13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
CHAMBRE DU CONTENTIEUX
-------
Première section
-------
Arrêt n° S-2023-1382
Audience publique du 26 octobre 2023
Prononcé du 24 novembre 2023
CAISSE DE CRÉDIT MUNICIPAL
DE BORDEAUX
(CCMB)
Affaire n° 868
République française,
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 26 août 1789, notamment
son article 8 ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, notamment
son article 1
er
;
Vu la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales
du 4 novembre 1950, et ses protocoles additionnels, dite Convention européenne des droits
de l’homme (CEDH), notamment son article 7 ;
Vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966,
notamment son article 15 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières (CJF), dans ses versions antérieure et postérieure
à l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime
de responsabilité financière des gestionnaires publics ;
Vu le code monétaire et financier ;
Vu le règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
concernant
les
exigences
prudentielles
applicables
aux
établissements
de
crédit
et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 ;
Vu la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013
concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle
des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive
2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE ;
Arrêt n° S-2023-1382
2
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires,
ensemble la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives
à la fonction publique territoriale, dans leurs dispositions en vigueur au moment des faits ;
Vu le décret du 31 mai 1862 portant règlement général sur la comptabilité publique,
notamment ses articles 578 à 581 ;
Vu le décret n° 87-1097 du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d’emplois
des administrateurs territoriaux ;
Vu le décret n° 87-1101 du 30 décembre 1987 portant dispositions statutaires particulières
à
certains
emplois
administratifs
de
direction
des
collectivités
territoriales
et des établissements publics locaux assimilés ;
Vu le décret n° 2000-954 du 22 septembre 2000 relatif aux règles d’assimilation
des établissements publics locaux aux collectivités territoriales pour la création de certains
grades de fonctionnaires territoriaux ;
Vu le décret n° 2018-1351 du 28 décembre 2018 relatif à l’obligation de publicité des emplois
vacants sur un espace numérique commun aux trois fonctions publiques ;
Vu l’arrêté du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur
de la banque, des services de paiement et des services d’investissement soumises au contrôle
de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ;
Vu les déférés décidés, sur la base de l’article L. 314-1 du CJF alors applicable,
par la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine dans ses séances des 28 février
et 7 septembre 2021, portant sur des faits laissant présumer l’existence d’irrégularités
dans la gestion financière de la Caisse de crédit municipal de Bordeaux (CCMB),
communiqués respectivement les 18 mai et 14 décembre 2021 par le procureur financier
près cette chambre au ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière
et enregistrés respectivement les 18 mai et 15 décembre 2021 ;
Vu le réquisitoire du 24 mars 2022 par lequel le ministère public près la Cour de discipline
budgétaire et financière a saisi a saisi la juridiction de cette affaire, conformément
aux dispositions des articles L. 314-1-1 et L. 314-4 du CJF en vigueur jusqu’au
31 décembre 2022, et le réquisitoire supplétif du 10 janvier 2023 par lequel le ministère public
près la Cour des comptes a ensuite saisi la juridiction de cette même affaire, sur le fondement
des dispositions des articles L. 142-1-2 et L. 142-1-3 du CJF en vigueur à compter
du 1
er
janvier 2023 ;
Vu la décision du 31 mars 2022 du président de la Cour de discipline budgétaire et financière
désignant M. Patrick SITBON, conseiller maître à la Cour des comptes, comme rapporteur
de la présente affaire et la décision du 13 janvier 2023 du président de la chambre
du contentieux de la Cour des comptes le désignant aux fins d’en poursuivre l’instruction ;
Vu les ordonnances de mise en cause de M. X, en sa qualité de directeur
général de la CCMB au moment des faits présomptifs d’irrégularité, et de M.
Y,
en
sa
qualité
de
directeur
général
adjoint
de
la
CCMB
au
moment
des faits présomptifs d’irrégularité, notifiées aux intéressés, avec le réquisitoire supplétif
susvisé, le 6 février 2023 à M. X et le 25 janvier 2023 à M. Y ;
Vu
l’ordonnance
de
règlement
notifiée
le
même
jour
à
MM. X
et Y
le 20 avril 2023 et aussi notifiée au ministère public le 17 avril 2023 ;
Arrêt n° S-2023-1382
3
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Vu la communication le 17 avril 2023 du dossier de la procédure au ministère public
près la Cour des comptes ;
Vu la décision du procureur général de renvoi de l’affaire à la chambre du contentieux
notifiée à M. X le 5 août 2023 et à M. Y le 27 juillet 2023 ;
Vu la convocation des personnes renvoyées à l’audience publique du 26 octobre 2023
notifiée
à
Me Mario-Pierre STASI,
avocat
de
M. X,
le
4 septembre 2023
et à M. Y le 8 septembre 2023 ;
Vu les mémoires produits le 26 septembre 2023 par Me Jean GONTHIER dans l’intérêt
de
M. Y
et
le
27 septembre 2023
par
Me Quentin DACHY,
du
cabinet
OBADIA
et STASI, dans l’intérêt de M. X ;
Vu la lettre de M. X du 1
er
octobre 2023 demandant à ne pas comparaître à l’audience
et demandant à y être représenté par son avocat, Me STASI, ensemble le certificat médical
transmis le 10 octobre 2023, et l’acquiescement du président de la chambre du contentieux
en date du 11 octobre 2023 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Entendu lors de l’audience publique du 26 octobre 2023, M. Yann SIMON, procureur financier,
en la présentation de la décision de renvoi, et M. Louis GAUTIER, procureur général,
en ses réquisitions ;
Entendu sous foi de serment Mme B., ancienne vice-présidente du conseil d’orientation
et de surveillance de la CCMB, et M. F., directeur général en fonctions du Crédit municipal
de Bordeaux, en leur témoignage, à l’initiative du ministère public ;
Entendu Me STASI, représentant M. X, dispensé, à sa demande, de comparaître
à
l’audience
en
application
des
dispositions
de
l’article
R. 142-3-2
du
CJF,
M. Y, assisté de Me GONTHIER, les personnes renvoyées ayant eu la parole
en dernier ;
Entendu en délibéré M. Patrick BONNAUD, conseiller maître, réviseur, en ses observations ;
Sur les questions de procédure
Sur le transfert de l’affaire de la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF)
à la Cour des comptes
1. La Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) a été saisie, par le réquisitoire
introductif du 24 mars 2022 susvisé, de faits relatifs à la Caisse de crédit municipal
de
Bordeaux
(CCMB)
susceptibles
de
constituer
des
infractions
sanctionnées
par cette juridiction.
2. Aux termes du II de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée, «
Les affaires
ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline budgétaire
et financière à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance sont, à cette date,
transmises à la Cour des comptes
». Le I de l’article 29 de la même ordonnance a fixé la date
de son entrée en vigueur au 1
er
janvier 2023. L’affaire relative à la CCMB a, en conséquence,
été transmise à cette date à la Cour des comptes.
Arrêt n° S-2023-1382
4
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
3. Aux termes du II de l’article 11 du décret du 22 décembre 2022 susvisé, «
Les actes
de procédure pris avant le 1
er
janvier 2023 pour les affaires transmises à la Cour des comptes
en application de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée demeurent valables
devant celle-ci. Leur régularité ne peut être contestée au seul motif de l’entrée en vigueur
des dispositions de cette ordonnance et du présent décret
».
Sur la compétence de la Cour des comptes
4. En application de l’article L. 312-1 du CJF, en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022,
«
I.
Est justiciable de la Cour :
(...)
b) Tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État,
des collectivités territoriales, de leurs établissements publics ainsi que des groupements
des collectivités territoriales
(...) ». Ces dispositions, désormais codifiées aux articles L. 131-1
et L. 131-2 du CJF depuis le 1
er
janvier 2023, demeurent inchangées.
5. M. X fait valoir que l’activité de prêt est une activité commerciale de droit privé
qui relève de la compétence des tribunaux judiciaires ; que les capitaux qui financent
cette activité sont des capitaux privés et non des fonds publics. Il en déduit que l’octroi de prêts
ne peut porter aucune atteinte à l’ordre public financier.
6. La responsabilité des gestionnaires publics n’est pas nécessairement liée au caractère
public des fonds concernés par les infractions et affectés par les agissements des justiciables.
7. Dans le cas présent, sont mis en cause des agents d’un établissement public communal
pour avoir, par une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses
ou à la gestion des biens de cet établissement public, commis une faute grave et causé
un préjudice financier significatif. Cette infraction est prévue et réprimée par l’article L. 131-9
du CJF.
8. Il résulte des dispositions du I de l’article L. 514-1 du code monétaire et financier
que les caisses de crédit municipal sont des établissements publics communaux de crédit
et d’aide sociale.
9. Recrutés
en
2016,
MM. X et Y
étaient
au
moment
des
faits
en
cause,
respectivement
directeur
général
et
directeur
général
adjoint
de
la
CCMB.
Ils étaient justiciables de la CDBF et restent justiciables de la Cour des comptes.
Ils sont prévenus de l’infraction portée par l’article L. 131-9 du CJF.
10. La Cour des comptes est donc compétente pour se prononcer sur la décision de renvoi
susvisée.
Sur la prescription
11. L’article L. 314-2 du CJF, applicable au moment du déféré, disposait que «
La Cour
[de discipline budgétaire et financière]
ne peut être saisie par le ministère public après
l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait
de nature à donner lieu à l’application des sanctions prévues par le présent titre.
/ L’enregistrement du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif ou supplétif, la mise
en cause telle que prévue à l’article L. 314-5, le procès-verbal d’audition des personnes mises
en cause ou des témoins, le dépôt du rapport du rapporteur, la décision de poursuivre
et la décision de renvoi interrompent la prescription prévue à l’alinéa précédent
».
Arrêt n° S-2023-1382
5
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
12. Aux termes de l’article L. 142-1-3 du CJF, dans sa version en vigueur depuis
le 1
er
janvier 2023, «
La Cour des comptes ne peut être saisie par le ministère public après
l’expiration d’un délai de cinq années révolues à compter du jour où a été commis le fait
susceptible de constituer une infraction au sens de la section 2 du chapitre Ier du titre III
du présent livre.
(…)
/ L’enregistrement du déféré au ministère public, le réquisitoire introductif
ou supplétif, l’ordonnance de mise en cause, l’ordonnance de règlement et la décision
de renvoi interrompent la prescription
». Ces nouvelles dispositions ne modifient ni la durée
de la prescription, ni les modalités de son interruption.
13. M. X fait valoir que les faits qui lui sont reprochés seraient prescrits. Il relève,
en effet, que les déférés de la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine
ont été décidés sur le fondement des articles L. 313-3, L. 313-4 et L. 313-6 du CJF
dans sa version antérieure au 1
er
janvier 2023 ; que les poursuites initiées par le réquisitoire
introductif du 24 mars 2022 l’ont été sur le même fondement ; que ces infractions
ont été abrogées le 1
er
janvier 2023 par l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée ;
que toute condamnation sur la base d’une infraction abrogée est proscrite, même pour
des faits antérieurs à l’abrogation.
14. M. X en déduit que les actes pris avant le réquisitoire supplétif du 10 janvier 2023
n’ont pu valablement interrompre la prescription puisqu’ils se fondaient sur des infractions
désormais abrogées ; que seul ce réquisitoire porte interruption de la prescription ;
qu’il s’ensuit que les faits antérieurs au 10 janvier 2018 sont prescrits ; qu’ainsi le recrutement
et la rémunération des cadres supérieurs résultant de contrats qui datent de 2016 ne sauraient
donc être poursuivis, non plus que les prêts accordés avant cette date du 10 janvier 2018.
15. La décision de renvoi vise l’infraction prévue et réprimée par l’article L. 131-9 du CJF
selon laquelle «
Tout justiciable au sens de l’article L. 131-1 qui, par une infraction aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État,
des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1,
commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible
des sanctions prévues à la section 3. / Les autorités de tutelle de ces collectivités,
établissements ou organismes, lorsqu’elles ont approuvé les faits mentionnés au premier
alinéa, sont passibles des mêmes sanctions. / Le caractère significatif du préjudice financier
est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service
relevant de la responsabilité du justiciable
».
16. Jusqu’à
l’entrée
en
vigueur
de
l’ordonnance
du
23 mars 2022
susvisée
fixée au 1
er
janvier 2023, l’article L. 313-4 du CJF disposait : «
Toute personne visée à l’article
L. 312-1 qui, en dehors des cas prévus aux articles précédents, aura enfreint les règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses de l’État ou des collectivités,
établissements et organismes mentionnés à ce même article ou à la gestion des biens
leur appartenant ou qui, chargée de la tutelle desdites collectivités, desdits établissements
ou organismes, aura donné son approbation aux décisions incriminées sera passible
de l’amende prévue à l’article L. 313-1.
(...) ».
17. La comparaison de ces deux articles établit suffisamment que le législateur a maintenu
la définition de l’infraction mais a soumis sa constatation à la constitution d’une faute grave
et d’un préjudice financier significatif. Les faits en eux-mêmes, soit un manquement aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État,
des collectivités, établissements et autres organismes, étaient constitutifs d’une infraction
jusqu’au 31 décembre 2022 et le restent depuis le 1
er
janvier 2023.
Arrêt n° S-2023-1382
6
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
18. Au demeurant, le II de l’article 30 de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée, dispose que
«
Les affaires ayant fait l’objet d’un réquisitoire introductif devant la Cour de discipline
budgétaire et financière à la date d’entrée en vigueur de la présente ordonnance sont,
à cette date, transmises à la Cour des comptes
» et le II de l’article 11 du décret
du 22 décembre 2022 susvisé, que «
Les actes de procédure pris avant le 1
er
janvier 2023
pour les affaires transmises à la Cour des comptes en application de l’article 30
de l’ordonnance du 23 mars 2022 susvisée demeurent valables devant celle-ci. Leur régularité
ne peut être contestée au seul motif de l’entrée en vigueur des dispositions
de cette ordonnance et du présent décret
».
19. Il en résulte que les déférés de la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine
et les réquisitoires du ministère public ont valablement interrompu la prescription
et que la prescription relative aux modalités de rémunération de cadres supérieurs de la CCMB
a été valablement interrompue par le déféré du 18 mai 2021 et celle relative aux prêts
l’a été par le déféré du 15 décembre 2021 ; que ne sont donc pas couvertes par la prescription
les
irrégularités
commises
après
le
18 mai 2016
pour
la
première
matière
et le 15 décembre 2016 pour la seconde.
20. En revanche, la loi nouvelle plus douce se saisit de toutes les infractions qui lui sont
antérieures et qui n’ont pas encore été définitivement jugées, tant pour la qualification
que pour le plafond de l’amende qui pourrait être infligée aux personnes renvoyées. Il y a donc
lieu de faire application des dispositions de l’article L. 131-9 du CJF qui soumettent
la constatation de l’infraction à la double condition de la gravité de la faute et de l’existence
d’un préjudice financier en résultant.
Sur l’application du principe du «
non bis in idem
»
21. M. X fait tout d’abord valoir que l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
a décidé de ne pas le poursuivre, non plus que M. Y et que lui et M. Y
ont été démis de leurs fonctions, donc sanctionnés disciplinairement, pour les faits mêmes
qui sont poursuivis devant la Cour des comptes.
22. M. X fait ensuite valoir qu’il a, par jugement du 23 janvier 2023, été condamné
à une amende de 20 000 € dont 10 000 € avec sursis pour délit de favoritisme ;
que cette procédure visait les modalités d’octroi des prêts ; qu’il y aura lieu pour la Cour
de tenir compte de cette amende si elle devait décider d’entrer en voie de condamnation.
23. Il convient, en premier lieu de relever que l’instrument de ratification, déposé
le 17 février 1986, de l’article 4 du protocole annexe n° 7 de la Convention européenne
des droits de l’homme comporte la réserve suivante : «
Le Gouvernement de la République
française déclare que seules les infractions relevant en droit français de la compétence
des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions
au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole
». L’Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution n’est pas un tribunal statuant en matière pénale. Une sanction
de cette Autorité ne saurait exclure l’intervention de la Cour.
24. Si, parmi les griefs énumérés dans la décision de l’Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution du 3 juin 2021 qui porte condamnation de la CCMB à une amende
de 120 000 €, certains correspondent à ceux formulés par le procureur général près la Cour
des
comptes
à
l’encontre
de
MM. X et Y,
rien
n’indique,
dans
cette
décision,
ni
dans
aucune
autre
pièce
du
dossier,
que
la
responsabilité
de
MM. X et Y
aurait, dans le cadre des possibilités de sanction des personnes physiques, été envisagée
puis écartée par cette Autorité ; qu’ainsi M. X ne saurait se prévaloir d’une décision
de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution sur les faits en cause devant la Cour.
Arrêt n° S-2023-1382
7
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
25. Il ressort, en second lieu, des informations portées à la connaissance de la Cour
que les poursuites pénales ayant entraîné la condamnation de M. X étaient fondées
sur l’attribution de marchés à des commissaires-priseurs en méconnaissance des règles
applicables à la commande publique et relevaient du délit de favoritisme. Cette prévention
est étrangère à la présente cause.
26. Enfin,
aucun
élément
n’est
joint
au
dossier
qui
justifierait
que
MM. X et Y
aient quitté leurs fonctions contraints par une sanction disciplinaire.
27. Par ailleurs, l’article L. 142-1-12 du CJF distingue clairement les actions devant la Cour
des comptes des actions pénale et disciplinaire en disposant que les poursuites devant la Cour
des comptes ne font pas obstacle à l’exercice de l’action pénale et de l’action disciplinaire.
28. Il ressort de ce qui précède que la sanction prononcée par l’Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution non plus que la procédure en cours devant les tribunaux répressifs de l’Ordre
judiciaire, ni une procédure disciplinaire au demeurant non établie, ne font obstacle à l’action
de la Cour.
Sur la partialité de l’instruction
29. M. X fait grief à l’instruction de s’être principalement fondée sur les productions
de la CCMB. Il estime que ces productions n’ont pas suffisamment compris d’éléments
à sa décharge qui, selon lui, existaient à la Caisse. Il fait aussi valoir que, notamment,
manquent des rapports du contrôle interne qui auraient démontré qu’aucune alerte
sur les irrégularités qui lui sont reprochées n’étaient remontées jusqu’à lui qui lui aurait permis
de réorienter son action ; que, de même, les présidents successifs du comité des risques
n’ont pas été interrogés. Il souligne que la CCMB est partie prenante au contentieux
et ne peut donc être considérée comme neutre.
30. M. Y souligne que le rôle de témoin que joue le directeur actuel de la CCMB
est contestable puisqu’il est partie civile dans le cadre de la procédure pénale devant
les juridictions correctionnelles de Bordeaux. Il conteste, en conséquence, le caractère probant
des éléments produits par la CCMB et regrette que n’ait pas été organisée une expertise
contradictoire pour l’évaluation du préjudice.
31. Les éléments produits par les dirigeants actuels de la CCMB, à défaut que MM. X
et Y en aient établi la fausseté, apparaissent suffisamment avérés par les comptes
rendus
de
comités
tenus
sous
la
direction
de
MM. X et Y,
par
le
rapport
de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, dont l’instruction a été menée alors
qu’ils étaient en fonctions, par les rapports des commissaires aux comptes, relatifs
aux exercices de leur gestion. La mise en doute des productions de la CCMB à l’instruction
est donc insuffisamment fondée.
32. Par ailleurs, au vu du dossier, il apparaît que, régulièrement désigné, le conseiller maître
chargé de l’instruction a mené ses travaux à charge et à décharge de façon indépendante.
Il lui était loisible, de sa propre initiative, d’entendre et de questionner oralement ou par écrit
tout témoin. Les parties n’ont formé ni demande de récusation ni demande d’audition
de témoins. Il n’est pas contesté qu’elles ont eu accès au dossier et qu’elles ont été informées
des dépôts de pièces. Il en résulte que l’impartialité de l’instruction n’est pas sérieusement
contestée.
Arrêt n° S-2023-1382
8
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur les modalités d’octroi de prêts
Sur les griefs formulés par la décision de renvoi et les réquisitions en audience
33. Dans sa décision de renvoi complétée par ses réquisitions en séance, le procureur général
près la Cour des comptes estime qu’en octroyant divers prêts, immobiliers ou SACEM,
les dirigeants effectifs de la CCMB ont enfreint les règles relatives à l’exécution des dépenses
de la Caisse, exposé l’établissement à des risques significatifs de non-conformité et de crédit
et manqué à leur devoir général d’organisation, de contrôle et de surveillance.
34. Il considère que ces agissements irréguliers ayant eu un caractère systémique,
ils doivent être regardés comme formant un ensemble constitutif de faute grave de gestion
au sens de l’article L. 313-4 du CJF en vigueur jusqu’au 31 décembre 2022 et de l’article
L. 131-9 du même code en vigueur depuis le 1
er
janvier 2023.
35. Subsidiairement, il considère que, même pris isolément, chacun des prêts est affecté
d’irrégularités, de négligences, de manquements au devoir d’organisation, de contrôle
et de surveillance qui caractérisent autant de fautes graves de gestion au sens des mêmes
articles.
36. Sur les fautes, le procureur général estime, en premier lieu, pour ce qui concerne le risque
de non-conformité, que, à défaut d’avoir justifié d’une habilitation spécifique de la Banque
centrale européenne, la CCMB est tenue par les dispositions de l’article L. 514-1 du code
monétaire et financier qui limitent l’activité des caisses de crédit municipal à l’octroi de prêts
sur gages corporels dont elles ont le monopole ; qu’elle ne pouvait en conséquence accorder
des prêts gagés sur des biens immobiliers corporels ou des biens mobiliers incorporels ;
qu’ainsi les délibérations du Conseil d’orientation et de surveillance (COS) n° 2016/47
du 13 décembre 2016 et n° 2018/30 du 19 juin 2018 sont irrégulières et ne pouvaient
valablement autoriser ni les prêts immobiliers, encore appelés prêts patrimoniaux ou PPX,
ni les prêts SACEM.
37. En deuxième lieu, en ce qui concerne les prêts immobiliers, outre le défaut d’habilitation,
le procureur général relève, tout d’abord, qu’en méconnaissance des dispositions
de la délibération du COS n° 2016/47 du 13 décembre 2016, ont été accordés deux prêts
sans qu’en eût été vérifié l’objet (C., M.). Il relève ensuite que ces mêmes prêts ont été
accordés sans que la CCMB disposât d’une vision globale de la situation patrimoniale
et financière (charges et revenus), ni de l’ensemble des pièces permettant de justifier
de cette situation, ce qui contrevient aux règles prudentielles s’imposant à la CCMB,
notamment telles qu’elles résultent de l’article 107 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé.
38. Ces règles prudentielles étant au nombre des règles d’exécution des dépenses,
le procureur général en déduit que les prêts en cause ont été accordés en violation des règles
d’exécution des dépenses de l’établissement.
39. En troisième lieu, en ce qui concerne les prêts SACEM, outre le défaut d’habilitation,
le procureur général relève, tout d’abord, que les deux prêts restant en cause (Db., Dp.)
ont été accordés avant la prise de la délibération n° 2018/30 du 19 juin 2018 qui autorise
de tels prêts, que la délibération du 13 décembre 2016 n’autorisait pas. Il relève ensuite
que les deux prêts ont été accordés sans que la CCMB disposât d’une vision globale
de la situation patrimoniale et financière (charges et revenus), ni de l’ensemble des pièces
permettant de justifier de cette situation. Il relève enfin que le directeur général n’a,
en méconnaissance du règlement intérieur de la CCMB, pas présidé le comité de crédit
qui a rendu un avis favorable aux prêts.
Arrêt n° S-2023-1382
9
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur les faits
40. Les prêts immobiliers ont été autorisés dans leur principe, sous le nom de prêts
patrimoniaux (PPX), par la délibération n° 2016/47 du 13 décembre 2016, qui en fixe
les caractéristiques, notamment l’objet, les garanties admissibles, la durée et la périodicité
de l’amortissement.
41. Vingt-sept prêts patrimoniaux (PPX), hors SACEM, ont été accordés entre février 2017
et avril 2019 pour un montant de 19,135 M€.
42. Le procureur général met en cause deux PPX :
-
C., signé le 12 décembre 2018, d’un montant de 1,7 M€, pour trois ans, à un taux
nominal de 4,6 % (TAEG
1
de 5,886 %) ;
-
M., signé le 20 août 2018, d’un montant de 2,5 M€, pour cinq ans, au taux de 4,74 %
(TAEG de 5,97 %).
43. Les prêts SACEM sont créés par la délibération n° 2018/30 du 19 juin 2018, qui en fixe
également les caractéristiques.
44. Trois prêts SACEM ont été accordés en 2017 et 2018, pour un montant de 5,765 M€.
45. Deux de ces prêts sont mis en cause par le procureur général :
-
Db., signé le 11 avril 2018, d’un montant de 2,215 M€, pour cinq ans, à un taux
de 5,03 % (TAEG de 5,84816 %) ;
-
Dp., signé le 20 avril 2018, d’un montant de 1,05 M€, pour cinq ans, à un taux
de 5,02 % (TAEG de 5,84 %).
Sur le droit applicable aux prêts
En ce qui concerne l’organisation, la surveillance et le contrôle
46. L’article L. 511-41-1-B du code monétaire et financier dispose que «
Les établissements
de crédit et les sociétés de financement mettent en place des dispositifs, stratégies
et procédures faisant l’objet d’un contrôle interne régulier mentionné à l’article L. 511-55,
leur permettant de détecter, de mesurer et de gérer les risques auxquels ils sont ou pourraient
être exposés du fait de leurs activités
».
47. L’article L. 511-55 du code monétaire et financier dispose que : «
Les établissements
de crédit et les sociétés de financement se dotent d’un dispositif de gouvernance solide
comprenant notamment une organisation claire assurant un partage des responsabilités
bien défini, transparent et cohérent, des procédures efficaces de détection, de gestion, de suivi
et de déclaration des risques auxquels ils sont ou pourraient être exposés, d’un dispositif
adéquat de contrôle interne, de procédures administratives et comptables saines, de politiques
et pratiques de rémunération permettant et favorisant une gestion saine et efficace des risques
et, le cas échéant, d’un plan préventif de rétablissement mentionné à l’article L. 613-35
.
/
Le personnel exerçant des fonctions de contrôle est indépendant des unités opérationnelles
qu’il contrôle et dispose des moyens nécessaires à l’exercice de ses missions
».
1
Taux annuel effectif global (TAEG).
Arrêt n° S-2023-1382
10
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
48. L’article L. 511-59 du code monétaire et financier dispose que «
Le conseil
d’administration, le conseil de surveillance ou tout autre organe exerçant des fonctions
de surveillance équivalentes procède à l’examen du dispositif de gouvernance prévu à l’article
L. 511-55, évalue périodiquement son efficacité et s’assure que des mesures correctrices
pour remédier aux éventuelles défaillances ont été prises
».
49. L’article L. 511-60 du code monétaire et financier dispose que «
Le conseil
d’administration, le conseil de surveillance ou tout autre organe exerçant des fonctions
de surveillance équivalentes approuve et revoit régulièrement les stratégies et politiques
régissant la prise, la gestion, le suivi et la réduction des risques auxquels l’établissement
de crédit ou la société de financement est ou pourrait être exposé, y compris les risques
engendrés par l’environnement économique
».
50. L’article L. 511-67 du code monétaire et financier dispose que «
Le conseil
d’administration, le conseil de surveillance ou tout autre organe exerçant des fonctions
de surveillance équivalentes détermine les orientations et contrôle la mise en œuvre
par les personnes mentionnées à l’article L. 511-13 des dispositifs de surveillance afin
de garantir une gestion efficace et prudente de l’établissement, notamment la séparation
des fonctions au sein de l’organisation de l’établissement de crédit ou de la société
de financement et la prévention des conflits d’intérêts
».
51. L’article L. 514-2 du code monétaire et financier dispose que «
(…)
Les caisses sont
administrées par un directeur, sous le contrôle d’un conseil d’orientation et de surveillance.
(…)
Le conseil d’orientation et de surveillance définit les orientations générales ainsi que
les règles d’organisation de la caisse de crédit municipal et exerce le contrôle permanent
de la gestion de l’établissement par le directeur.
(…)
Le conseil d’orientation et de surveillance
veille au respect des réglementations générales de la profession bancaire et des dispositions
législatives, réglementaires ou européennes directement applicables aux caisses de crédit
municipal. A cette fin, il opère les vérifications et les contrôles qu’il juge opportuns et se fait
communiquer les documents qu’il estime utiles à l’accomplissement de sa mission.
(…)
Tout projet tendant à modifier le champ de l’activité bancaire de la caisse de crédit municipal
ainsi que les actes de disposition sur son patrimoine dont la liste est fixée par décret en fonction
de critères de seuil ou d’importance font l’objet d’une information préalable au conseil
municipal par le maire, qui en précise les motifs
».
52. L’article L. 511-13 du code monétaire et financier dispose que « (…)
La direction effective
de l’activité des établissements de crédit, y compris des succursales d’établissements de crédit
mentionnées au I de l’article L. 511-10, ou des sociétés de financement est assurée par deux
personnes au moins
».
53. L’article 241 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé dispose que «
La responsabilité
de s’assurer que l’entreprise assujettie se conforme à ses obligations au titre du présent arrêté
incombe aux dirigeants effectifs et à l’organe de surveillance
».
54. L’article 242 du même arrêté de 2014 dispose que «
Les dirigeants effectifs sont tenus
d’évaluer et de contrôler périodiquement l’efficacité des dispositifs et des procédures mis
en place pour se conformer au présent arrêté et prendre les mesures appropriées
pour remédier aux éventuelles défaillances
».
55. L’article 252 du même arrêté dispose que «
Au moins deux fois par an, l’organe
de surveillance procède à l’examen de l’activité et des résultats du contrôle interne
(…) ».
56. L’article 253 du même arrêté dispose que «
Les dirigeants effectifs informent
régulièrement, au moins une fois par an, l’organe de surveillance et, le cas échéant, le comité
des risques
(…) ».
Arrêt n° S-2023-1382
11
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
En ce qui concerne le risque de conformité
57. L’article L. 511-9 du code monétaire et financier dispose que «
Les établissements
de crédit sont agréés en qualité de banque, de banque mutualiste ou coopérative,
d’établissement de crédit spécialisé ou de caisse de crédit municipal.
(…)
les caisses de crédit
municipal peuvent effectuer toutes les opérations de banque dans le respect des limitations
qui résultent des textes législatifs et réglementaires qui les régissent
».
58. Article L. 514-1 du code monétaire et financier dispose que «
I.-Les caisses de crédit
municipal sont des établissements publics communaux de crédit et d’aide sociale.
Elles ont notamment pour mission de combattre l’usure par l’octroi de prêts sur gages
corporels dont elles ont le monopole. Elles peuvent réaliser toutes opérations
avec les établissements de crédit et les sociétés de financement, recevoir des fonds
des personnes physiques et des personnes morales, mettre à la disposition de ces personnes
des moyens de paiement et réaliser avec elles des opérations connexes au sens de l’article
L. 311-2. / II.-Elles exercent leur activité après avoir obtenu l’agrément de la Banque centrale
européenne. Cet agrément peut prévoir, en fonction des capacités techniques et financières
de la caisse, que celle-ci est, en outre, habilitée à exercer les activités suivantes
ou l’une d’entre elles : 1. L’octroi de crédits aux personnes physiques ; 2. L’octroi de crédits
aux établissements publics locaux et aux associations régies par la loi du 1er juillet 1901
relative au contrat d’association dont l’activité s’exerce dans la zone d’activité habituelle
de la caisse et dont l’objet présente un intérêt social ou culturel
».
En ce qui concerne le risque de crédit
59. L’article 207 du règlement UE n° 575/2013 susvisé, qui porte sur les exigences relatives
aux sûretés financières, dispose que « (…)
4. Les établissements remplissent toutes
les exigences opérationnelles suivantes :
(…)
b) ils mettent en œuvre des processus
et procédures solides en vue de contrôler les risques découlant de l’utilisation de sûretés,
y compris le risque d’un échec ou d’une détérioration de la protection de crédit, les risques
d’évaluation, les risques liés à la résiliation de la protection de crédit, le risque de concentration
découlant de l’utilisation de sûretés et l’interaction avec le profil de risque global
de l’établissement ; c) ils disposent de politiques et de pratiques consignées par écrit
concernant les types et montants de sûretés acceptés
(…) ».
60. L’article 208 du même règlement UE, qui porte sur les exigences relatives aux sûretés
immobilières, dispose que «
1. Les biens immobiliers ne sont éligibles en tant que sûretés
que lorsque toutes les exigences énoncées aux paragraphes 2 à 5 sont remplies.
(…)
b) toutes les obligations juridiques relatives à l’établissement de la garantie ont été remplies ;
(…)
a) les établissements suivent la valeur du bien immobilier à intervalles rapprochés,
et au moins une fois par an pour un bien immobilier commercial et une fois tous les trois ans
pour un bien immobilier résidentiel. Un suivi plus fréquent est effectué lorsque les conditions
du marché connaissent des changements significatifs ; b) l’évaluation du bien immobilier
est contrôlée lorsque certaines informations dont disposent les établissements indiquent
que sa valeur pourrait avoir sensiblement décliné par rapport aux prix généraux du marché,
et ce contrôle est effectué par un expert indépendant qui possède les qualifications,
la
compétence
et
l’expérience
nécessaires
pour
procéder
à
une
évaluation
et qui est indépendant du processus décisionnel relatif à l’octroi du crédit. Pour les prêts
d’un montant supérieur à 3 000 000 EUR ou à 5 % des fonds propres de l’établissement,
l’évaluation du bien immobilier est contrôlée par un tel expert au moins tous les trois ans
».
Arrêt n° S-2023-1382
12
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
61. L’article 209 du même règlement UE, qui porte sur les exigences applicables aux créances
à recouvrer, dispose que « (…)
2. Les exigences suivantes sont satisfaites concernant
la sécurité juridique : a) l’acte juridique octroyant la sûreté à l’établissement prêteur est solide
et efficace et établit clairement les droits de ce dernier sur la sûreté, y compris le droit
sur le produit de la vente de la sûreté
(…) ».
62. L’article 107 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé dispose que «
Sous réserve
des dispositions prévues à l’article 117, l’appréciation du risque de crédit tient notamment
compte des éléments sur la situation financière du bénéficiaire, en particulier sa capacité
de remboursement, et, le cas échéant, des garanties reçues
».
63. L’article 108 du même arrêté dispose que «
Les entreprises assujetties constituent
des dossiers de crédit destinés à recueillir l’ensemble des informations mentionnées à l’article
107, de nature qualitative et quantitative,
(…)
. Les entreprises assujetties complètent
ces dossiers au moins trimestriellement pour les contreparties dont les créances
sont impayées ou douteuses ou qui présentent des risques ou des volumes significatifs
».
64. L’article 109 du même arrêté dispose que «
La sélection des opérations de crédit
tient compte également de leur rentabilité, en s’assurant que l’analyse prévisionnelle
des charges et produits, directs et indirects, est la plus exhaustive possible et porte notamment
sur les coûts opérationnels et de financement, sur la charge correspondant à une estimation
du risque de défaut du bénéficiaire au cours de l’opération de crédit et sur le coût
de rémunération des fonds propres
».
65. L’article 117 du même arrêté dispose que «
Les entreprises assujetties utilisant
des systèmes statistiques pour la sélection et la mesure de leurs risques de crédit en vérifient
régulièrement la pertinence au regard des incidents de paiement récemment constatés
et de l’évolution de l’environnement économique et juridique
».
66. Ainsi qu’il a été dit précédemment, deux délibérations du COS portent application
particulière de ces dispositions, pour la CCMB, aux prêts ici contestés. La délibération
n° 2016/47 du 13 décembre 2016 crée trois nouveaux produits : le prêt patrimonial, le prêt
sur gage de haute valeur par dépossession, et le prêt aux associations et établissements
publics locaux. Cette délibération définit, en tout ou partie selon les catégories, de façon
plus ou moins détaillée, les caractéristiques et la durée, l’objet, les documents à produire,
la procédure, le taux, les références aux textes. La délibération n° 2018/30 du 19 juin 2018
actualise la délibération du 13 décembre 2016 pour intégrer aux prêts patrimoniaux «
le prêt
de regroupement de créances
», adossé à une garantie hypothécaire de premier rang,
et le prêt de trésorerie «
SACEM
», adossé à une cession de droits gérés par la SACEM.
Elle précise, par ailleurs, que les prêts sur gage de haute valeur peuvent désormais concerner
des prêts supérieurs à 100 000 €.
Sur le moyen en défense de M. X en ce qui concerne le risque de crédit
67. M. X fait valoir que le risque de crédit fait partie de l’activité de prêt ; qu’il existe
des prêts non performants et que ces prêts sont largement couverts par les fonds propres
de la CCMB ; que le bilan de la Caisse est affecté de nombreux prêts non performants
relevant de la gestion antérieure et transformés en pertes ; que l’équipe dirigeante a sollicité,
sans succès, fin 2016 un audit de la chambre régionale des comptes Nouvelle-Aquitaine
et qu’elle a, elle-même, avec les services de contrôle et de maitrise des risques toiletté le bilan
de l’établissement public.
Arrêt n° S-2023-1382
13
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
68. Il n’est pas contesté par la décision de renvoi que l’activité de crédit soit une activité
risquée. La prévention porte sur le fait que MM. X et Y se seraient affranchis
des règles qui ont pour objet de réduire ces risques pour les établissements de crédit et, ici,
pour la CCMB. Le fait que les prêts non performants soient couverts par les fonds propres
de la Caisse n’invalide pas le constat que des pertes peuvent avoir été causées par l’action
ou
l’inaction
de
MM. X et Y.
Les
insuffisances
alléguées
des
organes
de contrôle interne ou externe seront examinées au titre des circonstances atténuantes
mais elles ne peuvent exonérer MM. X et Y de leur responsabilité.
Sur l’organisation, la surveillance et le contrôle
69. La décision de renvoi fait grief aux dirigeants effectifs d’avoir manqué à leur devoir
d’organisation, de contrôle et de surveillance.
70. Elle fonde ledit grief sur l’article L. 511-55 du code monétaire et financier relatif au dispositif
de gouvernance, comprenant des procédures de détection et de suivi des risques,
et sur l’article 11 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé sur le système de contrôle.
71. Les articles 241, 242 et 253 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé font obligation
aux dirigeants effectifs de s’assurer que l’entreprise assujettie se conforme à ses obligations,
d’évaluer et de contrôler périodiquement les dispositifs et procédures mis en place, d’informer
au moins deux fois l’an l’organe de surveillance.
72. L’organisation, la surveillance et le contrôle des activités de l’établissement incombent
cependant en premier lieu au COS ainsi qu’en disposent les articles L. 511-55, L. 511-59,
L. 511-60, L. 511-67, L. 514-2 du code monétaire et financier et 241 et 252 de l’arrêté
du 3 novembre 2014 relatif au contrôle interne des entreprises du secteur de la banque, des
services de paiement et des services d’investissement soumises au contrôle de l’Autorité de
contrôle prudentiel et de résolution.
73. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a pu relever de sérieux manquements
s’agissant du dispositif de contrôle interne, de la cartographie des risques et du contrôle
de conformité, de la sélectivité et de la maîtrise du risque de crédit, du fait de la collecte
déficiente des renseignements sur les emprunteurs.
74. Dès lors que ces manquements étaient de nature à affecter la qualité de la décision d’octroi
de prêt et que les prêts en cause ont été accordés par les dirigeants effectifs, ceux-ci ont validé
des dossiers incomplets. Il leur était, en effet, loisible de se faire produire des éléments
complémentaires avant signature.
75. En ce sens, ils ont manqué, avant de prendre leurs décisions à leur obligation de contrôle
de l’effectivité du processus conduisant à la décision et, notamment, des garanties qu’il donnait
à la qualité des décisions de prêt.
Sur le risque de conformité
76. Il résulte des articles L. 511-9 et L. 514-1 du code monétaire et financier que les caisses
de crédit municipal constituent une des cinq catégories d’établissements visées par ledit code ;
qu’elles peuvent effectuer toutes opérations de banque dans les limites des textes
qui les régissent. Elles sont en premier lieu chargées de lutter contre l’usure en prêtant
sur gage corporel, activité dont elles ont le monopole. Elles sont soumises à l’agrément
de la Banque centrale européenne (BCE) qui peut, de plus, les autoriser à octroyer des crédits
aux personnes physiques, aux établissements publics locaux et aux associations de leur zone
d’activité.
Arrêt n° S-2023-1382
14
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
77. La décision de renvoi fait grief à la CCMB d’avoir mené des activités de crédit sans disposer
de cette autorisation.
78. Les listes des établissements de crédit relevant du code monétaire et financier publiées
au Journal officiel des 5 juillet 2005 et 22 juillet 2008 mentionnent la Caisse de crédit municipal
de Bordeaux parmi les caisses de crédit municipal dont l’activité n’est pas limitée aux prêts
sur gage. Les listes, désormais accessibles sur le registre des agents financiers (REGAFI),
ne précisent aucune restriction.
79. Cette habilitation n’est pas mise en cause par l’Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution. Une délibération n° 2016/18 du 29 juin 2016 autorise le directeur à demander
une extension d’agrément à l’octroi de crédits aux établissements publics locaux
et aux associations. Il y est précisé que la CCMB est déjà autorisée à accorder des crédits
aux personnes physiques (au-delà des prêts sur gages corporels).
80. Le fait que la CCMB ne serait pas habilitée à effectuer d’autres opérations que le prêt
sur gage n’est pas établi. Ainsi le risque de non-conformité sur ce point n’est pas constitué.
Sur les manquements et le risque de crédit, constitutifs d’une faute grave
Sur des défauts communs à tous les prêts mis en cause : l’incomplétude des dossiers
et l’insuffisance des sûretés
81. Selon l’article 10 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé, le risque de crédit correspond
au risque encouru en cas de défaillance d’une contrepartie.
82. Le règlement UE n° 575/2013 susvisé, en ses articles 207, 208 et 209 susmentionnés,
prévoit les conditions que doivent remplir les sûretés. L’article 107 de l’arrêté
du 3 novembre 2014 susvisé dispose que l’appréciation du risque de crédit tient compte,
notamment des éléments sur la situation financière du bénéficiaire, en particulier sa capacité
de remboursement et, le cas échéant, des garanties reçues. L’article 108 du même arrêté
prévoit que les établissements de crédit constituent des dossiers de crédits destinés à recueillir
l’ensemble de ces informations. L’article 109 prévoit que la sélection des opérations de crédit
tient compte de leur rentabilité. Les délibérations du COS n° 2016/47 du 13 décembre 2016
et n° 2018/30 du 19 juin 2018 déclinent ces dispositions pour les prêts consentis par la CCMB
ici en cause.
83. Ainsi qu’il a été dit aux points 42 et 45, deux prêts patrimoniaux et deux prêts SACEM
sont en cause.
En ce qui concerne les prêts patrimoniaux (PPX)
Sur le prêt C.
84. Le prêt C., contracté le 12 décembre 2018, s’inscrit dans le cadre de la délibération
du 19 juin 2018 sur les prêts patrimoniaux de regroupements de crédits garantis
par une hypothèque.
85. La décision de renvoi estime que ce prêt a été accordé sans que soit vérifié l’objet du prêt,
les mesures de sécurisation prévues par le COS (propriété du bien), la situation globale
patrimoniale et financière de l’emprunteur ni l’ensemble des pièces justificatives
de ces éléments.
Arrêt n° S-2023-1382
15
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
86. Le premier manquement, constaté par la note de la direction des risques
du 5 novembre 2021, procède de l’absence d’information sur les charges et le patrimoine
(hors parts de la société civile immobilière (SCI)) de Mme C. dans le dossier alors
qu’une déclaration de patrimoine est prévue par la délibération du 19 juin 2018.
87. Le deuxième manquement tient à la méconnaissance des dispositions de l’article 107
de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé aux termes desquelles l’appréciation du risque
de crédit tient notamment compte des éléments sur la situation financière du bénéficiaire,
en particulier sa capacité de remboursement et, le cas échéant, des garanties reçues.
Cette obligation d’un examen de la solvabilité de l’emprunteur résulte également
des dispositions de l’article L. 313-16 du code de la consommation. Dans le cas présent,
Mme C. acceptait une charge de remboursement des seuls intérêts de 78 200 € par an
pour un revenu déclaré de 114 000 € avant impôts et décompte de ses charges, représentant
ainsi 68,6 % du revenu brut de l’emprunteur.
88. De plus, ainsi que le mentionne le compte rendu du comité de crédit du 4 avril 2018,
la CCMB connaissait l’existence du litige opposant l’emprunteur à la SARL K, son locataire,
et ne pouvait donc ignorer que l’essentiel du revenu de Mme C. était très incertain, le paiement
des loyers étant suspendu depuis le 8 mars 2017.
89. Le troisième manquement découle de la nature de la garantie constituée par Mme C.
(soit le nantissement de parts de SCI), alors que la délibération du 19 juin 2018 ne prévoit
qu’une garantie hypothécaire de premier rang et que la délibération générale sur les prêts
patrimoniaux, du 13 décembre 2016, exclut explicitement les parts de sociétés.
90. Le quatrième manquement est constitué par le renouvellement tardif, le 30 avril 2021,
de l’estimation du bien apporté en garantie effectuée le 16 octobre 2017 alors que l’article 208
du règlement UE n° 575/2013 susvisé dispose que les établissements de crédits suivent
la valeur du bien immobilier (constituant la garantie) à intervalle régulier et au moins une fois
par an pour un bien immobilier commercial.
91. En revanche l’objet du prêt paraît correspondre aux visées de la délibération
du 19 juin 2018.
92. Cet ensemble de manquements sur le caractère incomplet du dossier en ce qu’il ne
comporte pas l’état du patrimoine de l’emprunteur ni l’état de ses charges, la disproportion
manifeste entre les revenus de l’emprunteur et la charge de l’emprunt, la non-prise en compte
de la fragilité des revenus déclarés, constitués pour l’essentiel d’un loyer objet d’un litige,
l’absence de suivi de la valeur du bien, établissent suffisamment les griefs soulevés
par la décision de renvoi.
Sur le prêt M.
93. Le prêt M., signé le 20 août 2018, fait référence à l’article L. 313-1 2° du code
de la consommation et cite (cf. article 3.1) l’article L. 313-1-2 3° du même code. Cet article
concerne les crédits destinés à financer l’acquisition, l’entretien, les travaux immobiliers.
94. La décision de renvoi estime que ce prêt a été accordé sans que soient vérifiés l’objet
du prêt, la situation globale patrimoniale et financière de l’emprunteur ainsi que l’ensemble
des pièces justificatives de ces éléments.
Arrêt n° S-2023-1382
16
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
95. En tant que prêt immobilier, ledit prêt doit remplir les conditions prévues par la délibération
du 13 décembre 2016 ou par celle du 19 juin 2018. N’étant pas destiné à regrouper
des crédits, celui-ci ne peut relever de la délibération de 2018. La délibération de 2016 prévoit
que le prêt patrimonial doit être destiné soit à un prêt relais achat vente, soit à des travaux,
soit à constituer une trésorerie, soit à des projets divers. Aucun de ces motifs ne figurant
au contrat, il s’en déduit que l’objet du prêt n’a pas été vérifié.
96. Si l’estimation a bien été réalisée par un notaire, il n’est pas établi que celle-ci résulte
d’une expertise, aucune pièce en tenant lieu ne figurant au dossier. Par ailleurs, ce notaire,
présenté par l’emprunteur, a été chargé d’inscrire l’hypothèque et a été désigné séquestre
des fonds garantissant le bon paiement des intérêts, en contradiction avec les dispositions
de l’article L. 313-20 du code de la consommation qui dispose que «
Lorsque le prêteur
procède ou fait procéder à l’évaluation du bien immobilier à usage d’habitation financé à l’aide
d’un prêt mentionné à l’article L. 313-1, il veille à ce que : 1° Celle-ci soit réalisée par un expert
en évaluation immobilière justifiant de sa compétence professionnelle et indépendant
du processus de décision d’octroi du prêt afin de fournir une évaluation impartiale
et objective.
». L’article R. 313-17 du même code précise que l’expert ne doit présenter
aucun intérêt économique personnel vis-à-vis du bien évalué.
97. Enfin l’article 107 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé indique que l’appréciation
du risque de crédit tient notamment compte des éléments sur la situation financière
du bénéficiaire, en particulier sa capacité de remboursement et, le cas échéant, des garanties
reçues. Cette obligation d’un examen de la solvabilité de l’emprunteur résulte également
des dispositions de l’article L. 313-16 du code de la consommation. Dans le cas présent,
les seuls éléments disponibles établissent suffisamment la précarité des emprunteurs
(faibles revenus, biens hypothéqués). Par ailleurs, l’évolution du dossier a démontré
le caractère très incertain de l’évaluation du bien apporté en garantie, comme de la réalité
de la propriété (SCI partagée avec les enfants).
98. Cet ensemble de manquements tenant à la non-conformité de l’objet du prêt
à la délibération de 2016, au caractère incomplet du dossier en ce qu’il ne comporte pas l’état
du patrimoine de l’emprunteur ni l’état de ses charges, à la disproportion manifeste
entre les revenus de l’emprunteur et la charge de l’emprunt, au caractère incertain sinon fautif
de l’évaluation du bien, et à l’absence de suivi de la valeur du bien, établissent suffisamment
les griefs soulevés par la décision de renvoi.
En ce qui concerne les prêts SACEM
99. Le même grief tenant au caractère incomplet des dossiers et à l’insuffisance des suretés
est soulevé par la décision de renvoi à l’encontre des deux prêts SACEM, pour lesquels
le procureur général estime que l’instruction a établi que, en dépit de leurs montants
importants, ils ont été accordés sans qu’il n’ait été procédé, au préalable, à un examen précis
et complet de la solvabilité des emprunteurs, la CCMB ne disposant pas d’éléments suffisants
lui permettant d’avoir une vision globale de la situation patrimoniale et financière (charges
et revenus) des demandeurs, ni de l’ensemble des pièces justificatives établissant la réalité
des éléments déclarés.
Arrêt n° S-2023-1382
17
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur le prêt Db.
100. Il est suffisamment établi, comme le soulève la décision de renvoi, que le prêt Db.
souffre d’un défaut d’examen préalable précis et complet de la solvabilité des emprunteurs,
la CCMB ne disposant pas d’éléments suffisants lui permettant d’avoir une vision globale
de la situation patrimoniale et financière des demandeurs, ni de l’ensemble des pièces
justificatives établissant la réalité des éléments déclarés. Une note de la direction des risques,
du 11 septembre 2021, relative à ce prêt, souligne que, hormis l’impôt sur le revenu et le loyer
annuel, aucun élément sur les charges ni sur le patrimoine ne figurait au dossier.
101. Si les revenus du couple étaient justifiés par les déclarations de revenu sur trois ans,
la nature de ces revenus et leur fragilité aurait dû conduire la CCMB à approfondir
son appréhension desdits revenus.
102. Par ailleurs, le lourd endettement des consorts Db. (1,9 M€), aurait dû être analysé
comme un indice de déséquilibre structurel des emprunteurs constituant un risque de crédit.
Leur inscription au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP)
aurait dû faire obstacle au prêt selon les règles de la CCMB. Leur âge laissait présumer
que leurs activités professionnelles et donc les revenus qu’ils en tiraient, allaient décroître.
103. Les garanties étaient incertaines. En effet, la convention de cession ne porte que
sur les revenus SACEM de M. Db. et non sur ceux de Madame. De plus, la nature
de ces revenus portait le risque de les voir décroître dans le temps. Aucun bien meuble
ou immeuble, susceptible de faire l’objet de voies d’exécution, n’existait.
104. Enfin, l’absence de fiche précontractuelle au dossier, expose la CCMB à être pénalisée
pour défaut de conseil. Il peut néanmoins être relevé que la feuille qui porte l’acceptation
du prêt par l’emprunteur porte reconnaissance de sa part de ce que le prêteur lui a fourni
toutes explications nécessaires.
Sur le prêt Dp.
105. Il est suffisamment établi, comme le soulève la décision de renvoi, que le prêt Dp.
souffre d’un défaut d’examen préalable précis et complet de la solvabilité des emprunteurs,
la CCMB ne disposant pas d’éléments suffisants lui permettant d’avoir une vision globale
de la situation patrimoniale et financière des demandeurs, ni de l’ensemble des pièces
justificatives établissant la réalité des éléments déclarés.
106. Des éléments ont cependant été produits qui justifient des revenus de Mme Dp.
pour les années 2015 et 2016. Une incertitude pèse, néanmoins, sur la stabilité des droits
SACEM. En revanche, aucun élément n’est disponible ni sur les charges ni sur la situation
patrimoniale de Mme Dp. Seule est faite mention d’un loyer de 1 680 € sur la fiche de prêt.
107. Des éléments présents au dossier ressortent une situation financière dégradée et fragile
de Mme Dp. (dettes fiscales, loyers impayés, diverses dettes), une différence entre les revenus
déclarés sur la fiche et la réalité des avis d’impositions (déclarés 2016 : pension de réversion :
2 252 €/mois, droits d’auteur : 4 955 €/an, SACEM : 190 000 €/an ; avis d’imposition 2016 :
revenu total : 103 384 €). Il apparaît que les droits SACEM sont compris en réalité
entre 75 000 € et 85 000 €/an, sauf en 2017 (181 700 €).
Arrêt n° S-2023-1382
18
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur la constitution d’une faute grave en ce qui concerne le risque de crédit
108. L’infraction visée par la décision de renvoi est celle prévue initialement par l’article L. 313-
4 du CJF et continuée, à compter du 1
er
janvier 2023, par l’article L. 131-9 du CJF,
selon laquelle «
Tout justiciable au sens de l’article L. 131-1 qui, par une infraction aux règles
relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État,
des collectivités, établissements et organismes mentionnés au même article L. 131-1,
commet une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif, est passible
des sanctions prévues à la section 3. / Les autorités de tutelle de ces collectivités,
établissements ou organismes, lorsqu’elles ont approuvé les faits mentionnés au premier
alinéa, sont passibles des mêmes sanctions. / Le caractère significatif du préjudice financier
est apprécié en tenant compte de son montant au regard du budget de l’entité ou du service
relevant de la responsabilité du justiciable
».
109. La décision de renvoi soutient que la commission répétée des manquements relevés,
en ce qu’ils méconnaissent les règles relatives aux dépenses de la Caisse de crédit municipal
de Bordeaux, exposent l’établissement à des risques significatifs de non-conformité
et de crédit et constituent des violations du devoir général d’organisation, de contrôle
et de surveillance des dirigeants, constitue, par son caractère systémique, comme
pour chacun des dossiers pris individuellement, des fautes graves de gestion.
110. Les manquements relevés dans les dossiers de prêts constituent des manquements
aux règles fixées, notamment, par les articles L. 514-1 à L. 514-3 et L. 514-22 du code
monétaire et financier, 207 à 209 du règlement UE n° 575/2013 concernant les exigences
prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement,
107 à 109 et 117 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé et les délibérations
des 13 décembre 2016 et 19 juin 2018. Ces règles sont nécessaires pour assurer la continuité
des activités des banques et des assurances, lutter contre le blanchiment de capitaux
et le financement du terrorisme, protéger la clientèle, préserver la stabilité financière.
Leur violation dans un établissement de crédit constitue une faute grave. Cette faute affecte
ici la gestion d’une activité de prêt. Si l’octroi d’un prêt ne constitue pas une charge
stricto
sensu
, il constitue au regard de la règlementation financière et comptable une dépense.
Ces manquements constituent donc également un manquement grave aux règles d’exécution
des dépenses. La gravité du manquement est d’autant plus lourde que les montants des prêts
constituent un enjeu financier important et méritaient donc une attention particulière
des signataires.
111. Subsidiairement, en ce qui concerne le défaut des pièces nécessaires, il ressort
des dispositions des articles 107 et 108 de l’arrêté du 3 novembre 2014 susvisé
que l’appréciation du risque de crédit tient notamment compte des éléments sur la situation
financière du bénéficiaire, en particulier sa capacité de remboursement, et, le cas échéant,
des garanties reçues. Les entreprises assujetties doivent constituer des dossiers de crédit
destinés à recueillir l’ensemble des informations mentionnées à l’article 107, de nature
qualitative et quantitative. Il leur incombe de compléter ces dossiers au moins trimestriellement
pour les contreparties dont les créances sont impayées ou douteuses ou qui présentent
des risques ou des volumes significatifs. La non-production des pièces nécessaires au cours
de l’instruction et le constat de l’absence de nombreuses pièces relevé dans le rapport
de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, réalisé avant la fin des fonctions
de
MM. X et Y,
établit
suffisamment
leur
absence
au
moment
de
la
signature
des contrats de prêts.
112. M. Y fait valoir que la faute grave et le préjudice financier significatif sont
deux éléments constitutifs de l’infraction distincts et que l’on ne saurait qualifier la gravité
de la faute par l’importance du préjudice, non plus que le caractère significatif du préjudice
par la gravité de la faute.
Arrêt n° S-2023-1382
19
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
113. Sur ce dernier point, l’exigence d’un cumul entre une faute grave et un préjudice financier
significatif, posée par le législateur, pour constituer l’infraction prévue par l’article L. 131-9
du CJF exclut certes que l’infraction soit constituée en l’absence d’un préjudice financier
significatif, même en cas de commission d’une faute grave. La rédaction de l’article n’interdit
cependant pas au juge de retenir l’importance de l’enjeu financier pour qualifier
la gravité de la faute.
Sur des griefs propres aux prêts SACEM
114. Le parquet général soulève dans la décision de renvoi des griefs communs
à l’encontre de chacun des deux prêts.
115. En premier lieu, les deux contrats de prêt ont été souscrits sans que le COS ait,
au préalable, autorisé la mise en œuvre de ce type de prêt. Au regard de leurs caractéristiques
spécifiques, il ne saurait être considéré que le prêt SACEM constituait une déclinaison du prêt
patrimonial
créé
par
la
délibération
n° 2016/47
du
13 décembre 2016.
En
effet,
cette délibération n’envisageait pas l’octroi de prêts garantis par la cession de créances
détenues (ou à détenir) par l’emprunteur sur la SACEM. L’annexe à la délibération
du 13 décembre 2016 consacrée au « prêt patrimonial » ne permettait d’ailleurs pas,
compte tenu de la spécificité de la garantie attachée à une créance détenue sur la SACEM,
de fixer le pourcentage de financement maximum lié à un « prêt SACEM ». Les deux prêts
accordés les 11 et 20 avril 2018 étaient donc dépourvus de fondement juridique,
ainsi qu’en témoigne la nécessité devant laquelle s’est trouvé le COS d’adopter,
le 19 juin 2018, une délibération portant sur ce produit spécifique, sans préjudice de sa légalité
au regard des limites fixées par le code monétaire et financier aux activités des caisses
de crédit municipal.
116. Sur ce point, il est établi que la délibération n° 2018/30 a été adoptée le 19 juin 2018 ;
que le prêt Db. a été accepté le 11 avril 2018 et le prêt Dp. le 20 avril 2018, soit avant le vote
de la délibération. La délibération du 13 décembre 2016 autorisait des prêts gagés
sur des garanties mobilières incorporelles, mais en limitait la nature aux contrats d’assurances
vie en euros, aux contrats de capitalisation, tontines et comptes à terme. Ces deux prêts
ayant été accordés avant la prise de la délibération les autorisant, le défaut d’autorisation
est donc constitué. Le fait pour des dirigeants effectifs d’une caisse de crédit municipal
de mener des opérations de prêts non autorisé par leur COS constitue un manquement grave
à leurs devoirs, notamment au regard des dispositions des articles L. 511-60 et L. 514-2
du code monétaire et financier, tant en ce qui regarde les risques de crédit que les règles
relatives à l’exécution des dépenses.
117. La question de la conformité de ces prêts aux règles limitant l’action des caisses de crédit
municipal a déjà été examinée aux points 76 à 80. Il y a été établi que ce grief manque en droit
comme en fait.
118. Enfin, le procureur général relève que, pour aucun des prêts SACEM en cause,
le directeur général n’a présidé, en méconnaissance du règlement intérieur de la CCMB,
le comité de crédit qui a rendu un avis favorable à l’octroi du prêt. Le règlement intérieur
de la CCMB modifié par délibérations du 29 juin 2016 et du 10 avril 2019 prévoit, en effet, que
le comité de crédit se réunit deux fois par semaine sous la présidence du directeur général.
S’il peut être regretté que le directeur général n’ait pas présidé les comités de crédit qui se
sont prononcés sur les prêts SACEM, produits nouveaux et d’un montant considérable, cette
absence ne peut être considérée comme une faute grave. Tout dirigeant peut, en effet, se faire
suppléer dans l’exercice de ses fonctions et la périodicité bihebdomadaire des réunions
du comité pouvait nécessiter de telles suppléances. La lettre du 16 mars 2017 adressée
par M. X, directeur général à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution précise
que M. Y, directeur général adjoint, préside le comité de crédit une fois sur deux.
Arrêt n° S-2023-1382
20
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur le caractère systémique des manquements
119. Il est suffisamment établi que de nombreux dossiers de prêts sont affectés
par des méconnaissances répétées des règles relatives à la réalisation d’évaluations initiale
et révisée des garanties, prudentes et sécurisées par un expert indépendant (arrêté
du 3 novembre 2014 susvisé, article 119), à la tenue de dossiers recueillant toutes
les informations requises de nature quantitative et qualitative (arrêté du 3 novembre 2014
susvisé, articles 107 et 108), et permettant, notamment, une connaissance complète, étayée
et analysée des activités, revenus, patrimoine et risques du client (arrêté du 3 novembre 2014
susvisé, article 107), des analyses du risque de crédit.
120. Cependant, les réquisitions du procureur général à l’audience ne visent plus que
4 dossiers, soit 2 prêts immobiliers sur 27, 2 prêts SACEM sur 3 et plus aucun des 3 prêts
sur gage de haute valeur.
121. Nonobstant la répétition des manquements relevés, la proportion des dossiers
en cause ne permet pas de retenir le caractère systémique desdits manquements.
Sur le préjudice
Sur le droit applicable
122. L’article
L. 131-9
du
CJF
exige,
pour
que
l’infraction
soit
constituée,
que les manquements relevés aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses
ou à la gestion des biens de l’État, des collectivités, établissements et organismes constituent
une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif. Il précise que le caractère
significatif du préjudice financier est apprécié en tenant compte de son montant au regard
du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable.
Sur le grief formulé par la décision de renvoi
123. Dans sa décision de renvoi, le procureur général relève que les fautes graves
de gestion commises sont à l’origine d’un premier préjudice subi par la CCMB
consécutivement à la sanction pécuniaire de 120 000 € qui lui a été infligée par une décision
du 3 juin 2021 de la commission des sanctions de l’Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution (ACPR). En effet, les griefs ayant conduit à cette sanction, liés aux lacunes
du contrôle de la conformité, au défaut de sélection et de surveillance des risques de crédit
et aux défaillances du contrôle interne, recoupent en tous points les éléments en cause devant
la Cour des comptes pour caractériser les fautes graves de gestion.
124. Il y ajoute un préjudice de près de 100 000 €, montant correspondant aux honoraires
d’avocats et frais d’huissiers que l’établissement a dû exposer dans le cadre des procédures
de recouvrement qu’elle a dû initier compte tenu des impayés liés aux prêts en cause.
125. Il estime que doit également être inclus dans le préjudice financier subi par la CCMB,
du fait des fautes graves de gestion commises par ses dirigeants effectifs, le coût du portage
des prêts SACEM que devra assumer l’établissement jusqu’à leur remboursement
hypothétique. À la date de l’ordonnance de règlement, ce coût s’élevait à près de 300 000 €,
correspondant aux provisions qui auront été constituées au 31 décembre 2023 pour couvrir
le risque de portage.
Arrêt n° S-2023-1382
21
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
126. Enfin, et surtout, le procureur général considère que les fautes graves de gestion
ont causé à la CCMB un préjudice financier lié à la réalisation du risque de crédit sur plusieurs
des prêts en cause. Il convient que, dans l’état du dossier, la Caisse de crédit municipal
de Bordeaux n’a encore constaté dans sa comptabilité aucune perte sur créances
irrécouvrables ; qu’elle a cependant inscrit, au 31 décembre 2022, des provisions à hauteur
de près de 9 M€ pour couvrir ce risque ; que, par ailleurs, une partie non négligeable
des sommes inscrites en provisions correspond à des créances dont le recouvrement
est d’ores et déjà définitivement compromis, compte tenu de la situation patrimoniale
et financière des emprunteurs. À s’en tenir aux seuls quatre prêts pour lesquels les pertes
doivent être regardées comme acquises (prêt SACEM de M. Db., prêt SACEM de Mme Dp.,
prêt immobilier C. et prêt immobilier M.), le préjudice s’élève à un peu plus de 4,7 M€.
127. Au total, il évalue le préjudice financier causé par la faute grave de gestion commise
par les dirigeants effectifs
a minima
à 220 000 €, à s’en tenir aux sommes que la CCMB
a déjà dû exposer consécutivement à cette faute et, beaucoup plus probablement à la somme,
à parfaire à la date du jugement à intervenir, et à 5,2 M€ si l’on y ajoute les pertes qui devront
être inscrites à brève échéance en charges au titre des créances irrécouvrables.
Sur les moyens de MM. X et Y
128. M. X fait, tout d’abord, valoir, se fondant sur l’arrêt de la Cour n° S-2023-0604
du 11 mai 2023, qu’il appartient à la Cour d’établir le montant du préjudice causé ; que,
dans le cas présent, aucun préjudice n’est réellement constitué en ce que les prêts restent
à rembourser et que les garanties constituées devraient permettre à la CCMB de recouvrer
tout ou partie des sommes dues. Il indique que d’autres prêts, relevant de gestions antérieures,
ont donné à lieu à perte, que la Cour n’a pas pris en compte.
129. Il relève la difficulté d’établir actuellement le montant d’une perte éventuelle
et souligne qu’elle résultera aussi de la procédure de recouvrement incombant à l’actuelle
direction et sera donc hors sa responsabilité.
130. Il fait valoir ensuite que si perte il devait y avoir, elle n’engagerait pas d’argent public,
en ce que l’argent manié est privé et que le capital de la Caisse est suffisant pour couvrir
les 5,2 M€ évoqués par l’ordonnance de règlement. La commune de Bordeaux ne serait donc
pas appelée à engager ses fonds en garantie.
131. Il demande que soient pris en compte les gains apportés par les prêts en cause
dans l’appréciation de l’éventuel préjudice.
132. M. Y
émet
des
réserves
sur
les
calculs
de
l’ordonnance
de
règlement
et le caractère significatif du préjudice qu’il estime devoir plutôt se référer au cadre d’ensemble.
133. Il fait surtout valoir que les chiffres retenus procèdent d’actes et de décisions de gestion
émanant de la direction actuelle de la CCMB que la juridiction doit apprécier
avec circonspection. Ainsi, selon lui, le passage de provisions peut résulter de décisions
plus ou moins discutables et doit, en tout cas être soigneusement distingué de la réalité
de pertes définitives, non avérées en l’espèce. De même, les actes de recouvrement,
ou de manière plus générale les actions en justice nécessaires à l’exécution par les parties,
ou des tiers, de leurs obligations, échappent là encore aux personnes poursuivies.
134. À ce dernier titre, il estime que la responsabilité des tiers évaluateurs devrait être engagée
et réduirait le préjudice.
Arrêt n° S-2023-1382
22
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur l’évaluation du préjudice et de son caractère significatif
135. La créance C. atteint 1 993 250 € hors frais. Ainsi qu’il a été dit au point 87,
les revenus de Mme C. ne lui permettent pas d’amortir le prêt. Le bien en garantie a été
dévalué, en dernier lieu, à 769 000 €. La résidence principale, selon sa situation hypothécaire,
peut apporter de 112 000 € à 405 000 €. La perte peut donc être arrêtée entre 800 000 €,
et 1,2 M€, hors frais.
136. La créance des époux Db., d’un montant en principal de 2 215 000 €, gagée
sur les revenus SACEM du seul M. Db., est partiellement compromise. Le revenu SACEM
de M. Db. s’élevait en 2016 à 138 739 €. Le montant annuel des seuls intérêts prévus sur cinq
ans dépasse 110 000 €. Malgré des revenus confortables, la situation financière
des emprunteurs reste déséquilibrée et des défauts de paiement sur les seuls intérêts ont été
enregistrés. La valeur du portefeuille SACEM gagé étant appelée à décroître, la garantie
du principal n’est pas assurée. La perte minimale sur ce dossier peut être évaluée à 1 M€.
137. Compte tenu de la dévaluation de 7 M€ à 1 M€ du bien apporté en garantie,
de la faiblesse des revenus des emprunteurs et des dettes, notamment fiscales, qui grèvent
leur patrimoine, le recouvrement du prêt de 2,5 M€ consenti aux consorts M. est objectivement
compromis. Cette créance est provisionnée à hauteur d’1,5 M€. Le préjudice résultant
de cette opération peut être évalué entre 1 M€ et 2,5 M€, hors frais.
138. Compte tenu de la situation financière de la débitrice, la créance Dp. apparaît entièrement
compromise, la perte s’établissant, en conséquence, à 1,14 M€, hors frais.
139. Le
préjudice
résultant
des
graves
manquements
de
MM. X et Y
à leurs devoirs et obligations peut au total être évalué
a minima
à 3 940 000 €. À défaut
qu’ils puissent être répartis entre les prêts litigieux et donc affectés par quote-part aux quatre
prêts ici en cause, il n’est pas possible d’y ajouter le montant de l’amende prononcée
par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, soit 120 000 €, les frais d’avocats
et d’huissiers, soit 97 559 €, les coûts de portage, soit 296 369 €. Le préjudice minimal
est donc évalué à 3 940 000 €.
140. Le produit net bancaire, qui peut être assimilé, pour un établissement de crédit
tel que la Caisse de crédit municipal de Bordeaux, au budget de l’entité, s’est élevé en 2016,
à 10,2 M€, en 2017, à 10,4 M€, en 2018, à 10,9 M€, en 2019, à 10,9 M€, en 2020, à 9,8 M€,
en 2021 à 8,5 M€, et en 2022 à 7,8 M€.
141. Le préjudice minimal qui représente, selon les années, entre 36 et 50 % du produit net
bancaire revêt ainsi un caractère significatif.
Sur les moyens de MM. X et Y
142. Si, au vu des éléments disponibles à la clôture de l’instruction, les pertes n’ont pas
été définitivement constatées, les évaluations du préjudice reposent sur le caractère
manifestement compromis d’une partie des créances en cause compte tenu des perspectives
vraisemblables de recouvrement. Elles tiennent compte des recouvrements que peuvent
obtenir les diligences habituelles, sans qu’il y ait lieu de mettre en question la réalité
de ces diligences intervenues ou à advenir. Les hypothèses formulées à l’audience
par MM. X et Y sur la valeur des garanties ou la mise en jeu de la responsabilité
des tiers évaluateurs ne les invalident pas en ce qu’elles ne reposent sur aucun dire d’expert
pour les premières et restent totalement incertaines pour les secondes.
Arrêt n° S-2023-1382
23
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
143. Il n’y a pas lieu de prendre en compte des pertes causées par des prêts consentis
par des gestions antérieures en ce que la Cour n’en est pas saisie et qu’il n’est pas établi
que ces pertes soient dues à la méconnaissance des règles applicables à l’activité de prêt.
144. Contrairement à ce que soutient M. X, les pertes dues aux prêts en cause
affectent la situation de l’établissement public, nonobstant le caractère privé de ses deniers.
Elles affectent aussi la situation de la commune de Bordeaux, puisqu’ainsi que M. X
le reconnaît dans ses écritures, la commune est l’équivalent d’un actionnaire ou d’un sociétaire
unique de la CCMB. Sa dotation initiale a permis la constitution de l’organisme.
145. Il n’y a pas lieu de réduire le montant du préjudice des gains apportés par les prêts
litigieux. À défaut qu’ils aient été conclus, d’autres contrats, mieux sécurisés, auraient permis
à la Caisse de crédit municipal de Bordeaux de percevoir des intérêts.
146. Au surplus, si, ainsi que le souligne M. Y et qu’en convient le ministère public,
le passage de provisions ne présume pas nécessairement d’une perte définitive, leur montant,
validé par les commissaires aux comptes, obéit à des règles prudentielles et comptables
établies et donne une indication utile sur le risque de perte.
Sur la responsabilité des dirigeants effectifs
147. La décision de renvoi estime que la responsabilité des manquements ayant conduit
à
ce
préjudice
incombe
à
MM. X et Y,
directeur
général
et
directeur
général
adjoint de la Caisse de crédit municipal de Bordeaux, et dirigeants effectifs de l’établissement.
148. L’article L. 511-13 du code monétaire et financier prévoit que la direction effective
des établissements de crédit est assurée par deux personnes au moins. Aux termes du I-1°
de son article L. 511-51, les membres du conseil d’administration, du conseil de surveillance
et du directoire, le directeur général et les directeurs généraux délégués, ainsi que toute autre
personne ou membre d’un organe exerçant des fonctions équivalentes doivent disposer,
à tout moment, de l’honorabilité, des connaissances, des compétences et de l’expérience
nécessaires à l’exercice de leurs fonctions.
149. L’article
241
de
l’arrêté
du
3 novembre 2014
relatif
au
contrôle
interne
des entreprises du secteur de la banque, des services de paiement et des services
d’investissement soumises au contrôle de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution
dispose que «
La responsabilité de s’assurer que l’entreprise assujettie se conforme
à ses obligations au titre du présent arrêté incombe aux dirigeants effectifs et à l’organe
de surveillance
» ; son article 242, que «
Les dirigeants effectifs sont tenus d’évaluer
et de contrôler périodiquement l’efficacité des dispositifs et des procédures mis en place
pour se conformer au présent arrêté et prendre les mesures appropriées pour remédier
aux éventuelles défaillances
».
150. M. X a été directeur général de la Caisse de crédit municipal de Bordeaux
du 1
er
avril 2016 au 23 février 2021 et M. Y, directeur général adjoint du 12 juillet 2016
au 31 décembre 2019.
151. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ne s’est pas opposée à la nomination
comme dirigeant effectif de M. X le 11 avril 2016 ; elle a cessé de s’opposer
à la désignation de M. Y comme dirigeant effectif le 26 juin 2017 ; M. Y exerçait,
de fait, ces fonctions depuis sa prise de fonction comme directeur général adjoint
le 18 juillet 2016.
Arrêt n° S-2023-1382
24
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
152. La commission des infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes
et des dépenses de l’établissement public constitutives de fautes graves ayant causé
un préjudice financier significatif exposées ci-avant incombe à MM. X et Y.
Sur des circonstances atténuantes alléguées et écartées
153. M. X
fait
tout
d’abord
valoir,
pour
ce
qui
concerne
les
prêts
litigieux,
outre la partialité de l’instruction, l’application d’une prescription et du principe du
non bis
in idem
, déjà traités ci-avant, le contexte paradoxal de la CCMB qui, ni tout à fait établissement
de crédit, ni tout à fait établissement public, est confrontée aux exigences de deux
règlementations parfois contradictoires. Établissement doté de peu de moyens, elle doit
faire face à toutes les contraintes d’un établissement de crédit de réseau. La relation
de sa nature sociale avec sa mission d’établissement de crédit n’est ni définie, ni précisée,
ni mise en relation avec ses objectifs. Notamment, l’ambiguïté persiste sur le fait de savoir
si elle doit mener une activité de crédit à caractère social ou une activité de crédit qui puisse
financer des œuvres sociales. En ce qui concerne le cadre général de l’action de la CCMB,
il fait valoir que, quoiqu’établissements publics locaux, les caisses de crédit municipal
s’affranchissent du principe de territorialité, elles sont ignorées par les évolutions
de la décentralisation, leur statut n’est pas réformé.
154. Il souligne que l’équipe dirigeante a tenté de concilier développement et conformité.
Aucune lettre de mission n’avait été rédigée, mais elle avait bien reçu mandat de développer
les activités de la caisse et le président lui a donné acte de ce succès.
155. L’équipe dirigeante ne possédait pas la connaissance de la réglementation mais
s’est formée auprès du Centre français de la profession bancaire (CFPB). Elle a aussi agi
pour développer les compétences en interne par le recrutement d’une personne issue du plus
grand réseau bancaire national et la mise en place d’un plan de formation annuel, tant
pour le personnel que pour le COS. Elle n’a jamais été alertée sur d’éventuelles défaillances.
156. La Caisse de crédit municipal de Bordeaux a dû faire face à une baisse de ses activités
traditionnelles dans un secteur très concurrentiel et une période économique défavorable,
alors même que s’accroissait les contraintes règlementaires et se posaient des difficultés
informatiques. Non subventionnée, la CCMB doit vivre de son activité dont les prêts
aux particuliers constituent les trois quarts contre un quart pour les prêts sur gage. Elle a dû,
dans le même temps assurer le versement d’une subvention importante aux œuvres sociales
de
la
commune
(600 000 €),
prendre
en
charge
des
frais
de
fonctionnement
et d’investissement et assumer un taux de perte important sur des crédits de la gestion
précédente.
157. La politique de la CCMB a été partagée avec la commune, jusqu’au changement
de municipalité, avec le COS et avec l’environnement global (Autorité de contrôle prudentiel
et de résolution, Fédération bancaire française, administrations nationales, parlementaires).
158. M. Y fait valoir que le contrôle de conformité incombait en interne à des cadres
expérimentés et en externe à divers conseils compétents qui n’ont signalé aucune difficulté.
Il estime, de même, que le risque de crédit est inhérent à l’activité bancaire et que
les reproches formulés devraient tenir compte de la singularité des dossiers qui auraient été
inéligibles
au
secteur
bancaire
traditionnel.
Les
erreurs
d’évaluation
incombent
aux évaluateurs dont la responsabilité pourrait être recherchée.
Arrêt n° S-2023-1382
25
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
159. M. Y
insiste
sur
son
absence
totale
d’expérience
et
de
connaissances
particulières. Il souligne ce que son recrutement devait à ses liens personnels anciens
avec M. X. Il fait valoir qu’il a été recruté dans l’objectif de développer de nouveaux
produits et d’augmenter le chiffre d’affaires et les marges de la Caisse, stratégie de la direction
générale validée par la mairie de Bordeaux. Les formations qu’il a suivies ne sauraient avoir
fait de lui un sachant en matière bancaire ou de finances publiques. Les défaillances ont été
nombreuses en interne et aucune alerte n’a été formulée non plus par les divers intervenants
extérieurs.
160. MM. X et Y,
appuyés
par
Mme B.,
ancienne
vice-présidente
du
COS,
soulignent que la politique de la Caisse de crédit municipal de Bordeaux répondait aux vœux
de la municipalité.
161. Ni M. X ni M. Y ne sauraient utilement se prévaloir de leur incompétence
éventuelle. En effet, au regard de l’article L. 511-13 du code monétaire et financier, ils auraient
dû, s’ils s’estimaient incompétents, refuser les postes proposés. Dans ses échanges
avec l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution préalables à l’accréditation
de
M. Y
comme
dirigeant
effectif,
M. X
expose
avec
détails
les
compétences
de M. Y pour exercer ses fonctions de directeur général adjoint et les formations
qu’il doit suivre. Il est précisé qu’il dispose de tous pouvoirs de nature à permettre
son intervention légitime en cas d’absence du directeur général ; qu’il est, selon les termes
mêmes de M. X, « aussi directeur général ».
162. De même, les défaillances éventuelles des contrôles internes ne peuvent être utilement
invoquées en atténuation de responsabilité. En effet, aux termes du code monétaire
et financier, il appartient aux dirigeants effectifs «
d’évaluer et de contrôler périodiquement
l’efficacité des dispositifs et des procédures mis en place pour se conformer au présent arrêté
et prendre les mesures appropriées pour remédier aux éventuelles défaillances
».
163. La défaillance des autorités de contrôle externe n’est pas établie. Il a pu être relevé,
dans le cas du taux d’usure applicable aux prêts patrimoniaux, que la régularisation des taux,
mis en évidence par une étude extérieure diligentée par la CCMB, n’avait été entreprise
qu’après un long délai. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a procédé
à un contrôle de la CCMB entre le 1
er
avril et le 28 juin 2019. La chambre régionale
des comptes Nouvelle-Aquitaine a procédé à un contrôle à partir du 24 février 2020.
En tout état de cause, elle ne pourrait être invoquée en atténuation de responsabilité,
eu égard à la responsabilité propre des dirigeants effectifs déjà évoquée.
164. MM. X et Y estiment que la situation de la CCMB dans son environnement
politique, juridique et économique explique les infractions qui leur sont reprochées.
Le haut niveau de recrutement des dirigeants effectifs, leur nécessaire indépendance
et la grande autonomie qui leur était laissée devaient les rendre aptes à concilier les objectifs
de conformité, développement et profitabilité qu’ils estiment leur avoir été assignés.
165. Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu de retenir les circonstances alléguées
par MM. X et Y comme atténuantes de leur responsabilité.
Arrêt n° S-2023-1382
26
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur une circonstance retenue en atténuation de la responsabilité de MM. X
et Y
166. MM. X et Y
invoquent
tous
les
deux
la
défaillance
du
COS
et des divers comités internes.
167. Le fonctionnement éventuellement défaillant des comités internes à la CCMB
aurait
dû
être
constaté
et
corrigé
par
les
dirigeants
effectifs.
MM. X
et
Y
ne sont donc pas fondés à s’en prévaloir, comme il a été dit précédemment.
168. Pour ce qui concerne les dossiers de prêts mis en cause par la décision de renvoi,
des décisions apparaissent avoir été prises sans que toutes les garanties prévues eussent
été assemblées, alors que les textes prévoyaient bien que ces garanties fussent constituées.
La question est donc autant celle du contrôle général des activités de l’établissement, et,
principalement, des décisions des dirigeants effectifs que celle du défaut du contrôle exercé
par les dirigeants effectifs.
169. Or ce contrôle, général et sur les décisions des dirigeants effectifs, est de la responsabilité
du COS et ses insuffisances ou défaillances ne sauraient être imputées aux dirigeants effectifs,
sauf à démontrer qu’ils ont volontairement dissimulé ou falsifié des informations. Sur ce dernier
point, si le rapport de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution relève que,
pour certaines présentations importantes, les dossiers transmis au COS étaient incomplets
ou comportaient des informations erronées, les dossiers de prêts retenus par la décision
de renvoi ne permettent pas de qualifier une telle dissimulation. Il apparaît donc que
la méconnaissance par le COS de ses propres attributions et ses négligences dans sa fonction
de contrôle sont de nature à atténuer la responsabilité des dirigeants effectifs.
Sur une circonstance aggravante
170. La délibération n° 2016/22 du 29 juin 2016 autorise le recrutement d’un directeur général
adjoint et d’un secrétaire général qui doivent être des cadres supérieurs expérimentés,
de formation et/ou financière et/ou bancaire et/ou juridique et administrative de haut niveau,
étant précisé que le secrétaire général doit être un expert en droit bancaire.
171. Il est suffisamment établi, notamment par les échanges de M. X avec l’Autorité
de contrôle prudentiel et de résolution, que M. Y ne disposait pas d’expérience
en matière bancaire et il ressort des réponses de M. X au contrôle de la chambre
régionale
des
comptes
Nouvelle-Aquitaine
que
la
secrétaire
générale
recrutée
«
ne connaissait pas la banque de réseau, qu’elle ignorait la fiscalité, qu’elle pratiquait le droit
de manière restrictive
» ; qu’elle «
ne possédait pas les qualités de savoir-être d’un membre
de direction générale
».
172. Il est de même établi par les réponses de M. X que ces recrutements
se sont effectués sans concurrence par connaissance personnelle directe pour le directeur
général adjoint et par recommandation d’un cabinet avec lequel le directeur général
avait eu des relations dans un précédent poste, pour la secrétaire générale.
173. En procédant aux recrutements des deux principaux postes, après le sien, de la Caisse
de crédit municipal de Bordeaux, hors les procédures habituelles, M. X s’est privé
et a privé la Caisse de la chance de disposer des compétences nécessaires à son activité
essentielle, qui, selon lui, faisaient défaut. Cette circonstance aggrave la responsabilité
de M. X.
Arrêt n° S-2023-1382
27
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Sur le recrutement et la rémunération de cadres supérieurs
Sur les griefs formulés par la décision de renvoi
174. Dans sa décision de renvoi des faits de l’espèce, faite, comme pour l’infraction
précédente, sur le fondement des articles L. 313-4 puis L. 131-9 du CJF, le procureur général
relève que les agents contractuels recrutés pour exercer les fonctions de directeur général
adjoint et de secrétaire général ont perçu une rémunération supérieure à celle fixée
par le COS ; que ces dépassements ont coûté, pour le premier, 117 396 € à la CCMB
entre le 12 juillet 2016 et le 31 décembre 2019, pour le second, 31 584 € entre
le 12 juillet 2016 et le 17 juillet 2019.
175. Le procureur général estime qu’en accordant une rémunération supérieure au plafond
fixé par le COS puis en mandatant les sommes correspondant, le directeur général a commis
une faute. Il qualifie cette faute de grave au sens de l’article L. 131-9 du CJF, au motif
qu’une faute qui cause un préjudice financier important à un organisme public doit,
a priori
être considérée comme une faute grave. En l’espère, il relève que le préjudice est de près
de 150 000 €
176. La gravité de la faute est accrue, selon le ministère public, parce qu’en recrutant un adjoint
ne disposant pas plus que lui de compétences en matière bancaire, ce dont témoignent
les difficultés d’agrément faites par l’ACPR qui a sursis près d’un an après le recrutement
de
M. Y,
M. X
a
méconnu
les
orientations
portées
par
la
délibération
du 29 juin 2016 qui demandait que les deux postes de directeur général adjoint et de secrétaire
général soient pourvus par des personnes disposant de compétences particulières
et techniques dans les domaines juridique, commercial et bancaire, qui n’existent pas
dans les différents corps de fonctionnaires.
177. Il a soumis à l’approbation du COS le recrutement d’un directeur général adjoint
et d’un secrétaire général au grade d’administrateur territorial alors que, aux termes du décret
du 30 décembre 1987 susvisé, seul le directeur général peut détenir ce grade.
Il n’a pas respecté les délais prévus pour assurer une juste publicité aux annonces
de recrutement, entre l’offre d’emploi et le recrutement.
178. Pour apprécier le caractère significatif du préjudice, le ministère public propose
de rapporter le montant de ce préjudice au montant total des rémunérations de la direction
générale. La proportion pour les trois années 2017, 2018 et 2019 s’élève à 16 %. Rapporté
au total des rémunérations servies, la portion est de 1,44 %. Le ministère public estime que,
dans les deux cas, le préjudice revêt un caractère significatif.
179. Le procureur général estime que la responsabilité de M. Y ne lui semble pas
pouvoir être engagée.
Sur les faits
180. Par une première délibération n° 2016-22 du 29 juin 2016, enregistrée le 1
er
juillet
au service chargé du contrôle de légalité, le COS a créé deux postes de contractuels
de catégorie A en vue de pourvoir les emplois de directeur général adjoint et de secrétaire
général. Cette délibération prévoit, pour ces deux créations de postes, que «
La rémunération
brute mensuelle sera calculée au maximum sur l’indice brut terminal de la grille indiciaire
des administrateurs territoriaux. Une prime annuelle pourra être perçue dans le respect
de la réglementation afférente et dans la limite de 15 % de la rémunération annuelle.
».
Arrêt n° S-2023-1382
28
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
181. Le contrat de travail initial de M. Y, daté du 12 juillet 2016, stipule que l’intéressé
bénéficiera d’une rémunération brute de 73 320 €, ainsi que de la perception éventuelle
d’une part variable dont le plafond est fixé à 15 % du salaire brut annuel.
182. Un avenant au contrat de travail du 13 juillet 2017 a porté la rémunération annuelle brute
de M. Y à un montant de 105 240 €, outre l’attribution du supplément familial
de traitement (SFT) et d’une part variable plafonnée à 15 %. Par des avenants au contrat
de travail des 11 janvier 2018 et 3 mai 2019, la rémunération de M. Y a été de nouveau
modifiée et fixée, à compter du 1
er
janvier 2018 par référence à l’indice brut HEB bis
3
ème
chevron, majorée du supplément familial de traitement. Il n’est plus fait état d’une part
variable mais du bénéfice du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions
de l’expertise et de l’engagement professionnel (RIFSEEP) dans les conditions prévues
pour le cadre d’emploi des administrateurs.
183. L’attribution du RIFSEEP à M. Y fait référence à la délibération n° 2015/28
du COS. Elle fait l’objet d’un arrêté individuel du directeur général du 11 janvier 2018
qui
dispose,
en
son
article
1
er
,
que
M. Y,
relevant
du
cadre
d’emploi
des administrateurs, percevra une indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE)
d’un montant de 3 526,34 € à compter du 1
er
janvier 2018.
184. Le contrat de travail initial de Mme S., signé le 12 juillet 2016, sur le poste de secrétaire
générale, stipule qu’elle bénéficiera d’une rémunération brute de 60 000 €, ainsi que
de la perception éventuelle d’une part variable dont le plafond est de 15 % du salaire brut
annuel. Cette rémunération brute de 60 000 € correspond au 3
ème
échelon des administrateurs
généraux (HEB 3). Par avenant du 20 avril 2017, en vigueur à compter du 1
er
avril 2017,
le contrat de travail de la secrétaire générale a été modifié. Sa rémunération est portée,
à compter du 1
er
avril 2017, à 73 320 € bruts, outre la perception du SFT et le versement
d’une part variable plafonnée à 15 % du montant annuel de sa rémunération brute.
Cette rémunération brute hors primes correspond au dernier échelon du grade
des administrateurs généraux (échelon spécial HED3 - rémunération brute mensuelle
de 6 203,19 € en 2022). Par un second avenant du 11 janvier 2018, il est stipulé que Mme S.
percevra à compter du 1
er
janvier 2018 une rémunération calculée par référence à l’indice
brut 1021, ainsi que le SFT. Comme pour M. Y, l’avenant ne stipule plus de part variable
mais l’application à l’intéressée du RIFSEEP dans les conditions prévues pour le cadre
d’emploi des administrateurs. À ce titre, le montant de l’IFSE versée à Mme S. est fixé
à 2 244,03 € à compter du 1
er
janvier 2018. Un arrêté individuel du directeur général
du 11 janvier prévoit le versement du RIFSEEP à Mme S., toujours par référence
à la délibération n° 2015/28 du COS. Cet arrêté dispose en son article 1
er
que l’intéressée
percevra à ce titre une indemnité de fonctions, de sujétions et d’expertise (IFSE) d’un montant
de 2 244,03 € à compter du 1
er
janvier 2018.
Sur le droit applicable
185. Aux termes de l’article 2 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, constitutive du titre III
du statut général des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales,«
Les dispositions
de la présente loi s’appliquent aux personnes qui, régies par le titre Ier du statut général
des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, ont été nommées dans un emploi
permanent et titularisées dans un grade de la hiérarchie administrative des communes,
des départements, des régions ou des établissements publics en relevant, à l’exception
des agents comptables des caisses de crédit municipal
(...) ».
Arrêt n° S-2023-1382
29
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
186. L’article 2 de la loi du 13 juillet 1983 susvisée, constitutive du titre Ier du statut général
des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales, dispose que «
La présente loi
s’applique
aux
fonctionnaires
civils
des
administrations
de
l’État,
des
régions,
des départements, des communes et de leurs établissements publics
(...)
. Dans les services
et les établissements publics à caractère industriel ou commercial, elle ne s’applique
qu’aux agents qui ont la qualité de fonctionnaire
».
187. Établissement public à caractère administratif, une caisse de crédit municipal
est soumise, s’agissant du régime juridique applicable à ses agents, qu’ils soient titulaires
ou non titulaires, aux dispositions de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, portant dispositions
statutaires relatives à la fonction publique territoriale, et des décrets pris pour son application.
Si, sous réserve des exceptions prévues par les articles 6 et 7 de l’ordonnance n° 2021-1574
du 24 novembre 2021, les lois statutaires précitées ont été abrogées à compter
du 1
er
mars 2022, date d’entrée en vigueur de la partie législative du code général
de la fonction publique, ces dispositions étaient en vigueur à la date des faits visés
par le réquisitoire introductif.
188. Aux termes de l’article 34 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée, «
Les emplois de chaque
collectivité ou établissement sont créés par l’organe délibérant de la collectivité
ou de l’établissement. / La délibération précise le grade ou, le cas échéant, les grades
correspondant à l’emploi créé. Elle indique, le cas échéant, si l’emploi peut également être
pourvu par un agent contractuel sur le fondement de l’article 3-3. Dans ce cas, le motif invoqué,
la nature des fonctions, les niveaux de recrutement et de rémunération de l’emploi créé
sont précisés.
(...) ».
Sur les moyens en défense de MM. X et Y
189. M. X fait valoir en premier lieu que la fonction publique ne permettait pas
de recruter des cadres compétents dans les domaines recherchés ; qu’il a donc fallu recourir
à des contractuels dont la rémunération a été négociée entre le directeur et les postulants,
correspond aux lois du marché, et a été validée par le service du personnel. Il souligne que
ces
niveaux
de
rémunération
sont
communément
pratiqués
et
que
s’inscrivant
dans une activité commerciale ces rémunérations sont destinées à apporter un retour financier
à l’établissement.
190. Il fait valoir ensuite qu’il n’a pas été mis au courant des dates de publicité ;
que si son attention avait été appelée par les services, les délais auraient été respectés
et la procédure mise en conformité.
191. Il ne comprend pas que la délibération, rédigée par le service, n’ait pas été mise
en conformité avec les résultats de la négociation et précise que ni le service ni le comptable
n’ont fait de difficulté pour l’ordonnancement ou le paiement desdites rémunérations.
Une nouvelle délibération, conforme aurait pu être prise.
192. M. Y
relève
que
le
procureur
général
estime
ne
pas
devoir
engager
sa responsabilité et demande donc à bénéficier d’un non-lieu.
Sur l’existence d’un manquement
193. Selon l’ordonnance de renvoi, qui fait, sur ce point, référence aux résultats de l’instruction,
la rémunération afférente à l’échelon terminal du grade d’administrateur général ne pouvait
être servie aux agents concernés sur le fondement de la délibération n° 2016/22
du 29 juin 2016, qui fixerait comme plafond l’échelon terminal du grade d’administrateur
territorial.
Arrêt n° S-2023-1382
30
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
194. Cette délibération dispose que sont créés un poste de directeur général adjoint
et un poste de secrétaire général dont «
la rémunération brute mensuelle sera calculée
au maximum sur l’indice brut terminal de la grille indiciaire des administrateurs territoriaux.
Une prime annuelle pourra être perçue dans le respect de la règlementation afférente
et dans la limite de 15 % de la rémunération brute annuelle
».
195. Or, l’article 1
er
du décret du 30 décembre 1987 susvisé, portant statut particulier du cadre
d’emplois des administrateurs territoriaux, dispose que «
Les administrateurs territoriaux
constituent un cadre d’emplois administratif de catégorie A
(...)
. / Ce cadre d’emplois
comprend les grades d’administrateur, d’administrateur hors classe et d’administrateur
général
».
196. À défaut que la délibération ait fait explicitement référence au grade d’administrateur
territorial, il y a lieu de considérer que l’échelon terminal visé est celui du cadre d’emploi
des administrateurs territoriaux, comprenant donc le grade d’administrateur général.
Il en résulte que les rémunérations versées inférieures ou égales à la rémunération afférente
à l’échelon terminal du grade d’administrateur général sont suffisamment fondées, comme l’est
la prime de 15 % du montant annuel de ce montant, tel que prévue par la délibération.
197. De même, le versement du complément indemnitaire annuel (CIA) du RIFSEEP
à M. Y et à Mme S. au titre des années 2018 et 2019, sans qu’un arrêté attributif
ait été signé au préalable, ne constitue pas une faute grave et ne peut avoir causé un préjudice
à l’établissement. En effet, l’attribution de ce CIA, autorisé par délibération du COS,
relève des attributions du directeur général. Celui-ci est l’ordonnateur des dépenses
et il a ordonnancé le paiement du CIA aux deux agents concernés.
198. Il
y
a
donc
lieu
de
relaxer
MM. X et Y
des
fins
des
poursuites
en ce qui concerne la rémunération des cadres supérieurs.
Sur l’amende
199. En ce qui concerne l’attribution des prêts, il sera fait une juste appréciation de la gravité
des faits, du préjudice causé et des circonstances de l’espèce, en infligeant à M. X
une amende de 20 000 € et à M. Y une amende de 10 000 €, soit un montant inférieur au
plafond fixé par l’article L. 131-6 du code des juridictions financières.
Par ces motifs,
DÉCIDE :
Article 1
er
. – M. X
est,
en
ce
qui
concerne
les
prêts,
condamné
à une amende de vingt mille euros (20 000 €).
Article 2. – M. Y
est,
en
ce
qui
concerne
les
prêts,
condamné
à une amende de dix mille euros (10 000 €).
Article 3. – MM. X et Y sont, en ce qui concerne la rémunération des cadres supérieurs,
relaxés des fins des poursuites.
Arrêt n° S-2023-1382
31
/
31
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Article 4. – Le présent arrêt sera publié au
Journal officiel
de la République française.
Fait et jugé par M. Jean-Yves BERTUCCI, président de chambre, président de la formation ;
MM. Daniel-Georges COURTOIS, Patrick BONNAUD, Jacques DELMAS et Claude LION,
conseillers maîtres, M. Frédéric GUTHMANN, président de section de chambre régionale des
comptes, et M. Laurent CATINAUD, premier conseiller de chambre régionale des comptes.
En présence de Mme Vanessa VERNIZEAU, greffière de séance.
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous commissaires de justice,
sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs
de la République près les tribunaux judiciaires d’y tenir la main, à tous commandants
et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.
En foi de quoi, le présent arrêt a été signé par
Vanessa VERNIZEAU
Jean-Yves BERTUCCI
En application des articles R. 142-4-1 à R. 142-4-5 du code des juridictions financières,
les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent être frappés d’appel devant
la Cour d’appel financière dans le délai de deux mois à compter de la notification. Ce délai
est prolongé de deux mois pour les personnes domiciliées à l’étranger. La révision d’un arrêt
peut être demandée après expiration des délais d’appel, et ce dans les conditions prévues
aux articles R. 142-4-6 et R. 142-4-7 du même code.