13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
CHAMBRE DU CONTENTIEUX
-------
Deuxième section
-------
Arrêt n° S-2025-0624
Audience publique du 27 mars 2025
Prononcé du 17 avril 2025
HÔPITAL DE PÉDIATRIE ET DE
RÉÉDUCATION DE BULLION (YVELINES)
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu le code des juridictions financières, dans ses versions antérieure et postérieure à l’entrée
en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité
financière des gestionnaires publics ;
Vu le XI de l’article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière
des gestionnaires publics, notamment le II de son article 29 et le I de son article 30 ;
Vu le décret n° 62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité
publique ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable
publique ;
Vu le II de l’article 11 du décret n° 2022-1604 du 22 décembre 2022 relatif à la chambre du
contentieux de la Cour des comptes et à la Cour d’appel financière et modifiant le code des
juridictions financières ;
Vu le réquisitoire introductif du 3 novembre 2016, par lequel le procureur financier près la
chambre régionale des comptes Île-de-France a saisi cette chambre d’opérations relatives à
la collecte, entre 2012 et 2015, par l’association « X », de fonds destinés à la
construction et la gestion de la Maison des familles située au sein de l’hôpital de pédiatrie et
de rééducation de Bullion, susceptibles de caractériser une ingérence dans le recouvrement
de recettes destinées à la caisse de l’hôpital, en méconnaissance des prérogatives exclusives
de ses comptables publics successifs, et dont auraient été responsables, à titre de
gestionnaires de fait,
l’association « X »,
Mme Y , présidente,
M. Z ,vice-président,
Mme A , trésorière,
M. B , secrétaire,
MM. C
et D
et
Mme E , administrateurs
et
M. F, ancien administrateur
et membre fondateur ; réquisitoire dont ils ont accusé réception le 13 janvier 2017, à
Arrêt n° S-2025-0624
2
/
6
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
l’exception
de
MM. B et F,
qui
en
ont
accusé
réception,
respectivement,
les
14 et 25 janvier 2017 ;
Vu le réquisitoire supplétif en date du 12 octobre 2023, par lequel le procureur général près la
Cour des comptes a saisi la Cour des comptes de ces mêmes opérations ;
Vu la décision du 19 octobre 2023 par laquelle le président de la chambre du contentieux a
désigné M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, magistrat chargé de l’instruction de l’affaire,
ensemble la notification de cette décision, le 3 septembre 2024, aux personnes à qui avait été
notifié le réquisitoire introductif ;
Vu les ordonnances de mise en cause du 17 octobre 2024, notifiées au ministère public le
21 octobre 2024 et notifiées, avec le réquisitoire introductif et le réquisitoire supplétif susvisés,
à
M. F le
18 octobre 2024 ;
à
M. D,
Mme Y,
M. B
et
au
représentant
légal
de
l’association
« X »
le
21 octobre 2024 ;
à
Mme A
le
22 octobre 2024 ;
à
M. C
le
23 octobre 2024 ;
à
Mme E
le
7 novembre 2024 ; et à M. Z le 21 novembre 2024 ;
Vu
l’ordonnance
de
règlement
du
19 février 2025
notifiée
à
MM. C,
D,
F
et
B
le
19 février 2025 ;
à
Mme E
et
M. Z
le
22 février 2025 ;
à
Mmes A
et
Y
et
au
représentant
légal
de
l’association
« X »
le
24 février 2025 ; et au ministère public le 19 février 2025 ;
Vu la communication le 21 février 2025 du dossier de la procédure au ministère public près la
Cour des comptes ;
Vu l’information de la date de l’audience publique du 27 mars 2025 notifiée à MM. Z,
D
et
F,
et
au
représentant
légal
de
l’association
« X »,
le
25 février 2025 ;
à
Mme Y
et
à
MM. C
et
B
le
26 février
2025 ;
à
Mmes E et A le 27 février 2025 ;
Vu les conclusions écrites de la procureure générale du 21 mars 2025, notifiées aux autres
parties ;
Vu
le
mémoire
produit
par
M
e
Sarah STEFANO,
représentant
Mme A,
le
26 mars 2025 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendus lors de l’audience publique du 27 mars 2025, M. Philippe DEDRYVER, procureur
financier dirigeant le ministère public près la chambre régionale des comptes Île-de-France,
en
la
présentation
des
conclusions
de
la
procureure
générale
susvisées
et
M. Nicolas GROPER, premier avocat général près la Cour des comptes, en les observations
du ministère public ; M
e
Antonin
SILVESTRE, représentant l’hôpital de Bullion ; M. D,
présent ,
M
e
Frédéric
DELAMEA,
représentant
Mme Y
et
M
e
Sarah STEFANO,
représentant Mme A ayant eu la parole en dernier ; les autres parties informées de
l’audience n’étant ni présentes, ni représentées ;
Entendu en délibéré M. Louis-Damien FRUCHAUD, premier conseiller, réviseur, en ses
observations ;
1. Les personnes mises en cause, toutes dirigeants ou administrateurs de l’association
« X », sont présumées par le ministère public s’être immiscées dans les fonctions de
comptable public en recouvrant auprès de donateurs privés des fonds destinés au financement
de la Maison des familles de l’hôpital de Bullion.
Arrêt n° S-2025-0624
3
/
6
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur la compétence de la Cour des comptes
2. Par réquisitoire du 3 novembre 2016, le procureur financier près la chambre régionale des
comptes Île-de-France a saisi cette dernière d’opérations susceptibles d’être qualifiées de
gestion de fait sur le fondement du XI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 qui disposait
que : «
Toute personne qui, sans avoir la qualité de comptable public ou sans agir sous
contrôle et pour le compte d'un comptable public, s'ingère dans le recouvrement de recettes
affectées ou destinées à un organisme public doté d'un poste comptable ou dépendant d'un
tel poste doit, nonobstant les poursuites qui pourraient être engagées devant les juridictions
répressives, rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs qu'elle a
irrégulièrement détenus ou maniés
. » et, que : «
Les gestions de fait sont soumises aux
mêmes juridictions et entraînent les mêmes obligations et responsabilités que les gestions
régulières
. »
3. L'article
L. 231-3
du
code
des
juridictions
financières,
en
vigueur
jusqu'au
31 décembre 2022, disposait que : «
La chambre régionale des comptes juge les comptes que
lui rendent les personnes qu'elle a déclarées comptables de fait. Elle n'a pas juridiction sur les
ordonnateurs, sauf ceux qu'elle a déclarés comptables de fait. Les personnes que la chambre
régionale des comptes a déclarées comptables de fait sont tenues de lui produire leurs
comptes dans le délai qu'elle leur impartit. L'action en déclaration de gestion de fait est
prescrite pour les actes constitutifs de gestion de fait commis plus de dix ans avant la date à
laquelle la chambre régionale des comptes en est saisie
.»
4. Aux termes du II de l’article 29 de l’ordonnance du 23 mars 2022, «
Les dispositions
relatives au régime de responsabilité des comptables publics patents et assimilés, des
comptables de fait, des régisseurs, des trésoriers militaires et des comptables des organismes
primaires de sécurité sociale demeurent applicables dans leur version antérieure à la présente
ordonnance aux opérations ayant fait l'objet d'un premier acte de mise en jeu de leur
responsabilité notifié avant le 1
er
janvier 2023, lorsque le manquement litigieux a causé un
préjudice financier à l'organisme public concerné
. »
5. Le I de l'article 30 de l'ordonnance du 23 mars 2022 prévoit que : «
Les affaires ayant fait
l'objet d'un premier acte de mise en jeu de la responsabilité d'un comptable public devant les
chambres régionales des comptes à la date d'entrée en vigueur de la présente ordonnance
sont, à cette date, transmises à la Cour des comptes.
»
6. La notification, en janvier 2017, du réquisitoire introductif du 3 novembre 2016 susvisé, aux
personnes mentionnées dans le réquisitoire comme devant être appelées solidairement à
rendre compte de leur gestion pour les opérations susceptibles de caractériser une gestion de
fait, constitue le premier acte de mise en jeu de leur responsabilité. En l’absence de décision
passée en force de chose jugée avant cette date, l’affaire a donc été régulièrement transmise
le 1
er
janvier 2023 par la chambre régionale des comptes Île-de-France à la Cour des comptes.
7. En application des dispositions combinées des articles L. 131-1 et L. 131-15 du code des
juridictions financières, la Cour des comptes est compétente pour statuer sur les poursuites
engagées à l'encontre des personnes présumées comptables de fait et, aux termes de l'article
L. 131-21 du code des juridictions financières : «
La chambre du contentieux exerce les
compétences juridictionnelles dévolues à la Cour des comptes
. »
8. En
conséquence,
l’association
« X »,
Mme Y,
M. Z,
Mme A,
MM. B, C
et
D,
Mme E
et
M. F
étant
susceptibles
d’exercer, en fait, la fonction de comptable public de l’hôpital de Bullion, sont justiciables de la
Cour des comptes qui est dès lors compétente pour les juger.
Arrêt n° S-2025-0624
4
/
6
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur la prescription
9. Aux termes de l’article L. 142-1-3 du code des juridictions financières, dans sa version
applicable depuis le 1
er
janvier 2023 «
La Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère
public après l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis
le fait susceptible de constituer une infraction au sens de la section 2 du chapitre I
er
du titre III
du présent livre. / Ce délai est porté à dix années révolues à compter du jour où a été commis
le fait susceptible de constituer l’infraction prévue à l’article L. 131-15. / L’enregistrement du
déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, l’ordonnance de mise en
cause, l’ordonnance de règlement et la décision de renvoi interrompent la prescription
. »
10. Le délai de 10 ans était aussi applicable en vertu de l'article L. 231-4 du même code dans
sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2022. En l'espèce, la prescription des faits
poursuivis a donc été interrompue par la notification, aux personnes présumées gestionnaires
de fait, du réquisitoire du 3 novembre 2016, puis, de nouveau, par les ordonnances de mise
en cause du 17 octobre 2024. En conséquence, les faits postérieurs au 3 novembre 2006 ne
sont pas prescrits.
Sur les faits
11. L’hôpital de pédiatrie et de rééducation de Bullion, pour des raisons de sécurité, a été
contraint de fermer les chambres d’hébergement des parents d’enfants hospitalisés. Il a donc
projeté soit de construire un nouveau bâtiment, soit d’en réaménager un existant, afin de
proposer aux parents une offre d’hébergement moderne et confortable.
12. Ce projet de Maison des familles a été repris par Mme Y à sa nomination comme
directrice de l’hôpital de Bullion en juillet 2011, puis inscrit dans le projet de l’établissement
2012-2017. Au regard du coût estimé des travaux, une recherche de dons auprès de
personnes publiques et privées a été lancée et M. F a été recruté à cette fin.
13. Dans ce même but, une association dénommée « X » a été créée et déclarée en
préfecture le 25 juin 2012. Selon ses statuts, elle a pour objet «
d’aider l’hôpital de pédiatrie et
de rééducation de Bullion à gérer, améliorer et créer les infrastructures dédiées aux familles
des enfants hospitalisés. Notamment en participant à la création de nouveaux logements
dédiés à ces familles. / Son action relève principalement de la collecte de fonds auprès des
particuliers et entreprises pour financer les projets sus mentionnés
. » Les personnes
mentionnées dans le réquisitoire introductif du 3 novembre 2016, puis mises en cause, pour
la plupart agents de l’hôpital, ont été membres du conseil d’administration ou du bureau de
l’association. Entre novembre 2012 et juin 2015, celle-ci a collecté 91 139,10 € de dons qu’elle
a conservés pour la conduite de ses actions.
14. Après des travaux en maîtrise d’ouvrage de l’hôpital réalisés entre août 2016 et septembre
2017, la Maison des familles a finalement été inaugurée en octobre 2017 et est gérée par
l’hôpital depuis lors.
Sur le droit applicable
15. Il résulte des deux premiers alinéas du XI de l’article 60 de la loi du 23 février 1963 précités
que constituent une gestion de fait les opérations suivantes lorsqu’elles sont effectuées par
une personne ne détenant pas un titre légal l’habilitant à s’immiscer dans des fonctions
réservées au comptable public : le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un
organisme public doté d'un comptable public ; la perception ou le maniement, directement ou
indirectement, de fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d'un comptable public ;
toute opération portant sur des fonds ou valeurs dont le monopole est confié aux comptables
publics (deniers privés réglementés).
16. Par le réquisitoire introductif susvisé du 3 novembre 2016, le procureur financier près la
chambre régionale des comptes Île-de-France a considéré que les faits ci-dessus évoqués
Arrêt n° S-2025-0624
5
/
6
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
étaient constitutifs d’une gestion de fait au sens des dispositions précitées du XI de l’article 60
susvisé de la loi du 23 février 1963. Par le réquisitoire supplétif du 12 octobre 2023, le
procureur général près la Cour des comptes a saisi la Cour de ces mêmes opérations.
Sur la nature des recettes en cause
17. Il ressort des pièces du dossier que les recettes collectées par l’association « X »
proviennent pour l’essentiel de dons de personnes privées, physiques ou morales, qui les
destinaient explicitement à l’association pour la réalisation de son objet social. Ces versements
ne constituaient donc pas des deniers publics par nature ni des deniers privés réglementés.
18. L’instruction n’a par ailleurs pas permis de déterminer que les financements reçus par
l’association « X » étaient de ceux dont les opérations sont soumises au monopole
des comptables publics. Ils ne constituent en effet pas davantage des deniers publics par
destination, sous la forme de fonds de concours.
19. Soixante-et-onze pour cent de ces recettes proviennent d’un unique don d’une fondation
privée qui ne subventionnait que des personnes morales de droit privé à but non lucratif selon
ses propres conditions d’aide. Le don provenant de la réserve parlementaire relevait de
l’appréciation discrétionnaire du parlementaire concerné et ne s’inscrivait pas dans les
subventions à des investissements de personnes publiques mais dans celles à destination des
personnes morales de droit privé menant des activités d’intérêt général.
20. En l’absence de pièces indiquant l’intention des donateurs, à la date de leurs dons, de faire
bénéficier en réalité ceux-ci à l’hôpital, les fonds remis à l’association « X » afin de
réaliser son objet, consistant à construire ou gérer des logements destinés à héberger les
familles, ne peuvent être considérés comme assignés à la caisse du comptable public de
l’hôpital de Bullion et la nature publique, par destination, de ces fonds, apparaît donc
insuffisamment caractérisée.
21. Il résulte de ce qui précède que l’association « X » et ses responsables ne
sauraient être regardés comme s’étant ingérés dans le recouvrement de recettes ayant le
caractère de deniers publics par nature ou par destination. Il n’y a dès lors pas lieu de déclarer
une gestion de fait.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article unique. – Il n’y a pas lieu à déclaration de gestion de fait pour les opérations relevées
dans les réquisitoires introductif et supplétif susvisés.
Fait et jugé par Mme Agnès KARBOUCH, présidente de section, présidente de la formation ;
MM. Jean-François GUILLOT
et
Christian MICHAUT,
conseillers
maîtres,
Mme Emmanuelle BOREL,
conseillère
présidente,
MM. Nicolas-Raphaël FOUQUE
et
Louis-Damien FRUCHAUD, premiers conseillers.
En présence de Mme Cécile ROGER, greffière de séance.
Arrêt n° S-2025-0624
6
/
6
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Cécile ROGER
Agnès KARBOUCH
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.