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Le centre des archives diplomatiques du
ministère des affaires étrangères et
européennes
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PRESENTATION
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Depuis de nombreuses années, le ministère des affaires étrangères
et européennes souhaitait réaliser un nouveau centre pour accueillir les
archives diplomatiques. Ce projet vise à faciliter l’exploitation et
l’utilisation de ces fonds documentaires d’une grande richesse,
aujourd’hui dispersés entre plusieurs sites dont certains insalubres ou
inondables. Il s’inscrit également dans une volonté de rationalisation des
multiples implantations de cette administration et de réaménagement de
l’immeuble historique du quai d’Orsay
244
. Force est toutefois de constater
que cette opération aura été marquée par des insuffisances de pilotage.
De plus, la formule juridique et financière retenue pour en assurer la
réalisation, à savoir une autorisation d’occupation temporaire du
domaine public (AOT) assortie d’une convention de location, ne
manquera pas d’avoir, à terme, de lourdes conséquences sur les comptes
de l’Etat, tout en évitant dans l’immédiat de dégrader le déficit
budgétaire et la dette publique au regard des critères de Maastricht.
244) Cf. insertion sur les opérations Kléber/Convention (pages 635 et suivantes).
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COUR DES COMPTES
I
-
Une opération en autorisation d’occupation
temporaire du domaine public
Pour mener à bien son projet, et après avoir exploré plusieurs
localisations possibles, le ministère des affaires étrangères et européennes a
acquis en 2001 un terrain de
20 000 m² situé à La Courneuve pour un prix
relativement avantageux, au regard des conditions du marché, de 1,9 M€.
Or, au même moment, les Archives nationales étaient engagées dans un
processus de conception et de réalisation d’une nouvelle cité des archives à
Pierrefitte. Pour autant, aucune approche globale et coordonnée, n’aura été
menée par l’Etat sur le sort à réserver à l’ensemble des archives de la
Nation. Simultanément, aucune analyse n’a été conduite sur les
réutilisations possibles de locaux appartenant à l’Etat disponibles ou ayant
vocation à être libérés à brève échéance (Fontainebleau pour les Archives
nationales, Nantes pour les archives diplomatiques, etc.).
Par ailleurs, le ministère des affaires étrangères et européennes a,
dans un premier temps et après une procédure anormalement longue, fait le
choix d’assurer lui-même la maîtrise d’ouvrage de ce projet. Pourtant, il
n’avait alors aucune assurance de disposer des crédits budgétaires
nécessaires au financement de l’opération. De plus, son plan de charge
immobilier était à l’époque particulièrement lourd (réalisation engagée des
ambassades de Pékin et Tokyo) et la contrainte budgétaire qui pesait sur lui
très forte. Néanmoins, le ministère a lancé un concours d’architecture,
signé un contrat avec l’équipe retenue, financé de nombreux marchés
d’études préalables, pour finalement, faute de crédits disponibles, renoncer
au projet et indemniser de façon coûteuse l’architecte. Il en est résulté,
outre un retard de cette opération d’environ 4 ans, des dépenses inutiles
pour l’Etat qui peuvent au total être estimées à environ 4,3 M€.
Bien que la réalisation du centre des archives diplomatiques eut, par
nature, pu attendre quelques années supplémentaires, le ministère a
souhaité maintenir coûte que coûte cette opération. C’est ainsi qu’il s’est
engagé, à partir de 2004, dans une formule alternative au financement sur
crédits budgétaires, à savoir donner à une entreprise une autorisation
d’occupation temporaire du domaine public (AOT) constitutive de droits
réels, assortie d’une convention de location. En l’espèce, il s’agissait de
faire supporter par la société
ICADE
(filiale de la Caisse des dépôts et
consignations), la réalisation de la construction et le portage juridique et
financier de l’investissement en contrepartie de l’engagement par l’Etat de
lui verser un loyer annuel pendant 28,17 années (soit 30 ans moins la
période de construction).
LE CENTRE DES ARCHIVES DIPLOMATIQUES DU MINISTÈRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES
673
II
-
Une opération coûteuse à terme
La procédure d’autorisation d’occupation temporaire du domaine
public qui a été retenue pour le portage de ce projet pose une question
majeure au regard de son coût global pour les finances publiques.
Les critères et les modalités de fixation du loyer annuel servi à
l’opérateur n’ont pas été déterminés de manière claire. Dans un premier
temps, le loyer fut calculé comme s’il s’était agi d’une opération en
crédit-bail, ce qui en l’espèce était irrégulier. Après une consultation
tardive des services fiscaux de la Seine-Saint-Denis, le loyer fut
finalement assis sur la valeur locative du marché, conformément au code
du domaine de l’Etat. Il s’établit, hors charges locatives
245
, à
3,509 M€ HT par an.
Le coût actualisé de la construction du nouveau centre des archives
est estimé par l’opérateur à 39,53 M€ hors taxes. Ce montant n’intègre
pas les coûts de conception, de maîtrise d’ouvrage et les intérêts de
préfinancement, ni le coût des assurances et des frais bancaires. En
revanche, ces différents éléments sont pris en compte par l’opérateur dans
le calcul du loyer demandé, alors que l’Etat n’aurait pas eu à en supporter
la totalité si l’opération avait été conduite en maîtrise d’ouvrage publique.
Sur ces bases, le coût total des loyers que devra supporter l’Etat
pendant 28,17 années est de 98,9 M€ HT. En retenant un taux
d’actualisation de 4 %
246
, la valeur actuelle en 2007 de ces annuités est de
58,7 M€ HT. Par comparaison, le coût total d’un financement sur crédits
budgétaires (emprunt au taux de 4,47 %
247
) se serait élevé à 71,3 M€, soit
en valeur actuelle 41,7 M€.
Ainsi, le cumul des loyers acquittés par l’administration sera
supérieur de 41 % au coût d’un financement sur crédits budgétaires et
ceci sans même avoir pris en compte la revalorisation annuelle du loyer
prévue par la convention.
245) 0,451 M€.
246) Taux recommandé par un rapport du plan en janvier 2005 pour les calculs
d’actualisation en monnaie constante (hors inflation).
247) Taux de l’AOT sur 20 ans.
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COUR DES COMPTES
Tableau comparatif des coûts selon le mode de financement
Coût annuel
HT (en M€)
Coût total HT
(en M€)
Financement sur ressources
budgétaires (c’est-à-dire par un
emprunt au taux de 4,47%)
2,40
71,30
Valeur actualisée
41,75
Financement par une AOT
3,509
98,85
Valeur actualisée
58,70
Par ailleurs, alors que la conclusion d’un contrat de crédit-bail se
traduit par l’inscription au bilan, d’une part, de la valeur du bien à l’actif,
d’autre part, du montant de la dette envers le bailleur au passif, cette
opération, à bien des égards comparables à un crédit bail, n’est pas
inscrite au bilan de l’Etat lors de sa conclusion. La direction générale de
la comptabilité publique considère en effet que la plupart des risques de
réalisation de la construction puis de l’exploitation de l’immeuble
incombent à l’entreprise porteuse de l’immeuble. Cette opération ne sera
enregistrée dans les comptes de l’Etat que progressivement : chaque
année
la part des loyers correspondant à l’investissement étant
immobilisée, l’autre étant constatée en charge. Il en va de même, selon les
normes d’Eurostat : cet engagement conventionnel n’est pas compté dans
la dette publique telle que déclarée aux autorités européennes pour
s’assurer du respect de l’un des critères du Traité de Maastricht.
Ainsi cette formule de financement, au demeurant plus onéreuse à
long terme, présente le double avantage immédiat de ne peser sur le
déficit budgétaire que pour le montant annuel du loyer et de ne pas
alourdir la dette publique.
LE CENTRE DES ARCHIVES DIPLOMATIQUES DU MINISTÈRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES
675
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
De manière générale, cette opération pose la question des
conséquences budgétaires et financières des opérations de partenariat
public-privé notamment dans le cas des autorisations d’occupation
temporaire du domaine public. Cette formule apparaît inopportune
s’agissant d’un service public non marchand puisqu’en l’absence de
recettes elle fait entièrement reposer sur les finances de l’Etat une charge
disproportionnée au regard de l’allègement de la charge budgétaire
immédiate qu’elle permet sur le montant du déficit comme sur celui de la
dette publique.
La Cour invite à une réflexion approfondie sur l’intérêt réel de ces
formules innovantes qui n’offrent d’avantages qu’à court terme et
s’avèrent finalement
onéreuses à moyen et long termes.
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COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
EUROPÉENNES
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes relatif au
centre des archives diplomatiques appelle de la part du ministère des affaires
étrangères et européennes les observations suivantes.
I/ Remarques générales
La saturation complète des dépôts d’archives diplomatiques, les
conditions très dégradées d’accueil des chercheurs, l’incongruité de
maintenir au coeur du VII
ème
arrondissement de Paris des espaces de
stockage d’archives expliquent que le ministère des Affaires étrangères ait
recherché, pendant de nombreuses années, une solution de relocalisation des
ses archives diplomatiques. Contrairement à ce qu’estime la Cour, un tel
projet ne pouvait attendre quelques années de plus, sauf à considérer que
l’Etat pouvait se satisfaire d’une dégradation des conditions de stockage, de
préservation et de consultation de ses archives diplomatiques.
Le choix d’une implantation à La Courneuve pour les archives
diplomatiques a été décidé par le ministre Hubert Védrine en 2000 ; il a été
explicitement confirmé par la suite par MM. de Villepin, Barnier et Douste-
Blazy. La communauté archivistique, en particulier la Commission
supérieure des archives diplomatiques, a plaidé en faveur de ce choix. Les
discussions budgétaires successives, au cours desquelles le projet « archives
diplomatiques » constituait l’un des dossiers importants soumis à l’arbitrage
des ministres, ont conduit en 2000 à un accord sur le financement des seules
dépenses d’acquisition du terrain et de maîtrise d’oeuvre, renvoyant à plus
tard un arbitrage sur le financement de la construction.
Lors du lancement du concours d’architecture, en 2001, le ministère
était effectivement dans l’incertitude quant à sa capacité budgétaire à passer
à la phase des travaux, une fois le lauréat choisi. Le contexte particulier de
préparation du PLF 2002 (élections de 2002) a conduit le gouvernement à
reporter à plus tard la décision du financement des travaux.
Ce projet « archives diplomatiques » a donné lieu à de multiples
consultations interministérielles préalables à son lancement, avec le
ministère de la culture (entre les ministres, avec la direction des archives de
France, avec le président de la BNF) et avec le ministère des finances.
Plusieurs réunions à Matignon sur la question des archives diplomatiques se
sont tenues entre 1998 et 2000. Le choix final a été entériné par le comité de
décentralisation en novembre 2000 puis par le comité interministériel pour le
transfert des emplois publics (CITEP) en octobre 2003.
LE CENTRE DES ARCHIVES DIPLOMATIQUES DU MINISTÈRE
DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET EUROPÉENNES
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Le changement de portage du projet, d’abord lancé en maîtrise
d’ouvrage classique sur financement budgétaire, avant d’être conduit à
partir de 2004 selon une formule de type « partenariat public-privé » (PPP),
a été décidé faute pour le ministère des affaires étrangères de disposer des
moyens budgétaires suffisants. La Cour a constaté combien ce changement
de portage du projet avait déstabilisé la conduite d’une opération déjà
suffisamment complexe et entraîné délais et coûts administratifs.
Ce ministère a déjà répondu qu’il aurait effectivement été très
préférable que le projet de La Courneuve fût conduit d’emblée selon un mode
opératoire unique. Mais une forte contrainte budgétaire pesant sur le
Département à l’époque (projets d’ambassades à Berlin et Pékin) d’une part,
les arbitrages budgétaires ayant conduit le ministère des finances à refuser
d’accorder des crédits supplémentaires pour faire face au financement de
cette opération d’autre part, ont amené le gouvernement à retenir une
formule de type PPP. Ce choix, dans la lignée de l’ordonnance du 17 juin
2004 sur les partenariats, correspondait en outre à une orientation forte du
Premier ministre qui souhaitait alors que les administrations privilégient ce
mode de réalisation des projets d’infrastructure publics.
Le choix du montage juridique d’autorisation d’occupation du
domaine public de l’Etat, assorti d’une convention de location de longue
durée de l’ouvrage construit par un opérateur privé, s’est rapidement imposé
lorsque le dossier a été instruit fin 2004, compte tenu des avis juridiques dont
le Département s’était entouré, des contacts établis alors avec les services
compétents du MINEFI (service des domaines de la direction générale des
impôts) et des premières expériences de montages immobiliers innovants
auxquels l’Etat commençait à recourir.
II/ Remarques spécifiques
« II - Une opération coûteuse à terme ».
Le ministère conteste les termes de la comparaison faite par la Cour
entre le financement sur ressources budgétaires et le financement par une
AOT. Dans son tableau comparatif, la Cour utilise un coût de construction de
39,53 M€ (hors coût de maîtrise d’ouvrage et actualisation) pour l’hypothèse
d’un financement sur ressources budgétaires, et un coût de 50 M€ (incluant
le coût de la maîtrise d’ouvrage et l’actualisation) pour le cas d’un
financement par une AOT. La maîtrise d’ouvrage est une étape nécessaire et
obligatoire de tout projet de construction immobilière. Que cette maîtrise
d’ouvrage soit publique ou déléguée, elle a toujours un coût et doit donc être
incluse dans les deux termes de la comparaison.
Ainsi, en prenant l’hypothèse que la maîtrise d’ouvrage réalisée par
l’Etat ne coûterait pas plus chère (notamment en terme de charges de
personnel) que celle réalisée par le partenaire privé, la comparaison
s’établit ainsi :
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COUR DES COMPTES
Tableau comparatif des coûts selon le mode de financement
(hors charges d’entretien et de réparations)
Coût annuel HT
(en M€)
Coût total HT (en M€)
Financement par une AOT
constitutive de droits réels
3,509
98,843
Valeur actualisée à 4% :
58,669
Financement budgétaire
3,160
89,017
Valeur actualisée à 4% :
52,83
En conséquence, la différence de coût annuel entre un financement
budgétaire et un financement par une AOT constitutive de droits réels s’élève
à 349 K€ HT, soit + 11 %.
Cette différence est sans commune mesure avec le chiffre de 41 %
évoqué dans le rapport de la Cour. Elle s'explique par deux raisons :
tout d’abord, dans le cas de la maîtrise d'ouvrage publique, le
risque relatif à l’investissement est pris par l'Etat et n'est pas
quantifié au départ ;
ensuite, dans le cas du financement par une AOT constitutive de
droits réels, le risque (garantie prix / délais et garantie entretien et
maintenance / renouvellement) est pris par la personne privée. Ce
risque est clairement quantifié au départ
.