Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public annuel 2015
mercredi 11 février 2015
Mesdames, Messieurs,
Même s’il ne s’agit plus de la seule publication de la Cour, le rapport public annuel reste
la
plus emblématique
de sa mission d’information des citoyens et des décideurs publics.
L’histoire de cette publication est en effet étroitement liée à celle de notre démocratie.
Pour vous la présenter, je suis entouré d’Henri Paul, président de chambre et rapporteur
général, ainsi que des présidents des sept chambres de la Cour.
Je veux remercier
les
rapporteurs, nombreux, dont une partie seulement se trouve derrière moi ce matin.
J’exprime
aussi ma reconnaissance à tous ceux qui ont contribué à ce travail, au sein des formations
collégiales, du Parquet général, et dans les services de la Cour et des chambres régionales
et territoriales des comptes. Je salue aussi particulièrement le rapporteur général, qui livre
aujourd’hui pour sa part son premier rapport public annuel, ainsi que son équipe.
La structure
du rapport reste quasi inchangée. Vous retrouverez dans le premier tome les
observations de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes. Le second
tome présente leur action, ainsi que les suites données à leurs contrôles. Vous retrouverez
aussi le code couleur désormais traditionnel qui caractérise l’analyse de ces suites : « la
Cour constate des progrès » (vert), « la Cour insiste » (orange), « la Cour alerte » (rouge).
La place accordée aux insertions issues des chambres régionales et territoriales des
comptes
est croissante. Elles représentent près du quart du total. Les thématiques
abordées dans ces chapitr
es comme dans beaucoup d’autres traduisent le souci de couvrir
des problématiques et des enjeux proches du quotidien de nos concitoyens : la qualité des
services effectivement rendus, les performances réelles, mesurées à l’aune des objectifs des
politiques
publiques et de la dépense effectuée. Je salue d’ailleurs nos collègues des
chambres régionales et territoriales des comptes dans lesquelles cette conférence de presse
est retransmise.
Avant d’évoquer les observations et recommandations du rapport public
annuel 2015, je
veux évoquer rapidement la
contribution des juridictions financières aux efforts de
modernisation des services publics.
Profondément attachées au principe de séparation des pouvoirs, elles sont au service de la
République, dans le respect des textes fondamentaux qui régissent leur mission : éclairer les
décideurs publics et les citoyens. Elles apportent une contribution indépendante, grâce à une
programmation libre de leurs travaux et à la publicité donnée à leurs observations. Elles
veulent, de manière constructive, soutenir, dans leurs démarches, celles et ceux qui ont pour
objectif d’améliorer l’action publique.
Seul le prononcé fait foi
2
Ainsi, en 2014, la Cour des comptes a rendu publics 63 travaux. Parmi ceux-ci, je signale
notamment sept rapports consacrés à des thématiques spécifiques [ainsi de la santé outre-
mer ou de la grande vitesse ferroviaire] et treize rapports réalisés dans le cadre de sa
mission d’assistance au Parlement [par exemple sur les services à la personne ou la dette
des établissements de santé]. 25 référés ont été communiqués aux membres du
Gouvernement et 5 rapports particuliers concernant les entreprises publiques ont été mis en
ligne.
Les juridictions financières veillent à exercer leur mission avec un haut niveau d’exigence
éthique et p
rofessionnelle. J’ai arrêté en décembre dernier le recueil des
normes
que les
équipes
de
contrôle
doivent
respecter,
conformément
aux
règles
nationales
et
internationales en vigueur. Ce recueil comporte en annexe notre
charte de déontologie
.
Accessibles sur le site internet de la Cour, ces documents sont désormais connus des
organismes contrôlés et leur offrent, ainsi qu’aux citoyens, une garantie supplémentaire. Ils
facilitent le bon déroulement des travaux des juridictions financières et représentent aussi, à
ce titre, une sécurité pour les magistrats eux-mêmes.
Je rappelle que les juridictions financières portent à la connaissance des citoyens et des
décideurs publics des constats, des observations et des recommandations qui sont
l’aboutissement de
contrôles sur pièces et sur place
, et de
délibérés collégiaux
. Ils
concluent une phase de
contradiction
avec les services publics contrôlés. Ainsi, chaque
chapitre de ce rapport est immédiatement suivi des réponses apportées par les membres du
Gouvernement [dont deux du Premier ministre lui-même] et les organismes interrogés
pendant l’enquête.
Si elles sont plus souvent conduites à souligner les dysfonctionnements, les juridictions
financières savent reconnaître les efforts consentis pour améliorer l’action publique. C’est
notamment le cas en ce qui concerne la refonte de la carte judiciaire. J’y reviendrai. Le
rapport met aussi l’accent sur le suivi des recommandations et développe deux situations en
progrès.
Elle est ainsi revenue sur la
gestion des avoirs ba
ncaires et les contrats d’assurance
-vie
en déshérence
(estimés respectivement
à 1,2 Md€ et 2,8 Md€
en 2013). Elle y a notamment
observé qu’à la suite de ses recommandations, les épargnants bénéficient désormais d’une
protection renforcée. Mi-2014,
le législateur a largement repris à son compte les
propositions formulées par la juridiction
. La prise de conscience des professionnels
semble réelle, dans les secteurs bancaires privé et public. La Cour continuera d’assurer un
suivi de la mise en œuvre de
ce dispositif
, qui
doit encore être complété au niveau
réglementaire
.
Elle a assuré un tel suivi sur le recours au
chômage partiel
, déjà étudié en 2011 et 2013. À
cet égard,
les recommandations de la Cour ont été reprises
dans la réforme introduite
par la loi de
sécurisation de l’emploi de juin 2013.
Un dispositif rénové et stabilisé
–
l’activité partielle –
a été instauré
, qu’il importe désormais de mieux faire connaître
aux
PME
et d’évaluer.
Même si l’utilité de la Cour ne s’apprécie pas seulement par le
nombre de ses
recommandations qui sont suivies d’effet, ce nombre augmente en 2014. Sur 1 924
recommandations retracées à la fin de l’année dans notre base de données, sept sur dix ont
été partiellement ou totalement mises en œuvre (six sur dix en 2013).
Le rapport expose en
Seul le prononcé fait foi
3
détail le suivi que nous faisons de nos recommandations.
L’année prochaine, la Cour
distinguera leur suivi partiel et leur suivi complet.
*
Ces propos préliminaires achevés, j’en viens aux
messages portés cette année par le
rapport de la Cour
:
1. Un décalage est observé entre les annonces, les engagements et les résultats
réellement obtenus. Il est préjudiciable à la crédibilité des politiques publiques.
2.
Certains services publics doivent être gérés avec un niveau d’exigence plus élevé.
3.
Des marges d’économies et d’efficience existent et peuvent être mobilisées pour le
redressement de nos comptes publics, mais aussi pour des politiques publiques
mieux ciblées, plus adaptées aux besoins et aux attentes de la société.
*
Nous accumulons les déficits depuis près de quarante ans [depuis 1974 sans discontinuer
s’agissant du budget de l’État]. Le chômage atteint des niveaux inquiétants. La part de nos
dépenses publiques dans le PIB est parmi les plus élevée sans que les résultats soient à la
ha
uteur. Dans ce contexte, l’effort devrait être plus résolu en faveur d’une gestion plus
rigoureuse des finances et des services publics. Il doit être davantage tourné vers la
recherche d’efficacité.
Au sein des administrations d’État, des administrations
locales et de la sécurité sociale, les
décideurs publics sont les garants de l’efficacité et de l’efficience de l’action publique qu’il
leur appartient de préserver. Or,
cette année encore, dans son rapport public annuel, la
Cour observe, à de nombreuses reprises, un décalage entre les engagements pris, les
objectifs affichés, les moyens qui leur sont consacrés et les résultats obtenus. C’est
le premier message de la Cour
.
La confiance dont jouit notre pays dans les instances politiques, économiques et
fin
ancières, aux niveaux européen et international, n’est pas infinie : elle est
étroitement liée à la crédibilité de sa politique budgétaire
. L’actualité récente montre que
les débats sont nourris quant à l’approche à retenir dans un contexte encore
difficile, et alors
que les dettes publiques de plusieurs États européens, dont le nôtre, continuent de se
creuser.
Le rôle de la Cour des comptes n’est pas de trancher ces débats
. Il n’est pas de se
substituer aux pouvoirs publics dans la prise de décision, les choix à retenir ou les
engagements à prendre vis-à-vis de nos partenaires. En revanche,
le rôle de la Cour est
bien d’informer le citoyen et les décideurs publics
sur la situation et les perspectives des
finances publiques, et le respect des engagements pris.
Pour ce faire, les magistrats de la Cour partent des engagements internationaux de notre
pays et des éléments contenus dans les lois financières votées par le Parlement
–
la loi de
programmation des finances publiques, la loi de finances initiale, la loi de financement de la
sécurité sociale et les lois de finances et de financement rectificatives. Les rapports de la
Cour s’appuient aussi sur les données issues de la statistique publique, nationale et
Seul le prononcé fait foi
4
européenne, ainsi que sur les hypothèses et les résultats communiqués par le
Gouvernement.
La Cour fonde ainsi son appréciation sur une réalité observable
. Comme chaque
année, dans un chapitre de son rapport public annuel, la Cour livre à nos concitoyens son
appréciation sur la situation des finances publ
iques. Deux grandes observations s’en
dégagent :
le mouvement de réduction des déficits s’est interrompu en 2014 ;
la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine en 2015.
Le chapitre consacré aux finances publiques met en évidence le
dérapage des prévisions
successives de déficit public pour 2013 et 2014
. Depuis plusieurs années des annonces
peu réalistes se sont succédé, fondées sur des hypothèses trop optimistes, affichant des
objectifs inatteignables et aboutissant à des engagements non tenus. Le mois dernier, lors
de l’audience solennelle de rentrée de la Cour, j’ai salué l’opération « vérité » de septembre
2014, par laquelle
le Gouvernement a [tardivement] reconnu la réalité de l’ampleur des
déficits.
Les résultats de 2014 devraie
nt s’avérer meilleurs que la prévision de 4,4 % inscrite dans la
loi de finances de décembre 2014. Mais, quand bien même se rapprocheraient-ils de 4,1 %,
cela resterait supérieur aux 3,6 % prévus initialement. En tout état de cause, ils ne
marqueraient pas une amélioration par rapport à 2013, au contraire de ce qui se passe dans
tous les autres pays de l’Union européenne dont le déficit dépasse 3 %.
Malgré un objectif de réduction du déficit limité par rapport à celui prévu initialement en 2014,
la capacité de la France à tenir ses engagements reste incertaine pour 2015
. La Cour
identifie en effet plusieurs risques, en dépenses comme en recettes, liés notamment aux
perspectives de baisse de l’inflation.
Un premier risque pèse sur la réalisation des 21 Md€ d’économies annoncées en avril
2014.
Ces économies sont conçues, je le rappelle, non comme une diminution de la dépense
publique mais comme un effort de ralentissement par rapport à son évolution tendancielle.
En pratique, les conséquences attendues de la
baisse des dotations de l’État aux
collectivités locales demeurent hypothétiques : rien ne garantit qu’elles se traduiront par des
réductions de même ampleur des dépenses locales. Par ailleurs, une partie des autres
économies prévues ne devraient pas être au rendez-
vous. C’est notamment le cas de celles
liées à la non-revalorisation de rémunérations et de prestations sociales versées par le
secteur public, en raison d’une inflation en baisse.
Un second risque pèse sur le montant des recettes fiscales attendues pour 2015
. Le
risque ne se situe pas, comme les autres années, sur la croissance ou les hypothèses
d’élasticité des recettes fiscales, mais là encore sur l’inflation prévue. Les lois financières
s’appuient sur une hypothèse de 0,9 % largement supérieu
re aux dernières prévisions. La
Commission européenne envisage ainsi une inflation voisine de 0 % pour la France.
Les pouvoirs publics doivent se pencher sans tarder selon nous sur les enjeux que soulève
la période actuelle de très faible inflation. Elle
remet en cause les perspectives d’équilibre
des finances publiques et le cadre budgétaire triennal sur lequel reposent notamment le
budget de l’État et l’ONDAM. La très faible inflation diminue mécaniquement certaines
Seul le prononcé fait foi
5
charges (carburant, chauffage) et elle
a un impact indirect sur d’autres dépenses de
fonctionnement. Cette marge doit être impérativement mobilisée non seulement pour couvrir
les dépenses supplémentaires nouvelles décidées en cours d’exercice mais aussi pour
compenser la perte de recettes fiscales engendrées aussi par cette très faible inflation. Si les
risques identifiés se concrétisent,
le retour sous le seuil de 3 % du PIB en 2017 sera
probablement compromis
. À cet horizon, la dette publique pourrait approcher, voire
dépasser 100 %
et l’équ
ilibre structurel des comptes publics serait encore repoussé au-delà
de 2019. Attention à ne pas se laisser abuser par le très faible niveau des taux d’intérêt
auxquels l’État se finance actuellement : la dette supplémentaire que nous continuons
d’accumule
r va devoir être financée et refinancée pendant de nombreuses années. Et elle ne
le sera vraisemblablement pas aux taux exceptionnellement bas que nous connaissons
aujourd’hui. Ces déficits et cette dette supplémentaire p
èseront lourdement sur les
générati
ons futures et sur les marges de manœuvre des gouvernements dans l’avenir.
Le rééquilibrage durable de nos finances publiques dépend des choix de politique
économique susceptibles de renforcer le potentiel de croissance de l’économie
. Il
implique de faire aussi des choix clairs pour une organisation plus performante des services
publics, une meilleure répartition des compétences et des moyens. L’ensemble de ces choix
ne s’imposent pas au nom d’une contrainte, subie ou importée –
j’ai déjà eu l’occasion de
le
dire. Ils s’imposent, si j’ose dire, de l’intérieur si nous voulons
préserver notre
souveraineté
, c’est
-à-dire précisément
notre capacité à faire des choix
. Les politiques de
rabot ne peuvent pas tenir lieu de stratégie de redressement des comptes publics.
Dans le rapport public de cette année, la Cour s’interroge à plusieurs occasions sur la
cohérence de l’action de tel ou tel organisme public avec les objectifs visés. Parfois même,
elle met en doute la conduite de l’action publique, au regard des objectifs qu’elle est censée
remplir. Ce sont en effet les résultats atteints par une politique publique qui garantissent sa
crédibilité. Nos concitoyens sont attentifs à ce que les intentions et les annonces soient
suivies d’effets. Ils ne confondent pas qual
ité du service public et quantité de dépense
publique. Ils veulent une cohérence entre les intentions et les actions. Ils exigent, à juste titre
puisqu’ils y contribuent financièrement, que l’action publique débouche sur des résultats
tangibles et concrets, dans la vie
de tous les jours. Cela est encore loin d’être le cas, au
regard des crédits consacrés dans beaucoup de domaines.
La Cour insiste notamment cette année sur l’efficacité de certains services publics du point
de vue des citoyens. De nombreux sujets abordés touchent à la vie quotidienne des
habitants, que ce soit les transports, l’eau, l’électricité, l’emploi, le sport ou la vie étudiante.
Prenons d’abord le cas des
agences de l’eau
. Elles sont le principal financeur de la politique
de l’eau en France. Entre 2007 et 2012, elles ont accordé 14,9 Md€ d’aides afin de soutenir
des projets destinés à protéger les ressources en eau. Pour financer ces aides, elles
collectent des taxes, appelées redevances, auprès des usagers de l’eau. La loi sur l’eau
et
les milieux aquatiques de 2006 rappelait l’application du principe selon lequel c’est le
pollueur qui paie. En réalité, la Cour constate que
les redevances sont largement
déconnectées du principe « pollueur-payeur »
. Elles sont essentiellement acquittées par
les particuliers alors que les acteurs économiques
–
les agriculteurs et les industriels
–
ne
sont pas taxés en proportion des dommages qu’ils causent à l’environnement. Par voie de
conséquence, leur effet incitatif pour développer des techniques de production moins
polluantes ne joue pas.
Seul le prononcé fait foi
6
Deuxième exemple :
l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence
. Dans les
faits,
le bilan est contrasté
, notamment en raison de la rigidité qui pèse sur les prix. Je vous
invite à prendre connaissance d
e l’infographie qui figure dans le dossier de presse, qui
résume visuellement les causes de cette rigidité des prix. Au total,
les fournisseurs
alternatifs d’électricité ont en effet peu de marge de manœuvre pour construire des
offres susceptibles de concurrencer EDF
. Plusieurs dispositions du projet de loi sur la
transition énergétique, en débat au Parlement, vont dans le sens des préconisations de la
Cour.
La gestion des
trains Intercités
offre un exemple d’atermoiement entre volonté affichée de
réforme,
et indécision persistante et préjudiciable au service public. Je veux tout d’abord
préciser que, contrairement à ce qui a pu être suggéré, la Cour ne recommande pas de
supprimer ce réseau. Elle appelle au contraire à sortir de l’impasse, précisément pour
lui
offrir un horizon pérenne. Depuis trois décennies, l’essentiel de la stratégie de la SNCF
concernant ces trains a été, avec l’accord implicite de l’État, d’en réduire le nombre. Elle a
progressivement supprimé les liaisons les plus déficitaires, à mesure que se construisait le
réseau de lignes à grande vitesse. Cette préférence systématique pour la grande vitesse
ferroviaire a été illustrée dans le récent rapport public qu’y a consacré la Cour. Affichant en
2010 la volonté de revenir sur cette orientati
on, l’État a mené une
réforme en «
trompe
l’œil
»
, avec un financement en circuit fermé : l’État prélève des taxes sur la SNCF pour
alimenter la subvention versée à cette entreprise publique pour réduire le déficit
d’exploitation des trains Intercités. Penda
nt ce temps, le réseau reste inadapté, le matériel se
dégrade et les investissements ne sont réalisés que dans l’urgence. La Cour recommande
d’inclure les trains Intercités dans un schéma national de services de transport voyageurs,
afin d’en enrayer le dé
clin et de définir les conditions de leur pérennité.
La politique de lutte contre le dopage dans le sport
est une quatrième illustration d’action
peu cohérente avec les objectifs qui lui sont assignés, dans ses trois volets : contrôle,
prévention, et lutt
e contre les trafics de produits dopants. D’une part, la politique de contrôle
n’est pas assez différenciée et sélective selon les publics. Dans le même temps, l’agence de
lutte contre le dopage n’investit pas suffisamment dans la recherche, alors que les
évolutions
des pratiques de dopage sont rapides. D’autre part, la politique de prévention n’a pas été
pilotée depuis des années, ce qui a conduit à une implication très inégale des fédérations et
à l’obsolescence des principaux outils existants. Enfin, la lutte contre les trafics pâtit d’un
déficit de coordination interministérielle et d’échanges d’informations.
Dans un contexte économique difficile, des signes de défiance sont perceptibles, à l’égard
du secteur public. C’est pourquoi, dans son
deuxième message, la Cour veut insister sur
l’impératif de rigueur et d’exigence qui s’impose aux agents et aux services publics
.
Chacun d’entre nous, acteurs publics, doit faire en sorte que son comportement soit
conforme aux normes professionnelles, à l’éthique, et
à la déontologie des métiers qui sont
les siens.
La Cour a voulu rendre publics des cas et des situations qui appellent
plus de rigueur et
plus
de retenue dans l’usage des deniers publics ou dans les comportements,
sans
préjudice des
irrégularités qu’el
le pourra constater et qui pourraient être sanctionnées
par ailleurs
. Ces situations concernent aussi bien les institutions que les établissements, les
collectivités et les agents publics.
Dans son rapport, la Cour évoque d’abord la mise en place dans le secteur public d’un
dispositif importé du secteur privé : l’attribution gratuite d’actions aux
salariés de CDC
Seul le prononcé fait foi
7
Entreprises
, filiale à 100 % de la Caisse des dépôts et consignations. Dans une entreprise
publique gérant des fonds publics, cette situation, apparue fin 2007, constitue une « dérive »
choquante. Le montant des dividendes perçus à partir de 2010 par les 60 salariés concernés
s’est avéré sensiblement plus élevé que prévu lors de la m
ise en place du plan. Il a atteint un
total de 8,3 M€. Le dispositif a pris fin pour l’essentiel en 2013, dans le cadre de la création
de la Banque publique d’investissement et de l’apport des actifs de CDC Entreprises à
Bpifrance. À cette occasion, la Caisse a racheté les actions gratuites encore détenues par
les salariés pour un montant total de 7,2 M€. Certains dirigeants ou cadres de CDC
Entreprises ont bénéficié, dans le cadre de ce rachat, de produits de cession sans lien avec
la vocation initiale «
d
’intéressement
» liée au dispositif. CDC Entreprises a ainsi fait preuve,
à l’égard de sa maison
-
mère, d’une
transparence insuffisante
. La Cour constate des
failles dans la gouvernance interne de la Caisse des dépôts
, et dans sa capacité à
connaître et à gérer les rémunérations dans ses filiales. Elle relève les
risques d’une
gouvernance sans contrôle externe
, dans la mesure où les organes de gouvernance de
CDC Entreprises se composaient uniquement de représentants de la Caisse des dépôts et
de dirigeants d
e CDC Entreprises. Au regard du caractère tout à fait anormal de l’ensemble
de cette situation,
la Cour de discipline budgétaire et financière a été saisie par le
Procureur général
.
Par ailleurs, la Cour a procédé à un contrôle de suivi sur le
Conseil économique, social et
environnemental
. Dans son rapport public de 2010, elle avait notamment relevé la situation
préoccupante de la
caisse de retraite
des anciens membres du Conseil, dont elle avait
demandé une réforme de fond. Le Conseil a procédé à une
réforme partielle de ce régime
spécial
en augmentant les cotisations, en supprimant les bonifications familiales et en
réduisant le montant des pensions. La Cour estime toutefois que ces mesures demeurent
insuffisantes
si l’on veut
assurer, sur le long term
e, l’équilibre d’une caisse qui fait peser un
risque de 200 M€ sur les finances publiques. Elle insiste par ailleurs sur les
marges de
progression qui demeurent dans la gestion du personnel
. Elle souligne à nouveau la
nécessité d’appliquer au CESE le cadre
budgétaire et comptable publics de droit
commun.
Cette exigence de rigueur concerne aussi les collectivités territoriales. 13 chambres
régionales des comptes ont examiné plusieurs
contrats de partenariats
signés par des
collectivités territoriales depuis 2004. Ces partenariats public-privé vont du simple contrat
d’éclairage public communal aux grands stades rénovés dans la perspective de l’Euro 2016.
À partir de ces enquêtes locales, la Cour attire l’attention des décideurs publics sur plusieurs
points. L
a mise en œuvre des contrats ne permet pas encore,
faute de recul suffisant
, de
trancher la question de la performance réelle de ce mode dérogatoire de gestion des
services publics par rapport à des formules plus classiques de la commande publique. Mais
les
risques
liés au recours à cet outil dérogatoire de la commande publique ne doivent pas
être sous-estimés, notamment au regard des règles de la concurrence, qui imposent
notamment l’égalité de traitement des candidats. Dès lors, la Cour
a souhaité recenser les
conditions qui devraient à l’avenir être réunies pour qu’un contrat de partenariat
se
justifie.
La Cour s’est également penchée sur les
compléments de rémunération dont bénéficient
les fonctionnaires d’État outre
-mer
. Ces compléments sont censés prendre en
considération des sujétions spécifiques liées à leur affectation, garantir l’attractivité des
postes, et compenser le surcoût de la vie outre-
mer. Le système repose aujourd’hui sur un
inextricable maquis législatif et réglementaire et sur des justifications qui peuvent
apparaître souvent dépassées.
Ses
effets pervers
sont nombreux : les «
sur-
Seul le prononcé fait foi
8
rémunérations
» ont été étendues aux fonctionnaires territoriaux titulaires et pèsent ainsi sur
les budgets des collectivités concernées ; elles semblent avoir des conséquences
inflationnistes sur les prix ; elles bénéficient parfois indifféremment à des agents pourtant
placés dans des situations très différentes. Une réforme de ce système à bout de souffle est
souhaitable. Elle devrait se traduire par une
simplification et une clarification juridiques,
par un alignement sur les vrais différentiels de prix avec la métropole
et par une
limitation du dispositif aux zones les moins attractives
. La réduction des majorations de
traitement au niveau réel du différentiel de prix entre outre-mer et métropole permettrait de
dégager des marges de manœuvre pour des actions plus utiles à nos concitoyens
ultramarins
.
Au-delà des irrégularités et des dysfonctionnements que la Cour a pu relever en matière de
gestion des ressour
ces humaines de l’administration, des marges d’amélioration existent. La
Cour l’a constaté en revenant sur la
gestion des chercheurs
. Elle observe des progrès
dans l’accueil des jeunes chercheurs. Le «
plan carrières
» lancé en 2009 a amélioré le
déroulement de carrière des chercheurs. Mais
des insuffisances persistent
à plusieurs
égards. Le
recrutement des chercheurs
statutaires
devrait être davantage en phase avec
les priorités nationales. Le
déroulement des carrières
reste discontinu et dépend peu de
l’évaluation individuelle. Les
perspectives d’évolution et de mobilité
restent très limitées.
La
politique de rémunération
pourrait gagner en cohérence.
*
Des marges d’économie, d’efficacité et d’efficience existent, et
doivent être davantage
mobilisées : c’est le troisième et dernier message de la Cour.
Les travaux des juridictions financières sont l’occasion de constater que l’innovation, la prise
de risque, la volonté de simplifier, que les agents publics eux-mêmes aimeraient incarner,
sont souvent entravées. Elles sont entravées par des mécanismes de décision trop
verticaux, des coordinations interministérielles défaillantes, des lourdeurs administratives
que parfois aucune loi ni décret ne prévoit, ou que la sédimentation des dispositifs a rendu
contre-productifs.
Le maillage des services publics doit mieux répondre aux besoins et aux attentes.
Je veux d’abord évoquer
le réseau des œuvres universitaires et scolaires
, dont la
modernisation apparaît indispensable, à
la fois au regard de l’offre territoriale, des choix
d’investissements, de la simplicité et du ciblage de son action. D’une part, en matière de
logement étudiant
, l’offre reste insuffisante et mal répartie. D’autre part, la
gestion des
bourses
fait interve
nir une succession d’intervenants mal coordonnés : les CROUS, les
recteurs d’académie, la direction régionale des finances publiques et les établissements
d’enseignement supérieur. La complexité de ce circuit est de nature à déresponsabiliser les
acteurs,
notamment les établissements du supérieur, chargés de contrôler l’assiduité des
boursiers. Enfin, la
restauration universitaire
, devenue une prestation déficitaire, repose
sur un modèle économique discutable.
Une réorganisation du réseau et de ses modes de
gestion est nécessaire pour répondre à des enjeux financiers préoccupants, mais
aussi à des besoins qui ont évolué.
Le réseau des seize
trésoreries auprès des ambassades de France
fournit un deuxième
exemple de rationalisation possible, et même nécessaire. Rattachées à la Trésorerie
générale pour l’étranger et à la direction générale des finances publiques, leur coût de
Seul le prononcé fait foi
9
fonctionnement compte parmi les plus élevés de l’ensemble des services de l’État à
l’étranger. Le ministère des finances justifie le main
tien de ce réseau par le traitement
d’opérations spécifiques et n’envisage d’évolutions que très prudemment et
très lentement.
Pour la Cour, cette spécificité n’est pas avérée en raison de l’existence de circuits alternatifs
de paiement.
La mise en extinction définitive de ce réseau devrait être rapidement
programmée et sa réalisation achevée à brève échéance
. Si les masses budgétaires en
jeu ne sont pas énormes, ce dossier est révélateur des lenteurs dont les administrations font
trop souvent preuve pour s
’adapter et réaliser des gains d’efficience parfaitement
accessibles.
Un service public de qualité passe parfois par une refonte des cartes administratives.
La nécessité d’un meilleur maillage territorial vaut bien sûr aussi pour l’action locale, qui
gagnerait à une meilleure répartition des missions et à des moyens entre collectivités et
entre niveaux de collectivité.
La gestion des services d’eau et d’assainissement
l’illustre
parfaitement. La carte intercommunale des services d’eau et d’assainissement n’a que peu
évolué depuis la réforme des collectivités territoriales de 2010. Ainsi, la France compte
31
000 services d’eau et d’assainissement, dont 22 000 gérés en régie. Symboles d’une
gestion communale de proximité, près de 92 % des régies concernent un territoire de moins
de 3
500 habitants. Dans ce cas comme dans d’autres,
proximité ne rime pas
nécessairement avec efficacité
. Elle entraîne en l’occurrence un émiettement du service
public qui le fragilise. En l’espèce, trop de proximité tue l’efficacit
é. Contrairement aux
délégataires, qui disposent d’antennes territoriales et de personnels gérant plusieurs
délégations de service public, les petites régies pâtissent de moyens souvent limités et très
rarement mutualisés.
Leur regroupement serait de nature à apporter une réponse aux
enjeux
de
connaissance
patrimoniale,
de
renouvellement
des
réseaux
et
d’amélioration des installations de traitement.
La conduite d’une réforme territoriale d’ampleur n’est pas une tâche impossible. L’État en a
d’ailleurs fait
la preuve en procédant à la
refonte de la carte judiciaire
. Régulièrement
envisagée depuis cinquante ans, elle avait toujours été différée. Finalement engagée en
2007, elle a permis de supprimer près d’une juridiction sur quatre. Il s’agit ainsi de la plus
importante réforme territoriale dans le domaine de la justice depuis 1958.
L’objectif n’était
pas de réduire mais de rationaliser la carte pour plus d’efficacité. Cette réforme s’est par
ailleurs inscrite dans les limites budgétaires initialement fixées. Les restructurations
immobilières prévues se sont dans l’ensemble bien déroulées. L’essentiel des objectifs
assignés à la réforme ont été atteints : les TGI regroupés ont une meilleure productivité que
les autres ; la collégialité des juridictions a été renforcée.
A contrario
, la crainte des «
déserts
judiciaires
», qui aurait abouti à une éviction des publics les plus fragiles, ne paraît pas s’être
réalisée. Constatant ce bilan globalement positif, la Cour réitère sa recommandation
d’
approfondir
la réforme de la carte judiciaire en réduisant le nombre des cours
d
’appel, en rapprochant celles
-ci de la cartographie des régions administratives
.
En ce qui concerne
le réseau des sous-préfectures
, que la Cour avait examiné en 2012, le
ministère de l’intérieur se positionne entre le
statu quo
et l’expérimentation. La refonte en
profondeur de la carte des sous-
préfectures, que la Cour appelait de ses vœux, se fait
toujours attendre. Bien que le ministère ait lancé en 2012 et 2013 plusieurs missions
prospectives, aucune n’a débouché sur une réforme d’ensemble. Finalement, une refonte
expérimentale de la carte des arrondissements d’Alsace et de Moselle vient d’entrer en
vigueur le 1er janvier 2015. Les départements concernés présentaient une situation
atypique, héritée de la présence de l’empire a
llemand avant la première guerre mondiale.
Seul le prononcé fait foi
10
Aucun bilan ne peut encore être tiré d’une démarche aussi récente. Mais le ministre de
l’intérieur a annoncé la poursuite de l’expérimentation dans cinq régions. Au regard de
l’expérience de la carte judiciaire, l
a Cour lui recommande de
dessiner une nouvelle carte
,
ne conservant que les sous-
préfectures pour lesquelles la présence d’un sous
-
préfet et d’un
échelon déconcentré d’administration est nécessaire, là encore sans confondre proximité
géographique et efficacité du service public : les services publics de demain doivent être
orientés vers les besoins de demain, qui ne coïncident pas forcément avec le maillage
administratif du XXe voire du XIXe siècle. Elle préconise de
mettre en œuvre cette
nouvelle carte sel
on un calendrier fixé d’avance
.
Les recommandations de la Cour portant sur le maillage territorial des services publics visent
à améliorer leur efficacité, leur efficience et leur qualité, notamment lorsque les implantations
sont trop nombreuses. Elles on
t aussi pour objectif une réduction des inégalités d’accès,
lorsque la répartition des moyens et des infrastructures n’est pas assez liée aux besoins.
L’égalité devant le service public, ce sont des services implantés là où le besoin existe.
La prise en charge toujours très incomplète des
soins palliatifs
en offre une illustration. Elle
reste caractérisée par de
fortes inégalités
territoriales
dans l’accès aux différents
dispositifs prévus : alors que certains départements disposent de plusieurs réseaux de soins
palliatifs, des départements voisins n’en disposent d’aucun.
La prise en charge au domicile
et le soutien des familles restent toujours très limités et insuffisants alors que c’était
l’objectif majeur des pouvoirs publics.
Dans des travaux récents portant notamment sur les finances locales ou sur la grande
vitesse ferroviaire,
la Cour a eu l’occasion d’appeler les pouvoirs publics à adopter une
attitude plus réaliste et plus rationnelle, y compris en ce qui concerne les
investissements publics.
Le rapport public annuel 2015 met en évidence de nouvelles situations où les décisions
d’investissement ne sont pas satisfaisantes du point de vue de la gestion publique. Tous ces
exemples rappellent qu’
un
investissement n’est pas vertueux par principe
. Il est vertueux
s’il est produit avec le souci de l’efficacité et de l’efficience, s’il améliore réellement le service
rendu et si les dépenses de fonctionnement qu’il entraîne ont été correctement anticipées.
La
refonte du circuit de paie des agents de l’État
offre un contre-exemple calamiteux
d’investissement
. Le «
programme Opérateur national de paie
» (ONP), lancé au milieu des
années 2000, prévoyait en effet à terme
que la rémunération des agents de l’État serait
établie automatiquement à partir des données de ressources humaines des systèmes
d’information
ministériels. Cette démarche a échoué pour plusieurs raisons, qui sont encore
trop souvent relevées dans les projets informatiques conduits par l’État. L’ambition du
programme était sûrement excessive. De profondes difficultés de coordination sont
apparues. Le programme n’a pas bénéficié d’un soutien interministériel suffisant. Au final,
entre 2008 et 2013,
346 M€ ont été dépensés au titre de ce programme en pure perte
puisque le cœur du système d’information interministériel n’a pu être raccordé aux systèmes
des ministères.
Cet échec n’est pas rassurant, au regard des enjeux soulevés par la
modernisation des processus de paie.
Il ne l’est pas davantage quand on observe
les
difficultés récurrentes que rencontrent les grands projets informatiques menés par l’État.
Devant la gravité des faits constatés, l’examen se poursuit afin de déterminer les
responsabilités susceptibles d’être engagées devant la Cour de discipline bud
gétaire et
financière.
Seul le prononcé fait foi
11
Le rapport de la Cour évoque par ailleurs un projet de rénovation immobilière emblématique,
celui du
campus de Jussieu
. 19 ans après son lancement, ce chantier est quasiment
achevé dans son périmètre initial. Il a duré 16 années de plus que prévu et a coûté dix fois
plus cher
–
le budget initial s’élevait à 183 M€. L’université Paris 6 envisage un nouveau
chantier, concernant les bâtiments appelés « barres de Cassan », qui pourrait porter son
coût final à plus de 2 Md€ et prolonger d
e dix ans encore le chantier. La Cour appelle à la
définition d’un programme stratégique de l’immobilier universitaire en Île
-de-France.
Ce qui est vrai pour l’action de l’État est également valable pour l’action locale. Je cite
fréquemment le cas des deux
gares construites à quelques dizaines de kilomètres d’écart
sur la LGV-Est [TGV Lorraine et Meuse TGV] sans interconnexion avec le réseau de
transport régional
, il est même question d’en créer une troisième
. Le
cas des aéroports de
Dole et de Dijon
est à bien des égards comparable. Ces aéroports sont distants de moins
de cinquante kilomètres ; ils partagent un bassin de chalandise largement substituable ; et ils
ont développé des stratégies de développement très proches. Le relatif succès de l’aéroport
dol
ois s’explique par l’implantation subventionnée d’une compagnie à bas coûts [Ryanair]
que convoitait également Dijon. Les acteurs publics impliqués ne se sont pas concertés. Ils
ont envisagé le développement des aéroports de manière cloisonnée, sans se positionner
dans une optique interrégionale, malgré les recommandations de la Cour et de la chambre
régionale des comptes de Bourgogne, Franche-Comté.
Le bilan financier des opérations
est choquant.
D’une part, le soutien financier est disproportionné au rega
rd du trafic
aéroportuaire. D’autre part, les financeurs de l’aéroport de Dijon se sont largement
désengagés alors que les investissements et les aides au fonctionnement ont représenté
près de 15 M€ depuis 2010. Enfin, le département du Jura a versé des ai
des sans les notifier
à la Commission européenne, prenant le risque d’une demande de remboursement en cas
d’incompatibilité avec les traités. La Cour recommande de mettre fin au soutien aux deux
équipements et d’envisager un scénario alternatif au développ
ement de la desserte
aérienne.
Sans pour autant être placées au même niveau que les investissements que je viens de
mentionner, trois situations appellent la vigilance des pouvoirs publics
La première concerne le musée des civilisations de l’Europe et de
la Méditerranée de
Marseille (
le MuCEM
). Malgré le succès populaire indéniable de ce lieu de culture, sa
gestation constitue une illustration saisissante de gestion défaillante, en termes de
gouvernance, de calendrier et de financements. Le musée a ouvert mi-2013 au lieu de 2008.
Cette opération a mobilisé
a minima
350 M€. Alors que le MuCEM entre dans sa phase de
fonctionnement en rythme de croisière, plusieurs difficultés sont d’ores et déjà perceptibles.
La question se pose notamment de la soutenabilité financière du musée, compte tenu du
coût de fonctionnement, plus élevé que prévu, et de la faiblesse des ressources propres.
Alors que les contraintes budgétaires s’accentuent chaque année davantage, les offres
proposées en matière de
transports publics urbains de voyageurs
continuent de s’étoffer
sans coordination ni mutualisation des efforts. Ce service public est soumis à des contraintes
financières croissantes sous l’effet de l’extension des périmètres de transports urbains au
secteur périurbain, du c
aractère insuffisamment concurrentiel de ce secteur d’activité et du
poids de ses charges de personnel. Le rétablissement durable de l’équilibre du service
passe par la
rationalisation de l’offre de transport
, l’exploitation des marges de
productivité disponibles pour mieux en maîtriser les coûts et un accroissement de la part des
recettes commerciales dans son financement.
Seul le prononcé fait foi
12
Ces préoccupations devront enfin rester à l’esprit des
collectivités territoriales qui financent
les stations de ski des Pyrénées
. Leur rentabilité est conditionnée à la nécessité
d’atteindre une taille critique et de mettre en œuvre une véritable stratégie de
développement territorial qui ne soit plus exclusivement centrée sur le ski alpin, en particulier
en moyenne montagne. Seule une meilleure anticipation des mutations, comme observé
dans le cas des stations espagnoles de l’autre versant,
peut permettre d’éviter
la faillite
brutale des stations les plus vulnérables et l’effondrement d’un pan entier de l’économie des
territoires de montagne. Il est souhaitable que les collectivités territoriales acceptent de
restructurer les stations
et de
repenser leur modèle économique
.
En conclusion, comme elle l’a toujours fait,
la Cour appelle les pouvoirs publics à
s’
engager résolument en faveur du redressement des comptes publics, pour une
action publique plus exigeante, plus rigoureuse, plus efficace et plus efficiente.
C
’est nécessaire
. Ne nous y trompons pas : si la France finance aujourd’hui ses déficits à
des conditions exception
nellement favorables, il n’en sera pas de même éternellement et le
poids de la dette se fera sentir bien plus encore sur les générations futures. D’autre part,
d’importantes marges de manœuvre existent pour que les performances des services
publics atteignent des résultats à la hauteur des moyens qui leur sont consacrés. Pour que
l’action publique réponde efficacement aux besoins et aux attentes des citoyens.
C
’est possible
. Des réformes le démontrent, telle la refonte de la carte judiciaire.
Des
réformes sont attendues par nos concitoyens
, qui sont attachés aux services publics et
qui savent pertinemment que la qualité des services publics ne se confond pas
obligatoirement
avec l’augmentation de la dépense publique.
L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui fonde les missions de
la Cour, est gravé au-dessus de nous dans cette enceinte. Mais je veux rappeler un autre
article de cette Déclaration, l’article 14 : «
Tous les Citoyens ont le droit de constater, par
eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la
consentir librement, d'en suivre l'emploi
». Le consentement à l’impôt est le fondement de
notre démocratie. Il appartient aux représentants du suffrage universel de convaincre nos
concitoyens de la nécessité de consentir à l’impôt. Et pour cela, nulle meilleure méthode que
d’arrêter des priorités, de prendre les décisions qui en découlent, et de veiller à la mise en
œuvre effective de ces décisions
; alors que trop souvent, une fois la loi votée ou la décision
prise, le regard se détourne de l’évaluation effective du résultat.
Par son rapport public annuel et, plus généralement, par ses travaux, la Cour souhaite
contribuer à ce qu’une attention plus
grande soit portée aux résultats. Elle appelle les
pouvoirs publics à mettre fin au double décalage mis en évidence : trop souvent, les résultats
obtenus ne sont pas conformes aux objectifs annoncés ni ne sont à la hauteur des moyens
publics consacrés à l
’atteinte de ces objectifs. Veiller à l’article 14 de notre déclaration de
1789, c’est accorder, à l’avenir, plus d’importance à la performance réelle de l’action
publique.
Je vous remercie de votre attention et me tiens, avec les magistrats qui m’entoure
nt, à votre
disposition pour répondre à vos questions.