Sort by *
Parc d’activités La Providence –
Kann’Opé –
Bât. D
CS 18111
97181 LES ABYMES CEDEX
Tél. 05 90 21 26 90
Courriel : «
antillesguyane@crtc.ccomptes.fr
»
Site internet : «
www.ccomptes.fr/fr/antilles-guyane
»
RAPPORT
D’
OBSERVATIONS DEFINITIVES
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
Délégation de service public entre la Région de
Guadeloupe et Global Caribbean Network
Département de Guadeloupe
Exercices 2020 et suivants
Le présent document,
qui a fait l’objet d’une contradiction avec les destinataires
concernés, a été délibéré par la chambre le 10 novembre 2022
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
2
TABLE DES MATIÈRES
SYNTHÈSE
..............................................................................................................
3
RECOMMANDATIONS
........................................................................................
4
INTRODUCTION
...................................................................................................
5
1
UN CABLE NUMERIQUE SOUS-MARIN RELIE AU RESEAU MONDIAL
POUR ASSURER AUX GUA
DELOUPEENS L’ACCES A
INTERNET
..........
6
1.1
La fibre optique par câble sous-marin : une solution à la hausse des besoins
de télécommunication
....................................................................................
6
1.1.1 Les câbles sous-marins sont une solution technique innovante
......................
6
1.1.2 GCN et le groupe Loret, sa société mère, sont parties prenantes de la
constitution du réseau de connexion à haut débit en Guadeloupe et dans les
Caraïbes
..........................................................................................................
6
1.2
La compétence de la région pour l’établissement et d’exploitation de
réseaux de télécommunications électroniques
...............................................
8
2
LA DELEGATION DE SER
VICE PUBLIC D’EXPLOI
TATION DU CABLE
DE « GUADELOUPE NUMERIQUE »
..............................................................
9
2.1
Le contrat de délégation de service public et son objet
..................................
9
2.1.1 La mise en place du contrat
............................................................................
9
2.1.2 Les dispositions financières du contrat
.........................................................
10
2.1.3
Le service fourni s’est révélé adapté
............................................................
11
2.1.4 Une tendance à la baisse des opérations commerciales
................................
11
2.1.5
Des contrats d’IRU (
Indefeasible
Right of Use
) vendus à son profit par le
délégataire
.....................................................................................................
13
3
L’EQUILIBRE ECONOMIQ
UE REMIS EN QUESTION PAR LES
DECISIONS DU DELEGATAIRE
....................................................................
22
3.1
Des frais de gestion très élevés versés à la société mère
..............................
22
3.2
Une majorati
on significative du chiffre d’affaires déconnectée de la durée
d’utilisation des IRU
....................................................................................
22
3.3
Un équilibre financier substantiellement et irrégulièrement modifié par la
société CGN
.................................................................................................
24
3.4
Une menace sur l’exploitation future du service public num
érique
.............
26
4
LA DEFINITION DU REGIME DES BIENS DE LA DSP LAISSEE A LA
SEULE APPRECIATION DU DELEGATAIRE
...............................................
27
4.1
La société GCN a investi dans des locaux loués notamment à des filiales du
groupe Loret
.................................................................................................
27
4.2
Les IRU acquis par GCN doivent revenir à la région
..................................
28
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
3
SYNTHÈSE
En 2004, la région Guadeloupe a souhaité développer le très haut débit internet et
compléter le réseau existant en développant la concurrence et en faisant baisser les prix
de la connexion pour les clients particuliers et entreprises. Elle a conclu avec la société
Global Caribbean Network (GCN) une délégation de service public
d’
une durée de vingt
ans
pour la mise en place et l’exploitation d’un câble numérique, dénommé «
Guadeloupe
Numérique ».
Cela a nécessité un investissement de 27,6 M€
assumés pour les trois quarts
par la collectivité régionale et un quart par le délégataire.
L’objectif a été atteint dans la mesure où
la population et les entreprises guadeloupéennes
ont bénéficié
d’une meilleure connexion
à un prix constant. Toutefois, les tarifs
demeurent encore élevés, alors que la demande en bande passante, induite notamment par
les modifications des usages (télétravail, renforcement des besoins en connexion, etc.)
augmente.
Pour financer son activité, le délégataire GCN cède à des sociétés des «
droit d’usage
irrévocable », dénommés IRU,
1
sur les câbles qu’il exploite.
Cette commercialisation se
fait le plus souvent pour des durées qui dépassent celle de la concession. La vente de ces
contrats représente 70 % de son
chiffre d’affaire
s.
En toute logique, la région Guadeloupe, propriétaire des câbles support, devrait donc
bénéficier au terme du contrat des recettes restant à percevoir. Or, GCN considère que
ces recettes lui sont définitivement acquises. Pour conserver ces produits, sans avoir à
indemniser la région en 2025, la société a changé en 2017 de méthode de calcul de
l’étalement des produits des IRU vendus et
de
l’
amortissements des IRU achetés.
Cette décision unilatérale du délégataire bouleverse
l’équilibre économique de la
concession. Elle induit un manque à gagner de 13,1
M€
pour la région, alors même que
cette dernière devra
assumer les obligations de service public jusqu’au terme des contrats
d’IRU.
1
Dont la dénomination commerciale est
Indefeasible Right of Use
(IRU).
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
4
RECOMMANDATIONS
Recommandation n°1 :
Obtenir du délégataire une baisse des tarifs.
Recommandation n°2 :
Ne signer aucun avenant qui attribuerait toutes les recettes
postérieures au terme du contrat au prestataire.
Recommandation n°3 :
Revenir
à
la
méthode
retenue
à
l’origine
d’amortissement/étalement linéaire jusqu’à la fin des
contrats d’IRU tant pour les charges des immobilisations
qu
e pour les produits constatés d’avance
Recommandation n°4 :
Établir une liste des biens de retour et de reprise de manière
contradictoire.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
5
INTRODUCTION
Le contrôle des comptes et de la gestion de la région Guadeloupe pour les années 2020 et
suivantes a été ouvert par lettre du président de la chambre régionale des comptes de la
Guadeloupe du 30 mars 2022 adressée à M. Ary CHALUS, président du conseil régional.
Le contrôle a porté sur le service public du numérique et le contrat de délégation public
entre la région
et l’entreprise Global Caribbean Network
(GCN).
En application de l’article L. 243
-
1 du code des juridictions financières, l’entretien de fin
de contrôle a eu lieu le 26 avril 2022 avec
l’
ordonnateur en fonction pendant la période
contrôlée.
La chambre, dans sa séance du 5 mai 2022, a arrêté son
rapport d’
observations
provisoires. Il a été a été communiqué
à l’ordonnateur, à la société
délégataire et aux tiers
concernés.
La société et les tiers ont répondu, l’ordonnateur n’a pas répondu. A leur
demande, la société et un tiers ont été entendus le 8 novembre 2022.
La chambre a arrêté ses observations définitives le 10 novembre 2022.
Historique du contrôle
S
ur le fondement de l’article L. 1411
-18 du code général des collectivités territoriales, le
préfet de la Guadeloupe a saisi le 28 octobre 2021 la chambre régionale des comptes du
projet d’avenant n°
9 de la délégation de service public passée entre la région de la
Guadeloupe et Global Caribbean Network
, afin qu’elle examine cette convention et
formule ses observations.
Par un avis du 24 février 2022, la chambre a déclaré irrecevable la saisine préfectorale au
motif
qu’elle
ne repose pas sur l’existence d’un avenant signé mais sur un projet
d’avenant, qui n’est pas un
acte régulièrement délibéré et soumis au contrôle préalable de
l’autorité préfectorale
.
Compte-tenu des enjeux financiers de la délégation de service public, la chambre
régionale des comptes de contrôler la gestion du service public du numérique pour les
exercices 2020 et suivants.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
6
1
UN CABLE NUMERIQUE SOUS-MARIN RELIE AU RESEAU
MONDIAL POUR ASSURER AUX GUADELOUPEENS L
’ACCES
A INTERNET
Afin de favoriser l’accès à Internet
à haut débit pour les usagers, particuliers et
entreprises, la région Guadeloupe a fait le choix de confier à un tiers,
dans le cadre d’une
délégation de service pubic
la mise en place et l’exploitation
d’
un câble de fibre optique
sous-marin la reliant au réseau mondial.
1.1
La fibre optique par câble sous-marin : une solution à la hausse des
besoins de télécommunication
1.1.1
Les câbles sous-marins sont une solution technique innovante
Les besoins en télécommunications des 379 710 guadeloupéens
2
sont en constante
augmentation. Plusieurs solutions techniques s’offrent pour véhiculer le trafic
: liaisons
satellitaire, faisceaux hertziens et câbles sous-marins.
Ces
derniers
permettent
de
transmettre
efficacement
les
informations
de
télécommunication sur de longues distances. Ces technologies consistent à envoyer des
signaux lumineux dans des fibres optiques, protégés par des gaines, à des débits très
supérieurs à ceux des câbles analogiques. Leur déploiement est particulièrement
important pour assurer une capacité suffisante face aux besoins de télécommunications
des territoires ultramarins.
Le choix de cette technologie expose à deux risques, particulièrement aux Antilles. Le
premier est l’importance des coûts d’installation et de modernisation pour une durée de
vie estimée à 25 ou 30 ans. Le deuxième est un risque de surdimensionnement des câbles
si les besoins en débit sont faibles e
n raison du faible nombre d’usagers.
Pour assurer le fonctionnement du service, il est nécessaire de mettre en place des
interconnexions
afin
de
former
des
routes
optiques.
Ceci
repose
sur
des
techniques comme
l’achat direct
, la pose de câbles, ou encore
l’achat ou l’échange de
capacité. La sécurisation du trafic de données implique une redondance des routes.
Plusieurs câbles doivent donc assurer la desserte des territoires. La concurrence ainsi
développée entre les opérateurs
est susceptible d’
améliorer les capacités techniques et de
diminuer les coûts de connexion pour les usagers.
1.1.2
GCN et le groupe Loret, sa société mère, sont parties prenantes de la constitution
du réseau de connexion à haut débit en Guadeloupe et dans les Caraïbes
Aujourd’hui, trois câb
les sous-marins relient la Guadeloupe aux routes de connexions
mondiales : le câble
East Caribbean Fiber System
(ECF
S), d’une longueur de 1
730 km,
le câble
Global Caribbean Network
(GCN) de 890 km et le
Southern Caribbean Fiber
(SCF). Deux nouveaux câbles ont récemment été mis en service pour relier différents
points de la Guadeloupe, en particulier les Saintes et Marie-Galante et pour relier la
2
Estimation au 1
er
janvier 2020,
Insee Flash Guadeloupe
, 19 janvier 2021, n° 144.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
7
Guyane et la Martinique. Ce dernier devrait également concerner par la suite la
Guadeloupe.
Carte du réseau de câble sous-marin
Source : TeleGeography
Depuis 1995, l
East Caribbean Fiber System,
d’une
capacité de 3,4 térabits par seconde
(TPBS)
relie 14 îles de la Caraïbes, de l’île de Tortola (Îles Vierges britanniques) jusqu’à
Trinidad, en passant par la Guadeloupe. Ce câble a été financé par un consortium
entièrement privé, comprenant notamment la société de télécommunications française
Orange
. Il s’agissait de la seule infrastructure
existante en 2004 à la date de la DSP.
Le
Guadeloupe Câble des Îles du Sud
(GCIS), long de 118 km, assure la connexion de
l’archipel guadeloupéen
. Il a été réalisé
pour un coût de 11 M€
par la région Guadeloupe.
La gestion du
Global Caribbean Network
a été concédée par la région à
l’entreprise GCN,
filiale de
Global Caribbean Fiber
(GCF), détenue à 60 % par le groupe Loret et à 40 %
par
Leucadia
National Corporation
, (désormais
Jefferies Financial Group
). Ce réseau
permet de relier la Guadeloupe à trois points d’interconnexions principaux
: Miami, New-
York et Paris.
La société GCF
avait investi au travers d’autres filiales pour relier la Guadeloupe au reste
de la Caraïbe, puis à Miami et New-York.
Le
Middle Caribbean Network
, assure la
connexion avec la Martinique, en passant par la Dominique.
La société
Southern Caribbean Fiber
, alors propriété de GCF, relie la Martinique jusqu’à
Trinidad, et la Guadeloupe jusqu’à Antigua, en passant par Montserrat.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
8
Enfin, le groupe Loret avait également inves
ti en tant qu’opérateur de détail en
Guadeloupe au travers de la société Médiaserv. En 2014, il a cédé presque toutes ses
activités de télécommunication
au groupe Digicel, à l’exclusion
de celles de GCN,
titulaire de la DSP de la région. Les câbles MCN, SCF et
Antilles Crossing
se sont
regroupés dans la société
Southern Caribbean Fiber
, désormais propriété de ce groupe
Digicel. Pour assurer une interconnexion, celui-ci a souscrit plusieurs
Indefeasible Right
of Use
(IRU) ou « droits
d’
usages irrévocables », auprès du délégataire de la région.
Digicel est donc présent sur l’ensemble du réseau GCN, et commercialise
ses capacités à
des opérateurs. A l’occasion du rachat des activités
de télécommunication du groupe
Loret, la société a manifesté son intérêt pour reprendre la délégation de service public de
la région. Cette dernière a décliné la proposition.
Enfin, Orange continue d’investir
dans les câbles sous-marins dans la région Caraïbe. En
2019, cette société a mis en place un nouveau câble de 1746 km reliant la Guyane à la
Martinique, qui devrait être prolongé jusqu’en Guadeloupe.
1.2
La compétence de la région pour l
’établissement et d’exploitation de
réseaux de télécommunications électroniques
Le cadre légal
Dès les années 1990, les collectivités territoriales sont intervenues de manière spontanée
dans le domaine des réseaux de télécommunications à haut débit. Le législateur a souhaité
encadrer l’action locale par la loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’am
énagement et le
développement durable du territoire.
La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a consacré
l’existence d’un service public local de réseaux de communications électroniques, à
caractère facultatif.
L’article L. 1425
-1 du code général des collectivités territoriales, dans
sa version applicable lors de la signature de la délégation de service public, permet aux
collectivités d’établir et d’exploiter ces réseaux
.
En cas de carence de l’initiative privée, la collectivité
peut également fournir des services
aux usagers. Cette intervention est encadrée par l’ARCEP
3
, qui est informée de la
procédure et suit l’exploitation du réseau
. Ce même article autorise le recours à la
délégation de service public et à la compensation des obligations et des coûts par des
subventions à la condition que les conditions économiques d’exploi
tation ne permettent
pas la rentabilité de l’établissement
.
Dans ce cadre légal, la région Guadeloupe a souhaité intervenir pour installer et exploiter
un câble sous-marin de fibre optique permettant une connexion à haut débit, reliant Porto-
Rico à la zone de Jarry (commune de Baie-Mahault), en passant par Saint-Martin et
3
L’ARCEP est
l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la
distribution de la presse
, dont le rôle est de réguler les marchés de son secteur d’activité en veillant
notamment à une concurrence effective et loyale entre les opérateurs et au bénéfice des consommateurs.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
9
Basse-Terre, et une connexion entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy.
Comme d’autres
collectivités territoriales
4
, elle a mis en place une délégation de service public.
2
LA DELEGATION DE SERVICE PUBLIC
D’EXPLOITATION
DU CABLE DE « GUADELOUPE NUMERIQUE »
Les principes de la délégation de service public
C
omme le prévoit l’article L. 1121
-3 du code de la commande publique, les collectivités
territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics peuvent confier la gestion
d’un service public dont ils ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques
par une convention de délégation de service public.
Aux termes de l’article L. 1411
-1 du CGCT, «
Les délégations de service public des
personnes morales de droit public relevant du présent code sont soumises par l’autorité
délégante à une procédure de publicité permettant la présentation de plusieurs offres
concurrentes, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d’État
». La part du
risque transféré au délégataire implique une réelle exposition aux aléas du marché, de
sorte que toute perte potentielle supportée par celui-ci ne doit pas être purement nominale
ou négligeable. Il assume le risque d’exploitation lorsque, dans des conditions
d’exploitation normales, il n’est pas assuré d’amortir les investissements ou les coûts qu’il
a supportés.
2.1
Le contrat de délégation de service public et son objet
2.1.1
La mise en place du contrat
Signé en novembre 2004, le contrat de délégation de service public
d’une durée de 20 ans
entre la région Guadeloupe et la société
Global Caribbean Network
, a pour objet la
conception, la réalisation,
le financement, la pose et l’exploitation d’un câble sous
-marin
dédié à la communication à haut débit (fibre optique). Celui-ci relie la Guadeloupe à
Porto-Rico via Saint-Martin. Il relie Saint-Martin à Saint-Barthélemy et, en Guadeloupe,
Basse-Terre à la zone de Jarry.
Une DSP est
« un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion
d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la
rémunération est substantiellement liée aux résultats de l
’exploitation du service
»
(article L. 1411-1 du CGCT).
L’intervention publique dans le domaine des câbles sous
-marin, donc la participation
financière du délégant, apparait
nécessaire pour assurer aux internautes l’accès à l’internet
mondial. En effet, l
es particularités climatiques (impliquant l’achat de matériels
« tropicalisés » plus chers), géographiques (éloignement et insularité), et de marché
4
Comme les collectivités de Corse ou de Martinique par exemple. Par ailleurs,
l’administration
des Pays-Bas Caribéens a financé un câble pour relier Saint-
Martin à d’autres îles, y compris Saint
-
Barthélemy.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
10
(faible nombre de consommateurs
locaux, demande ciblée sur l’utilisation des
communications de longue distance, etc.), peuvent impliquer un surcoût pour les
opérateurs. Ces frais pèsent sur le consommateur final et rend plus onéreux les contrats
d’accès à Internet.
Dans le cas d’espèce, la mise en place d’un câble sous
-marin supplémentaire au câble
ECFS répondait à deux exigences : une meilleure sécurisation du réseau, en prévoyant de
nouvelles routes et un accroissement de la concurrence et ainsi une baisse des tarifs. Selon
l’ARCEP
5
, ce câble a donc contribué à faire bénéficier aux internautes guadeloupéens
d’un
meilleur service pour un prix constant.
En l’espèce, le coût global de la réalisation de l’infrastructure
, estimé initialement à
21,9
M€
et financé à 41,8
% par l’Europe, 32,8
% par la région Guadeloupe, 25,4 % par
le délégataire
s’est élevé à 24,08 M€
. Le périmètre de la concession a été étendu afin de
permettre un «
atterrissement » à l’île de Sainte
-Croix
6
,
avec l’objectif de sécuriser le
réseau. Le coût des travaux a augmenté de 3
,5 M€
, financés à 75 % par des fonds publics,
portant le coût de l’opération à 27,6
M€
.
2.1.2
Les dispositions financières du contrat
Le contrat de DSP
prévoit qu’en cas d’excédent de résultat d’exploitation par rapport au
résultat mentionné dans les comptes d’exploitation prévisionnels, un
intéressement du
concédant
à l’exploitation de la concession
lui est versé par le concessionnaire (clause de
retour à meilleur fortune).
La convention initiale ne mentionne en annexe
qu’un graphique reprenant l’évolution du
résultat net attendu, du résultat cumulé et de la
capacité d’autofinancement
cumulée. En
2020, la situation financière présentée ne permet pas de déclencher la clause de retour à
meilleure fortune évoquée.
Les usagers du service public de « connectivité optique » payent un prix qui est, selon les
dispositions
de l’article 26
du contrat «
destiné à couv
rir les charges d’investissement et
d’exploitation que
[le délégataire]
supporte
». Il est fixé par délibération de la région sur
la base
d’un commun accord entre le concédant et le
concessionnaire. Les usagers du
câble sont les entreprises utilisatrices du service.
Aux termes de l’article L. 1411
-2 du CGCT,
« les conventions de délégation de service
public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en
fonction des prestations demandées au délégataire »
. Le contrat en question est une
concession mettant à la charge du délégataire une partie des investissements initiaux et
certaines dépenses de renouvellement. La fixation de sa durée dépend essentiellement de
celle des biens à amortir, les amortissements étant conçus du point de vue économique et
non comptable
7
.
5
ARCEP, Rapport au parlement et au Gouvernement relatif au secteur des communications
électroniques outre-mer, Janvier 2010.
6
Sainte-
Croix fait partie des îles vierges américaines et est située au nord de l’arc des Antilles, à
proximité de l’île de Porto
-Rico.
7
Consei
l d’Etat, 7 mai 2013,
Sté Auxiliaire de parcs de la région parisienne
, n° 365043. La société GCN
a précisé que si la durée de vie estimée à l’origine du câble a été fixée à 25 ans. Elle estime aujourd’hui
qu’il est
possible, au regard de ses capacités techniques,
qu’elle puisse aller jusqu’à 50 ans
.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
11
2.1.3
Le service
fourni s’est révélé
adapté
D’importants év
énements climatiques se sont déroulés depuis la mise en place du contrat.
Certains ont endommagé les installations et affectés le service. En 2017, les dégâts
occasionnés par les cyclones Irma et Maria (2017) ont cependant été limités. Une épave
de navire a provoqué une rupture des fibres optiques sur le segment entre Saint-Martin et
Saint-Barthélemy, avec une coupure de quatre jours chez les clients. La fibre a été rétablie
dans les vingt jours. L
es dégâts en 2008 à l’arrivée à Baillif n’ont fait l’objet de
réparations qu’au premier trimestre 2021.
Leur étendue et la préservation de capacités
importantes n’avaient pas rendu cette répa
ration urgente.
Depuis 2004, le taux de disponibilité global a été conforme aux engagements de qualité
de service du délégataire.
L
e taux d’occupation moyen du réseau (rapport des capacités utilisées
sur celles
installées) est de 52 %, ce qui est légèrement supérieur aux pratiques du secteur. Il
démontre un dimensionnement adéquat.
2.1.4
Une tendance à la baisse des opérations commerciales
L’exploitation commerciale d’un câble de fibre optique sous
-marin consiste à accorder à
des opérateurs le droit d’utiliser les fibres. Il existe deux grands types d’offres proposé
es
aux opérateurs dans l’exploitation de ces câbles
: les contrats de liaison louée et les IRU
(
Indefeasible Right of Use)
.
Les IRU
La construction d'un réseau de télécommunication sous-marin est une opération de
grande ampleur. Le prix des équipements (fourreaux, câbles, relais...), le coût du génie
civil et l'obtention des autorisations nécessaires au déploiement du réseau conduisent
des opérateurs qui ne veulent pas construire leurs propres infrastructures à négocier
avec les propriétaires de celles déjà existantes ou en cours de réalisation une sorte de
bail
donnant à l’exploitant
un droit d'usage irrévocable.
L'entreprise qui construit l'infrastructure est pleinement propriétaire, mais, en
concédant un droit de jouissance à
l’
opérateur, sur une durée généralement longue,
elle lui transfère tous les risques et périls de l’exploitation, sans transfert d’aucune
partie de la propriété du câble.
Initialement développé dans le cadre de la construction de câbles sous-marins en
Atlantique Nord, le régime juridique des contrats est inspiré du concept anglo-saxon
de l'
« Indefeasible right of use »
ou IRU.Les gestionnaires de câbles peuvent ainsi être
amenés à commercialiser ce type de contrat de vente.
Les IRU impliquent le versement en une seule fois du montant d’achat, et peuvent être
moins onéreux que les contrats de liaisons loués.Ce type de contrat, d’une nature
spéc
ifique, peut s’accompagner de prestations de maintenance.
Les opérateurs peuvent souscrire à des contrats de location, dénommés «
contrats de
liaison louée de transport
». Ils permettent, pour un certain nombre de débit et sur une
période de temps, l’utilisation du câble contre le versement d’un loyer. Il
s sont peu
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
12
onéreux et adaptables aux besoins de volume de données recherchés par leurs
souscripteurs.
Les gestionnaires de câbles commercialisent également des contrats de vente nommés
«
Indefeasible Right of Use »
ou IRU. Ils créent des obligations pour la société
délégataire. GCN les qualifie de «
contrats de prestation de service
». Par exemple, le
contrat de cession d’un IRU entre GCN et Orange
de juillet 2013 prévoit que :
-
«
GCN s’engage
: à ce que les services et capacités achetés par le Client ne soient
pas perturbés par tous [sic] autres services en fonction sur la Liaison qu’il provienne
de l’exploitation de GCN lui
-même ou des clients tiers de GCN ; à ce que les
capacités sur lesquelles un IRU est consenti soient disponibles en permanence ; à ce
que la sécurité des informations acheminées sur ledit réseau soit respectée
. »
(Article II) ;
-
«
GCN s’engage à corriger les anomalies mineures et les anomalies majeures. A
défaut d’une mise en conformité dans un délai de 60 jours ouvrables suivant l
a
notification [d’une anomalie] à GCN, le Client pourra mettre fin au présent contrat.
GCN remboursera au client toutes les sommes déjà versées au titre du présent
contrat
» (article III, section 4.04).
Les
contrats d’IRU cédés par GCN prévoient, pour la p
lupart, le paiement de frais de
maintenance annuels. Toutefois, un contrat
dont l’exécution se poursuit
au-delà de la
durée de la DSP a intégré dans le paiement initial le montant des frais de maintenance.
Cette disposition prive le futur gestionnaire des ressources de maintenance pour la période
restante du contrat, dans la mesure où le terme du contrat de DSP arrive avant celui des
contrats d’IRU.
La dynamique commerciale tend à se réduire depuis quelques années. En 2020, un seul
contrat de transit IP (Internet Protocol) a été conclu. En revanche, deux contrats ont été
résilié en raison de la concurrence de Digicel, qui a acquis un IRU sur le réseau de GCN
et qui peut donc commercialiser des capacités. La tendance à la baisse observée interroge
dans la mesure où les trafics engendrés par le télétravail, ou les nouveaux usages par les
consommateurs, augmentent la demande auprès des opérateurs de détails.
Depuis 2004, les tarifs de GCN ont baissé continuellement à la demande de la région
Guadeloupe, notamment pour tenir compte de
l’évolution des prix et
des évolutions
technologiques du secteur. En ce qui concerne plus particulièrement les liaisons louées,
les tarifs sont aujourd’hui inférieurs à la moyenne du marché outre
-mer. GCN ne
commercialise que des o
ffres supérieures à 50 Mbps.
En lissant les frais d’installation
sur une année, on obtient un prix moyen de 23,58
pour 1Mbps par mois. Le tarif le
moins cher est de 1,17
par Mbps pour un contrat mensuel octroyant 10 Gigabits par
seconde entre Jarry et
Baillif. Le plus onéreux est celui permettant d’utiliser l’ensemble
du réseau GCN pour 50 Mbps, pour un coût de 93,09
par Mbps par mois. A titre de
comparaison, la route entre Miami et Sao-Paolo coûte environ 0,90
par Mbps par mois,
ce qui montre que ce type de liaison reste cher.
En ce qui concerne les IRU, on constate également une baisse des tarifs. Dans le
sixième
avenant au contrat de DSP, en 2013, un IRU de type STM1 sur la distance Baillif
Saint
Martin était vendu pour 15 ans à 324 000
. En 2017, ce même segment était cédé pour
15 ans à 142 560
, soit une baisse de 56 %.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
13
En 2017
, l’ARCEP
8
relevait
que l’achat d’IRU sur le réseau de GCN et la présence
d’autres opérateurs permettait le développement de la concurrence à l’avenir sans avoir à
recourir à des mécanismes contraignants de régulation.
Recommandation n°1 :
Obtenir du délégataire une baisse des tarifs.
2.1.5
Des
contrats d’IRU (
Indefeasible
Right of Use
) vendus à son profit par le
délégataire
2.1.5.1
Des IRU cédés au-delà de la durée de la concession
La commercialisation des IRU était prévu dans le contrat de concession initial
9
. Des
avenants successifs ont modifié les grilles tarifaires autorisant GCN à vendre des contrats
de 15 et 25 ans, alors que le terme de la DSP est le mois de mars 2025.
Ainsi, 28
contrats d’IRU
ont été cédés pour une durée qui excède celle de la concession,
et pour certain
jusqu’en 2040
:
Valeur des IRU à la fin du contrat de DSP
Client
Date début
Date fin
Durée
Montant de
la vente
Montants
annuels
(étalement
linéaire
jusqu’à la
fin du
contrat
d’IRU
)
Valeur au
passif
(restant au
4/3/2025)
Nombre
d'années
entre le
début IRU
et fin du
contrat DSP
MEDIASERV
1-janv.-12
30-juin-25
13,5
3 291 844
243 840
77 828
13,18
MEDIASERV
1-juil.-10
30-juin-25
15,0
1 475 490
98 366
30 992
14,68
MEDIASERV
11-mai-11
30-juin-25
14,0
3 989 431
284 959
49 965
13,82
MEDIASERV
1-janv.-12
30-juin-25
13,5
189 914
14 068
4 490
13,18
MEDIASERV
1-janv.-12
30-juin-25
13,5
569 742
42 190
13 640
13,18
MEDIASERV
25-avr.-14
13-janv.-31
16,7
1 175 000
70 227
411 933
10,87
MEDIASERV
31-juil.-14
13-janv.-31
16,5
1 175 000
71 360
418 582
10,60
MEDIASERV
18-déc.-14
13-janv.-31
16,1
1 175 000
73 062
428 565
10,22
MEDIASERV
14-janv.-16
13-janv.-31
15,0
1 175 000
78 290
459 232
9,14
MEDIASERV
20-janv.-16
19-janv.-41
25,0
1 180 745
47 199
750 008
9,13
CANAL+TELECOM
25-mai-16
24-mai-31
15,0
6 900 000
459 832
2 862 297
8,78
CANAL+TELECOM
25-mai-16
24-mai-31
15,0
300 000
20 000
124 384
8,78
CANAL+TELECOM
16-juin-16
15-juin-31
15,0
1 850 000
123 288
774 858
8,72
CENTENIAL
1-oct.-06
1-mars-25
18,4
2 402 256
130 363
0
18,43
OMT
29-févr.-08
28-févr.-23
15,0
4 434 560
295 475
0
15,01
ORANGE CARAIBES
15-avr.-13
14-mai-28
15,1
342 000
22 663
72 461
11,89
8
ARCEP, Rapport au parlement et au Gouvernement relatif au secteur des communications
électroniques outre-mer, Janvier 2010.
9
Annexe 6, page 28.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
14
ORANGE ROUEN
9-oct.-13
28-août-28
14,9
196 000
13 158
45 891
11,41
ORANGE ROUEN
13-nov.-15
12-oct.-40
24,9
980 000
39 308
613 954
9,31
ORANGE CARAIBES
21-nov.-13
20-nov.-28
15,0
292 000
19 456
72 334
11,29
DIGICEL
10-déc.-07
9-déc.-32
25,0
2 460 000
98 335
764 322
17,24
DIGICEL
1-août-09
31-juil.-24
15,0
648 000
43 176
0
15,01
DIGICEL
1-août-09
31-juil.-24
15,0
324 000
21 588
0
15,01
CENTENIAL
1-avr.-09
30-mars-24
15,0
1 146 000
76 372
0
15,01
DIVERS
10-déc.-07
9-déc.-32
25,0
3 390 000
135 511
1 053 272
17,24
DIVERS
10-déc.-07
9-déc.-32
25,0
4 770 000
190 675
1 482 038
17,24
DIGICEL
10-sept.-14
9-sept.-39
25,0
8 496 667
339 681
4 934 209
10,49
OMT
23-oct.-17
23-oct.-27
10,0
297 000
29 684
78 316
7,37
OMT
29-févr.-08
28-févr.-23
15,0
991 680
66 076
0
15,01
TOTAL
55 617 329
3 149 387
15 516 592
Source : CRC et rapport annuel du délégataire
Pour GCN, les différents avenants modifiant la grille tarifaire des IRU sur des durées
longues (15 à 25 ans) autorisent la cession des IRU sur des durées excédant celle de la
DSP.
La chambre relève que les données concernant les IRU différent dans le rapport
d’exploitation et dans le fichier en annexe de celui
-ci qui indique le montant des produits
constatés d’avance
(PCA). Ces documents émanent pourtant du délégataire. Par exemple,
le contrat conclu avec l’entreprise Centennial est d’une durée de 19 ans et d’un montant
de 1 965 725 € dans le rapport d’exploitation. Dans l’annexe précitée,
il est de 15 ans
pour un montant de 1 146 000 €.
Par ailleurs, la société GCN considère que les montants en jeu lui appartiennent dès
l’origine et de manière irrévocable.
Depuis le 1
er
janvier 2017, les recettes des ventes sont
enregistrées dans ses comptes comme des
«
produits constatés d’avance
»
. Pour les
contrats d’IRU dont l’échéance dépasse le terme de la DSP, elle
étale désormais la
comptabilisation de façon linéaire , non plus
jusqu’au terme d
es ces contrats
mais de
celui de la convention de DSP. Selon le plan comptable général
10
, ces produits
correspondent aux montants perçus ou comptabilisés avant que les prestations ou les
fournitures les justifiant aient été effectuées ou fournies.
La position de la société
n’est pas partagée par
la région Guadeloupe. Pour son contrôle
de la délégation, elle
s’est
judicieusement entourée
d’un conseil financier,
en mesure de
traiter des questions aussi techniques. Les
rapports d’audits
de ce dernier ont pointé cette
modification unilatérale du mode de comptabilisation dès 2017. La région a demandé à
son délégataire de revenir à la méthode
d’étalement
et d’amortissement initiale.
Face à cette divergence de vues entre les parties, un projet
d’avenant n° 9
au contrat a été
proposé. Il prévoit d’une part que «
la totalité des produits de vente [des IRU] est
irrévocablement acquise au concessionnaire
» et d’autre part
la possibilité de céder à la
région les
produits constatés d’avance
.
10
Articles 211-8 et 944-48 du PCG.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
15
La chambre constate que les avenants successifs modifiant la grille tarifaire autorisaient
de facto
la commercialisation sur une période dépassant la durée de la DSP. Toutefois,
elle considère que cette grille annexée au contrat doit être interprétée au regard des autres
clauses, et en particulier, celle de la durée de 20 ans de la convention de DSP. Aussi, elle
en conclue que si la grille tarifaire accorde le droit à la société GCN de commercialiser
des IRU sur une durée supérieure à celle de l
’exploitation, elle
ne doit pas néanmoins
percevoir les produits liés aux années qui suivent le terme de la concession.
Sur le plan comptable, les IRU sont des produits mais ce sont également des actifs
attachés à la délégation. Le câble et ses droits associés appartiennent bien à la collectivité
concédante, qui les a réalisés via un contrat de concession. Le concessionnaire tire donc
son droit à percevoir ces
recettes, de l’exploitation de la
DSP sur 20 ans. Celles-ci ne lui
sont acquises que
jusqu’au terme du contrat passé en 2004
. Aussi, les ventes
d’IRU
sont
comptabilisées comme
des produits constatés d’avance sur un mode linéaire
jusqu’au
terme du contrat d’IRU
, ce que le concessionnaire a
fait jusqu’en
2017.
Dans sa réponse aux observations, la société GCN indique que les IRU vendus constituent
des recettes commerciales et
n’ont
«
un bien, créé ou financé par le concessionnaire, mais
un instrument de son développement commercial
11
». La chambre ne partage pas cette
appréciation.
Le contrat d’IRU entre GCN et Orange indique bien que
« le prix a été
déterminé également en considération des risques relatifs à la liaison […] ainsi que des
risques liés au contraintes d’intérêt général qui pèse
nt sur GCN en sa qualité de
concessionnaire de services public
12
»
.
Le prix forfaitaire de l’IRU
est la contrepartie d’un
service public rendu, service qui a une durée plus longue que le contrat de concession. En
outre, les IRU sont des biens incorporels, ceux
achetés sont d’ailleurs comptabilisés
comme cela (par GCN ou les sociétés qui achètent des IRU vendues par GCN). Ainsi que
l’indique l’ARCEP,
« il est incontestable que l'IRU puisse être une source régulière de
profit, (ii) la durée et les dispositions du contrat d'IRU en assurent la pérennité, (iii) la
plupart des contrats d'IRU en autorise la cession. Dès lors, le droit né du contrat d'IRU
peut être considéré comme une immobilisation »
13
. Ce sont des biens financés par le
concessionnaire et surtout par la collectivité publique par le biais des subventions versées.
Ils sont indispensables à l’exécution du service car sans
eux
, il n’y a pas de recettes
suffisantes pour financer la maintenance du câble. Ils constituent en effet 70 % des
recettes de la DSP.
Le contrat
de concession et ses annexes n’
ont pas précisé quel était le bénéficiaire des
recettes de vente d’IRU après
son terme. Or, seule une disposition explicite du contrat
pourrait en disposer autrement que le retour de la valeur des biens à la collectivité
délégante, et par exemple stipuler que ces produits reviennent au délégataire.
En
l’absence
de cette mention, les biens ainsi que les produits servant à les financer doivent
revenir à la région Guadeloupe.
Les IRU
ont vocation à s’exécuter
au-delà de la durée de la DSP et seront donc à la charge
de la collectivité régionale, ce que mentionnent les contrats de vente de CGN. Pour
exemple, celui vendu à Outre-Mer Télécom le 6 novembre 2017, précise dans son article
3, que «
la date de
fin d’IRU étant postérieure à la date de la fin de la convention de DSP,
GCN garantit que dans l’hypothèse où elle ne serait pas délégataire du service public à
11
Note du cabinet Dentons pour le compte de la société GCN, p. 4.
12
Page 15 du contrat.
13
Les actes de l’ARCEP, mars 2011.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
16
l’échéance de la convention de DSP, le service n’en sera pas affecté ni le présent contrat
remis en cause, étant entendu que celui-ci serait alors nécessairement assuré directement
ou indirectement par la Région Guadeloupe.
». Le prix d’achat de l’IRU comprend donc
bien
la couverture d’une garantie des services
, qui
implique le financement de l’ent
retien
du câble et des équipements par la région ou son futur exploitant.
En l’absence de cette quote
-part, la région ne percevrait que les montants liés aux frais de
maintenance, qui sont versés régulièrement par les clients.
D’après le
plan prévisionnel
de GCN en 2021, ces produits représenteraient en moyenne 3,24 % du montant des IRU.
Sur la durée de ces contrats restant à courir après le terme de la DSP, ils sont estimés
annuellement à 638 828 euros. Ces montants sont à comparer avec les charges annuelles
d’exploitation moyenne
s de 993 121
€ (hors dotation aux amortissements et provisions).
Ainsi, la région ne disposerait pas des moyens financiers suffisants pour assurer la
maintenance du câble.
En tout état de cause, le caractère de service public du numérique impose à la collectivité
publique
d’assurer, sans limite de temps, la disponibilité des infrastructures supports de
ce service. Elle ne peut donc renoncer à des recettes permettant de financer la permanence
de ce service, au risque de le mettre en péril au-
delà de la durée de l’actuelle convention
de délégation et de fausser une éventuelle remise en concurrence de la passation du futur
contrat.
La région aurait pu obtenir de son concessionnaire, en plus des montants récurrents au
titre de la maintenance annuelle,
le reversement d’environ 15,5 M€ à l’échéance de la
convention. Ce montant correspond à la quote-part des IRU cédés dont la durée est
supérieure à cette échéance. De cette somme doivent être déduits la quote-part des IRU
achetés par
la société GCN, estimé à 2,4 M€.
Dans un cas similaire, mais avec des
dispositions plus explicites, le tribunal administratif de Toulouse avait admis que
« la
société délégataire a l’obligation de reverser à l’autorité délégante la fraction des
sommes perçues au titre des contrats de type IRU, correspondant à la période résiduelle
de ces contrats au-delà du terme de la convention de délégation de service public »
14
.
Pour clarifier les choses, la région aurait pu prévoir
d’insérer cette disposition spécifiqu
e
dès son contrat initial ou à l’occasion d’un avenant
.
L’acheteur de l’IRU attend
, en contrepartie de son achat pour une durée déterminée, la
garantie du maintien du service au cours de la période restant à courir après la fin de la
concession. Une fraction du prix payé à GCN (hors frais de maintenance) couvre son
financement. Du fait même du caractère de service public, la région ne peut donc renoncer
à cette recette qui financera la prestation qu’elle ou son nouveau délégataire doivent
rendre.
Recommandation n°2 :
Ne signer aucun avenant qui attribuerait toutes les
recettes
postérieures
au
terme
du
contrat
au
délégataire.
14
TA Toulouse, 13 mars 2019,
Sté Net Aveyron
, n° 1601858.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
17
2.1.5.2
Un changement de méthode
d’étalement et
d’amortissement aboutissant à
réduire le montant revenant à la région à l’issue de la convention
Les IRU correspon
dent aux critères d’une immobilisation incorporelle
15
. Le produit de
leur vente ainsi que les IRU figurant à l’actif
doivent être étalés et amortis de façon
linéaire sur la durée du bien mentionnée dans
le contrat d’IRU.
Dans son rapport
d’exploitation 20
17, la société délégataire GC
N indiquait d’ailleurs que
«
les ventes
d’IRU sont considérés comme des prestations de service continues s’étalant sur plusieurs
exercices. Les produits perçus grâce à la vente d’IRU sont ainsi répartis sur la durée du
contrat de manière linéaire
».
Or en 2017, elle a opté unilatéralement pour une méthode
d’étalement et
d
amortissement
qui n’était pas celle
décidée à la signature du contrat de DSP :
l’étalement jusqu’au terme
de la DSP et l’
amortissement « de caducité ».
L’amor
tissement « de caducité »
Dans le cadre d’un
e
concession de service public, l’amortissement
dit « de caducité »
permet au
concessionnaire d’inscrire dans ses comptes
la reconstitution de l'ensemble des
capitaux investis
pour le financement d’un bien assorti d’une obligation de retour à titre
gratuit en fin de contrat au concédant.
Le fondement légal des amortissements de caducité est le régime fiscal applicable aux
revenus distribués
« aux termes du 2° de l'article 112 du Code général des impôts, ne sont
pas considérés comme revenus distribués les amortissements de tout ou partie de leur
capital social, parts d'intérêt ou commandites, effectués par les sociétés concessionnaires
de l'État, des départements, des communes ou autres collectivités publiques ».
Cette méthode permet un amortissement accéléré de l’investissement sur la durée
résiduelle de la délégation de service public, et réduit pour le délégataire le besoin
d’indemnisation finale du concédant.
Le choix de GCN modifie
la composition de l’actif
et du passif de la DSP. En effet,
l’actif
immobilisé est majoré par l’augmentation du résultat et l’actif circulant est minoré du
montant de la réduction des produits constatés d’avance.
Au passif, la diminution des
PCA, e
ntièrement reportées sur le chiffre d’affaire
s,
s’accompagne d’une augmentation
de l’amortissement des IRU.
La dotation annuelle augmente afin de solder
l’amortissement des IRU
à la fin du contrat de DSP.
Ainsi, le choix unilatéral de GCN a
eu pour effet la hausse de cette dotation aux amortissements de 0,95
M€ en moyenne pour
les années 2015-2016 à 1,25
M€ pour les années 2017
-2020.
A la fin de la concession, ce changement comptable privera la région des actifs
immobilisés au titre des IRU et des produit
s constatés d’avance
, leurs contreparties au
passif circulant. Pour CGN, la réduction du financement de ces contrats assuré par les
PCA se traduit par
une bonification du chiffre d’affaires et du résultat de 15,5 M€
. Pour
15
L’amortissement constate la perte de valeur du bien au fur et à mesure de son utilisation. Selon
l’instruction comptable (fascicule 5 section 3), « la durée d’amortissement doit correspondre à la durée
réelle d’utilisation de l’immobilisation par l’organis
me qui débute à la date de la consommation des
avantages économiques attendus ».
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
18
la région, ce changement de méthode induit une perte de recettes de ce montant à la fin
de la délégation de service public.
2.1.5.3
Un amortissement « de caducité » irrégulier pour les IRU achetés suivant le
changement dans l’étalement des produits constatés d’avance
Au terme du contrat, le concessionnaire est tenu de remettre au concédant sans indemnité
les biens de retour. P
our assurer l’équilibre financier de la DSP
, les amortissements sont
intégrés dans les charges du délégataire, et dans le prix des prestations vendues au public.
Depuis 2017, la société GCN a
pplique l’amortissement
« de caducité » pour les IRU et
fait valoir dans sa réponse aux observations provisoires un avis de 2020 de la commission
des études comptables de la compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC).
Cet avis précise
, qu’en l’absence de stipulation contractuelle
contraire, «
le produit initial
[
issu de la vente de l’IRU
]
doit être considéré comme définitivement acquis au délégataire
dès sa facturation, nonobstant la circonstance que le contrat d’IRU survivra à la
délégation
»
16
. La chambre observe toutefois que cet avis a été rendu dans le cas où le
contrat de DSP «
exclu[e] tout reversement d’une fraction du produit initial au délégant
en fin de contrat
»
, ce qui n’est pas le cas de la concession de la région Guadeloupe.
Dans les concessions,
l’
amortissement des biens suit un régime spécial puisque le
délégataire n
’est
pas censé amortir des biens qu’il ne possède pas.
Or, ces biens
appartiennent à la collectivité publique qui en est propriétaire. Ils sont nécessaires au
service public et sont grevés de droits réels. Ils ont été amortis et doivent faire retour
gratuitement à celle-ci.
Pour la chambre, l
e choix de l’amortissement
« de caducité » aurait dû être soumis à
l’accord préalable de la collectivité
régionale dans la mesure où elle doit être en mesure
de choisir si elle souhaite que le bien lui soit restitué sans une indemnisation de sa part ou
dans le cas des produits, si le bien peut lui être rendu
sans versement d’une indemnité de
la part du concessionnaire.
Cette information était nécessaire pour intégrer
dans l’équilibre financier les charges et
les produits du délégataire et pour permettre un éventuel réajustement des tarifs de la
DSP. En effet, la modification de
la méthode d’amortissement
nécessitait une
renégociation ou un avenant spécifique et ne pouvait se faire à la seule initiative du
délégataire.
Cette limite est rappelée
par le Conseil d’Etat
:
« seul un concessionnaire qui est dans
l’obligation d’abandonner sans indemnité ses équipements et installations à la
collectivité concédante à l'expiration de la durée de la concession peut pratiquer des
amortissements de caducité sur ces immobilisations en fonction de la durée de la
16
Avis CNCC, 2020, n° 2020-32.
En effet, la Commission des études comptable du CNCC s’est prononcé
suite à une saisine et elle indique bien, à la p. 5 de l’avis :
« Vous avez indiqué à la Commission que le
contrat de délégation exclut tout reversement d’une fraction du produit initial au délégant en fin de contrat.
Dès lors, ce produit initial doit être considéré comme définitivement acquis au délégataire […] »
. La
commission indique que le contrat excluant explicitement un reversement au délégant,
« Il en résulte que
le produit initial est définitivement acquis à la SPL dès sa facturation même dans le cas où le contrat d’IRU
aurait une durée excédant celle résiduelle de la délégation »
. Cette formulation signifie
a contrario
que si
le contrat n’excluait pas explicitement le reversement, le produit initial n’aurait pas été acquis
définitivement au délégataire.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
19
concession »
17
. La haute juridiction administrative ajoute que : «
cette faculté n'est pas
ouverte à une société liée à la collectivité publique par un tel contrat à raison des
dépenses donnant lieu à immobilisations qu'elle expose au seul titre de son obligation
d'entretien des installations que la collectivité propriétaire met à sa disposition
»
18
.
L’amortissement d’un bien doit
reposer sur une réalité économique et doit donc
correspondre à
la durée réelle d’utilisation du bien par l’entreprise. En l’espèce la valeur
comptable, y compris la valeur résiduelle des IRU repose sur la valeur d’usage.
Aussi,
par exemple, il est irrégulier de modifier
la durée d’un amortissement pour des raisons
uniquement fiscales.
Le régime usuel des IRU est
l’étalement
des produits et
l’amortissement linéaire
des actifs
jusqu’à la fin du contrat d’IRU. A titre d’exemple, le contrat liant le département de
l’Aveyron à la société Aveyron Altitude stipule dans son article 48 :
« Toutefois, pour ces
contrats de service à long terme de type IRU, le délégataire versera à l’autorité
délégante, à la fin normale ou anticipée de la délégation, une quote-part à déterminer de
la rémunération perçue, pour la période résiduelle de ces contrats »
. Il en est de même
du contrat liant le syndicat mixte ouvert Eure Normandie Numérique à la société
Eurek@
19
. Les IRU sont amortis sur la durée de leur utilisation qui correspond à leur
durée contractuelle
20
. Pour passer de la méthode usuelle d’amortissement linéaire jusqu’à
la fin du contrat d’IRU à un amortissement linéaire jusqu’à la fin du contrat de DSP (ou
amortissement de « caducité »), GCN devait justifier ce changement.
2.1.5.4
CGN ne respecte pas le principe comptable de permanence des méthodes
Le principe comptable de permanence des méthodes repose sur les dispositions de
l’
article 121-5 du code de commerce. Celles-ci visent les méthodes d'évaluation et de
comptabilisation et les
méthodes de présentation des comptes. Le principe s’applique
donc à la comptabilisation des amortissements. Selon la réglementation, «
une entité doit
appliquer de manière cohérente et permanente une méthode comptable aux opérations et
informations similaires. Les exceptions au principe de permanence des méthodes sont
définies aux articles 122-1 et 122-2
».
L
es dispositions de l’
article 122-2 du code précité autorisent le changement sous deux
conditio
ns : l’existence de plusieurs méthodes conformes aux principes comptables, et la
fourniture d’une meilleure information financière.
La réglementation précise que : «
La nouvelle méthode conduit à une meilleure
information financière lorsqu’elle reflète de
façon plus adaptée et plus pertinente la
performance ou le patrimoine de l’entité au regard de son activité, sa situation et son
environnement
». Dans la mesure où certains des IRU achetés et vendus par GCN sont
des droits
d’usage irrévocables dont
la durée dépasse celle du terme de la concession, leur
étalement jusqu’au terme du contrat de DSP et leur
amortissement « de caducité » ne
reflètent pas de façon plus adaptée et plus pertinente le patrimoine de la délégation. La
17
CE, 14 janvier 2008,
Société Sogeparc France
, n° 297541.
18
CE, 8 février 2017,
Lucien Barrière
, n° 387620.
19
TA de Rouen, Ordonnance du 26 mai 2020,
Société Eurek@
, n°2000353.
20
Rapport financier, Rapport des Commissaires aux comptes sur les comptes consolidés, comptes annuels
de Vivendi SA, 2013. « Les coûts des contra
ts d’« IRU » sont immobilisés et amortis sur leur durée
contractuel ».
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
20
société a justifié sa décision par le fait qu
’elle
avait choisi de ne pas être candidate au
renouvellement de la DSP
, ce qui n’est
pas un motif légitime de changement de méthode.
La chambre observe que ce choix a un impact très significatif sur les comptes, ce qui
implique qu’il soit justifié. L’annexe des comptes doit
ainsi permettre une comparabilité
entre les exercices à amortissement linéaire et ceux à amortissement de caducité. Le
commissaire aux comptes a un rôle de réviseur important sur ce point. En l’absence de
lisibilité ou de justification il ne doit pas certifier les comptes. Ce point a surtout une
incidence lors de la cession d’actifs, ce qui est le cas dans une DSP en fin de contrat. Les
producteurs des comptes (la société) et le certificateur des comptes engagent leur
responsabilité civile en cas de litige.
La chambre constate que les rapports des commissaires aux comptes sur le changement
de méthodes comptables sont très succincts et insuffisants. Dans celui sur les comptes
clos au 31 décembre 2016, il est indiqué que
: « Les immobilisations incorporelles
concernent essentiellement les droits d’usage irrévocables (IRU) qui se déprécient
linéairement sur la durée d’utilité (de 11,20 à 17,66 ans)
21
»
. S’agissant des comptes clos
au 31 décembre 2017, le rapport sur les comptes de 2017 précise que :
« Les
immobilisations incorporelles concernent essentiellement les droits d’usage irrévocables
(IRU) qui se déprécient linéairement sur la durée restante de la DSP, soit sur la période
entre la date de vente de l’IRU et la fin de la DSP le 4 mars 2025
22
»
. Il indique
succinctement que :
«
L’analyse du traitement de la dépréciation des IRUS nous a conduit
à changer notre estimation de la reconnaissance de ces amortissements. Les IRUS
immobilisés s’amortissent jusqu’au terme de la DSP
»
.
Le recueil des normes comptables explicite les cas justifiés de changement : adopter une
méthode comptable de référence, ce qui n’est pas le cas ici
; adopter les méthodes
comptables les plus généralement retenues dans le secteur d'activité concerné, ce qui n’est
pas le cas ici ; harmoniser les méthodes comptables retenues dans les comptes individuels
et celles retenues dans les comptes consolidés (la société CGN
n’est pas concernée)
;
adapter les méthodes comptables aux modes de suivi interne de gestion de la performance
ou du patrimoine, dont l’évolution a été rendue nécessaire par une modification de
l’activité, de la situation ou de l’environnement de l’entité. Ce dernier cas pourrait être
invoqué. Toutefois,
l’environnement n’a pas changé, la société
sait que son contrat
s’achève
en mars 2025. La chambre constate en conséquence que le changement
unilatéral de méthode n’est pas justifié.
Le juge administratif a admis qu
’un changement de méthode
aboutit
dans le cadre d’une
concession à modifier certaines comptabilisations comme le régime des provisions, une
telle modification peut justifier la résiliation de cette DSP pour faute
23
.
Dans sa réponse aux observations provisoires, la société
GCN indique qu’il ne s’agit pas
d’un changement d
e méthode comptable mais
d’un changement d’une
« estimation
comptable ».
La notion d’estimation comptable est utilisée lorsqu’un élément d’un état
financier ne peut être évalué avec précision :
« Les estimations comptables sont les
jugements ou hypothèses
utilisés aux fins de l’application d’une méthode comptable
lorsque, en raison de l’incertitude relative aux estimations, un élément des états
21
KPMG, Rapport du commissaire aux comptes, Exercice clos le 31 décembre 2016, p. 11.
22
KPMG, Rapport du commissaire aux comptes, Exercice clos le 31 décembre 2017, p. 8
23
Cour d’appel administrative de Nantes, 31 octobre 2014,
CEP-A Port Guillaume
, n° 13NT00699.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
21
financiers ne peut pas être évalué avec précision. »
(IAS 8). Or, en l’espèce les recettes
d’IRU sont très précise
s. Au surplus, dans la logique de la société les recettes lui étaient
acquises en tout état de cause, il n’y avait donc aucune incertitude quant à l’évaluation
des produits. Dans le cas des IRU,
il ne s’agit pas seulement de la
modification de la durée
d’étalement d’un produit qui est concerné par le changement de méthode, mais d
u
changement de modalités de calcul qui impactent également les amortissements des IRU
achetées et la clause contractuelle d’intéressement. La notion d’estimation comptable ne
paraît pas pouvoir être utilisée dans le cas de la DSP.
La société GCN estime, que le
« changement d’estimation comptable décidée par GCN
constitue une pure décision de gestion interne et n’a aucun effet sur la question du
reversement des PCA au terme de la convention »
.
Selon la chambre, il est erroné de considérer cette décision comme une pure décision de
gestion interne. Elle relève
d’ailleurs
que la formalisation de ce changement de méthode
était un des objectifs du projet d’avenant n°9
proposé à la région.
En effet, si toutes les recettes d’IRU devrai
ent revenir à GCN, cette modification ne serait
pas neutre pour la collectivité régionale. Dans le cas où les conditions de versement à la
région de la « contribution de retour à meilleur fortune » (article 26-2 du contrat) seraient
remplies, ce qui n’est pas une hypothèse d’école, même si
elles sont restrictives, son
montant serait fortement impacté. En effet, cette contribution est calculée sur la base (3%)
du chiffre d’affaires de l’année concernée. Si le r
eliquat
d’étalement
des PCA était
comptabilisé sur la dernière année du contrat de DSP, comme GCN le laisse entendre, le
montant versé aurait été fortement majoré par rapport à leur
étalement jusqu’
au terme du
contrat de DSP. Par le mécanisme comptable adopté, GCN se prémunit ainsi contre tout
versement important à la région
si la clause d’intéressement devait être activée
.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE __________________
La mise en place du service public du numérique par câble sous-marin est une
réponse pertinente à l’augment
ation des besoins en communication de la population et
d
es entreprises guadeloupéennes. L’investissement initial s’est élevé à 27,6 M€, financé
en grande partie
par l’Europe et la Région. La société GCN a été choisi
e pour gérer ce
service public, qui
s’est
révélé techniquement adapté. Les tarifs, bien qu’en baisse, reste
cependant élevés pour les opérateurs et in fine pour les usagers.
La société GCN a commercialisé des IRU (droit d’usage irrévocable)
, qui
représentent 70 % de son chiffre d’affaires, à des opérateurs de télécommunication.
En
2017, elle a irrégulièrement modifié le traitement comptable des produits liés à ces
contrats. Au terme de la concession en 2025, ce choix aura pour effet de priver la Région
de 13,1
M€ de recettes.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
22
3
L’
EQUILIBRE ECONOMIQUE REMIS EN QUESTION PAR LES
DECISIONS DU DELEGATAIRE
3.1
Des frais de gestion très élevés versés à la société mère
La société délégataire sous-traite la plupart des prestations
qu’elle fournit
. En 2020, elle
employait seulement deux salariés. Son principal poste de dépenses sont les dotations aux
amortissements. Sur les six dernières années du contrat (2015-2020), elles représentent
48,3 % des charges en moyenne. Les « autres achats et charges externes », dont
principalement celles de maintenance (IRU, câble, équipements)
, s’élèvent à
43,8% des
charges en moyenne.
Les modalités de calcul des frais de gestion de la société de projet (GCN) assumés par le
groupe Loret, société mère, sont indiquées de façon sommaire. Après avoir augmenté
significativement, jusqu’en
2014, ils sont restés stables depuis. Les montants
s’élèvent à
603 784
€ par an, soit 24% des «
Autres achats et charges externes
» ou encore 10,5% en
moyenne des charges totales de CGN, entre 2015 et 2020.
En réponses aux observations provisoires, le groupe Loret a communiqué une note
précisant les prestations effectuées par ses services et a indiqué
qu’au plan d’affaires
de
CGN, il était prévu 640 000
pour ces frais. La chambre considère que ces justificatifs
équivalent à la charge
d’
environ 2,5 emplois permanent ce qui ne saurait justifier le
montant facturés et, partant, les charges supportées pour la DSP.
Au surplus, les éléments produits par le groupe Loret ne permettent pas de vérifier que
ces frais facturés ne correspondent pas à une remontée partielle de résultats sans réelle
contrepartie. Ils dégradent artificiellement le résultat de la DSP, et sont susceptibles de
priver
la région du versement à son profit de l’intéressement prévu au contrat.
3.2
Une maj
oration significative du chiffre d’affaire
s déconnectée de la
durée d’utilisation des IRU
Le produit de la vente
d’IRU
représente entre 2019 et 2020, près de 70% du chiffre
d’affaire
s. Le tableau ci-dessous détaille les recettes du délégataire depuis 2008.
Evolution des recettes depuis 2008
Types de
recettes
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Bande passante
en IRU
2 856 781
2 889 742
3 019 941
3 272 490
1 646 079
1 633 917
1 922 801
2 420 583
2 690 362
4 906 443
4 985 614
4 958 614
4 999 273
Bande passante
en leasing
748 450
887 808
678 464
84
812
115 820
220 958
276 135
91 800
84 600
5 400
128 563
208 932
Frais d’installation
et de configuration
19 000
3 500
44 200
58 200
800
47 000
14 028
5 300
8 000
28 580
8 800
5 100
2 900
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
23
Hébergement
136 600
180 000
150 378
235 282
178 274
241 800
228 562
308 217
363 781
404 068
400 908
401 621
402 336
Location de
fourreaux
9 659
9 804
9 162
4 032
4 032
4 032
4 032
4 032
4 032
7 032
5 532
7 032
5 532
Contrats de
maintenance des
IRU
187 723
800 129
552 506
541 995
1 178 349
915 436
1 037 566
1 299 314
1 577 212
1 711 913
1 683 991
1 695 850
1 694 801
Transit IP
récurrent
754 512
908 804
1 516 035
1 352 728
708 480
261 493
140 693
172 805
279 474
172 471
60 150
69 563
85 655
Cross connections
(liaisons
transversales)
860
860
7 292
43 387
20 614
21 183
27 067
35 371
TOTAL
4 711 725
5 679 787
5 970 686
5 549 539
3 821 834
3 325 496
3 640 298
4 309 343
5 050 848
7 256 791
7 294 741
7 401 679
7 434 800
Source
: Rapport d’exploitation GCN, septembre 2021.
Sur le plan comptable, les produits de ventes des IRU sont enregistrés dans les comptes
en deux temps : débit du 411 (client) et crédit du 707, régularisé à la clôture de l’exercice
par un débit du comp
te 707 et un crédit du compte 487 (produit constaté d’avance). Au
cours de l'exercice suivant, l'écriture est contre passée ou extournée et le produit est ajouté
au résultat. Il est ainsi procédé à un étalement du produit de la vente,
jusqu’au solde du
compte 487.
Dans un cas classique, cette opération a pour effet de majorer le résultat annuel, seulement
du solde entre le produit total de la vente et les produits constatés d’avance, pour se
conformer au principe comptable
de l’indépendance des exercices. A titre d’exemple, une
IRU vendue pour 6,9 M€ pour une utilisation de 15 ans
est enregistrée au crédit du compte
707 pour cette valeur et au débit du même compte pour
6,44 M€ par un crédit du compte
487. Le produit net annuel est donc de 459 000
€.
En recourant à
l’étalement
pour les produits et à
l’amortissement
« de caducité » pour les
charges, GCN a choisi de réduire la période
d’étalement
du produit de la vente pour
l’indexer non sur la durée du contrat de vente de l’IRU mais sur
celle qui reste à courir
jusqu’au terme de la
DSP. Ainsi, le montant comptabilisé au titre des PCA est diminué
afin de solder le compte 487 plus rapidement. Dans
l’
exemple précité, le
raccourcissement à 10 ans de la durée
d’étalement d’utilisation d’un
IRU vendu pour
15
o
ans est toujours comptabilisé au crédit du compte 707 à hauteur du prix de vente de
6,9 M€, mais le
débit du même compte est ramené à
6,21 M€
. Le produit net annuel est
ainsi
de 690 000 €. Le compte 487 est alors soldé sur 10 ans au lieu de 15
ans.
Au 31 décembre 2020, les comptes du délégataire
mentionnaient l’existence de
28 IRU,
encore en cours, vendus
pour une somme totale de 55,345 M€
entre le 1er octobre 2006
et le 23 octobre 2017. En changeant de méthode comptable la société GCN a majoré de
1,9 M€ son chiffre d’affaires sur les 5 M€ enregistrés en 2020.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
24
3.3
Un équilibre financier substantiellement et irrégulièrement modifié par
la société CGN
Depuis l’exercice 2017, le choix de l’étalement linéaire jusqu’à la fin du contrat de DSP
et des amortissements de « caducité » a eu un effet significatif sur le profil de résultat de
la DSP, qui est devenu très excédentaire ainsi que cela apparaît dans le tableau suivant :
Les résultats de la DSP depuis 2015
Année
2015
2016
2017
2018
2019
2020
TOTAL DES PRODUITS DE
GESTION (I)
4 479 662
5 384 870
7 397 633
7 539 901
7 532 639
7 488 385
TOTAL DES CHARGES DE
GESTION (II)
5 965 682
5 716 438
5 668 838
6 188 568
5 498 398
5 588 808
Résultat d'exploitation
-1 486 020
-331 568
1 728 795
1 351 333
2 034 241
1 899 577
Résultat financier
-16 428
-5 638
-1 849
3 875
-4 641
-21 534
Résultat courant avant impôts
-1 502 448
-337 206
1 726 946
1 355 208
2 029 600
1 878 043
Résultat exceptionnel
920 613
944 427
931 764
909 047
925 897
893 106
Résultat
-581 835
607 221
2 408 801
2 080 259
2 760 356
2 607 162
Source : Rapport du commissaire aux comptes sur les comptes annuels
Ce changement est susceptible de modifier
l’équilibre financier de la délégation
au profit
du délégataire. Le principe
de l’équilibre financier du contrat
a été reconnu de longue
date par le juge administratif
24
. Il justifie l’octroi de subventions pour des services
,
comme c’est le cas ici,
qui, sans elles, seraient lourdement déséquilibrés au détriment du
concessionnaire.
Cependant ce principe ne peut être vu qu’à la lumière de l’obligation
pour celui-ci
d’assumer
à ses risques et périls
l’
exploitation du service concédés.
Au cas d’espèce, d
eux modifications sont intervenues, sans avoir donné lieu à des
avenants à la convention,
et ont profondément modifié l’équilibre économique du contrat
initial :
La valorisation de la cession des contrats d’IRU n’était pas mentionnée au contrat
de concession, pas plus
qu’au
plan prévisionnel annexé à celui-ci sous la forme
d’un graphi
que présentant uniquement les « courbes de résultat ». Or, ces
contrats représentent actuellement 70 % du chiffre d’affaire
s de GCN ;
Dans ce même document, transmis par la société GCN, le paiement des frais de
gestion à la société mère n’était
pas non plus mentionné.
Sur la période 2008-2020, l
e résultat d’exploitation de la délégation est excédentaire de
5,7 M€. La projection jusqu’au terme du contrat, montre que le résultat sera majoré au
total de
18,8 M€
.
24
Cf. arrêt CE 21 mars 1910, Cie générale française des tramways.
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
25
Résultats des comptes de la délégation
et projection jusqu’en 2025
(en euros)
Année
2008
2009
2010
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
Résultat
-1 477 429
-736 773
-523 994
-487 499
-638 174
252 145
-522 635
-581 835
607 221
2 408 801
Source : Rapports du commissaire aux comptes
La chambre rappelle que les conditions de modification d
’un
contrat de DSP sont
strictement encadrées
par les dispositions de l’article
L. 3135-1 du code de la commande
publique. Cet article liste les cas de modification autorisée sans une nouvelle procédure
de mise en concurrence
25
,
Ainsi, elles ne doivent pas avoir pour effet de fausser la mise en concurrence initiale
préalable à l’attribution de la concession
. Dans la mesure où la comptabilisation des PCA
aboutit à modifier substantiellement le contrat de DSP
, cela n’était pas autorisé
.
Ce constat ouvre la possibilité au concédant de résilier son contrat. En effet, l
’article
L. 3136-7 du code précité
26
indique que «
L'autorité concédante peut résilier le contrat
de concession lorsque l'exécution du contrat ne peut être poursuivie sans une
modification qui méconnaîtrait les dispositions du chapitre V du présent titre
».
D
ans le cadre d’une DSP
, l
e Conseil d’État a pu préciser
que «
l’avenant en cause
prévoyait des hausses de tarifs comprises entre 31 et 48 %, qui se traduiraient par une
augmentation de plus d’un tiers des recettes et qui allaient très au
-delà de la
compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du
délégataire convenues par ailleurs
»
27
. En déduisant de ces considérations qu’une
modification substantielle était ainsi apportée au contrat, le Conseil d’Etat
avait estimé
que la Cour
administrative d’appel n’a
vait
pas commis d’erreur de droit.
Pour la société GCN, les produits de la vente des IRU ne servent pas à financer leur
support (le câble lui-même). La collectivité concédante, tout comme elle
, n’a aucune
obligation
d’assurer
la continuité de son fonctionnement au motif que les IRU sont
irrévocablement acquis à leurs acheteurs. Pour la chambre, cet argument
n’est pas
opérant. En effet, les produits servent à financer le fonctionnement général du service et
notamment l’entretien du câble
. Celui-ci
n’est pas
seulement le support des IRU mais
également celui
d’autres prestations (contrats de location notamment), dont la
région se
devra
d’assurer
au-delà du terme de la concession la continuité, sous peine pour e
lle d’être
contrainte à indemniser les opérateurs pour des prestations non fournies.
En conclusion, le surprofit dégagé par la société GCN déséquilibre substantiellement les
clauses financières du contrat.
25
Parmi lesquelles figure notamment «
5° Les modifications ne sont pas substantielles
».
26
Créé
par l’ordonnance n°2018
-1074 du 26 novembre 2018.
27
Conseil d’Etat du 9 mars 2018
, Compagnie des parcs et passeurs du Mont-Saint-Michel
, n° 409972
Année
2018
2019
2020
2021
2022
2023
2024
2025
Résultat
2 080 259
2 760 356
2 607 162
2 607 162
2 607 162
2 607 162
2 607 162
2 607 162
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
26
Aussi,
il s’offre à la région
la possibilité d’une
résiliation du contrat, pour faute et sans
indemnités, ou
la signature d’un avenant
le modifiant seulement non substantiellement.
Recommandation n°3 :
Revenir
à
la
méthode
retenue
à
l’origine
d
’amortissement
/étalement linéaire
jusqu’à la fin des
contrats
d’IRU
tant
pour
les
charges
des
immobilisations que pour les produits constatés
d’avance.
3.4
Une
menace sur l’exploitation future du service public numérique
L
a région subit une perte de financement de 15,51 M€
(voir supra). Ce montant pourrait
augmenter en cas de conclusion d’autres contrats de vente d’IRU.
Le changement de comptabilisation au compte de résultat des produits d’IRU n’entraine
pas le déclenchement du
mécanisme d’intéressement au profit de la région
,
si l’on se
réfère au plan
d’a
ffaires
présenté par la société à l’origine du contrat.
La société GCN
n’a pas réalisé le plan d’investissement de 800 000 €, prévu par le contrat
pour les mises à jour technologique des équipements «
refresh technology
». Si elle ne
réalise pas
d’ici 202
5, la région devra le prendre à se charge pour assurer la poursuite du
service public du numérique.
L’ensemble des problèmes soulevés dans l’exploitation de l’actuel délégataire fait peser
des risques financiers importants sur le futur gestionnaire de ce service public, la région
ou son nouveau délégataire.
La conservation par GCN des recettes et de la trésorerie de la délégation aboutit à prélever
les ressources du service public du numérique. Elle lui confère en outre un avantage
irrégulier.
Aussi, le f
utur exploitant devra assurer le service d’entretien des réseaux sans
cet
trésorerie, pour des biens financés par la Région. En bonifiant le chiffre d’affaires et le
résultat dans ces proportions, le changement de méthode comptable a modifié l’équilibre
fi
nancier de la délégation. L’exploitation du service est privée de 70
% de ses recettes sur
les premières années de la reprise de la concession, chiffre allant en diminution
progressive sur les années suivantes. Cela est de nature à rendre impossible la poursuite
du service par un autre délégataire, sauf à que la collectivité régionale abonde
significativement son financement.
______________________ CONCLUSION INTERMÉDIAIRE __________________
Le changement de méthode de comptabilisation des produits constatés d’avance
majore au profit du délégataire
le résultat annuel de près de 2 M€ et
le résultat cumulé
prévisionnel de 18,8 M€.
Il
induit un bouleversement de l’économie de la délégation
.
Dans la mesure où la région conservera, au-
delà de la fin de la DSP, l’obligation
de service public sur la durée totale des IRU, ce changement entraine une menace pour
le financement même du service public et la maintenance du câble sous-marin. Le
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
27
délégant doit obtenir de son délégataire la stricte application de la méthode
d’étalement
et
d’a
mortissement linéaire
jusqu’à la fin des contrats d’IRU
.
4
LA DEFINITION DU REGIME DES BIENS DE LA DSP LAISSEE
A LA SEULE APPRECIATION DU DELEGATAIRE
Le régime de propriété des biens d’une DSP
L’article R.1411
-7 du code général des collectivités territoriales rappelle que le contrat
de délégation de service public (DSP) doit définir les biens de retour et de reprise du
service délégué et que le rapport établi annuellement par le délégataire doit comprendre
un inventaire desdits biens.
Dans son arr
êt « commune de Douai », le conseil d’Etat a précisé le régime des différents
biens support d’une concession de gestion d’un service public. La définition a depuis été
reprise par ordonnance n°2018-
1074 et codifié à l’article L.3132
-4 du code de la
commande publique définissant ce régime.
Les biens de retour
sont des biens meubles ou immeubles nécessaires au fonctionnement
du service public délégué. En principe, et sauf disposition particulière dans le contrat de
concession, les investissements réalisés par un concessionnaire sur de tels biens,
reviennent à la personne publique.
Les biens de reprise
sont ceux qui ne sont pas remis au concessionnaire et qui ne sont
pas indispensables au fonctionnement du service public. Ils sont la propriété du
délégataire, à
moins que les parties n’en disposent autrement. L’autorité délégante a la
faculté de rachat de ces biens, dans les conditions fixées dans le contrat.
Enfin, et bien que cette catégorie ne soit pas explicitement visée par l’article du CGCT
précité, le code de la commande public définit
les biens propres
. Ce sont ceux qui ne
sont ni des biens de retour et ni des biens de reprise. Ils demeurent la propriété du
concessionnaire.
La convention initiale de la DSP ne contient pas la liste des biens de retour et des biens
de reprise, bien qu’elle soit prévue dans une annexe. En réponse à la demande de la
chambre, la région lui a transmis un inventaire de ceux-ci établie par GCN. Elle constate
néanmoins que ces éléments ne permettent pas de connaitre de façon précise la nature des
biens de la concession, ce qui peut faire échec à la restitution des biens de retour et rend
encore plus complexe le changement de titulaire.
4.1
La société GCN a investi dans des locaux loués notamment à des filiales
du groupe Loret
Les stations de câbles sont les locaux des infrastructures physiques pour permettre
l’atterrissement des câbles sous
-marins. Elles
sont ainsi nécessaires à l’exploitation du
CONSEIL REGIONAL DE GUADELOUPE
28
service. Elles se distinguent des «
carrier hotel »
28
, qui sont des espaces de locations de
services de connexion et qui permettent de relier les différents réseaux. Les
Carrier Hotel
de GCN sont situés à New York, Paris et Miami. Ces infrastructures ne peuvent qu’être
loués auprès de prestataires privés.
Ces stations de câbles sont situées sur les territoires desservis par les câbles sous-marins.
Elles ont pu être logiquement mutualisés pour faciliter les interconnexions et limiter les
frais d’installations.
Ainsi, la société GCN loue
des espaces auprès d’AT&T à San Juan,
ou à Sainte-Croix, auprès de LEVEL3.
En revanche, les autres stations utilisées ne préexistaient pas à la DSP. Elles ont
nécessairement dû être aménagées par GCN. Les stations sont louées soit auprès de la
collectivité territoriale de Saint-Barthélemy, soit auprès de la société Auto-Guadeloupe
Investissement ou de ses filiales, elle-même filiale du groupe Loret.
Cela n’a pas empêché
le délégataire
d’investir dans ces stations de câbles.
Ses comptes font fait apparaître des
investissements spécifiques et structurels sur les stations de câbles (par exemple, pose de
porte et de mâts à Baillif pour un total de 24 454
en 2020).
4.2
Les IRU acquis par GCN doivent revenir à la région
Certains IRU ont été acquis par la société GCN pour relier le câble « Guadeloupe
Numérique » aux autres infrastructures.
Selon la société, leurs achats est une réponse aux besoins de ses clients. Or, seul un IRU
a été acquis pour assurer la sécurité du réseau reliant par la terre Baillif et Jarry en raison
de l’endommagement de la voie maritime par l’ouragan Omar en 2008.
Dans la liste évoquée supra, la plupart des IRU ont été acquis comme des biens de reprise.
A
l’issue de la convention
et avec
le changement de méthode de l’étalemen
t linéaire
jusqu’à la fin du contrat de DSP et l’amortissement de
« caducité », la région sera privée
de 13,1 M€ de recettes, correspondant à
15,5
M€
pour les IRU vendus, et
2,4 M€ pour les
IRU achetés par GCN.
Certains IRU sont indispensables au fonctionnement du réseau. En effet, la convention
prévoit que l’exploitant doit «
la fourniture de liaisons point à point reliant les points
d’interconnexion du câble à la métropole et aux Etats
-Unis
»
29
. Ces routes sont d’autant
plus nécessaires que certains matériels et équipements, comme les routeurs IP sont
installés à New-York et Miami et servent à commercialiser les services de trafic IP. Dans
ce cadre, plusieurs contrats ont été acquis vers Paris et Miami et rentrent dès lors dans la
catégorie des biens de retour. Par ailleurs, un IRU a été acheté pour permettre le
fonctionnement régulier et la sécurité du réseau par redondance de la liaison entre Jarry à
Baillif en terrestre.
Recommandation n°4 :
Etablir une liste des biens de retour et de reprise avec
le délégataire de manière contradictoire.
28
Source wikipedia : Un « carrier hotel » est une colocation de centre de données (data center)
. C’
est un
espace cloisonné qui permet le stockage et l'administration de serveurs ainsi que d'autres équipements
informatiques d'une ou plusieurs entreprises.
29
Article 2 de la DSP.
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29
RECOMMANDATIONS*
(classées dans l’ordre de citation dans le rapport)
Recommandations (régularité)
Totalement
mis en
œuvre
Mise en
œuvre en
cours
Mise en
œuvre
incomplète
Non mis
en œuvre
Page
Recommandation n
o
2 :
Ne signer aucun avenant qui
attribuerait toutes les recettes postérieures au terme du
contrat au délégataire
X
18
Recommandation n
o
3 :
Revenir à la méthode retenue
à l’origine
d
’amortissement
/étalement linéaire
jusqu’à
la fin des contrats d’IRU
tant pour les charges des
immobilisations
que
pour
les
produits
constatés
d’avance
X
27
Recommandation n
o
4 :
Etablir une liste des biens de
retour et de reprise avec le délégataire de manière
contradictoire
X
30
Recommandations (performance)
Totalement
mise en
œuvre
Mise en
œuvre en
cours
Mise en
œuvre
incomplète
Non mise
en œuvre
Page
Recommandation n
o
1 :
Obtenir du délégataire une
baisse des tarifs
X
14
* Voir notice de lecture en bas de page.
NOTICE DE LECTURE
SUR L
AVANCEMENT
DE LA MISE EN ŒUVRE DES RAPPELS AU DROIT ET DES RECOMMANDATIONS
Les recommandations de régularité (rappels au droit) et de performance ont été arrêtées après examen des réponses écrites et des pièces justificatives
apportées par l
ordonnateur en réponse aux observations provisoires de la chambre.
Totalement mise en
œuvre
L
’organisme contrôlé indique avoir mis en œuvre la totalité des actions ou un ensemble complet d’
actions permettant de répondre
à la recommandation, même si les résultats escomptés n
ont pas encore été constatés.
Mise en œuvre en cours
L
’organisme contrôlé affirme avoir mis en œuvre une partie des actions nécessaires au respect de la recommandation et indique
un commencement d
exécution. L
organisme affirme, de plus, avoir l
intention de compléter ces actions à l
avenir.
Mise en œuvre
incomplète
L
’organisme contrôlé indique avoir mis en œuvre une partie des actions nécessaires sans exprimer d’
intention de les compléter
à l
avenir.
Non mise en œuvre
Trois cas de figure :
-
l’
organisme contrôlé indique ne pas avoir pris les dispositions nécessaires mais affirme avoir l
intention de le faire ;
- ou il ne précise pas avoir le souhait de le faire à l
avenir ;
- ou il ne fait pas référence, dans sa réponse, à la recommandation formulée par la chambre.
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30
Annexe n° 1.
Câbles sous-marins financés en totalité ou en partie par
des collectivités territoriales.
Région
Nom du câble
Financement
Guadeloupe
GCN
DSP
Martinique
MCN
DSP
Guadeloupe
GCIS
Régie
Saint-Pierre et Miquelon
Saint Pierre and Miquelon
Cable
Régie
Corse
Corsica
DSP
Polynésie Française
Honotua, Natitua et
Natitua Sud
EPIC
Polynésie Française
Manatua
Consortium public-privé
Nouvelle-Calédonie
Picot-1, Gondawana-1 et
Gwondana-2
EPIC
CRC et sources diverses
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31
Chambre régionale des comptes de la Guadeloupe
Parc d’activités La Providence –
Kann’Opé –
Bât. D
BP 157
97181 LES ABYMES CEDEX
adresse mél. :
antillesguyane@crtc.ccomptes.fr
www.ccomptes.fr/fr/antilles-guyane
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32
TABLE DES MATIÈRES