Cour des comptes
Le Premier président
Réf.:
71433
à
Madame Christiane Taubira
Garde des Sceaux
Ministre de
la
justice
Monsieur Bernard Cazeneuve
Ministre de l'intérieur
Le
2 2
DEC.
2014
Objet
:
la
fonction de police judiciaire dans
la
police et
la
gendarmerie nationales
La Cour des comptes a procédé,
en
application de l'article
L.
111-3 du code des juridictions
financières, au contrôle de
la
fonction de police judiciaire dans
la
police et
la
gendarmerie
nationales.
À
l'issue de
la
phase de contradiction avec les administrations compétentes elle
m'a demandé, conformément
à
l'articleR. 143-1
du
même code, d'appeler votre attention sur
les principales observations résultant de ses travaux.
L'exercice de
la
fonction de police judiciaire mobilise d'importants moyens humains,
logistiques et techniques. Les dépenses de personnel des services d'enquêtes pouvaient
être estimées en 2013
à
2,42 Md€ dans
la
police et
1,
76 Md€ dans
la
gendarmerie, pour
respectivement 40 845 et 24 292 équivalents temps plein travaillés (ETPT)
1
.
La Cour estime que l'organisation des missions de police judiciaire se caractérise
notamment par une complémentarité encore insuffisante des services de police et des unités
de gendarmerie qui y contribuent
(1),
une grande disparité des résultats obtenus en matière
d'élucidation des faits de délinquance (Il) et une répartition des effectifs déséquilibrée entre
leurs services territoriaux qui appelle des corrections(lll).
1
Source:
rapports annuels de performance (RAP) du programme
176-
Police nationale
et du programme
152-
Gendarmerie
nationale,
dépenses estimées au prorata de l'activité judiciaire
au
sein de l'activité totale. Pour l'année 2013,
ni
la
police
ni
la
gendarmerie n'ont évalué les dépenses autres que de personnel relatives
à
la
fonction de police judiciaire, pourtant importantes
du fait
du
recours accru
à
la
police technique et scientifique.
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TI
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1.
Une complémentarité des forces encore insuffisante
Au sein de la police nationale, différents services centraux et territoriaux disposent de
fonctionnaires aptes
à
mener des enquêtes judiciaires.
La
plupart d'entre eux sont employés
par
la
direction centrale de
la
sécurité publique (DCSP),
la
direction centrale de
la
police
judiciaire (DCPJ) et
la
préfecture de police de Paris. Ces entités sont organisées
de
façon
distincte et cloisonnée.
L'organisation de
la
gendarmerie est régie par
un
principe non de spécialisation des tâches,
comme dans la police, mais de polyvalence des unités de base. Les brigades territoriales
autonomes (BTA) et les communautés de brigades (COB) sont responsables du traitement
judiciaire de la délinquance de masse. Pour les investigations plus longues et complexes,
elles peuvent, sans être dessaisies, recevoir
le
soutien des unités spécialisées : les brigades
de
recherches implantées
à
l'échelon de l'arrondissement et les sections de recherches
à
l'échelon régional.
Ces différences d'organisation entre
la
gendarmerie et
la
police, comme
au
sein
de
cette
dernière, ne favorisent pas
la
complémentarité de leurs actions.
A.
Des relations opérationnelles
à
renforcer,
au
sein de
la
police nationale, entre
les services de la sécurité publique et ceux
de
la
DCPJ
Sur plan opérationnel, les services d'enquêtes
de
la
sécurité publique et ceux de
la
police
judiciaire fonctionnent de façon cloisonnée. Leur cosaisine par l'autorité judiciaire est
rarissime. Ils ne forment jamais de groupes d'enquêtes communs contrairement aux unités
d'investigation et unités de base de la gendarmerie.
Si cette dualité interne
à
la
police nationale devait demeurer,
la
principale marge de progrès
réside dans
la
mutualisation
du
renseignement sur les formes de criminalité organisée
comme le trafic de stupéfiants
ou
le trafic d'armes
:à
l'échelon local des progrès sont ainsi
nécessaires en ce qui concerne les échanges entre les services régionaux de
la
police
judiciaire (SRPJ) et les sûretés implantées dans les commissariats. Les premiers visent le
démantèlement des grands réseaux d'approvisionnement
à
l'échelle
nationale et
internationale. Les seconds, chargés d'interpeller les trafiquants locaux, ne sont pas
organisés pour trier la masse des informations collectées par leurs unités de terrain, pourtant
disponibles sur
la
main courante informatisée (MCI),
en
vue d'alimenter le travail d'initiative
de
la
police judiciaire.
Pour les affaires de trafics de stupéfiants, des échanges d'informations opérationnelles sont
susceptibles d'avoir lieu
au
sein des bureaux de liaison (BOL) réunissant périodiquement les
enquêteurs de la DCPJ et ceux de la sécurité publique. Il importe que ceux-ci s'attachent
à
s'y informer mutuellement de leurs enquêtes et de leurs cibles.
Au sein de la DCPJ, le service d'information,
de
renseignement et d'analyse stratégique sur
la criminalité organisée (SIRASCO), auquel est confiée
la
mission de centralisation et
d'exploitation du renseignement judiciaire, travaille peu avec
la
DCSP, alors qu'une grande
partie de
la
délinquance de masse procède de réseaux de criminalité organisée.
Quelques mesures ont été adoptées pour renforcer les relations opérationnelles entre les
services locaux de sécurité publique et de
DCPJ
: l'extension
à
l'ensemble
de
la criminalité
organisée de
la
compétence des bureaux de liaison ;
la
mise
en
place
du
fichier national des
objectifs
en
matière de stupéfiants (FNOS) ;
la
création d'antennes territoriales du SIRASCO
et de
la
plate-forme d'identification des avoirs criminels (PIAC).
Enfin, selon
la
direction générale de
la
police nationale (DGPN), de nouvelles méthodes de
travail ont été mises en place dans les zones de sécurité prioritaires (ZSP), dont certaines
concernent le renforcement des relations opérationnelles
en
matière d'investigations
ou
de
renseignement, entre les services territoriaux de
la
sécurité publique et ceux de la
DCPJ.
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Dans l'attente d'un bilan global des ZSP,
la
Cour estime que la recherche d'une meilleure
coordination, notamment grâce
au
développement des cosaisines décidées par l'autorité
judiciaire et l'échange de renseignements entre les services territoriaux de la DCPJ
et
de
la
DCSP, devrait être l'une des priorités de la police nationale.
Cependant, compte tenu des limites d'une telle démarche,
il
conviendrait de ne pas écarter
à
moyen terme une réforme plus profonde de l'organisation territoriale de
la
police nationale
visant
à
intégrer
au
sein d'un même réseau
les
services de
la
sécurité publique et de la
police judiciaire en les dotant localement d'un commandement commun selon le modèle
en
vigueur
à
Paris et dans sa Petite Couronne.
B.
La concurrence entre les enquêteurs de la police
et
ceux de la gendarmerie
La compétence judiciaire conjointe de la police et de
la
gendarmerie suscite une situation de
concurrence, seulement régulée par
l'autorité judiciaire
à
qui
il
incombe de saisir les
services d'enquête
2
•
Le
protocole du 25 avril 2006, conclu entre le ministère de la justice et
la gendarmerie nationale, dispose que cette dernière possède une compétence judiciaire qui
est générale et s'exerce sur l'ensemble
du
territoire national. Ce texte ne fait aucune
référence aux services judiciaires de la police nationale
ni
à
un
quelconque partage
fonctionnel ou territorial entre les deux forces, y compris dans les domaines
où
les risques
de chevauchements sont patents comme celui
du
trafic de stupéfiants.
De fait, le traitement de la délinquance de masse est réparti en fonction du
lieu
de
commission des faits en «zone de police»
ou
«zone de gendarmerie »
3
.
Cependant,
ce
critère est peu pertinent pour la moyenne
ou
surtout la grande délinquance, souvent de
caractère itinérant
ou
en réseau,
à
une échelle nationale
ou
internationale.
La
police
nationale revendique donc une répartition des saisines selon une logique de spécialisation
qui lui attribuerait toutes les enquêtes sur la grande criminalité organisée (trafic international
de stupéfiants, grand banditisme) et de terrorisme, laissant
à
la
gendarmerie le traitement
des cambriolages, les faits de délinquance itinérante, les vols de métaux et atteintes
à
l'environnement, commis dans sa zone géographique. Cependant,
la
gendarmerie a
développé les moyens d'investigation de ses unités pour pouvoir être saisie de tous les
crimes et délits commis dans sa zone.
Nombreuses sont les occasions pour les services de police et les unités de gendarmerie
d'enquêter d'initiative sur les
mêmes«
cibles
»,
à
partir de leurs renseignements respectifs,
en vue d'une saisine par l'autorité judiciaire dans une procédure de flagrant délit
ou
d'enquête préliminaire.
Il
n'est pas rare que
les
deux forces se disputent l'attribution des
affaires complexes. Il n'existe entre elles que
peu
de coopération opérationnelle. Il serait
à
cet égard bienvenu qu'elles soient amenées
à
travailler dans le cadre de cosaisines de
l'autorité judiciaire.
Bien que le principe
en
soit posé par le code de procédure pénale (article
DB),
le partage
du
renseignement, clé de
voOte
du métier des enquêteurs judiciaires, reste rare et alimente les
rivalités. Par exemple, les services centraux des deux forces continuent de gérer leurs
informateurs judiciaires sur deux fichiers séparés en
se
limitant
à
échanger périodiquement
une liste de ceux considérés comme
non
fiables. De même,
un
groupe de liaison sur les
stupéfiants est
en
place dans les SRPJ:
il
conviendrait que policiers et gendarmes se
placent
en
situation d'y échanger réellement sur leurs
«
objectifs
».
2
Selon
l'article
12-1
du
code
procédure
pénale,
«le
procureur
de
la
République
et
le
juge d'instruction ont
le
libre
choix
des
formations auxquelles appartiennent
les
officiers
de
police
judiciaire
».
3
En
ce
qui
concerne les missions
de
sécurité
publique,
le
territoire
national
est
partagé
entre
les
services
locaux
de
la
direction
centrale de
la
sécurité
publique,
implantées
essentiellement
dans
les
villes
de
plus
de
20
000
habitants,
et
les
unités
de
base
de
la
gendarmerie.
Cf.
le rapport sur
La
redéfinition
des zones
de
compétences
de
fa
police et
de
gendarmerie
nationales,
remis
en
octobre
2011
au
président
de
la
commission
des
finances
de
l'Assemblée
nationale
en
application
du
2"
de
l'article
58
de
la
LOLF.
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Les relations concurrentielles entre les deux forces ont suscité
Je
projet, annoncé
au
début
de 2014 par le ministre de l'intérieur avant d'être retiré, de créer une «structure commune»
à la police et
la
gendarmerie, destinée à lutter contre
la
criminalité organisée et le terrorisme
en Corse.
Cette concurrence a
un
impact négatif sur l'emploi des moyens. Les effectifs des services
d'enquêtes de la police et ceux de la gendarmerie sont affectés dans les territoires sans
concertation. Ainsi, des antennes de police judiciaire à faible effectif rivalisent avec des
sections de recherches de
la
gendarmerie pourtant mieux dotées.
Afin d'améliorer
ta
coordination des deux forces, objectif visée par l'intégration
de
la
gendarmerie
au
ministère de l'intérieur en 2009,
il
conviendrait d'évoluer vers une répartition
géographique
ou
thématique des champs d'intervention judiciaire de
la
police et
de
la
gendarmerie
en
matière de criminalité organisée.
Un
protocole cadre de répartition des
compétences judiciaires, commun aux deux forces de sécurité, pourrait être conclu
avec
le
ministère de la justice puis décliné à travers des protocoles locaux conclus avec
les
parquets. Ces protocoles n'auraient qu'une valeur indicative, les magistrats conservant leur
liberté de choix des formations saisies.
Un
tel dispositif existe depuis 2007 pour la répartition
des saisines entre les services de sécurité publique et ceux de
la
DCPJ
4
•
11.
La grande disparité des résultats
en
matière d'élucidation des faits de
délinquance
En
matière de délinquance de masse, l'efficacité des services d'enquêtes peut se mesurer
grâce
au
taux moyen d'élucidation, c'est-à-dire
au
pourcentage des crimes et délits dont les
auteurs présumés ont été identifiés
au
cours d'une période donnée, généralement
une
année. En zone de police comme de gendarmerie,
ce
taux connaît de grandes variations
géographiques.
A.
Les services de sécurité publique
Dans les 334 circonscriptions de sécurité publique (CSP), le taux moyen d'élucidation
fluctuait, en 2012, de
23%
à Corbeil jusqu'à
70%
à Argentan. Pour
80%
des
CSP,
il
était
compris entre
30,6%
et 51,4
%.
Certes,
Je
taux de délinquance, c'est-à-dire
Je
nombre de crimes et délits pour
1 000 habitants, connaît aussi une grande dispersion.
Il
n'existe toutefois pas de corrélation
marquée à l'échelle nationale entre
le
taux d'élucidation et
le
taux de délinquance.
Ainsi,
les
17 CSP où le taux de criminalité a été voisin
en
2012 de
sa
valeur médiane (compris entre
59
%o
et
61
o/oo)
ont obtenu des taux d'élucidation qui variaient de 27 % à Poissy à
52%
à
Basse-Terre.
Cette forte dispersion du degré d'efficacité des enquêtes judiciaires s'observe notamment
entre les sûretés
5
•
Selon les réponses des directeurs départementaux de la sécurité publique
à la Cour, le taux moyen d'élucidation des atteintes aux biens par les sûretés
départementales avait varié
en
2011
du simple
au
double, soit de
6,4%
(Finistère) à
14%
(Meurthe-et-Moselle, Maine-et-Loire).
Les
variations étaient encore plus amples pour
tes
atteintes aux personnes (de
18%
dans la Somme
ou
19%
dans l'Hérault jusqu'à
75%
dans
la Loire et
77%
dans
J'Oise).
4
Protocole
cadre
national
du
7
novembre
2007
sur
la
répartition
des
compétences
judiciaires,
conclu
entre
la
direction
générale
de
la
police
nationale
et
la
direction
des
affaires
criminelles
et
des
grâces,
décliné
en
principe
localement.
5
Dans
les
services territoriaux
de
sécurité
publique,
les
services
d'enquêtes
spécialisés
sont
de
deux
types :
les
sOretés
urbaines
(ou
départementales)
dans
les
grandes
villes
et
les
brigades
de
sOreté
urbaine
dans
les
autres.
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B.
Les unités de la gendannerie
En moyenne régionale,
le
taux d'élucidation des crimes et délits, obtenu par les unités
de
la
gendarmerie, s'échelonnait en
2011
de
34,9%
en Languedoc-Roussillon
à
53,5%
dans
le
Limousin, soit un écart de 1
à
1,5, élevé
à
ce niveau d'agrégation.
À
l'échelon départemental, la dispersion est encore plus importante. Elle s'observe entre
départements qui connaissent une délinquance quantitativement comparable. Ainsi,
dans
les
dix départements où la gendarmerie enregistre le plus grand nombre d'atteintes aux biens
(plus de 14 000), le taux moyen d'élucidation variait en
2011
entre 9 % et 16
%.
A
l'opposé,
au sein du quart des départements ayant connu le moins d'atteintes aux
biens,
il
s'échelonnait de
11
% (Corse-du-Sud)
à
32 % (Aveyron).
Ainsi, l'efficacité fortement variable des enquêtes judiciaires ne dépend pas de l'importance
du nombre de crimes et délits traités annuellement.
En
revanche, elle peut résulter
de
la
répartition déséquilibrée des effectifs analysée ci-après.
En effet, la durée d'activité judiciaire n'est pas non plus corrélée
à
l'intensité relative
de
la
délinquance. Ainsi, la Cour a constaté que, dans les régions Languedoc-Roussillon et
Bourgogne, des unités de base (BTA
ou
COB) peuvent traiter le même niveau de
délinquance (en nombre de faits par gendarme) en y consacrant globalement
un
temps
d'activité judiciaire (en nombre d'heures par gendarme) qui varie du simple au double.
Le
temps moyen d'investigation évolue en fonction inverse de leur charge de travail.
Le
taux
moyen d'élucidation a tendance
à
faire de même.
Ill.
Une
répartition des effectifs déséquilibrée entre leurs services territoriaux
qui appelle des corrections
Dans la police comme dans
la
gendarmerie,
la
répartition des effectifs entre les services
territoriaux ne tient pas assez compte de
la
charge d'activité judiciaire. Des mesures de
réorganisation paraissent donc nécessaires dans les services de sécurité publique,
dans
le
réseau des antennes de police judiciaire et dans
le
maillage territorial de
la
gendarmerie.
A.
Dans les services de sécurité publique
1.
Les effectifs des unités d'investigation
peu
corrélés
au
niveau
de
la
délinquance
Environ 9 650 agents (données de 2012) sont spécialisés,
au
sein des commissariats de
police, dans des missions de police judiciaire. Des unités d'investigation confrontées
à
un
même niveau de délinquance peuvent avoir des effectifs très différents. Par exemple, dans
les 53 circonscriptions de sécurité publique
(CSP),
dotées d'une brigade de sûreté urbaine
(BSU), où sont enregistrés entre 2 000 et 3
000
crimes et délits par an et par
CSP,
les
effectifs de ces unités sont compris entre 7
à
40 agents, sans corrélation avec l'intensité de
la délinquance. Des moyens d'ampleur différente sont mis en oeuvre pour répondre
à
des
situations équivalentes, comme dans les
CSP
de Longwy (BSU de
11
agents)
et
de
Val-de-Reuil (22 agents) qui traitent toutes deux 2 500 faits de délinquance par an.
Le nombre moyen de faits constatés dans
le
ressort d'une CSP rapporté au nombre d'agents
de sa BSU varie de
51
(Mende)
à
447 (Juvisy-sur-Orge). Les écarts importants autour
de
la
valeur médiane (159 faits par agent) ne concernent pas des situations isolées ou atypiques.
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Les effectifs des BSU ne tiennent pas suffisamment compte de l'importance
de
la
délinquance enregistrée localement.
Le
même constat peut être fait dans les CSP
les
plus
importantes, dotées d'une sûreté urbaine
ou
départementale.
Ces déséquilibres marqués expliquent,
au
moins
en
partie,
la
grande dispersion
du
taux
moyen d'élucidation entre les
CSP.
Quand
la
charge judiciaire par enquêteur est plus
importante, le temps consacré aux investigations est ajusté à
la
baisse et
le
taux
d'élucidation diminue.
2.
La nécessité d'un dispositif complémentaire d'allocation des effectifs
Depuis 2007, pour répartir les effectifs de gardiens de
la
paix et de gradés,
la
direction
centrale de
la
sécurité publique attribue à chacune
de
ses directions départementales
un
effectif départemental de fonctionnement annuel (EDFA) déterminé
en
fonction
de
la
population et de dix autres paramètres représentatifs de leur activité
6
•
Au vu de
I'EDFA,
le
directeur départemental procède, sous l'autorité
du
préfet,
au
moyen des mêmes
clés
de
répartition, à
la
ventilation des effectifs entre les
CSP
placées sous son autorité, avant
validation finale par le directeur central de
la
sécurité publique.
Fondus dans l'enveloppe attribuée à leur
CSP
de
rattachement, les effectifs des sûretés et
des brigades de sûreté urbaine ne font
pas
l'objet d'un traitement particulier.
Ils
sont
déterminés par les directions départementales
de
la
sécurité publique (DDSP) sans recours
à une grille de référence.
En
outre,
il
n'existe pas
de
dispositif d'évaluation de
la
bonne
adéquation de ces effectifs à l'importance et à
la
structure de
la
délinquance prise en
charge.
Afin de réduire les déséquilibres observés entre
les
effectifs des services d'enquêtes
(sûretés et brigades de sûreté urbaine)
au
regard
de
la
délinquance constatée localement,
il
conviendrait de leur appliquer un référentiel spécifique, complémentaire
du
référentiel
EDFA,
qui permettrait, sans retirer tout pouvoir d'appréciation aux responsables locaux, de mettre
davantage ces effectifs
en
adéquation avec
les
caractéristiques locales de
la
délinquance
qu'ils sont amenés à prendre
en
charge.
B.
Les antennes de
PJ
Rattachées aux services régionaux de police judiciaire, qui ont leur siège dans les chefs-
lieux de région, 37 antennes de police judiciaire sont implantées dans certains
départements.
1.
Des effectifs mal calibrés
en
fonction
de
l'activité judiciaire
Ces antennes traitent
en
moyenne 6 000 faits
de
délinquance et de criminalité par
an,
soit
44%
de
l'activité des services territoriaux
de
la
DCPJ,
alors qu'elles emploient
24%
de
ses
effectifs (934 agents). Elles conduisent généralement des enquêtes moins longues et
complexes que les services centraux
ou
les
SRPJ.
Elles ont des effectifs très variables qui
vont de moins d'une dizaine d'enquêteurs dans
les
plus petites
(3
à Quimper, 9 à Périgueux)
jusqu'à 104 dans la plus importante (Nice).
Les effectifs des antennes paraissent mal ajustés à leur l'activité. Par exemple, les antennes
de
Pau
et d'Agen, qui ont l'activité
la
plus faible
(en
moyenne, 144 et 140 procédures
établies au cours des années
2011
et 2012), ont des effectifs très différents
(12 et 6 enquêteurs respectivement).
De
fortes disparités sont aussi observées
entre des antennes à l'activité plus soutenue, telles que celles d'Évry (27 enquêteurs pour
6
La
mise
en
place
des
EDFA
a été
analysée
dans
le
rapport
public
thématique
de
la
Cour
sur
L'organisation
et
la
gestion
des
forces
de
sécurité
publique
Quillet
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455 procédures) et de Metz (17 enquêteurs pour 469 procédures).
Il
conviendrait
que
la
DGPN se dote d'un outil de répartition des effectifs des antennes de police judiciaire qui
tienne compte de manière plus rationnelle de leur niveau d'activité.
2. Des possibilités
de
restructuration
du
réseau
des antennes
Certaines antennes de police judiciaire sont implantées dans des départements où le
niveau
de la délinquance, relativement faible, ne justifie pas leur présence. Elles traitent
un
petit
nombre des faits qui, pour partie, pourraient être pris
en
charge par les services d'enquête
de
la
sécurité publique, les SRPJ
ou
les sections de recherches de la gendarmerie.
L'antenne judiciaire de Périgueux (9 agents), qui prend en charge moins d'un fait par
semaine en moyenne, couvre le département de la Dordogne dont le taux de délinquance
(48
%o)
est relativement faible. Avec, en outre, les deux brigades de sûreté urbaine
(BSU)
implantées à Périgueux (24 agents) et à Bergerac (13 agents), le département
de
la
Dordogne est mieux doté que celui du Tarn-et-Garonne qui, malgré un taux de délinquance
sensiblement plus élevé (68
%o),
dispose de moins d'enquêteurs judiciaires dans ses
BSU
(5 agents à Castelsarrasin et 27 à Montauban).
L'antenne de Coquelles couvre le département
du
Pas-de-Calais avec 13 agents qui traitent
en moyenne une soixantaine de faits par an contre le double à l'antenne de Creil et le triple à
celle d'Amiens. Ce département est, en outre, doté à Lens d'une importante sûreté
départementale (117 agents) ainsi que de 14
BSU
(effectif total de
241
agents).
Le réseau des antennes de
PJ
devrait être restructuré dans le cadre d'une approche prenant
en compte les services d'investigations de la sécurité publique. Localement, des frais de
structure pourraient ainsi être économisés.
Des
difficultés liées
au
cloisonnement entre les
équipes d'enquêteurs de
la
PJ
et celles de
la
sécurité publique pourraient en outre être
levées.
La Cour recommande de fermer les antennes de police judiciaire implantées dans des villes
aussi dotées d'une sûreté urbaine, quand
le
niveau de
la
criminalité y est peu élevé,
ou
dans
des départements
où
celle-ci est, pour une large part, constatée en zone de gendarmerie.
C.
La
gendarmerie nationale
7
1. L'adéquation imparfaite des effectifs des unités
à
l'importance
de
la
délinquance
Au sein d'une région, pour
un
même niveau de délinquance dans leur ressort territorial, des
unités sont dotées d'effectifs qui peuvent varier
du
simple au double. Cela se vérifie
à
la
fois
dans des territoires faiblement exposés à
la
délinquance (jusqu'à moins d'un fait par jour
constaté par certaines BTA
ou
COB) mais aussi dans d'autres
à
l'activité délictuelle
beaucoup plus importante.
Le nombre moyen de faits par gendarme tend
à
augmenter en fonction de la taille des unités
avec une forte dispersion autour de cette tendance. Par exemple, dans
la
région
Languedoc-Roussillon, dix unités toutes dotées d'un effectif de 18 gendarmes présentent
une charge d'activité qui varie de 5 faits
à
71
faits par gendarme. Les deux unités les mieux
dotées de la région traitent
un
flux de délinquance moins important, rapporté à leurs effectifs,
que d'autres unités.
7
Les
observations
suivantes
résultent
notamment
de
l'analyse
des
données
détaillées
relatives
à
l'activité et
aux
effectifs
des
unités
des
régions
Languedoc-Roussillon
et
Bourgogne,
qui
ont
fait
l'objet
d'investigations
sur
place
dans
le
cadre
de
renquête
de
la
Cour.
Cette
analyse
n'a
pas
été
contestée
par
la
direction
générale
de
la
gendarmerie
nationale.
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Cambon
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La direction générale de
la
gendarmerie nationale arrête un tableau des effectifs annuels
(TEA) en fonction d'un ratio fixé, pour chaque BTA
ou
COB, à un gendarme pour
1 000 habitants (ou pour 800 habitants dans les zones périurbaines). Sur proposition des
commandants de région, la DGGN peut, d'une année à l'autre, ajuster à
la
marge les
effectifs de certaines unités afin de tenir compte de l'évolution de leur population
ou
de
la
création de nouvelles infrastructures attirant du public. Toutefois,
il
n'existe pas de référentiel
d'emploi, définissant la liste et la pondération des paramètres représentatifs de l'activité, pris
en compte pour définir l'effectif de référence.
Des mouvements d'emplois ont lieu entre les départements et les régions, mais ils portent
sur des nombres modestes à l'échelle de
la
gendarmerie et n'ont qu'un faible impact sur la
répartition spatiale des effectifs. Ainsi, en 2012, 553 suppressions d'emplois ont été opérées
aux tableaux des effectifs de groupements départementaux et 93 emplois ont été créés dans
une vingtaine de groupements et quelques sections de recherches.
Des unités ont été fermées : 102 brigades territoriales de proximité (3,8 %), 40 BTA
(6,
1 %)
et
26 brigades de recherches (6,9 %) du
31
décembre 2008
au
31
décembre
2012.
La
DGGN évalue à environ 2 000 le nombre d'emplois concernés par ces fermetures, les
effectifs correspondants étant le plus souvent redéployés dans le département ou la région.
La répartition territoriale des effectifs peut aussi être améliorée
en
adaptant le maillage des
COB. Les brigades territoriales de proximité qui les composent comportent souvent moins
d'une dizaine de gendarmes, dont
la
moitié est disponible quotidiennement. Une étape
supplémentaire pourrait être franchie dans
le
processus d'adaptation du maillage territorial
en
«
autonomisant
»
certaines COB, c'est-à-dire en regroupant leurs effectifs au sein d'une
seule unité et en supprimant les petites brigades de proximité dans les zones de très faible
activité.
La grande diversité des situations locales à laquelle est confrontée la gendarmerie n'est que
partiellement prise en compte par son système de répartition spatiale des effectifs, dont la
logique reste principalement axée sur l'importance de la population prise en charge. Elle
devrait se doter d'un référentiel de répartition de ses effectifs entre régions, départements et
unités de base, identifiant les différents paramètres représentatifs de leur niveau d'activité.
2.
Des niveaux d'activité fortement variables
Avec
un
taux moyen de criminalité de 28
%o
de
la
population dans sa zone géographique de
compétence, la gendarmerie fait face à une délinquance beaucoup moins intense
que
la
police (69
%o).
Cependant, elle doit surmonter une double contrainte : la dispersion des
populations et la grande diversité des territoires dont elle est chargée (espaces ruraux,
territoires« rurbains
»,
périphéries d'agglomérations, voire cités sensibles).
Du fait de cette grande dispersion à la fois des densités démographiques et des taux de
délinquance, le volume des sollicitations judiciaires des groupements de gendarmerie
(enregistrement des plaintes, enquêtes, interpellation des auteurs) est très variable d'un
département à l'autre. En matière d'atteintes aux biens, par exemple, le nombre
de
faits
constatés variait en 2011 de 735 dans le Cantal à 22 919 dans l'Hérault. Dans 10
%des
départements, le nombre d'atteintes aux biens était inférieur à 1 900 ; à l'opposé,
il
était
supérieur à 14 000 dans
10%
des départements.
Dans certains départements,
la
part de
la
délinquance
en
zone de gendarmerie dépasse
celle constatée en zone de police. L'organisation de
la
gendarmerie départementale doit
s'adapter à cette diversité ainsi qu'à l'évolution continue des populations résidentes et
saisonnières et des formes de délinquance. Cette capacité d'adaptation constitue l'un des
enjeux principaux de l'exercice de
la
fonction de police judiciaire par
la
gendarmerie. Elle
paraît pourtant insuffisamment assurée par l'organisation mise
en
place.
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La
Cour a constaté, en effet, que l'activité judiciaire des gendarmes affectés
dans
les
brigades de recherches (BR), qui devrait normalement occuper
la
quasi-totalité
de
leur
activité opérationnelle, est
en
fait très variable d'une unité
à
l'autre. Les écarts peuvent aller
du simple
au
double
au
sein d'une même région. Cette constatation, que
la
direction
générale de
la
gendarmerie nationale n'a
pas
été
en
mesure d'expliquer précisément,
conduit
à
douter de
la
bonne allocation des effectifs entre ces unités d'investigations
et
du
maintien de certaines d'entre elles.
Des
regroupements devraient être opérés.
De même, entre les unités de base (BTA et
COB),
le
temps moyen d'activité des
gendarmes consacré aux missions judiciaires varie dans
de
grandes proportions, allant
du
simple au double, voire au-delà.
On
observe aussi des écarts sensibles pour
le
temps
d'activité consacré
à
la
totalité des missions. Cette importante dispersion des temps
d'activité judiciaire
ou,
plus largement, opérationnelle est sans lien avec
la
taille des
unités.
La
Cour est bien consciente que
le
traitement judiciaire des faits de délinquance
ne
constitue pas
la
seule mission
de
la
gendarmerie. Cette dernière doit aussi
mener,
notamment, des actions de prévention et assurer
la
sécurité générale dans
sa
zone
de
compétence, ce qui implique une présence territoriale même quand
la
densité de population
est faible.
La
couverture du territoire est l'une de ses responsabilités essentielles.
Sans remettre
en
cause cette dernière, l'on peut néanmoins s'interroger sur
le
coût
des petites brigades de proximité qui n'ont
pas
la
taille critique nécessaire
à
l'exercice
correct de leurs missions de toute nature alors que leurs moyens seraient mieux employés
dans des territoires plus exposés
à
la
délinquance. D'autres modes d'organisation pourraient
ainsi être recherchés:
il
conviendrait
en
particulier d'amplifier
le
mouvement
de
rationalisation de l'implantation des brigades de gendarmerie et des brigades de recherches
dont l'activité est
la
plus faible.
A
l'issue de son contrôle,
la
Cour formule les recommandations suivantes :
Recommandation
no
1
:
développer
l'échange
de
renseignements
opérationnels, d'une part, entre les services d'enquêtes de
la
police nationale et,
d'autre part, entre ceux-ci et les unités d'enquêtes de
la
gendarmerie nationale;
Recommandation
no
2
:
arrêter
un
protocole cadre national sur une répartition
indicative des compétences judiciaires entre les services de
la
police et
les
unités
de
la
gendarmerie, décliné
à
travers des protocoles locaux, afin de limiter les
effets de la concurrence dispendieuse entre les deux forces dans
la
lutte contre
la
grande délinquance ;
Recommandation
no
3 : adopter, dans les services de sécurité publique,
un
référentiel d'emploi pour les services d'enquêtes judiciaire (sûretés et brigades
de
sûreté
urbaine),
complémentaire
de
celui
appliqué
aux directions
départementales et aux circonscriptions ;
Recommandation
no
4
:
mettre
en
place,
au
sein de
la
gendarmerie nationale,
un référentiel de répartition des effectifs entre régions, départements et
unités
de
base, qui identifie les différents paramètres représentatifs de leur niveau
d'activité;
Recommandation
no
5
:
amplifier
le
mouvement
de
rationalisation
de
l'implantation des brigades de gendarmerie et des brigades de recherches dont
l'activité est
la
plus faible, ainsi que
du
réseau des antennes de police judiciaire
implantées dans des villes dotées d'une sûreté urbaine ou dans des
départements
où
une large part
de
la
délinquance est enregistrée
en
zone
de
gendarmerie ;
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Recommandation
no
6
:
améliorer
la
répartition territoriale des effectifs entre les
services d'enquêtes de la sécurité publique, d'une part, et les unités
de
la
gendarmerie départementale, d'autre part, de façon à remédier à
la
grande
dispersion du taux d'élucidation des faits de délinquance.
-=oOo=-
Je vous serais obligé de me faire
connaTtre,
dans le délai de deux mois prévu
à
l'article
L.
143-5 du code des juridictions financières,
la
réponse- sous votre signature personnelle
exclusivement
-,
que vous aurez donnée
à
la
présente communication
8
.
Je vous rappelle qu'en application des dispositions
du
même code :
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des
finances, et,
dans leur domaine de compétence,
aux autres commissions
permanentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.
Il
sera accompagné de
votre réponse si elle est parvenue
à
la
Cour dans ce délai.
À
défaut, votre réponse
leur sera transmise dès sa réception par la Cour (article
L.
143-5);
dans le respect des secrets protégés par la loi,
la
Cour pourra mettre
en
ligne sur
son site internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article
L.
143-1);
l'article
L.
143-10-1 prévoit que,
en
tant que destinataire du présent référé,
vous fournissiez
à
la Cour un compte rendu des suites données
à
ses observations,
en vue de leur présentation dans son rapport public annuel. Ce compte
rendu
doit
être adressé
à
la Cour, selon les modalités de
la
procédure de suivi annuel
coordonné, convenue entre elle et votre administration.
Didier
Mig&UCI
8
La
Cour
vous
remercie
de
lui
fàire
parvenir
votre
réponse
sous
forme
dématérialisée
(un
fichier
PDF
comprenant
la
signature
et
un
fichier
Word)
à
l'adresse
électronique
suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr.
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