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Intervention de M. Philippe Séguin,
Premier président de la Cour des comptes
Conférence de presse
Présentation du Rapport public annuel
6 février 2008
Mesdames, Messieurs,
Bienvenue à la Cour.
Je vous remercie d’avoir bien voulu, une fois encore, assister à la présentation de notre rapport
public annuel.
Je l’ai remis au Président de la République juste avant de vous rejoindre et je le déposerai, tour à
tour, dans le courant de l'après-midi, sur le bureau de l’Assemblée nationale puis sur celui du Sénat.
C’est toujours un moment important dans la vie de notre institution car ce rapport reflète le travail
de l’ensemble des chambres de la Cour et de ses personnels, et, pour certains chapitres, des
Chambres régionales des comptes.
C’est aussi un moment particulier dans le débat public et ce en grande partie grâce à l’écho que
vous-mêmes, voulez bien donner à nos observations et à nos préconisations.
Je vous remercie d’ailleurs de veiller à rappeler que si le rapport public annuel a été pendant
longtemps -comme son nom continue à l’indiquer- la seule publication de la Cour, ce n’est plus le
cas.
Chaque année désormais, nous livrons au public, en particulier par votre truchement, le résultat de
nos travaux sur les thèmes les plus divers. En 2007, nous avons ainsi publié 5 rapports thématiques
portant respectivement sur les grands chantiers culturels, les aides des collectivités territoriales aux
entreprises, la recherche publique dans le domaine des sciences du vivant, la prise en charge des
personnes sans domicile, et les institutions sociales des industries électriques et gazières.
Nous avons également présenté à la presse, vous vous en souvenez, quatre autres rapports publics
portant sur des organismes faisant appel à la générosité publique.
Nous publions aussi, depuis plus de dix ans maintenant, les rapports que nous élaborons dans le
cadre de notre mission d’assistance au Parlement et au Gouvernement en matière d’exécution des
lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale. Il n'y en avait à l’origine qu’un
seul. Il y en a désormais 5 par an : le rapport sur les comptes de l’Etat (aux fins de certification), le
rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l’Etat, le rapport sur la situation des finances
publiques, le rapport sur la Sécurité sociale et celui sur les comptes de la Sécurité sociale.
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Il y a aussi les rapports que nous réalisons à la demande des commissions des finances et des
affaires sociales du Parlement et qui sont rendus publics par elles. Nous en avons produit cette
année une bonne quinzaine.
Et encore, ces quelques 30 publications ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ce n’est donc
pas en divisant le nombre de pages publiées par les effectifs de la Cour qu’on peut en déduire sa
productivité… car au delà de ces publications, il y a tous les rapports, référés, communications
administratives que je ne vous détaillerai pas. En 2007, la Cour a produit plus de 1 100 rapports de
contrôle et d’audit, plus d’une centaine de rapports pour la certification, et nous avons adressé avec
les Chambres régionales des comptes 380 communications administratives aux pouvoirs publics. Je
range dans les « communications administratives » les documents qui résument nos principales
recommandations et que nous adressons soit au responsable de l’organisme contrôlé, soit
directement au ministre concerné.
Il faudrait aussi mentionner le volume de travail accompli par les Chambres régionales des
comptes qui contrôlent les comptes et les budgets des collectivités territoriales. Elles ont rendu en
2007 près de 10 000 jugements, plus de 650 avis budgétaires, et plus de 700 rapports d’observations
définitives communicables.
Je ne parle pas non plus des nombreux travaux et rapports que nous produisons dans le cadre de nos
mandats de commissaires aux comptes de l’ONU, de l’OMC, de l’Unesco, et d’autres organisations
internationales qui nous ont choisis pour contrôler leurs comptes.
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Pour autant, le rapport annuel demeure un moment particulier dans l’année. C’est un rendez-vous
auquel s’est habituée l’opinion publique. C’est l’occasion pour nous de faire un bilan de notre
activité et de rendre publiques des observations qui n’auraient pas trouvé forcément leur place dans
des rapports thématiques et qui méritent une attention particulière.
Ce travail a trois ambitions :
- il vise à éclairer le Parlement dans sa fonction de contrôle du Gouvernement,
- il vise à apporter au Gouvernement une expertise et des conseils au service de la modernisation de
l’administration,
- il vise enfin à donner au citoyen une information précise, argumentée et solide, des analyses
approfondies et suivies dans le temps.
Alors que la mode est au zapping et au « buzz » comme on dit, la Cour, elle, reste volontairement
besogneuse, elle s’appesantit, approfondit, vérifie et s’entête.
Je serais tenté de dire que, depuis deux siècles nous avons prouvé que nous sommes,
intrinsèquement, pour le développement durable de l'Etat.
Nous cherchons à préserver la ressource financière publique, à protéger l'Etat de sa propre
surchauffe, à limiter les effets de serre administrative, à indiquer les voies nouvelles pour
économiser l'énergie des agents de l'Etat... A bien y regarder, il n'y a pas plus écologique que la
Cour des comptes...
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En tout cas, la Cour est têtue et je veux insister sur cette notion de suivi. Il faut en effet mettre un
terme à une idée fausse qui voudrait que la Cour parle dans le vide. C’est pourquoi depuis 3 ans
nous publions un deuxième tome du Rapport public annuel qui énumère les suites données à nos
travaux. Cette année, nous atteignons d’ailleurs un record avec
38 insertions de suivi
, et de
nombreux exemples très encourageants de suites effectivement réservées à nos recommandations :
- nous signalions en septembre dernier le manque à gagner généré par l’exonération de charges
sociales de certaines rémunérations. Nous avons été entendus et la loi de financement de la Sécurité
sociale pour 2008 contient une disposition qui taxe les stocks options,
- nous avions préconisé à plusieurs reprises un meilleur encadrement de certaines dépenses
d’assurance maladie et notamment des remboursements de frais de transport ; la loi de financement
de la Sécurité sociale pour 2008 comporte des dispositions qui vont dans ce sens.
Nous recensons d’ailleurs dans cette loi près de 10 dispositions qui répondent à des préconisations
antérieures de la Cour.
- Dans un tout autre domaine, nous avions souligné l’anomalie que constituait l’éclatement des
moyens de l’Elysée sur les crédits de plusieurs ministères. Conformément à notre préconisation,
l’intégration de ces moyens dans le budget de la Présidence a débuté et s’accélère ;
- nous avions critiqué l’an dernier le dispositif de crédit impôt recherche. Il a été cette année
simplifié et consolidé juridiquement par le Parlement ;
- depuis plusieurs années, nous disions que pour être plus performantes, les universités devraient
jouir d’une plus grande autonomie. C’est le principe consacré par la loi du 10 août 2007 ;
- en mars dernier, dans un rapport sur les personnes sans domicile, nous mettions l’accent sur la
nécessité de développer les places d’hébergement plus durable au lieu de toujours faire porter
l’effort sur l’hébergement d’urgence. Les plans d’action annoncés par le Gouvernement vont dans
ce sens ; ils consacrent par ailleurs le principe de continuité de la prise en charge. Normalement, on
ne pourra donc plus mettre à la rue une personne hébergée en urgence si une solution alternative ne
lui est pas proposée ;
- nous avions sévèrement critiqué la gestion de la Banque de France dans un rapport de 2005.
L’établissement s’est aujourd’hui profondément réformé et poursuit sa mutation dans le sens
préconisé.
- nous avions souligné les difficultés du régime des tutelles et curatelles. Une loi du 5 mars 2007 est
venue le réformer et répond à nombre de recommandations de la Cour.
Bien d’autres mesures vont dans le sens des préconisations de la Cour.
Je pourrais encore citer :
- la suppression au profit du contrat initiative-emploi du dispositif de soutien à l’emploi des jeunes
en entreprise (le SEJE), dont la Cour avait souligné l’inefficacité. Je signale que les rapporteurs de
l'Assemblée et du Sénat s'accordent pour estimer qu'il en découlera une économie budgétaire de
83 millions d'euros,
- je veux citer encore la création par l’Unédic d’un fonds de réserve pour lisser les conséquences
financières des aléas conjoncturels (en d'autres termes, pour qu’elle économise quand la conjoncture est
bonne et qu’elle puisse faire face lorsque la conjoncture se dégrade),- je pourrais signaler aussi l’abandon
par l’ANPE d’un projet informatique au coût prohibitif qui remettait en cause la liste des demandeurs
d’emploi partagée avec l’Unédic et qui rendait la coordination entre les deux réseaux plus difficile.
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Il faudrait aussi mentionner :
- l’amélioration de la qualité de l’information délivrée par certaines ONG à leurs donateurs, suite
notamment aux critiques que la Cour avait formulées à l’occasion de la catastrophe du Tsunami,
- l’amélioration de la gestion de l’action sociale à la Caisse des dépôts et consignations,
- les progrès réalisés dans la gestion des aides de l’Etat à la formation des représentants
d’organisations syndicales et professionnelles. Conformément aux recommandations formulées par
la Cour en 1994 et à nouveau en 2002, le nombre de dispositifs a été réduit, les modalités
d’attribution ont été améliorées.
Je ne peux reprendre exhaustivement devant vous la quarantaine d’exemples donnés dans le
deuxième tome. Au demeurant, certaines insertions du premier tome font également écho à des
contrôles antérieurs de la Cour et mettent également en exergue des avancées positives.
C’est le cas par exemple pour les frais de justice (c'est-à-dire les dépenses d’expertises médicales,
d’écoutes téléphoniques ou des frais de traduction engagées par les juges dans le cadre de leur
instruction), des dépenses désormais mieux encadrées.
Dans certains domaines, les résultats sont même quantifiés. C’est le cas pour nos observations
concernant les
comptes de l’Etat
dans le cadre de la certification. Nous avons calculé que plus de
90 % de nos recommandations avaient été mises en oeuvre.
Ce travail de suivi ne vise pas à prétendre que la Cour détient la pleine paternité des progrès
enregistrés. La Cour ne peut considérer être seule à l’origine des évolutions engagées, mais
l'essentiel est que les choses bougent, dans le sens souhaité.
Par ailleurs, je reconnais bien volontiers que le bilan n’est pas toujours parfaitement positif. Vous le
verrez en lisant les insertions correspondantes. J’esquisse ici à trop grands traits, mais c'est la loi de
l'exercice, le résultat de travaux très approfondis et nuancés.
J'ajoute qu'il y a aussi des domaines où le bilan est globalement décevant.
S’agissant par exemple de l’indemnisation des
intermittents du spectacle
, rien n’est réglé. Le
nombre de bénéficiaires recommence à augmenter et pose à nouveau la question de l’équilibre de ce
régime particulier.
Dans le domaine sportif, la Cour a à nouveau contrôlé certaines
fédérations
et notamment la
fédération française de football qu’elle critique à nouveau sur la gestion de ses « droits de
marketing » (c'est-à-dire la gestion des espaces publicitaires sur les maillots, dans les stades par
exemple…) tout en prenant acte des résolutions de l'équipe dirigeante.
Nous abordons dans ce tome consacré au suivi de nombreux autres sujets : celui de la formation des
travailleurs sociaux, celui du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce (le
FISAC), et celui du financement des interprofessions agricoles. Nous avons à nouveau contrôlé de
nombreux organismes publics comme le service public de l’équarrissage, l’agence nationale de
l’habitat, l’agence nationale des chèques vacances, l’établissement public d’aménagement de la
Défense ou l’Institut de veille sanitaire. Je vous renvoie aux développements correspondants.
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Bref, vous pourrez constater que lorsque la Cour n'obtient pas satisfaction, elle ne lâche jamais
prise...
II- J’en reviens ainsi au premier tome. Il traite cette année de 28 thèmes qui, je pense, retiendront
votre attention comme ils ont retenu la nôtre.
Par-delà le caractère apparemment très divers de ces thèmes, je crois pouvoir rassembler leur
présentation autour de quelques lignes de force qui permettent par ailleurs de donner un début de
réponse à ceux qui nous interrogent régulièrement sur nos logiques de programmation.
Pour ce faire, et vous voudrez bien m’en excuser, je ne vais pas suivre forcément l’ordre du rapport
qui vous a été remis.
1- La première ligne de force est celle de l’actualité,
celle de la réforme de l’Etat,
une réforme
sans cesse annoncée mais qui semble aujourd’hui bel et bien lancée - même si on ne semble pas en
avoir toujours bien conscience.
Pourtant, des services de l’Etat, des organismes publics ont été réorganisés, le seront bientôt
ou devront l’être.
L'attention de la Cour s’est portée sur plusieurs d’entre eux. Elle tire à cet égard des bilans
contrastés, non pas seulement pour critiquer mais surtout pour contribuer à la réforme.
Mon propos ira des exemples les plus encourageants aux cas les moins satisfaisants.
- Le
service de la redevance
offre un exemple de réforme que l’on peut considérer comme réussie :
on a supprimé ce service, on a transféré ses missions sur les trésoreries générales et on a ainsi
dégagé des économies potentielles de gestion de l’ordre de 100 M€ soit 2/3 du coût initial du
service. Le système est aujourd’hui plus simple et les contrôles sont mieux ciblés.
Néanmoins, sur les 1 400 agents, 400 s’occupent toujours de redevance, 500 sont affectés à des
tâches nouvelles et 500 ont été reclassés dans les services du Trésor public. Ces transferts ne
correspondent donc pas à des économies sur le budget de l’Etat.
Par ailleurs, la réforme n’a pas apporté de réponse à la question du financement de l’audiovisuel
public. Le niveau de la redevance augmente en effet moins vite que les dépenses des sociétés
audiovisuelles. Son montant est resté fixé à son niveau de 2002 soit 116 euros : c’est deux fois
moins que chez nos voisins allemands ou britanniques. Il y a donc d’ores et déjà un problème
financier qui fait peser un risque de report de la charge sur le budget de l’Etat. Le débat a resurgi il
y a quelques semaines avec des hypothèses tout à fait nouvelles que vous connaissez. Vous ne
trouverez pas dans ce rapport l’avis de la Cour sur les propositions du Président de la République.
Nous sortirions de notre rôle. En revanche, vous y trouverez les termes financiers du débat.
- Je citerai aussi l’exemple de
l’Imprimerie nationale,
service de l’Etat transformé en entreprise et
qui s’est trouvé fortement secoué par son entrée dans le champ concurrentiel au point de frôler le
dépôt de bilan. La Cour avait déjà préconisé en 2000 un certain nombre d’ajustements. Nous
constatons aujourd’hui qu’un plan de redressement a été mis en oeuvre et globalement bien mené. A
son terme, le risque de disparition aura été écarté. Et les effectifs seront passés de 2 000 à 540
personnes. Mais ce plan a coûté cher à l’Etat… et l’entreprise reste très dépendante de ses dernières
activités de monopole. Elle doit donc encore faire un effort pour aligner sa productivité sur ses
concurrentes.
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- La gestion des
pensions des fonctionnaires
de l’Etat se modernise également difficilement. Si, de
façon générale, les pensions sont bien versées dans les règles et à temps, le service est de qualité
médiocre et faiblement productif : on estime les économies possibles à 1 200 agents soit 40 % des
effectifs actuels ! Nous avions déjà averti les pouvoirs publics en 2003. La situation n’est plus
acceptable, c’est pourquoi nous revenons à la charge et cette fois les choses pourraient bouger… Le
Sénat que nous avons à nouveau alerté s’est en effet saisi du problème et le Gouvernement a
annoncé pour cette année une profonde réforme.
- La Cour aborde aussi dans ce rapport ce qu’elle qualifie, avec son sens bien connu de la litote, de
« curiosité administrative » : les
conservations des hypothèques
. Les conservateurs des
hypothèques bénéficient d’un statut datant d’un édit de Louis XV de 1771 qui fixe leurs
rémunérations en pourcentage du nombre et de la valeur des inscriptions faites dans les
conservations. Je n’ose citer les rémunérations moyennes des conservateurs : en effet à côté des
bonus distribués dans certaines banques, ce service ferait figure de miséreux… Il n'en demeure pas
moins que ces rémunérations font partie des plus élevées du ministère des finances, sans lien avec
les responsabilités véritables des conservateurs.
Un statut d’un autre âge profitant de l’explosion des prix de l’immobilier… voilà un édit royal qui
garantit en tout cas 354 beaux postes de débouché avec retraites bonifiées.
A côté de cela, les usagers continuent à payer des tarifs élevés et le service rendu ne bénéficie pas
encore de tous les progrès rendus possibles par l'informatisation.
Le réseau, très étendu, mériterait d’être réformé : aujourd’hui certaines conservations enregistrent
moins de 10 actes par jour. Les conservations ont déjà réduit leurs effectifs. L’effort est à
poursuivre.
On doit sûrement pouvoir trouver un autre moyen pour récompenser sur le tard des agents méritants
et leur garantir de bonnes retraites que de maintenir une organisation surannée.
Là encore, il me faut le reconnaître, ce n’est pas la première fois que la Cour préconise cette
profonde réforme. Je dois toutefois noter que la tonalité de la réponse du ministère du budget que
vous trouverez dans ce rapport est beaucoup plus ouverte aux évolutions suggérées par la Cour qu’il
y a quelques mois encore…
- Je pourrai aussi citer le
service des droits des femmes et de l’égalité
, très petit service et tout
petit budget. Nous ne remettons évidemment pas en cause l’objectif mais l’organisation actuelle, à
l'évidence, ne convient plus. C’est trop ou trop peu. Trop au regard des résultats obtenus par le
service. Il dispose ainsi d’un réseau dans tous les départements qu’il peine à animer et à évaluer.
Mais c’est en même temps trop peu face au défi que représente la promotion de l’égalité hommes-
femmes. La Cour recommande donc une remise à plat de cette organisation administrative.
L’actualité de la réforme de l’Etat recouvre aussi la politique immobilière.
L’enjeu : c'est un patrimoine estimé à environ 50 milliards d’euros. La Cour dénonce depuis
longtemps les gaspillages, la faiblesse de la maîtrise d’ouvrage et la priorité souvent donnée aux
opérations nouvelles sur les opérations d’entretien. L’annonce, par le ministère des finances en
février 2006, d’une réforme de la politique immobilière de l’Etat, incluant la création de l’agence
« France-Domaine » héritière du service des domaines de ce même ministère, devrait conduire à des
changements significatifs.
Mais on n’en est pas encore là.
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Les cinq exemples cités par la Cour dans ce rapport annuel illustrent chacun un aspect différent des
problèmes à résoudre. L’un est malheureusement « classique » : il s’agit de la rénovation du grand
ensemble de bureaux des ministères sociaux, place de Fontenoy. Faute d’engagement politique et
financier clair, l’opération décidée en 1992 ne sera bouclée au mieux qu’en 2011 et les dépenses
auront plus que doublé par rapport aux estimations initiales.
Deux autres cas illustrent certains inconvénients du recours à des montages dits « innovants » pour
financer des localisations nouvelles, sortes de partenariats public/privé : pour le ministère de
l’intérieur, c’est la relocalisation des directions de renseignement à Levallois Perret et pour le
ministère des affaires étrangères, la construction d’un immeuble pour les archives diplomatiques. Le
principe est simple : on fait construire et acheter par un autre. Et on lui rembourse au fur et à mesure
les annuités. Résultats de ces « innovations » qui visent en fait souvent à faire face à l’insuffisance
de crédits immédiatement disponibles : des surcoûts très importants pour l’Etat, estimés à près de 40
M€ pour le seul ministère de l’intérieur, et dus au fait qu'on a visiblement oublié que l'Etat peut
emprunter à un taux plus bas que les sociétés auxquelles il fait appel.
Vous retrouverez également dans le rapport des cas déjà évoqués par la presse mais que la Cour
analyse et chiffre précisément : la restructuration de l’immeuble des Bons-Enfants, resté sans
occupant pendant plus de 15 ans, pour cause de querelle entre le ministère des finances et celui de la
culture, ou les conditions du relogement des affaires étrangères sur l’ancien site de l’Imprimerie
nationale, immeuble cédé par l’établissement public à une société privée qui l’a revendu à l’Etat
après travaux au prix fort. L’immeuble avait été cédé pour 85 M€. Il a été racheté pour 325 M€…
De façon générale, on peut dire que l’Etat aura fait preuve dans toutes ces opérations d’une myopie
coûteuse…
2- Je vous ai parlé jusqu'ici de gestion interne à l’Etat.
La Cour s’est également intéressée à la
manière dont l’Etat assume sa fonction d’actionnaire
.
Là encore, nous sommes en pleine actualité.
- Je voudrais d’abord souligner les progrès engendrés par la création de
l’Agence des
participations de l’Etat
: elle a permis un plus grand professionnalisme des opérations en capital
ainsi qu’une meilleure gouvernance des entreprises publiques. On nous accuse assez, à tort
d'ailleurs, de ne pas dire ce qui va bien ou mieux pour que j’y insiste.
Le gros problème qui demeure, c'est que l’Etat actionnaire a des intérêts contradictoires,
patrimoniaux et financiers d'un côté (comme n'importe quel boursicoteur), stratégiques de l'autre. Il
est de ce fait quelque peu schizophrène. Doit-il gagner de l'argent ou peser sur l'évolution des
entreprises ? Ainsi, la situation financière, le déficit pour parler clair, le poussent parfois à vendre
au détriment d’une vision de long terme de ses intérêts.
Pour schématiser, il est des cas où l’Etat vend mal et vend des participations pourtant stratégiques.
Du coup, il se retrouve de plus en plus souvent dans une position d’actionnaire minoritaire ce qui
affaiblit ses positions et sa maîtrise des décisions. L’exemple d’EADS est symptomatique :
détenteur de 15 % du capital, l’Etat s’est montré incapable au 1
er
semestre 2007 d’exercer un
contrôle effectif des comptes et des perspectives stratégiques de la société.
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Nous citons aussi, à l'appui de notre analyse, l’exemple de la privatisation des sociétés
concessionnaires d’autoroutes. Elle n'a probablement pas rapporté autant qu’elle aurait pu. Elle a
assurément été conduite sans que les précautions nécessaires à la protection des usagers en matière
de tarifs aient été prises.
Ces
tarifs autoroutiers
font, du coup, l’objet d’un chapitre entier du rapport public. La Cour en a
analysé précisément les mécanismes. Elle constate qu’aujourd’hui les prix pratiqués ne
correspondent plus aux coûts des investissements et de l’exploitation des autoroutes et
bien
souvent, trop souvent, l’usager paye plus qu’il ne devrait.
Aucune remise en ordre n'a été
effectuée ni lors de l’ouverture du capital ni lors de la privatisation des concessionnaires en 2006. Il
faut revoir ce système et la Cour demande à l’administration qui homologue chaque année les tarifs
de faire preuve de plus de rigueur y compris dans ses relations avec les sociétés concessionnaires
privées. La réponse du ministre chargé des transports, corroborée par les derniers éléments
recueillis lors du contrôle, montre que ce message a été entendu. Nous en vérifierons les effets dans
quelque temps.
- Le rapport présente également un
bilan des défaisances,
ces opérations destinées à cantonner les
actifs compromis et à les sortir des comptes de sociétés publiques ou privées comme le Crédit
Lyonnais, bien sûr, mais aussi le Crédit Foncier de France, le Comptoir des Entrepreneurs ou le
GAN (Groupe des assurances nationales).
Ce sujet, la Cour l’a déjà examiné en 2000 dans un rapport sur l’intervention de l’Etat dans la crise
du secteur financier. Aujourd’hui, elle est en mesure de dresser un bilan que l’on peut considérer de
quasi-définitif.
Financièrement, on s’y attendait, la facture pour l’Etat est lourde, très lourde : 20,7 milliards d’€.
Surtout, il apparaît que le choix de « cantonner » les actifs compromis dans des structures
spécifiques vouées à la disparition ne permet probablement pas d’en tirer le meilleur parti. Les
montages complexes -et je vous renvoie pour vous faire une idée aux graphiques figurant dans le
rapport-, ont conduit à de fréquentes confusions de responsabilités, aggravées par le fait que l'Etat
ne pouvait guère se désintéresser de ces dossiers.
Bref. On peut se demander s'il ne conviendrait pas plutôt, dans de semblables circonstances, de
responsabiliser les sociétés concernées en leur laissant la gestion directe des actifs compromis et des
contentieux.
3- Nous avons examiné les performances de l’Etat gestionnaire et celles de l’Etat actionnaire. Nous
évaluons également dans ce rapport
ses performances dans les principales politiques publiques
qu’il mène.
Notre travail aborde cette année encore les questions d’enseignement supérieur et de recherche,
thèmes sur lesquels la Cour a réalisé ces derniers temps de nombreux contrôles.
- Je vous renvoie notamment au chapitre consacré au
CNRS
. L’instabilité de ses équipes dirigeantes
est probablement le signe d’un grand malaise et des hésitations de l’organisme et du ministère sur sa
stratégie et son rôle. Il y a aujourd’hui trois solutions pour le CNRS : être un fédérateur de
compétences, un opérateur direct de recherche ou une agence de moyens au bénéfice d’une
recherche conduite par les universités. Il faudra bien choisir et en tout cas trouver des équilibres
durables entre ces trois options.
En particulier, les relations avec l’université doivent être repensées
et la gestion des unités mixtes de recherche est le premier chantier à ouvrir.
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Nous avons néanmoins constaté des progrès dans le domaine de la gestion financière. Ils constituent
un signe encourageant sur la capacité de l’établissement à mettre en place de meilleurs outils de
pilotage. Ces efforts doivent être poursuivis.
- La Cour s’est également intéressée aux
quatre universités des villes nouvelles de la région Ile
de France,
créées au tout début des années 90. Fait remarquable, leurs effectifs continuent à croître
alors que le nombre d’étudiants a plutôt tendance à se stabiliser au niveau national. Cette
dynamique montre la pertinence des choix effectués, en matière notamment de professionnalisation
des cursus.
Mais ce succès semble avoir pris l’Etat au dépourvu.
En effet, malgré les investissements considérables réalisés depuis leur naissance, ces universités ne
disposent pas encore des équipements adaptés à la vie étudiante (les logements, les bibliothèques ou
les installations sportives notamment). Elles subissent en même temps de fortes tensions financières
et souffrent d’un encadrement administratif insuffisant.
Leur dynamique et leurs réussites justifient donc plus que jamais un soutien spécifique de l’Etat.
*
Nous abordons ensuite le domaine de l’emploi, avec deux sujets : le premier est
le Fonds pour
l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique
créé en 2005 sur le modèle du
fonds géré par l’Agéfiph pour le secteur privé.
Le parti pris d'aligner le dispositif des fonctions publiques sur celui du privé était difficile à tenir...
et j'en parle en connaissance de cause.
Si les objectifs peuvent légitimement être transposés, les moyens pour y parvenir doivent
nécessairement différer.
Au moins partiellement.
Pour l'avoir oublié, on en arrive aux résultats que nous avons constatés : le fonds dispose de
ressources financières élevées qu’il ne parvient pas à utiliser. Le taux d’emploi des personnes
handicapées dans la fonction publique reste quant à lui très en deçà de l'objectif.
La raison principale de ce retard et de la difficulté à dépenser les ressources disponibles, ce sont les
modes de recrutement dans la fonction publique qui privilégie les concours et surtout exige, hors
concours, l’équivalence des diplômes pour tout candidat à un emploi donné. C’est donc en amont
du processus de recrutement qu’il faut agir, notamment en améliorant la formation des personnes
handicapées, quitte à élargir le champ d’intervention du fonds. Il faut donc imaginer pour la
fonction publique un dispositif d'intervention qui lui soit spécifique.
- Deuxième sujet concernant l’emploi :
la fusion de l’ANPE et de l’Unédic
. Cela fait plusieurs
années que nous préconisons un rapprochement. Nous dénoncions notamment en 2006 un système
qui impose au demandeur d’emploi des allers-retours entre l’Assédic qui l’inscrit sur les listes et qui
l’indemnise et l’ANPE qui l’aide dans sa recherche d’emploi. Dans la perspective de la fusion, nous
avons réexaminé cette question en 2007. Nous avons constaté certains progrès et notamment la
création de quelques guichets uniques mais l’amélioration reste très limitée ; les maisons de
l’emploi, quant à elles, ne sont pas, contrairement à ce que l’on pouvait imaginer au départ, une
forme de guichet unique.
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Nous avons également examiné les conditions de recours à des opérateurs privés de placement pour
les demandeurs les plus éloignés de l’emploi. Cette sous-traitance a coûté cher sans que son
efficacité soit prouvée. Une méthode d’évaluation plus rigoureuse a été mise en place. Il faudra être
vigilant sur ses résultats.
Dans un domaine proche, la Cour dresse de la même façon un bilan mitigé de l’intervention de
l’APEC pour les cadres.
On trouvera également plus loin dans le rapport les résultats d’un contrôle que la Cour a effectué
sur la gestion des ressources humaines à l’ANPE. L’enjeu est de taille : avec ses 30 000 agents,
l’ANPE est le plus gros opérateur de l’Etat. Ses dépenses de personnel ont augmenté de plus des 2/3
entre 1999 et 2006 et dépassent désormais le milliard d’euros. Elles ont crû plus vite que les
effectifs, notamment grâce à une politique de primes et indemnités très favorable. Le contrôle de la
Cour fait ressortir des pratiques en matière de GRH que l’on qualifiera, en maniant là encore
l’euphémisme, de « peu rigoureuses ». La fusion avec l’Unédic devra être l’occasion d’une remise
en ordre.
Dans d'autres domaines, la Cour aborde également trois sujets de moindre importance financière,
mais illustrant chacun à leur manière des aspects particuliers de politiques publiques importantes.
Les relations entre la métropole et les départements et territoires d’Outre mer, d’abord, pour ce qui
concerne la
continuité territoriale
. L’Etat a mis en place un dispositif financier d’aide aux
déplacements entre les DOM-TOM et la métropole. Mais contrairement à ce qui était prévu, l’Etat
finance seul ce dispositif, alors même que les collectivités concernées en déterminent les critères
d’attribution. Ainsi, outre des abus ou des effets d’aubaine, on constate que les objectifs n’ont pas
été atteints. La Cour pense qu’il faut revoir ce dispositif.
La
politique d’aide au développement agricole
ensuite, qu’il ne faut pas confondre avec la
politique d’aide au développement rural. La première, dont nous traitons, a pour objectif de mettre
au point et de diffuser dans les exploitations agricoles de meilleures techniques de production. Les
conclusions de la Cour dans ce domaine sont sévères : imprécision des objectifs, pérennisation des
financement accordés en-dehors de tout évaluation, foisonnement d’organismes faisant du
développement agricole avec des ressources publiques sans aucune coordination. Recentrage et
redéfinition des objectifs, voilà ce que recommande la Cour.
Nous abordons également
la politique de défense
par l’aspect méconnu de la participation de la
France à sept corps européens. Alors qu’ils ne représentent qu’une très faible part du budget de la
défense, ils ont été source de contentieux nombreux et longs à résoudre et sont aujourd’hui
largement sous utilisés
Il importe maintenant de statuer sur leur sort et de leur redonner,
vraisemblablement dans un autre cadre, une utilité qu’ils ont en grande partie perdue.
Nous examinons enfin dans ce rapport bien d’autres sujets qui ne font pas nécessairement les
titres des journaux mais qui montrent notre vigilance sur tout ce qui touche à la mise en
oeuvre des décisions de réforme.
Vous trouverez par exemple un chapitre plutôt sévère sur la
gestion de
l’hôpital de la prison de Fresnes
. Nous nous interrogeons également à l’occasion d’un
contrôle des
Thermes nationaux d’Aix-les-Bains
sur la pertinence de l’engagement de l’Etat dans
ce type d’entreprise.
Mais nous veillons aussi à mettre en valeur les réussites comme celle de
l’Institut national de
l’audiovisuel
, qui a réussi le pari du tout numérique et dont les comptes sont assainis.
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Enfin, la Cour et les CRC poursuivent leur examen de la fiabilité des comptes publics. Cette année
les CRC ont examiné les comptes des collèges et des lycées et préconisent à cet égard une révision
des règles applicables ainsi qu'une réorganisation de la fonction comptable dans ces établissements.
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Mesdames, Messieurs,
J’en arrive au terme de cette présentation. Je ne saurais oublier de mentionner que, comme chaque
année, le rapport annuel de la Cour des comptes est accompagné du rapport annuel de la Cour de
discipline budgétaire et financière, la CDBF, sous forme d'un fascicule distinct.
Le point est important et constitue pour moi l’occasion de rappeler que les juridictions financières
ne se contentent pas d’écrire des rapports et qu’elles ont aussi, via la CDBF, que je préside
également, la possibilité de sanctionner certains gestionnaires responsables d’irrégularités ou de
fautes graves de gestion.
A ce sujet, je dois signaler puisque j’ai parlé tout à l’heure des défaisances, que le Conseil d’Etat
vient de confirmer l’arrêt rendu par la CDBF dans le dossier d’Altus Finance, filiale du Crédit
Lyonnais, condamnant deux dirigeants à des amendes très significatives.
Le rapport annuel de la CDBF contribue à mieux comprendre cette activité de sanction, que je
souhaite par ailleurs profondément réformer et développer, conformément au souhait exprimé ici
même, dans cette Grand'chambre, par le Président de la République.
Je suis maintenant à votre disposition, avec Claire Bazy-Malaurie, présidente de chambre et
rapporteur général, les rapporteurs qui ont contribué à ce rapport annuel ainsi que Mesdames et
Messieurs les présidents des chambres concernées pour répondre à vos questions.
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