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LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES HANDICAPÉS
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La scolarisation des élèves handicapés
Un an après le vote de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des
droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes
handicapées,
la
Cour
notait
qu’un
certain
nombre
de
ses
recommandations avaient été prises en compte. Parmi les évolutions
encore insuffisantes qu’elle relevait figurait la scolarisation alors même
que la loi reconnaît le statut d’élèves aux jeunes handicapés.
La Cour note aujourd’hui que la prise en charge des élèves
handicapés par le secteur scolaire s’est améliorée, mais qu’il reste
nécessaire que les ministères concernés s’accordent rapidement sur les
modalités de pilotage du dispositif de scolarisation des jeunes
handicapés.
Faisant sienne une remarque du Conseil national consultatif
des personnes handicapées (CNCPH), la Cour avait constaté, en
particulier, que les jeunes handicapés rencontraient toujours des
difficultés pour accomplir une scolarité répondant à leurs besoins,
faute de disposer de tous les accompagnements nécessaires.
L’école ordinaire réalise de plus en plus souvent les
adaptations nécessaires à l’accueil des enfants handicapés, sur le
plan tant de la formation des enseignants que des méthodes et des
outils pédagogiques, selon les chiffres fournis par le délégué
interministériel aux personnes handicapées.
Ainsi, le nombre d’enfants handicapés scolarisés est passé
de 106 974 en 2003-2004 à 155 000 à la rentrée 2007. Les moyens
nécessaires à la scolarisation des élèves ont été accrus par la
création de classes d’intégration scolaire (CLIS) et d’unités
pédagogiques d’intégration (UPI) qui comptent désormais 3 950
classes et 1 243 unités, dont 200 créées cette année. De même, à la
rentrée 2007, 2 700 postes d’auxiliaires de vie scolaire ayant une
fonction individuelle (AVS-i) sont venus s’ajouter aux 4 827 AVS-
58
COUR DES COMPTES
i en fonctions et aux 1 626 AVS-co exerçant dans un cadre
collectif.
Pour
compléter
ces
effectifs,
7 185
personnes
interviennent sur contrat précaire (contrats d’accompagnement
dans l’emploi ou contrats d’avenir), en particulier dans les écoles
maternelles, ce qui porte le potentiel total d’aide mobilisable à plus
de
16 300
emplois,
dont
14 700
dédiés
aux
mesures
d’accompagnement individuel décidées par les commissions des
droits et de l’autonomie des personnes handicapées.
Environ 28 000 élèves ont bénéficié en 2006-2007 d’un
accompagnement individuel. Toutefois, la précarité du statut des
AVS et l’insuffisance de leur formation appellent des mesures de
stabilisation.
Il est clair aussi que les emplois de vie scolaire ne
constituent qu’un des moyens nécessaires à la scolarisation de
l’élève handicapé en milieu ordinaire. Celle-ci s’appuie également
sur des structures spécialisées telles que les services d’éducation
spécialisée et de soins à domicile (SESSAD), dont le nombre a été
augmenté (1 250 places supplémentaires créées à la rentrée 2007).
La
Cour
avait
également
critiqué
l’insuffisance
des
informations sur les unités d’enseignement qui peuvent être créées
dans les structures adaptées.
En effet, la mise en oeuvre des principes posés par la loi, de
l’absence de prédétermination du parcours de l’enfant handicapé,
du choix de la famille et du respect des besoins et des capacités de
l’élève, repose sur la coopération entre l’éducation en milieu
ordinaire et l’éducation en structure adaptée. La loi n’établit pas de
distinction entre les deux et ne fait référence qu’à la scolarisation,
soulignant par là leur complémentarité. Aussi importe-t-il que le
projet d’arrêté relatif aux unités d’enseignement que prépare le
ministère de l’éducation nationale se concrétise rapidement, de
même que la réforme des « annexes 24 »
9
entreprise par le
ministère chargé de l’action sociale.
9) Annexes à un décret du 9 mars 1956 relatives aux établissements et services
prenant en charge des enfants ou adolescents présentant des déficiences intellectuelles
ou inadaptés, ou une déficience motrice, ou polyhandicapés.
LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES HANDICAPÉS
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Pour piloter efficacement cette coopération entre l’éducation
ordinaire et l’éducation adaptée, deux approches se dessinent : soit
le dispositif éducatif et de scolarisation est confié au ministère de
l’éducation nationale, soit il est co-piloté par celui-ci et par le
ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité. En
toute hypothèse, selon certaines associations de parents d’enfants
handicapés, 6 à 7 000 enfants seraient inscrits en liste d’attente
pour rejoindre une structure spécialisée. Or, une jurisprudence
naissante sur la mise en oeuvre d’orientations décidées par les
anciennes commissions départementales d’éducation spéciale
(CDES)
10
reconnaît un droit opposable à la scolarisation : la
méconnaissance par l’État de l’obligation d’assurer la scolarisation
des enfants handicapés constituerait alors une faute de nature à
engager sa responsabilité.
10) Deux jugements des tribunaux administratifs de Paris (2 mars 2006) et Versailles
(23 octobre 2006), dont l’État a interjeté appel.
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COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DE L’ÉDUCATION NATIONALE
La Cour rappelle que la scolarisation des élèves handicapés figurait
parmi les évolutions insuffisantes pointées dans l’insertion au rapport public
2006 qui analysait la mise en oeuvre de la loi du 11 février 2005 pour
l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des
personnes handicapées.
Elle examine les suites qui ont été données aux observations formulées
en la matière depuis ce rapport.
z
Le pilotage du dispositif de scolarisation des jeunes handicapés
La Cour relève que la mise en oeuvre des principes posés par la loi du
11 février 2005 repose sur la coopération entre l’éducation en milieu
ordinaire et l’éducation en structure adaptée.
Observant que deux approches se dessinent pour assurer cette
coopération, la Cour estime nécessaire que « les ministères concernés
s’accordent rapidement sur une position pour le pilotage du dispositif de
scolarisation des jeunes handicapés ».
Comme le souligne la Cour, deux textes sont actuellement en voie de
finalisation :
- Un projet de décret relatif à la scolarisation des enfants et
adolescents handicapés et à la coopération entre les établissements
scolaires et les établissements et services médico-sociaux.
Ce projet de décret est porté par la direction générale de l’action
sociale du ministère chargé de l’action sociale et a pour objet principal
d’actualiser les différents points des annexes XXIV au décret du 9 mars 1956
modifié,
afin
de
rendre
effectives
les
dispositions
législatives
et
réglementaires issues de la loi du 11 février 2005 et relatives à la
scolarisation des élèves handicapés dans le secteur médico-social.
- Un projet d’arrêté relatif aux unités d’enseignement.
Ce projet d’arrêté est porté par la direction générale de
l’enseignement scolaire du ministère chargé de l’éducation nationale. Il fait
suite au décret n° 2005-1752 du 30 septembre 2005 relatif au parcours de
formation des élèves présentant un handicap et ses articles codifiés D. 351-
17 et D. 351-18 au Code de l’Education qui prévoient la possibilité de créer
une unité d’enseignement au sein des établissements de santé et médico-
sociaux.
LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES HANDICAPÉS
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Ce projet d’arrêté a fait l’objet le 18 avril 2007 d’une présentation au
Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH).
Celui-ci a refusé de se prononcer sur le fond au motif que ce texte
n’était pas présenté conjointement avec le projet de décret évoqué ci-dessus,
sachant, qu’à ce moment-là, le travail préparatoire à ce dernier n’était pas
engagé.
Les deux textes doivent faire l’objet d’une présentation au CNCPH.
A l’occasion de ces travaux interministériels, la conduite d’études
d’impact relatives au mode de fonctionnement et aux modalités de
financement est de nature à éclairer les arbitrages en cours quant au mode
de pilotage.
z
La jurisprudence en matière de scolarisation des enfants handicapés
A la lumière d’une jurisprudence naissante sur la mise en oeuvre
d’orientations
décidées
par
les
Commissions
Départementales
de
l’Education Spéciale (CDES), la Cour évoque la reconnaissance d’un droit
opposable à la scolarisation.
Au préalable, le ministère précise qu’il n’existe pas de jugement au
fond rendu sur la base des nouvelles dispositions issues de la loi n° 2005-102
du 11 février 2005 (cf ci-dessous arrêt du 11 juillet 2007).
L’évolution de la jurisprudence s’analyse donc également sur le
fondement des anciennes dispositions du code de l’éducation et du code de
l’action sociale, sur la base notamment des décisions des CDES, désormais
remplacées par les Commissions des Droits et de l’Autonomie des Personnes
Handicapées (CDAPH).
¾
Le juge administratif considère que le défaut de scolarisation
d’un enfant handicapé relève du régime de responsabilité pour faute.
Actuellement, en l’absence de scolarisation, le juge administratif
retient une interprétation stricte des textes.
La Cour Administrative d’Appel (CAA) de Paris a ainsi récemment
considéré que « l’Etat a l’obligation légale d’offrir aux enfants handicapés
une prise en charge éducative au moins équivalente, compte tenu de leurs
besoins propres, à celle dispensée aux enfants scolarisés en milieu
ordinaire ; que le manquement à cette obligation légale, qui a pour effet de
priver un enfant de l’éducation appropriée à ses besoins, est constitutif d’une
faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat, sans que celui-ci puisse
utilement se prévaloir de l’insuffisance des moyens budgétaires, de la
carence
d’autres
personnes
publiques
ou
privées
dans
l’offre
d’établissements adaptés ou de la circonstance que des allocations sont
accordées aux parents d’enfants handicapés pour les aider à assurer leur
éducation »
(CAA de Paris, Ministre de la santé et des solidarités c/ M. et
Mme X, 11 juillet 2007, n° 06PA01579).
62
COUR DES COMPTES
Cet arrêt confirme le jugement n° 0424217/7 du 2 mars 2006 du
Tribunal Administratif (TA) de Paris cité par la Cour dans son projet
d’insertion.
Les requérants mettaient en cause un manque de place en institut
médico- éducatif et le juge a condamné l’Etat en la personne du ministre de
la santé et des solidarités.
Le juge administratif estime cependant que si la scolarisation des
enfants handicapés doit être assurée en priorité dans des classes ordinaires
et que l’Etat a l’obligation de prendre en charge les dépenses y afférentes, y
compris celles relatives aux mesures de soutien pédagogique que l’état de
l’enfant nécessite, les dispositions en vigueur n’impliquent pas que chaque
enfant bénéficie de l’ensemble des mesures mises en place pour assurer et
faciliter cette scolarisation.
La cour administrative d’appel de Paris (CAA de Paris, 19 juillet
2005, n° 04PA03069) a ainsi pu considérer que « La circonstance qu’un
enfant handicapé scolarisé dans une classe ordinaire ne bénéficie pas de
soutien individuel n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’Etat ».
Cette motivation n’est retenue par le juge administratif que dans des
espèces ayant trait aux modalités d’accompagnement et d’encadrement de
l’élève handicapé.
¾
Le juge administratif a récemment développé un régime de
responsabilité sans faute de l’Etat, fondé sur une rupture d’égalité devant
les charges publiques, en raison de la non scolarisation d’un enfant
handicapé.
Ce jugement (Tribunal administratif de Lyon, 29 septembre 2005,
n° 0403829) a été également rendu sur la base des dispositions antérieures à
la loi du 11 février 2005.
Le juge administratif, dans cette espèce, a pris soin de préciser que la
responsabilité de l’administration pour faute ne pouvait être engagée mais
que compte tenu de la longueur de la période pendant laquelle l’enfant n’a
pas été scolarisé, « venant après une prise en charge qui n’a pris fin que
suite à une réorganisation du service, l’Etat a fait peser sur l’enfant et ses
parents une charge anormale et spéciale de nature à engager, dans les
circonstances de l’espèce, sa responsabilité même en l’absence de faute ».
Dans cette dernière espèce, l’Etat a été condamné pour défaut de
scolarisation d’un enfant handicapé durant une période relativement longue
et en l’absence de place disponible dans un établissement spécialisé ne
relevant pas de l’administration de l’éducation nationale.
LA SCOLARISATION DES ÉLÈVES HANDICAPÉS
63
¾
Enfin, il convient de signaler l’ordonnance récente prise par le
juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux.
Dans cette ordonnance n° 0700779 en date du 6 mars 2007, le juge a
suspendu les décisions implicites de rejet des demandes présentées par les
parents d’un élève handicapé tendant à mettre en oeuvre la décision de la
commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées
(CDAPH) qui accordait l’intervention d’un auxiliaire de vie scolaire.
Il a en effet considéré que les requérants justifiaient d’une situation
d’urgence dès lors que l’absence d’exécution de cette décision privait l’élève
de l’aide indispensable à la poursuite de ses études qui lui était accordée et
sans laquelle la réussite de sa scolarité risquait d’être compromise.
Par ailleurs, en estimant qu’il résultait des dispositions issues de la
loi du 11 février 2005 précitée que le dispositif d’aide à la scolarité des
enfants et adolescents présentant un handicap, prévu à l’article L.351-3 du
code de l’éducation et accordé par la CDAPH, s’appliquait dans les
établissements d’enseignement et de formation professionnelle agricoles
privés sous contrat et incombait à l’Etat, le juge des référés a considéré que
le moyen tiré de ce que les services de l’Etat avaient l’obligation de mettre en
oeuvre la décision devenue définitive de la CDAPH accordant l’intervention
d’un auxiliaire de vie scolaire pour sa scolarisation était de nature à créer,
en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des décisions
attaquées.
Cette ordonnance illustre ainsi le nouveau cadre juridique dans lequel
les décisions de la CDAPH s’imposent, avec notamment l’obligation pour les
services de l’Etat d’affecter un auxiliaire de vie scolaire auprès d’un élève
dans un établissement d’enseignement dès lors que la CDAPH l’a décidé.
La jurisprudence tend donc à reconnaître un droit opposable à la
scolarisation des enfants handicapés.