Paris, le 6 octobre 2010
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
Rapport public thématique
Médecins et hôpitaux des armées
Engagés sur tous les théâtres d’opérations extérieures, les personnels médicaux et paramédicaux du service de santé
des armées doivent garantir aux militaires la meilleure qualité de soins et, s’ils sont blessés, les meilleures chances de survie en
préservant leur intégrité physique. Il s’agit d’un devoir moral de la Nation. Il s’agit aussi d’un impératif militaire.
Service inter-armées placé sous l’autorité directe du chef d’état-major des armées, le service de santé des armées (SSA)
dispose notamment de
neuf hôpitaux
implantés sur le territoire métropolitain à
Bordeaux, Brest, Lyon, Marseille, Metz,
Toulon, Clamart, Saint-Mandé et Paris (Val de Grâce)
.
Le SSA est à l’intersection de deux politiques – une politique de défense et une politique publique de santé - dont les
objectifs, les modes de gestion, les logiques d’organisation et les publics sont différents. La conciliation de ces deux politiques
est difficile.
Dans son rapport, la Cour des comptes élabore
trois principaux constats et formule 14 recommandations
.
1)
Le SSA,
bien doté et servi par des personnels de qualité,
remplit, aujourd’hui, ses missions au profit des
armées malgré quelques insuffisances. Le
système de formation des praticiens apparaît cependant
excessivement coûteux et la préparation opérationnelle des médecins placés dans les régiments doit
être renforcée
.
2)
Le
maintien d’un dispositif hospitalier autonome résulte d’un choix stratégique
décidé à la fin des
années 90. Le SSA à endossé une
mission de service public pour attirer les patients civils
mais
sans
intégration à la politique publique de santé
. Ce
choix montre aujourd’hui ses limites et ses défauts
.
3)
Le
déficit d’exploitation des hôpitaux militaires
, de l’ordre de
280 millions d’euros
par an,
constitue le
premier déficit hospitalier de France
. Ce
déficit
hors norme
appelle des
actions correctrices
du SSA.
1) Le service de santé des armées remplit sa mission opérationnelle mais des marges d’amélioration
importantes existent.
Le ministère de la défense dispose d’un instrument
opérationnel
,
bien doté
(1,3 milliards d’euros dont 860 millions
d’euros proviennent du budget de la défense et 450 millions sont le produit de l’activité hospitalière), servi par des
personnels
de qualité
(15 600 personnels dont plus de 2 000 médecins et internes et 4 500 infirmiers).
Cela lui
permet, aujourd’hui, de faire face aux besoins exprimés
par le chef d’état major des armées sans difficulté
majeure. Pour autant, le contrat opérationnel n’est pas parfaitement rempli (il manque par exemple des infirmiers de bloc
opératoire et toutes les équipes chirurgicales nécessaires pour faire face à une crise majeure ne sont pas aujourd’hui
disponibles).
Le
rapport coût-efficacité du système de formation est cependant peu satisfaisant
. Le SSA dispose
d’écoles de
formation de ses praticiens sur-encadrées
(un personnel administratif ou de soutien pour 2,8 élèves) et donc très coûteuses
alors que ses futurs médecins sont à l’université pour 93 % de leur formation. Le
coût élevé de la
formation (plus de 100
millions d’euros),
supporté par l’Etat
, est un investissement lourd qui doit avoir un effet durable.
La préparation opérationnelle des médecins et des infirmiers d’unité, placés dans les régiments, est loin d’être optimale
pour répondre à l’évolution des conflits que nous connaissons.
L’activité médicale déclarée est faible
et près des trois quarts
des consultations de soins se font, pour les militaires et leurs familles, pour des motifs ne relevant pas du service. Ces
soins
sans lien avec le service
ne sont pas facturés, ce qui occasionne un manque à gagner pour le budget de l’Etat.
Les actes
d’urgence sont rares
et les médecins ne sont pas incités à prendre part à des gardes d’urgence dans les hôpitaux civils.
Sur le théâtre des opérations, la Cour observe que
l’adaptation aux conditions nouvelles d’engagement des forces a
été tardive, notamment en ce qui concerne le soutien « psychique
»
et que l’efficacité opérationnelle (délais des
évacuations sanitaires) n’est pas mesurée. Par ailleurs,
la Cour identifie des gisements d’efficacité en matière de transport
des blessés, de mutualisation avec les alliés de la France et de coopération civilo-militaire
.
2) Le maintien d’un dispositif hospitalier autonome résulte d’un choix stratégique qui montre
aujourd’hui ses limites et ses défauts.
Le SSA a souhaité, à la fin des années 90, conserver un
dispositif hospitalier autonome
. Ce
choix d’organisation
majeur
n’était pas la seule option envisageable. Les Britanniques ont choisi une autre voie, consistant à placer les chirurgiens
militaires et à accueillir les militaires blessés au sein du système civil.
Le SSA,
parce qu’il voulait conserver ses structures hospitalières, a endossé une mission de service public
au
début des années 2000, en complément de sa mission militaire. Mais il l’a fait de façon
opportuniste
, dès lors qu’il avait besoin
d’une patientèle civile pour faire travailler ses équipes hospitalières, sans en tirer toutes les conséquences en terme
d’intégration dans le dispositif public de santé.
Aujourd’hui, contrairement à une opinion largement répandue, 90 % des
patients des hôpitaux militaires sont des civils et 95 % de l’activité médicale et chirurgicale des hôpitaux militaires n’a
aucune spécificité militaire
.
Pour autant,
le SSA n’a pas joué le jeu de la coopération avec les autorités civiles
. Dans certains cas, il est allé
jusqu’à prendre des décisions contradictoires. Ainsi, l’hôpital Sainte-Anne de Toulon s’est-il équipé sans concertation avec les
autorités civiles d’un TEP (appareil d’imagerie médicale utilisé dans le diagnostic des cancers et dont la mise en place dans les
hôpitaux civils est réglementée) qui n’a aucune vocation militaire.
Cette stratégie d’autonomie montre aujourd’hui ses limites
. Le taux d’occupation des lits est de 52 % (contre des
normes civiles de l’ordre de 75 à 85 %) et l’activité chirurgicale est trop faible (140 séjours chirurgicaux par an et par chirurgien
contre une moyenne de 243 dans des établissements civils comparables), donc difficilement compatible avec le niveau d’activité
optimum des services chirurgicaux.
Les hôpitaux militaires se placent parmi les 20 % d’établissements hospitaliers les
moins productifs
.
3) Le déficit d’exploitation des hôpitaux militaires, hors norme, constitue le premier déficit hospitalier
de France.
Le déficit d’exploitation des hôpitaux militaires, de l’ordre de 280 millions d’euros par an, est hors norme et constitue le
premier déficit hospitalier de France
.
Alors que les neuf hôpitaux militaires réunis représentent une capacité équivalente à celle du CHU de Toulouse, leur
déficit d’exploitation correspond à celui cumulé de l’AP-Hôpitaux de Paris, des Hospices civils de Lyon et de l’Assistance
publique de Marseille.
Ce déficit est la conséquence d’une
insertion insuffisante dans le dispositif public de santé
, d’une
structure des
effectifs peu satisfaisante
(proportion trop élevée de personnels non soignants) et d’une
productivité médicale insuffisante
.
Le ministère de la défense se retrouve ainsi dans la situation paradoxale d’avoir à consacrer chaque année 280 millions
d’euros de son budget pour subventionner une activité de santé, au profit de patients ou de soins civils qui peuvent être pris en
charge par des structures publiques plus efficientes.
Cette montant correspond à six hélicoptères Caracal ou quatre avions
de transport C130
, dont le ministère de la Défense manque aujourd’hui en opérations.
En conclusion, la Cour insiste sur le fait qu’
à
modèle identique, il y a des pistes d’améliorations pour renforcer
l’efficacité opérationnelle du dispositif et réduire le déficit
. Elles font l’objet de recommandations présentées en annexe.
Elles doivent être mises en oeuvre de façon résolue.
Cela passe notamment par un recentrage des médecins d’unité sur une activité médicale plus opérationnelle et, dans le
secteur hospitalier, par un
adossement au dispositif de santé publique, qui doit permettre une mutualisation avec les
structures sanitaires civiles, et une amélioration de la gestion des établissements
. La
politique d’autonomie complète
par rapport aux autorités civiles de santé doit être abandonnée
: le ministère de la santé, les agences régionales de santé
et l’école nationale des hautes études en santé publique doivent être mis à contribution pour améliorer le fonctionnement des
hôpitaux militaires.
Si ces réformes indispensables ne suffisaient pas, en particulier pour réduire notablement le déficit
d’exploitation des hôpitaux, il conviendrait alors de changer de stratégie
. Le ministère de la défense devrait par
conséquent imaginer un nouveau système, en fondant sa réflexion non sur les structures qu’il souhaite préserver, mais sur ses
besoins opérationnels et la façon la plus adaptée de les satisfaire. Ce rapport est donc un rapport d’alerte qui appelle une
réponse déterminée du ministère de la défense, dont la pertinence sera examinée dans quelques années par la Cour.
Les recommandations de la Cour des comptes
La Cour formule
14 recommandations pour
:
Optimiser la formation des praticiens des armées
1.
Mieux intégrer dans la scolarité des praticiens les besoins spécifiquement militaires du soutien santé des forces ;
2.
Réduire le coût de la formation en limitant le personnel d’encadrement des écoles du service de santé ;
3.
S’assurer du remboursement effectif des frais dus par les élèves ou militaires qui démissionnent avant
l’achèvement de leurs obligations de service.
Améliorer le soutien santé en opérations extérieures
4.
Poursuivre l’adaptation du soutien santé aux nouvelles conditions d’emploi des forces (formation militaire,
équipement, psychiatrie) ;
5.
Accroître la coopération avec les alliés dans le cadre des engagements en coalition ;
6.
Rendre compte des délais d’évacuation des blessés en opérations extérieures ;
7.
Ouvrir plus largement les dispositifs du service de santé aux populations civiles locales afin de garantir une activité
suffisante aux praticiens militaires et développer une démarche de coopération civilo-militaire ;
Recentrer les médecins d’unité sur la préparation opérationnelle
8.
Recentrer l’activité des médecins d’unité sur leur métier opérationnel, afin de disposer de praticiens moins
nombreux mais davantage concentrés sur la pratique de la médecine militaire et d’urgence ;
9.
Mutualiser les médecins d’unité au sein des bases de défense afin d’accroître leur activité médicale ;
10.
Facturer aux militaires et à leurs ayants droit les consultations et les soins pour des raisons ne relevant pas du
service ;
Adosser l’emploi des compétences hospitalières sur le dispositif civil de santé publique
11.
Fixer l’objectif de retour à l’équilibre des comptes d’exploitation des hôpitaux d’instruction des armée, déterminer le
calendrier pour y parvenir, et en élaborer les modalités avec le dispositif civil de santé publique ;
12.
Rechercher systématiquement une concertation avec les agences régionales de santé pour la définition des
spécialités offertes par les hôpitaux militaires ;
13.
Organiser une mutualisation des infrastructures et des équipements avec les établissements publics de santé ;
14.
Déconcentrer et professionnaliser la gestion hospitalière avec l’appui local des agences régionales de santé et
celui de l’école nationale des hautes études en santé publique.
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