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ENTITÉS ET POLITIQUES PUBLIQUES
LES CONTRÔLES
D’IDENTITÉ
Une pratique généralisée
aux finalités à préciser
Rapport public thématique
Décembre 2023
Sommaire
Procédures et méthodes
................................................................................
5
Synthèse
.........................................................................................................
9
Récapitulatif des recommandations
...........................................................
15
Introduction
..................................................................................................
17
Chapitre I Une pratique massive,
inscrite dans un cadre juridique complexe
...............................................
19
I - Un cadre juridique et déontologique particulièrement complexe
..............
19
A -
De multiples cas d’usage prévus par la loi
......................................................
19
B - De nombreuses précisions apportées, au cas par cas,
par la jurisprudence
..............................................................................................
21
C - Un cadre déontologique général, à valeur réglementaire
................................
23
II - Une pratique massive mais mal mesurée
.................................................
25
A - Un recensement partiel des contrôles, et des sources peu fiables
...................
25
B -
Un nombre élevé de contrôles à l’échelle nationale
........................................
27
Chapitre II Des finalités à préciser, des gestes à encadrer
......................
33
I - Un déroulé variable
...................................................................................
33
A - Des pratiques diverses selon les finalités assignées aux contrôles
..................
33
B - Des critères variables pour le choix des personnes contrôlées
........................
36
II - Des contrôles peu cadrés sur le plan opérationnel
...................................
37
A - Une contribution mal décrite à la stratégie de sécurité publique
....................
37
B - Des « guides de bonnes pratiques
» peu orientés vers l’opérationnel
.............
39
III - Un encadrement inégal des agents par la hiérarchie de proximité
..........
41
A - Les OPJ manquent de temps pour superviser les agents placés sous
leur responsabilité
.................................................................................................
41
B -
Le rôle des gradés dans l’encadrement des pratiques
......................................
42
C -
Un contrôle par l’encadrement fragilisé
..........................................................
42
Chapitre III Renforcer la relation entre la police
et la population
........
47
I - Des dispositifs de signalement efficaces mais une vision globale
qui fait encore défaut
................................................................................
47
A - Des dispositifs de signalement divers mais peu utilisés
..................................
48
B - Un traitement effectif et adapté de chaque dossier, qui ne débouche pas
sur une vision globale
...........................................................................................
50
C - Une appréhension difficile de la question des discriminations
par les inspections générales
................................................................................
53
COUR DES COMPTES
4
II - Une transparence à améliorer
...................................................................
54
A - Objectiver les pratiques : des mesures déjà prévues,
à rendre pleinement effectives
..............................................................................
55
B -
L’exemple britannique des
stop and search
: modérer et expliquer
les contrôles
..........................................................................................................
57
C -
Les débats autour de la distribution d’un récépissé de contrôle
......................
58
III - Un contrôle du procureur de la République à renforcer
..........................
59
A - Un contrôle
a priori
encore très imparfait
......................................................
59
B - Un contrôle
a posteriori
également peu effectif
.............................................
61
IV - Une formation initiale à approfondir et une formation continue
et statutaire à développer
.......................................................................
62
A - Un sujet traité, partiellement, dans le cadre de la formation initiale
...............
63
B - Une formation à renforcer en cours de carrière
...............................................
64
Liste des abréviations
..................................................................................
71
Annexes
.........................................................................................................
73
Procédures et méthodes
Les rapports de la Cour des comptes sont
réalisés par l’une des six
chambres thématiques
1
que comprend la Cour ou par une formation
associant plusieurs chambres et/ou plusieurs chambres régionales ou
territoriales des comptes.
Trois principes fondamentaux gouvernent l’organisation et l’activité
de la Cour ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes,
donc aussi bien l’exécution de leurs contrôles et enquêtes que l’élaboration
des rapports publics :
l’indépendance, la contradiction et la collégialité.
L’
indépendance
institutionnelle des juridictions financières et
l’indépendance statutaire de leurs membres garantissent que les contrôles
effectués et les conclusions tirées le sont en toute liberté d’appréciation.
La
contradiction
implique que toutes les constatations et
appréciatio
ns faites lors d’un contrôle ou d’une enquête, de même que toutes
les
observations
et
recommandations
formulées
ensuite,
sont
systématiquement soumises aux responsables des administrations ou
organismes concernés ; elles ne peuvent être rendues définitives
qu’après
prise en compte des réponses reçues et, s’il y a lieu, après audition des
responsables concernés.
La
collégialité
intervient pour conclure les principales étapes des
procédures de contrôle et de publication. Tout contrôle ou enquête est confié
à
un ou plusieurs rapporteurs. Le rapport d’instruction, comme les projets
ultérieurs d’observations et de recommandations, provisoires et définitives,
sont examinés et délibérés de façon collégiale, par une formation
comprenant au moins trois magistrats. L’
un des magistrats assure le rôle de
contre-rapporteur et veille à la qualité des contrôles.
Sauf pour les rapports réalisés à la demande du Parlement ou du
Gouvernement, l
a publication d’un rapport est nécessairement précédée par
la communication du projet de texte, que la Cour se propose de publier, aux
ministres et aux responsables des organismes concernés, ainsi qu’aux autres
personnes morales ou physiques directement intéressées. Leurs réponses
sont présentées en annexe du texte de la Cour.
1
La Cour comprend aussi une chambre contentieuse, dont les arrêts sont rendus publics.
COUR DES COMPTES
6
La présente enquête a été réalisée par la quatrième chambre de la
Cour,
à la demande de la Défenseure des droits.
Au niveau national, les contrôles ont principalement porté sur les
directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, ainsi
qu’auprès de
la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère
de la justice. Des entretiens ont été menés avec
l’inspection générale de la
police nationale ainsi qu’avec
les services de la Défenseure des droits en
charge de la déontologie de la sécurité.
Les éléments quantitatifs du rapport se fondent sur l’analyse de
données issues du système d’information
Pulsar
(système de suivi de
l’activité au sein de la gendarmerie nationale) et de la
main-courante
informatisée
(police nationale), ainsi que des historiques de consultation du
fichier des personnes recherchées et du système national du permis de
conduire. Ces analyses ont été conduites avec l’aide du service des
technologies et des systèmes d’information de la séc
urité intérieure, de la
délégation à la sécurité routière du ministère de l’intérieur, de la direction
nationale de la police judiciaire (pour la police nationale) et de la direction
des opérations et de l’emploi (
pour la gendarmerie nationale).
Des contrô
les sur place ont également été réalisés auprès d’unités de
la police nationale et de la gendarmerie départementale (dans les Pyrénées-
Orientales,
l’
Essonne et le X
ème
arrondissement de Paris), ainsi que dans des
écoles de formation des élèves gendarmes (Dijon) et gardiens de la paix
(Oissel).
Ils ont été complétés par des entretiens avec les parquets de Paris et
de Créteil, et par une rencontre avec les associations « Espoir 18 » et
« Réseau égalité, anti-discrimination et justice interdisciplinaire (REAJI) »,
ainsi qu’avec des chercheurs du centre de recherche sociologique sur le droit
et les institutions pénales (CESDIP).
PROCÉDURES ET MÉTHODES
7
Une étude du modèle britannique, qui se démarque notablement de
l’organisation et de l’action des forces de sécurité intérieure fran
çaises,
apporte une mise en perspective de nombreux sujets abordés dans le rapport.
Elle se base à la fois sur la littérature disponible et, grâce au concours du
service de sécurité intérieure de l’ambassade de France au Royaume
-Uni,
sur des échanges nombreux et approfondis avec les parties prenantes du
modèle policier britannique ainsi qu’
avec la directrice du
Scottish Institute
for Policing Research
.
La chambre a auditionné M. Veaux, directeur général de la police
nationale, accompagné de Mme Brunner, directrice nationale de la sécurité
publique, et Mme Thibault-Lecuivre, directrice, cheffe
de l’inspection
générale de la police nationale, respectivement le 11 et le 13 septembre 2023.
Le projet de rapport a été préparé, puis délibéré le 25 septembre
2023, par la quatrième chambre de la Cour, présidée par M. Charpy,
président de chambre, et composée de Mme Mercereau, M. Chatelain,
M. Spilliaert, M. Michelet, conseillère et conseillers maîtres, M. Lauga,
conseiller maître en service extraordinaire.
Il a été examiné et approuvé le 17 octobre 2023 par le comité du
rapport public et des programmes de la Cour des comptes, composé de
M. Moscovici, Premier président, M. Rolland, rapporteur général du
comité,
Mme Podeur,
M.
Charpy,
Mme
Camby,
Mme Démier,
Mme Hamayon et M. Meddah, présidentes et présidents de chambre de la
Cour, M. Lion, président de section, représentant M. Bertucci, président de
chambre de la Cour, M. Michaut, M. Lejeune, M. Advielle, Mme Daussin-
Charpantier et Mme Renet, présidentes et présidents de chambre régionale
des comptes et M. Gautier, procureur général, entendu en ses avis.
Les rapports publics de la Cour des comptes sont accessibles en ligne
sur le site internet de la Cour et des chambres régionales et territoriales des
comptes : www.ccomptes.fr.
Ils sont diffusés par La Documentation Française.
Synthèse
Sollicitée par la Défenseure des droits en application de ses
prérogatives
2
, la Cour a conduit une enquête visant à analyser la pratique
des contrôles d’identité, régulièrement questionnée dans le débat public.
La saisine de la Défenseure des droits relevait le triple constat de l’absence
de traça
bilité des contrôles, d’un cadre légal insuffisamment protecteur
face aux discriminations («
contrôles au faciès
») et d’une absence de
contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Sa demande portait notamment sur
le nombre de contrôles d’identité réalisés et l’analyse qualitative de ces
contrôles (fondements juridiques, effets sur la délinquance, effets sur la
population notamment en matière de confiance dans les forces de l’ordre).
La Cour s’est efforcée de prendre en compte ces questionnements.
Un cadre juridique complexe
Le code de procédure pénale, aux articles 78-2 et suivants, prévoit
de nombreux motifs de recours aux contrôles d’identité. Ces contrôles, qui
relèvent de la police judiciaire comme de la police administrative, peuvent
être conduits
à l’
initiative des forces de police et de gendarmerie ou sur
réquisition écrite du procureur de la République. Ce cadre est à la fois riche
et peu prescriptif ; il a été progressivement précisé sur des cas concrets par
la jurisprudence, afin d’orienter le disc
ernement des agents dans le choix
des personnes contrôlées et d’harmoniser les pratiques.
Ce cadre, dont la complexité ne facilite pas la compréhension par
les agents chargés de le mettre en œuvre
, est complété par un ensemble de
règles déontologiques applicables plus généralement aux policiers et aux
gendarmes, et qui ont une portée réglementaire depuis 2014. Elles
décrivent les grands principes de l’interaction entre les forces de sécurité
et la population, et affirment les principes de non-discrimination dans la
détermination des personnes à contrôler et de respect de la dignité des
personnes lors du contrôle.
2
Article 19 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des
droits : «
Le Défenseur des droits peut demander au vice-président du Conseil d
État
ou au Premier président de la Cour des comptes de faire procéder à toutes études
».
COUR DES COMPTES
10
Une pratique massive, mais mal mesurée
Malgré les lacunes importantes de l’information disponible, l
a Cour
s’est attachée à évaluer le nombre de contrôles d’identité menés chaque
année. Il ressort de ces travaux que la gendarmerie nationale a contrôlé
environ 20 millions de personnes en 2021, dont 8,3
millions au titre d’un
contrôle routier. Pour sa part, l
a police nationale a réalisé de l’ordre de
27
millions de contrôles d’identité
la même année, dont 6,6 millions de
contrôles routiers. Le nombre de contrôles réalisés en 2021 en France
approcherait donc 47 millions, soit en moyenne neuf contrôles par
patrouille et par jour. Cette valeur ne présente
pas d’écart significatif par
rapport à la tendance observée depuis 2018
3
. L’estimation réalisée par la
Cour reste toutefois entachée de nombreuses incertitudes, à la hausse
comme à la baisse, du fait du caractère indirect et peu consolidé des
données exploitées, comme de divers biais qui les affectent.
Les travaux de la Cour confirment ainsi la place centrale des
contrôles d’identité dans les actions de la police et de la gendarmerie
nationales relevant de la sécurité publique, tant par le nombre de contrôles
réalisés chaque année, que par la multiplicité des objectifs auxquels ils
répondent. Pourtant, malgré cette place centrale, les forces de sécurité ne
se sont pas donné les moyens de recenser de manière exhaustive les
contrôles réalisés
ni d’en comprendre les motifs et d’en analyser les
résultats. Cette situation est d’autant plus
surprenante que la pratique des
contrôles
d’identité fait l’objet d’un débat de longue date dans l’opinion
publique. Approfondir la connaissance quantitative des contrôles réalisés
leur nombre, mais également leur localisation géographique et leur fondement
juridique
est donc fondamental pour bien mesurer les modalités
d’exercice
de cette pratique.
Les objectifs poursuivis par les contrôles
et les conditions de leur réalisation sont peu définis
La nécessité opérationnelle des contrôles d’identité fait l’objet d’un
consensus unanime au sein des forces de sécurité intérieure. Pourtant, elles
n’ont pas mené de réflexion approfondie sur les condi
tions concrètes
d’emploi de cette pratique, envisagée comme un simple outil. Le contrôle
d’identité est ainsi devenu un acte technique courant mais sa place n’a pas
réellement été définie dans les actions de la police et de la gendarmerie, ni
son impact sur la relation police-population mesuré. De surcroît, le déroulé-
type d’un contrôle d’identité n’est pas précisément défini, ni décliné dans
3
Seules les périodes de confinement consécutives à la pandémie de covid-19 présentent
des variations importantes du nombre de contrôles.
SYNTHÈSE
11
des supports pédagogiques à destination des agents : ces derniers se
concentrent en effet sur le cadre juridique des contrôles. La réglementation
ne fixe pas non plus de manière précise les actes autorisés selon les cas de
contrôle, ce qui peut entraîner des dérives dans les pratiques quotidiennes.
Dans ces conditions, le mentorat des plus jeunes et, plus
généralement, l
’encadrement des agents de voie publique
par des gradés
expérimentés, sont déterminants. Ils se heurtent toutefois, dans la police
nationale, aux difficultés d’encadrement hiérarchique liées à la réduction
du nombre d’officiers,
non compensée par une montée en compétence des
gradés et des gardiens de la paix. Dans la majorité des cas, seuls les
contrôles dont les agents estiment eux-
mêmes qu’ils doivent être portés à
la connaissance de leurs supérieurs immédiats font donc l’objet d’une
attention hiérarchiq
ue. Les officiers de police judiciaire n’exercent quant à
eux un contrôle que sur les cas débouchant sur des suites judiciaires. Cela
rend certaines dérives indétectables.
Des dispositifs de signalement et de contrôle effectifs mais peu
utilisés, un effort de transparence encore à renforcer
Lorsque la conduite d’un policier ou d’un gendarme est perçue
comme inappropriée lors d’un contrôle d’identité, le public peut recourir
aux plateformes de signalement administrées par les inspections générales
de la police et de la gendarmerie nationales, ou saisir le Défenseur des
droits
4
. Ces voies de recours, qui ne sont pas spécifiques aux contrôles
d’identité, restent toutefois peu utilisées dans ce cas précis
: seules
quelques centaines de dossiers sont traités chaque année, essentiellement
par le biais de la plateforme de signalement de l’inspection générale de la
police nationale. La Cour a pu vérifier, en sélectionnant un échantillon de
dossiers, que leur traitement est effectif. Toutefois, le suivi de ces dossiers
relève avant tout des services concernés, sans analyse globale ni retour vers
l’inspection générale. Il en résulte une
capacité limitée de cette dernière à
disposer
d’
une appréciation globale du respect de la déontologie lors des
contrôles d’identité
.
En particulier, les inspections générales ne sont dotées d’aucun outil
permettant de surveiller le caractère discriminatoire ou non des contrôles.
Ce
manque
pénalise
d’autant
plus
leurs
capacités
de
contrôle
déontologique que les statistiques ethniques sont interdites en France. Des
études de terrain, menées conjointement par des universitaires et les
4
Il peut aussi déposer une plainte, notamment auprès du procureur de la République.
COUR DES COMPTES
12
inspections générales, pourraient le cas échéant être développées pour
répondre à ce besoin.
Le contrôle par le procureur de la République des demandes de
réquisition émises par les forces de sécurité intérieure doit aussi permettre
de vérifier,
a priori
, la légitimité des opérations envisagées et,
a posteriori
,
leurs résultats. En pratique, ce contrôle est très limité, essentiellement par
le peu de temps que les parquets peuvent y consacrer. Le déploiement de
la procédure pénale numérique et l’exploitation des données issues des
comptes rendus d’opération pourraient renforcer la transparence de ce
cadre d’exercice des contrôles, apprécié par les forces de séc
urité comme
par les magistrats pour sa robustesse juridique.
Enfin, diverses évolutions introduites ou envisagées dans les
pratiques des policiers et gendarmes contribuent à améliorer la
transparence dans la réalisation des contrôles d’identité. Parmi cell
es-ci, le
port d’un numéro d’identification, dit «
RIO », a été introduit en 2014 mais
cet identifiant reste encore, dans de nombreux cas, peu visible. Par ailleurs,
les difficultés initiales de déploiement des caméras-piéton à partir de 2017,
comme les modalités actuelles de leur utilisation, ont affecté leur
appropriation par les agents. Ce nouvel outil ne permet donc pas encore de
sécuriser les pratiques, notamment en cas de contestation. Son utilité se
concentre pour le moment sur l’effet de désescalade
induit, en cas de
contrôle conflictuel, par le déclenchement de l’enregistrement vidéo.
De ce point de vue, l’expérimentation décidée en 2017 pour un an
5
,
qui visait à enregistrer systématiquement les contrôles d’identité afin d’en
évaluer le nombre et les circonstances pratiques, a largement manqué son
objectif compte tenu des difficultés techniques rencontrées à cette époque
avec la première génération de caméras-
piéton. La conduite d’une nouvelle
expérimentation paraît donc utile.
Des pratiques ens
eignées surtout sous l’angle juridique,
au détriment des finalités opérationnelles
L’enseignement du contrôle d’identité au moment de la formation
initiale insiste, surtout, sur leur cadre juridique et sur la sécurisation des
agents. Elle n’accorde qu’une
place réduite à l’évaluation de la nécessité
de contrôler ou non une personne dans une situation donnée. Le déroulé du
contrôle et, le cas échéant, la nécessité de réaliser des actes
complémentaires
consultation des fichiers nationaux de police,
palpations « de sécurité »
ne fait pas non plus l’objet d’une attention
5
Article 211 de la loi n° 2017-
86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté.
SYNTHÈSE
13
suffisante. Cette formation pratique est donc reportée à un apprentissage
auprès des pairs, à l’arrivée des jeunes policiers et gendarmes au sein de
leur unité.
A contrario
, une attention croissante est désormais portée, dès la
formation initiale, sur les enjeux de déontologie et de relation avec la
population, thèmes considérés par la police et la gendarmerie comme
indispensables pour la réflexion des élèves sur l’acceptabilité de leurs
pratiques. Ces enseignements mobilisent, outre leurs formateurs habituels,
de nombreux intervenants extérieurs et notamment les inspections
générales et le Défenseur des droits.
Le sujet d
es contrôles d’identité
est également abordé par certains
modules de formation continue, mais ces modules sont peu suivis : moins
de 300 policiers participent chaque année à des formations portant
spécifiquement sur les contrôles d’identité. Un si faible nombre ne permet
pas de réduire le risque de dérives locales ou individuelles des pratiques.
Pour la gendarmerie, la déconcentration de la formation continue n’a pas
permis d’établir l’ampleur du recours aux modules de formation
équivalents. Seules les formations obligatoires accompagnant certains
passages de grade offrent ré
ellement l’occasion de rappeler, au cours de la
carrière, le cadre d’exercice des contrôles d’identité.
Au terme de son enquête, la Cour formule les recommandations
suivantes.
Récapitulatif des recommandations
1.
Assurer un recensement exhaustif
des contrôles d’identité réalisés
,
notamment en s’appuyant sur les consultations de fichiers nationaux
en mobilité ou sur les déclarations de fin de service
(ministère de
l’intérieur
et des outre-mer)
.
2.
Forma
liser la doctrine d’emploi
des contrôles
d’identité et
leurs
finalités en matière de sécurité publique
(ministère de l’intérieur
et des
outre-mer)
.
3.
D
écrire le déroulé standard d’un contrôle d’identité
et les actes connexes
qui peuvent ou doivent être mis
en œuvre
dans les guides pratiques à
destination des policiers et des gendarmes
(ministère de l’intérieur
et
des outre-mer)
.
4.
Organiser périodiquement des séances de retour d’expérience avec
l’encadrement de proximité en s’appuyant notamment sur des
enregistrements issus des caméras-piéton
(ministère de l’intérieur
et
des outre-mer)
.
5.
Informer les inspections générales des suites données par les services
aux plaintes et aux signalements déposés sur les plateformes
(ministère
de l’intérieur
et des outre-mer)
.
6.
Réaliser une nouvelle expérimentation d’enregistrement systématique
des contrôles d’identité par les caméras
-piéton
(ministère de l’intérieur
et des outre-mer)
.
7.
Demander aux parquets d’enregistrer les réquisitions et les comptes
rendus de leur mise
en œuvre afin de permettre un suivi consolidé de
leur nombre, de leur étendue et de leurs résultats
(ministère de la justice)
.
8.
Renforcer la formation aux actes métiers des contrôles d’identité dans le
cadre des formations initiale et continue, notamment par le déploiement
des stages obligatoires lors des passages de grades
(ministère de
l’intérieur
et des outre-mer)
.
Introduction
Acte central dans les pratiques de la police et de la gendarmerie, les
contrôles
d’identité
font
l’objet de nombreux débats
. La Défenseure des
droits en a saisi la Cour
, afin qu’elle
engage une étude sur les conditions
de leur utilisation.
Les
cas prévus par la loi où les forces de l’ordre peuvent procéder
à
des contrôles d’identité
sont nombreux : la poursuite ou la prévention
d’infractions, la recherche de personnes ou encore la prévention d’une
atteinte à l’ordre public
.
Ils relèvent tous d’une pratique similaire,
consistant pour un agent investi de l’autorité publique, policier ou
gendarme, à demander à un particulier de justifier de son identité par tous
moyens
6
. Les contrôles douaniers et certains contrôles administratifs
relevant notamment du champ du séjour des étrangers ou de la sécurité
routière y sont assimilés par leurs modalités.
Ils peuven
t, selon les cas, être assortis d’actes complémentaires
:
palpations
de sécurité, contrôle d’alcoolémie et dépistage de stupéfiants,
consultation des fichiers nationaux. La loi laisse une grande autonomie aux
agents chargés de les réaliser, en restant pour
l’essentiel muette sur le
s
motifs qui peuvent conduire à contrôler ou non une personne et sur
l’ampleur du contrôle
. En contrepartie, ces agents doivent pouvoir justifier
«
d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner
» la menace pour
l’ordre ou la
sécurité publics les conduisant à opérer le contrôle. Comme le
rappelle le Conseil constitutionnel, «
la pratique de contrôles d’identité
généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la
liberté individuelle
»
7
. L’équilibre
entre le maintien de la sécurité
collective et la garantie des libertés individuelles, est source de nombreuses
tensions, et alimente
la contestation d’une pratique
pouvant être perçue par
une partie
de l’opinion publique
comme relevant de « dérives policières ».
La France n’est pas, de ce point de vue, un cas isolé
: de tels débats ont
cours ailleurs, notamment au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Ils reflètent
6
Ces contrôles ne peuvent pas être réalisés par les policiers municipaux (qui peuvent
toutefois relever l’identité en cas d’infractions aux
arrêtés municipaux et, dans certains
cas, au code de la route), ou par les agents de sécurité privée.
7
Décision n° 93-
323 DC du 5 août 1993, réaffirmée récemment à l’occasion de la
décision n° 2022-1025 QPC du 25 novembre 2022.
COUR DES COMPTES
18
également des enjeux plus profonds sur le rôle de la police et sur ses
relations avec les citoyens. En Fr
ance, le contrôle d’identité a également
donné lieu à un débat sur la question de contrôles jugés discriminatoires,
dits «
au faciès
».
Dans ce contexte général, la Cour s’est attachée à analyser les
conditions d’exercice
du contrôle d’identité et sa place
dans la stratégie de
sécurité publique mise en œuvre par les forces de sécurité intérieure.
Elle
s’est d’abord intéressée au cadre
juridique et déontologique applicable aux
contrôles d’identité
, et a évalué le nombre de contrôles réalisés (I). Elle a
cherché à identifier les finalités poursuivies
par l’exercice des contrôles
d’identité
, ainsi que les règles encadrant leur réalisation (II). Enfin, elle a
analysé les mesures prises ou envisagées pour améliorer les relations entre
la police et la population tant au travers du traitement des signalements,
que de la transparence des conditions de contrôle et de la formation des
agents (III).
Chapitre I
Une pratique massive, inscrite
dans un cadre juridique complexe
Le cadre juridique de
s contrôles d’identité leur assigne
de
nombreuses finalités. Les modalités de leur réalisation sont précisées par
la jurisprudence et par le cadre déontologique général applicable à la police
et à la gendarmerie nationales (I). Dans ce cadre complexe, les contrôles
d’identité constituent une pratique à la fois massive et mal mesurée
(II).
I -
Un cadre juridique et déontologique
particulièrement complexe
Les contrôles d’identité relèvent de nombreux cadres juridiques (A),
dont les modalités de mise en œuvre ont
été progressivement éclairées par
la jurisprudence (B). Leur réalisation doit également prendre en compte les
règles de déontologie applicables aux forces de sécurité intérieure (C).
A -
De multiples cas
d’usage prévus par la loi
Le
cadre juridique encadrant les contrôles d’identité est riche et
complexe. Le code de procédure pénale, en particulier son article 78-2,
prévoit ainsi une variété importante de motifs justifiant le contrôle
d’identité.
Ce dernier peut relever d
’une action
de police judiciaire,
motivée par «
une raison plausible de soupçonner
» que la personne
contrôlée a commis une infraction ou s’y prépare (contrôle fondé sur le
comportement),
qu’elle peut fournir des renseignements utiles à
une
enquête, ou qu’elle fait l’objet de mesures de contrainte ou de recherches
COUR DES COMPTES
20
judiciaires. Il peut également relever du domaine de la police
administrative,
lorsqu’il s’agit de
prévenir une atteinte à l’ordre public
.
Enfin,
en complément des contrôles d’identité réalisés d’initiative,
certains contrôles de police judiciaire peuvent avoir lieu sur réquisition
écrite du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite
d’infractions définies.
Divers autres cadres juridiques prévoient également des contrôles,
dont la réalisation peut s’apparenter à celle des contrôles d’identité
: il
s’agit notamment des contrôles routiers,
des contrôles douaniers ou encore
des contrôles aux frontières
(voir l’annexe n°
1).
Schéma n° 1 :
les différents cas de contrôles
d’identi
Source : Cour des comptes
UNE PRATIQUE MASSIVE, INSCRITE
DANS UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE
21
La grande variété des cadres juridiques d’emploi du contrôle
d’identité et la complexité de la jurisprudence qui en découle expliquent
un
recours de plus en plus récurrent aux opérations de contrôle sur réquisition
du procureur de la République. En effet, les contrôles sur réquisition du
procureur, bien que limités
dans le temps et dans l’espace, permettent
aux
agents
de conserver une marge d’appréciation importante tout en assurant
la solidité juridique d’une éventuelle procé
dure incidente. Ils nécessitent,
en contrepartie, un contrôle efficace des procureurs tant
a priori
qu’
a posteriori
.
B -
De nombreuses précisions apportées,
au cas par cas, par la jurisprudence
Le cadre juridique, qui couvre de nombreuses finalités générales,
décrit peu les conditions concrètes des contrôles. Il laisse donc aux agents
une grande
marge de manœuvre
dans l
initiative des contrôles, mais aussi
dans leur
mise en œuvre.
La jurisprudence a progressivement encadré ce
libre-
arbitre de l’agent dans le
choix des personnes contrôlées, et précisé
les pratiques.
1 -
Les grands principes du contrôle d’identité
et de
leur mise en œuvre
Le Conseil constitutionnel a ainsi, d’abord, précisé l’équilibre entre
les droits des citoyens et la prévention des atteintes à
l’ordre public
.
L
’autorité de police doit être en mesure de
«
justifier, dans tous les cas, des
circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public
qui a motivé le contrôle
»
8
. Par la suite, il a précisé qu’un contrôle
d’identité
doit être justifié par des critères excluant toute discrimination de
quelque nature que ce soit entre les personnes
9
. Sur le plan des principes
également, la jurisprudence a permis de réguler certaines pratiques, en
déterminant par exemple que la récurrence de contrôles appliqués
délibérément à une même personne sur une période déterminée est
susceptible de traduire une faute lourde du service public
10
.
8
Décision n° 93-323 DC du 5 août 1993.
9
Décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017. Voir également Cass. civ. 1e,
9 novembre 2016, n° 15-24.210, 15-24.212, 15-25.872, 15-25.873 qui a précisé les
modalités de preuve d’une telle discrimination.
10
TJ de Paris, 28 octobre 2020.
COUR DES COMPTES
22
Au-delà de ces principes, le juge judiciaire a progressivement
précisé les conditions d’exercice
des contrôles. Il a notamment permis de
définir la notion de «
soupçon plausible
», et les différents cas d
emploi
des contrôles, afin d
’encadrer
les décisions des policiers et des gendarmes.
Quelques extraits de la jurisprudence relative
à la justification des co
ntrôles d’identité
Au fil des griefs soulevés à l’encontre de contrôles d’identité,
souvent pour requérir la nullité de procédures incidentes relatives aux
infractions découvertes à cette occasion, la jurisprudence s’est enrichie de
nombreuses décisions encadrant la licéité des contrôles eux-mêmes.
Ainsi, et pour ne citer que quelques exemples, le fait pour trois
personnes
de descendre d’un véhicule, de se diriger vers le hall d’une gare
et pour l’un d’eux de se raviser et de faire demi
-tour pour remonter dans le
véhicule ne suffit pas à caractériser un comportement justifiant un contrôle
d’identité
11
. En revanche, le fait de tenter de se cacher justifie un contrôle
12
.
L
e contrôle d’identité opéré sur
une personne déambulant à
une heure du matin «
le regard voilé
» est également régulier, un tel constat
laissant présumer l’utilisation de produits stupéfiants
13
, de même que le
contrôle opéré sur une personne qui, à la vue des policiers, jette une cigarette
sentant le cannabis
14
.
C
e cadre jurisprudentiel s’enrichit, pour l’essentiel, de décisions
prises sur des cas d’espèce concrets, et vise à préciser le cadre juridique
. Il
ne se substitue pas à une nécessaire réflexion de nature plus opérationnelle,
sur les objectifs recherchés par la police et la gendarmerie nationales et sur
les conséquences des contrôles.
2 -
La délivrance des réquisitions
par le procureur de la République
Aux fins de recherche et de poursuite d
’infractions qu’il précise, le
procureur de la République peut autoriser le contrôle de l’identité de to
ute
personne, «
dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce
11
Cass. civ. 2e, 18 mars 1998, n° 96-50017.
12
Cass. civ. 1e, 17 janvier 2006, n° 03-50097.
13
Cass. crim., 7 avril 1993, n° 92-82151.
14
CA Toulouse, 21 décembre 2021, n° 22/00024
; la confusion d’odeur avec le CBD
ne semble pas à ce stade avoir infléchi la jurisprudence relative à l’établissement d’un
simple
« soupçon plausible »
CA Lyon, 21 juin 2023, n° 23/04974.
UNE PRATIQUE MASSIVE, INSCRITE
DANS UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE
23
magistrat
»
15
. Le contrôle d’identité sur réquisitions du procureur a été
conçu pour répondre à un enjeu de sécurité publique dans des zones
particulièrement sensibles, «
là où les autorités compétentes savent que des
infractions sont commises régulièrement mais sans en avoir identifié
précisément les auteurs
»
16
.
Le juge constitutionnel
a
interdit
les contrôles d’identité
«
généralisés et discrétionnaires
»
17
, ceux-ci étant incompatibles avec le
respect de la liberté individuelle. Par conséquent :
les réquisitions du procureur de la République ne peuvent retenir des
lieux et des périodes de temps sans lien avec la recherche des infractions
visées dans les réquisitions ;
le procureur de la République ne peut, en particulier par un cumul de
réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, autoriser la
pratique de contrôles d’identité généralisés dans le temps ou dans l’espace.
L’autorité judiciaire a
renforcé ces limites, en restreignant la durée
des réquisitions à 24 heures
18
ou encore en précisant que la succession
ininterrompue de trois réquisitions de contrôles d’identité dans les mêmes
lieux conduisant à un contrôle unique de trente-six heures, constituait un
contrôle généralisé dans le temps et l’espace
19
. Elle sanctionne également
de nullité les réquisitions dont le périmètre est insuffisamment justifié au
regard des atteintes à la sécurité publique constatées
20
.
C -
Un cadre déontologique général,
à valeur réglementaire
Sur le plan de la déontologie générale, une
Charte du gendarme
a
été publiée dès 2010, afin de traduire le socle commun de valeurs qui
s’impose à chaque militaire de la gendarmerie. Elle insiste sur la relation
du gendarme à la population, en l’inv
itant notamment à saisir «
toute
occasion pour rechercher le contact avec la population
» (article 18). La
charte rappelle également que le gendarme doit avoir «
une tenue, une
15
Article 78-2 du code de procédure pénale.
16
Sénat, rapport
sur le projet de loi relatif aux contrôles et vérifications d’identité,
n° 259, juin 1993.
17
Décision n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017.
18
Cass. civ. 1
e
, 13 septembre 2017, pourvoi n° 16-22.967.
19
Cass. civ. 1
e
, 14 mars 2018, n° 17-14.424 .
20
Cass. civ. 1
e
, 2 septembre 2020, n° 19-50013.
COUR DES COMPTES
24
attitude et un maintien exemplaires, manifestant ainsi de la considération
à l’
égard du citoyen et contribuant par là-même à la crédibilité de
l’Institution
» (article 16). De son côté, la police nationale dispose de
longue date d’un code de déontologie, à valeur réglementaire
21
.
Un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie
nationales a été inscrit dans le code de la sécurité intérieure en 2014.
S’
y
trouvent
certaines règles de déontologie générale s’appliquant aux contrôles
d’identité
: «
le policier ou le gendarme est au service de la population. Sa
relation avec celle-
ci est empreinte de courtoisie et requiert l’usage du
vouvoiement. Respectueux de la dignité des personnes, il veille à se
comporter en toute circonstance d’une manière exemplaire, propre à
inspirer en retour respect et considération
»
22
. Ce cadre relève d’une
approche des actes de police dite du «
traitement juste
»
23
.
En matière de lutte contre les discriminations, les dispositions de
déontologie de la police nationale et de la gendarmerie nationale prévoient
également que «
lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle
d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune
caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les
personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un
signalement précis motivant
le contrôle »
24
. Les contrôles doivent être motivés par des éléments
concrets qui peuvent relever des caractéristiques d’un lieu ou d’un moment
donné, ou encore résulter du comportement de la personne contrôlée
25
. Ces
prescriptions peuvent, dans certains cas particuliers, occasionner des
restrictions très concrètes (voir l’encadré ci
-après).
21
Décret n° 86-592 du 18 mars 1986 portant code de déontologie de la police nationale.
22
Article R. 434-
14 du code de la sécurité intérieure. Plus spécifiquement, l’article
R. 434-16 du même code prévoit que «
le contrôle d
identité se déroule sans qu
il soit
porté atteinte à la dignité de la personne qui en fait l
objet
».
23
Procedural justice
, principe selon lequel la coopération des citoyens aux actions de
police, voire l’obéissance aux lois, serait déterminée par la confiance qu’ils
placent dans
les modalités de ces actions
respect, impartialité, etc.
24
Article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure.
25
Commission nationale consultative des droits de l’homme, assemblée plénière,
Avis
sur la prévention des pratiques de contrôles
d’identité abusives et/ou discriminatoires
,
8 novembre 2016.
UNE PRATIQUE MASSIVE, INSCRITE
DANS UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE
25
Établir qu’un
e personne est étrangère sans causer de
discrimination : la jurisprudence associée
au contrôle du séjour des étrangers
Le contrôle de la situation des étrangers est autorisé «
si des éléments
objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de
l’intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d’étranger
»
26
. Ce
dispositif impose aux policiers et aux
gendarmes d’établir
un soupçon
préalable qu
’un
e personne est étrangère sans faire acte de discrimination.
Ce cadre juridique complexe rend la pratique de ces contrôles
particulièrement délicate. Ces difficultés ont donné lieu à de nombreuses
contestations, qui ont nourri une jurisprudence abondante. Elle
fait l’objet
d’un
rappel explicite dans les documents de cadrage juridique et pratique
des contrôles réalisés par la gendarmerie nationale comme par la police
nationale.
Ne sont ainsi, par exemple, pas reconnus comme des éléments
probants :
le fait d’indiquer un pays de naissance, autre que la France, sans
préciser sa nationalité lors d’un contrôle, de s’exprimer dans une langue
étrangère ou de lire un journal étranger. Il en va de même de la couleur de
peau, de la couleur et structure des cheveux, des traits du visage, de la tenue
vestimentaire, du nom de famille.
II -
Une pratique massive mais mal mesurée
À ce jour, le recensement des contrôles d’identité doit s’appuyer sur
des sources partielles et peu fiables (A). Pourtant, sa pratique par la police
comme par la gendarmerie est massive (B).
A -
Un recensement partiel des contrôles,
et des sources peu fiables
En l’absence de statistiques fiables disponibles au niveau national
,
la Cour a
tenté d’estimer
le volume des contrôles par des approches
indirectes avec
l’appui du service des technologies et des systèmes
d’information de la sécurité intérieure.
Pour ce faire, elle a croisé
les déclarations des agents, lorsqu’elles
sont disponibles, et les historiques de consultation du fichier des personnes
26
Article L. 812-
2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
COUR DES COMPTES
26
recherchées (FPR), caractéristique d’un contrôle d’identité, et du système
national des permis de conduire (SNPC), indiquant un contrôle routier. Ces
données comportent des biais :
à la hausse :
la déclaration des agents inclut des activités de contrôle de
l’accès à certains sites sensibles
. La consultation du FPR inclut
également ces activités, ainsi que des consultations relevant
d’enquêtes
judiciaires ;
à la baisse :
certains contrôles peuvent ne pas donner lieu à la
consultation des fichiers nationaux, même si le déploiement des
terminaux
Neo
a facilité l’accès
à ces fichiers ;
enfin,
en cas de contrôle routier, il n’est pas possible d’établir les cas où
les deux fichiers, FPR et SNPC, sont consultés conjointement.
La période considérée visait les années 2018 à 2022, pour lesquelles
les effets des mesures sanitaires relatives à la pandémie de covid-19 ont été
neutralisés. Cela a permis d’établir que les résultats présentés ci
-après pour
2021 sont représentatifs
d’une tendance générale.
Ces résultats n’ont par
ailleurs pas été considérés comme incohérents par les autorités de la police
et de la gendarmerie nationales.
Il convient, en tout état de cause, de lire les données chiffrées
présentées ci-après avec prudence, et de considérer
qu’il s’agit avant tout
d’en tirer des ordres de grandeur, surtout en ce qui concerne la police
nationale.
L’estimation du temps de travail
consacré aux contrôles
Les opérations de contrôle programmées et réalisées sur la base
d’une réquisition du procureur de la République font l’objet d’un
recensement spécifique dans la
main-courante de la police nationale
. La
direction nationale de la sécurité publique de la police nationale a ainsi
identifié 264 563 heures-fonctionnaires dévolues à des opérations de
contrôle d’identité
en 2021. Les informations équivalentes
pour la
gendarmerie nationale
ne sont pas disponibles. Les autres contrôles, réalisés
d’initiative, ne font pas l’objet d’un décompte global du temps travaillé
. Ils
sont ventilés dans les autres missions réalisées par ces agents.
Il n’est donc pas possible de chiffrer le coût en «
heures-agent » de
la pratique des contrôles d’identité. En outre, une approche par l’activité
reste peu appropriée, dans la mesure où un contrôle
réalisé d’initiative par
un policier ou un gendarme n’interrompt pas sa mission en cours, et n’en
constitue pas non plus la finalité première.
UNE PRATIQUE MASSIVE, INSCRITE
DANS UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE
27
B -
Un nombre élevé de contrôles
à l’échelle nationale
1 -
L’analyse des
informations de la gendarmerie nationale
La gendarmerie nationale souligne que les militaires doivent
déclarer le nombre de contrôles réalisés par ses agents, à la fin de leur
service. Elle émet toutefois des réserves quant à la fiabilité des chiffres
obtenus, et considère en particulier que les gendarmes pourraient être tentés
de sur-déclarer (pour justifier une activité importante) ou, au contraire, de
sous-
déclarer (dans les secteurs où la pratique est la plus susceptible d’être
contestée au titre d’une forme de surcontrôle) le nombre de contrô
les
effectivement réalisés.
Par ailleurs, il a été possible de filtrer les statistiques de consultation
du FPR et les déclarations issues de
l’application de suivi d’activité
de la
gendarmerie (
Pulsar
) pour écarter les services vraisemblablement peu
concer
nés par les contrôles d’identité
(gendarmeries spécialisées, sections
ou brigades de recherche, etc.). Ce filtrage a été réalisé conjointement par
la Cour et par la gendarmerie nationale.
Les données retraitées sont présentées sur le graphique ci-après.
Graphique n° 1 :
données relatives aux contrôles réalisés en 2021
par la gendarmerie nationale
Note :
à l’occasion d’
un contrôle, le FPR ou le SNPC (ou les deux fichiers) peuvent être consultés.
Ces consultations ne sont toutefois pas systématiques.
Source : Cour des comp
tes, d’après ministère de l’intérieur
COUR DES COMPTES
28
On peut déduire de ces données que la gendarmerie nationale a
contrôlé environ 20 millions de personnes en 2021, dont 8,3 millions au
titre d’un contrôle routier
.
2 -
Une approche plus estimative pour la police nationale
La police nationale, de son côté, n’inclut pas les contrôles dans les
comptes rendus d’activité
: seuls certains événements notables (constat
d’infraction, fiche de recherche, plus généralement tout élément jugé
d’intérêt particulier par le policier ayant
réalisé le contrôle
: présence d’un
e
personne déjà connue dans certains lieux ou en certaine compagnie, etc.)
sont consignés. Ces déclarations d’événement remplissent un objectif de
renseignement local, plutôt que de recensement statistique. La direction
générale émet
d’ailleurs
des réserves quant à la pertinence
d’un compte
rendu systématique des activités de contrôle, qui s’ajouterait aux autres
tâches déclaratives imposées aux agents.
Sur la base des effectifs de voie publique
27
, et du nombre de
contrôles déclarés pour la gendarmerie nationale, la Cour estime que la
police nationale réalise de l’ordre de 26 millions de contrôles par
an. Cette
estimation suppose une approche analogue, au sein de ces deux forces, de
la pratique des contrôles parmi les activités relevant de la sécurité publique.
Cependant,
la police nationale présente une vision du contrôle d’identité
visant à affirmer sa présence active sur la voie publique, tandis que la
gendarmerie nationale indique qu’elle cherche avant tout à
renforcer ses
liens avec la population par une proximité accrue, en recourant le moins
possible au contrôle d’identité.
Il est donc vraisemblable que cette
estimation soit inférieure au nombre de contrôles effectivement réalisés par
les policiers.
En ce qui concerne le fichier des personnes recherchées (FPR), seul
le nombre total de consultations a été communiqué à la Cour, la police
nationale n’ayant pas été en mesure de filtrer ces statistiques par type
d’unité. En faisant l’hypothèse
que la part de consultations relevant de la
sécurité publique est analogue à celle constatée pour la gendarmerie
nationale, on obtient pour 2021 de l’ordre de 20
millions de consultations.
L’ensemble des résultats est présenté
dans le graphique ci-dessous.
27
55 200 sous-officiers et gendarmes adjoints, hors personnel technique et
administratif, pour la gendarmerie départementale ; 77 750 policiers (hors officiers,
commissaires, et personnel technique et administratif) pour la direction nationale de la
sécurit
é publique et de l’ordre de 17
500 policiers pour la direction de la sécurité de
proximité de l’agglomération parisienne.
UNE PRATIQUE MASSIVE, INSCRITE
DANS UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE
29
Graphique n° 2 :
données relatives aux contrôles réalisés en 2021
par la police nationale
Note
: à l’occasion d’un contrôle, le FPR ou le SNPC (ou les deux fichiers) peuvent être consultés. Ces consultations
ne sont toutefois pas systématiques.
Source
: Cour des comptes, d’après ministère de l’intérieur
On peut déduire de ces données que la police nationale a réalisé de
l’ordre de 2
7
millions de contrôles d’identité
en 2021, dont 6,6 millions de
contrôles routiers.
À titre d’ordre de grandeur
et avec les réserves nécessaires, la Cour
estime à environ 47
millions le nombre de contrôles d’identité réalisées
chaque année par la police et la gendarmerie sur la voie publique ou à
l’occasion d’un contrôle routier. E
n supposant que la moitié des effectifs
de voie publique de la police et de la gendarmerie sont en patrouille par
trois, ces 47 millions de contrôles représenteraient en moyenne neuf
contrôles par patrouille et par jour. La Cour
n’a pas identifié d’estimations
antérieures, sur un périmètre comparable. En effet, les rares données
publiées concernaient les contrôles réalisés sur réquisition du procureur de
la République, sur la base de statistiques partielles
28
.
28
Sénat, rapport sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité
abusifs, n° 598, mai 2016.
COUR DES COMPTES
30
En outre, hormis dans
Pulsar
29
,
aucune donnée n’était disponible
quant à la répartition des contrôles réalisés selon les divers cadres
juridiques applicables.
Au-
delà des résultats chiffrés, c’est avant tout la difficulté dans le
recueil et la consolidation des données qui
suscite l’étonnement
, alors que
la pratique du contrôle d’identité est considérée comme centrale d
ans
l’action de la police et de la gendarmerie nationales et fait l’objet d’un
débat de longue date dans l’opinion publique. De ce fait, il
est
indispensable que la police comme la gendarmerie soient désormais en
mesure d’établir un
recensement précis des contrôles réalisés.
À cet effet, la police et la gendarmerie pourraient utilement
s’appuyer sur
les terminaux
Neo
qui servent à la consultation des fichiers
nationaux par les policiers et les gendarmes.
Afin d’améliorer ce
recensement,
l’outil de
consultation pourrait être modifié pour inviter
l’agent à préciser le
type de contrôle
qu’il est en train de réaliser
(contrôle
routier, d’identité, etc.).
29
Les déclarations de fin de service des gendarmes distinguent les contrôles réalisés sur
réquisition du procureur de la République. En 2021, cela concernait 3,2 millions de
contrôles. La police nationale ne dispose pas des informations correspondantes.
UNE PRATIQUE MASSIVE, INSCRITE
DANS UN CADRE JURIDIQUE COMPLEXE
31
___________ CONCLUSION ET RECOMMANDATION __________
Le cadre légal des contrôles d’identité
est particulièrement riche et
complexe. Par son étendue, il laisse une large place au discernement du
fonctionnaire chargé sur le terrain d’opérer les contrôles. Bien que la
jurisprudence ait progressivement précisé
les différents cas d’usage, le cadre
d’emploi des contrôles d’identité reste d’une rare complexité, en particulier pour
apprécier la validité du « soupçon raisonnable » préalable au contrôle. De ce
point de vue, la sécurité juridique
qu’offre
nt les réquisitions du procureur de la
République en fait un cadre de contrôle largement employé. À ces règles
juridiques, s’ajoute
un cadre déontologique, qui met l’accent d’une part sur la
nature des relations entre police et population, et d’autre part sur l’impératif de
non-
discrimination à l’occasion des contrôles.
Ce cadre revêt une importance
particulière pour les contrôles d’identité, par exemple en matière de contrôle du
séjour des étrangers.
Le nombre de contrôles réalisés est mal connu de la police et de la
gendarmerie nationales
: des comptages existent à l’échelle locale, sur des
périmètres variant de l’exécution d’une réquisition à l’activité d’un service
répondant à une mission bien précise. En revanche, au motif que les contrôles
d’identité sont
un outil tactique en vue de remplir des missions plus larges, il
n’en existe aucun recensement de niveau national. Cette difficulté dans le recueil
et la consolidation des données surprend, alors que la pratique du contrôle
d’identité est considérée comme centrale dans l’action de la police et de la
gendarmerie nationales et fait l’objet d’un débat de longue date dans l’opinion
publique.
Les travaux de la Cour, basés principalement sur la mise en commun des
données déclaratives de compte rendu de service des gendarmes ainsi que sur
la consultation de deux fichiers nationaux, permettent d’établir qu’en 2021,
la
gendarmerie nationale a contrôlé environ 20 millions de personnes, dont
8,3
millions au titre d’un contrôle routier et que la police nationale
a réalisé la
même année de l’ordre de 2
7
millions de contrôles d’identité
, dont 6,6 millions
de contrôles routiers
. Cela représente, en tout, de l’ordre de 4
7 millions de
contrôles en 2021
soit environ neuf contrôles en moyenne par patrouille et par
jour. Face à une telle pratique, massive, mais aussi complexe et contestée des
contrôles d’identité, la police et la gendarmerie
doivent se mettre en situation de
mesurer précisément le nombre de contrôles réalisés.
La Cour formule en conséquence la recommandation suivante :
1.
Assurer
un recensement exhaustif des contrôles d’identité réalisés
,
notamment en s’appuyant sur les consultations de fichiers nationaux en
mobilité ou sur les déclarations de fin de service
(ministère de l’intérieur
et
des outre-mer).
Chapitre II
Des finalités à préciser,
des gestes à encadrer
Les objectifs et les modalités de réalisation des contrôles d’identité
se caractérisent par leur diversité (I). Leur place dans la stratégie de sécurité
publique n’est pas clairement définie et ils sont peu cadrés sur le plan
opérationnel (II).
L’encadrement des agents qui les réalisent est
principalement assuré sur le terrain, par la hiérarchie de proximité (III)
I -
Un déroulé variable
Les finalités associées aux contrôles d’identité dépendent à la fois
des unités qui les pratiquent,
du lieu et du contexte où ils sont mis en œuvre
.
Par conséquent, leurs modalités concrètes (A) comme les critères de choix
des personnes à contrôler (B) varient également.
A -
Des pratiques diverses selon les finalités
assignées aux contrôles
Les différentes pratiques
des contrôles d’identité,
décrites à tous les
échelons de la police et de la gendarmerie nationales, participent à la
recherche de personnes, à
l’identification et
à
la prévention d’infractions
ou à
la dissuasion de certaines formes de délinquance par l’affirmation
COUR DES COMPTES
34
d’une présence active des forces de sécurité intérieure voire, dans certains
quartiers, dans une logique de «
réappropriation de la voie publique
»
30
.
Différents
modes d’action
, en matière de sécurité publique, justifient
un recours plus ou moins récurrent à la pratique des contrôles d’identité
:
l’
activité de « police-secours » est tournée presque exclusivement vers
la réponse aux demandes de la population (
numéro d’appel
d’urgence
17) et implique peu de contrôles ;
la lutte contre la criminalité, en tenue civile, occasionne des contrôles
qui ciblent des comportements précis, sur la base
d’informations
préalables qui orientent le choix des personnes contrôlées ;
les activités de « sécurité de proximité » se traduisent avant tout par la
présence sur le terrain d’agents
en uniforme, visibles et réalisant le cas
échéant des contrôles. Ceux-ci sont plus ou moins fréquents mais souvent
accompagnés de palpations. L
a recherche d’infractions
est orientée par la
connaissance générale du secteur de patrouille et de la population.
L
’importance en France de cette dernière catégorie, recouvrant les
contrôles dits «
d’
initiative
», est au cœur des débats
sur les contrôles
d’identité. Par comparaison avec l’Allemagne, dont le cadre juridique est
similaire en la matière, cette pratique est décrite par certains chercheurs
31
comme témoignant de la persistance d’une forme de
« politique du
chiffre
» menée par le ministère de l’intérieur dans la décennie 2002
-2012,
et de la prééminence des finalités de lutte contre la criminalité, au détriment
d’une approche relevant de la police de proximité.
À cette variété de finalités s’ajoute l’absence de description, dans le
code de procédure pénale ou dans les guides pratiques, des actes qu’il est
possible de réaliser selon les circonstances (palpations, consultation de
fichiers de police, etc.). Par ailleurs, et contrairement au cas des contrôles
routiers détaillé en annexe n° 1, le cadre juridique applicable à chacun de
ces actes résulte de dispositions réglementaires éparses
32
. Il en découle une
grande variabilité dans la réalisation des contrôles, et en particulier la
30
Ministère de l’i
ntérieur,
Lancement des quartiers de reconquête républicaine pour
une présence renforcée sur le terrain, une action accrue contre les trafics et une
nouvelle relation à la population
, septembre 2018.
31
J. de Maillard, D. Hunold, S. Roché, D. Oberwittler, M. Zagrodzki,
Les logiques
professionnelles et politiques du contrôle
des styles de police différents en France et
en Allemagne
, 2016.
32
Ainsi les palpations dites de sécurité sont évoquées au titre de la déontologie de la
police et de la gendarmerie nationales (code de la sécurité intérieure), tandis que la
consultation des fichiers nationaux de police n’est pas précisée autrement que par les
finalités qui leur sont assignées par leurs décrets et arrêtés constitutifs.
DES FINALITÉS À PRÉCISER, DES GESTES À ENCADRER
35
généralisation de certaines pratiques comme les palpations de sécurité (voir
l’encadré ci
-après) ou la consultation des fichier nationaux, de plus en plus
facile pour les agents dotés de terminaux numériques
Neo
voire rendue
obligatoire, durant les
contrôles d’identité, par
la gendarmerie nationale.
La recherche d’infractions et la mise en œuvre des palpations
« de sécurité »
Dans tous les cas de contrôles d’identité, la pratique de palpations
vise exclusivement la mise en sécurité de l’agent, de la personne contrôlée
et de leur environnement
33
.
La mise en place, par arrêté préfectoral, de périmètres de protection
visant à assurer la sécurité de lieux ou d’événements exposés à un risque
d’actes de terrorisme justifie un cadre juridique spécifique permettant aux
policiers et aux gendarmes nationaux de réaliser des palpations de sécurité,
des inspections visuelles et des fouilles de bagages. Ces vérifications ne sont
pas obligatoires
; les personnes refusant de s’y soumettre se voient interdire
l’accès au périmètre protégé ou sont reconduites à l’extérieur
34
.
Au-delà de ces emplois légitimes, la police nationale a décrit une
pratique du contrôle d’identité «
d’initiative
» accompagné d’une palpation
qui a tendance, selon les unités et les lieux, à se généraliser à des fins de
recherche des infractions (recherche de détention de stupéfiants,
notamment). Une telle pratique constitue un écart notable par rapport à leur
cadre réglementaire.
Au cours
d’un contrôle, la situation concrète constatée par les
policiers et gendarmes
peut d’a
illeurs occasionner un changement de cadre
juridique. À titre d’exemple, la découverte d’une forte odeur de résine de
cannabis et la présence d’un sac dans un véhicule, constatées à l’occasion
d’un simple contrôle routier, suffisent à former un «
soupçon raisonnable
»
justifiant un contrôle d’identité
35
.
De même, la présentation d’un titre
d’identité étranger, à l’occasion d’un contrôle de police administrative,
peut conduire à la vérification du droit de circulation ou de séjour.
Ces pratiques, qui témoigne
nt de l’adaptation des policiers et des
gendarmes à la
situation évolutive qu’ils rencontrent,
sont légitimes.
Cependant, elles ne sont souvent pensées
qu’
a posteriori
, en particulier au
33
Article R. 434-16 du code de la sécurité intérieure. Au contraire, les agents des
douanes sont habilités à réaliser des palpations sans restriction dans le cadre des
«
visites des personnes
»
article 60-6 du code des douanes.
34
Article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure.
35
Cass. crim., 4 novembre 1999, n° 99-85.397.
COUR DES COMPTES
36
moment de la rédaction du procès-verbal lorsque la situation le nécessite.
Se pose alors pour l’agent, rétrospectivement, la question du moment où ce
changement de cadre s’est produit et de la régularité des actes connexes
qu’il a réalisés.
B -
Des critères variables pour le choix
des personnes contrôlées
Plusieurs motifs peuvent contribuer au «
soupçon raisonnable
»
36
justifiant la réalisation d’un contrôle d’identité par les policiers et les
gendarmes. Ils se combinent de façon différente selon leurs missions :
recherche
d’une
catégorie
spécifique
d’infractions,
prévention
d’infractions,
affirmation de leur présence, etc.
Le premier motif est bien sûr le comportement de la personne
contrôlée qui a,
d’ailleurs
, donné lieu à une jurisprudence fournie, rappelée
précédemment.
Les agents sont également susceptibles de contrôler des personnes
et de leur demander de quitter les lieux. L’effet dit «
d’éviction
»
37
obtenu
par de tels contrôles a fait l’objet de contestations, en particulier lorsqu’il
est recherché à titre préventif
38
, ou lorsque les contrôles visent
spécifiquement certaines communautés
39
.
Dans d’autres cas,
par exemple sur des lieux de passage où les flux
sont plus anonymes, seront plutôt contrôlées les personnes qui se
démarque
nt, d’une manière ou d’une autre.
Des observations réalisées par
des chercheurs à la gare du Nord et dans le quartier des Halles à Paris
40
ont
permis de mettre en évidence une plus forte proportion de contrôles portant
sur des personnes présentant certains
critères d’apparence
: origine
ethnique supposée, style vestimentaire, âge, etc. Les chercheurs relèvent
toutefois qu’il est difficile d’estimer le poids
relatif de chacun des critères
pris en compte.
36
Article 78-2 du code de procédure pénale.
37
Le Défenseur des droits définit, dans sa décision n° 2020-102 du 12 mai 2020, des
«
contrôles - éviction
» dont l’objet vise à demander, en l’espèce à des regroupements
de jeunes, de «
quitter les lieux lorsque des nuisances de type tapages, salissures,
consommation de stupéfiants étaient constatées
».
38
TJ Paris, n° 19/08420, 28 octobre 2020.
39
Défenseur des droits, décision n° 2019-090, 2 avril 2019.
40
En particulier, d’objectiver sur cette seule base une forme de profilage racial –
F. Jobard, R. Lévy, J. Lamberth, S. Névanen,
Mesurer les discriminations selon
l’apparence
: une analyse des contrôles d’identité à Paris
, 2012.
DES FINALITÉS À PRÉCISER, DES GESTES À ENCADRER
37
Le contrôle des flux routiers semble, quant à lui, combiner ces
approches : peuvent ainsi être contrôlés
des véhicules à l’aspect particulier,
ou répondant à des descriptions plus précises qui correspondent à
l’expérience des policiers et des gendarmes (par exemple en matière de trafic
de drogues transfrontalier). Ces contrôles sont par ailleurs obligatoires lors
du constat de certaines
infractions ou en cas d’accidents routiers.
II -
Des contrôles peu cadrés
sur le plan opérationnel
Le recours aux
contrôles d’identité ne découle pas d’une réflexion
plus générale portant sur leur contribution aux objectifs de sécurité publique,
à l’échelle nat
ionale (A). Par conséquent, les « guides pratiques » distribués
aux policiers et aux gendarmes sont trop peu orientés vers la pratique (B).
A -
Une contribution mal décrite
à la stratégie de sécurité publique
Chacun des gendarmes et policiers rencontrés durant les travaux de
la Cour avait son idée, fruit de son expérience personnelle, pour définir et
justifier sa pratique
des contrôles d’identité
. En revanche, et contrairement
au maintien de l’ordre qui dispose désormais d’un schéma national, la Cour
n’a pas eu
connaissance d’une stratégie nationale de la sécurité publique
définie
par le ministère de l’intérieur
, dans laquelle pourraien
t s’inscrire
les
contrôles
d’identité.
De même, les finalités assignées aux contrôles sont
rarement formalisées par la hiérarchie (au travers de circulaires, de notes
de service, ou
d’
instructions etc.)
, sauf en cas d’opération coordonnée
impliquant des moyens nombreux ou récurrents, ou encore des modes
d’action spécifiques.
Ainsi, au sein de la police nationale, les seules instructions à visée
opérationnelle pouvant contenir la consigne de procéder à des contrôles
d’identité
sont établies à l
occasion d
événements particuliers (fête
nationale, réveillon du Nouvel-An, etc.). Ces instructions sont émises par
la direction nationale de la sécurité publique. La direction générale de la
gendarmerie nationale diffuse, quant à elle, des consignes
d’ordre général
afin d’orienter l’action
des unités vers certaines infractions à cibler
prioritairement au travers des contrôles. De même, la lutte contre
l’immigration irrégulière donne lieu à des
dispositifs permanents, bien
documentés, qui impliquent la réalisation de contrôles
d’identité
.
COUR DES COMPTES
38
La définition des finalités assignées aux contrôles d’identité se fait
donc avant tout au titre
du pilotage opérationnel de l’action des services, le
plus souvent au niveau local. Elle se traduit
en particulier par l’orientation
des patrouilles et des opérations de voie publique vers les zones où la
délinquance est la plus prégnante, et où la demande de sécurité est exprimée
le plus fortement par les élus et la population. Cette orientation peut, le cas
échéant, se déduire d’arrêtés préfectoraux justifiant le contrôle par les agents
de police d’une zone ou d’une interdiction, ou ressortir de consignes
moins
formalisées émises par l’autorité préfectorale ou la direction départementale
de la sécurité publique. Le choix de procéder à des contrôles d’identité peut
enfin découler des échanges issus des différents cadres d’interaction avec la
population, dont la plus structurée est le groupe de partenariat opérationnel,
instance locale mensuelle visant à recueillir les besoins de sécurité exprimés
par la population et élaborant, pour chaque problème ou besoin, une réponse
adaptée. Lorsque les contrôles prenne
nt la forme d’une opération
particulière, les orientations relatives à leur réalisation sont formalisées
par
la gendarmerie
dans des ordres initiaux.
Il apparaît cependant que les contrôles d’identité
, réalisés
d’initiative,
se concentrent en fait dans les zones concernées par des
réquisitions du procureur de la République, parfois émises de manière
récurrente, à la demande des autorités locales de police et de gendarmerie.
Les agents privilégient ces zones car la réquisition « couvre » mieux leur
action, sur le plan juridique, les exonère de justifier leur choix par le
comportement de la personne contrôlée et leur permet de constater toute
infraction à cette occasion sans risque de nullité de la procédure.
Les finalités des c
ontrôles d’identité constatées
dans le X
ème
arrondissement de Paris
L’exemple du X
ème
arrondissement témoigne de la mise en œuvre de
contrôles d’identité dans le cadre de la définition essentiellement locale des
enjeux de sécurité publique. Ceux-ci y sont employés dans plusieurs
contextes bien identifiés :
-
afin de faire respecter des périmètres d’interdiction définis par arrêté
préfectoral (par exemple la consommation d’alcool autour du canal Saint
-
Martin) ;
DES FINALITÉS À PRÉCISER, DES GESTES À ENCADRER
39
-
dans le cadre des réquisitions délivrées de manière récurrente afin de couvrir
les zones concentrant la plus forte délinquance (en particulier dans le cadre
de la lutte contre le trafic de stupéfiants, par exemple aux abords de la
« salle
de consommation à moindre risque »
de la rue Ambroise Paré) ;
-
aux
abords des gares de l’Est et du Nord, points focaux de mobilité
régionale et internationale, à la fois pour lutter contre les infractions liées
à ces flux et pour intercepter des délinquants en transit ;
-
lors de grandes fêtes prévues ou de manifestations revendicatives avec
arrêtés spécifiques, comme c’est plus généralement le cas à Paris.
Les doléances des riverains sont recueillies
via
une cellule d’écoute
et de traitement spécifique,
via
des réunions en visioconférence avec la
population ou encore
via
les remontées du délégué cohésion police-
population. Elles sont traduites en actions concrètes dans le cadre des
groupes de partenariat opérationnel.
Le recours au contrôle d’identité ne fait donc pas l’objet d’une
réflexion stratégique sur les motifs de son emploi de la part des forces de
sécurité intérieure. Un tel travail de réflexion permettrait pourtant de
replacer
les contrôles d’identité
dans le cadre plus général de la sécurité
publique, en précisant leurs finalités opérationnelles comme leur impact
sur la population.
B -
Des « guides de bonnes pratiques »
peu orientés vers l
’opérationnel
À tout le moins, la police et la gendarmerie nationales gagneraient à
clarifier
l’articulation d
es différents cadres juridiques applicables
contrôles routiers, contrôles aux frontières, contrôles de la circulation et
du séjour des étrangers,
contrôles d’identité «
à pied » ou de flux routiers
et les actes connexes autorisés.
Les grands principes
du contrôle d’identité on
t
fait l’objet d’une
formalisation réglementaire en 2014, à l’occasion de l’insertion dans le
code de la sécurité intérieure du code de déontologie commun à la police
et à la gendarmerie nationales.
Cependant cette étape n’a pas été suivie de
la définition
d’un déroulé
-type des contrôles ou «
d’
actes-réflexes » pour
les agents.
Les documents généraux portant sur les contrôles concernent
exclusivement le cadre juridique.
C’est le cas du
Guide pratique du
policier
, sur les contrôles et vérifications
d’identité, ou de l’
instruction
nationale
sur les contrôles d’identité de la gendarmerie nationale, citée
COUR DES COMPTES
40
précédemment. Sur un plan opérationnel, parmi les mémentos thématiques
distribués dès la formation initiale dans la gendarmerie, aucun n’est
consacré
à la sécurité publique ni n’aborde réellement le contrôle d’identité
dans son ensemble.
Ces guides
et instructions ne permettent donc pas d’harmoniser les
pratiques des contrôles d’identité
. La variété des pratiques justifierait
pourtant la diffusion d
un document, si possible commun à la police et à la
gendarmerie nationales, déclinant de manière simple et pédagogique les
gestes métier essentiels à leur bonne exécution. Un tel document pourrait
devenir le support d’une forme de «
pratique de référence » des conditions
de réalisation d’un contrôle, aujourd’hui seulement implicite et, par
conséquent, très hétérogène. Ce document pourrait par exemple insister sur
les principaux réflexes à entretenir lors de l’entrée en contact avec la
personne contrôlée : annonce du motif du contrôle, avertissement de
l’enclenchement de la caméra
-piéton, méthode de palpation, etc.
Le
College of policing
britannique,
chargé d’établir des pratiques de référence
Le
College of policing
, établi en 2012, a pour objet d’émettre des
instructions communes à l’ensemble des
43 polices régionales anglaises et
galloises. Il a également pour mission d’établir des
« pratiques
professionnelles autorisées »
et de diffuser les bonnes pratiques.
L’établissement de
ces
standards d’action se fait
en association avec
différents acteurs extérieurs aux forces de police, dont des chercheurs.
Ces standards encadrent les conditions d’exercice des contrôles, en
imposant aux agents de veiller à ce que les personnes soumises au contrôle
soient averties des motifs du contrôle comme de leurs possibilités de
contester les conditions de sa réalisation.
L
a publication en 2014 d’un
Best use of stop and search scheme
dans
l’objectif, politique, de rationaliser l’utilisation de ce pouvoir de police
, a
également conduit le
College of policing
à renforcer progressivement la
réflexion stratégique sur l’utilisation des
stop and search
(équivalent
britannique du contrôle d’identité
avec palpation) afin de concentrer leur
utilisation aux situations où ils sont les plus nécessaires.
L’inspection des services de police
(
His Majesty’s Inspectorate of
Constabulary and Fire & Rescue Services
) mène, en outre, des enquêtes
tous les deux ans pour évaluer le respect de ces standards par les différentes
polices régionales.
DES FINALITÉS À PRÉCISER, DES GESTES À ENCADRER
41
III -
Un encadrement inégal des agents
par la hiérarchie de proximité
L’encadrement effectif des contrôles d’identité repose sur les
officiers de police judiciaire (A), et plus généralement sur la hiérarchie de
proximité des policiers et des gendarmes (B). Dans la police nationale, cet
encadrement souffre de nombreuses difficultés liées au contexte général de
ressources humaines (C).
A -
Les OPJ manquent de temps pour superviser
les agents placés sous leur responsabilité
S
elon les dispositions de l’article 78
-2 du code de procédure pénale,
seul un officier de police judiciaire (OPJ), ou sur ses ordres et sous sa
responsabilité, un agent de police judiciaire (APJ) ou certains APJ adjoints
(visés aux articles 20° et 21-1° du même code) sont habilités à procéder à
des contrôles d’identité. Ainsi, les officiers de police judiciaire
sont chargés
explicitement
d’encadrer les agents de police ou de gendarmerie effectuant
des contrôles.
Les limites de ce contrôle résultent d
un nombre
d’OPJ
trop faible,
mis en avant dans le cadre des travaux du « Beauvau de la sécurité », et
justifiant des mesures inscrites dans la loi d’orientation et de
programmation du ministère de
l’intérieur
(LOPMI)
41
sur la généralisation
de la formation OPJ. Ce déficit alourdit la charge de travail de l’OPJ de
permanence, qui doit répondre à une multitude de sollicitations qui le
détournent du contrôle effectif des APJ et APJ adjoints. En outre, le
développement d
alternatives aux poursuites judiciaires, telles que les
amendes forfaitaires délictuelles, dont le champ d
application s
est
largement étendu ces dernières années
42
, réduit davantage les cas de
sollicitation de l
OPJ de permanence.
Contrairement à la gendarmerie nationale, la police nationale disjoint
la fonction d’OPJ de celle de commandement et d’encadrement des unités.
Cette dissociation a pour effet de réduire la supervision effective de l’OPJ
41
Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère
de l'intérieur.
42
Créées en 2016 pour certains délits routiers, elles s’appliquent à l’usage de stupéfiants
depuis 2020, et depuis 2023 à de nouveaux délits (vente à la sauvette, filouterie de
carburant, tags, intrusion dans un établissement scolaire, atteintes à la circulation des
trains, etc.).
COUR DES COMPTES
42
aux seuls contrôles débouchant sur des suites judiciaires (nécessité de retenir
quelqu’un
pour vérifier son identité, interpellation faisant suite à la
découverte d’une infraction ou d’une fiche de recherche). Ce contrôle
a posteriori
porte sur les motivations du contrôle, afin de vérifier la légalité
de la procédure qui en découle, mais peu sur les conditions dans lesquelles
le contrôle s’est déroulé. L’encadrement sur le terrain des contrôles d’identité
revient donc, dans
la police nationale, aux gradés du corps d’encadrement et
d’applicati
on (brigadiers, brigadiers chef et majors de police).
B -
Le rôle des gradés dans l’encadrement
des pratiques
Dans la police comme au sein de la gendarmerie nationale, les
gradés expérimentés jouent, auprès des agents de voie publique, un rôle
majeur pour l
encadrement des pratiques, le mentorat des plus jeunes et la
prévention des dérives. Cette hiérarchie de proximité doit
d’abord
veiller
au respect des conditions juridiques
d’exercice
des contrôles, afin d
en
garantir la validité. E
n l’absence de descriptio
n formalisée des modalités
de réalisation du contrôle, elle assure seule la transmission de ce savoir-
faire,
au risque d’introduire
certains décalages avec le cadre déontologique,
par exemple en ce qui concerne l’usage
du tutoiement (cf.
infra
, dans le
chapitre
III, l’encadré figurant au point II.A)
.
La hiérarchie de proximité doit enfin enseigner aux plus jeunes et
aux nouveaux arrivants les spécificités du terrain, pour éviter qu
ils ne se
retrouvent dans une position de confrontation avec les habitants. Les
éléments recueillis par la Cour ont en effet confirmé que deux facteurs
concourent à la réalisation des contrôles dénoncés comme litigieux, en
particulier de la part de la police nationale :
d’une part,
les patrouilles sont
souvent composées de jeunes peu gradés sans encadrement
; d’autre part,
les agents ont une faible ancienneté dans l
affectation ou connaissent mal
la population contrôlée (ce dernier cas pouvant également recouvrir
l’exemple d’unités détachées pour une mission de renfort ponctuel)
.
C -
Un
contrôle par l’encadrement fragilisé
La
réduction de l’encadrement de terrain au sein de la police
nationale, constatée par la Cour (voir l’encadré ci
-dessous), a des
conséquences directes
sur la pratique des contrôles d’identité. Face à ce
déficit d’encadrement, le contrôle de la hiérarchie se fait essentiellement
a posteriori
, par le biais des
«
gestions d’événements
»
renseignées dans la
main-courante de la police nationale
, ainsi que des procès-verbaux. On
DES FINALITÉS À PRÉCISER, DES GESTES À ENCADRER
43
constate donc une forme de «
contrôle hiérarchique inversé
» permettant
aux agents de terrain de décider du niveau d’information de leur hiérarchie.
Cette situation a notamment pour conséquence de rendre plus difficile
l’identification
d’éventuels
manquements
déontologiques,
et
plus
généralement de comportements inappropriés, notamment à l’occasion des
contrôles d’identité.
La proposition n° 36 du rapport dit « Vigouroux »
43
de redéployer, dans certaines zones sensibles, l
encadrement policier dans
des fonctions opérationnelles est donc fondamentale. Le recrutement des
8 500 policiers et gendarmes annoncés en septembre 2022 par la Première
ministre doit pouvoir contribuer à cet objectif.
La gestion des ressources humaines, a
u cœur des difficultés
de la police nationale
44
À l’occasion de travaux récents, la Cour a constaté les difficultés
induites par la réduction du corps des officiers non compensée par une
montée en compétence des gradés et des gardiens de la paix. La direction
générale de la police nationale estimait alors que, du fait des départs en
retraite, la stabilisation du corps des officiers à son niveau de 2021 (autour
de 8 000
agents) n’interviendrait qu’en 2023, ce malgré l’accélération
sensible du recrutement. L’a
ugmentation des effectifs dans les grades
supérieurs du corps d’encadrement et d’application oriente ceux
-ci vers des
fonctions de soutien et de direction, au détriment de tâches de
commandement et de terrain.
Enfin, les modalités d’affectation et de mutat
ion conduisent à diriger
la grande majorité des élèves juste sortis d’école vers l’agglomération
parisienne,
où l’exercice des missions est difficile. De ce fait, la baisse du
niveau d’encadrement y est particulièrement sensible, les policiers à
encadrer étant plus jeunes et moins expérimentés, et cherchant à quitter la
région dès leur changement de grade. La Cour a détaillé ce constat dans son
rapport consacré à la Préfecture de police en 2019
45
. La baisse des effectifs
d’officier
s y est par ailleurs accentuée (- 40 % entre 2010 et 2018,
contre -26
% pour l’ensemble de la police nationale).
43
Rapport sur
La lutte contre les discriminations dans l
action des forces de sécurité
produit en juillet 2021 par Christian Vigouroux, président de section honoraire au
Conseil d’État et Florian Roussel, maître des requêtes au Conseil d’État, avec le
concours des inspections générales de l’administration, de la justice, de la police et de
la gendarmerie nationales.
44
Cour des comptes,
La gestion des ressources
humaines au cœur des difficultés de la
police nationale
, note sur les enjeux structurels pour la France, novembre 2021.
45
Cour des comptes,
La préfecture de police de Paris : réformer pour mieux assurer la
sécurité dans l
agglomération parisienne
, rapport public thématique, décembre 2019.
COUR DES COMPTES
44
Afin de renforcer le rôle de l’encadrement de proximité, et
l’apprentissage par les pairs, il semble enfin essentiel de développer la
pratique du débriefing en fin de patrouille
et du retour d’expérience
ultérieur.
Il n’existe à ce jour pas assez d’incitation au retour d’expérience, rendu
également difficile par la forte sollicitation des unités. Un travail de
sensibilisation des cadres de la police et de la g
endarmerie à l’importance
de
cette pratique, en particulier fondé sur les images des caméras-piéton, doit
être mené.
DES FINALITÉS À PRÉCISER, DES GESTES À ENCADRER
45
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Les contrôles d’identité sont mis en œuvre de manière extrêmement
variée, selon les finalités auxquelles ils contribuent, et sont associés à divers
actes connexes. Les règles applicables ne définissent pas la substance des
contrôles eux-mêmes. Il en résulte que des palpations de sécurité sont parfois
réalisées pour
la recherche d’infractions
. La consultation des fichiers
nationaux de police, quant à elle, se généralise à de nombreux types de
contrôles. En outre, la superposition de différents cadres juridiques
applicables à une même situation concrète, ou la transition plus ou moins
explicite de l’un à l’autre
, posent la question de leur articulation.
L
’attention est
trop souvent focalisée sur la déclinaison des cadres
juridiques, au détriment d’une réflexion approfondie sur les finalités
opérationnelles qui sont assignées aux contrôles ou sur leurs effets, au
service tant de la sécurité publique que de la qualité de la relation entre la
police et la population. Il en va de même pour les guides pratiques mis à la
disposition des policiers et des gendarmes, qui ne décrivent pas le
déroulement concret des contrôles selon les objectifs qui leur sont assignés.
Enfin, les rôles de contrôle des officiers de police judiciaire et
d’encadrement de la hiérarchie intermédiaire sont mis à mal et
s’apparentent dans certains cas à une forme de «
contrôle hiérarchique
inversé » où les agents eux-mêmes déterminent les informations portées à
l’attention de leur hiérarchie immédiate. Cela est particulièrement vrai
pour la police nationale, notamment dans certaines zones où l
’insuffisance
des ressources humaines comme la sollicitation importante de tous
empêchent
la mise en œuvre d’une forme efficace de débriefing et de retour
d’expérience. Ce déséquilibre, souvent perçu dans les zones les plus
sensibles, peut contribuer à la montée des tensions et favoriser un exercice
moins maîtris
é des contrôles d’identité.
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes :
2.
f
ormaliser la doctrine d’emploi d
es contrôles
d’identité et
leurs
finalités en matière de sécurité publiqu
e (ministère de l’intérieur
et des
outre-mer)
;
3.
décrire
le déroulé standard d’un contrôle d’identité
et les actes
connexes qui peuvent ou doivent être mis en œuvre
dans les guides
pratiques à destination des policiers et des gendarmes (ministère de
l’intérieur
et des outre-mer) ;
4.
organiser périodiquement des s
éances de retour d’expérience avec
l’encadrement de proximité en s’appuyant notamment sur des
enregistrements issus des caméras-piéto
n (ministère de l’intérieur
et
des outre-mer).
Chapitre III
Renforcer la relation entre la police
et la population
Diverses pistes peuvent être envisagées pour améliorer la pratique
des contrôles d’identité
: le développement des activités des inspections
générales, sur la base des procédures existantes de traitement des plaintes
et des signalements (I), ou encore le renforcement des bonnes pratiques
visant à améliorer la transparence des actions
des forces de l’ordre
(II).
De même, les contrôles exercés par les procureurs de la République
sur
la délivrance et le suivi de l’exécution de réquisitions (III), ainsi que la
formation initiale et continue des policiers et des gendarmes (IV) revêtent
une importance particulière.
I -
Des dispositifs de signalement efficaces
mais une vision globale qui fait encore défaut
Sur
l’injonction d’un agent des forces de sécurité intérieure, il n’est
pas possible de se soustraire au contrôle d’identité. En contrepartie,
plusieurs voies existent
a posteriori
pour quiconque s’estimerait victime
d’un contrôle discriminatoire
, abusif ou qui aurait donné lieu à des
comportements inappropriés des policiers ou des gendarmes.
COUR DES COMPTES
48
A -
Des dispositifs de signalement divers
mais peu utilisés
Plusieurs voies sont possibles pour signaler un contrôle perçu
comme inapproprié :
le dépôt d
’une plainte, auprès d’un service de police ou de gendarmerie
ou directement auprès du procureur de la République. Ce dernier peut
saisir un service enquêteur local ou, plus rarement,
l’inspection générale
concernée
46
, en vue d’éventuelles suites judiciaires
;
la saisine du Défenseur des droits, au titre de ses missions relevant de la
déontologie des professionnels de la sécurité. Les services du Défenseur
des droits recueillent alors tout élément utile auprès des inspections
générales
47
;
enfin,
le dépôt d’un
signalement sur les plateformes administrées par les
inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales.
Le tableau ci-dessous indique le volume des dossiers traités par les
inspections générales
sur la base d’un
signalement
ou d’une
saisine. Les
statistiques relatives aux contrôles routiers sont analogues pour la
plateforme de signalement de l’
inspection générale de la police nationale
(IGPN), tandis que le Défenseur
des droits n’a pas été saisi en la matière
en 2021 et 2022.
46
Direction des affaires criminelles et des grâces,
rapport annuel du ministère public
2020
.
Compte tenu de leurs moyens limités comme d’une organisation graduée de la
prise en compte des manquements à la déontologie, les inspections générales se
concentrent sur les faits particulièrement graves ou révélateurs de dérives systémiques.
47
Notamment : tous documents cadrant le contrôle (en particulier, le cas échéant, la
réquisition du procureur de la République) ; les comptes rendus des agents impliqués ;
les historiques de consultation des fichiers nationaux ; les enregistrements vidéo.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
49
Tableau n° 1 :
dossiers traités par les inspections générales,
visant des contrôles d’identité
2018
2019
2020
2021
2022
Police
nationale
Signalements
n.d.
n.d.
n.d.
311
218
Saisines du Défenseur
des droits
8
5
2
21
14
Gendarmerie
nationale
Signalements
1
-
2
1
4
Saisines du Défenseur
des droits
-
-
-
1
-
Note : pour la police nationale, les signalements recensés couvrent la période débutant au premier
mars 2021 ; les signalements précédents sont effacés compte tenu de considérations relatives à la
protection des données personnelles.
Source : inspections générales de la police et de la gendarmerie nationales
Le nombre de saisines et de signalements visant des contrôles
d’identité
reste très faible
, au regard de l’importance de cette pratique
, alors
que ces plateformes sont largement utilisées
dans d’autres contextes
48
. Le
très faible taux de recours constaté en général face à des présomptions de
discriminations est sans doute une des explications à apporter à cet état de
fait (voir l’encadré ci
-après). Ont également été invoquées, plus
spécifiquement
pour les contrôles d’identité
,
des difficultés d’accès au
droit ou un défaut
de confiance dans l’indépendance des
inspections
générales.
Un sondage réalisé à la demande du Défenseur des droits en 2017
49
a dressé un panorama plus nuancé. Il en est en effet ressorti que 29,3 % des
contrôles réalisés occasionnaient une conduite des forces de sécurité
intérieure qui n’éta
it pas considérée comme « polie ». Il est toutefois
difficile d’en tirer des conclusions précises faute d’indication
sur le
contexte de chaque contrôle.
48
En matière
plus généralement de déontologie de la sécurité, les rapports d’activité
respectifs pour 2021 font apparaître que 2 508 dossiers ont été transmis au Défenseur
des droits (périmètre englobant également les douanes, l’administration pénitentiaire,
les services de sécurité privée, etc.), 4
330 signalements (recevables) à l’inspection
générale de la police nationale et 987 signalements (recevables) à l’inspection générale
de la gendarmerie nationale.
49
Enquête sur l’accès aux droits, volume 1 –
relations police/population : le cas des
contrôles d’identité
, février 2017 (823 répondants pour cette question).
COUR DES COMPTES
50
Des recours peu nombreux face aux présomptions
de discriminations
La « mission Vigouroux »
50
a relevé, de manière générale, une forte
sous-déclaration des présomptions de pratiques discriminatoires : toutes
situations confondues, environ 12 000 plaintes ont été enregistrées par les
forces de sécurité intérieure en moyenne chaque année sur la période 2018-
2020. Il en ressort également
qu’environ 7
% des plus de 14 ans s’estimaient
victimes de telles pratiques en 2018 et 2019. Le taux de plainte peut donc
être estimé à environ 0,6 %.
Les principales raisons avancées pour expliquer cette sous-
déclaration sont,
d’une part
, le sentiment des personnes concernées
qu’elles
devront déployer beaucoup d’énergie pour des résultats aléatoires
, surtout
en l’absence de témoins
et,
d’autre part,
leur crainte de subir des représailles
en particulier lorsque les faits de discrimination présumée sont survenus en
milieu professionnel.
Le faible nombre de dossiers reçus, répartis entre les plateformes de
signalement des deux inspections générales et le Défenseur des droits,
justifie l’intérêt de maintenir
ces différentes voies de recours afin de
faciliter les signalements. Certains cas donnent lieu à la fois à un
signalement et à une saisine, concurremment ou successivement. Les
éléments recueillis ont toutefois permis de constater que les directions
départementales de sécurité publique concernées étaient en mesure
d’identifier ces cas de saisine multiple.
B -
Un traitement effectif et adapté de chaque
dossier, qui ne débouche pas sur une vision globale
Environ 95
% des signalements recueillis par l’inspection générale
de la police nationale
se traduisent par l’ouverture
d’un dossier
. Les
quelques cas restants relèvent du regroupement de plusieurs signalements
au sein d’un même dossier, ou
de
la difficulté de recontacter l’auteur du
signalement. Ces dossiers peuvent être transmis aux services concernés
pour simple information, ou pour attribution, selon leur gravité estimée par
l’inspection générale.
50
La lutte contre les discriminations dans l
action des forces de sécurité
, juillet 2021.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
51
Tableau n° 2 :
suites
données par l’inspection générale de la police
nationale aux signalements concernant des contrôles
2021 *
2022
Contrôles d
’identité
Signalements
311
218
Dossiers ouverts
Soit % des signalements
299
96 %
214
98 %
Dont dossiers transmis pour
attribution
Soit % des dossiers ouverts
80
27 %
48
22 %
Contrôles routiers
Signalements
381
467
Dossiers ouverts
Soit % des signalements
367
96 %
441
94 %
Dont dossiers transmis pour
attribution
Soit % des dossiers ouverts
66
18 %
49
11 %
Note : les signalements recensés couvrent la période débutant au 1
er
mars 2021 ; les signalements
précédents ont été effacés compte tenu des dispositions relatives à la protection des données
personnelles.
Source : inspection générale de la police nationale
La préfecture de police de Paris est fortement représentée (42 % des
dossiers ouverts pour des contrôles d’identité et 33
% pour les contrôles
routiers). On retrouve ensuite le Nord et le Pas-de-Calais, le Rhône, les
Bouches-du-Rhône et les départements d
Île-de-France (hors Paris et les
trois départements de petite couronne). Cette répartition correspond dans
l’ensemble à
celle de la population en zone police.
La nature des allégations relevées par
l’inspection générale de la
police nationale est détaillée dans le graphique ci-après. Elle correspond
pour l’essentiel aux situations documentées à la fois
par les chercheurs et
dans le sondage réalisé en 2017 pour le Défenseur des droits. Les
allégations d’irrespect, de brutalité voire de violence y sont les plus
représentées,
alors
que
celles
visant
des
pratiques
ou
propos
discriminatoires sont plus rares. Leur détail est reporté en annexe n° 2, de
même que les données correspondant aux contrôles routiers.
COUR DES COMPTES
52
Graphique n° 3 :
allégations les plus fréquentes dans les dossiers
transmis pour attribution
Note : 239 allégations, relevées dans 128 dossiers transmis pour attribution sur la période allant du 1
er
mars 2021
au 31 décembre 2022 (un même dossier peut contenir plusieurs allégations).
Source :
Cour des comptes, d’après inspection générale de la police nationale
La Cour a réalisé une analyse des suites données à ces signalements,
sur la base d’un
échantillon composé de signalements sélectionnés
aléatoirement et concernant, en 2021 et 2022, les contrôles d
’identité et les
contrôles routiers relevant de la direction nationale de la sécurité publique,
d’une part,
et de la direction de la sécurité de
proximité de l’agglomération
parisienne de la préfecture de police de Paris
, d’autre part. Une attention
particulière a été accordée aux dossiers transmis aux
directions d’emploi
pour attribution.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
53
Les éléments fournis par la direction nationale de la sécurité
publique montrent que les signalements
ont fait l’objet d’une instruction
effective, qui a conduit le cas échéant à rassembler les éléments à la
disposition des services concernés (par exemple l’historique des infractions
relevées, les mentions éventuellement portées à la main-courante, ou
encore l’existence d’une plainte parallèle au signalement). Les éléments
transmis font également apparaître que, si nécessaire, des précisions ont été
demandés aux auteurs des signalements.
D’une manière générale, l
es
intéressés sont informés des suites données à leur signalement.
La direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne
réalise un traitement similaire, qui comporte presque systématiquement un
courrier au requérant et,
lorsque c’est pert
inent
, la demande d’un avis au
parquet pouvant déboucher sur une enquête judiciaire.
Toutefois, hormis le cas des saisines du Défenseur des droits, qui sont
traitées de bout en bout par les inspections générales, le traitement des
signalements relève avant tout des
prérogatives des directions d’emploi
en
matière
de contrôle interne. De ce fait, l’inspection générale de la police
nationale n’en réalise pas un suivi détaillé. De même, les inspections
générales n’ont pas connaissance des enquêtes réalisées par
des services
enquêteurs locaux, sur saisine du procureur de la République. Ces
particularités limitent la capacité des inspections générales à développer une
appréciation
globale sur le respect de la déontologie des contrôles d’identité.
C -
Une appréhension difficile de la question
des discriminations par les inspections générales
La production de statistiques ethniques est interdite en France
51
. De
ce fait, la sur-représentation de certains groupes dans la population
contrôlée, souvent dénoncée, est difficile à objectiver. Des sondages ont
permis d’établir de telles tendances, à l’échelle nationale
52
. I
l n’est
toutefois pas possible de mesurer la réalité de ce phénomène dans les lieux
où se concentrent les contrôles d’identité
.
51
Article 6 de la loi n° 78-
17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers
et aux libertés.
52
Enquête sur l’accès aux droits, volume 1 –
relations police/population : le cas des
contrôles d’identité
, février 2017 (2 418 répondants pour la que
stion de l’origine, réelle
ou supposée ; 5
112 répondants pour le critère d’âge).
COUR DES COMPTES
54
Dans une décision récente, le
Conseil d’État a jugé que les contrôles
discriminatoires ne revêtaient pas un caractère systémique ou généralisé
mais que cette pratique ne pouvait pas, pour autant, être regardée comme
se réduisant à des cas isolés
53
. Le juge administratif a fondé ce constat sur
divers témoignages et rapports, regrettant «
l’absence de traçabilité
administrative
[…]
et l’impossibilité qui en résulte de déterminer leur
nombre et leurs motifs
».
Pour autant, diverses méthodes pourraient contribuer à renforcer le
contrôle par les inspections générales des pratiques de la police et de la
gendarmerie en matière de contrôles discriminatoires :
les sondages, à l’instar de ceux déjà cités, réalisés pour le Défenseur des
droits ou pour divers organismes non gouvernementaux ou institutions
européennes ;
des recensements fondés sur une observation discrète de contrôles
d’identité dans des lieux de flux
, comme
celles mises en œuvre en 2012
par Jobard
et al.
54
;
plus généralement,
les inspections générales pourraient s’inspirer des
exp
érimentations menées dans d’autres contextes au titre de la lutte contre
les discriminations, en particulier des démarches de test de situation
testing
») mises en œuvre avec succès
pour mesurer les phénomènes de
discrimination à l’embauche, à l’accès a
u logement, etc.
55
.
Les inspections générales devraient ainsi réfléchir à la mise en place
d’outils spécifiques vis
-à-
vis des contrôles d’identité.
II -
Une transparence à améliorer
Diverses mesures sont susceptibles de rendre les conditions de
réalisation des
contrôles d’identité plus transparentes
. I
l s’agit de mesures
d’ordre général, comme l’identification des agents et l’enregistrement
vidéo de leurs actions (A), ou plus spécifiques, telles que la possibilité
d’expliquer les raisons des contrôles aux
personnes concernées (B). La
solution également évoquée, consistant à mettre en place des récépissés de
contrôle,
fait l’objet de nombreux débats (C).
53
CE, n° 454836, 11 octobre 2023.
54
En particulier, d’objectiver sur cette seule base une forme de profilage racial –
F. Jobard, R. Lévy, J. Lamberth, S. Névanen,
Mesurer les discriminations selon
l’apparence
: une analyse des contrôles d’identité à Paris
, 2012.
55
Centre d’analyse stratégique,
La discrimination saisie sur le vif : le testing
, 2007.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
55
A -
Objectiver les pratiques : des mesures
déjà prévues, à rendre pleinement effectives
Dans la période récente, deux mesures ont visé à renforcer la
transparence de l’action
de la police et de la gendarmerie nationales : le
port d’un numéro d’identification par chaque agent et le déploiement de
« caméras-piétons » équipant les agents en patrouille. Du point de vue du
contrôle d’identité, ces deux évolutions
sont censées établir une forme
d’équilibre entre contrôleur et contrôlé
.
L’identification individuelle des
policiers et des gendarmes est
prescrite depuis 2014
56
. Le port du numéro dit de RIO (référentiel des
identit
és et de l’organisation)
est censé permettre aux personnes contrôlées
d’identifier l’agent qui a procédé au contrôle, le cas échéant pour préciser
une plainte ou un signalement.
Le numéro d’identification est
toutefois peu
visible dans de nombreux cas, compte tenu notamment de la superposition
des équipements portés par les agents comme de sa petite taille
57
.
L’analyse
des signalements concernant des contrôles routiers et d’identité
fait ainsi
apparaître des
cas d’impossibilité d’identification de l’agent
mis en cause
(voir les tableaux en annexe n° 2).
Le tutoiement dans la police nationale : de la règle à la pratique
Prévu par le code de déontologie de la police et de la gendarmerie
nationales, qui a valeur réglementaire, le vouvoiement correspond aux
obligations de courtoisie et de respect de la dignité des personnes imposées
aux agents.
La police nationale tolère toutefois le tutoiement, lorsque les agents
estiment qu’il est
plus adapté aux circonstances des échanges avec la
population. Il en résulterait une plus grande proximité, facilitant
l’établissement d’un rapport favorable entre police et population.
Il convient toutefois de s’interroger, au
-
delà du fait qu’une telle
pratique ne respecte pas le cadre réglementaire explicite en la matière, sur
les difficultés que cette pratique est susceptible de poser pour le maintien
d’un rapport d’autorité nécessaire à l’exercice de leur mission par les agents.
56
Article R. 434-15 du code de la sécurité intérieure.
57
Le Conseil d’État a enjoint au ministre de l’intérieur de faire respecter le port «
effectif
et apparent
» du RIO, et «
d’en garantir une lisibilité suffisante pour le public
»
(décision n° 467771/467781 du 11 octobre 2023).
COUR DES COMPTES
56
De son côté, le port d’une caméra
-piéton permet aux policiers et aux
gendarmes d’enregistrer leurs éc
hanges avec la population, aux fins de
«
prévention des incidents au cours [de leurs] interventions
» ou de
«
constat des infractions et [de] poursuite de leurs auteurs par la collecte
de preuves
»
58
. Les enregistrements peuvent ainsi contribuer à instruire
à charge et à décharge
les éventuels signalements comportant une
allégation de conduite inadaptée
59
. Ils ont été prévus en réponse à une
propension de plus en plus forte de la population à filmer les cas qu’elle
considère relever de « violences policières ». Un effet dissuasif est enfin
relevé par la police et la gendarmerie nationales lorsque l’enregistrement
est déclenché, ce qui peut contribuer à la désescalade de situations tendues.
En pratique, la mise en place de cet équipement est toutefois récente
et partielle. L’acquisition de nouveaux modèles de caméras, plus fiables et
plus nombreux, permet désormais, selon la police et la gendarmerie
nationales,
d’équiper chaque patrouille, à défaut de chaque agent sur le
terrain. La police nationale relève néanmoins que le cadre prévu par le
législateur d’un déclenchement uniquement en cas de difficultés
60
pose en
pratique la double limite suivante :
au moment où l
’agent décide du contrôle, il n’a souvent pas de raison
particulière de penser que cette situation posera des difficultés, donc ne
déclenche pas l’enregistrement. Il est conforté dans ce choix par le fait
que les 30 secondes de vidéo qui précèdent le déclenchement sont
également archivées ;
lorsqu
’un contrôle
pose des difficultés, en particulier dans les situations
les plus graves qui peuvent comporter des risques directs pour la sécurité
des agents ou de tiers, l’agent doit prendre de nombreuses décisions dans
l’urgence et le déclenchement de l’enregistrement n’est alors plus
sa
priorité immédiate.
Les jeunes générations de policiers et de gendarmes, qui ont appris
l’emploi de ces caméras dès leur formation initiale, se les sont sans doute
bien appropriées. Il convient désormais de faire des enregistrements vidéo
un « geste réflexe » le plus largement répandu.
58
Article R. 241-1 du code de la sécurité intérieure.
59
Les inspections générales soulignent toutefois les difficultés posées par le faible délai
de conservation des enregistrements.
60
Article L. 241 alinéa 1 du code de la sécurité intérieure : «
lorsque se produit ou est
susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l
intervention ou
au comportement des personnes concernées
».
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
57
Conformément à la loi du 27
janvier 2017 relative à l’égalité et à la
citoyenneté, l’enregistrement des contrôles d’identité a été expérimentée
pendant un an, en 2017 et 2018. Cependant cette expérimentation, qui visait
à permettre de décompter les contrôles et de vérifier les conditions de leur
réalisation, a été peu concluante du fait des difficultés de déploiement puis
d’utilisation des caméras
. Sa réitération, qui nécessiterait un nouveau cadre
législatif
ad hoc
, pourrait désormais être envisagée
du fait de l’état actuel
du déploiement des caméras. Elle contribuerait fortement à éclairer le débat
national, ainsi qu’à renforcer la pédagogie et le contrôle interne.
Les directions générales de la police et de la gendarmerie nationales
y opposent des difficultés tenant aux capacités de stockage des vidéos
correspondantes ainsi qu’à la charge de travail occasionnée par leur
analyse. Leur proposition de circonscrire territorialement une telle
expérimentation doit, si elle est retenue, veiller à englober toute la diversité
des pratiques policières et des contextes locaux de sécurité publique.
B -
L’exemple britannique des
stop and search
:
modérer et expliquer les contrôles
Le Royaume-
Uni ne délivre pas de titres d’identité
à ses citoyens.
Toutefois, les polices régionales disposent de prérogatives analogues à
celles du contrôle d’identité. Il s’agit des pratiques, graduées, de
conversational encounter
, de
stop and account
(un policier arrête
quelqu’un pendant un bref moment et lui pose des questions
auxquelles il
est libre de répondre ou non)
61
et de
stop and search
(palpation à fins de
recherche d’infractions le plus souvent relatives à la possession de drogue
ou
d’armes).
Cette
dernière
pratique
représente
de
l’ordre
de
700 000 contrôles annuels au Royaume-Uni en 2020-2021
62
. Les
stop and
account
ne font quant à eux l
’objet d’aucun recensement
. Il est donc
difficile de comparer directement les statistiques françaises et britanniques.
L’approche générale retenue par les polices britanniques est celle de
la recherche de l’acceptation de son action par la population
(
policing by
consent
). Cette recherche suppose un lien renforcé avec les
local
communities
(comités de quartier). La pratique du
stop and search
étant
61
Pratique qui pourrait, e
n France, correspondre au cas des contrôles d’identité sans
palpation.
62
Home Office,
National statistics
police powers and procedures: stop and search
and arrests, England and Wales, year ending 31 Mars 2021 second edition
, mai 2022.
COUR DES COMPTES
58
considérée comme un mode d’emploi de la force
63
, sa justification fait
l’objet d’attentions particulières
rel
evant d’une forme d’analyse des
risques : le bénéfice immédiat attendu (lutte contre certaines infractions,
mais aussi parfois affirmation de la présence policière à la demande des
communautés) est mis au regard du risque associé, évalué en termes
d’imposition d’un rapport de force au détriment du lien de confiance entre
police et population. Par conséquent :
les policiers sont tenus d’expliquer oralement
la raison d
un contrôle,
chaque fois qu’ils le pratiquent
;
les contrôles avec palpation sont enregistrés systématiquement et
donnent lieu à
la remise d’un récépissé
. Les enregistrements vidéo
peuvent être contrôlés, par la hiérarchie directe puis, sur une base
anonymisée, par des
community panels
.
Cette pratique, ancrée de longue date en Angleterre et au Pays de
Galles,
a été mise en œuvre en
Écosse à compter de 2017 ; précédemment,
le cadre juridique et les pratiques y étaient proches de ceux constatés en
France. Cette réforme a occasionné une forte baisse du nombre de
contrôles. D
es organismes indépendants d’évaluation ont
également
constaté une baisse des disparités entre populations contrôlées, une
réorientation des contrôles compte tenu des exigences renforcées en
matière de soupçon préalable.
C -
Les débats autour de la distribution
d’un récépissé de contrôle
Pratiquée au Royaume-
Uni et dans certaines régions d’Espagne, la
remise d’un récépissé de contrôle d’identité a été proposée à de nombreuses
reprises en France afin de renforcer la traçabilité des contrôles, voire de
faciliter la preuve de la réalisation de contrôles répétés sur une même
personne. L’exemple des pratiques étrangères montre qu’un tel outil
concourt en réalité à
d’autres objectifs, y compris au bénéfice des forces de
sécurité intérieure :
il perm
et d’établir
des statistiques détaillées sur les pratiques de contrôle
et leurs effets, au-delà même de la relation du policier ou du gendarme
avec la personne
qu’il contrôle
;
63
Les polices britanniques sont notamment autorisées à menotter la personne contrôlée
le temps de la palpation, pour des motifs de sécurité, avec ou sans son consentement.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
59
il matérialise l’explication –
concrète et individualisée, sans remise en cause
du fondement juridique
des motivations du contrôle, à défaut d’indications
orales dont il est difficile aujourd’hui de s’assurer qu’elles sont fournies
;
le « coût opérationnel » (durée, procédure) de
l’
émission du récépissé
dissuaderait les représentan
ts des forces de l’ordre de multiplier les contrôles
.
Pour être efficace, le récépissé devrait
s’accompagner d’un
enregistrement des détails du contrôle (
notamment de l’identité du policier
ou du gendarme et de celle de la personne contrôlée). Cela suppose de
déployer un nouveau fichier à cette fin.
Au vu des constats posés par le présent rapport, ces motivations
pourraient trouver à s’appliquer en France
. Néanmoins la mise en place de
récépissés fait l’objet d’une opposition constamment rappelée du ministère de
l’intérieur, compte tenu de la charge qu’elle imposerait aux policiers et aux
gendarmes. D’autres
évolutions sont possibles
dont celles proposées par la
Cour dans le présent rapport, notamment pour la conservation et le traitement
des données des terminaux
Neo
qui pourraient avoir les mêmes effets.
III -
Un contrôle du procureur de la République
à renforcer
Le rôle du procureur de la République est central en matière de
contrôles d’identité à fins de police judiciaire, en particulier lorsque ces
contrôles sont réalisés sur sa réquisition. Ce rôle reste toutefois peu effectif,
avant (A) comme après (B) les contrôles.
A -
Un contrôle
a priori
encore très imparfait
La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la
justice a rappelé, en mars 2017, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République les dispositions et les bonnes pratiques de nature à
prévenir les contrôles d’identité d
iscriminatoires. Elle a préconisé la
vérification systématique par le procureur de la République de la régularité
juridique ainsi que de l’opportunité des demandes émanant des services de
police et des unités de gendarmerie.
Ces vérifications s’ajoutent au
x
contrôles de la mise en œuvre des réquisitions, prévus par
une consigne
ministérielle de 2014, qui impose la transmission par les forces de sécurité
intérieure
d’un compte rendu
au procureur, décrivant le nombre de
contrôles réalisés et des suites qui leur ont été données le cas échéant.
COUR DES COMPTES
60
Dans les faits, le contrôle exercé par les procureurs de la République
reste limité. En effet, l
’examen
de la légitimité des demandes de réquisition
apparaît superficiel, en raison notamment du faible temps dont disposent
les procureurs pour étudier leur motivation. À
titre d’exemple,
dans le seul
périmètre du X
ème
arrondissement de Paris, 765 réquisitions ont été
réalisées en 2022. 5 000 ont été émises la même année dans le département
du Val-de-Marne.
De ce fait, certains procureurs procèdent au contrôle des réquisitions
par échantillonnage, tandis que d’autres ont mis en place un système
d’alerte signalant les demandes inhabituelles (portant notamment sur de
nouvelles zones, ou concernant de nouvelles infractions), les autres
demandes étant systématiquement satisfaites. En outre, beaucoup de
réquisitions sont émises de façon récurrente
64
. Elles sont fondées, dans de
nombreux cas, sur une description générale de la délinquance récemment
constatée dans la zone visée, plutôt que sur une motivation spécifique du
risque pressenti pour la sécurité publique au moment de la validité de la
réquisition demandée. Les travaux de la Cour ont également permis de
relever des cas de réquisitions respectant certes la lettre de la jurisprudence,
mais pas son esprit
65
, témoignant d’un contrôle très perfectible de l’étendue
horaire des réquisitions par le procureur.
Les échanges entre procureurs de la République et représentants des
forces de sécurité intérieure sont donc essentiels pour anticiper les
demandes et pour bien les justifier. Ces échanges sont réguliers et nourris.
Ils se déroulent notamment dans le cadre des états-majors de sécurité ou au
sein des groupes locaux de traitement de la délinquance. Ces échanges
pourraient
s
intensifier
encore,
afin
de
permettre
une
meilleure
connaissance des zones concernées par les réquisitions, notamment par le
développement des visites de terrain des procureurs auprès des agents de
voie publique en charge des contrôles. Le rapport Vigouroux
66
a également
proposé de généraliser la pratique consistant pour les parquets généraux et
les parquets à déterminer des directives générales en matière de contrôles
d’identité sur leur ressort, régulièrement actualisées concernant les lieux,
la durée et la fréquence de ces contrôles. La préfecture, les forces de
sécurité intérieure et les élus locaux pourraient être associés à l’élaboration
de ce cadrage général.
64
La Cour a pu relever, lors de ses travaux, des zones couvertes par des réquisitions
suivant un rythme hebdomadaire, orientant l’organisation des patrouilles en fonction du
jour de validité de la réquisition.
65
En l’espèce, il
s’agissait d’une réquisition permanente visant une zone géographique
constante, interrompue temporellement à raison d’une heure par jour correspondant au
délai de relève des équipages de la police nationale.
66
La lutte contre les discriminations dans l
action des forces de sécurité
, juillet 2021.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
61
B -
Un contrôle
a posteriori
également peu effectif
Le nombre de réquisitions présente également une forte variabilité
d’un territoire à l’autre, de même que le nombre de contrôles que celles
-ci
occasionnent. La direction nationale de la sécurité publique, citée par le
Sénat
67
, a ainsi relevé
qu’
entre avril et septembre 2014
, dans l’H
érault et
le Val d’Oise,
128 et 2 136 réquisitions avaient donné lieu à respectivement
environ 8 900 et 10 700 contrôles.
En outre, le caractère largement « artisanal » du processus
d’émission des réquisitions ne permet pas même de consolider le nombre
et l’étendue des réquisitions prises aux fins de contrôle d’identité, ou des
contrôles réalisés sous leur couvert
68
. Un tel recensement permettrait
pourtant une meilleure transparence sur le nombre et l’étendue temporelle
et géographique des réquisitions prononcées. Le développement de la
procédure pénale numérique offre
, à cet égard, l’occasion d’une
simplification et d’une centralisation des réquisitions délivrées.
L
es obligations de compte rendu sur la mise en œuvre de la
réquisition doivent pourtant permettre aux procureurs de mesurer ses
eff
ets, notamment en vue de l’instruction d’une demande présentant des
caractéristiques proches. Aucun formalisme n’est prévu pour ces comptes
rendus mais ils présentent toujours les mêmes informations (durée, nombre
de personnes contrôlées, infractions constatées). La faible organisation de
cette procédure, et le caractère presque anecdotique de cette remontée,
indiquent
qu’elle
participe
encore
d’une
forme
de
conformité
administrative plutôt que d’un réel contrôle de la mise en œuvre des
réquisitions. Cette procédure de compte rendu, sans être alourdie, gagnerait
à être mieux structurée et centralisée.
De ce fait, la mise en œuvre des réquisitions ne fait l’objet que d’un
contrôle superficiel de la part des parquets, principalement par manque de
temps comme cela a été relevé à propos des demandes de réquisitions. Le
contrôle du procureur de la République ne s’exerce alors de manière
effective que dans les cas où les contrôles font l’objet d’une contestation,
le plus souvent parce qu’ils ont conduit à une procé
dure judiciaire.
67
Rapport sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs,
n° 598, mai 2016.
68
Certains parquets réalisent une exploitation des comptes rendus de mise en œuvre des
réquisitions. Une telle pratique n
a, toutefois, pas été constatée au sein des parquets
sollicités par la Cour.
COUR DES COMPTES
62
Le suivi des réquisitions par la préfecture de police de Paris
Compte tenu du nombre important de réquisitions émises
quotidiennement en région parisienne, la préfecture de police a mis en place
un site sur son intranet afin de donner accès aux réquisitions actives à
l’ensemble de son personnel
. Ce site consiste, pour le moment, en un
inventaire actualisé de copies numériques des actes de réquisition.
Dans la perspective d’un meilleur recensement de ces réquisitions et
des contrôles qui en découlent (nombre de contrôles, suites données), la
transformation de ce site permettrait :
-
la transcription visuelle, sur un fond cartographique, des zones
géographiques couvertes par les réquisitions ;
-
l’indication
a posteriori
des contrôles réalisés et de leurs résultats, sur la
base des télégrammes transmis au parquet ;
-
enfin,
le partage d’informations avec le
ministère public voire leur
publication, à l’instar des pratiques constatées au Royaume
-Uni
69
.
IV -
Une formation initiale à approfondir et une
formation continue et statutaire à développer
L
enjeu de la formation est central pour assurer que les policiers et
gendarmes font un bon usage de l
autonomie qui leur est consentie en
matière de contrôles. Cet apprentissage est d
abord assuré, dans le cadre de
la formation initiale (A), par l
enseignement des différents motifs légaux
de contrôle, et la formation à la pratique de ce moyen d
action. Face à de
potentielles habitudes naissant au fur et à mesure de la pratique
professionnelle des agents, notamment du fait des enjeux spécifiques à leur
lieu et unité d’affectation,
des enseignements complémentaires doivent être
régulièrement réalisés en cours de carrière, dans le cadre de la formation
continue (B).
69
Voir par exemple, le
stop and search dashboard
publié par la police métropolitaine
de Londres.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
63
A -
Un sujet traité, partiellement, dans le cadre
de la formation initiale
1 -
L
a place des contrôles d’identité dans l
a formation initiale
des gardiens de la paix et des sous-officiers de gendarmerie
Les gardiens de la paix comme les élèves gendarmes suivent une
première partie de scolarité en école d’environ
neuf mois. Les contrôles
d’identité, considérés comme une mission de base, sont abordés tout au
long de la formation. Un accent particulier est mis, de manière transverse,
sur les aspects déontologiques et le lien avec la population. Ces modules
s’appuient sur
l
’intervention des services du Défenseur des droits, de la
DILCRAH et de la LICRA
70
.
La deuxième partie de la formation initiale des policiers comme des
gendarmes prend la forme de stages en unité, et permet d’évaluer les
compétences en situation réelle. Ell
e s’effectue, pour la police nationale,
sous la responsabilité de « référents de professionnalisation » désignés
dans chaque unité. Dans un contexte de densification de la formation
initiale des gardiens de la paix, de fortes attentes sont exprimées envers ces
référents par la police nationale, qui compte notamment sur eux pour
rappeler aux membres de leurs unités les principes fondamentaux du
contrôle d’identité. L’efficacité de ce dispositif
suppose néanmoins une
formation de qualité
et idéalement commune
de ces référents et des
tuteurs de la gendarmerie, comme la Cour
l’a
récemment souligné
71
.
2 -
Une formation axée sur le cadre juridique et la sécurité
des contrôles, au détriment de leurs effets opérationnels
Les modules relatifs aux contrôles d’ide
ntité enseignés en cours de
scolarité sont riches, même si leur durée globale est relativement courte au
vu du nombre de sujets à traiter. L’addition de priorités nouvelles à la
formation conduit d’ailleurs à resserrer encore l’enseignement du socle des
connaissances les plus fondamentales. Cette phase de formation permet
d’aborder
autant le cadre juridique que les aspects techniques (vus sous
l’angle de la mise en sécurité des agents)
des contrôles d’identité
. Au-delà
des cours magistraux, les formateurs s
’appuient sur de nombreuses mises en
70
Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine
anti-LGBT
; ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme.
71
Cour des comptes,
La formation des policiers
, communication à la commission des
finances de l’Assemblée nationale, février 2022.
COUR DES COMPTES
64
situation, évaluées notamment par des psychologues qui permettent de
vérifier l’assimilation des techniques d’intervention et des cadres relationnels
enseignés.
Les formations centrées sur les contrôles d’identité appa
raissent
cependant trop focalisées sur l’apprentissage du cadre juridique et sur la
mise en sécurité des agents, ce qui est indispensable mais laisse un temps
de formation insuffisant pour les finalités opérationnelles de ces contrôles.
Il serait utile d’a
ccorder, dès la formation initiale, plus de temps à la
transmission des méthodes de raisonnement tactique, permettant aux
agents de réagir à une situation selon son contexte et son évolution. Cet axe
de formation permettrait aux agents d’envisager le contrôle d’identité en
partant des finalités qu’il doit permettre de poursuivre, et non comme un
simple mode d’action –
voire de présence
sur la voie publique. Cet
enseignement repose beaucoup, pour le moment, sur les apports des
expériences personnelles des enseignants et des anciens policiers et
gendarmes adjoints. I
l mériterait d’être plus formalisé. La mixité des
classes est donc précieuse, alors qu’elle pourrait se trouver remise en cause
du fait des évolutions possibles du format de la formation initiale
72
.
La loi d
orientation et de programmation du ministère de l
intérieur
(LOPMI)
73
prévoit de renforcer la formation initiale en école des élèves
policiers et gendarmes, en la faisant passer de huit à 12 mois. Cet
allongement
permet d’y intégrer la formation à la qualification d’officier
de police judiciaire. Elle pourrait également donner l’occasion d’aborder
les contrôles d’identité de manière plus détaillée et pratique
.
B -
Une formation à renforcer en cours de carrière
1 -
Une formation continue déconcentrée dans la gendarmerie,
des stages peu suivis dans la police
L
’exercice
professionnel a été régulièrement présenté à la Cour, à
l’occasion de ses travaux,
comme en décalage avec la formation reçue à
l’école
. C
ela renforce l’import
ance de rappels réguliers une fois en poste,
en particulier pour des gestes métiers qui peuvent se banaliser dans la
pratique de l’agent au fil du temps.
72
Notamment par la différe
ntiation de classes d’anciens gendarmes adjoints, à la
formation plus courte que celle des élèves issus du concours externe.
73
Loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d
orientation et de programmation du ministère
de l
intérieur.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
65
Du côté de la gendarmerie nationale, la formation continue est
déconcentrée au niveau des groupements, au sein desquels chaque
commandant de compagnie doit préparer un plan d’instruction. C’est donc
au plus près des unités que se déterminent les priorités de formation et les
formats proposés, dans une logique d’adaptation aux besoins locaux. Un
accès libre est laissé par le commandement des écoles, chargé de la
réalisation du contenu des formations, aux mallettes pédagogiques
dispensées lors de la formation initiale sur les sites internes de
documentation et de formation professionnelles. Des enseignements à
distance de rappel relatifs au cadre légal des contrôles d’identité sont
également proposés aux volontaires, et font parfois l’objet d’incitations
expresses au niveau national.
Il n’a pas été possible d’évaluer l’utilisation
de ces mallettes pédagogiques.
Dans la police nationale, les formations continues les plus suivies
sont celles qui sont
centrées sur l’actualisation des compétences juridiques
.
L
es formations relatives aux contrôles d’identité sous un angle plus
déontologique ou tactique rencontrent un public de plus en plus faible,
comme le montre le tableau ci-dessous.
Tableau n° 3 :
fréquentation des formations continues
portant sur les contrôles d’identité
(nombre de formés)
2017
2018
2019
2020
2021
2022
Actualisation des connaissances des OPJ,
adaptation aux réformes législatives du code
pénal et du code de procédure pénale
578
445
466
198
455
552
Actualisation des connaissances APJ, module
procédure pénale
-
-
525
629
931
546
Réactualisation des connaissances judiciaires
et contrôle de l’activité d’investigation
54
42
43
40
37
28
Les contrôles et vérifications d’identité
34
79
32
-
-
-
Les contrôles d’identité
: les différents cas
182
56
135
72
196
39
Approfondissement des compétences relatives
à la mise en œuvre du contrôle d’identité
7
8
9
44
7
2
Source : direction générale de la police nationale
Dans un cadre général où le nombre annuel de jours de formation
continue par agent est faible (entre 4,8 et 5,3 jours, tous corps confondus,
stable
depuis 2015) et où l’offre de formation est pléthorique (la police
nationale proposait, en 2022, 96 stages et parcours de formation), certaines
formations pourtant considérées comme prioritaires, dont font partie celles
COUR DES COMPTES
66
relatives aux aspects déontologiques de la pratique policière, «
ne trouvent
pas toujours leur public
»
74
. Le module «
s’approprier le nouveau code de
déontologie
» est ainsi le moins demandé des quatre modules consacrés au
management.
Dans la mesure où le contrôle d’identité est perçu comme
un élément
de base du travail policier,
l’académie de police
évoque une possible
défiance des policiers vis-à-vis de ces formations, certains agents ayant le
sentiment qu’elles viendraient sanctionner une pratique ou une déontologie
défaillantes. Une pist
e d’évolution pourrait consister en un renforcement
du sujet du contrôle d’identité
, et plus généralement des questions de
déontologie et de lien police-population, au sein de certaines formations
plus demandées parce qu’axées vers des compétences métier r
echerchées.
Une telle orientation serait d’ailleurs conforme à la présentation faite du
contrôle d’identité comme
un « couteau-suisse » répondant à des contextes
nombreux et variés.
L’incitation au suivi de formations continues devrait donc, de façon
générale, être renforcée. La pression de l’opérationnel et l’absence de
consignes en ce sens en font aujourd’hui un enjeu secondaire. Les cadres
de la police nationale pourraient cependant être sensibilisés à l’importance
du renouvellement de la formation de leurs subordonnées, et développer la
pratique de formations directement au sein des unités.
2 -
Les formations obligatoires
Seule la formation continue aux «
techniques de sécurité en
intervention
» revêt un caractère obligatoire (à raison de douze heures par
an), afin de garantir la maîtrise de l’emploi de la force publique. Elle porte
notamment sur les techniques d’intervention sur la voie publique, et sur les
techniques de défense et d’interpellation. D’après les travaux récents de la
Cour
75
, le taux de réalisation complet de cet entraînement annuel
réglementaires n’était
, en 2019, que de 24 % pour la police nationale
(14 % pour la préfecture de police de Paris) ; il se résume souvent aux
séances de tir à l’arme individuelle.
Par comparaison, au Royaume-Uni, la
pratique des contrôles d’identité fait l’objet d’une obligation spécifique de
« recyclage » annuelle, qui donne lieu à deux jours de formation.
La police nationale développe également, depuis quelques années,
des formations obligatoires pour les passages à certains grades. Ainsi, la
formation à la qualification de brigadier, composée d’un tronc commun et
74
Cour des comptes,
La formation des policiers
, précité.
75
La formation des policiers
, précité.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
67
de cinq parcours de qualification (selon l’option retenue par le candidat),
aborde la thématique des contrôles d’identité de manière tran
sverse. Les
voies d’avancement au sein du corps d’encadrement et d’application ont,
plus généralement, été profondément réformées en 2022 afin d’insister sur
les compétences managériales des gradés de la police nationale. Ce
nouveau dispositif doit notamment permettre de renforcer la capacité
d’encadrement par les gradés des agents en charge des contrôles d’identité
.
L
’accès au grade de commandant est également conditionné au suivi d’un
stage de formation professionnelle. Les contrôles d’identité y sont abo
rdés,
sous un angle essentiellement déontologique.
Cette volonté de la police nationale de développer des stages
obligatoires pour le passage à certains grades constitue une initiative
importante pour renforcer la maîtrise des contenus rappelés aux agents au
cours de leur carrière. En matière spécifiquement de contrôles d’identité,
elle offre des occasions, régulières et indispensables
76
, de « recyclage » des
compétences fondamentales et de rectification des pratiques.
Dans la gendarmerie, le centre national de formation à la sécurité
publique propose des stages de préparation à un futur emploi, en particulier
dans la perspective d’un changement de grade ou d’une prise de
commandement. Ces formations, qui relèvent d’obligations statutaires,
permettent des rappels utiles, notamment sur les questions déontologiques,
au cours de stages longs. Centrés sur l’encadrement et la transmission des
savoir-faire, ces stages visent également une diffusion de ces « rappels de
bonnes pratiques », les militaires formés étant eux-mêmes amenés ensuite
à encadrer une unité.
3 -
La formation à la qualification d’officier de police judiciaire
Les officiers de police judiciaire (OPJ) jouent un rôle clef dans le
contrôle des actions des policiers et gendarmes sur la voie publique, visant
à garantir la solidité des procédures judiciaires.
L’exercice de leur
compétence requiert, de ce fait, une connaissance et une expérience des
cadres juridiques
dont celui du contrôle d’identité –
plus approfondies
que ceux des agents. Leur expérience offre par ailleurs des opportunités de
formation continue pour rappeler aux agents le cadre des procédures
judiciaires et l’approfondir.
76
Les formateurs d’école de police relèvent ainsi l’importance de la formation initiale
des gardiens de la paix face à des pratiques d’anciens policiers adjoints qui présentaient
déjà des habi
tudes pouvant s’éloigner de la pratique enseignée.
COUR DES COMPTES
68
Dans la gendarmerie départementale, tous les officiers et gradés ont
la qualification d
’OPJ
, l
obtention de cette qualification (après trois années
d’exercice et le passage d’un examen)
étant indispensable pour accéder au
grade d
adjudant. Dans la police nationale, les gardiens de la paix comptant
au moins trois années d
exercice, et ayant réussi l
examen d
OPJ, peuvent
obtenir cette qualification
; cette mise en œuvre est toutefois moins
systématique. La segmentation des métiers dans la police nationale lie en
effet plus fortement l’obtention de cette qualification à l’exercice de
fonctions en police judiciaire.
L
accès à cette qualification, centrale dans la pratique des contrôles
d’identité
, a été fortement étendu par la LOPMI, qui autorise désormais un
gardien de la paix en formation initiale et un élève sous-officier de
gendarmerie à se présenter à l’examen dès l’is
sue de leur
scolarité s’il
s
valident le premier module de formation correspondant. Cette mesure
permet d’intégrer, pour certains, la formation d’OPJ
dès la formation
initiale
en supprimant, corrélativement, l’opportunité ultérieure de rappel
des bonnes pratiques que constituait cette formation qualifiante.
En tout état de cause, les différentes étapes de formation
initiale,
statutaire ou de spécialisation et, le cas échéant, continue
doivent être
envisagées dans une perspective globale, comme pouvant concourir à la
formation puis à l’entretien de bonnes pratiques, en particulier en matière
de contrôles d’identité.
L’annonce par le
président de la République, le 14 septembre 2021,
en conclusion du « Beauvau de la sécurité »
, d’une augmentation du temps
de formation continue de 50 %, doit conduire les policiers affectés en
sécurité publique et les gendarmes départementaux à
s’inscrire
davantage
aux modules relatifs aux contrôles d’identité –
surtout dans le cas où ils
ressentiraient
, ou leur hiérarchie pour eux, des difficultés d’ordre pratique
ou déontologique.
Il appartient à la police et à la gendarmerie de mettre en place des
formations non seulement juridiques, mais également opérationnelles et
comportementales, sur les c
ontrôles d’identité
et de les renouveler à
plusieurs étapes de la carrière des agents.
RENFORCER LA RELATION POLICE-POPULATION
69
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
Les voies qui permettent à une personne de signaler un contrôle
qu’il pense
irrégulier ou non déontologique, sont en pratique peu utilisées.
La majorité des cas concerne
l’activité de la police nationale
, et est relevée
par le biais de la plateforme de signalement de son inspection générale. La
Cour a pu vérifier, par échantillonnage, que les suites données à ces
signalements par les services de la police nationale sont adaptées. En
revanche, hormis dans le cas
d’une saisine
du Défenseur des droits,
l’inspection générale de la police nationale reste peu informée de l’issue
de ces dossiers ; il ne lui est donc pas possible porter une appréciation
d’ensemble sur le respect de
la déontologie des contrôles d’identité. De
même, l’interdiction en France des statistiques incluant l’appartenance
ethnique ne permet pas de vérifier si une partie de la population fait ou
non l’objet de contrôles disprop
ortionnés. Toutefois, les forces de sécurité
intérieure n’ont pas cherché à se doter, pour les contrôles d’identité,
d’autres moyens de mesure de la discrimination.
Pour ce faire, les
inspections générales pourraient utilement s’inspirer des méthodes de
« testing
» déployées par d’autres administrations, ou encore de certaines
campagnes d’observation réalisées par des chercheurs.
En outre, diverses mesures ont été prises par le Gouvernement pour
améliorer la confiance dans les forces de sécurité intérieure, et contribuent
à objectiver la pratique des contrôles d’identité. Ainsi, le port par les
gendarmes et les policiers d’un numéro d’identification
, dit RIO, est loin
d’être
systématique et il reste, dans de nombreux cas, peu visible. Le port
de la caméra-pi
éton, plus récent, est encore d’application inégale
; en
outre, les contraintes juridiques et pratiques associées au déclenchement
de l’enregistrement conduisent à une mise en œuvre encore rare.
L’expérimentation décidée en 2017 par le législateur, visant
à enregistrer
systématiquement les contrôles d’identité afin d’en établir le nombre et
d’en analyser les modalités, s’est soldée par un échec du fait de
nombreuses difficultés dans leur déploiement et dans leur emploi. Une
expérimentation gagnerait à être renouvelée, maintenant que ces caméras
sont suffisamment déployées.
Concernant les contrôles sur réquisition du procureur de la
République, ce dernier est chargé de contrôler non seulement la
matérialité des justifications invoquées pour l’émission de la r
équisition,
mais aussi la mise en œuvre concrète des contrôles qui en découlent. Cette
supervision est fortement limitée par le nombre de réquisitions demandées
et par la charge de travail des parquets et plus particulièrement des
magistrats de permanence.
Les forces de sécurité sont à l’initiative de la
très grande majorité des demandes de réquisitions, qui leur sont presque
COUR DES COMPTES
70
systématiquement délivrées par l’autorité judiciaire. Depuis quelques
années, les procureurs ont renforcé le contrôle de la régularité et de
l’opportunité des demandes de réquisition
s, notamment en exigeant un
compte rendu systématique du déroulé des opérations. L
’exploitation de
ces comptes rendus reste, elle aussi, encore largement perfectible.
L’ensemble de la procédure pourrait enfi
n être simplifié, de façon à
favoriser la transparence des contrôles
d’identité
, notamment par la
numérisation des différents actes, et par l’emploi de trames communes.
Des efforts ont été réalisés pour améliorer
l’enseignement
sur les
questions déontologiques et les relations entre la police et la population,
au stade de la formation initiale des policiers et des gendarmes.
Cependant, dans les écoles comme au cours de leur carrière, cette
formation reste principalement centrée sur le cadre juridique
d’exer
cice
des contrôles d’identité. Elle doit désormais être étendue aux finalités
opérationnelles et aux effets concrets des contrôles. En outre, les
formations continues portant sur les modalités de réalisation des contrôles
d’identité et sur leurs enjeux déo
ntologiques rencontrent une très faible
affluence
moins de 300 policiers formés par an pour les formations les
plus spécifiques et 600 à 1 600 formés par an en incluant des formations
plus générales relatives à la procédure pénale
77
. Cette fréquentation est
particulièrement faible, y compris au regard des difficultés de formation
continue que rencontre la police nationale.
La Cour formule en conséquence les recommandations suivantes :
5.
informer les inspections générales des suites données par les services
aux plaintes et aux signalements déposés sur les plateformes
(ministère de
l’intérieur
et des outre-mer) ;
6.
r
éaliser une nouvelle expérimentation d’enregistrement systématique
des contrôles d’id
entité par les caméras piéton (ministère de
l’intérieur
et des outre-mer) ;
7.
d
emander
aux
parquets
d’enregistrer
systématiquement
les
réquisitions et les comptes rendus de leur mise en œuvr
e afin de
permettre un suivi consolidé de leur nombre, de leur étendue et de
leurs résultats (ministère de la justice) ;
8.
r
enforcer la formation aux actes métiers des contrôles d’identité dans
le cadre des formations initiale et continue, notamment par le
déploiement des stages obligatoires lors des passages de grades
(ministère de l’intérieur
et des outre-mer).
77
À comparer aux effectifs de voie publique de la police, de l’ordre de 82
000 agents.
Liste des abréviations
APJ
...............
Agent de police judiciaire
FPR
..............
Fichier des personnes recherchées
LOPMI
.........
Loi n° 2023-22 du 24
janvier 2023 d’orientation
et de programmation du ministère de l’intérieur
OPJ
...............
Officier de police judiciaire
RIO
...............
Référentiel des identités et de l
’organisation
SNPC
............
Système national des permis de conduire
Annexes
Annexe n° 1 :
les autres cadres de contrôles
................................................
74
Annexe n° 2 :
signalements relatifs à des contrôles routiers
et d’identité (police nationale)
..............................................
78
COUR DES COMPTES
74
Annexe n° 1 :
les autres cadres de contrôles
La réalisation des contrôles routiers
et des actes connexes de dépistage
Le cadre des contrôles routiers
78
est caractérisé par la latitude totale
dont bénéficient les policiers et les gendarmes dans le choix des
conducteurs à contrôler, indépendamment de tout critère de comportement
de la part du conducteur. En contrepartie, les vérifications qu’ils sont
autorisés à réaliser sont limitativement énumérées. Ces vérifications, qui
relèvent de façon générale de la politique de sécurité routière, touchent à la
capacité des conducteurs et à la conformité et l’équipement du véhicule.
La mise en œuvre de ces contrôles poursuit principalement deux
finalités distinctes :
la recherche d’infractions
au code de la route (contrôles plus ou moins
systématiques de flux de véhicules, notamment en lien avec le dépistage
de l’alcoolémie et de l’usage de stupéfiants par le conducteur
79
) ;
la vérification administrative de la capacité à conduire (permis de
conduire, assurance et contrôle technique du véhicule), souvent
conjointe
à la découverte ou à la flagrance d’une autre
infraction routière.
En pratique, le contrôle « documentaire » est systématique ; il
s’accompagne, plus ou moins souvent, des dépistages et
autres
vérifications.
Le nombre d’infractions «
documentaires » constatées est établi en
détail dans les bilans annuels de l’observatoire national interministériel de
la sécurité routière
80
. En 2021, on relevait ainsi 130 892 délits relatifs à la
conduite sans permis adéquat, 77 649 délits relatifs à la circulation sans
assurance et 236 412 contraventions relatives au défaut de contrôle
technique. Parmi celles-ci, seules 59
400 environ n’étaient associées à
aucune autre infraction
81
; dans la majorité des cas, elles accompagnent
donc une autre infraction jugée plus grave.
78
Article R. 233-1 du code de la route.
79
La visite des véhicules visant à rechercher l’infraction de trafic de stupéf
iants relève,
quant à elle, du cadre du contrôle d’identité (en l’occurrence de l’article 78
-2-2 du code
de procédure pénale).
80
Les infractions au code de la route et au code des transports, l’impact sur le permis
à points
bilan statistique 2021
, novembre 2022.
81
Un extrait du système
Cassiopée
montrait 39 801 affaires jugées en 2021 dont le
« code affaire
» principal relevait d’un défaut documentaire
; le taux de poursuite est de
ANNEXES
75
S’agissant du contrôle de l’alcoolémie, le bilan pour 2021 relevait
environ 7,1 millions de dépistages (nombre en diminution du fait des
mesures de confinement liées à la pandémie de covid-19 ; 10 à 11 millions
de contrôles étaient réalisés annuellement depuis 2010) dont 3,2 %
conduisant à constater une infraction. Le dépistage de stupéfiants n’est
quant à lui réalisé que lorsque «
les forces de l’ordre ont une forte suspicion
d’usage de stupé
fiants
», en raison du coût et du délai plus élevés de sa
réalisation : en 2021, environ 630 000 tests étaient réalisés, avec un taux
de positivité établi à 17
%. Du fait de l’amélioration des conditions de
réalisation de ces tests, et de l’accent mis par
la police et la gendarmerie
nationales sur la lutte contre l’usage de stupéfiants au volant, le nombre de
tests réalisés est en hausse continue depuis 2014.
Tableau n° 4 :
principaux contrôles routiers et leurs résultats, 2021
Infractions
Nombre de
contrôles
Contrôles
« positifs »
Soit %
Documentaires (permis,
assurance, contrôle technique)
14 878 582
444 953
3,0 %
Alcoolémie
7 131 535
228 289
3,2 %
Stupéfiants
(rappel 2010)
630 957
(67 625)
107 267
(31 770)
17 %
(47 %)
Source
: Cour des comptes, d’après ministère de l’intérieur
La comparaison de ces chiffres met en évidence la distinction entre
des contrôles réalisés très largement, d’une part (contrôles documentaires,
alcoolémie), et des contrôles plus ciblés d’autre part (stupéfiants –
leur
pratique s’étant toute
fois considérablement étendue). Une pratique plus
large induit une augmentation du nombre d’infractions relevées, mais au
prix d’une forte baisse de sélectivité
: un compromis doit donc être trouvé
entre la poursuite d’un effet –
dissuasif ou répressif
p
lus important, d’une
part, et les risques associés aux contrôles ne donnant lieu à aucun constat
d’infraction, d’autre part.
67
% en matière d’infraction documentaire (ministère de la justice,
Bilan annuel de la
sécurité routière
le traitement judiciaire des infractions en matière de sécurité
routière en 2019 et 2020
, janvier 2022). Le ministère de la justice relève par ailleurs
que six infractions « papiers
» sur 10 sont conjointes à d’autres infra
ctions.
COUR DES COMPTES
76
L’effet des contrôles doit enfin être mesuré non pas par le nombre
ou la proportion de contrôles « positifs », mais bien par
l’évolution du
phénomène qu’ils sont censés réduire, aux côtés d’autres actions
82
. Par
exemple, le dépistage des stupéfiants s’inscrit dans une politique publique
d’ensemble, au sujet de laquelle l’observatoire national interministériel de
la sécurité routière relève que le nombre de personnes tuées dans un
accident impliquant un conducteur sous l’emprise de stupéfiants s’est
réduit de 778 en 2017 à 605 en 2021.
Les contrôles aux frontières
Les contrôles aux frontières intérieures et extérieures sont régis par
le droit européen
83
:
aux frontières extérieures, les ressortissants des pays tiers font l’objet
d’une vérification approfondie visant notamment des considérations
d’ordre public et de sécurité intérieure
; cette vérification comprend la
consultation de fichiers nationaux ;
aux frontières intérieures, le principe est la libre circulation, les contrôles
de police ne pouvant être apparentés aux vérifications aux frontières
notamment au vu de leur systématicité. Les contrôles aux frontières
intérieures peuv
ent être rétablis en raison de menaces graves pour l’ordre
public ou la sécurité intérieure
: c’est le cas en France, sans discontinuer,
depuis novembre 2015 ;
enfin, les frontières peuvent faire l’objet d’une surveillance visant
notamment à s’assurer du n
on contournement des points de passage.
Ces missions sont assumées conjointement par la police nationale
(direction nationale de la police aux frontières), la gendarmerie nationale
et la direction générale des douanes et des droits indirects, qui se
répartissent notamment les différents types de points de passage. Dans ce
cadre,
la police aux frontières met en œuvre des contrôles systématiques
des passagers entrants et sortants dans les principaux aéroports
internationaux et les gares Eurostar, soit 90,2 millions de contrôles en
2022
84
. Les contrôles réalisés par la direction générale des douanes et des
82
Cour des comptes,
Évaluation de la politique publique de sécurité routière
, rapport
public thématique, juillet 2021.
83
Articles L. 331-
1 et suivants du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit
d’asile, transposant le code frontières Schengen.
84
Source
: service des technologiques et des systèmes d’information de la sécurité
intérieure. Parmi ces contrôles, 28,5 millions sont réalisés automatiquement par le
système PARAFE (passage automatisé rapide aux frontières extérieures).
ANNEXES
77
droits indirects représentaient quant à eux 3,8 millions de personnes la
même année
85
.
En complément, la surveillance des frontières par la gendarmerie
nationale
se traduit par l’organisation d’opérations
de récurrence et
d’envergure variable
s ; les contrôles occasionnés par ces opérations sont
intégrés aux statistiques générales présentées au chapitre I.
Les contrôles douaniers
Les agents des douanes
86
peuvent réaliser des «
visites des
personnes
» ou des moyens de transport, assorties le cas échéant de
palpations :
-
dans les zones frontalières ;
-
en cas de «
raisons plausibles de soupçonner la commission ou la tentative
de commission d’une infraction
» limitativement énumérée ;
-
pour rechercher des infractions, après avoir informé le procureur de la
République qui peut s’y opposer.
Ces contrôles sont soumis à une restriction de durée (pas plus de
douze heures consécutives) et ne peuvent pas consister en un contrôle
systématique de l’ensemble des personnes présentes.
Ils peuvent également réaliser les contrôles aux frontières prévus par
le code frontières Schengen
87
.
85
Source
: inspection générale de l’administration, direction générale des douanes et
des droits indirects.
86
Articles 60 et suivants du code des douanes, créés et modifiés par la loi n° 2023-610
du 18 juillet 2023 visant à donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles
menaces. Précédemment à cette loi, les agents des douanes pouvaient sans restriction,
«
pour l’application d
es dispositions du présent code et en vue de la recherche de la
fraude, […] procéder à la visite des marchandises et des moyens de transport et à celle
des personnes
» (article 60, déclaré contraire à la Constitution
CC, décision n° 2022-
1010 QPC du 22 septembre 2022).
87
Article 67 du code des douanes, tel que modifié par la loi précitée.
COUR DES COMPTES
78
Annexe n° 2 :
signalements relatifs à des contrôles
routiers et d’identité (police nationale)
Tableau n° 5 :
allégations correspondant à des signalements
de contrôles d’identité
Catégorie
Allégation
Nombre de
signalements
Allégations à connotation
juridique ou pénale
Violences
94
Contestation de la légalité
non-respect des règles
de droit
52
Menaces
24
Vol, atteinte aux biens
19
Harcèlement / appels
malveillants
9
Dégradations
5
Faux et usage
5
Crimes ou délits à
caractère sexuel
3
Infraction à la législation
sur les stupéfiants
2
Arrestation / détention
arbitraire / atteinte à la
liberté d
’aller et venir
1
Pratiques
Propos discriminatoires
33
Pratiques discriminatoires
31
Pratiques humiliantes
ou indignes
26
Décision ou gestion
inadaptées
23
Pratiques intimidantes,
pressions
21
Sollicitation excessive
par les services
16
Non-respect des règles de
sécurité, mise en danger
7
Pratiques déloyales
7
ANNEXES
79
Catégorie
Allégation
Nombre de
signalements
Confiscation, rétention
abusive de documents,
objets ou animaux
3
Abus du statut de policier /
affichage inopportun de la
qualité de policier
3
Négligence / laxisme
3
Autres pratiques
3
Défaut ou refus
d
’information du public
2
Refus de plainte : faits
impliquant des policiers
1
Absence de confidentialité
1
Partialité, conflit d
’intérêt
1
Non intervention
non-
assistance
1
Attitudes et
comportements
Pratiques indélicates
ou brutales
77
Irrespect
70
Agressivité
54
Injures, insultes
52
Propos moralisateurs
ou à teneur personnelle
16
Autoritarisme / rigidité
14
Attitude non
professionnelle
9
Provocation
8
Autres attitudes et
comportements
2
Propos ou gestes à teneur
idéologique ou politique
1
Autres récriminations
Contestation de
verbalisation
95
Impossibilité
d
’identification
de policier(s)
17
COUR DES COMPTES
80
Catégorie
Allégation
Nombre de
signalements
Griefs d
’ordre général
1
Total
812
Note :
la période couverte s’étend de mars 2021 à décembre 2022 et recouvre 541 contrôles
d’identité signalés.
Source : inspection générale de la police nationale
Tableau n° 6 :
allégations correspondant à des signalements
de contrôles routiers
Catégorie
Allégation
Nombre de
signalements
Allégations à connotation
juridique ou pénale
Contestation de la légalité
non-respect des règles de
droit
64
Violences
57
Menaces
46
Harcèlement / appels
malveillants
27
Faux et usage
20
Vol, atteinte aux biens
12
Dégradations
10
Infractions au code de la
route
4
Arrestation / détention
arbitraire / atteinte à la
liberté d
’aller et venir
3
Détournement de finalité
de fichiers de police
1
Autres infractions
1
Pratiques
Pratiques discriminatoires
48
Pratiques indélicates ou
brutales
44
Pratiques intimidantes,
pressions
35
Décision ou gestion
inadaptées
31
ANNEXES
81
Catégorie
Allégation
Nombre de
signalements
Non-respect des règles de
sécurité,
mise en danger
30
Pratiques déloyales
22
Pratiques humiliantes ou
indignes
19
Négligence / laxisme
17
Sollicitation excessive par
les services
17
Abus du statut de policier /
affichage inopportun de la
qualité de policier
11
Défaut ou refus
d
’information du public
10
Confiscation, rétention
abusive de documents,
objets ou animaux
8
Autres pratiques
5
Refus de plainte : autres
3
Refus de plainte : faits
impliquant des policiers
2
Partialité, conflit d
’intérêt
2
Absence de confidentialité
1
Attitudes et
comportements
Irrespect
103
Agressivité
91
Injures, insultes
41
Propos discriminatoires
41
Propos moralisateurs ou à
teneur personnelle
33
Autoritarisme / rigidité
32
Provocation
13
Attitude non
professionnelle
11
Autres attitudes et
comportements
7
COUR DES COMPTES
82
Catégorie
Allégation
Nombre de
signalements
Propos ou comportements
à connotation sexuelle
6
Propos ou gestes à teneur
idéologique
ou politique
3
Intempérance, état
d
’ivresse
1
Autres récriminations
Contestation de
verbalisation
401
Impossibilité
d
’identification de
policier(s)
13
Autres récriminations
3
Total
1 349
Note :
la période couverte s’étend de mars 2021 à décembre 2022 et recouvre 849 contrôles
routiers signalés.
Source : inspection générale de la police nationale