du laboratoire d’analyse routière.
Les indicateurs de résultat ou d’impact et
, de manière générale, les
bilans manquent dans la plupart des départements contrôlés.
S’agissant des
renouvellements de couches de roulement, les notes de cadrages ne
prévoient bien souvent ni pondération des critères utilisés ni seuils
d’intervention. Le niveau d’entretien ap
paraît enfin déterminé par la
contrainte budgétaire. Ainsi, en Indre-et-Loire, la surface totale traitée
via
des enduits superficiels, malgré un objectif voté de 700 000 m²
, n’a atteint,
en pratique avant 2021, que 500 000 m².
3 -
Développer des scénarios technico-budgétaires pluriannuels
Au total, peu de gestionnaires locaux comme le département de la
Somme ou l’Indre
-et-
Loire vont jusqu’à déterminer des
scénarios technico-
budgétaires, visant à définir un besoin de crédits associé à des objectifs
techniqu
es d’état du réseau, et ce, dans une logique pluriannuelle.
De fait,
certains départements, comme les Alpes-de-Haute-Provence, ont mené une
politique d’entretien qui compren
ait une part significative de travaux
imprévus et urgents, donc curatifs.
À défaut
d’être très formalisée, leur
mise en
œuvre
sur la base de
critères simples comme l’âge
souhaité des couches de roulement par
catégorie
apparaît hautement souhaitable, par exemple à l’occasion de la
présentation
d’un
rapport d’orientations budgétaires
.
En
l’état,
la programmation consiste encore, le plus souvent, en un
processus empirique
64
, parfois même en une répartition préalable entre
territoires, sans règles claires liant un état du patrimoine objectivement
constaté et le niveau des crédits affectés (sauf dans le cas des ouvrages
d’art). L’intérêt socio
-économique voire la continuité des différents
itinéraires ne sont parfois pas pris en compte. Il conviendrait de moderniser
ces processus de programmation qui doivent prendre en compte
64
Des expérimentations d’une gestion intégrée des réseaux secondaires des départements
(programmation multicritères) sont conduites, comme le projet Gerese (gestion optimisée
d'un réseau routier secondaire) associant neuf départements.
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64
simultanément différentes préoccupations comme la situation financière de
l’entité, les besoins avérés d’investissements nouveaux, notamment de
modernisation/développement, le souci d’un partage rationnel entre
travaux préventifs et curatifs
65
et, s’agissant des départements,
l’aide à
apporter aux réseaux communaux (financière et technique).
La hiérarchisation existante
66
des voies selon leur importance n’est
parfois pas réellement prise en compte ou de manière très récente. Le
recours à des seuils chiffrés de trafic comme dans
le Nord, l’Orne et la
Haute-
Marne pour établir cette hiérarchisation s’avère minoritaire dans
l’échantillon contrôlé. La mise à jour de celle
-
ci et l’adoption de
scénarios
technico-budgétaires seraient
l’occasion d’ajuster, par délibération, les
niveaux d
e service, que ce soit en matière d’entretien ou d’exploitation. Le
partage des méthodologies de hiérarchisation mises en œuvre par les
départements avec les grandes agglomérations apparaît par ailleurs
souhaitable, ces dernières n’en ayant pas toujours ad
optées comme la
communauté d’agglomération d’Amiens.
L
a logique pluriannuelle peut s’étendre
à la modélisation des
paramètres d’un ouvrage sur l’ensemble de son cycle de vie, de la
programmation jusqu’à la valorisation des matériaux issus de sa
déconstruct
ion. C’est le sens de l’expérimentation de la
démarche BIM
(
Building Information Modeling
) engagée par le département de la Moselle
pour la reconstruction d’un pont.
4 -
S’appuyer sur une amélioration de
la qualité
des comptes locaux
En l’état, la lecture des comptes locaux ne permet pas d’avoir une
vision satisfaisante des dépenses locales de voirie
67
. Leur ventilation sur la
fonction adéquate reste facultative. Même les collectivités les plus
importantes votant leurs crédits par nature ne répartissent pas nécessairement
les frais de personnel dans les documents comptables. Au total, plus de la
moitié des départements de métropole sont dans ce cas en 2019 et 2020.
Par ailleurs, le cadre comptable local ne distingue pas, en
investissement, les grosses réparations des dépenses de modernisation ou de
développement
, c’est
-à-
dire l’entretien du patrimoine de son amélioration ou
de son augmentation, ce qui est, bien sûr, profondément différent.
65
Le département du Nord s’est fixé un objectif de 60 % de
crédits d’entretien préventif.
66
Un seul des départements contrôlés (Aube) n’en avait pas encore adopté, hors le
domaine très spécifique de la viabilité hivernale
67
Cf. annexe 11.
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
65
Enfin, la valeur des actifs routiers dans les bilans comptables locaux
est biaisé
e par l’absence quasi
-
généralisée d’amortissements.
Or,
l’accumulation des
« coûts historiques », ne permet pas
d’estimer
les
crédits à consacrer
au maintien en l’état
des réseaux. Cependant, prendre
en compte en une seule fois tous les amortissements cumulés
qu’il aurait
fallu imputer en dépenses de fonctionnement, pour remédier à cette
situation, soulève des difficultés de soutenabilité budgétaire et de
complexité
68
. Répondant à un principe de sincérité comptable, ils
n’en
constituent pas moins un
e forme d’épargne
constituée en vue de la
rénovation des
chaussées et ouvrages d’art.
68
L’annexe 11 apporte des éclairages sur les perspectives d’évolution réglementaire de
l’amortissement dans les entités locales.
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COUR DES COMPTES
66
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Bien que la préservation du patrimoine routier constitue un enjeu
bénéficiant actuellement d’une réelle prise de conscience, en raison d’un
vieillissement incontestable et de la perception largement répandue d’une
certaine détérioration
69
, celle-
ci apparaît tardive et la politique d’entretien
reste encore trop souvent une variable d’ajustement.
Les processus de programmation mis en pratique par
l’
État et par
les départements s’avèrent trop peu intégrés et rationalisés, certes à des
degrés inégaux. Des mécanismes de priorisation transparents et intégrés
apparaissent nécessaires, adossés à des scénarios technico-budgétaires,
mais aussi à des indicateurs et des comptes locaux améliorés. Il en va de
la responsabilité de chaque gestionnaire.
La fiabilisation des diagnostics constitue la première étape. Or, les
méthodes actuelles concernant les chaussées ne permettent pas d’avoir une
vision satisfaisante de leur état. Dans le cas du réseau national, la transition
d’un système d’évaluation à un autre, en principe au
meilleur niveau des
poss
ibilités techniques actuelles, s’avère laborieuse
; elle a perturbé certains
repères, en particulier pour l’allocation des moyens. S’agissant des
départements, les initiatives en la matière sont nombreuses. Toutefois, les
garanties d’objectiv
ité des résultats demeurent souvent encore trop faibles
et appellent de sérieuses réserves, notamment quant à la cohérence des
appréciations dans le temps. U
ne remontée nationale d’information
, déjà
évoquée, doit
pouvoir s’articuler à une grille de lecture harmonisée
.
L
’homogénéité des méthodes de surveillance et d’évaluation des
ouvrages d’art de l’
État et des départements parait mieux assurée que pour
les chaussées, même si les procédures devraient garantir partout la même
objectivité. En dépit du réinvestissement récent dans les départements, la
part des ouvrages non évalués et la progression du nombre de
réhabilitations lourdes à mener dans certaines collectivités invitent à
poursuivre cet effort.
L’absence d’indicateur probant de la qualité de l’exploitation et du
se
rvice rendu constitue un manque certain, au regard de la raison d’être
de ce patrimoine public et des objectifs qu’on peut lui fixer au bénéfice des
entreprises et des citoyens. En outre,
il conviendrait d’
améliorer la
transparence des dépenses routières des départements, en particulier en
distinguant l’entretien du développement
69
Dans le classement relatif à la qualité des infrastructures routières publié par le Forum
économique mondial, la France est passée de la première à la dix-septième place en une
dizaine d’années.
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L’INSUFFISANCE DES O
UTILS DE PILOTAGE ET DE PROGRAMMATION
67
La Cour formule les recommandations suivantes :
4. Mettre en place un système, unifié et intégré, de priorisation et de
programmation des travaux d’entretien
sur le réseau routier national non
concédé, fondé sur des critères objectifs (État
, d’ici 2024
)
;
5. Enrichir la batterie des indicateurs LOLF relatifs à la gestion du
réseau routier national, notamment pour mieux suivre la qualité de
l’exploitation et du service rendu aux u
sagers, et en rendre compte dans
un bilan annuel de la politique routière nationale (État
, d’ici 2024
)
;
6. En concertation avec les entités concernées, confier au Cerema
la tâche d’élaborer une grille d’harmonisation des diagnostics des
chaussées des départements et des intercommunalités supportant les
trafics les plus importants (Cerema, État
, d’ici 2024
)
;
7. Soumettre au conseil départemental
l’approbation
d
’un
scénario
technico-budgétaire
pluriannuel
pour
l’entretien
de
son
réseau
(départements
, d’ici
2025)
.
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Chapitre III
Des réformes et des réorganisations
nécessaires
L’examen de la situation actuelle met en évidence la nécessité d’un
effort d’
adaptation des différents gestionnaires routiers aux attentes des
usagers et aux moyens disponibles. Dans le cas du réseau national, une
réforme majeure de son organisation et de son mode de gestion apparaît
nécessaire depuis plusieurs années et doit maintenant être mise en
œuvre
rapidement.
Il conviendrait qu’elle apporte par la même occasion une
réponse à la question de la soutenabilité financière à long terme de cette
politique routière
question qui, à des degrés divers, se pose aussi aux
collectivités locales.
I -
Associer davantage les usagers à la définition
de ces politiques et à leur mise en œuvre
A -
Des liens plus étroits avec les usagers
Créé par un décret de septembre 2009, le comité des usagers du réseau
routier national est compétent pour les routes nationales et les autoroutes,
concédées et non concédées. Y participent des représentants d’associations
d’usagers
70
, de l’administration, des élus et des personnalités qualifiées –
désignés pour une durée de cinq ans. Le dernier renouvellement remonte à juin
2015. En réalité, son sujet majeur d’intérêt est celui des péages autoroutiers.
70
Comme la Fédération nationale des associations d’usagers des transports, 40 millions
d’automobilistes, la Fédération française des motards, mais aussi la Fédération nationale des
transporteurs routiers et la Fédération des entreprises de transport et logistique.
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70
Cette instance n’a donc pas un rôle comparable au
Transport Focus
britannique, créé par la loi et représentant tant les passagers des transports
collectifs que les usagers de la route, qui a notamment été associé à la
réflexion sur la réforme de la gestion des routes anglaises. Au total, elle ne
fournit pas le cadre d’une remontée de préoccupations de
« terrain », de
manière générale ou détaillée,
en organisant la collecte d’
informations ou
de doléances locales
71
.
Au niveau des départements, les modalités de concertation sont le
plus souvent limitées et prennent la forme de rencontres ponctuelles sur un
projet d’aménagement ou avec des représentants d’usagers particuliers
(motards, transporteurs). Cas rare, en Loire-Atlantique, une démarche
participative intitulée « Inventons la route de demain »
, a été mise en œuvre
tout au long de 2018.
« Inventons la route de demain en Loire-Atlantique »
La démarche
comportait une phase d’éc
oute, pour connaître
perceptions, usages et niveaux de satisfaction (notamment à l’aide d’un
sondage), puis d’échange, et, enfin, de recueil de propositions. Elle a
débouché sur l’adoption d’un plan d’action, visant notamment à faciliter le
partage de la voirie entre les différents modes de déplacement et mettre en
place des régulations, notamment de la vitesse, pour limiter la congestion.
Ses conclusions évoquent aussi la nécessité d’un dialogue entre autorités
organisatrices des mobilités et gestionnaires de voirie.
L
es dispositifs d’information des usagers, notamment
via
les médias
et des sites internet inforoute
72
, existent mais sont quasi exclusivement
descendants et non mis à jour en temps réel. Un seul cas d’application
mobile de signalement des incidents et anomalies par les usagers a été
relevé, dans la Somme. Il conviendrait que les gestionnaires de voirie
développent et mutualisent ce type d’instrument, tout comme des bases de
données, notamment sur les trafics, à l’exemple du
Nord. Aucune enquête
de satisfaction des usagers n’a été diligentée
73
. En pratique, ces derniers se
manifestent essentiellement
via
des réclamations et autres recours, ce qui
suppose qu’ils sachent à qui s’adresser.
71
Par ailleurs, comme on l’a vu, la réforme des indicateurs LOLF, en 2009, a mis fin
aux enquêtes de satisfaction sur l’état comme la qualité de service distinguant
autoroutes concédées, non concédées et autres routes nationales.
72
Dans le Doubs, des webcams visibles par le grand public sont déployées sur Inforoute25.fr.
73
Le « baromètre de l'opinion » tenu sur l'ensemble des politiques départementales du
Finistère inclut cependant une mention de l'entretien du réseau.
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DES RÉFORMES ET DES RÉORGANISATIONS NÉCESSAIRES
71
Qu’il s’agisse des routes nationales ou départementales, la p
auvreté
des dispositifs d’écoute des usagers a eu pour résultat que
se sont
développées des formes d’expression alternatives, comme par la voix de
l’association
«
40 millions d’automobilistes
» qui publie le « palmarès »
des trois routes les plus dégradées par département, fondé sur des
signalements d’usagers (
«
J’ai mal à ma route
: quelles sont les routes les
plus dégradées de France ? »). La Fédération française des motards en
colère, la mutuelle des motards et « Moto magazine », dénonçant de
concert le danger créé par les nids-de-poule, ont mis en place un site
internet pour le signalement des ornières.
Les gestionnaires devraient organiser eux-mêmes ce type de
remontées d’informations,
y compris en diligentant des sondages
in situ
,
indépendamment du cr
itère de la domanialité. De fait, beaucoup d’usagers
ne font pas la distinction entre routes nationales et départementales, sans
évoquer la répartition des responsabilités au sein du bloc communal. Le
rôle de coordination de l’
État
n’en apparaît que plus n
écessaire.
B -
Une plus grande publicité à donner
à la politique routière
Symétriquement, la politique routière nationale à concevoir et
mettre en œuvre mérite et appelle une publicité beaucoup plus large que
celle donnée actuellement par les pouvoirs publics.
Le décret de 2009 relatif à la création du comité des usagers du
réseau national spécifie que le ministre chargé de la voirie établit chaque
année un bilan d’activité relatif à l’exploitation et l’entretien du réseau
routier national non concédé. Or, le dernier bilan de ce type a porté sur
l’année 2015. La DGITM fait valoir que, depuis cette date, le ministère met
en ligne sur son site deux pages d’accueil, sur les
infrastructures routières
et sur l’ouverture des données du réseau national.
Si ces pages p
ermettent d’accéder à une quantité importante de données
et contiennent certains éléments quant aux priorités de cette politique publique,
elles demeurent très descriptives et n’explicitent pas suffisamment les grandes
orientations de cette dernière, en pa
rticulier dans le contexte d’un intérêt accru,
voire de préoccupations croissantes, quant à l’état des réseaux routiers de notre
pays. Quelles que soient les insuffisances de l’action des pouvoirs publics dans
ce domaine, on peut d’ailleurs considérer qu’i
ls ne valorisent pas suffisamment
ce qu’ils font déjà, par contraste avec la communication de
National Highways
,
par exemple. La communication du ministère est souvent apparue ponctuelle et
réactive, par exemple à l’occasion de la remise du rapport des
cabinets suisses.
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72
II -
Des niveaux de service à adapter
En matière d’exploitation –
fréquence des patrouilles, viabilité
hivernale, etc.
l’État continue de se référer à des normes anciennes, sans
s’interroger suffisamment sur leur pertinence, parfois par crainte de remettre
en cause les habitudes de travail
et l’organisation des DIR qui
, au nombre de
11, sont chargées de gérer les routes nationales à travers la France selon une
logique d’itinéraire
. De ce fait, à normes quasi-constantes, la réduction
tendancielle des effectifs, des pénuries de personnel conduisent certaines
DIR aux limites du droit du travail, par exemple en matière d’astre
inte ou
d’heures supplémentaires (HS). Le nombre global de ces dernières a crû de
46 % entre 2014 et 2019, et même de 138 % pour les HS au-delà des 14
premières heures. À cet égard, la di
rection d’Île
-de-de-France (DiRIF)
semble constituer un cas particulier : avec des croissances de + 70 % au total
et de + 154 % pour les HS au-delà des 14 premières heures, les montants
unitaires y étant deux à trois fois supérieurs à ceux des autres DIR
74
.
De telles anomalies pourraient, toutefois, avoir d’autres causes
qu’une
contradiction croissante entre normes et moyens (notamment dans la mesure
où les temps de travail sont mal connus, cf.
infra
). Elles appellent une analyse
plus approfondie de la part des services gestionnaires, notamment de
l’administration central
e. Celle-
ci ne semble pas avoir diligenté d’enquête à ce
sujet ; elle a préféré la solution simple consistant à fixer, pour toutes les DIR,
des plafonds de croissance du nombre de ces heures.
L’absence d’évolution de ces normes constitue un frein à la
restructuration des
223 centres d’exploitation et d’intervention
(CEI). Leur
nombre est presque inchangé depuis la création des DIR, il y a une
quinzaine d’années. Malgré la réduction des effectifs,
les coopérations et
mutualisations entre centres (par exemple en matière
d’astreintes ou de
matériels) demeurent rares
ce phénomène étant parfois présenté comme
un problème « culturel ». À cet égard, la DGITM évoque une démarche
pour adapter l’organisation des CEI à moyen terme.
Une telle orientation,
s’accompagnant d’une nécessaire restructuration, doit être affirmée
beaucoup plus fortement.
De leur côté, les collectivités locales ont souvent su davantage
adapter les niveaux de service aux objectifs souhaitables et aux moyens
disponibles. Effet du réchauffement climatique dans les régions non
montagneuses, le raccourcissement de la période de viabilité hivernale a
permis certaines économies, notamment grâce à la fin des astreintes
systématiques en novembre et en mars.
74
De même que le montant total des primes, qui y représentait, en 2019, 84 % des
traitements indiciaires (55 % en moyenne dans les DIR).
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DES RÉFORMES ET DES RÉORGANISATIONS NÉCESSAIRES
73
La responsabilité des gestionnaires en matière de signalisation
Chacun d’entre eux
doit déterminer les niveaux d’exigence, en termes
de fréquence tant de la surveillance que du renouvellement de la signalisation
horizontale et verticale
75
. Le code de la voirie routière lui en attribue la
responsabilité exclusive sous réserve d’une procédure d’homologation.
C’est le rôle de l’
Association pour la certification et la qualification
des équipements de la route (Ascquer) qui agit par délégation de
l’association française de
normalisation (Afnor). Dans la constitution des
dossiers de candidatures, la production d’une certification ou à défaut, d’une
autorisation d’emploi, est requise. Toutefois, il n’existe pas de mécanismes
de contrôle externe aux gestionnaires routiers, qui
permettraient de s’assurer
de la prise en compte effective des normes.
Cette situation a ouvert la voie à des contestations devant le juge, de
la même manière que le sujet de la hauteur des ralentisseurs
76
, parfois
accusés d’endommager les véhicules, voire
de créer un danger. L’adaptation
doit se faire dans le respect de la réglementation
, notamment afin d’éviter
la mise en cause
de la collectivité en cas d’accident pour défaut d’entretien.
III -
La réforme devenue nécessaire
du réseau national
A -
Un mode de gestion à repenser
L
’organisation actuelle, qui implique l’application des règles de la
fonction publique et du budget de l’État, n’apparaît pas toujours la plus
appropriée à la gestion d’actifs comme les routes nationales. La France
constitue un des derniers États européens à ne pas avoir délégué cette
fonction à un organisme doté de l’autonomie juridique
. L
’État demeure
propriétaire, stratège, régulateur et opérateur, à la différence
de l’exemple
anglais qui distingue rigoureusement ces fonctions mais aussi du modèle
ferroviaire et aéroportuaire français.
75
Des contrôles permettent d’évaluer la visibilité de jour (coefficient de luminance) et de
nuit (rétroréflexion) des panneaux. Le département de la Somme a recours à un
rétroréflectomètre mobile embarqué pour traiter la signalisation horizontale.. Des mesures
précises sont également possibles pour l’adhérence (coefficient de glissance) et la
durabilité des marquages au sol. En pratique, les contrôles internes aux administrations
peuvent demeurer souvent purement visuels, dans le cadre du patrouillage.
76
Décret n° 94-447 du 27 mai 1994 relatif aux caractéristiques et aux conditions de
réalisation des ralentisseurs de type dos d’âne ou de type trapézoïdal. Les
caractéristiques sont décrites dans la norme NF P98-300.
L’entretien des routes nationales et départementales - mars 2022
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COUR DES COMPTES
74
L’exemple anglais
Au Royaume-
Uni, s’agissant de l’
Angleterre, le
Department for
transport
(ministère) définit les orientations et fournit les crédits ;
National
Highways
(opérateur) gère le réseau et rend compte
à l’
Office of Rail and
Road
(régulateur)
, en particulier de la mise en œuvre de plans
stratégiques
sur 5 ans,
ainsi qu’au
Transport Focus
(représentants des usagers), au regard
d’une large gamme d’indicateurs, moins centrés qu’en France sur l’état et la
disponibilité de l’infrastructure, mais davantage tournés vers la satisfaction
de l’usager et l’efficience de la dépense publique.
Cette organisation a été
mise en place à la suite du rapport « Cook », qui mettait en garde contre une
trop grande proximité entre le ministère et le gestionnaire, empêchant
notamment l’engagement dans une vision de long terme.
L’
organisation actuelle crée une dichotomie avec le mode de gestion
des autoroutes concédées. L’actualisation des cahiers des
charges annexés
aux contrats de concession, les contrats de plan ou les accords passés avec
les sociétés concessionnaires à l’occasion de programmes d’investissement
autoroutiers fournissent, en effet,
à l’État
concédant le moyen de suivre des
indicateurs de résultat et de fixer des objectifs aux sociétés, assortis de
pénalités en cas de non-respect. Ils couvrent toute une série de thèmes,
comme l’état du patrimoine routier et la qualité du service rendu à l’usager
(ex. :
les délais d’intervention à la suite d’incidents) mais aussi, de plus en
plus, le développement durable (préservation de la biodiversité et
contribution à la lutte contre les émissions de gaz à effets de serre)
77
.
Faute d’un réexamen de leur pilotage opérationnel et des niveaux de
service attendus (cf.
supra
), la baisse continue des effectifs des DIR, passés
d’environ 8
500 en 2014 à 7 800 en 2019, crée tensions et difficultés.
Parallèlement, l’augmentation actuelle de l’effort et des crédits d’entretien
induit un hiatus qui met en cause le cœur des activités des DIR, ainsi incitées
(puisque devant faire plus, avec moins d’agents) à avoir davantage recours
à la sous-traitance d
u secteur privé, d’autant q
ue le soutien du Cerema se
réduit. Enfin, la diminution du nombre d’agents
réduit la capacité des DIR
à réaliser les études et à assurer la direction des travaux ainsi sous-traités.
Le facteur limitatif
des opérations d’entretien
peut ainsi consister,
in fine
,
dans des moyens humains insuffisants
pour la maîtrise d’ouvrage.
Cette situation peut expliquer un malaise croissant parmi les agents et
leur encadrement. Elle aggrave des difficultés structurelles affectant la gestion
des ressources humaines dans les DIR. Celle-
ci dépend aujourd’hui en partie de
règles et d’accords sociaux valables pour tous les fonctionnaires du ministère.
Par exemple, les régimes indemnitaires, qui prennent trop peu en compte le
77
Il faut rappeler que cette dichotomie trouve en grande partie son origine dans une
différence de moyens financiers.
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DES RÉFORMES ET DES RÉORGANISATIONS NÉCESSAIRES
75
niveau de responsabilité et la manière de servir, ont pour effet de rendre peu
attrayant le poste, pourtant stratégique, de chef de centre. Ce dernier est, dans
les faits, souvent moins bien rémunéré que certains des agents placés sous son
autorité
78
, lesquels perçoivent des indemnités pour astreinte ou service fait,
notamment. En outre, cette fonction de chef de centre apparaît peu valorisée
dans la carrière des agents. Une recommandation faite par la Cour en 2017,
tendant à la
revalorisation de cette fonction, n’a toujours pas reçu de suite.
À
cet égard, l’
État pourrait
s’inspirer des exemples locaux de suivi
automatique
de l’activité, en accélérant le déploiement des nouveaux outils
en cours d’expérimentation et en
imposant leur usage dans les DIR.
Notamment, la connaissance et le contrôle des temps de travail effectifs y
apparaissent
lacunaires
79
et
dépendant
d’éléments
principalement
déclaratifs. Couplé avec le relevé informatisé des observations, des
interventions
et de leur résultats (souvent encore assuré au moyen d’une main
courante sur support papier, ce qui est paradoxal dans un ministère
technique), un tel suivi
s’avère
indispensable à un meilleur pilotage des
unités opérationnelles par les cadres travaillant aux sièges des différentes
DIR, mais aussi
de l’ensemble du réseau par
les agents d
’administration
centrale. À
l’heure actuelle, les uns et les autres n’ont
, en particulier,
qu’une
connaissance partielle et floue des activités d’exploitation sur le terrain.
Prenant conscience de la nécessité d’une réforme, les pouvoirs publics
ont lancé une réflexion collective, baptisée « RRN-NC 20-30 », dont une des
principales conclusions est la nécessité de mieux distinguer les fonctions de
pilotage respectivement stratégique et opérationnel. De fait, la direction
aujourd’hui assurée par le ministère, se révèle à la fois trop étroite, s’agissant
de la programmation des opérations, et trop
lâche, s’agissant des pratiques dans
les DIR, pâtissant
de la force de l’habitude et d’un manque de doctrine
80
.
Une contractualisation pluriannuelle des objectifs, des niveaux de service
et des moyens permettrait
également un meilleur suivi de l’activité e
t des
résultats, parfois mieux assuré dans les services routiers des collectivités. Cette
réforme rapprocherait aussi le pilotage des DIR du mode de gestion par objectifs
des autoroutes concédées, remédiant à la dichotomie précédemment évoquée.
Une forme de pluri-annualisation favoriserait, enfin, une optimisation
et une massification des travaux. Une direction par objectifs associée à une
plus grande latitude de choix
dans l’usage des moyens, notamment
entre
78
Ce qui ne peut qu’accroître certaines de ses difficultés, parfois, à exercer toute son
autorité sur eux, en particulier dans le cas de CEI isolés.
79
Notamment, les DIR interrogées se sont révélées incapable de fournir des données
statistiques sur l’activité de base, et chronophage, que constitue le «
patrouillage », ni
sur les interventions faisant suite à des incidents.
80
Le nombre d’agents d’administration centrale
chargés du pilotage des DIR
apparaissant assez faible -
75, tous n’étant pas affectés à plein temps à cette tâche
- et,
lui aussi, en diminution (88 en 2011, soit - 15 %).
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76
recours à la sous-traitance et service rendu en régie, créerait les conditions
d’
une appr
oche en termes de coût complet et d’
une gestion des ressources
humaines au plus près des besoins.
Le rapport de la Cour
Une stratégie de finances publiques pour la
sortie de crise
(juin 2021) soulignait
l’intérêt
d’une telle contractualisation
associant objectifs de productivité, prévisibilité des moyens et autonomie
de gestion. Il suggère sa préparation par des missions conjointes des corps
d’inspection. Cette
«
logique d’agence
» responsabilise les acteurs et
cla
rifie les relations entre l’autorité politique, définissant le
« pourquoi » et
l’autorité de gestion, chargée du
« comment ».
La forme que prendrait cette réorganisation dépend de certains
arbitrages politiques. À cet égard, le rapport précédemment cité précise que
cette «
logique d’agence
»
n’impose pas, au niveau organisationnel, de
changement de statut de l’administration concernée.
Cette
gestion
plus
rationnelle,
tournée
vers
l’efficience,
conjointement à une amélioration du suivi et de la prévision de
l’état des
infrastructures
conditions de travaux effectués au bon endroit et au bon
moment
de même qu’à une adaptation des niveaux de service à la réalité
des besoins, permettrait d’importantes économies
et de faire face pour tout
ou partie aux efforts nécessaires.
B -
La question lancinante du financement
Les
choix d’organisation qui viennent d’être évoqués dépendent en
partie de la question financière
. Elle se pose avec acuité, s’agissant du
réseau national, depuis la privatisation des sociétés concessionnaires
d’autoroutes, en 2006, et donc la fin des dividendes qu’elles versaient, puis
l’échec de l’
» écotaxe »
, en 2013, qui ont privé l’
Agence de financement
des infrastructures de transport de France (AFITF) des recettes
correspondantes
81
. La crise sanitaire est aussi venue fragiliser certaines de
ses ressources actuelles, notamment celles qui dépendent du trafic aérien.
La difficulté tient au fait qu’à un besoin durable
d’
entretien et de
renouvellement des infrastructures, ne correspond pas une ressource pérenne
pour le financer
, l’actuelle taxe à l’essieu ne pouvant jouer ce rôle
82
. Une
forme de participation de l’usager
83
sécuriserait les financements et donc
renforcerait la prévisibilité des opérations à mener.
81
«
L’écotaxe poids lourds
: un échec stratégique, un abandon coûteux », rapport public
annuel, février 2017.
82
« Les missions fiscales de la Douane : des coûts trop élevés, une modernisation et
une simplification à mettre en œuvre
», partie I A , rapport public annuel, février 2018.
83
Déjà rendue juridiquement possible pour le transport de marchandises dans le cas du
domaine routier transféré
à la collectivité européenne d’Alsace
(par ordonnance) et à
des régions frontalières (dans le cadre de la loi « Climat et résilience »).
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77
D
’aucuns soulignent que les taxes affectées
créent un risque de
discordance, à long terme, entre ressources et besoins, c’est
-à-dire des
risques d’insuffisances ou, à l’inverse, de gaspillages. En l’occurrence,
cette
participation
s’apparenter
ait fondamentalement à une redevance, ne
comportant pas ces possibles effets pervers. Un calcul rigoureux des taux
adéquats, conçus pour compenser un dommage ou une usure, les éviterait
ou les atténuerait considérablement. Ainsi, l
’ordonnance permettant
l’instauration d’une écotaxe au profit de la collectivité européenne d’Alsace
prévoit que son taux sera fixé de sorte que les recettes n’excèdent pas les
coûts d’infrastructure imputable
s aux véhicules assujettis (une modulation
restant possible, en fonction de la pollution atmosphérique ou sonore).
Il faut signaler, par ailleurs, qu
’à terme,
la décarbonation des
motorisations conduira à un remplacement de la taxation des carburants par
un autre prélèvement, éventuellement fondé sur les distances parcourues,
cette transition étant déjà amorcée dans certains pays.
L
’affectation aux routes d’une ressource pérenne fondée sur leur usage
permettrait de rapprocher le coût marginal privé des déplacements (pour chaque
usager) et le coût supporté par la collectivité, en particulier celui des
infrastructures, qui recouvre le
s frais liés à l’entretien, l’exploitation puis, à terme,
la reconstruction.
Il s’agit d’une application du principe
« usager-payeur ».
Tableau n° 7 :
coût margi
nal d’usage des infrastructures
Routes nationales
non concédées
Autoroutes
concédées
Routes
départementales
VL (
c€/passager
-km)
0,42
1,56
0,64
PL (c€/tonne
-km)
3,96
4,76
13,58
CGDD, « Coûts externes et tarification du déplacement »
Ce tableau met aussi en évidence les risques associés à des
détournements de trafic de poids lourds, des autoroutes et routes nationales
vers des départementales, que le recours à une forme de tarification ne se
limitant pas aux routes nationales pourrait prévenir. De fait, seuls les PL, qui
ne représentent que 5,6 % de la circulation, produisent une dégradation
sensible des chau
ssées, les VL n’entraînant qu’une usure de la couche de
roulement (c’est d’ailleurs pourquoi le dimensionnement des chaussées
dépend essentiellement du trafic PL prévu). L’autorisation de
« méga-
camions », actuellement prohibés en France, et le développement du
«
platooning
» (convois de PL connectés) aggraveraient ce phénomène.
Par ailleurs, une telle redevance
permettrait d’accroître la
contribution au financement des réseaux français des véhicules sous
pavillon étranger, qui représentent le quart de la circulation des PL sur
notre territoire, et d’égaliser ainsi les conditions de concurrence avec
le
pavillon national. Toutefois, la question de la faisabilité technique et de
l’acceptabilité sociale de ce type d’instruments reste entière.
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78
Des modulations en fonction du type de véhicule et de motorisation
permettraient de surcroît faire une place au principe « pollueur-payeur ». Plus
généralement, il existe des coûts « externes »
, liés à la pollution et à l’émission
de gaz à effet de serre, mais aussi au brui
t, aux risques d’accident, à la congestion
etc. Une étude de la direction du Trésor appelle à une meilleure couverture par
l’usager de l’ensemble des coûts qu’il fait supporter à la société
, mettant en
exergue qu’elle serait aujourd’hui particulièrement fa
ible sur les routes
nationales non concédées. En effet, le taux de couverture de ces coûts
n’atteint
que 23 % en moyenne sur cette partie du réseau, contre 170 % sur les autoroutes
concédées, par exemple, compte tenu des péages
venant s’ajouter à la TICPE
84
.
IV -
Dans les départements, les leviers
d’amélioration de la gestion à mobiliser
Des efforts et des progrès de gestion ont été constatés dans plusieurs
départements contrôlés. Ils restent toutefois inégaux.
Par
exemple,
l
es
baisses
d’effectifs
ne
se
traduisent
pas
systématiquement par des gains de productivité si elles s’accompagnent d’un
recours à la sous-traitance dont les coûts et les avantages ne sont pas objectivés.
Des irrégularités maintes fois relevées en matière de commande
publique et de gestion des ressources humaines par les collectivités territoriales
ont été également constatées dans le domaine de la gestion des routes.
Dans ce contexte, les bonnes pratiques identifiées constituent autant
de leviers qui devraient inspirer l’ensemble des responsabl
es routiers.
A -
Le resserrement des organisations et les gains
de productivité
Un mouvement assez répandu de réorganisation et de rationalisation
a eu lieu dans les départements contrôlés
. Il s’est traduit selon les cas par
un regroupement de directions et de services, une diminution des niveaux
hiérarchiques territorialisés, parfois même une réduction importante du
nombre des centres routiers, qui constituent les cellules de base (Gard,
Finistère, Aveyron, Nord, Somme, Savoie, Haute-Savoie, Moselle).
Dans le Nord, ce resserrement a permis de créer des postes
spécialisés utiles (correspondants ouvrage d'art, gestionnaires du domaine
public), d'atteindre la taille critique permettant des réinternalisations et de
mieux faire face aux effets éventuels de l'absentéisme.
84
« Les usagers paient-ils le juste prix de leurs circulations ? », Trésor-Eco, avril 2021.
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DES RÉFORMES ET DES RÉORGANISATIONS NÉCESSAIRES
79
Il convient toutefois de ne pas minorer le coût financier des
investissements immobiliers subséquents (8,7
M€
en cumulé sur 2016-
2019 dans la Somme), qui peuvent s’
avérer nécessaires par ailleurs.
De même, l’adaptation des modalités de surveillance des réseaux, ou
« patrouillage », a permis des gains de productivité dans plusieurs départements.
L’évolution du dispositif de surveillance en Indre
-et-Loire
Au cours de la décennie 2010, le conseil départemental a fait évoluer
son dispositif de surveillance afin de détecter les incidents et anomalies sur
son réseau routier et d’y remédier.
L’objectif d’économies en était à l’origine. Il était
aussi fait référence
à des difficultés rencontrées à la suite de vacances de poste, provoquant dans
certains cas un allégement voire un arrêt de la surveillance.
En termes d’organisation et notamment de nombre d’agents affectés
à la surveillance, le principe annoncé en 2013 et acté par délibération du 27
novembre 2015
un agent avec une tablette numérique au lieu de deux
agents
a
conduit à passer d’une logique de
« patrouillage »
d’intervention
à un « patrouillage » de signalement, ce qui signifie donc une organisation
réactive
des
équipes
d’entretien
et
d’exploitation
qui
doivent
éventuellement intervenir à la suite de ces signalements
85
.
Même si cette évolution a aussi conduit à réduire la fréquence des
patrouilles sur les routes bidirectionnelles du réseau le plus structurant,
l
’approbation
d’un dossier d’organisation par l’assemblée délibérante
a
permis
d’af
ficher une politique claire et contribué à la sécurisation
juridique. La main courante dématérialisée et alimentée
d’abord
par une
tablette puis par des smartphones géolocalisés y participe également.
Il n’y
a plus d’
agent affecté spécifiquement à cette mission désormais.
En matière de viabilité hivernale la conduite des engins par un seul
agent, géolocalisé, a été généralisée en Savoie. Dans ce cas ou dans celui du
patrouillage, les outils numériques ouvre la voie à des gains de productivité.
De fait, les juridictions financières ont constaté fréquemment une
baisse des effectifs qui va au-delà des seules conséquences de certains
transferts aux métropoles. Cela s’est
traduit par une progression du ratio
nombre de kilomètres par agent
86
, sans régression majeure, apparemment,
des services rendus. Il existe toutefois des choix différents, tantôt de
85
Dans les DIR de l’État, ces patrouilles sont le plus souvent assurées par deux agents,
et leur nombre, fixé localement, s’avère parfois
sensiblement plus important que ce qui
est recommandé au niveau national.
86
On constate, par ailleurs, que ce ratio a tendance à diminuer avec le trafic et la rigueur
climatique (cf. annexe 11).
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COUR DES COMPTES
80
préservation du nombre d’agents travaillant directement sur la route (Indre
-
et-Loire, Alpes
de-Haute-Provence) tantôt de diminution généralisée
comme en Savoie. Il convient également de préciser qu’une fraction des
effectifs est mise à disposition du bloc communal dans le cadre de
l’assistance technique.
Comme dans les DIR où une réduction de 9 %
du nombre d’agents
s’est accompagnée d’une hausse de la masse salariale de 2
% entre 2014 et
2019, les frais de personnel ne suivent pas toujours cette tendance à la baisse
des effectifs, certains départements ayant indiqué avoir significativement fait
progresser les régimes indemnitaires
87
.
B -
L’i
nvestissement dans les moyens matériels pour
améliorer l’
efficience
1 -
Un déploiement d’applications numériques à poursuivre,
une exploitation des résultats à conforter
Un large éventail de logiciels est déployé ou en cours de
déploiement, même si les solutions apparaissent encore perfectibles. Leur
utilisation mériterait d’être renforcée dans certaines entités.
Les systèmes d’information routiers en Haute
-Savoie
Le département de Haute-Savoie a mis en place une gouvernance de son
système d’information
structurée
autour d’un schéma directeur. Toutefois, cette
action n’a pas été précédée d’un diagnostic matérialisé par une cartographie des
moyens existants. Celle-ci éclairerait les décideurs dans leurs choix
stratégiques, en favorisant notamment l’identification des applications
les plus
pertinentes, le pôle routes
n’utilisant pas moins
de 75 applications métier.
Utilisés à leur plein potentiel, les logiciels de suivi par activité
permettent de mieux retracer les travaux en régie, ce qui peut améliorer leur
efficacité et faciliter la gestion des heures supplémentaires et des astreintes.
Les outils de comptabilité analytique restent le plus souvent
circonscrits aux matériels roulants et ne permettent pas de distinguer les
coûts selon la catégorie des itinéraires. De même, il apparaît souhaitable de
développer des outils informatiques permet
tant d’automatiser la rédaction
des autorisations d’occupation du domaine public routier et
de faciliter la
coordination de toutes les interventions.
87
Exception à cette tendance générale, le département de
l’Aube présente une stabilité
tant des effectifs que de la masse salariale.
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DES RÉFORMES ET DES RÉORGANISATIONS NÉCESSAIRES
81
Quel que soit le logiciel concerné, les administrateurs de la donnée
ainsi que les personnes chargées de la saisie comme, par exemple, les
correspondants ouvrages d’art et les patrouilleurs
, ont un rôle primordial.
Ils sont les garants de la fiabilité
et donc de l’exploitation
adéquate des
données mises à la disposition des services concernés.
Il existe des exemples récents de cette volonté de modernisation.
Jusqu’au recrutement d’une assistance à maîtrise d’ouvrage en 2020, le
suivi opérationnel du département du Doubs reposait sur des méthodes
traditionnelles et des outils sommaires. Une nouvelle application
informatique doit rationaliser tout à la fois la gestion du patrimoine, les
travaux en régie, l’exploitation et l’information des usagers.
2 -
Le rajeunissement du parc de matériel roulant
Des programmes de renouvellement des matériels roulants ont été
souvent
mis en œuvre
ou initiés avec pour résultat des baisses significatives
de leur ancienneté
. Ces efforts n’auront leur plein effet en termes
d’économies de fonctionnement que dans les années à venir du fait de délais
parfois importants de livraison. Sont en principe attendues une diminution
des effectifs affectés à l’entretien/maintenance du matériel et des économies
de pièces de matériels, voire d’entretien externalisé, ainsi que de carburant.
Outre des indicateurs sur l’état du vieillissement du parc
généralement tenus par les collectivités, le suivi des indisponibilités
consécutives à une panne mériterait d’être davantage développé. C’est le
cas en Savoie, au moins pour les véhicules les plus stratégiques.
C -
La diversité des pratiques en matière de recours
au secteur privé
La grande diversité des modèles retenus
certains départements
externalisant beaucoup plus de fonctions que
d’autres –
semble exclure
l’existence d’un
« modèle » à cet égard.
En vérité, seules des études comparatives distinguant les centres de coût
permettent d’apprécier sur des bases objectives l’opportunité d’
externaliser.
Quelques départements en ont réalisées
, voire, comme l’
Aveyron, mettent en
œuvre
un module informatique de comptabilité analytique.
De ce point de vue, la tendance récente dans les départements de
l’échantillon parait être au
statu quo
.
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COUR DES COMPTES
82
Certains départements se sont néanmoins engagés dans
la voie d’une
plus grande externalisation y compris des activités traditionnellement
exercées en régie comme la viabilité hivernale et le fauchage. Il en a pu en
être de même progressivement pour l’entretien du matériel, du marquage
horizontal et de la pose de glissières (Alpes-de-Haute Provence). Dans le
Doubs, le nombre d’itinéraires
de déneigement confiés à des personnes
privées (entreprises de travaux publics et agriculteurs) est plus important que
ceux gérés directement par la collectivité (76 contre 53 en 2019).
D’autres départements, à l’inverse
, se sont orientés vers une
réinternalisation des activités (Nord), permettant une plus grande réactivité.
La taille critique des entités de gestion est essentielle. En Moselle, cette
orientation, mise en œuvre en matière de viabilité hivernale et de
signalisation horizontale s’accompagne d’une plus grande polyvalence des
agents mais aussi d’une augmentation du nombre d’heures supplémentaires.
Garantir la régularité des procédures de mise en concurrence
Les contrôles des chambres régionales mettent régulièrement en évidence
la nécessité de corriger des irrégularités et d’a
méliorer la commande publique.
Encore à l’occasion de la présente enquête, des manquements
,
d’incidence
variable, ont été relevés, par exemple en Occitanie et en Auvergne-Rhône-Alpes :
cas d‘absence d’allotissements,
de
critères irréguliers d’analyse des o
ffres,
d’offres anormalement basses, de recours illégal à des marchés de prestations
similaires, de
déclenchement de procédures d’urgence qui auraient pu être évitées.
Le travail sur la pertinence des critères de jugement de la
performance environnementale des offres doit également se poursuivre88,
en prévision des prochaines obligations supplémentaires qui ne manqueront
pas d’être adoptées
en la matière.
D -
L
’attractivité des métiers de la route
Les services routiers doivent relever le défi que représente, comme
pour ceux de l’État, la vacance de postes et la perte d’attractivité de ces
professions, en particulier dans le domaine de l’ingénierie –
y compris des
postes d’encadrement. En Haute
-Marne, le poste de directeur des routes est
ainsi resté vacant un an.
88
L’article 35 de la loi n°
2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement
climatique et renforcement de la résilience face à ses effets dispose qu’au moins un
critère de sélection devra prendre en compte les caractéristiques environnementales,
selon des modalités à préciser par un décret à venir.
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DES RÉFORMES ET DES RÉORGANISATIONS NÉCESSAIRES
83
L’enjeu est de taille dans certains départements comme en Indre
-et-
Loire, où 50 agents ont déclaré leur intention de partir en retraite lors des
trois prochaines années, soit près de 20 %
de l’effectif total. Parallèlement,
l’externalisation peut également rencontrer l’obstacle de la rareté voire de
l’inexistence de certain
es compétences spécifiques sur le marché local, en
particulier dans des départements ruraux.
Il s’agit là d
e l
’effet visible, à tous les niveaux de recrutement (des
ingénieurs aux descendants des « cantonniers »),
d’un certain déclin de toute
une filière, déjà évoquée dans le cas du réseau scientifique et technique. Le
manque de candidats se double d’une perte de
compétences chez les
personnes recrutées, souvent issues d’une formation en génie civil axée sur
le bâtiment, ce qui nécessite, pour les mettre à niveau un « compagnonnage »
de plusieurs années
89
. Cette situation pénalise particulièrement les
départements ruraux, en particulier de montagne, où les besoins peuvent être
pourtant plus importants. Particulièrement préoccupante, elle pourrait
justifier une réflexion sur la gestion prévisionnelle des compétences dans ce
secteur, qui, si elle doit être concertée, r
elève d’abord de l’initiative de l’
État.
Cette tendance défavorable peut
s’expliquer par la fin des grands
programmes de construction de nouvelles routes et autoroutes mais elle est
aussi le reflet de la médiocre image écologique de ces dernières
impression
ressentie et exprimée par de nombreux interlocuteurs. Il faut pourtant rappeler
que le chemin vers des mobilités décarbonées, par exemple, ne passe pas
seulement par le report modal, mais, au moins autant, par la décarbonation des
mobilités routières qui, vraisemblablement, resteront largement majoritaires.
Outre
d’actions
de formation et d’apprentissage, relever le défi de
l’attractivité des métiers dépend de la capacité des gestionnaires à
réformer,
moderniser, redynamiser leurs politiques, comme on en a décrit la nécessité
au fil du présent rapport.
89
À cet égard, un rapport du CGEDD (
Développement des capacités de réalisation de la
restauration de ouvrages d’art routier
, 2019) préconise la création d’un mastère «
Génie civil,
maintenance et réparation des ouvrages d’art
»
à l’École nationale des ponts et chaussées.
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COUR DES COMPTES
84
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La plupart des gestionnaires routiers,
qu’ils soient chargés du
réseau national ou de réseaux départementaux, ont connu ces dernières
années une diminution sensible de leurs effectifs.
S’agissant des routes nationales, ces évolutions ne se sont pas
accompagnées de réorganisations des moyens et d’adaptation des niveaux
de service, leur gestion se caractérisant par une certaine inertie. Attesté
par le lancement d’une réflexion collective à l’initiative de l’administration
centrale, ce besoin de réforme est patent mais tarde à se concrétiser par
un engagement clair et des changements réels. Elle devrait comprendre le
passage à un mode de gestion par objectifs, une forme renforcée de pluri-
annualité
, une adaptation des niveaux de service et de l’organisation
territoriales des DIR aux moyens et aux besoins.
Par contraste, les départements contrôlés ont souvent mené à bien
des réorganisations importantes, de même que des investissements dans
l’acquisition d’applications informatiques et de matériel roulant. Ces
choix devraient inspirer l’ensemble des gestionnaires
et s’accompagner
,
là encore,
d’
un réexamen régulier des niveaux de service au regard des
attentes des usagers et des innovations disponibles. À
l’instar de
l’élaboration de
scénarios technico-budgétaires, évoquée au chapitre
précédent, l’adaptation de
ces niveaux de service relève de la
responsabilité de chaque gestionnaire.
Qu’il s’agisse de l’
État ou des départements, se pose la question du
financement et de la soutenabilité de la politique d’entretien et
d’exploitation, alors que les effets du changement climatique augmentent
tendanciellement les coûts. Des solutions existent mais la question de la
faisabilité technique et de l’acceptabilité sociale de
s différents types
d’instruments
envisageables
mérite d’être approfondie
.
La Cour formule les recommandations suivantes :
8. Réexaminer et formaliser des niveaux de services adaptés aux
trafics et en assurer le contrôle (État, départements
, d’ici 2024
) ;
9. Réformer la gestion du réseau routier national non concédé, en
mettant en place une contractualisation pluriannuelle d’objectifs et de moyens
avec les directions interdépartementales des routes (État
, d’ici 2024
) ;
10.
Se donner les moyens d’un financement pérenne d
es réseaux non
concédés, national et départemental, sans exclure des prélèvements liés à
l’
usage des routes, notamment au fret (État, départements
, d’ici 2025
).
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Conclusion générale
Par-
delà ses responsabilités de gestionnaire d’une partie du
linéaire, l’
État
demeure le garant de la cohérence et de l’efficacité du réseau
routier dans son ensemble. Il s’agit d’un r&