C
OUR DES
C
OMPTES
Le campus de Jussieu :
les dérives d’une réhabilitation
mal conduite
Novembre 2011
Avertissement
Synthèse
du
Rapport public thématique
C
ette synthèse est destinée à faciliter la lecture et
l’utilisation du rapport de la Cour des comptes.
Seul le rapport engage la Cour des comptes.
Les réponses des administrations et des organismes
concernés sont insérées dans le rapport.
Sommaire
3
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Présentation
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5
1
Une opération complexe marquée par une dérive
continue des délais et des coûts
. . . . . . . . . . . . . . . .
7
2
Les causes des dérives de l’opération
. . . . . . . . .
11
Conclusion
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
Recommandations
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
16
Présentation
5
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L
e campus de Jussieu, situé au nord du 5ème arrondissement de Paris, accueillait deux
grandes universités scientifiques, l’université Pierre-et-Marie Curie et l’université Paris-
Diderot, et un grand établissement, l’institut de physique du globe de Paris (IPGP), dans des
locaux dont la protection au feu était assurée par un flocage à base d’amiante.
En 1996, la prise de conscience des risques liés à l’amiante sur la santé publique et la pres-
sion des utilisateurs du campus ont poussé le ministère à lancer l’opération de désamiantage des
locaux. Elle devait durer trois ans pour un coût global de 183 M€.
Le contrôle mené par la Cour en 2003 avait relevé les défaillances de la conduite générale de
cette opération, dont les dérives de calendrier et de coût étaient déjà importantes. La Cour avait par-
ticulièrement souligné la nécessité de mettre en place des structures de pilotage et d’arbitrage pour
une opération de cette envergure.
Au cours du nouveau contrôle qu’elle a mené en 2010-2011, la Cour a examiné les princi-
pales réalisations de travaux menées par l’établissement public du campus de Jussieu (EPCJ) chargé
de la maîtrise d’ouvrage de l’opération depuis sa précédente intervention, ainsi que les modalités de
pilotage de l’opération.
Le dérapage financier est très important : le coût total de l’opération est aujourd’hui estimé à
1,8 Md€, soit presque le triple du coût estimé en 2001. Sur le plan du calendrier, l’établissement
n’a pas respecté l’obligation réglementaire de fin des travaux de désamiantage au 31 décembre
2010. Le désamiantage ne s’achèvera que fin 2011, et les travaux de réhabilitation des bâtiments
ne se termineront au mieux qu’en 2015.
La compréhension des causes de ces dérives et de la chaîne des responsabilités qui les a rendus
possibles sont indispensables pour éviter que des situations semblables n’affectent les grands chan-
tiers immobiliers universitaires projetés pour les années à venir dans le cadre du plan campus et des
investissements d’avenir.
7
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
1
Une opération complexe
marquée par une dérive
continue des délais et des
coûts
Cette opération exceptionnelle a été
dès le départ caractérisée par une grande
complexité liée à l’ampleur du site à dés-
amianter, à la mise en œuvre des travaux
en site occupé et aux multiples reloge-
ments provisoires de laboratoires de
recherche à organiser.
A ces premières difficultés s’ajou-
taient la méconnaissance initiale de l’état
du site en termes d’occupation et de
méthodes de construction, et les besoins
très spécifiques des locaux des labora-
toires de recherche.
Le respect des délais réglementaires
de désamiantage constituait également
un facteur de complexité.
Enfin, la réalisation concomitante
des travaux sur le nouveau campus de la
ZAC Paris Rive Gauche, dans le 13ème
arrondissement, trois kilomètres en
amont, le long de la rive gauche de la
Seine, où devait être déménagée l’uni-
versité Paris Diderot et l’absence de
structure de coordination entre ces deux
opérations ont perturbé à plusieurs
reprises le déroulement de la réhabilita-
tion du campus de Jussieu.
Les défaillances
dans la conduite des
cinq opérations
principales
Sur la période 2003-2010, cinq
grandes opérations de travaux ont été
réalisées sur le campus de Jussieu.
Chacune d’elle a été marquée par une
dérive importante des coûts et des
délais.
1)
La construction du nouveau
bâtiment ATRIUM
d’une surface
SHON de 16 750 m
2
a pris un an de
retard et le coût final des travaux
(29,7 M€) a subi une augmentation de
38,6 %. L’estimation de l’enveloppe
budgétaire des
travaux a été réévaluée
au fur et à mesure de la réalisation et
notamment dès le concours de maîtrise
d’œuvre (+11,6 %), illustrant ainsi les
difficultés de l’établissement public maî-
tre d’ouvrage à estimer correctement les
coûts de construction.
2)
Les travaux de réhabilitation,
après désamiantage de la tour cen-
trale
, bâtiment phare du campus de
Jussieu, ont également connu un an de
retard, par suite notamment des difficul-
tés de coordination des quatre marchés
Une opération complexe marquée
par une dérive continue des délais
et des coûts
de travaux, de la sous-estimation initiale
des contraintes de sécurité et de la
nécessité de réaliser des travaux non-
prévus à cause d’un mauvais diagnostic
initial. La réhabilitation de la tour cen-
trale estimée à 26,8 M€ en 2004 a finale-
ment coûté 43,2 M€ (+ 61 %). Elle a été
achevée en 2009.
3)
L’opération îlot Cuvier
pré-
voyait, sur une parcelle située de l’autre
côté de la rue Cuvier, la démolition de
bâtiments et la construction d’un
immeuble neuf destiné à accueillir
l’Institut de physique du globe de Paris
et la bibliothèque des sciences de l’uni-
vers, hébergés sur le secteur ouest du
campus. Initialement prévus dès 1999,
les travaux n’ont pu démarrer qu’en
2007, une fois que toutes les entités
hébergées dans les locaux à démolir ont
été relogées.
L’impossibilité de trouver une solu-
tion d’accueil pour un laboratoire de
Paris Diderot a bloqué et retardé les tra-
vaux de plusieurs années.
Cette opération connaît actuelle-
ment une deuxième phase due à une
révision de programme majeure rendue
nécessaire par une mésentente entre les
établissements universitaires : elle a
conduit, alors que les travaux étaient
déjà engagés, à changer la destination
des locaux de la bibliothèque pour
accueillir un laboratoire de physique.
4)
L’opération « secteur ouest »
porte sur la réhabilitation d’environ
110.000 m
2
SHON au sein du « gril
d’Albert ». Elle a connu de nombreuses
difficultés et est à l’origine d’une part
très importante des dérives calendaires
et financières.
La phase d’avant-projet sommaire a
subi un retard d’un an et a conduit à
entériner, après un arbitrage interminis-
tériel, une augmentation de 29 M€ HT
(+ 25 %) de l’enveloppe budgétaire des
travaux.
Les défaillances dans la préparation
de la phase travaux sont à l’origine des
difficultés rencontrées lors de la notifi-
cation du principal marché de travaux.
Ce marché a été bloqué dès sa notifica-
tion à la suite d’un différend avec l’en-
treprise titulaire au sujet des études
complémentaires à lancer, études deve-
nues nécessaires dès la notification
compte tenu des lacunes du dossier
d’appel d’offres. Ce différend a été
résolu six mois plus tard par le verse-
ment de 8,3 M€ d’indemnités de retard à
l’entreprise.
Par la suite, les découvertes sur le
chantier dues à l’insuffisance des phases
de diagnostic ont entraîné encore un an
de retard et des surcoûts très impor-
tants.
L’importance des modifications de
programmes prises en compte dans la
phase d’aménagement des locaux, la
nécessité de passer un marché de para-
chèvement, ont encore grevé le budget
de l’opération.
Enfin, la nécessité de scinder l’opé-
ration de réhabilitation du secteur ouest-
centre (34 700 m
2
) et de la repousser
après l’achèvement du secteur ouest
nord et sud
en 2010 repousse le délai de
fin de travaux à 2015 et entraîne une
9
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
importante augmentation du coût final
du secteur ouest (estimé à 270 M€ en
2005 et
à 459,5 M€ fin 2010)
5)
L’opération « secteur est »
(68 000 m
2
) a connu un retard de
démarrage dû au décalage des opéra-
tions précédentes et aux retards ayant
affecté le déménagement des entités de
Paris Diderot vers la ZAC Paris Rive
Gauche.
Elle est également caractérisée par
une incertitude constante sur l’affecta-
tion définitive des locaux aux établisse-
ments universitaires. Cette absence de
décision a obligé l’établissement à enga-
ger les études alors que le périmètre des
travaux n’était pas stabilisé.
Plusieurs surcoûts liés à des révi-
sions de programme ont déjà été identi-
fiés au stade de l’APD. Le calendrier de
l’opération, qui prévoit la fin des travaux
en 2015, et le budget estimé (274,5 M€)
ne comportent plus de marge, compte
tenu des risques récemment repérés.
Le glissement du
calendrier et ses
conséquences sur
les coûts de location
des locaux tempo-
raires
La logique générale de l’opération
Jussieu, qui lie entre eux les différents
chantiers par la nécessité de reloger les
occupants dans les locaux récemment
réhabilités, et les retards importants
subis par chaque chantier, ont entraîné
une dérive continue du calendrier de
l’opération.
Le plan d’accélération arrêté le
14 novembre 2001 prévoyait la libéra-
tion de tous les locaux amiantés avant
2006 et la rénovation des bâtiments
avant 2009. En 2005, l’établissement
envisageait une fin des travaux en 2012
ou 2013.
La libération de tous les locaux
amiantés n’a été effective qu’en décem-
bre 2010 et la fin des travaux de réhabi-
litation est prévue en 2015.
Pendant la durée des travaux, les
équipes de recherche et les services
administratifs étaient hébergés dans des
locaux loués, parfois après de lourds
aménagements pour répondre aux
besoins spécifiques des laboratoires de
recherche. Entre 1997 et 2010, les sur-
faces prises à bail sont passées de
6 848 m
2
à 77 561 m
2
, avec un pic de
81 900 m
2
en 2006. Les sommes consa-
crées annuellement à la location de
locaux ont suivi une évolution similaire,
passant de 1,3 M€ en 1997 à 41,6 M€ en
2010, le pic se situant en 2008 avec une
dépense de 45,7 M€.
Le retard pris dans les opérations de
réhabilitation des bâtiments a entraîné
un surcoût très important dû à l’aug-
mentation des durées des locations, mais
également aux pénalités parfois très
lourdes imposées par les bailleurs à l’éta-
blissement public incapable de libérer
les locaux loués.
Sur le site de l’ancien hôpital
Boucicaut, dans le 15ème arrondisse-
ment de Paris, les équipes de recherche
Une opération complexe marquée
par une dérive continue des délais
et des coûts
Une opération complexe marquée
par une dérive continue des délais
et des coûts
10
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
sont restées 28 mois au-delà de la date
de libération prévue par le bail, ce qui a
représenté un surcoût de 21,8 M€, dont
7 M€
uniquement de pénalités de
retard.
Au total, les coûts liés aux reloge-
ments dans des locaux provisoires
représentent 569 M€, soit 33 % du coût
final estimé de l’opération Jussieu.
La dérive des coûts
de l’opération
Le coût total de l’opération Jussieu
n’a cessé de dériver depuis son lance-
ment. En 2005, à la suite d’une mission
des inspections générales (mission
conjointe de l’inspection générale des
finances, de l’inspection générale de
l’administration de l’éducation nationale
et de la recherche et du conseil général
des ponts et chaussées), il avait été
estimé à 1,03 Md€. Fin 2008, il a été
réévalué à 1,77 M€ à la suite des difficul-
tés importantes rencontrées sur le sec-
teur ouest.
Depuis fin 2009, l’enveloppe est
estimée à 1,85 Md€. Ce coût ne fait pas
l’objet d’un contrôle formalisé : il est
régulièrement réévalué lors des réunions
de préparation des conseils d’adminis-
tration de l’établissement public et com-
porte actuellement
une réserve de
143 M€ pour des travaux de réhabilita-
tion (barres de Cassan) qui devraient
être financés par ailleurs.
Compte tenu des risques identifiés
aujourd’hui, un nouveau glissement du
calendrier de l’opération n’est pas à
exclure ce qui pourrait entraîner de nou-
veaux surcoûts.
11
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Cour des comptes
2
Les causes des dérives de
l’opération
Tous les acteurs impliqués dans le
projet portent une part de responsabilité
dans les dérives de l’opération. L’EPCJ
n’a pas joué correctement le rôle de maî-
tre d’ouvrage qui lui était dévolu par
l’Etat. Les établissements bénéficiaires
n’ont pas été suffisamment responsabili-
sés. L’Etat n’a pas joué pleinement le
rôle de pilote et d’arbitre qui aurait dû
être le sien.
Un établissement
public insuffisam-
ment armé
L’EPCJ a été créé en 1996. Pendant
les premières années, ses effectifs étaient
jugés insuffisants au regard de l’ampleur
des travaux à gérer. En 2007, une grave
crise de gouvernance interne a conduit
au départ d’un tiers des personnels. Le
niveau des effectifs et l’organisation de
l’établissement ne peuvent être considé-
rés comme satisfaisants qu’à partir de
2008.
Le conseil d’administration de l’éta-
blissement n’a pas exercé l’ensemble de
ses responsabilités. En particulier, son
rôle dans le pilotage, notamment finan-
cier, de l’opération a été largement
insuffisant.
L’analyse des opérations de travaux
menées par l’EPCJ met en lumière les
nombreuses défaillances de l’établisse-
ment public en matière de maîtrise d’ou-
vrage.
La
faiblesse
de
l’établissement
public concernant l’estimation des coûts
des opérations, systématiquement sous-
évalués, est manifeste. La culture de maî-
trise des coûts, qui commence par la
définition initiale des objectifs de
chaque opération avec les clients et le
financeur, était méconnue par l’établis-
sement.
Les phases de préparation des opé-
rations n’ont pas permis de cadrer suffi-
samment le périmètre des travaux à
mener, ce qui a eu pour conséquence
l’apparition de nouveaux travaux deve-
nus nécessaires en cours de réalisation
Toutes les opérations ont été affectées
par la nécessité de travaux complémen-
taires, contractualisés sans mise en
concurrence et à plusieurs reprises en
applicant des procédures
irrégulières.
L’insuffisante res-
ponsabilisation des
établissements uni-
versitaires
Les différentes opérations de tra-
vaux sont marquées par la prise en
compte de nombreuses évolutions de
programme au fur et à mesure de leur
déroulement.
Les causes des dérives
de l’opération
12
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
L’établissement et les universités
mettent en avant une difficulté structu-
relle : compte tenu du délai écoulé entre
la phase de définition du besoin et la
livraison des bâtiments, il est très diffi-
cile d’établir des spécifications correctes
à plusieurs années, alors que les labora-
toires de recherche se restructurent sur
la même période et que les évolutions de
la recherche entraînent le renouvelle-
ment des équipements lourds.
Une autre explication réside cepen-
dant dans l’instabilité des besoins des
établissements universitaires liée à des
questions de gouvernance et de straté-
gie. A plusieurs reprises, l’EPCJ a été
mis devant le fait accompli et a subi les
conséquences des évolutions de besoin
imposées par des établissements univer-
sitaires indifférents au respect de l’enve-
loppe financière.
Les conflits concernant le reloge-
ment des laboratoires de recherche pen-
dant la durée des travaux ont également
joué un rôle dans les dérives. A plusieurs
reprises, l’impossibilité de déménager
certains laboratoires a entraîné des
retards importants et des surcoûts.
Les carences du
pilotage par l’Etat
L’Etat s’est délibérément privé des
outils de pilotage de l’établissement
public qui assurait l’entière responsabi-
lité de la maîtrise d’ouvrage, selon le
régime dérogatoire prévu par la loi
MOP. L’EPCJ n’a jamais été en capacité
d’exercer la totalité des attributions de la
maîtrise d’ouvrage, n’ayant ni la légiti-
mité, ni l’autorité pour arbitrer les
demandes des établissements universi-
taires portant sur la définition et les évo-
lutions des programmes.
Une part du retard de l’opération est
due à l’absence de pilotage global et de
coordination entre les travaux sur le
campus de Jussieu et les travaux de
construction du campus de l’université
Paris Diderot sur la ZAC Paris Rive
Gauche, dont l’avancement condition-
nait pourtant la libération des locaux
occupés par cette université sur le cam-
pus de Jussieu.
L’identification tardive de l’impossi-
bilité de déménager certaines compo-
santes, les retards de l’opération Paris
Rive Gauche, la nécessité de prendre de
nouveaux locaux à bail, ont engendré
des retards et des surcoûts liés aux nou-
veaux locaux provisoires.
L’affectation des surfaces laissées
libres par le départ de l’université Paris
Diderot démontre également l’absence
de vision et de pilotage par le ministère.
Après l’abandon de toutes les hypo-
thèses successives d’attribution de sur-
faces à des établissements extérieurs étu-
diées depuis 2006, le ministère n’a offi-
cialisé qu’en 2010 l’affectation de l’en-
semble du campus à l’université Pierre
et Marie Curie. Pendant toute cette
période, l’EPCJ préparait le lancement
d’une des plus importantes opérations
de réhabilitation du campus, alors que
l’affectation des surfaces n’était pas sta-
bilisée.
Les causes des dérives
de l’opération
13
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
La Cour et la mission des inspec-
tions générales en 2005 avaient identifié
la nécessité de désigner une autorité de
pilotage de l’opération. La mission avait
préconisé de confier la maîtrise d’ou-
vrage de plein exercice de cette opéra-
tion au rectorat de Paris qui la délégue-
rait à l’EPCJ par convention. La mission
préconisait également de mettre en
place un comité de pilotage commun
avec
l’opération
ZAC
Paris
Rive
Gauche.
Malgré ces avertissements et les
dérapages déjà très importants, ces
recommandations n’ont pas été mises en
œuvre, et le mode de pilotage de l’opé-
ration n’a pas été revu, notamment du
fait de l’opposition des principaux
acteurs aux recommandations formu-
lées.
Le pilotage de l’opération n’a pas été
assuré par le recteur de Paris, chancelier
des universités, malgré l’instruction en
ce sens qui lui avait été donnée par le
cabinet du ministre. Le recteur avait mis
en avant la faiblesse des moyens dont il
disposait et la difficulté à arbitrer à son
niveau entre les grands établissements
universitaires. Il invitait le ministère de
l’enseignement supérieur à assumer ce
rôle.
Les lacunes du pilotage de l’opéra-
tion ont joué un rôle très important
dans les dérives observées. Elles ont
favorisé l’inertie des acteurs dans les
situations de blocage, personne n’assu-
rant le rôle d’arbitre en phase de
conduite du projet, les décisions interve-
nant en phase critique, quand plus
aucune solution n’apparaissait réelle-
ment satisfaisante.
Conclusion
15
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
L
a complexité de l’opération de désamiantage du campus de Jussieu avait été largement
sous-estimée lors de son lancement en 1996. Quinze ans après, le bilan de cette opé-
ration, qui s’est transformée en une vaste restructuration immobilière universitaire, est très
négatif.
Sur le plan du calendrier, le délai réglementaire de désamiantage, pourtant repoussé deux
fois, n’a pas été tenu. Sur le plan financier, le coût final est aujourd’hui estimé à 1,8 Md€,
alors qu’il reste encore cinq ans de travaux.
Si la nécessité de donner à l’université Pierre et Marie Curie des conditions d’installation
à la mesure de son niveau scientifique ne fait pas de doute, il reste que cet objectif aurait dû
être atteint à un bien moindre coût financier pour la collectivité publique.
Une explication de ces dérives réside dans la dilution des responsabilités qui a caractérisé
la gestion de cette opération entre l’état financeur, les établissements universitaires bénéficiaires
des travaux et l’établissement public maître d’ouvrage de plein exercice.
Aucun schéma d’organisation ni cadre procédural, indispensables pour gérer une opération
aussi complexe impliquant autant d’acteurs, n’ont été définis.
L’affectation définitive aux établissements universitaires des surfaces à réhabiliter n’a été
stabilisée par l’Etat que très tardivement. Malgré les recommandations formulées par les mis-
sions de contrôle dès 2004, l’Etat n’a pas assumé son rôle d’arbitre, de pilote et de contrôleur,
notamment de l’enveloppe financière. Il n’a pas non plus mis en œuvre de structure de coordi-
nation, pourtant indispensable, avec les travaux de la ZAC Paris Rive Gauche.
Les établissements universitaires n’ont pas été responsabilisés en matière de stabilité des
programmes et de respect de l’enveloppe financière.
L’EPCJ a été chargé de la totalité de la responsabilité du maître d’ouvrage sans avoir ni
les moyens, ni la légitimité, face aux établissements universitaires, de l’exercer.
Dans ce contexte difficile, l’EPCJ a géré ses opérations en considérant toujours les critères
de délai et de satisfaction des établissements comme les critères prioritaires au détriment de la
régularité des procédures contractuelles et de la maîtrise de l’enveloppe financière de l’opération.
En août 2010, l’EPCJ a été transformé en EPAURIF, son périmètre d’intervention
étant élargi aux opérations immobilières universitaires de la région Ile-de-France.
Parallèlement, le ministère a redéfini ses grandes orientations stratégiques en matière de moda-
lités de pilotage des opérations immobilières universitaires, en s’appuyant sur le principe de res-
ponsabilisation des établissements universitaires, nouveaux porteurs de projets.
Devant l’ampleur des défaillances relevées à l’occasion de ce contrôle, la Cour des comptes
a décidé de saisir la Cour de discipline budgétaire et financière de certains des faits constatés et
a transmis le dossier au parquet général à cette fin.
Conclusion
16
Synthèse
du Rapport public thématique de la
Cour des comptes
Tirant les enseignements de l’opération de désamiantage et de la réhabilitation de Jussieu,
la Cour formule des recommandations destinées à sécuriser financièrement la fin des travaux,
mais aussi à fournir un cadre pour les futures opérations immobilières envisagées par l’Etat
dans le plan campus et les investissements d’avenir.
Ces recommandations à caractère général visent à répondre aux principales défaillances
relevées dans l’opération Jussieu :
- les insuffisances du maître d’ouvrage
notamment en matière de préparation et de suivi
des opérations ;
- l’absence de responsabilisation des établissements universitaires clients ;
- les lacunes de l’Etat dans la régulation entre les acteurs.
Recommandations
17
Synthèse
du Rapport public
thématique de la
Cour des comptes
Premier axe : améliorer les com-
pétences de maîtrise d’ouvrage de
l’EPAURIF
1. formaliser un schéma d’orga-
nisation et un cadre procédural définis-
sant les modalités de gestion des opéra-
tions dont l’EPAURIF a la charge et
ses modalités de travail avec les diffé-
rents acteurs internes et externes ;
L’EPAURIF devra notamment,
pour chaque opération :
2. réaliser un dossier de lance-
ment décrivant le périmètre, les moda-
lités de financement, les délais, et les
modalités de gestion de l’opération
avec les différents acteurs ;
3. mettre à jour régulièrement le
dossier de lancement d’une opération
sous la forme d’un dossier de suivi ;
4. doter l’établissement d’une
capacité de contrôle juridique interne
étoffée.
Deuxième axe : responsabiliser
les établissements universitaires
5. responsabiliser les établisse-
ments universitaires en matière de défi-
nition de programme ;
6. confier aux universités la res-
ponsabilité de la gestion des locations
des locaux provisoires, sur la base
d’une dotation spécifique libre d’em-
ploi.
Troisième axe : créer les condi-
tions d’un pilotage stratégique par
l’Etat des opérations immobilières
universitaires
7. avant tout lancement d’opéra-
tion, prendre formellement les déci-
sions d’affectation complète et défini-
tive des locaux à construire ou à réha-
biliter ;
8. fonder les décisions de lance-
ment sur des phases de préparation des
opérations plus approfondies ;
9. réaliser le schéma directeur
des implantations des activités d’ensei-
gnement supérieur et de recherche en
Ile-de-France ;
10. définir un contrat de perfor-
mance pour l’EPAURIF ;
11. définir un contrat par opéra-
tion confiée à l’EPAURIF, à l’instar du
contrat de délégation de maîtrise d’ou-
vrage prévu par la loi MOP ;
12. mettre en place, pour chaque
opération gérée par l’EPAURIF, un
comité de pilotage réunissant les prin-
cipaux acteurs de l’opération.
Pour permettre un suivi efficace
des tutelles et leur fournir de véritables
outils d’aide à la décision, l’EPAURIF
doit impérativement :
13. fiabiliser et présenter au
conseil d’administration les outils de
suivi opérationnel des projets, ainsi que
les outils de suivi financier pluriannuel
de l’établissement, validés par les
tutelles, et permettant au contrôle
financier de vérifier la soutenabilité
budgétaire de l’opération à moyen
terme ;
14. définir et faire valider par le
conseil d’administration en tant qu’an-
nexe au budget annuel, les prévisions
financières (AP et CP) pluriannuelles
de l’établissement.