3
La prévention des catastrophes
naturelles liées au climat en outre-mer
_____________________ PRÉSENTATION_____________________
Les outre-mer, qui sont exposés à la quasi-totalité des aléas naturels,
présentent d’importantes vulnérabilités d’ordre géographique, économique et
social. Le risque
d’une
catastrophe y est important, le concept de catastrophe
étant
défini par l’ONU comme une «
pe
rturbation grave du fonctionnement d’une
communauté ou d’une société à n’importe quel niveau par suite d’événements
dangereux
[...]
qui peuvent provoquer des pertes humaines ou matérielles ou avoir
des conséquences sur les plans économique ou environnemental
».
Le changement climatique est un facteur dynamique qui influe sur
la fréquence, le volume et l’intensité des aléas naturels. Il n’avait pas été,
en tant que tel, pris en compte, dans le chapitre sur la gestion des risques
naturels dans les outre-mer du rapport public annuel de la Cour en 2011.
Dans son rapport public thématique sur la gestion publique des risques, la
Cour a souligné la nécessité d’une démarche globale de résilience pour
faire face au risque de crises inédites et d’ampleur massive sous l’effet du
changement climatique
123
.
Le présent chapitre porte sur la façon dont est pris en compte le
changement climatique en matière de prévention des catastrophes
naturelles, l’organisation retenue, les moyens mis en œuvre, les méthodes
utilisées ainsi que leurs limites. Il traite de la prévention des catastrophes
naturelles comprises comme des événements liés au changement
climatique limités dans le temps et exclut de son périmètre les tendances
de fond que constituent par exemple la dégradation des milieux marins et
des récifs coralliens, l’élévation du niveau de la mer, les risques de
submersion de certaines îles ou de certains atolls avec leurs conséquences
en termes de relocalisation des populations. Ces phénomènes ne sont
évoqués que dans la mesure o
ù ils sont susceptibles d’aggraver les
conséquences de catastrophes comme les cyclones ou tempêtes.
123
Cour des comptes,
La gestion publique des risques
, rapport public thématique, juin 2023.
COUR DES COMPTES
110
Le chapitre exclut également les risques dont les évolutions ne sont pas
liées au changement climatique, tels les risques sismiques ou volcaniques.
L’enquêt
e a été menée en 2023 par la Cour et les chambres régionales
et territoriales des comptes d’outre
-mer, auprès des principaux acteurs
impliqués dans la prévention des catastrophes en outre-mer : services de
l’État
compétents,
collectivités
territoriales,
ét
ablissements
publics
(particulièrement ceux responsables de la production de connaissances et de
la gestion des infrastructures stratégiques), associations.
À la différence des d
épartements et régions de la Guadeloupe et de
La Réunion, des collectivités uniques de Guyane et de Martinique,
la
Polynésie française et la Nouvelle-Calédonie relèvent du régime de la
spécialité
législative
et
disposent
de
compétences
propres.
Les
compétences de sécurité civile ont été transférées à la Nouvelle-Calédonie
à compter du 1
er
janvier 2014 par la loi du pays n° 2012-1 du 20 janvier
2012. En Polynésie française, la prévention des catastrophes est organisée
au sein d’
un triptyque État-Pays-communes, dans lequel la préparation et
la mise en œuvre des plans opérationnels de secours reviennent à l’
État,
alors que le Pays définit la prévention des risques naturels, notamment en
matière d’aménagement du territoire et d’urbanisme. Les services
communaux d’incendie et de secours sont quant à eux placés sous la double
autorité du maire et du haut-commissaire.
Le changement climatique constitue un défi majeur pour
l’organisation actuelle de la prévention des catastrophes naturelles en
outre-mer (I). La réduction des risques de catastrophe liés au changement
climatique fait face à une difficulté globale de mobilisation des acteurs de
la prévention dans ces territoires (II).
I -
L’organisation de la prévention
des catastrophes
naturelles : un sujet crucial en outre-mer
à
l’épreuve
du changement climatique
Dans les outre-mer français, déjà particulièrement exposés aux
catastrophes naturelles, l’intensification du changement climatique confère
une dimension majeure à l’organisation de la prévention. Celle
-ci doit
chercher à combiner la connaissance approfondie, largement partagée, des
phénom
ènes climatiques et des risques qu’ils comportent, l’activation et
l’entretien permanents d’une culture du risque au sein de la population et une
planification opérationnelle nourrie d’expériences, mise à jour constamment.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
111
A -
La mobilisation des connaissances au service
de la prévention des catastrophes naturelles
1 -
Le socle des connaissances fondamentales sur l’évolution
du climat outre-
mer nécessite d’être précisé
Les modèles climatiques globaux, notamment ceux du GIEC, se
fondent sur une résolution de 150 km
124
qui n’est pas adaptée à la
géographie des territoires et départements d’outre
-mer.
Au cours de la dernière décennie, Météo France a opéré des
retraitements statistiques sur ces modèles globaux et redimensionné les
siens à l’échelle régionale. D’autres phé
nomènes tels que les submersions
marines et les houles cycloniques ont été introduits dans les simulations.
Les résultats de ces projections ont amélioré la qualité de la
prévision. Ils donnent des indications plus précises sur le degré
d’amplification des
aléas provoqué par le changement climatique et
permettent d’adapter les efforts de prévention en conséquence.
D’une façon générale,
la part des cyclones et tempêtes les plus
intenses augmente, ainsi que les quantités de précipitation associées aux
épisodes liés à ces phénomènes, tandis que le volume total des
précipitations baisse, en corrélation avec
l’augmentation
des épisodes de
sécheresse. Ce scénario est accentué pour La Réunion et Mayotte, en raison
du décalage progressif du couloir cyclonique vers le sud
de l’Océan indien.
La zone de surveillance de la Nouvelle-Calédonie connaît en
moyenne trois phénomènes cycloniques par an tandis que le risque
d’incendies s’étend sur
tout le territoire. La montée du niveau de la mer
accroît le risque de submersion en Nouvelle-Calédonie, à Wallis et Futuna
et en Polynésie française, surtout
dans l’archipel
des Tuamotu Gambier.
L’augmentation des températures dans l’ensemble des territoires
d’outre
-
mer restera plus faible qu’en Europe occidentale, sous l’effet
modér
ateur des masses d’eau océaniques, avec des extrêmes assez constants.
124
La résolution d’un modèle correspond
au maillage territorial employé pour visualiser
les
variations climatiques à l’échelle locale
.
COUR DES COMPTES
112
Avec les travaux BRIO
125
, C3AF
126
et
GuyaClimat,
la finalisation du
projet CLIPSSA
127
en 2024 viendra compléter le corpus de prévisions à haute
résolution
développé
pour
les
territoires
ultra-marins.
Cependant,
l’information restera de moindre qualité que celle disponible pour l’hexagone,
malgré un niveau d’exposition important et une vulnérabilité supérieure du
fait de la concentration littorale et de la part de l’habitat précaire.
Les données disponibles en outre-mer manquent par ailleurs de
profondeur historique et de références préindustrielles, ce qui limite les
tentatives de reproduction des modélisations réalisées pour l’hexagone. Le
faible nombre de modèles régionaux de prévision en outre-mer réduit la
valeur statistique des comparaisons et la possibilité d’évaluer les
marges
d’incertitudes inhérentes aux modèles
.
Les radars météorologiques ne peuvent pas contribuer utilement aux
projections climatiques mais leur apport est évident pour les prévisions
immédiates et à très courte échéance. Météo France ne dispose cependant
que de huit radars dans l’ensemble des outre
-mer
128
. Même si
Météo-France dispose des modèles classés parmi les plus fiables, ce déficit
de radars est aussi un indice de moindre équipement dans les outre-mer.
Météo France et le Bureau de recherches géologiques et minières
(BRGM) produisent des projections à grande échelle sur les effets du
changement climatique. Ces projections sont aussi déclinées à travers des
études d’imp
act ciblées, commandées aux multiples opérateurs du réseau
scientifique et technique, qu’ils soient publics ou privés. Ces travaux, qui
permettent de préciser les conséquences du changement climatique sur
les risques naturels, manquent encore du volume de données suffisant
pour les outre-mer.
En Nouvelle-Calédonie, pour simuler le risque de submersion
côtière et d’inondations à l’embouchure des cours d’eau, un projet de relevé
du littoral de la Nouvelle-Calédonie (RLNC) a été lancé en 2011. Il a pour
125
Building Resilience in Indian Ocean
. Ces travaux sont réalisés par Météo France et
la commission de
l’Océan Indien.
126
Changement climatique et conséquences sur les Antilles françaises. Ces travaux sont
réalisés par Météo France, le BRGM et l’université des Antilles.
127
Climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d
’
Adaptation, concernant la
Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie, et Wallis-et-Futuna.
128
L’estimation du coût d’installation d’un radar est de 4,5 M€. Il en existe trois aux
Antilles-Guyane (à Kourou, le radar est géré en collaboration avec le CNES), deux à La
Réunion (avec le Centre météorologique régional spécialisé pour le sud-
ouest de l’Océan
Indien, centre de veille cyclonique à autorité internationale) et trois en Nouvelle-Calédonie.
Aucun radar n’existe à Saint
-Pierre-et-Miquelon ou Wallis-et-
Futuna, tandis qu’en
Polynésie franç
aise et à Mayotte, le principe d’une installation est acté.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
113
objet
la numérisation des fonds de moins de 20 mètres et d’une bande
côtière d’environ 2 km à l’intérieur des terres. Ce projet, d’un coût
d’environ 2
M€, n’a pas encore abouti faute de moyens.
Ces importants travaux scientifiques et techniques déploient des
modèles différents, méconnaissent certains aléas (absence des glissements
de terrains dans l’étude
GuyaClimat
) et affichent des niveaux de résolution
différents (Mayotte 12 km et La Réunion 3 km dans BRIO). Les travaux
sur les trajectoires du changement climatique se réfèrent à des scénarios
différents. L’interprétation, l’analyse et l’exploitation de l’information par
les acteurs de la prévention, en sont compliquées d’autant, au niveau
territorial comme pour les administrations centrales de l’État.
Afin de garantir pour les territoires ultramarins une production de
données homogène, actualisée régulièrement, Météo France envisage de se
doter de moyens comparables à ceux existant
dans l’hexagone
. La priorité
serait de fournir des simulations régionalisées à haute résolution (2,5 km),
d’ici fin 2025,
pour les Antilles-Guyane, La Réunion, Mayotte, la
Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et les îles les plus peuplées de la
Polynésie Française.
2 -
Une diffusion et une appropriation des connaissances
hétérogènes par les acteurs de la prévention
Les
connaissances
scientifiques
sur
les
conséquences
du
changement climatique n’ont pas pour vocation d’être réservées à un cercle
restreint d’experts, mais plutôt d’irriguer la société civile et d’orienter
utilement les initiatives prises par les acteurs de la prévention.
La science du climat évolue plus rapidement qu’elle n’est diffusée
et assimilée. Or les actions de prévention ont des effets de long terme, qui
ne peuvent pas facilement être ajustés (dimensionnement d’ouvrages
,
aménagement urbain, normes de constructions, etc.).
L’importance et la diversité de cette production scientifique ainsi que
son caractère hautement technique, constituent un frein à un usage
opérationnel rapide de cette connaissance par les responsables de la prévention.
Selon
l'Institut
national
de
recherche
pour
l'agriculture,
l'alimentation et l'environnement (INRAE), qui a réalisé en janvier 2023
une synthèse concernant
22 projets sur le thème de l’adaptation au
changement climatique dans les territoi
res d’outre
-mer, le déficit de
communication qui les entoure est marquant. En outre, les porteurs de
projet comme les utilisateurs manifestent peu d’intérêt pour le partage
d’expérience. Ainsi, sur 25 invités à un comité
ad hoc
, seuls huit acteurs
ultra-marins, représentant trois territoires, y ont participé.
COUR DES COMPTES
114
Les données du projet BRIO, qui auraient dû être publiées sur
internet en 2021, n’y figuraient toujours pas à l’été 2023 et les
représentations graphiques des données du projet C3AF ne sont pas à jour.
Bien que complète et détaillée, la présentation en format brut des données
climatiques sur le portail DRIAS de Météo France ne se prête pas à une
utilisation courante
par les acteurs de l’adaptation
.
L’analyse des risques concernant un territoire, selon l
e croisement
d’un aléa avec une exposition et des vulnérabilités
,
n’est systématisée qu’à
la Guadeloupe, à la Martinique et à La Réunion, qui disposent d’un
diagnostic des vulnérabilités. Celui de la Guadeloupe a été réalisé en 2018
par l’Observatoire régional de l’énergie et du climat. Ceux de la Martinique
et de La Réunion, élaborés respectivement par la direction de
l’environnement, de l’aménagement et du logement et par un prestataire
externe, ont au moins dix ans et n’ont pas été mis à jour depuis lors
.
Certains acteurs soulignent aussi le besoin de centralisation des
connaissances produites sur l’adaptation au changement climatique dans
les outre-mer. La plateforme Géorisques, mise en place en 2014 par le
Bureau de recherches géologiques et minières, refondue en octobre 2022,
facilite l’information
des citoyens, des élus locaux et des experts
scientifiques sur les risques naturels, par la mise à disposition des données
enregistrées, mais reste lacunaire sur l’évolution future des risques face au
changement climatique dans les outre-mer.
Au-delà de la diffusion des connaissances vers les acteurs de la
prévention, il serait souhaitable que ceux-ci disposent des compétences et
des outils pour les assimiler. À cet égard, le déficit d’ingénierie
généralement constaté dans les collectivités territoriales, qui sont en
première ligne face aux risques naturels, est particulièrement aigu dans ce
domaine techniquement très spécialisé.
Deux territoires se sont donné les moyens de surmonter cette
difficulté. La Guade
loupe dispose d’un groupe régional d’experts sur le
climat, déclinaison locale du GIEC, qui réalise des rapports sur le
changement climatique spécifiques au territoire et formule des propositions
de politiques publiques destinées aux décideurs publics. De même, pour son
plan climat 2022-2030, la Polynésie française a institué, à côté du comité de
pilotage classique composé d’élus, un comité scientifique constitué de
11 experts (apport de ressources, regard critique, légitimité des actions),
représentant différentes disciplines (géographie, climatologie, biologie,
anthropologie, etc.), dont deux experts sont aussi membres du GIEC.
Les réflexions actuelles sur l’adoption d’une trajectoire de
référence pour l’adaptation au changement climatique (TRACC) à traver
s
un scénario climatique central, peuvent contribuer à améliorer le partage
des connaissances.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
115
3 -
La culture civile du risque comme facteur de prévention
Une étude de 2021
129
sur la mortalité liée aux cyclones en
Guadeloupe a montré que, sur un total de 101 personnes décédées sur la
période 1950-
2018, 28 avaient péri à la suite d’une prise de risque ou d’une
sous-estimation du risque individuel. La majorité de ces décès (21) était
survenue au cours de la période la plus récente (1997-2018), révélant une
tendance à la hausse de la prise de risque
130
.
L’intensification des catastrophes liées notamment au dérèglement
climatique, accentue la nécessité de développer une culture du risque au
sein de la population, comme vecteur indispensable de la prévention. Une
population informée et ayant intégré les bons réflexes est une population
moins vulnérable.
Cette culture personnelle du risque se fabrique et se cultive, mais
doit aussi se transmettre. Les territoires ultramarins, qui sont riches
d’initiatives et de bonnes prat
iques en la matière, cherchent à maintenir la
mémoire des risques et à développer l’implication des populations.
À cette fin, un certain nombre de documents d’information officiels
constitue
un ensemble d’éléments de référence sur les risques, comme le dos
sier
départemental des risques majeurs (DDRM), le document d’information
communal sur les risques majeurs (DICRIM), le plan de prévention des risques
naturels (PPRN) ou le plan communal de sauvegarde (PCS).
Pourtant, ces documents - qui ne sont pas systématiquement
présentés dans un format accessible à tous - ne sont pas adoptés partout, ni
ne tiennent compte des évolutions liées au changement climatique, même
lorsqu’ils ont été actualisés.
Selon le Cerema, «
La culture du risque correspond à la
transmission et au partage des savoirs et pratiques qui permettent aux
individus (citoyens, entreprises, autorités locales…) d'entreprendre de
façon plus autonome des actions de prévention face aux dangers
»
131
. La
sensibilisation dès le plus jeune âge est fondamentale,
d’autant qu’
un
enfant transfèrerait
l’information à sept personnes
de son entourage
132
.
129
Frédéric Leone, Samuel Battut, Victoria Bigot, Guilhem Cousin Thorez, Thomas Candela,
et al.,
Mortalité et cyclones en Guadeloupe (Antilles françaises
).
EchoGéo
, n° 51, 2020.
130
Dans cet échantillon, la prise de risque la plus fréquente concerne la tentative de
franchissement de passages à gué inondés à bord d’un véhicule. L
a seconde est la
circulation en extérieur lors de conditions météorologiques très dégradées (route, pleine
mer, en bord de mer).
131
Cerema,
Culture du risque, les populations au cœur de l'action : un Cahier du
Cerema pour les acteurs des territoire
s, février 2023.
132
Étude de la Croix-Rouge française.
COUR DES COMPTES
116
La Croix-Rouge française développe des programmes pédagogiques
de sensibilisation sur le thème des risques naturels, à partir de formes
simplifiées des connaissances scientifiques et de supports ludiques.
Selon le préfet de La Réunion, le projet
« Paré pas Paré »
, qui a
débuté
en 2011 à La Réunion sous l’impulsion de la plateforme
d’intervention régionale de l’
Océan indien (PIROI) de la Croix-Rouge
française, a permis depuis cette date à 128 992 élèves de suivre le cursus
complet du
programme d’éducation aux risques naturels.
Une convention
de partenariat a été signée
avec le ministère de l’éducation nationale et de
la jeunesse le 24 septembre 2019. Cette méthode de sensibilisation scolaire
a par la suite été déclinée
à l’échelle régionale des pays ou territoires
limitrophes, à travers dix-neuf autres projets de réduction des risques de
catastrophe (RRC) au bénéfice de plus de 155 000 personnes
133
.
À Saint-Denis de La Réunion, des actions ont été menées en
direction des enfants des familles habitant dans les zones à risque
d’
inondation : « Renforcement de la résilience des populations des six
territoires à risques importants d’inondation
: commune de Saint-Denis,
quartier de
l’Ilet Quinquina, Opération
“
Sauv out kaz, Sauv out vie
”
,
caravane inondation
“
Nout kartié lé paré
”
».
Depuis 2009, le 13 octobre a été institué « Journée internationale pour
la réduction des risques de catastrophe » par l'assemblée générale des
Nations Unies. L'objectif de cette journée est de sensibiliser, informer et
acculturer les publics aux mesures qui permettent de réduire leur risque en
cas de catastrophe. En France, la première journée nationale de la résilience
s’est tenue le 13 octobre 2022. Elle a été formellement confirmée par l’article
48 de la loi du 10 juillet 2023 visant à renforcer la prévention et la lutte contre
l'intensification et l'extension du risque incendie : «
Une journée nationale
de la résilience est instituée en vue d’assure
r la préparation de la population
face aux risques naturels ou technologiques
».
La première campagne de communication et de sensibilisation sur
les pluies intenses en outre-mer a été lancée en avril 2023. Inspirée de celle
conduite
dans l’hexagone
sur l’a
rc méditerranéen, elle tient compte des
caractéristiques
météorologiques,
géographiques,
sociologiques
et
vernaculaires
134
de chaque bassin.
133
Tanzanie : préparation au risque cyclonique ; Madagascar : sensibilisation des
enfants aux risques naturels ; Maurice :
Zeness Pran Kont
; Seychelles :
Azir ozordi,
prepar pour demen
; Mayotte :
Maoré Dzi Pangué
.
134
La prise en compte des cultures vernaculaires en matière de prévention des risques
se traduit notamment par l’utilisation des langues autochtones et le choix de vecteurs
médiatiques adaptés.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
117
Les Antilles organisent des rendez-vous annuels en matière de
prévention des risques issus de catastrophes non impactées par le
changement climatique, à l’image des
semaines
« Sismik »
(Guadeloupe)
et
« Réplik »
(Martinique), mais aussi des « journées japonaises »
135
,
opération guadeloupéenne de prévention des risques telluriques. Tout
comme la journée d’ouverture de la sa
ison cyclonique, ces évènements
identifiés et médiatisés favorisent la transmission intergénérationnelle du
savoir et le rappel des bons comportements. Ils viennent utilement
compléter des actions plus ciblées organisées à destination d’un public
particulier (scolaires, communes, entreprises).
En Polynésie française, le Pays et le BRGM ont réalisé en 2011 une
série de vidéos pour informer la population sur les risques naturels, dans le
cadre du programme de prévention ARAI (aléas risques naturels,
aménagement et information) élaboré par le BRGM. En dehors
d’informations
général
es
diffusées
par
le
Haut-commissariat
ou
Météo
France, il n’existe
toutefois pas de sensibilisations spécifiques,
notamment destinées aux scolaires. Selon le Haut-commissaire de la
République, l
e concours d’acteurs locaux importants en Polynésie
française, comme par exemple les communautés religieuses, pourrait
constituer un relais supplémentaire.
Aucun exercice de sensibilisation et d’information du public n’a
jusqu’à présent été organ
isé en Nouvelle-Calédonie. Cependant, un projet
a été adopté par le Gouvernement calédonien le 26 octobre 2022, ayant
pour objectifs, d’une part, l’élaboration d’un schéma territorial de gestion
des risques et, d’autre part, la prise en compte de la cultur
e traditionnelle
du risque, par l’intégration à ce schéma de données qui seront recueillies
auprès des populations locales par chaque commission communale de
gestion des risques. À terme, ce schéma devrait permettre d’élaborer une
information globale intégrant la culture civile et traditionnelle du risque.
135
En référence au tremblement de terre du Kanto du 1
er
septembre 1923. La quatrième
édition s’est déroulée les 15 et 16 mai 2023, avec notamment les témoignages de
personnes ayant vécu la dernière éruption de la Soufrière, en 1976.
COUR DES COMPTES
118
B -
L’organisation pré
-opérationnelle
1 -
L’enjeu de la planification
: la nécessité de son adoption
puis de sa mise à jour
La prévention des catastrophes naturelles implique une planification
globale régulièrement mise à jour. Deux catégories de documents de
planification sont recensées :
-
ceux destinés à la préparation opérationnelle face à la catastrophe,
comme le schéma d
épartemental d’
analyse et de couverture des
risques
(SDACR), les plans d’o
rganisation de la réponse de sécurité
civile (ORSEC) et les plans communaux de sauvegarde (PCS) ;
-
ceux qui concernent une prévention plus structurelle et adaptée aux
risques, tels le plan de prévention des risques naturels (PPRN) ou le
plan local d’urbanisme (PLU).
S’y a
joutent des documents
d’
information sur les risques faisant état
des mesures de prévention, des dispositifs de protection ou de sauvegarde :
le dossier départemental des risques majeurs (DDRM) et le dossier
d’information communal sur les risques majeurs (D
ICRIM).
Les risques naturels concernés par le changement climatique sont
couverts par des documents de prévention spécialisés : inondation
136
,
submersion, incendie, glissement de terrain.
Toutefois,
aucun
document
de
prévention
ne
concerne
spécifiquement le risque cyclonique. Comme souligné précédemment, la
fréquence des cyclones extrêmes (cyclones intenses et très intenses dans
l’hémisphère sud/ouragans de catégorie 4 ou 5 dans l’
Atlantique Nord)
devrait pourtant
augmenter dans les territoires d’outre
-mer.
La plupart des aléas liés aux cyclones sont traités dans les plans de
prévention des risques (PPRN) : houle cyclonique, forte pluviométrie, mais
pas les vents extrêmes. Cette lacune s’explique
partiellement par la
difficulté à cartographier le risque et à différencier précisément les zones
d’exposition. Il a donc été prévu d’édicter des normes paracycloniques
permanentes et de prendre des dispositions protectrices temporaires
pendant le passage des cyclones.
136
Inondation : PGRI, PAPI et SLGRI ; submersion : PPRL ; incendie : PPRIF ;
glissement de terrain : PPRMT.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
119
Le respect de ces normes paracycloniques permanentes est
cependant dépourvu de force obligatoire, sauf pour les bâtiments publics et
collectifs. Or, du fait de l
’importance de l’auto
-construction, peu de
structures bâtimentaires sont en mesure de résister à des vents cycloniques
violents. Afin de combler cette lacune,
l’
o
ffice polynésien de l’habitat
(OPH) a relancé en 2021 un programme de farés (habitations) répondant
aux normes paracycloniques.
L’adoption des documents de planification est inégalement assurée.
Il en est ainsi du PPRN, qui constitue pourtant la pierre angulaire juridique
(responsabilité) et financière (indemnisation) de la prévention.
Graphique n° 1 :
communes des départements et régions
d’outre
-mer, concernées par un plan de prévention des risques
Source : Cour des comptes / Observatoire des outre-mer, données 2022
Concernant les collectivités d’outre
-
mer, il n’existe aucun PPRN à
Wallis-et-
Futuna et seules trois communes sur 48 l’ont approuvé en
Polynésie française. En Nouvelle-
Calédonie, la persistance d’une
ambiguïté sur la répartition des compétences entre les différents acteurs
institutionnels entretient la confusion. Depuis le transfert de la compétence
de sécurité civile en 2014, la Nouvelle-Calédonie
n’est pas parvenue
à
élaborer son schéma d’analyse et de couverture des risques
, ni à actualiser
ses plans ORSEC généraux. Par ailleurs, la documentation sur les risques
y est de manière générale lacunaire : le DDRM, adopté en 2016 et non mis
à jour depuis, n’apporte que des informations
trop générales. Les plans
communaux de sauvegarde, préformatés et largement inadaptés aux
enjeux, ont été adoptés par 11 communes sur 33. Seules quelques
communes ont adopté et publié leur DICRIM.
COUR DES COMPTES
120
L
’actualisation périodique des documents de prévention est
primordiale. En effet, très souvent, le changement climatique
n’est pas pris
en compte comme un amplificateur de risques. Ces documents font
simplement référence à l'événement le plus important connu et documenté.
Pourtant, compte tenu des évolutions que connaissent les outre-mer,
qu’elles soient climatiques, démogra
phiques ou sociales,
l’actualisation de
ces documents assez rapidement caducs, devrait être mieux contrôlée.
Par exception, le décret n° 2019-715 du 5 juillet 2019 a imposé une
nouvelle règle tenant
compte de l’élévation d
u niveau de
la mer sous l’effet
du
changement climatique à l’horizon de 100 ans
, dans le cadre des plans
de prévention des risques littoraux.
Enfin, la probabilité croissante de superposition des aléas augmente les
risques de « surchoc », consistant en un phénomène au caractère totalement
dévastateur
137
, répliquant ou successif (cyclone, séisme, tsunami, etc.) et
dépassant les capacités de réponse aux catastrophes d’un territoire donné. Les
« surchocs » peuvent provoquer des crises concomitantes sur toute la palette
des risques (sanitaires, naturels, technologiques, sociaux, etc.), comme aux
Antilles en septembre 2017, avec la succession de trois cyclones : Irma
(classe 5), Maria (classe 5) et José (classe 4).
Les
services de l’État
(direction générale de la sécurité civile et de
la gestion des crises) ont commencé à recenser en 2023 les plans liés à la
prévention ou la gestion d’une catastrophe naturelle, en vue de leur mise à
niveau avec les données scientifiques issues de l’étude des impacts du
changement climatique.
Les limites de l’exercic
e tiennent au nombre, à la
technicité des différents documents constitutifs du dispositif global de
planification et à la pluralité de leurs auteurs.
Pour y remédier, un décret du 24 avril 2019 a institué un délégué
interministériel aux risques majeurs outre-mer, avec pour mission
d’accélérer la connaissance et le déploiement des mesures de prévention
des risques et de structurer ces politiques par nature interministérielles.
Abrogé par un décret du 30 juin 2021, les missions du délégué sont
désormais assurées par le directeur général de la prévention des risques
rattaché au ministère de la transition écologique. Il dispose, pour les
exercer, du concours de la mission d’appui aux politiques publiques de
prévention des risques majeurs outre-mer (MAPPPROM), créée par le
même décret, et de l’appui d’un comité de pilotage interministériel
ad hoc
,
qui se réunit deux fois par an depuis 2021.
137
Théorie dite du «
big one
» en référence au nom donné à un séisme dévastateur qui
pourrait survenir en Californie.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
121
Née de la prise de conscience des effets du changement climatique
sur les catastrophes naturelles en outre-mer et de la nécessaire mobilisation
des pouvoirs publics, cette mission concentre ses activités autour de trois
objectifs : la culture du risque, la coordination du réseau de surveillance
volcanologique et sismologique de Mayotte et le plan séisme (Antilles).
Elle associe à ses travaux la direction générale de la sécurité civile et de la
gestion des crises, la direction générale des outre-mer, le secrétariat général
de la défense et de la sécurité nationale ainsi que les préfets ultramarins.
Au-
delà de l’importance des res
ponsabilités dévolues à cette
mission, cette dernière ne constitue pas une réponse à la hauteur des enjeux.
Ses effectifs sont modestes : quatre équivalent temps plein.
Elle n’
offre pas
de compétences spécifiques en ingénierie, notamment aux collectivités et
territoires d’outre
-mer.
Dans ce contexte, sa valeur ajoutée n’est toujours
pas avérée et, plus globalement, la réalité du pilotage stratégique souhaité
par le Gouvernement
n’est pas assurée
.
2 -
Des dispositifs de réponse aux catastrophes inégalement
formalisés ou aboutis selon les territoires
Théoriquement le nombre de victimes humaines du fait des
catastrophes naturelles devrait augmenter en raison de la croissance
démographique dans les zones à risque et de l'intensité et de la fréquence
croissantes des phénomènes météorologiques.
Graphique n° 2 :
évolution du nombre de décès sur la période 1951-2023
Source : Cour des comptes
COUR DES COMPTES
122
Graphique n° 3 :
évolution du montant des dégâts matériels
entre 1951 et 2023 imputables aux catastrophes naturelles majeures
dans l’outre
-mer français
Source : Cour des comptes
En réalité, le nombre de décès observé dans les outre-mer dus aux
phénomènes climatiques est en constante diminution, depuis plus de
50 ans, et ceci alors que le niveau global de destruction reste stable, voire
augmente, montrant ainsi l’
utilité des stratégies de prévention déployées.
Toutefois, certains territoires sont plus vulnérables que d’autres face
à l’aggravation des risques liés au changement climatique, notamment du fait
de lacunes dans les dispositifs pré-opérationnels déployés. En Nouvelle-
Calédonie et en Polynésie française, par exemple, le législateur avait prévu
la mise en place d’établissements publics d’incendie et de secours (EPIS)
pour permettre aux communes de conserver leur compétence d’incendie et
de secours tout en as
surant un traitement de l’alerte et une coordination des
moyens à l’échelle du territoire et à la hauteur des besoins de la population.
Cependant ils n’ont toujours pas été créés.
Les moyens humains et matériels, considérés comme relativement
satisfaisants au regard du niveau de risque actuel, demeurent inégaux selon
les territoires et sont tributaires des moyens nationaux complémentaires de la
sécurité civile, présents outre-mer
138
ou déployés depuis l’hexagone. En
outre, dans les territoires où les moyens de la sécurité civile demeurent limités,
les forces armées apportent le soutien logistique et capacitaire nécessaire.
138
La Martinique, la Guadeloupe et la Guyane disposent chacune
d’un hélicoptère
, La
Réunion d’un avion bombardier d’eau détaché pend
ant la saison des feux de forêt.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
123
La question de l’adaptation des moyens est d’autant plus sensible
que le changement climatique va entraîner des mutations dans les types
d
’aléas
et leur occurrence. Certains territoires, comme les Antilles, La
Réunion, Mayotte et particulièrement la Nouvelle-Calédonie vont
connaître des périodes de sécheresse plus intenses et des risques accrus de
départ de feux de forêts, nécessitant la disponibilité de moyens spécifiques.
Pour améliorer la capacité locale de gestion de crise et permettre de
répondre à une succession d’événements destructeurs, des réflexions sont
en cours pour développer les pactes capacitaires
139
et la projection de
renforts
mobilisables depuis l’hexagone ou les États voisins d
e chaque
bassin géographique.
Le positionnement géographique des outre-
mer et l’augmentation de
la violence des phénomènes extrêmes obligent à ce double renforcement :
celui des moyens endogènes pré-positionnés
140
et celui des schémas
d’appuis extérieurs.
3 -
L’importance du diptyque exercices
-retours
d’expériences
Élément majeur de la prévention et de la préparation à la crise, la
réalisation d’exercices permet de tester la robustesse des schémas mis en
place, de jauger la coordination des protagonistes, de former les divers
responsables administratifs territoriaux et de préparer la population à la
survenance d’un événement destructeur.
Chaque département est astreint à la réalisation d’un exercice
interservices par trimestre et deux exercices doivent être réalisés chaque
année par zone de défense et de sécurité
141
. Pour être efficaces, ces exercices
doivent coller au plus près de la réalité, être adaptés aux risques présents sur
chaque territoire et à leurs évolutions prévisibles. Les exercices massifs, qui
font participer activement un nombre important d’habitants, et pas seulement
les chaînes internes des services administratifs, sont les plus efficaces. En
rappelant les dangers existants et les bons comportements à avoir, ils
stimulent la culture du risque de la population.
139
Il s’agit de c
onventions conclues
dans chaque département entre l’État, les
collectivités territoriales et le service d’incendie et de secours, pour la prise en charge
financière de certains moyens spécialisés, identifiés
dans la démarche d’analyse et de
couverture des risques coordonnée à l’échelon zonal
.
140
De nouveaux sites de la réserve nationale devraient être créés à Mayotte, à La
Réunion et en Guyane.
141
La loi du 25 novembre 2021, dite Matras, dispose que la mise en
œuvre des PCS
devra faire l’objet d’un exercice au moins tous les
cinq ans, associant les communes,
les services concourant à la sécurité civile et, dans la mesure du possible, la population.
COUR DES COMPTES
124
Minoritaires dans la doctrine française de prévention, les exercices
d’ampleur sont surtout le fait de scénarios internationaux. Ainsi, chaque
année en mars se déroule un exercice «
Caribe wave
» d’alerte aux tsunamis
grandeur nature dans les Caraïbes, piloté par l’UNESCO et impliquant un
champ très large d’acteurs y compris français. En miroir se
tient tous les deux
ans dans l’océan Indien l’exercice
« Indian Ocean Wave
» impliquant
24 pays
et simulant l’évacuation de deux millions de personnes en 48
heures.
À
l’échelle nationale, afin de se rapprocher au mieux des conditions réelles
et pour la première fois en 2022, les deux exercices « cyclonex » civils et
militaires réalisés en Polynésie française ont été organisés conjointement.
En Martinique, la planification annuelle de quatre exercices fait
l’objet d’une concertation avec les services partenaires
. En étant couverts
par les médias et en faisant participer la population, comme ce fut le cas
pour l’exercice «
Montagne Pelée 2022 », organisé le 7 décembre 2022,
qui a mis en jeu un déplacement d’environ 200 personnes
, ces exercices
locaux participent également à la culture du risque.
Outils pédagogiques de la prévention à destination du public,
modulables et permettant d’intégrer dans leurs scénarios les éléments
inhérents au changement climatique, les exercices grandeur nature sont des
leviers à mobiliser sur l’ensemble des départements et territoires d’outre
-mer.
Cependant, la plupart des exercices réalisés en outre-mer ne
comprennent pas de scénario extrême
142
ou de cumul successif ou
concomitant, de catastrophes aboutissant à un « surchoc », risque évoqué
plus haut. Seule la direction interrégionale de Météo-
France pour l’océan
Indien travai
lle avec les services de l’État à La Réunion sur la caractérisation
d’un épisode cyclonique extrême, en définissant un «
scénario du pire »
dérivé des épisodes récents (cyclones « Freddy » et « Batsirai »).
La réalisation de ces exercices ne saurait être dissociée de la
question des retours d’expériences
. À travers
l’observation de l’événement
réalisé, l’objectif est d’
aboutir à des conclusions qui permettent de
développer la pertinence des planifications, processus et politiques de
prévention adoptés, pour
renforcer les capacités de réponse et d’adaptation
individuelles et collectives dans un contexte de changement climatique.
Bien que d’une importance capitale, les retours d’expérience revêtent
parfois une dimension modeste, comme en Nouvelle-Calédonie ou à
Mayotte. Ils traitent peu du rôle et des réactions des citoyens. Les démarches
142
À l’exception notable de l’aléa séisme, qui a bénéficié de l’e
xercice «
EU Richter 2017
»
en mars 2017 aux Antilles. Le scénario reprenait celui des circonstances et conséquences
du séisme du 8 février 1843 qui dévasta la Guadeloupe et les petites Antilles.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
125
d’amélioration qu’ils portent sont presque exclusivement tournées vers le
point de vue collectif (prévention et préparation des décideurs publics,
services d’intervention et populations), omettant l’intérêt du point de vue
individuel de l’habitant (conscience et perception des risques, expérience et
mémoire des catastrophes, connaissance des mesures de prévention).
En valorisant les savoirs acquis à partir des exercices, les retours
d’expérience doivent permettre d’en assurer la visibilité et la légitimité
au
sein de la population comme parmi les décideurs locaux et de soutenir la
culture civile du risque en évitant de laisser place à la relativisation des
effets du changement climatique.
La Martinique comme la Guadeloupe procèdent à un retour
d’expérience systématique des exercices réalisés
. Cet exercice est
prioritairement technique, mais associe parfois aussi les citoyens sous le
format de petits panels, comme par exemple
l’e
xercice « Montagne Pelée »
cité plus haut ou
l’exercice cyclonique «
Zéphyr », organisé en juin 2022
en Guadeloupe.
Pour légitimer les politiques territoriales de prévention et
responsabiliser l’ensemble des intervenants, des retours d’expérience
doivent être mis en place de façon plus systématique, plus qualitative et
davantage tournée vers le point de vue individuel des citoyens.
II -
Les efforts de réduction des risques pâtissent
de difficultés à mobiliser autour de la prévention
L’aggravation probable des co
nséquences du changement climatique
peine à être pleinement intégrée à l’organisation de la prévention des
catastrophes. Le changement d’échelle qu’elle impose nécessiterait
d’arbitrer entre des tensions contradictoires
au sein des sociétés ultramarines.
En effet, concilier des stratégies foncières de prévention des risques avec la
poussée littorale du développement urbain, faire respecter des règles et des
normes de construction, impliquent des choix de politiques publiques. Ceux-
ci ne sont pas suffisammen
t documentés et pâtissent d’un
e primauté de
l’urgence qui ne favorise pas l’adaptation.
COUR DES COMPTES
126
A -
Les limites de l’efficacité des efforts de prévention
1 -
Une acceptation relative des habitants
face aux contraintes imposées par le changement climatique
Fondée sur une
logique d’adhésion, la mise en œuvre de mesures de
prévention potentiellement contraignantes et aux bénéfices différés dans le
temps est, pour partie, le résultat de la perception des risques actuels et
futurs par les résidents d
’un
territoire.
Bien souvent
, c’est l
a survenue de catastrophes naturelles majeures
qui constitue le déclencheur d'une prise de conscience collective de
l'importance d'agir en matière de prévention. Les principaux dispositifs mis
en place dans les outre-
mer sont d’ailleurs
consécutifs à de tels événements,
comme les cyclones « Hyacinthe » (1980) ou « Dina » (2002) à La Réunion
et « Hugo » (1989) ou « Irma » (2017) dans les Antilles.
La conscience du risque, traditionnellement présente dans les outre-mer,
est atténuée par la fréquen
ce peu élevée d’événements climatiques extrêmes.
Les conséquences dramatiques d’une catastrophe laissent des traces indélébiles
sur les personnes touchées, mais s’estompent rapidement dans la mémoire
collective qui, au fil du temps, relativise les risques.
Ainsi, dans le cas de l’île
de La Réunion, le dernier événement cyclonique majeur remonte à « Dina » en
2002
143
. Aux Antilles françaises, et selon les données disponibles en 2017, la
fréquence d’un phénomène cyclonique extrême était d’un tous les 34 ans.
Associée à la perception différenciée parmi la population des divers
risques naturels auxquels elle est exposée
144
, cette relativisation limite la
conscience que chacun peut avoir des changements environnementaux graduels
(élévation du niveau de la mer), comme plus ponctuels (accentuation de
l’intensité des cyclones) et contribue à un phénomène de «
désapprentissage »
des connaissances, des procédures et des savoir-faire de prévention voire de
protection. Cette moindre adhésion aux efforts de prévention, alliée à la
raréfaction des zones constructibles ou le renforcement des normes de
construction, forment de nouvelles contraintes mal acceptées par la population,
notamment lorsque sont envisagées des opérations de relocalisation pour
diminuer l’exposition aux risques des habitants. Cette réticence n’est pas
spécifique aux outre-
mer et est également constatée dans l’hexagone
145
.
143
Des phénomènes particulièrement puissants sont passés dans la zone géographique
de La Réunion, tel « Freddy » début 2023, mais à une distance atténuant fortement ses
conséquences et n’entra
înant aucune catastrophe.
144
Aux Antilles, les séismes ou éruptions volcaniques sont des risques plus redoutés
que les houles cycloniques, fortes pluies ou vents.
145
Passage de la tempête Xynthia : du 26 février au 1
er
mars 2010, concomitance de
vents violents avec une pleine mer de vives eaux
ayant entraîné d’importantes
inondations et 53 morts.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
127
Pour prévenir les effets des risques cycloniques et améliorer la
résilience des territoires des Antilles, de La Réunion et de Mayotte, des travaux
ont été engagés par les services de l’État début 2021 pour apporter une réponse
structurelle en inscrivant dans la réglementation des exigences pour la
prévention para-cyclonique. Les concertations préalables ont montré que cette
évolution recueill
ait l’approbation globale des acteurs guadeloupéens,
martiniquais et mahorais. Elle suscite en revanche l’opposition des
représentants réunionnais du secteur de la construction, qui craignent qu’elle
provoque un renchérissement des coûts de production. Cette opposition des
acteurs réunionnais a conduit au glissement du calendrier de mise en œuvre de
la réglementation pour permettre une concertation plus approfondie et aboutir
à un texte qui aura finalement une application nationale.
En Polynésie française, le déploiement des plans de prévention des
risques naturels par le Pays a buté sur la délicate question foncière. Ces plans
ont en effet été assimilés à des outils organisant une spoliation en étendant
l’inconstructibilité
146
. Seuls trois plans de prévention des risques naturels ont
été approuvés pour l’ensemble des communes, malgré le consensus global
autour de la problématique du changement climatique et de ses impacts.
La réflexion sur une délocalisation des populations, à titre
temporaire ou définitif, des îles les plus menacées par la montée des eaux,
inscrite au plan d’action climat 2015
-2021 du Pays, n
e s’est
jamais
concrétisée. Selon le haut-commissaire de la République en Polynésie
française, celle-
ci nécessite d’être traitée
par les autorités locales.
L’exemple de l’atoll
de Rangiroa est significatif. Il est constitué de
plusieurs îles basses (240 motus ou îlots de sable corallien). S
i l’île
principale actuelle venait à disparaître, il existerait encore une dizaine
d’îles au sein de cet atoll, plus hautes que l’île principale et qui pourraient
se prêter à une relocalisation de villages.
Selon les résultats d’un
sondage
réalisé auprès des habitants de Rangiroa
147
, il apparaît qu’une majorité de
la population ne se projette pas vers une relocalisation même si les deux
tiers sont conscients que l’élévation du niveau de la mer
entraînera la
destruction de l’habitat actuel
à compter de 2050.
À Saint-
Martin, la lenteur de l’actualisation du plan de prévention des
risques naturels est révélatrice des difficultés auxquelles est confrontée cette
collectivité, alors que le passage du cyclone « Irma » a démontré la nécessité
d’actualiser un document datant de 2011. La certitude de ne plus pouvoir
construire dans les zones à risque, sur un territoire où l’espace fonc
ier
disponible est limité, est la principale source de blocage pour son actualisation.
146
Lucile Stahl,
Les défis présents et à venir des plans de prévention des risques
naturels polynésiens
, 2018.
147
Virginie Duvat,
L’exposition des populations des atolls de Rangiroa et de Tikehau
(Polynésie française) au risque de submersion marine
, 2018.
COUR DES COMPTES
128
2 -
La diversité des fonds disponibles ne couvre pas
tous les risques naturels concernés ni leurs enjeux financiers
Créé par la loi du 2 février 1995 relative au renforcement de la
protection de l’environnement, le fonds de prévention des risques naturels
majeurs, dit « fonds Barnier », dont les recettes annuelles atteignaient
jusqu’en 2020 environ 130
M€, constitue le principal outil de financement
national de la politique de prévention des risques naturels majeurs et un levier
indispensable pour l’adaptation des territoires au changement climatique.
Intégré au budget général de l’
État par la loi de finances pour 2021,
sur le programme 181
Prévention des risques
148
, ce fonds finance vingt
mesures distinctes dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par les
collectivités locales, l’État, les particuliers ou les entreprises. Ces mesures
,
régulièrement élargies,
visent principalement la résorption de l’habitat
informel dans les zones exposées
à un risque naturel, la réalisation d’études
et de travaux conduits par les collectivités locales dans le cadre de
démarches de prévention globale comme les p
rogrammes d’
action de
prévention des inondations (PAPI), ou encore des travaux de réduction de
la vulnérabilité prescrits par les plans de prévention des risques. Certaines
de ces mesures concernent uniquement les outre-mer. Elles portent
principalement sur le confortement parasismique des bâtiments, dans le
cadre du plan séisme Antilles. Le « fonds Barnier
» n’a pas pour objet de
financer la réduction du risque lié aux vents cycloniques, qui relève du
périmètre du fonds vert.
Sur la période 2009-2018, la mobilisation nette du fonds de
prévention des risques naturels majeurs dans les territoires
d’outre
-mer
s’est élevée à 200
M€
environ dont 76 %, ont été destinés à des opérations
de prévention des séismes en Martinique et en Guadeloupe.
148
Les autorisations d'engagement ont été portées à 415
M€ en LFI 2021 dont un
abondement de 160
M€ pour la reprise des engagements antérieurs à 2021 et de 50
M€
pour faire face aux suites de la tempête « Alex » dans les Alpes-Maritimes.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
129
Graphique n° 4 :
répartition des délégations nettes FPRNM 2009-2018
Source : Caisse centrale de réassurance
En 2023, le fonds de prévention des risques naturels majeurs était
doté d’une ressource totale de
197,2
M€
, dont une dotation de crédits pour
les territoires d’outre
-
mer d’environ 42
M€.
Premières bénéficiaires de ce fonds avec plus de la moitié des
ressources allouées, les collectivités territoriales ont également la possibilité
d’émarger à un certain nombre d’autres fonds, notamment européens
comme
le Fonds européen de développement régional (FEDER),
l’
instrument
financier pour l’environnement
(LIFE)
149
, le programme de coopération
territoriale européenne Caraïbes
150
et le Fonds européen agricole pour le
149
Soutien de projets innovants, privés ou publics, dans les domaines de
l’
environnement et du climat.
150
Dans son volet « Climat et environnement » : renforcer la résilience et l'adaptation
des territoires face aux risques liés au changement climatique. Programmation
2021-
2027 dotée de 9,2 M€
.
COUR DES COMPTES
130
développement rural (FEADER). À ces fonds s’ajoutent des fonds nationaux
comme le très récent fonds d'accélération de la transition écologique dans les
territoires (fonds vert
151
), le plan eau DOM, le fonds exceptionnel
d'investissement outre-mer (FEI) et les fonds de secours pour les outre-mer.
Certaines
institutions
financières
proposent
également
un
accompagnement et des financements pour des projets visant à réduire le
risq
ue de catastrophes. L’Agence française de développement
152
(AFD) a par
exemple participé financièrement à plusieurs travaux de recherche en lien
avec le développement de la connaissance et l’anticipation des impacts
climatiques (études Climat du Pacifique, Savoirs locaux et Stratégies
d’Adaptation
153
et
Building Resilience in Indian Ocean
). Elle soutient
également les plateformes d’intervention régionales (PIR) de la Croix Rouge
française dans les trois bassins océaniques, en consacrant 10
M€, en deux
phases (2018-2022, 2021-2024), à des actions de sensibilisation, à des
acquisitions de matériels et à la construction d’infrastructures qui ont
vocation à réduire l’exposition aux risques de catastrophes naturelles et à
couvrir l’ensemble de la chaîne d’interventio
n en matière de réduction du
risque de catastrophe.
Enfin, l’AFD met à disposition son ingénierie pour financer et
accompagner le remplacement et la modernisation d’infrastructures et
équipements structurants. Par exemple, le centre hospitalier universitaire
de la Guadeloupe recourt à ses services
pour l’accompagner dans la
construction
d’un
nouveau bâtiment, en repensant les modalités de
prévention des risques cyclonique et sismique.
151
Aide aux collectivités pour renforcer leur performance environnementale, adapter
leur territoire au changement climatique et améliorer leur cadre de vie. Fonds doté de 2
Md€
et mis en place en janvier 2023.
152
Le Plan Climat, publié par le Gouvernement le 6 juillet 2017, fournit à l’AFD un
cadre qui étend son mandat dans l’outre
-mer et dans les États étrangers, puisque
«
l’Agence française de développement deviendra la première banque bilatérale de
développement ayant pour mandat explicite la mise en œuvre de l’Accord de Paris et
l’objectif
de maintenir le changement climatique en dessous de 1,5 °C/2 °C et de
renforcer la résilience des économies et des populations à travers l’ensemble de son
portefeuille d’activité
».
153
D’un coût total de 4
M€, dont 1,2
M€ pour l’AFD, le projet
CLIPSSA doit se
développer sur la période 2021-2024.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
131
L’ensemble de ces éléments financiers
couvre un large spectre de
situa
tions et d’aléas. Ils permettent, en théorie, aux intervenants en matière
de prévention, et plus particulièrement aux collectivités locales, de
bénéficier des financements nécessaires à la réalisation de leurs actions de
prévention. Ces dernières peinent néanmoins à les utiliser efficacement.
La multiplicité des fonds mobilisables sur la question de la
prévention des phénomènes climatiques extrêmes ne facilite pas leur
mobilisation par les collectivités territoriales, dont l’émargement à l’un
d‘entre eux s
uppose la connaissance de son existence et la capacité
technique de proposer des dossiers éligibles. La conception des dossiers de
demande de subventions nécessite de maîtrise des compétences spécifiques,
notamment en matière d’ingénierie qui,
comme indiqué précédemment,
sont inégalement présentes dans les collectivités d’outre
-mer.
Il importe que les collectivités territoriales puissent renforcer leurs
connaissances et leurs compétences sur ces sujets en étant accompagnées
en ce sens par les services compétents
de l’État.
La Polynésie française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna
ne peuvent mobiliser le fonds de prévention des risques naturels majeurs
puisque le code de l’environnement ne prévoit pas expressément qu’il
puisse être sollicité au profit de
ces collectivités d’
outre-mer. Toutefois,
l’
État et la Polynésie française poursuivent un programme de construction
d’abris de survie dans les
Tuamotu-Gambier débuté en 1984. Dans le cadre
de la dernière convention État
/Pays, l’enveloppe
financière globale
2021-2025 est évaluée à 50,6
M€
minimum, financée à parité par l
’
État et
le Pays. Les communes financent quant à elles 5 % du coût total des études
et des travaux
qu’elles entreprennent
.
Cette situation, dans laquelle se conjuguent éparpillement,
disponibilité limitée des financements et hétérogénéité de leur ciblage,
généraliste ou sectoriel selon les cas
, complique l’estimation des
investissements supplémentaires à réaliser pour adapter les équipements
face à l’aggravation des aléas.
La prise de conscience du lien entre
l’intensification du changement climatique et la survenue de catastrophes
plus dévastatrices est encore insuffisamment partagée, voire pour certains
démontrée. Dès lors, la difficulté réside moins dans le calibrage des
moyens à allo
uer à la prévention, que dans la nécessité d’éviter une simple
approche incrémentale, à partir des budgets existants, n’identifiant pas
précisément à quel niveau de risques il faut désormais se préparer. Au-delà
de leurs montants relativement faibles, la mosaïque de ces fonds et
l’inadaptation de leur fléchage constituent le symptôme premier d’une
prévention incomplète pour faire face aux nouveaux défis engendrés par le
dérèglement climatique.
COUR DES COMPTES
132
B -
La prévalence
d’une
logique de court terme rend
plus difficile l
’adaptation aux risques
1 -
Les stratégies de prévention sont en arbitrage permanent
Au-delà de leur spécificités climatiques et géographiques, les
territoires d’outre
-mer présentent des vulnérabilités économiques et
sociales liées à des fragilités structurelles.
Ces vulnérabilités peuvent avoir des répercussions importantes sur
l’exposition au risque des populations. L’habitat précaire
154
et anarchique
à Mayotte, le déficit d’infrastructures routières en Guyane ou la dynamique
démographique qui, entre autres, pousse à une urbanisation rapide dans les
zones du littoral à La Réunion, en sont quelques exemples.
L’utilisation et l’occupation des sols constituent un enjeu de premier
plan pour les outre-mer, qui doivent faire face à une disponibilité foncière
limitée, à une pression démographique importante sur le littoral et à un
contexte d’habitat sans droit ni titre. La dissémination de constructions dans
des zones cartographiées par les plans de prévention des risques naturels ou
reconnues à risque (abords de ravin
es, embouchures de cours d’eau) peut se
traduire par des dégâts particulièrement importants en cas d’aléas climatiques.
Ainsi, la tempête tropicale « Fiona » en Guadeloupe en septembre
2022 s’est traduite par des pluies diluviennes et durables d’une
intensité
particulièrement impressionnante, dépassant les 100 mm en une heure et
plus de 450 mm en cumul.
Les destructions ont été nombreuses et l’état de
catastrophe naturelle reconnu pour 22 communes sur 32.
Même en cas de péril certain, le relogement des populations qui se
trouvent dans une zone identifiée à fort risque est entravé par les questions
de l’accès au foncier, par le fort attachement des habitants à des parcelles
familiales, par la présence d’habitat informel et par l’acceptabilité des
actions coer
citives d’évacuation des occupants.
Les effets et les bénéfices à long terme des décisions visant à réduire
les risques futurs dus aux aléas climatiques sont toutefois invisibles au
quotidien. Ces décisions sont donc parfois porteuses de mécontentement
social immédiat. Elles se trouvent en concurrence avec celles portant des
effets de plus court terme, comme par exemple le développement
économique territorial.
154
70 000 logements dits précaires ou indignes sont comptabilisés dans les cinq
départements d’outre
-mer. Ils représentent à eux seuls 13 % des logements insalubres
français, pour seulement 4 % de la population. Source : Insee.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
133
En conséquence, les fragilités des territoires ultramarins, cumulées
à une insuffisante sensibilisation des habitants et des élus aux risques
nouveaux apportés par le changement climatique, entraînent un arbitrage
défavorable aux politiques de prévention des événements climatiques
majeurs et un fléchage prioritaire des investissements dans des
infrastructures telles que
les transports et l’assainissement,
l’énergie, l’eau,
le numérique, la modernisation des logements.
Il appartient à l’autorité politique d’arbitrer entre les différentes
politiques publiques à adopter.
L’aggravation du niveau de risque
résultant
du changement climatique suppose, en amont des arbitrages budgétaires et
politiques, une réflexion sur le niveau des exigences à prendre en compte
dans la conception des projets. Ainsi, en matière de planification du
développement spatial, l
’anti
cipation de
l’aggravation de certains risques
devrait favoriser un urbanisme plus résilient.
Il en est de même des établissements publics ou entreprises à capitaux
publics comme les grands ports maritimes et les aéroports ultramarins,
particulièrement exposés aux événements climatiques paroxysmaux et points
d’entrée stratégiques des territoires outre
-mer. Leur mise en sécurité par
rapport à un niveau de risque estimé est un enjeu reconnu et hautement
nécessaire
155
, d’autant qu’ils ne sont pas toujours totalem
ent intégrés dans la
chaîne des dispositifs de prévention opérationnelle.
En l’absence d’ingénierie suffisante, l’évaluation des risques
climatiques présents et futurs ne fait pas l’objet de réflexions
institutionnelles formelles dans le processus décisionnel des collectivités
territoriales, qui
n’intègrent que marginalement les projections des effets
du changement climatique sur les événements naturels extrêmes.
La prise en compte des impacts potentiels du changement climatique
renchérit le coût des projets. Selon les investissements, et nonobstant le fait
que, dans certains cas, plusieurs concours de fonds peuvent se cumuler, les
dépenses peuvent être difficiles à mobiliser pour des collectivités
ultramarines en situation de fragilité financière.
Enfin, les solutions fondées sur la nature, comme la sanctuarisation
des espaces naturels côtiers par exemple, représentent des pistes majeures,
peuvent produire des synergies parmi différents objectifs de politique
publique tout en étant relativement moins onéreuses que des approches
plus traditionnelles de prévention. Elles ne constituent pas pour autant un
remède miracle et sont limitées par la capacité de résilience des
écosystèmes, qui décroît avec le changement climatique.
155
L’aéroport de Tahiti, seul aéroport international de la Polynésie, souffre déjà
ponctuellement d’inondations et, selon les projections de l’institut de recherche
américain
Climate central
, est
en passe d’être submergé de manière permanente dès
2050, en raison de l’élévation du niveau des océans.
COUR DES COMPTES
134
2 -
La gestion des conséquences des crises prime
sur la prise en compte de l’aggravation des risques
Dans des territoires périodiquement éprouvés par la multiplicité des
aléas naturels, mais aussi par des crises d’autre nature, notamment sociales ou
économiques, la gestion administrative et financière de ces dernières prend le
dessus sur tout autre considération, singulièrement sur celle de prévention.
La
quasi-
permanence
d’une
gestion
de
crise
contraint
le
déploiement de politiques au long court, qui nécessitent la réalisation
d’études technique
s, leur exploitation puis leur transposition dans des
secteurs variés. Les interstices temporels disponibles entre la survenue de
catastrophes naturelles, moments privilégiés pour engager le déploiement
de stratégies de prévention, sont absorbés par les délais de gestion des
conséquences de la crise, qu’ils soient en rapport avec la reconstruction des
infrastructures ou le traitement des dossiers indemnitaires.
Les destructions entraînées par un phénomène cataclysmique,
notamment sur des infrastructures vitales, conduisent les pouvoirs publics
à apporter des réponses
dans l’urgence
, pour sortir de la crise le plus
rapidement possible et stabiliser la reprise des activités.
Les bâtiments et ouvrages sont alors reconstruits selon les normes
applicables, sans forcément
bénéficier de plans d’adaptation aux
conséquences du changement climatique sur les catastrophes naturelles.
Pourtant, face à des menaces futures supposées ou identifiées, il est crucial
de mesurer les effets des décisions adoptées durant la crise, ou à sa suite
immédiate, pour réduire les vulnérabilités, optimiser la résilience des
territoires et organiser durablement la prévention.
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
135
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Une meilleure connaissance des phénomènes climatiques et de leur
aggravation est un élément essentiel de la prévention des catastrophes. Le
développement
d’une culture du risque, chez les décideurs et dans la
population, couplée à une organisation pré-opérationnelle rodée, sont des
facteurs déterminants pour limiter le nombre des victimes.
La prise en compte du changement climatique dans la réduction des
risques de catastrophes est source de contradictions au plan des arbitrages
de politique publique à effectuer, notamment en matière financière et
budgétaire, sur toute la chaîne de la pré
vention, depuis la recherche jusqu’à
l’aménagement du territoire, en passant par la mobilisation des moyens
opérationnels. Dépasser ces contradictions supposera, de la part de tous les
acteurs de la prévention, d’accentuer toujours plus la prise de conscie
nce
des effets du changement climatique et des risques afférents à tous les
échelons de responsabilité. Sans prise en compte systématique, les outre-mer
s’exposent au risque d’adopter des stratégies préventives inadaptées, venant
accroître leur vulnérabilité face à de futurs événements majeurs.
Enfin, les pouvoirs publics doivent mieux documenter et organiser
la prévention des catastrophes naturelles en outre-
mer. L’analyse
d’évènements climatiques majeurs ayant impacté ces territoires a des
retombées positives dans le traitement des aléas catastrophiques
hexagonaux, comme ce fut par exemple le cas pour la tempête « Xynthia »,
qui a bénéficié des retours d’expérience de La Réunion.
Dans ce contexte, la Cour formule les recommandations suivantes :
1.
promouvoir
pour l’ensemble des outre
-mer une expertise climatique à
une échelle territoriale suffisamment fine pour permettre à l’action
publique d’organiser une meilleure prévention des catastrophes
naturelles (Météo France, collectivité de Nouvelle-Calédonie - 2025) ;
2.
établir et mettre à jour l’ensemble des documents de planification,
d’organisation de la prévention et d’information du public en matière de
risques naturels par les collectivités locales en outre-mer et en Nouvelle-
Calédonie (ministère de l'intérieur et des outre-mer, ministère de la
transition écologique et de la cohésion des territoires, collectivités
de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française - 2025) ;
COUR DES COMPTES
136
3.
affirmer, aux niveaux national et territorial, une fonction de pilotage
stratégique chargée de mobiliser, de diffuser les connaissances liées
au changement climatique et de développer les mesures de prévention,
notamment en adaptant les documents de planification (ministère de
l'intérieur et des outre-mer, ministère de la transition écologique et de
la cohésion des territoires, collectivités de Nouvelle-Calédonie et de
Polynésie française - 2024) ;
4.
définir dans les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie
française, et à leur initiative, les conditions de mise en place et de
financeme
nt d’un fonds de prévention des risques naturels
(ministère
de l'intérieur et des outre-mer, collectivités de Nouvelle-Calédonie et
de Polynésie française - 2024).
Réponses reçues
à la date de la publication
Réponse du ministre de la transition écologique et de la cohésion
des territoires
..........................................................................................
138
Réponse du président du conseil départemental de La Réunion
.............
138
Réponse du président de la Polynésie française
......................................
139
Réponse du président de la collectivité territoriale de Martinique
..........
144
Réponse du président de la collectivité territoriale de Guyane
...............
145
Destinataires n’ayant pas d’observation
Monsieur le ministre de l’intérieur et des outre
-mer
Monsieur le président du Gouvernement de la Nouvelle Calédonie
Madame la présidente-directrice générale de Météo France
Destinataires n’ayant pas répondu
Monsieur le président du conseil départemental de Mayotte
Monsieur le président du conseil département de la Guadeloupe
COUR DES COMPTES
138
RÉPONSE DU MINISTRE DE LA TRANSITION ÉCOLOGIQUE
ET DE LA COHÉSION DES TERRITOIRES
Je partage avec la Cour des comptes le constat selon lequel, en
particulier dans le contexte du changement climatique, les enjeux de
prévention auxquels font face les territoires ultramarins requièrent une
attention spécifique.
La
politique
de
planification
écologique
menée
par
le
Gouvernement, au service de laquelle mon ministère est pleinement
mobilisé, me semble répondre à la recommandation portant sur une
fonction de pilotage stratégique pour renforcer puis diffuser les
connaissances et développer la prévention. J
’
envisage également
d'inscrire au troisième plan national d
’
adaptation au changement
climatique, en cours d'élaboration, une démarche visant à renforcer la
prise en compte du changement climatique dans les référentiels de la
prévention des risques, Pour ce qui concerne les documents de
planification de prévention des risques naturels, les instructions
ministérielles pluriannuelles aux services déconcentrés fixent notamment
leurs priorités de mise à jour.
Le délégué aux risques majeurs auprès de la première ministre,
appuyé par la mission de pilotage des politiques publiques de prévention
et de gestion des risques naturels en outre-mer, incarne cette fonction de
pilotage stratégique et de coordination interministérielle pour la
prévention et la gestion des risques,
Mes services collaborent enfin avec les autorités compétentes de
Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française, dans le respect des cadres
juridiques qui leur sont propres.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL
DE LA RÉUNION
Au vu de cette lecture, je souhaite porter à votre connaissance
l’engagement constant et depuis plusieurs décennies de ma collectivité dans
une programmation d’investissement visant à renfor
cer les infrastructures
hydrauliques (mobilisation et distribution en eau brute à destination des
agriculteurs et des communes) et routières (plan de résorption des radiers
submersibles) afin de rendre le territoire plus résilient face aux catastrophes
climatiques (sécheresse, fortes pluies et cyclones).
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
139
Avec un investissement annuel moyen d’environ 25
M€ dans le
domaine de l’eau, le Département a, à ce titre, sécurisé la distribution
d’eau pour 13 des 24 communes de l’île, et l’irrigation de plus de
16 000 ha de terres agricoles, soit près de 40 % de la surface agricole
utile de l’île. Cet engagement va se poursuivre dans les prochaines
années avec le projet de mobilisation des ressources en eau des micro
régions Est et Nord (MEREN).
De même, le plan de résorption des 163 radiers submersibles mené
sur le réseau des routes départementales vise à supprimer les écoulements
dangereux lors des crues des ravines et aussi dans les Hauts de l’île.
Le récent passage du cyclone BELAL à proximité immédiate de
La Réunion a permis de mesurer les effets positifs de ces aménagements,
qui ont conduit à réduire la vulnérabilité de nos infrastructures et
optimiser la résilience de notre territoire face aux effets attendus du
changement climatique.
Je pense en particulier aux réseaux hydrauliques structurants mis en
œuvre par le Département qui ont permis de maintenir l’accès à l’eau et
limiter les interruptions du service sur de nombreuses communes de l’île,
alors-
même que le territoire s’est trouvé fortement impacté par le p
hénomène
(captages d’eau inopérants du fait des fortes crues en rivière, réseaux
électriques fortement endommagés). Au droit des 49 anciens radiers
submersibles remplacés par des ouvrages d’art, aucune fermeture de la
circulation et isolement des quartiers
et population n’ont été à déplorer.
Aussi, il me semblerait opportun de nuancer et compléter en ce
sens le projet de chapitre en particulier le chapitre B-2 intitulé : la gestion
des conséquences des crises prime sur la prise en compte de
l’aggravation de
s risques.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Par correspondance rappelée en référence vous me transmettiez,
pour réponse, un chapitre intitulé « L'adaptation des logements au
changement climatique » destiné à figurer dans le rapport public annuel
2024 de la Cour des comptes.
Si ce dernier emporte, pour l'essentiel, l'adhésion de la Polynésie
française, je vous prie néanmoins de trouver ci-après les observations et
précisions qu'il appelle de ma part.
COUR DES COMPTES
140
I) L'organisation de la prévention des catastrophes naturelles :
un sujet crucial en outremer à l'épreuve du changement climatique
À titre liminaire, il sera relevé que si de par son positionnement
géographique, sa double insularité et sa topographie, la Polynésie
française présente une forte vulnérabilité face aux risques et impacts liés
aux changements climatiques ; pour autant, il nous semble que la gestion
de l
’
urgence climatique et l
’
organisation de la prévention des catastrophes
naturelles concerne autant les territoires insulaires que les territoires
continentaux dès lors que les effets du changement climatique se constatent
à ces deux échelles de territoires.
Sur les développements consacrés à la nécessité de préciser un socle
des connaissances fondamentales sur l
’
évolution du climat outre-mer, vous
relevez que « d
’
une façon générale, la part des cyclones et tempêtes les
plus intenses augmente ». Pour votre plus parfaite information, il sera
souligné que lors de la journée cyclonique du 13 octobre 2023, Météo
France en Polynésie française a exposé que l
’
activité cyclonique sur le
territoire avait diminué ces dernières années. En conséquence, au vu de
cette trajectoire, l
’
hypothèse est que l'activité cyclonique continuera de
diminuer pour les années futures. Cette tendance, qui n
’
est pas en accord
avec les tendances générales, plaide pour que les prévisions climatiques
spécifiques à chaque territoire soient également considérées dans les
diagnostics territoriaux.
À cet égard, il semble opportun de noter que si les émissions de gaz
à effet de serre se poursuivent avec les tendances actuelles, alors, dans les
décennies à venir, la Polynésie française pourrait être amenée à connaître
une submersion chronique des zones littorales de faible altitude, impactant
les infrastructures vitales du Pays (infrastructures portuaires et
aéroportuaires, production électrique, etc.) et les habitations ; des
précipitations moins bien réparties dans l'année et plus concentrées, avec
comme conséquences des baisses de production hydroélectrique et des
épisodes d
’
inondations plus intenses et fréquents ou, inversement, des
épisodes de sécheresses plus marqués et la montée du niveau de la mer
infiltrant les eaux souterraines des îles basses menaçant la disponibilité en
eau douce, ceci impactant directement la survie des populations locales et
le secteur de l
’
agriculture ; ou encore le déclin d'au moins 50 % de la
capacité de pêche d'ici 2100 (en comparaison des années 1980-2000),
entrainant également une augmentation du risque d
’
insécurité alimentaire
pour la grande majorité des îles du Pacifique
156
.
156
Chapitre 15 du 6
ème
rapport d’évaluation du GIEC dédié aux «
Petites îles ».
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
141
En outre, lorsqu
’
il est affirmé que « les radars météorologiques ne
peuvent pas contribuer utilement aux projections climatiques mais leur apport
est évident pour les prévisions immédiates et à très courte échéance », il nous
semble qu
’
il faille modérer quelque peu ce propos puisque les données
produites par les radars météorologiques sont utilisées pour toutes les échelles
de temps (court, moyen et long terme) Ainsi, à court terme, elles servent pour
de la prévision ponctuelle, puis elles permettent par la suite d'alimenter une
base de données historiques, voire un observatoire du climat. Les radars
semblent donc bien utiles à la production de projections climatiques.
Une dernière précision concernant les radars consisterait à souligner
que si l
’
estimation du coût d'installation d'un radar est effectivement de
4,5
M€, ce montant englobe en réalité tous les frais liés à l’
installation du
radar météorologique au niveau du Mont Marau, sur l
’
île de Tahiti, étant
entendu que plus de 10 % de ce budget est consacré aux frais d
’
aménagement
de la piste d'accès au radar. Ce montant global n'est donc pas forcément
représentatif du coût moyen pour l'installation d'un radar météo.
Enfin, et de manière générale, il sera souligné que soutenue par une
prise en compte croissante des enjeux liés aux changements climatiques, la
Polynésie française a mené un certain nombre de travaux en vue d
’
améliorer
les connaissances existantes en la matière, à travers notamment :
-
l’
état de l
’
environnement en PF réalisé en 2015 par la direction de
l'environnement ;
-
l’
Atlas climatologique de Météo France (2019) ;
-
les ressources du projet Inseaption (INtegrating SEA-level Projections
in climate services forcoastal adaptation) ;
-
la participation au programme PROTEGE (Projet régional océanien
des territoires pour la gestion durable des écosystèmes) ;
-
la participation au projet CLIPSSA (Climat du Pacifique, Savoir
Locaux et Statégies d'Adaptation) 2021-2024 qui a pour objectifs de
développer de nouvelles données du climat futur et à analyser les
impacts sectoriels.
II) Les efforts de réduction des risques pâtissent de difficultés
à mobiliser autour de la prévention
• Une mobilisation des différents acteurs à consolider :
Tel que l
’
a relevé le projet de chapitre, des territoires sont plus
vulnérables que d
’
autres du fait de lacunes dans les dispositifs pré-
opérationnels déployés. D
’
une part, il n
’
y a effectivement pas
COUR DES COMPTES
142
d
’
établissement public d
’
incendie et de secours (EPIS) en Polynésie
française
157
. D
’
autre part, toutes les îles n
’
ont pas de service d
’
incendie et
de secours, surtout les plus éloignées (ex : Mangareva aux Tuamotu-
Gambier). Des conventions peuvent être réalisées entre la commune et le
service de sécurité civile de l
’
aéroport, lorsqu
’
il y en a un, néanmoins, ces
pompiers ne peuvent intervenir que dans un périmètre limité aux alentours
de l'aéroport, ce qui n'est pas forcément compatible avec la géographie des
atolls ou des communes associées situées sur plusieurs îles.
Toutefois, la Polynésie française s
’
efforce de mettre en place des
politiques publiques susceptibles de renforcer la prise en compte du
changement climatique dans la prévention des risques naturels au
travers d
’
actions menées par la direction de l
’
environnement, la
direction de la construction et de l'aménagement (DCA) et la direction
polynésienne de l'énergie.
Ces efforts se sont notamment traduits par la mise en place du
Schéma d'Aménagement Général de la Polynésie française (SAGE) et de
certains Plans généraux d
’
aménagements (PGA). À ce titre, les Plans de
prévention des risques naturels (PPR) réalisés par la DCA qui seront
prochainement remplacés par les Schémas de gestion des risques naturels
(SGRN), plus simples à mettre à jour, concernant notamment l'atlas
cartographique
—
s
’
appuient sur les dernières modélisations du GIEC et
intègrent une élévation de + 0,60 cm à l'horizon 2120 (scénario médian),
ces travaux ont d
’
ailleurs conduit à imposer une surélévation des nouvelles
constructions depuis le 1
er
janvier 2023.
En outre, un important travail de collaboration et de coordination
est effectué entre les communes, l'État et le Pays.
Un comité polynésien de sécurité civile a été créé par le Haut-
commissaire pour réunir périodiquement les différents acteurs du
territoire afin d
’
échanger sur les enjeux de sécurité civile3
158
et, pour les
îles des Tuamotu-Gambier, zone particulièrement exposée aux risques
naturels, 28 abris de survie permettant la mise en sécurité des populations
en cas d
’
événements climatiques extrêmes ont pu être financés entre 2008
et 2014, et 22 opérations supplémentaires devraient être financées dans le
cadre de la relance du programme d
’
abris entre 2021 et 2025.
157
Article 33 de l’ordonnance n°
2006-173 du 15 février 2006.
158
www.polynesie-francaise.preflgouv.fr
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
143
D
’
autres infrastructures ont pu être construites aux normes para-
cycloniques grâce au Contrat de projet (2008-2013) ou via le volet
« scolaire » du Fonds Intercommunal de Péréquation (FIP)
159
et la
majorité des communes ont élaboré des sauvegarde (PCS).
• La recherche de réponses financières efficientes en cas d’
urgence
En matière de risques naturels, il n
’
y a pas de fonds dédié
spécifiquement à de la prévention tel que le fonds Barnier ou des fonds
d
’
urgence et les demandes de financements opérées en urgence par les
communes en cas de catastrophe naturelle le sont pour des opérations en
fonctionnement (remise en l'état des routes, nettoyages, déblayages).
La Polynésie française a cependant pu mettre en place différents
dispositifs :
-
1983 : création d'un fonds spécial territorial des calamités publiques,
géré par l
’
Agence territoriale de la reconstruction ;
-
1992 : création d'un compte d'aide aux victimes des calamités (CAVC) ;
-
1995 : remplacement du CAVC par un mécanisme de « dépenses
imprévues » inscrit dans la section avec depuis 2004 la possibilité de
constater l
’
état de catastrophe naturelle (art. 91-29° LOPF) ;
-
2021 : proposition du Syndicat pour la promotion des communes de
Polynésie française de créer un fonds d
’
intervention et d
’
urgence en
combinant la solidarité territoriale avec un mécanisme assurantiel
160
.
III) Conclusion :
La Polynésie française émet un avis favorable aux conclusions et
recommandations du projet de chapitre mais souhaiterais y ajouter la
nécessité de chercher des solutions pour renforcer les moyens efficients de
prévention et d
’
intervention en matière :
-
de ressources humaines : faciliter la mutualisation des moyens dans
les îles éloignées ;
-
d’
infrastructures : la mise en place de l'EPIS serait intéressante et
pourrait être rediscutée dans le comité de sécurité civile nouvellement
créé ;
-
de financements : poursuivre les réflexions sur les fonds de prévention
et d'urgence à disposition des collectivités et de la population.
159
Carte du contrat de projet et du FIP scolaire.
160
Courrier n° 144/2021/SPC du 23 mars 2021 et note n° 1407/SGG du 1
er
mars 2022.
COUR DES COMPTES
144
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE LA COLLECTIVITÉ
TERRITORIALE DE MARTINIQUE
Ce projet souligne, sans ambiguïté, la prégnance et la gravité du
changement climatique en cours et à venir. Il fait ressortir l’importance de
mettre en place tous les moyens préventifs
possibles afin d’en réduire ls
impacts pour nos populations.
Le territoire de la Martinique se révèle exemplaire avec 34 communes
dotées d’un plan communal de sauvegarde (PCS) et ses trois EPCI dotés d’un
plan
intercommunal
de
sauvegarde.
Toutefois,
il
est
nécessaire
d’accompagner les communes et intercommunalités afin que ces documents
trouvent toute leur place dans les foyers martiniquais. Il convient de mettre à
jour tous les «
Plans de prévention », y compris ceux élaborés par l’État, en
intégrant cette intensification des aléas liée au changement climatique.
Par ailleurs, il me semble nécessaire qu’il y ait plusieurs exercices
et simulations programmés pour chaque cible, en intégrant à chaque fois
et/ou dès que possible l’impact du changement climatique
dans les
scénarios retenus ainsi que les conduites à tenir.
Je suggère d’élargir le Fonds Barnier au financement des actions
de prévention et de protection contre les algues sargasses, conséquence du
changement climatique.
La sensibilisation au changement et à l'adaptation climatique dot
intégrer les formations académiques de prévention et de gestion des
risques, mais aussi le recrutement d’experts.
La Cour des comptes, dans son rapport final, pourrait sensibiliser
l’État afin de donner aux collectivités q
ui le souhaitent, la possibilité
d’expérimenter une habilitation en matière de règlements spécifiques et
d'actions territoriales face aux problématiques « risques naturels et
changement climatique »,
in situ
.
L’action préventive et la préparation aux catas
trophes naturelles passe
par une meilleure connaissance des risques afin de mettre en plaque des
systèmes de détection et d'alerte précoces mais aussi par l'éducation et
l'information de la société civile. Il existe au niveau national une batterie d’outils
de sensibilisation (applications, affiches, documents de synthèse, flyers...) qu’il
serait intéressant de mettre au service de la population martiniquaise.
Néanmoins, cela nécessite que cette communication soit prise en main par la
collectivité territoria
le de Martinique en liaison avec l’Éducation nationale afin
de trouver la meilleure adaptation aux différentes cibles du territoire.
Les financements associés devront être transférés à la CTM. En
outre, le développement de la culture du risque passe par un partage
intergénérationnel qu’il est nécessaire de promouvoir durant une semaine
particulièrement dédiée aux différents risques (cyclone, érosion du littoral,
LA PRÉVENTION DES CATASTROPHES NATURELLES LIÉES AU CLIMAT
EN OUTRE-MER
145
inondation, fortes pluies, mouvement de terrain, volcan, tsunami, etc.) et
pas seulement au risque sismique (en référence à la semaine REPLIK qui
se déroule en novembre de chaque année).
Enfin, il m’apparaît opportun que l’ensemble des élu
·e·s du
territoire (communes, EPCI, CTM) soient formé·e·s à ces questions. Aussi,
il s’agira de planifier un cale
ndrier de formation avec le centre national
de la fonction publique territoriale et/ou le centre de gestion.
En conclusion, j’émets un avis favorable sur le chapitre et les
recommandations associées et escompte une prise en compte des quelques
remarques
sus
formulées.
RÉPONSE DU PRÉSIDENT DE LA COLLECTIVITÉ
TERRITORIALE DE GUYANE
La Guyane est peu citée dans le rapport, qui reste centré principalement
sur les risques rencontrés pour les territoires insulaires, notamment les cyclones.
Aussi, il me semble important d'attirer votre attention sur les
principaux risques auxquels nous sommes soumis et qui sont créés ou
accentués par le changement climatique.
Le premier d'entre eux est l'érosion côtière : la Guyane est située sur
les côtes les plus mouvantes du monde, évoluant au gré du déplacement des
bancs de vase issus de l'Amazone qui remontent le long des côtes du plateau
des Guyanes. Sur près de 400 km de trait de côtes, seuls quelques dizaines sont
urbanisés, la plupart de nos villes et communes sont en effet situées en retrait
de la côte. Cependant certaines zones (Awala-Yalimapo, Kourou,
l'agglomération cayennaise...) nécessitent une attention particulière. Des
réflexions et études sur ce sujet sont en cours et nécessitent à la fois une bonne
compréhension des mouvements côtiers et une véritable stratégie d'adaptation.
Le second est le risque d'inondation : la Guyane est soumise à des pluies
intenses, qui viennent gonfler ses cours d'eau. Dans l'intérieur du territoire, cela
conduit à des débordements récurrents des grands fleuves (notamment le
Maroni). Sur le littoral, la combinaison de grandes marées et de fortes pluies
empêche l'évacuation de l'eau et vient inonder les zones les plus basses. Il faut
rappeler que la majorité du littoral est située quelques mètres à peine au-dessus
du niveau de la mer. Si ces inondations sont un phénomène peu meurtrier (les
eaux sont principalement calmes), elles ont un impact très fort sur la vie
quotidienne et les biens. L'augmentation des phénomènes extrêmes et la montée
du niveau de la mer vont fortement renforcer l'impact de ce risque dans les
années à venir. À ce titre une meilleure connaissance de la dynamique
hydrologique des fleuves, l'acquisition de données topométriques fines du
territoire et la création d'infrastructures résilientes constituent un impératif.
COUR DES COMPTES
146
Un nouveau phénomène critique plus récent est amené à se renforcer
avec le changement climatique. Il s'agit des sécheresses. Outre leur impact sur
les milieux naturels, qui accentuent les feux de savane, on observe surtout un
impact fort sur les grands fleuves Oyapock et Maroni. Or, et c'est une de nos
spécificités, près de 40 000 personnes vivent le long de ces deux fleuves et en
dépendent fortement puisque c'est la voie d'accès principale à ces communes
enclavées, situées à plusieurs centaines de kilomètres de la première route. La
navigation sur ces deux grands fleuves est extrêmement particulière
puisqu'elle s'effectue au moyen de pirogues et grâce au savoir-faire ancestral
des piroguiers, seuls à même de cheminer dans les méandres du fleuve et de
passer les sauts (zones de rapides). La quasi-totalité des marchandises
transitent par ce biais. Les étiages sévères tels que nous les avons connus par
exemple au dernier trimestre 2023 ont quasiment interrompu la navigation,
mettant en grande difficulté l'approvisionnement de ces communes, avec des
moyens de substitution quasiment inexistants. Concernant ce risque on peut
constater d'une part de véritables difficultés à mesurer, prédire et suivre les
variations du niveau des fleuves. D'autre part on ne peut que noter
l'impréparation des moyens et l'inexistence de solutions suffisantes pour faire
face à ce type de crise majeure qui affecte une population importante.
Enfin, un dernier risque, plus localisé est le risque de mouvement de
terrain qui a conduit à la catastrophe de Cabassou. Ce risque impose à la
fois une modélisation des glissements, des prescriptions urbanistiques et
surtout la lutte contre l'habitat informel qui s'installe sur ces zones
inconstructibles et donc non construites mais dangereuses.
En conclusion, j'insiste sur la nécessité de prendre en compte les
risques spécifiques à notre territoire. Comme vous pouvez le constater, je
vous rejoins par contre pleinement sur vos recommandations principales, à
savoir la nécessité de promouvoir et développer une expertise climatique
adaptée à nos territoires. Sur l'ensemble des risques recensés, le faible
niveau de connaissance constitue un point critique. C'est d'ailleurs dans
cette logique que nous participons et initions des programmes de recherche
tels que celui sur les dynamiques côtières ou le projet Guyaclimat.
Il me semble également important de mettre en place des outils de
réponse de sécurité civile adaptés aux réalités territoriales, sous peine de
devoir faire face sans y être préparés à des crises sanitaires et sociales
majeures, en particulier pour ce qui concerne, en Guyane les communes
de l'intérieur dont les difficultés d'accès sont très pénalisantes.
Espérant que ce courrier permettra de mieux éclairer en complément
de votre rapport les attentes et les enjeux de notre territoire, je vous prie
d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de mes sentiments les meilleurs.