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Seul le prononcé fait foi
Rapport public thématique
« LA GESTION DE LA DETTE PUBLIQUE LOCALE »
Discours de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Mercredi 13 juillet 2011
Mesdames et messieurs,
Bonjour à tous,
Merci de votre présence. C’est toujours un pl
aisir de vous accueillir de nouveau à la Cour des comptes.
Cette journée est consacrée à la situation financière locale : dans quelques heures, je tiendrai une autre
conférence de presse portant sur la situation financière des communes dans les département
s d’outre
-mer. Je
suis heureux de voir que nos travaux sur ces sujets, malgré la période estivale, conti
nuent d’éveiller votre intérêt.
Ce rapport public sur la gestion de la dette publique locale est issu de travaux que la Cour des comptes
et les chambres régionales et territoriales des comptes ont mené en étroite coopération
. C’est aussi plus
largement un des éléments de notre appréciation de la dette publique dans son acception la plus large. Si nous
examinons dans le cadre d’autres rapports la dette de
l’Etat ou la dette sociale, voici à présent un rapport
portant
sur la dette publique locale.
C’est l’aboutissement de plusieurs travaux précédents
, et notamment de deux insertions aux rapports
publics annuels de février 2009 et février 2010. La Cour avait alors déjà attiré
l’attention sur les risques pris pas
les collectivités territoriales ayant contracté des emprunts dits « structurés ».
Au terme de ma présentation des conclusions les plus saillantes de nos travaux, je répondrai à vos
questions, avec
l’aide d’Alain Levionnois, qui a présidé la formation interjuridictions en charge de ce rapport, de
Marc Larue, rapporteur général, de Bernadette Malgorn, qui a assuré le contre-
rapport, et d’André Barbé,
conseiller maître membre de la FIC.
Il faut tout
d’abord prendre bien conscience d’un fait
: la dette publique locale augmente, certes,
mais l’endettement des collectivités locales reste maîtrisé. Ce rapport contient de nombreux chiffres
permettant de se faire une idée plus précise de ces spécificités.
Ainsi, l
’encours de la dette des administrations publiques locales, ce que l’on appelle les APUL, est évalué
à
160,6 milliards d’euros à la fin de l’année 2010. S’agissant des collectivités territoriales, en prenant
les chiffres
des comptes de gestion, cet encours de dette a augmenté de 41 % depuis 2004. Tous les niveaux de collectivités
territoriales n’ont pas connu les mêmes évolutions
: la dette s’est accrue
de 80 % pour les régions, de 63 % pour
les départements, de 18 % pour les communes et de 30 % p
our l’encours total des communes et des EPCI à
fiscalité propre. Les situations sont donc diverses
, malgré l’augmentation tendancielle générale.
Si on la rapporte à la richesse nationale, la dette des APUL représente 8,3 % du PIB en 2010, soit 0,9 point de
PIB de plus qu’en 2000
. Mais ces niveaux sont tout de même moins élevés que ceux de 1994, année au cours
de laquelle la dette publique locale avait atteint un point haut à 9,4 % du PIB.
Seul le prononcé fait foi
Si cette dette publique locale croît, sa part
dans l’ensemble de l
a dette publique est restée relativement stable au
cours de ces dernières années. Elle a même
baissé d’un demi
-point en 6 ans. En 2010, la dette des
administrations publiques locales (APUL) représente ainsi, selon l’INSEE, 10 % de l’ensemble de la dette
publique de la
France, qui est de l’ordre de 1600 Md€, alors qu’elle en représentait
10,5 % en 2004. Cela veut
dire que la dette publique locale a augmenté juste un peu moins que la dette publique totale, qui a elle-même
trop augmenté, comme nous l’avons relevé dans le rapport sur la situation et les p
erspectives des finances
publiques que nous avons publié le 22 juin.
Si l’on compare à présent
avec nos voisins européens, on observe que ces niveaux sont dans la moyenne des
pays de l’Union européenne.
Contrairement à la dette sociale et à la dette d’Etat, la dette publique locale fait l’objet de règles
précises et contraignantes. Elle est encadrée par une «
règle d’or
», qui la distingue fortement de la dette
de l’Etat.
Cette règle d’or veut que l’endettement des collectivités ne puisse servir
à financer des dépenses de
fonctionnement, mais uniquement des dépenses d’investissement. Cette règle budgétaire, qu’il revient
notamment aux chambres régionales et territoriales des comptes de faire respecter, a pour but de limiter le
recours à l’endettement
: tous les flux sont pris en compte dans cet examen. En vertu de cette règle, le
remboursement des emprunts est essentiellement assuré par l’autofinancement.
L’un des résultats de l’application de cette règle d’or, c’est qu’au final, ce sont moins de 15
% des dépenses
d’investissement local qui requièrent un financement par endettement. Les collectivités territoriales, c’en est la
preuve, disposent d’une très bonne capacité de désendettement
Une fois ces quelques chiffres et la règle d’or rappelés, l’échanti
llon de 150 collectivités locales
sur lesquelles a porté l’enquête menée par les CRC
fait apparaître des progrès.
La qualité de la gestion de la dette s’est améliorée, la Cour le
souligne, mais elle souhaite que les efforts
soient poursuivis en termes de
réflexion stratégique et d’organisation administrative
.
Parmi les constats positifs, il est incontestable
que la gestion de la dette s’est professionnalisée,
particulièrement
dans les grandes collectivités locales. En effet, elle peuvent se financer directement sur les marchés aussi bien
pour leurs besoins à court terme qu’à long terme. On peut également noter des progrès en matière de mise en
concurrence des préteurs ou dans la gestion de la trésorerie, dans le but de parvenir à une trésorerie zéro.
Pou
r autant cette professionnalisation n’a pas empêché le dévelo
ppement des emprunts dits « structurés ». Ces
emprunts, la plupart du temps, fonctionnent en deux temps. Ils offrent
d’abord à l’emprunteur un taux d’intérêt
bonifié pendant une première période
d’amortissement, en contrepartie d’un risque accru pendant la phase
ultérieure.
Il faut reconnaître qu’un certain nombre de collectivités, qui ne disposaient pas des compétences internes
suffisantes pour bien évaluer et souscrire de tels produits, se sont retrouvées confrontées à une stratégie
marketing habile et agressive des banques auxquelles elles ont trop fait confiance, parfois tout simplement par
habitude. Certes, elles auraient pu se faire aider par des conseils, mais encore fallait-
il qu’elles dis
posent en
interne d’un minimum de compétences dans le domaine
afin de conserver un point de vue libre et distancié sur
les recommandations de ces mêmes conseils.
L’enquête fait ressortir également
, de la part de certaines collectivités, un manque de réflexion stratégique en
matière de gestion de la dette qui peut s’expliquer par la facilité avec laquelle les collectivités territoriales
pouvaient trouver jusqu’ici des financements à des conditions intéressantes.
Enfin, la Cour constate que les assemblées délibérantes ont été le plus souvent écartées du processus
décisionnel.
En 2009 et 2010, dans les travaux que j’ai mentionnés, nous avions déjà formulé un certain nombre
de recommandations pour que ces assemblées soient mieux informées et associées à la stratégie et aux
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décisions prises en
matière de recours à l’emprunt. Aux mêmes maux, nous prescrivons les mêmes remèdes, et
nous renouvelons les recommandations que nous faisions:
Ces emprunts structurés, intrinsèquement plus risqués que les autres, n’ont
pas encore
débouché sur des crises, mais cette éventualité demeure présente.
Notre enquête montre la diffusion très large des produits structurés, quelle que soit la catégorie de collectivités, et
quelle que soit leur taille.
Il apparaît donc regretta
ble que le constat fait par la Cour, dans son insertion de 2009, sur l’absence de données
statistiques publiques sur la structure de la dette publique locale demeure, encore aujourd’hui, d’actualité.
Nous
avons besoin de ces données. En utilisant plusieurs méthodes, nous avons réussi à trouver quelques résultats
convergents :
on peut estimer que l’encours de la dette publique locale, sur 160 Md€,
intègre environ 30 à 35
Mds
€ d’emprunts structurés, dont 10 à 12 Mds € présentent un risque potentiellement élevé.
Fort heureusement, ces risques
se sont encore peu matérialisés. Ce n’est pas surprenant, puisque ces prêts
commencent généra
lement par une période de taux d’intérêt «
bonifié ». Un autre facteur conjoncturel a pu jouer
aussi
: depuis l’automne 2008, les taux du marché monétaire se sont effondrés. Dans le cadre d’emprunts à taux
variable bénéficiant de cette baisse, cela a pu compenser le surcoût des emprunts structurés.
Les risques demeurent toutefois importants pour trois raisons :
- la
structure même de ces produits, avec l’enchaînement taux bas / taux élevé
;
- leur durée, qui est plus longue que les produits classiques à taux fixe et variable,
-
le fait qu’ils reposent sur des indexations fortement volatiles, en particulier lorsqu’il s’agit de parités de change
ou d’écarts de parités.
Il arrive d’ailleurs que certaines collectivités se retrouvent d’ores et déjà liées p
ar des emprunts ou des produits
dérivés dont elles ne peuvent sortir qu’en acceptant de payer un taux d’intérêt ou une soulte prohibitifs au regard
des moyens financiers dont elles disposent.
Ces difficultés sont cependant concentrées sur un faible nombre de collectivités. Si quelques centaines
d’entre
elles sont durablement exposées au risque,
c’est probablement moins d’une centaine
qui sont exposées
gravement.
Cela conforte l’une de nos conclusions du rapport annuel de février 2009
: les emprunts dits
« toxiques » contractés ces dernières années par les collectivités locales, sont certes
susceptibles d’affecter
sensiblement les collectivités les plus exposées, mais ne sont pas de nature à détériorer la situation financière de
l’ensemble du secteur local.
Malgré l’absence de risque systémique sur les finances publiques françaises dans leur
ensemble, il faut que l’Etat tire les conséquences du développement des emprunts structurés, pour éviter
que cet épisode ne se renouvelle à l’avenir.
1°) Les collectivités territoriales jouissent
aujourd’hui d’une très grande liberté pour gérer leur dette
,
conformément au principe de libre-
administration qui est l’une de leurs prérogatives constitutionnelles
.
Ainsi, l
e recours à l’emprunt et aux produits de gestion de dette n’est pas soumis au code des marchés publics, ni
à pratiquement aucune autre règle leur imposant de définir leurs besoins, de mettre en concurrence les banques
ou de choisir les meilleures offres de financement. Cette situation rend le contrôle plus difficile, et augmente le
risque que les collectivités, volontairement ou non, souscrivent des produits risqués.
En toute logique, la Cour préconise de
mettre en œuvre des mesures susceptibles de mieux sécuriser la gestion
de la dette locale et mieux traduire ses particularités dans les comptes.
Quelques initiatives ont déjà été prises. En effet, après la crise financière, le Gouvernement a fait le choix
d’intervenir dans les relations entre les collectivités territoriales et leurs prêteurs
, par des moyens incitatifs plutôt
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que contraignants. En décembre 2009, une « charte de bonne conduite » a ainsi été conclue entre certains
établissements bancaires et des associations d’élus
En complément, une circulaire interministérielle a formulé en juin 2010 diverses recommandations, dont certaines
reprenaient celles émises par la Cour dans ses rapports publics.
Désormais, il faut
aller plus loin. L’Etat n’a pas pris les mesures suffisantes pour empêcher le développement
rapide, jusqu’à la crise financière de 2008, de contrats d’emprunts assortis de clauses reposant sur des effets de
levier ou indexés sur des indices très volatils. Ces emprunts se sont diffusés
d’autant plus facilement qu’ils ont
été proposés notamment par les principaux établissements bancaires intervenant sur le marché des prêts aux
collectivités locales
. Ces banques, parfois issues d’anciens établissements publics nationaux, avaient la
confiance des collectivités, dont c’étaient des partenaires de longue date
.
Dans un premier temps, il faut fair
e le bilan de l’application de la charte de bonne conduite, qui valide le recours à
des emprunts comportant de forts risques de volatilité et légitime des durées de bonification qui n’apparaissent
pas justifiées. La Cour estime que le principe de la bonifi
cation temporaire et provisoire du taux d’intérêt devrait
être reconsidéré
. Elle recommande aussi d’interdire les emprunts dont le taux d’intérêt est basé sur des écarts
d’indices hors zone euro, ou comportant des effets de levier. Au besoin,
étant donné que le principe de la libre
administration des collectivités locales s’appliqu
e dans les conditions prévues par la loi, les insuffisances de la
Charte pourraient être compensées par des mesures de nature législative.
La Cour recommande également d’assurer
un suivi des produits structurés fortement volatils qui avaient été
contractés avant la crise financière et qui sont appelés à demeurer encore longtemps dans les comptes locaux.
Plus précisément, afin de prendre en compte ces emprunts les plus risqués, nous préconisons notamment :
1)
de développer un suivi statistique de la structure de la dette publique locale ;
2)
de traduire sur le plan comptable ces risques en mettant en place un système de provisionnement
obligatoire qui devrait, au minimum, avoir pour objet de neutraliser le gain transitoire induit par
l’existence d’un taux «
bonifié » ;
3)
de faire obligatoirement apparaître dans la comptabilité des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics les soultes éventuellement payées ou reçu
es lors d’opérations de
réaménagement ou lors de résiliation anticipée d’instruments de couverture
;
4)
de
renforcer le rôle des assemblées délibérantes en imposant la remise chaque année d’un rapport
sur la gestion de la dette qui servirait de base à un débat annuel sur ce sujet couplé avec le vote du
budget. Ce serait une sorte de chaînage vertueux de la dette publique locale.
Quant à l’idée, parfois lancée, d’une structure de défaisance qui prendrait en charge, pour quelques collectivités
locales peu nom
breuses, les emprunts les plus risqués qu’elles ont contractés dans des proportions très
importantes, la
Cour considère qu’il ne serait pas justifié
ni opportun de donner suite à ce projet. Ce serait, sinon,
encourager le renouvellement de pratiques peu responsables.
Enfin, les derniers développements de ce rapport sont consacrés aux évolutions du modèle de
financement des collectivités locales. Ce modèle
est sans doute à l’aube d’une profonde transformation
qui risque de déboucher sur une raréfaction de
l’offre de crédit pour les collectivités locales et sur un
renchérissement de son coût.
C’est une évolution probable à laquelle il faut se préparer et qu’il importe d’anticiper
, en incitant dès
aujourd’hui
à la diversification des modes de financement. En effet, l
a crise financière n’a pas en encore
produit tous ses effets sur le coût de la dette des collectivités locales.
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Certes, à
l’automne 2008, les interventions des Etats et des banques centrales ont permis d’éviter une crise
majeure du réseau bancaire. Malgré de vives inquiétudes, les collectivités locales avaient alors pu recevoir en
2008 des concours suffisants pour assurer leur liquidité et exécuter leur budget sans difficulté majeure.
Depuis la crise, l’injection de liquidités par les banques
centrales a permis aux emprunteurs de bénéficier de taux
du marché monétaires très bas, ce qui a compensé le relèvement des marges bancaires.
Mais l’on
observe toutefois un resserrement de l’offre bancaire aux collectivités territoriales, avec le retrait
de tous
les établissements de crédit de ce marché
, à l’exception de trois acteurs majeurs. Le premier d’entre eux a réduit
son offre de prêts, en raison notamment des contraintes que lui ont imposées les autorités européennes à la
suite de sa recapitalisation par les Etats français, néerlandais et belge. Les conditions de la concurrence sont
donc
aujourd’hui moins favorables
aux collectivités...
Second facteur important à prendre en compte, la révision des normes prudentielles s'imposant aux banques en
application des recommandations du comité de Bâle dites "Bâle III " de décembre 2010. L
’effet
que ces nouvelles
normes pourraient
produire sur l’offre de crédit au secteur public local
reste incertain à ce stade. La transposition
de ces normes est en cours au niveau européen (préparation de la directive dite CRD 4) et leur impact précis
n'est pas encore connu.
La période de transition qui est d’ailleurs prévue pour la mise en place de «
Bâle III »
permettra d’
apprécier les effets des dispositions les plus nouvelles.
De ce que l’on sait aujourd’hui,
les recommandations de Bâle III prévoient un durcissement des normes en
matière de liquidité bancaire. Elles risquent donc de pénaliser les prêts à long terme qui reposent sur la
transformation par les banques de ressources à court terme en des emplois à long terme.
C’est pour cela que la Cour, en raison du contexte, recommande de rechercher
une diversification des sources
de financement des collectivités locales. Cela pourrait passer par des obligations, par exemple, même si cela ne
peut concerner que les plus grandes collectivités locales, et seulement pour une part limité des besoins de
financement.
J’en termine par l’idée annoncée par divers acteurs de créer une
agence de financement des collectivités locales.
Ce projet vise à fournir u
ne solution supplémentaire pour diversifier l’offre de financement des collectivités
locales.
Notre rapport conclut qu’il
faudrait au préalable que soient respectées un certain nombre de conditions
nécessaires à son bon fonctionnement.
Il s’agit notamment de garanties concernant son domaine d’intervention,
le mécanisme de garantie solidaire des collectivités en faveur de l’agence, le niveau de fonds propres et de
réserves de liquidités, le mode de gouvernance, et plus fondamentalement sa capacité à respecter les règles
prudentielles imposées par Bâle III
, qui s’appli
queront probablement à cette agence si elle voit le jour. Cet
organisme ne devrait pas engager la garantie de l’Etat.
Il ne constituerait en tout état de cause qu'une solution
partielle aux besoins de financement des collectivités locales. Dans ces limites, ce projet mérite toutefois d'être
pris en considération
Je vous remercie de votre attention. Nous nous tenons à votre disposition pour répondre à vos questions.