Les péages autoroutiers
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PRESENTATION
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La France comptait il y a cinquante ans moins de 100 km
d’autoroutes. Pour développer un réseau autoroutier moderne, l’Etat a
alors mis en place un système de concessions grâce auquel les sections à
construire étaient financées sans recours au budget général.
Afin de trouver les ressources nécessaires, le choix avait été fait de
déroger au principe de la gratuité des voies de circulation. Les péages
prélevés sur les usagers devaient couvrir à la fois l’amortissement des
investissements, l'exploitation et l'entretien des autoroutes et leur
extension. Les opérateurs étaient, pour l’essentiel, des entreprises
contrôlées directement ou indirectement par l’Etat.
Désormais le contexte a changé. La France dispose d’un réseau
autoroutier étendu (d’environ 8 300 kms) dont la partie la plus ancienne
est amortie. L’ouverture du capital (en 2002 puis en 2004-2005), puis la
privatisation (en 2006) des sociétés d’économie mixte concessionnaires
d’autoroutes (SEMCA) ont modifié la relation entre l’Etat et les
opérateurs, dans un contexte de quasi-monopole naturel. Aujourd’hui, six
sociétés précédemment d’économie mixte, concessionnaires d’autoroutes,
relèvent du secteur privé : Autoroutes du Sud de la France (ASF),
Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et Sanef, ainsi que leurs filiales, la
société des autoroutes Estérel, Côte-d’Azur, Provence, Alpes (ESCOTA),
la société des Autoroutes Rhône-Alpes (AREA) et la Société des
Autoroutes Paris-Normandie (SAPN). L'Etat reste propriétaire des
infrastructures autoroutières, mais les sociétés en assurent la gestion.
Le péage est entré dans les moeurs. Des préoccupations nouvelles
de protection de l'environnement et de régulation du trafic conduisent à
s’interroger sur la part du trafic routier par rapport aux chemins de fer et
à la voie d’eau et peuvent influer sur le niveau des tarifs.
238
COUR DES COMPTES
En dépit de ces évolutions et des privatisations, le dispositif des
péages n’a pas été modifié. L'administration a mal rempli son rôle de
régulateur. Les défauts et l'opacité de mécanismes d'une grande
complexité ont permis des niveaux de recettes supérieurs aux tarifs
moyens affichés et des augmentations dépassant les hausses autorisées.
La Cour a évoqué les problèmes liés à la tarification de Cofiroute,
seul concessionnaire privé antérieur, dans ses rapports publics 2003 et
2006. A l’issue d’une enquête portant sur la tarification des autres
sociétés d'autoroutes (hors tunnels), elle formule de sérieuses critiques
sur le système de fixation des péages autoroutiers.
I
-
Un système qui s’est éloigné de la référence
juridique aux coûts
A - Les principes de base des péages
1 -
Le cadre législatif et jurisprudentiel
A l’origine, l’introduction de péages dans un système routier
jusqu'alors gratuit était justifiée par la nécessité de financer la
construction des nouvelles autoroutes. Les tarifs étaient donc clairement
liés à leurs coûts de construction et de gestion. Ce lien a ensuite subsisté.
Le dispositif est encadré par l’article L. 122-4 du code de la voirie
routière (article 4 de la loi du 18 avril 1955), qui définit le péage en
fonction du coût des facteurs à amortir par autoroute et prévoit une
rémunération du capital investi, et par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993
relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie
économique et des procédures publiques, dite « loi Sapin », qui borne
dans son article 40 la durée des concessions par la durée normale
d’amortissement. Cette loi interdit les paiements étrangers à leur objet, et
par conséquent le financement d’autoroutes nouvelles par les recettes
tirées des autoroutes plus anciennes et déjà amorties.
Par ailleurs, la directive européenne « Eurovignette » du 17 juin
1999, modifiée par la directive du 17 mai 2006 et applicable à compter de
2008 aux concessions nouvelles, fonde aussi le « péage moyen pondéré »
d’une concession autoroutière sur le recouvrement des coûts. Elle prévoit
une rémunération « aux conditions du marché » des capitaux investis.
Enfin, la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports
intérieurs (LOTI) exige des évaluations et des bilans par grand projet
d’infrastructure, ce qui conduit, selon son décret d'application du
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
239
17 juillet 1984, à calculer la rentabilité socio-économique et la rentabilité
financière en fonction des coûts complets par autoroute.
La jurisprudence relative aux redevances pour service rendu fixe
comme plafond aux tarifs les coûts du service rendu. Elle incite
80
à fonder
ces tarifs sur des coûts clairement cernés, et ainsi sur des autoroutes
facilement identifiables, plutôt que sur des réseaux d’autoroutes
hétérogènes, d’âges divers, pour lesquels le lien entre équipement, coûts
et péages est difficile à déterminer.
2 -
La négociation et l'homologation des péages
Les cahiers des charges ne définissent pas une « loi tarifaire » sur
la
durée
des
concessions
en
fonction
de
prévisions
de
trafic
contractualisées, mais seulement sur la durée du contrat de plan en cours.
Conformément au cadre réglementaire (décret tarifaire de 1995 et
mode de fixation des tarifs dans les cahiers des charges), des formules de
hausses globales sont négociées entre l’Etat, représenté par la direction
générale des routes, et le concessionnaire avant le début de chaque contrat
d’entreprise de cinq ans. La discussion porte sur la hausse annuelle de
base pour les véhicules légers (classe 1), sur des majorations
additionnelles visant à compenser des charges supplémentaires, en
particulier le coût de nouveaux investissements, et sur le relèvement
éventuel des coefficients appliqués aux péages de la classe 1 pour passer
à ceux des autres classes (poids lourds notamment).
Chaque année, la direction générale des routes et la direction de la
concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(DGCCRF)
homologuent conjointement, fût-ce tacitement, les grilles
tarifaires
proposées par les concessionnaires. A défaut de contrat
d'entreprise, les hausses des péages sont négociées pour l'année et mises
en vigueur par arrêté ministériel.
Le système de péages s'inscrit ainsi dans un cadre mixte, à la fois
de nature contractuelle, en ce qu'il contribue à l'équilibre de la
concession, et de nature réglementaire, en ce qu'il relève d'un ensemble
de décisions publiques - décret tarifaire, décret d'approbation du cahier
des charges, décisions d'homologation des tarifs.
80) Même si elle s'est très récemment assouplie (Conseil d'Etat, 16 juillet 2007,
syndicat national de défense de l'exercice libéral de la médecine à l'hôpital) par la
prise en compte complémentaire de la valeur économique de la prestation pour
l'usager
240
COUR DES COMPTES
B - La pratique antérieure de l'adossement
1 -
La généralisation de l'adossement
Après la réalisation des premières autoroutes, les pouvoirs publics
ont largement eu recours à la méthode de l’« adossement » pour financer
les suivantes.
Ainsi le produit des péages des autoroutes déjà construites a été en
partie utilisé pour développer le réseau. Cette pratique nécessitait
l’augmentation régulière des péages des autoroutes en service ou
l’allongement de la durée des concessions existantes pour assurer des flux
suffisants
de
ressources.
Les
deux
formules
ont
été
utilisées
simultanément.
Au fil des ans, les six sociétés concessionnaires se sont
progressivement retrouvées à la tête de réseaux d’autoroutes hétérogènes,
de rentabilité très variable et inégalement amorties. La concession dont
chacune était titulaire restait et reste cependant unique pour l’ensemble de
son réseau.
2 -
La fin partielle de l'adossement
L’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999 a confirmé
l'illégalité de la pratique de l’adossement, en limitant la faculté
d’extension des concessions au financement d’aménagements accessoires
aux autoroutes existantes ou de prolongements restreints sans autonomie
propre (bretelles d’accès, nouveaux échangeurs...).
Les conséquences étaient doubles :
−
le mécanisme de l’adossement devait à l'avenir être écarté ;
−
les péages des autoroutes les plus anciennes auraient dû évoluer
à la baisse, une fois leur amortissement achevé.
L'Etat a mis fin à l’adossement : dès 1998, le financement des
nouvelles autoroutes a été organisé par concession autonome et sans lien
avec les ressources tirées des concessions anciennes. En revanche, le
mode de fixation des péages des autoroutes anciennes n'a pas été modifié
et la baisse des péages n'a pas eu lieu.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
241
C - L'absence de fondement juridique clair
1 -
La coexistence de situations juridiques variées
Deux régimes juridiques coexistent aujourd'hui : celui des
concessions « historiques », au réseau étendu et hétérogène, dont les
premières autoroutes ont financé et continuent de financer les plus
récentes ; celui des concessions nouvelles, dévolues par autoroute, dont
les besoins de financement non comblés par les péages sont couverts par
des subventions publiques.
La durée de concession diffère très sensiblement selon les
autoroutes. La durée totale des concessions a été allongée une dernière
fois de 12 à 15 ans en 2001 pour compenser la banalisation du régime des
SEMCA ; elle va de 62 ans (AREA) à 71 ans (ASF). Les contrats de
concession expireront en 2026 (ESCOTA), en 2028 (Sanef et SAPN) et
en 2032 (ASF, APRR et AREA). Sur les premières autoroutes, les plus
rentables, les péages seront perçus pendant une période deux fois plus
longue que sur les dernières, les moins rentables.
2 -
Les distorsions entre péages et coûts
Au fil du temps, plusieurs facteurs ont contribué à affaiblir le lien
entre les coûts et les péages par autoroute :
−
l’approche économique globale des concessions anciennes,
correspondant à des réseaux hétérogènes, comme il a été dit, ne
justifie pas le niveau des péages par autoroute, ni leurs écarts ;
−
l’article 25 des cahiers des charges antérieurs à 1990-1992 ne
fixait qu’un tarif kilométrique plafond par concession, commun
en outre à plusieurs concessions ;
−
enfin la notion de « tarif kilométrique moyen » d’un réseau,
retenue par le décret du 25 janvier 1995 relatif aux péages
autoroutiers, et son instrument de mise en oeuvre pour les
hausses annuelles, le « taux kilométrique moyen » par « section
de référence » des cahiers des charges depuis 1995, ne font plus
de lien clair entre tarifs et coûts par autoroute.
L'affaiblissement du lien entre péages et coûts a été accentué par
un mouvement apparent d’uniformisation tarifaire. Bien que les
autoroutes d'une même concession aient des coûts de construction
différents, notamment selon les zones traversées – plaine ou montagne,
zone urbanisée ou rurale – et des trafics inégaux et soient d'ancienneté
variable, la tendance de longue durée est au rapprochement des tarifs
242
COUR DES COMPTES
moyens entre autoroutes au sein d'un même réseau. Cette politique,
amorcée en 1977, avait été confirmée par le Gouvernement en septembre
1981.
Au moins en apparence, la plupart des sociétés ont pratiqué depuis
lors cette harmonisation. L’écart des « taux kilométriques moyens » des
« sections de référence » est, par exemple, tombé à 18 % pour la SAPN
(hors A14) et Sanef et à 26 % pour AREA (hors A51) et APRR. Seul le
réseau ESCOTA, pour des raisons tenant à sa configuration, conserve des
écarts constants, globalement et entre sections de référence de l’A8.
Les procédés d’harmonisation tarifaire entre sections de référence
La SAPN a relevé les tarifs de l’autoroute A13 en moyenne de 3,25 %
par an depuis 1995.
ASF accroît ceux de l’A7 et de l’A9 qu'elle fait converger vers son
tarif moyen affiché.
APRR a augmenté entre 1995 et 1997 les prix moyens de 9 à 14 % sur
les autoroutes A6 et A31 tout en gelant les tarifs de l'A5 moins fréquentée et
alors que la partie sud de l'A6 n'est pas en concurrence avec l'A5.
Sanef a resserré les tarifs moyens de l’A4 en rehaussant de 7 % en
12 ans les tarifs moins chers de la section Metz-Strasbourg.
3 -
La faible prise en compte des surcoûts de construction
Les majorations de tarifs lors de la mise en service de sections
d'autoroutes nouvelles plus onéreuses sont très inférieures à leur surcoût
de
construction,
voire
hors
de
proportion,
même
si
l’exacte
proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables par les usagers et de la nécessité de réguler le trafic.
La même majoration de 20 %, par exemple, ne traduit pas le coût
de construction de l’A51, triple de celui des autoroutes voisines A48 et
A41 sud (AREA), ou le coût 2,5 fois supérieur du tronçon Mansac –
Brive
par rapport à l’A89 ouest (ASF) ; elle ne correspond pas davantage
au surcoût de l’A8 est par rapport à l’A8 ouest, dont la construction a été
3,5 fois moins onéreuse et dont le trafic n’est inférieur que de 25 %
(ESCOTA).
La situation actuelle est ainsi caractérisée par de grandes
différences juridiques et structurelles entre autoroutes, qui donnent au
système de détermination des péages un caractère disparate, voire
arbitraire.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
243
II
-
Un système économiquement incohérent
Les écarts d’ancienneté et de coûts de construction se conjuguent
aux divergences de flux de trafic pour induire de grandes différences de
rentabilité. Les autoroutes anciennes, les plus fréquentées, sont
vraisemblablement amorties depuis longtemps, tandis qu’une vingtaine
d’autres, qui ne voient passer que 5 000 à 15 000 véhicules par jour, sont
peu rentables, voire déficitaires. En effet, sur chaque réseau, la densité du
trafic varie fortement entre autoroutes : la variation va au moins de 1 à 4
sur le réseau ESCOTA et de 1 à 9 sur le réseau ASF. La part du trafic
poids lourds est très variable : pour les véhicules de classe 4 elle ne
représente que 2 % du trafic sur l’A14 (SAPN), mais atteint 24-25 % sur
l’A9 et l’A63 (ASF).
Quels que soient le degré d'amortissement, le trafic et l'ancienneté
de
concession des autoroutes, trois faiblesses principales caractérisent le
dispositif de fixation des péages : une conception théorique faussement
rigoureuse, des grilles de tarifs peu cohérentes, l’opacité sur la
construction des prix. Malgré ses défauts, il n’a pas été revu avant
l’ouverture du capital des sociétés concessionnaires, ni avant leur
privatisation qui est donc intervenue avec le système très imparfait en
vigueur.
A - Une conception faussement rigoureuse
1 -
Les méthodes
Chacun des réseaux est divisé en sections de référence de
longueurs variables, allant d’une dizaine à plusieurs centaines de
kilomètres. Une section de référence ne s’assimile pas au tronçon entre
deux sorties contiguës, mais comprend plusieurs entrées et sorties
81
.
Chacune de ces sections est caractérisée par un « taux kilométrique
moyen » (TKM).
81) Il est important de distinguer plusieurs notions :
- le réseau d’autoroutes concédées à une société, qui comprend plusieurs autoroutes ;
- les sections de référence qui représentent des portions de longueur très variable au
sein des réseaux (10 à 400 km) et correspondent à des fractions d'autoroute, à des
autoroutes ou même (APRR et ESCOTA) à des groupes d'autoroutes ;
- les tronçons d’autoroute entre deux points d'échange consécutifs ;
- les trajets parcourus effectivement par chaque automobiliste.
244
COUR DES COMPTES
En valeur absolue, les tarifs d’un même réseau, pour une même classe
de véhicules, se déterminent à trois niveaux différents :
- les péages de tous trajets, seuls tarifs connus des usagers qui les
acquittent ;
- le TKM de chaque section de référence, égal à la somme des tarifs
sur tous les trajets possibles internes à cette section, divisée par la somme des
longueurs de ces trajets ;
- le tarif kilométrique moyen du réseau, qui, implicitement, doit être la
moyenne des TKM des sections de référence, pondérée par le trafic.
Cependant le dispositif tarifaire n’est pas conçu en niveau, mais en
variations : en classe 1 (véhicules légers), la moyenne des évolutions des
TKM des sections de référence délimitées dans le contrat d’entreprise,
pondérée par leur trafic en kilomètres parcourus, doit être égale à
la hausse
globale annuelle accordée (hausse du tarif kilométrique moyen du réseau).
L’évolution du TKM d’une section de référence résulte de l’application des
nouveaux tarifs à ses trajets.
L’article 25 des cahiers des charges prévoit des hausses tarifaires
annuelles. L'homologation annuelle des tarifs des concessionnaires par
l'administration est censée porter sur les grilles complètes de tarifs.
Chaque année, les tarifs sont d'abord déterminés pour les véhicules
légers, qui constituent la classe 1, selon la méthode définie en termes de
hausse dans les cahiers des charges. Les tarifs des autres classes – poids
lourds notamment – sont calculés par les sociétés concessionnaires selon
la même méthode qu'en classe 1 et en fonction d'un coefficient global.
2 -
Les failles des règles tarifaires
Les failles se situent à plusieurs niveaux.
Le système tarifaire ne s'attache plus qu'à des variations, hausses
annuelles des sections déjà en service ou écarts de tarifs des nouvelles
sections, et non à des valeurs absolues.
Entre sections de référence, les hausses de taux kilométriques
moyens sont pondérées par le trafic, mais sans limitation des écarts, hors
l'objectif de hausse globale pour le réseau. En revanche, au sein des
sections de référence, le taux kilométrique moyen ne tient pas compte des
volumes de trafic et laisse les concessionnaires libres de concentrer les
hausses de péages et les tarifs élevés sur les tronçons ou les trajets les
plus fréquentés. Ainsi, l’instrument faussement rigoureux qu’est le TKM
d’une section de référence est indépendant du trafic.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
245
De plus, par construction, le taux kilométrique moyen décompte
plusieurs fois les mêmes tronçons, mais le fait bien davantage pour
les
tronçons centraux, en général moins fréquentés, que pour les extrémités,
plus fréquentées. De ce fait, plus les sections de référence sont longues et
démultiplient les trajets internes, plus il est possible de jouer sur les
variations de tarifs pour une même hausse du TKM
82
.
Les sections en "système ouvert" de péage ajoutent une difficulté
supplémentaire par l'application d'une distance forfaitaire indépendante
du trafic et par l'opacité accrue de leurs tarifs.
B - Des tarifs incohérents
L'analyse des tarifs effectifs ne révèle aucune logique.
1 -
Les divergences tarifaires entre sections de référence
Les sociétés ne sont pas tenues d'appliquer uniformément les
hausses globales annuelles ; certaines font ainsi varier fortement les
hausses de TKM entre sections de référence : chaque année, ASF les
échelonne entre 0 % et 4 ou 5 % et Sanef sur une plage de deux points.
Les arrondis de prix n'expliquent pas de tels écarts, qui relèvent d'une
politique tarifaire. A l'inverse, depuis 2003, sauf une année, APRR et
AREA ont sensiblement réduit les écarts de hausses annuelles entre
sections de référence.
Les coefficients appliqués pour passer du tarif véhicules légers
(classe 1) au tarif poids lourds (classe 4) varient eux-mêmes entre
sections de référence et encore plus selon les trajets. Ainsi, ces écarts,
calculés entre sections de référence, atteignent quelque 12 % pour ASF
(contre cependant 20 % en 2001), Sanef et la SAPN. Il arrive même, sur
certains tronçons, que les tarifs appliqués aux poids lourds soient
identiques à ceux des véhicules légers (SAPN, APRR, AREA). Quant à
l’écart entre la classe 3 (autocars et camions légers) et la classe 4, il va de
29 % pour la Sanef à 40 % pour la SAPN.
Aucun lien évident ne peut être établi entre ces écarts de hausses
ou de coefficients tarifaires et l’évolution des coûts.
82) A titre d'exemple, si une section de référence comporte dix tronçons égaux, les
deux tronçons médians sont comptés trois fois plus que les tronçons extrêmes.
246
COUR DES COMPTES
2 -
Les distorsions des grilles tarifaires
L’examen des péages appliqués selon les trajets révèle les
distorsions des prix perçus pour parcourir un même tronçon. On trouve
des écarts de 1 à plus de 10 sur un même réseau, voire une même
autoroute. Deux sociétés – ESCOTA et SAPN – font toutefois exception
en appliquant un tarif identique pour un tronçon quelconque, quel que soit
le trajet qui l'inclut, ce qui est logique et compréhensible par tous les
usagers.
Le calcul des différentiels de prix fait apparaître des tronçons
gratuits pour certains trajets dans les réseaux ASF et Sanef. De même, sur
le réseau APRR, divers tronçons sont gratuits, soit sur leur seul trajet
élémentaire, soit au contraire sur les autres trajets les contenant, le trajet
élémentaire étant alors le seul payant.
La disparité des tarifs sur un même tronçon
L’automobiliste qui emprunte vers le nord le tronçon Avignon sud-
Cavaillon de l’autoroute A7 paye son passage sur ce tronçon 11 à 13 fois plus
cher s’il va jusqu'à Orange (1,1 €) ou Chanas (1,3 €) que s’il se rend à
Montélimar (0,1 €). La situation est la même dans l'autre sens.
Celui qui emprunte le tronçon L’Isle d’Abeau centre-Bourgoin-Jallieu
de l’autoroute A43 ouest paye pour ce tronçon 0,1 € s’il se rend à Chatuzange
(Valence) et 1,6 € s’il sort à Voiron (Grenoble) ; s'il vient de Rumilly, ce
tronçon est gratuit.
Quant au conducteur qui emprunte le trajet Boulogne-Amiens de
l'autoroute A16, il paye moins cher s’il sort à Amiens ouest (9,5 €) qu’à
Amiens nord (9,9 €) en dépit d’un trajet plus long de 5 kilomètres. Autrement
dit, pour lui, le parcours entre ces deux sorties a un tarif négatif (- 0,4 €).
Sur une même autoroute, les prix au kilomètre entre trajets
différents peuvent également connaître des écarts importants sans motif
repérable.
L’hétérogénéité des tarifs au kilomètre
Sur l’autoroute A16 (Sanef), les contournements de Beauvais et
d’Abbeville sont facturés 13,2 à 13,4 cts/km alors que le parcours Amiens
ouest - Méru ne coûte que 6,23 cts/km.
Sur le réseau ESCOTA, hors tunnel de Monaco, les prix au kilomètre
peuvent varier de 1 à 6. Ainsi l’automobiliste qui emprunte l’A52 de Saint-
Maximin à Pas-de-Trets va débourser 2,5 € pour 39,6 km, soit 6,31 cts/km,
alors que celui qui roule sur l’A50 de La Bédoule à Cassis paye 0,9 € pour
2,3 km, soit 39,13 cts/km.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
247
3 -
La diversité des méthodes de calcul des péages
Pour les tarifs des véhicules légers (classe 1), le paramètre de
pondération employé pour arriver au tarif moyen ou à la hausse globale
doit être le trafic. Or, trois sociétés – ESCOTA, AREA et ASF – ont leurs
méthodes propres.
Ainsi, AREA en 2003 emploie deux « tarifs moyens » différents,
dont aucun n'est conforme à la règle du cahier des charges : l’un, qui
figure dans le contrat d’entreprise, assimile le réseau à une section
unique ; l’autre, indiqué dans le cahier des charges, divise le réseau en
plusieurs sections, avec une pondération des moyennes par les distances
tarifaires. L’écart entre les deux est de 2,8 %.
ASF pour sa part a changé de méthode lors de l’ouverture de son
capital en 2002. Sa nouvelle formule aboutit à un tarif moyen en
apparence inférieur de 1,6 à 2,3 % au niveau qu’indiquerait pour les
mêmes péages l’ancienne pondération, qui était correcte.
Les
données
de
trafic
utilisées,
au
demeurant
souvent
approximatives, varient selon les sociétés. Les périodes de référence ne
sont pas les mêmes et fluctuent par rapport à l'année calendaire. Les
chiffres employés par APRR et ESCOTA n’incluent que le trafic en
parcours payant. Sanef et AREA calculent leurs pondérations pour la
classe 1 en incluant les véhicules des classes 2 et 5, alors qu’AREA, avant
2004, et APRR, encore aujourd’hui, prennent en outre en compte les
trafics de poids lourds. Ces méthodes sont impropres puisqu'il s'agit de la
seule classe 1.
C - Une tarification opaque
1 -
Les défauts de publicité des péages
Les clauses des cahiers des charges sur la publicité des tarifs de
péage sont vagues et désuètes. Malgré l’article L. 113-3 du code de la
consommation, qui s’appliquait aussi aux SEMCA (article L. 113-2),
aucune société n’affiche ses prix unitaires, c’est-à-dire les tarifs
kilométriques, dont les écarts se révèleraient aussitôt. Les publications de
tarifs, faites sans contrôle, sont disparates et incomplètes. Sanef publie ses
tarifs par groupe d’autoroutes et ESCOTA – qui seule édite toutefois les
grilles de distances – le fait pour le réseau complet. APRR a même
abandonné les brochures depuis 2003. Les sites internet, qui donnent le
tarif d’un trajet, n’assurent qu’un service particulier, non l’information
générale.
248
COUR DES COMPTES
Une publicité compréhensible, par brochures et sur internet, des
doubles grilles de péages et de tarifs kilométriques par autoroute devrait
être exigée.
2 -
La structure tarifaire des réseaux
Le nombre des trajets possibles sur des sections de référence très
hétérogènes varie très fortement.
L’agrégation des autoroutes d’APRR en six sections, la fusion de
trois des six sections d’ESCOTA en 2007 ou l’existence d’une seule
section pour l’ensemble de l’autoroute A13 de la SAPN ont accentué
l’opacité des péages effectivement pratiqués à l’intérieur de ces vastes
sections.
Trois sociétés recourent largement au système ouvert de péage,
avec paiement à chaque barrière en pleine voie et péage forfaitaire sans
ticket : ESCOTA (A8 est et A50), Sanef (A4, sauf Reims-Metz) et la
SAPN (A13 et A29). Or, les sections soumises à ce système, comme les
tronçons gratuits, rendent incompréhensibles les prix au kilomètre.
III
-
Un système devenu trop favorable
aux concessionnaires
A - Les hausses de prix accordées par l'Etat
Comme il a été exposé, l'Etat, ce qui est normal dans la gestion
d'un service public concédé et d'un quasi-monopole naturel, homologue
les nouveaux tarifs annuels des péages et donc aussi leurs hausses.
1 -
La poursuite de hausses souvent supérieures à l’inflation
Pour les véhicules légers (classe 1), de janvier 2001 à fin 2006 ou
début 2007
83
, les hausses annuelles de tarifs accordées se sont élevées à
quelque 2,1 % pour APRR et ASF et ESCOTA, tandis qu’elles
atteignaient 2,6 % pour la SAPN, tous chiffres sensiblement supérieurs à
l’inflation (1,8 % par an). Les hausses consenties à AREA (1,6 % par an
en moyenne) et à Sanef (1,8 %) restent un peu en-deçà ou à un niveau
équivalent.
83) Les hausses annuelles du groupe ASF continuent à intervenir en février,
conformément aux cahiers des charges, tandis que celles des groupes APRR et Sanef
sont repoussées en octobre et décembre depuis 2004.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
249
Pour les poids lourds (classe 4), depuis janvier 2001, les
coefficients tarifaires ont été relevés en moyenne de 0,9 % (APRR) à
1,25 % (ESCOTA). Les plus fortes hausses de tarifs poids lourds sur la
période atteignent ainsi 3,7 % par an (SAPN) et 3,4 % par an (ESCOTA).
2 -
Le caractère contestable de l’indexation
Le décret du 25 janvier 1995 assure aux concessionnaires une
hausse des péages égale à 70 % au moins de l’inflation. Le groupe
ASF
s’est même vu accorder par ses cahiers des charges, à l’ouverture de son
capital en 2002, une hausse de base égale à 85 % de l’inflation, dans la
mesure où un contrat d'entreprise était signé.
Cette garantie constitue une exception surprenante à la politique
de désindexation des prix. Elle est d’autant plus critiquable que, pour les
concessionnaires d’autoroutes anciennes, l'achèvement des programmes
de construction et la fin de l’adossement font qu’ils n’ont plus de
nouvelles sections importantes à financer, que les anciennes autoroutes
sont elles-mêmes progressivement amorties et que l’automatisation des
péages procure des gains de productivité significatifs.
Les taux de 70 % ou 85 % excèdent en outre la part des charges
récurrentes – personnel, frais de fonctionnement, etc. – plus proche de
30 % des coûts totaux d'une concession, tandis que les remboursements
d'emprunts n'ont pas de raison d'être indexés sur les prix à la
consommation.
3 -
Des hausses additionnelles mal étayées
Tout nouvel investissement est compensé aux concessionnaires, en
particulier par des compléments de hausses tarifaires. Mais les projections
financières qui les fondent ne sont pas publiques et n’ont pas été
communiquées à titre d'exemples à la Cour. Ainsi la justification des
hausses additionnelles allouées au groupe ASF (0,62 % en 2001-2006 et
0,31 % en 2007) ou aux sociétés Sanef, SAPN et APRR (respectivement
0,45 %, 0,74 % et 0,84 % sur 2003-2008) est invérifiable.
La combinaison, pendant la période où la pratique de l’adossement
était acceptée, de hausses tarifaires et d’allongements de la durée des
concessions pour financer les nouvelles sections d'autoroutes a rendu
encore plus illisible l'équilibre des concessions.
250
COUR DES COMPTES
4 -
Des modulations de péages autorisées sans grand succès
Les cahiers des charges autorisent les concessionnaires à moduler
les péages dans le temps et dans l’espace, dans un souci de régulation du
trafic. Ces modulations, dont l’objectif doit être précisé dans les contrats
de plan, ne doivent entraîner ni gain ni perte pour les sociétés, ni
discrimination pour les usagers. L’objectif est d’encourager les
automobilistes à mieux répartir leurs déplacements afin de limiter les
embouteillages aux heures de pointe ou les jours de grands départs ou
retours de vacances.
En pratique, les modulations dans le temps, en fonction des
horaires, ne concernent que les autoroutes A14 (SAPN) et le sud de l'A1
vers Paris (Sanef). Les modulations autorisées entre autoroutes, visant à
reporter le trafic automobile vers les itinéraires moins chargés, sont
également peu nombreuses. Les contrats de plan 1995-1999 en ont suscité
deux : Sanef encourage ainsi à emprunter l’autoroute A16 Boulogne-l’Isle
Adam par un prix inférieur à celui du trajet Calais-Roissy par l’A26 et
l’A1 ; APRR avait majoré aux vacances d’hiver 1996 et 1997 le tarif de
l’autoroute A6 nord pour favoriser l’itinéraire A5-A31 sur le trajet Paris-
Beaune.
Malgré
l’incitation
marquée
dans
les
nouveaux
contrats
d’entreprise, les sociétés n’ont pas proposé depuis lors d’autres
modulations.
B - Les pratiques de maximisation des recettes
1 -
Les mécanismes mis en oeuvre par les sociétés
Les sociétés, à des degrés divers, font porter les principales hausses
sur les trajets les plus fréquentés, si bien que les recettes effectives tirées
des péages croissent plus rapidement que les hausses accordées et sont
supérieures, au kilomètre parcouru, aux tarifs moyens affichés.
A cet égard, entre sections de référence, l’harmonisation des tarifs
déjà évoquée s’opère en relevant les tarifs les plus bas, historiquement
appliqués aux autoroutes anciennes les plus fréquentées
84
, et en gelant ou
en limitant les hausses des prix plus élevés des autoroutes nouvelles,
moins utilisées.
84) Avec une exception pour ESCOTA, dont l'autoroute A8 est la plus chère du
réseau
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
251
De même, à l’intérieur des sections de référence, les hausses ont
porté en priorité sur les trajets les plus employés et notamment sur les
trajets complets et les sections d’extrémité. De nombreux exemples
d’augmentation plus rapide des péages sur les trajets à forte circulation
peuvent être cités : ainsi la SAPN a augmenté de 80 % depuis 1995 le
prix de la section Mantes-Gaillon, la plus chargée de l’autoroute A13, soit
5,1 % par an.
Les hausses des prix des trajets complets
Les hausses de tarifs ont particulièrement touché les trajets complets.
Ainsi, sur le réseau Sanef, le prix du parcours Roissy-Lille, sur l’autoroute
A1, a augmenté de 4 % par an de 2003 à 2006 contre 1,9 % par an pour
l’ensemble du réseau de ce concessionnaire. A l’inverse, les tarifs sur les
trajets Senlis-Péronne et Senlis-Albert, inclus dans ce parcours, n’ont pas
varié. Autrement dit, la hausse a porté en priorité sur les flux principaux.
Le trajet Paris-Rouen, sur l’autoroute A13 (SAPN), a vu son prix
croître de 4,3 % par an de 2002 à 2006 contre 2,6 % en moyenne sur ce
réseau.
Sur le réseau ASF, les trajets complets Vienne-Orange (autoroute A7
nord) et Montpellier-Narbonne sud (A9 centre) sont quelque 30 % plus
coûteux au kilomètre que les trajets Montélimar-Orange (7,50 cts/km contre
5,81 cts/km) ou Agde-Narbonne sud (7,35 cts/km contre 5,68 cts/km) qu’ils
incluent respectivement.
Sur le réseau APRR, le trajet complet Beaune-Lyon de l’autoroute A6
sud a vu son prix progresser de 3,4 % par an en moyenne depuis 2002 contre
2,3 % pour le réseau et 0 % depuis au moins 1999 sur le trajet intermédiaire
Tournus-Mâcon nord, le moins cher. Le trajet complet Fleury-Beaune, sur
l’A6 nord, coûte 7,27 cts/km alors que le parcours Pouilly-en-Auxois-
Beaune, qu’il inclut, est tarifé 5,95 cts/km.
Depuis 2005, ASF a relevé les péages des trajets complets
Orange-
Montpellier (autoroute A9 nord) et Nantes-Bordeaux de respectivement 3,9 et
3,1 % par an contre 2,0 % pour la moyenne du réseau.
Ces mécanismes induisent une recette kilométrique moyenne
supérieure au tarif moyen affiché de chaque réseau puis, lorsqu'ils sont
systématisés, un effet de « foisonnement » des recettes qui augmentent, à
trafic constant, au-delà des hausses de tarifs accordées.
252
COUR DES COMPTES
2 -
La baisse des réductions pour les poids lourds
La directive européenne Eurovignette a prévu le plafonnement en
2008 à 13 % des rabais accordés aux poids lourds sur les tarifs affichés.
Or, les remises accordées par les concessionnaires allaient bien au-delà.
La plupart des sociétés ont anticipé l'échéance en réduisant leurs remises
à compter de 2005. En 2006, AREA les a diminuées de 4 points, APRR
de 3 points et ASF de 2 points. Rapporté aux recettes totales de péage, ce
mouvement s’est traduit par des gains sur l'année de 0,7 % pour ASF, de
0,8 % pour AREA et de 1,2 % pour APRR.
L’octroi de ces rabais s’effectuait à l’initiative des sociétés
concessionnaires au titre de leur politique commerciale. Leur diminution
et l’amélioration corrélative des recettes des concessionnaires n’ont pas
été compensées par une moindre hausse de tarifs accordée par l’Etat.
3 -
Le résultat : des recettes majorées
au-delà des hausses théoriques
Les recettes effectives des sociétés concessionnaires augmentent
plus qu'elles ne le devraient par rapport aux niveaux de tarifs affichés et
aux hausses accordées. La croissance théorique des recettes de péage
devrait résulter de la combinaison de l’évolution du trafic et de celle des
tarifs homologués. Or, tel n'est pas le cas. Ce constat important provient
essentiellement de la diminution sans contrepartie des remises consenties
par les sociétés aux poids lourds et de la pratique du « foisonnement »,
qui appelle des critiques.
L’évaluation du « foisonnement » des recettes
Le calcul exact de l’effet « foisonnement » est compliqué.
Déduction faite de la diminution des rabais accordés aux poids lourds,
les sociétés APRR et AREA ont reconnu cet effet qu'elles ont estimé
respectivement à 1,37 % et 0,84 % pour l’année calendaire 2006. La direction
générale des routes en évalue l’effet pour ces deux sociétés à respectivement
0,95 % et 0,62 % sur les grilles tarifaires d’octobre 2005 et à 1,35 % et 0,94 %
sur celles d’octobre 2006. La Cour l'évalue à 0,5 % par an de 2002 à 2005 pour
APRR.
La pratique est niée par le groupe Sanef et la société ASF. Sur les bases
des éléments provisoires auxquels elle a eu accès, la Cour évalue le
phénomène en 2006 à environ 1 % pour le premier et 0,4 % pour la seconde.
La direction générale des routes, poursuivant ses vérifications à la suite des
observations de la Cour, a plus récemment évalué les effets du foisonnement à
1,12 % dans la hausse de décembre 2006 de Sanef et à 0,81 % dans la hausse
de février 2007 d'ASF.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
253
En classe 1, la recette kilométrique de la société ASF
85
dépasse de
4,5 % le tarif kilométrique moyen homologué. Cet écart est resté
quasiment stable de 2002 à 2006. La direction générale des routes estime
plus généralement que la recette kilométrique moyenne des sociétés est
supérieure de 5 % aux tarifs kilométriques moyens affichés.
Dès la privatisation, en 2006, les sociétés Sanef, SAPN et AREA,
par la conjonction des deux phénomènes identifiés, ont su augmenter
leurs recettes réelles de 2 % de plus que leurs tarifs théoriques et la
société APRR plus de 2,5 %. Le concessionnaire ASF a réalisé un gain de
1,1 %. Par exception, le phénomène n'apparaît pas dans sa filiale
ESCOTA.
4 -
La situation financière des sociétés concessionnaires
Le chiffre d’affaires des sociétés d’autoroutes, constitué à 96-98 %
de péages, a progressé en moyenne à un taux compris entre 4 % par
an (AREA) et 6,7 % par an (ASF) entre 2001 et 2006.
Le rapport entre le résultat net et le chiffre d’affaires était compris
entre 14 et 23 % en 2005. Il dépassait 18 % pour cinq sociétés sur six en
2006.
ASF
ESCOTA APRR
AREA
Sanef
SAPN
Chiffre d’affaires (CA) en M€
2 081,7
543,5
1 272,5
397,5
917,2
283,2
Croissance par an du CA
de 2001 à 2006
6,7 %
5,1 %
4,7 %
3,9 %
4,9 %
6,5 %
Résultat net (RN) 2005 en M€
352,0
98,5
166,2
85,4
131,8
45,6
Résultat net (RN) 2006 en M€
374,4
107,1
435,4
*
97,8
196,9
12,2**
Performance 2005 (RN/CA)
18,0 %
19,1 % 14,0 % 22,7 %
15,2 % 17,2 %
Performance 2006 (RN/CA)
18,0 %
19,7 % 34,2 % 24,6 %
21,5 % 4,3 %
**
* dont 277,6 M€ de dividendes d’
AREA
** plus faible, sans le résultat exceptionnel antérieur lié à la recapitalisation
Les bilans au titre de la LOTI, établis pour des autoroutes ou des
sections récentes, sont limités, sauf exception, à la rentabilité socio-
économique, malgré le décret d’application de 1984 et les demandes de
l’Etat. De façon contestable, la rentabilité financière des autoroutes n'est
pas calculée au cas par cas.
85) Seule société ayant fourni des données permettant les comparaisons.
254
COUR DES COMPTES
C - La faiblesse du
contrôle des tarifs
par l’administration
1 -
Une maîtrise longtemps insuffisante
Comme il a été dit, la direction générale des routes et la direction
générale de la concurrence homologuent chaque année les tarifs.
La perte du lien entre montant des péages et coûts, l’incohérence
des prix pratiqués, l’opacité des tarifs moyens et les pratiques de
maximisation des recettes révèlent que le dispositif a été longtemps mal
maîtrisé par les administrations. En outre, la notion de marge raisonnable
« aux conditions du marché » n’est ni définie, ni même inscrite dans les
cahiers des charges des sociétés concessionnaires en dépit de la situation
de quasi-monopole naturel des autoroutes.
Certes, le contexte antérieur d’économie mixte et d’allocation des
dividendes aux infrastructures de transport collectif incitait moins l’Etat
à contrôler les tarifs. La privatisation des sociétés concessionnaires aurait
exigé, avant qu'elle n'intervienne, et exige encore, maintenant qu'elle a eu
lieu, une clarification des principes et des pratiques des péages
autoroutiers.
2 -
Un effort récent de reprise en mains
La question peut se poser de la création d’une autorité
indépendante chargée de la régulation des péages.
Par un avis du 2 décembre 2005, le Conseil de la concurrence
appelait à une régulation des tarifs autoroutiers par une autorité publique,
pour empêcher les rentes de monopole : citant le rapport public 2003 de la
Cour sur Cofiroute, il estimait que «
les services de l’Etat ne sont pas
nécessairement bien armés pour assumer dans de bonnes conditions le
contrôle d’une multiplicité de sociétés concessionnaires
». Par lettre du
6 mars 2006, le ministère des finances a néanmoins soutenu le dispositif
réglementaire et déclaré l’Etat «
en mesure de jouer efficacement son rôle
de régulateur en matière de tarifs de péage autoroutier
».
A la suite du présent contrôle de la Cour, prolongeant un contrôle
d’ASF, la direction générale des routes, pour la première fois, a mis en
demeure à l’été 2007 les concessionnaires de justifier les tarifs détaillés
de tous les trajets. Elle
procède depuis lors, groupe après groupe, à un
contrôle approfondi des grilles 2005 et 2006 et des nouvelles propositions
de tarifs. Fin août 2007, fait sans précédent, elle a rejeté, conjointement
avec la DGCCRF, les demandes de hausses d’APRR et AREA au
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
255
1
er
octobre, en jugeant leurs modulations tarifaires non conformes aux
principes de neutralité financière du péage et d’égalité de traitement des
usagers. Les deux administrations ont obtenu des sociétés de nouvelles
propositions et une compensation étalée sur deux ans des excès des
hausses de 2006, en renonçant toutefois à remettre en cause les hausses
antérieures.
Dans ses échanges récents avec la Cour, la direction générale des
routes a insisté sur l’effort de remise en ordre et la mutation de culture en
cours. Ce changement d'approche, s'il se poursuit, peut fournir une
réponse à la question de la nature de l'autorité de régulation des péages
autoroutiers.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
________
Les autoroutes sont des services publics. Leurs concessions
bénéficient d’un quasi-monopole naturel dans la mesure où, même s’il
existe toujours ou presque des trajets alternatifs gratuits, l’avantage
qu’elles procurent est tel que le volume de trafic, sauf peut-être dans le
cas des poids lourds, est peu sensible aux hausses annuelles de prix. Des
concessions de service public exigent des prix raisonnables et équitables.
Le fondement juridique des péages est et demeure la tarification au
coût des facteurs ; mais la politique tarifaire s’est sensiblement éloignée
des règles qui la fondaient et le système se caractérise par une grande
opacité pour les usagers. Année après année, les pouvoirs publics ont
homologué des tarifs n'empêchant pas les exploitants d'augmenter leurs
recettes au-delà des pourcentages accordés tout en affichant des tarifs
moyens inférieurs à la réalité. Ils ont ainsi paru valider un système
critiquable.
L'ouverture du capital des sociétés concessionnaires et plus encore
leur privatisation réalisée en 2006 dans un délai fort bref, après une
période où le principe retenu était de ne pas les privatiser et d’employer
le produit des péages pour financer les nouvelles infrastructures de
transports alternatifs, auraient dû provoquer un réexamen du système.
Ce n’est que récemment, à la suite des contrôles menés par la
Cour, que les administrations représentant l'Etat concédant ont engagé
une action de grande ampleur pour mieux connaître les péages
réellement pratiqués et ont remis profondément en cause les demandes de
hausses qui leur étaient soumises.
256
COUR DES COMPTES
La logique aujourd’hui voudrait, au moins pour les autoroutes
anciennes, en grande partie amorties, que les péages diminuent, ce qui
aurait pour inconvénient majeur d'encourager le transport routier en
contradiction avec la politique de l'environnement et les possibilités
offertes
par
les
droits
régulateurs
de
la
directive
européenne
"Eurovignette" . Sans entrer dans cette perspective, la Cour formule les
recommandations suivantes :
- définir une procédure de consultation de personnalités qualifiées
et des usagers avant que les administrations compétentes prennent leurs
décisions relatives aux péages ;
- imposer la publicité, au moins sur Internet, des tarifs réels au
kilomètre ;
- publier sous la responsabilité des services de l'Etat, un rapport
annuel sur l’évolution des péages autoroutiers et sur les raisons qui
l'expliquent ;
- sanctionner les concessionnaires qui ne fournissent pas les
éléments d’information nécessaires au suivi de la concession par les
pouvoirs publics ;
- réexaminer l'indexation minimale des péages sur 70 ou 85 % de
l’inflation et étudier la réforme du décret de 1995 ; dans l'immédiat,
examiner avec plus de rigueur les hausses proposées par les sociétés ;
- étudier la possibilité, dans le respect des engagements pris par
l'Etat, de
clarifier le système de détermination des péages autoroutiers
dans le respect des engagements contractuels de l’Etat.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
257
RÉPONSE DU MINISTRE D’ÉTAT, MINISTRE DE L’ÉCOLOGIE,
DU DÉVELOPPEMENT ET DE L’AMÉNAGEMENT DURABLES
A la suite de ses travaux sur la tarification des autoroutes concédées
effectués dans le cadre du contrôle de la privatisation des sociétés
d’économie mixte concessionnaires d’autoroutes, la Cour des Comptes a
établi une insertion à son prochain rapport public.
Ces travaux reflètent une connaissance approfondie des règles de
détermination des péages. Toutefois, l’insertion, dont la tonalité générale est
renforcée par des titres de chapitre souvent en décalage par rapport au texte
lui-même, me parait exagérément critique et traduit de façon imparfaite
la
situation actuelle.
Le système autoroutier français comporte certes des insuffisances,
notamment liées à sa constitution
par strates historiques successives, mais
les actions destinées à y remédier ont été engagées depuis déjà plusieurs
années.
Je souligne en outre que l'encadrement juridique de notre système
autoroutier,
bien
que
comprenant
des
éléments
réglementaires
ou
jurisprudentiels, est essentiellement d'ordre contractuel. La correction de ses
faiblesses et des hétérogénéités qu'il comporte ne peut donc être ni aussi
rapide ni aussi ambitieuse que la Cour l’indique, sauf à exposer l'Etat à des
demandes de compensation des concessionnaires.
Je ne peux ainsi partager l'affirmation figurant dans l'insertion selon
laquelle ce système n'évoluerait que dans un sens favorable aux sociétés
concessionnaires du fait de l'insuffisance du contrôle de l'Etat. Bien au
contraire, l'important travail accompli par l'administration ces dernières
années se concrétise par une évolution exactement inverse, conformément à
l'objectif fixé à la direction générale des routes. Cette évolution se traduit
notamment par un durcissement des négociations avec les sociétés
concessionnaires et des contrôles plus approfondis du respect de leurs
obligations.
***
I - Le système autoroutier français est complexe et hétérogène, en
raison d’une évolution par strates successives et d’un cadre juridique
essentiellement contractuel
.
I.1 La pratique de l'adossement a été abandonnée à la fin des
années quatre-vingt-dix, mais ses effets se font toujours sentir dans les
péages appliqués sur les autoroutes les plus anciennes
258
COUR DES COMPTES
Comme le relève la Cour, la pratique de l’adossement a conduit à
prolonger la perception du péage sur les premières autoroutes concédées au-
delà des durées des concessions initiales. L'équilibre actuel des contrats est
donc la résultante d'équilibres successifs, dont le plus significatif a été défini
en 2001 lors de la réforme du secteur autoroutier. Ces équilibres successifs
procédaient, à chaque ajustement, à une péréquation entre les péages perçus
sur les autoroutes déjà construites et les péages des autoroutes à construire.
Le niveau des péages des nouvelles sections, tenant compte de coûts de
construction en général plus élevés et d’une durée de perception plus faible,
était nécessairement plus élevé que celui des péages historiques. Il en résulte
une certaine hétérogénéité des péages, qui en soi, n’est pas critiquable, dès
lors qu’elle participe de l’équilibre de la concession, et permet de mutualiser
les recettes des ouvrages anciens avec celles des ouvrages plus récents.
Dans son analyse, la Haute Juridiction confond donc la nécessité du
respect des règles relatives à la concurrence – à l’origine de l’abandon de la
pratique de l’adossement – et la régularité de la mutualisation des coûts – et
donc des péages – au niveau de la totalité de l’infrastructure concédée.
Il serait évidemment plus simple pour la compréhension du niveau des
tarifs que, comme dans les concessions nouvelles attribuées après mise en
concurrence, les péages soient fixés depuis la signature du contrat et
n’évoluent qu’en fonction de la clause d’indexation.
La réalité, faite de strates historiques, est différente. Le modèle des
nouvelles concessions permet cependant d’illustrer le caractère contestable
de l’affirmation selon laquelle les péages historiques doivent baisser en
fonction du degré d’amortissement des ouvrages. Tout se passe en effet
comme si les concessions historiques dont la durée totale avoisine désormais
celle des nouvelles concessions, soit 70 ans, étaient l’addition de concessions
de durées variables, aux tarifs fixés indépendamment les uns des autres.
Aucune de ces nouvelles concessions indépendantes ne prévoit de baisse de
tarifs. L’amortissement comptable qui y est pratiqué est un amortissement de
caducité, qui se distingue nettement de l’amortissement technique pour
dépréciation des ouvrages appliqués aux actifs renouvelables et dont le
fondement est l’extinction, à l’échéance de la concession, de tout actif dans
la mesure où celui-ci n’est plus, par hypothèse, productif de recettes.
L’équilibre financier de la concession historique après allongements
est réalisé de sorte que l’amortissement de la totalité des infrastructures qui
la constituent est achevé à la fin de la concession, ceci indépendamment du
rythme de renouvellement physique des ouvrages. Intellectuellement, on
aurait pu sans doute réaliser cet équilibre avec des lois tarifaires évoluant
négativement, à condition que les péages initiaux soient d’un montant
suffisant, et au prix sans doute de durées d’allongement très importantes. Le
choix fait de retenir pour les péages de l’ensemble des sections une
indexation identique sur l’inflation a permis d’adosser les nouvelles sections
aux excédents financiers enregistrés sur les sections historiques du fait des
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
259
allongements successifs ou des progressions tarifaires supérieures à
l’évolution de base. Par construction, le niveau des péages historiques ne
peut donc baisser.
On comprend donc que dans un tel système, le niveau des péages soit
hétérogène, les écarts initiaux pouvant même s’accroître au gré des
actualisations. C’est pourquoi les sociétés concessionnaires et l’Etat ont
recherché des outils, essentiellement contractuels, permettant d’encadrer
l’évolution des tarifs afin d‘accroître leur lisibilité et faciliter leur contrôle.
I-2 Si le droit du péage comporte des éléments réglementaires ou
jurisprudentiels, la fixation des péages relève principalement de clauses
contractuelles.
Comme le souligne la Cour, le cadre législatif national et
communautaire – s’agissant pour ce dernier seulement des poids lourds –
transpose la jurisprudence traditionnelle relative aux redevances pour
service rendu. Le cadre réglementaire hérité du contrôle des prix – le décret
du 24 janvier 1995 – renvoie aux cahiers des charges la fixation des règles
précises de détermination des hausses tarifaires par sections de référence.
Sous réserve du respect des grands principes jurisprudentiels, dont
notamment le principe d’égalité, la fixation des tarifs ne peut se faire que par
accord entre la société concessionnaire et l’Etat. Il en est ainsi de la
définition des sections de référence, qui est effectuée dans le cadre des
contrats d’entreprise, donc après accord du concessionnaire. Il en est de
même de la détermination du TKM, tarif kilométrique moyen dont la Cour a
bien perçu les limites, qui ne prévoit de prise en compte des trafics que pour
répartir entre les sections de référence les hausses autorisées et qui laisse
une grande liberté aux sociétés concessionnaires pour répartir les hausses
entre trajets d’une même section de référence.
Ces clauses contractuelles, qui constituent en général l’article 25 des
cahiers des charges des concessions, peuvent bien entendu être modifiées
d’autorité par le concédant. Il doit cependant être bien compris que toute
modification unilatérale de ces clauses sensibles pour l’équilibre de la
concession ne pourrait qu'aboutir à une hausse des péages compte tenu de la
jurisprudence du fait du Prince qui octroie à la société concessionnaire une
compensation dès que l’équilibre du contrat est modifié par le concédant. En
cas de saisine du juge, celui-ci serait ainsi conduit à accorder des hausses
tarifaires supplémentaires pour rétablir l’équilibre antérieur et l’inverse du
but recherché serait obtenu.
De ce fait, seule la négociation est de nature à obtenir les correctifs
souhaités à juste titre par la Cour. Or, les mandataires sociaux ne peuvent
conclure un avenant ou un contrat d’entreprise avec l’Etat qu’à la condition
qu’il soit conforme à l’intérêt social de l’entreprise, c'est à dire qu’il
présente des avantages de nature à contrebalancer les contraintes
supplémentaires exigées par l’Etat. Compte tenu de l’impact des clauses
260
COUR DES COMPTES
tarifaires sur les revenus futurs des sociétés, leur durcissement est à
l’évidence difficile à faire accepter. Que l’entreprise soit publique ou privée
ne change rien à la responsabilité des mandataires sociaux, telles qu’elle est,
par exemple, sanctionnée par l’article L 242-6 du Code de Commerce.
Dans ce contexte, la récente remise en ordre conduite par la direction
générale des routes consiste à appliquer une lecture stricte des principes
réglementaires et contractuels existants sans en changer ni la lettre, ni
l’esprit. En revanche, une fois les conclusions dûment tirées de cette stricte
application, il sera tout à fait possible de les traduire par une rédaction
contractuelle plus claire et plus directement applicable.
II - La remise en ordre nécessaire pour remédier à l’hétérogénéité
des situations héritée de l’adossement ne peut être aussi rapide et
ambitieuse que le souhaite la Cour.
II-1 Contrairement à ce qu'indique la Cour, la tarification
n’est pas
décorrélée des coûts
La Cour critique la politique tarifaire d’uniformisation des TKM
indépendante par nature de la réalité des coûts respectifs à amortir par
autoroute.
S’agissant des concessions historiques, la pratique de l’adossement a
conduit à ce que le calcul du péage moyen s’effectue sur la totalité du réseau,
rendant ainsi plus indirect le lien entre le coût de construction ou
d’exploitation et le montant du péage mais sans méconnaître les principes
qui fondent la redevance pour service rendu, celui-ci étant entendu comme le
service apporté par l’ensemble du réseau du concessionnaire. C'est d'ailleurs
le cas pour les exemples pris par la Cour dans la partie I-3 concernant AREA
et ASF qui sont des concessionnaires historiques. Le lien avec le coût de
construction n’en a pas pour autant disparu, comme le démontre la
comparaison des tarifs kilométriques moyens applicables aux véhicules de la
classe 1 (véhicules légers) selon que la société dispose d’un réseau constitué
principalement d’autoroutes de plaine ou d’autoroutes de montagne, qui sont
sensiblement différents entre les deux catégories et en outre relativement
homogènes à l’intérieur de chacune de celles-ci.
A titre d’exemple, pour 2006, le TKM classe 1 du réseau concédé aux
Autoroutes du Sud de la France (ASF) est de 6,90 cts€ TTC/km et de
6,74 cts€ TTC/km sur le réseau concédé à la Société du Nord et de la France
(SANEF), alors qu’il est de 9,09 cts€ TTC/km pour la société des Autoroutes
Rhône Alpes (AREA) et de 9,70 cts€ TTC/km pour l’A40, autoroute d’accès
au tunnel du Mont-Blanc concédée à la société ATMB.
Ce principe d’homogénéisation des tarifs, tout en gardant un lien avec
les caractéristiques physiques des différentes sections, est illustré par les
clauses contractuelles encadrant les tarifs relatifs aux sections nouvelles. Les
éléments pris en compte concernent alors l’ensemble du réseau concédé à la
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
261
société et sont modulés en fonction des caractéristiques spécifiques de la
section. Ainsi, l’article 25.5 du cahier des charges des sociétés dispose que «
la tarification des sections nouvelles à leur mise en service est fixée par la
société concessionnaire sur la base du tarif kilométrique moyen (TKM) de
son réseau au moment de l'ouverture de ces sections, éventuellement corrigé
en fonction des coûts de construction et d'exploitation si ceux-ci sont
sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau ». Sauf
autorisation conjointe du ministre chargé de la voirie nationale et du
ministre chargé de l’économie, cette correction ne doit pas conduire à ce que
le TKM de la section nouvelle soit supérieur de plus de 20% au TKM des
sections contiguës. La détermination des tarifs de l’autoroute A 89 concédée
à ASF, dont les coûts de construction et d’exploitation élevés ont justifié un
TKM à la mise en service supérieur de plus de 20 % au TKM des sections
contiguës, a par exemple bénéficié d’une telle autorisation.
La Haute Juridiction constate par ailleurs que les rentabilités
financières des autoroutes sont rarement disponibles. Dans son avis du
25 juin 2003, le Conseil général des ponts et chaussées a produit des
recommandations de nature à clarifier les objectifs, le champ d’application
et le contenu des bilans prévus au titre de l’article 14 de la LOTI. Parmi les
éléments demandés, figure explicitement un calcul de la rentabilité financière
de l’opération pour la société concessionnaire. Dans le cadre de sa politique
de
relance
de
la
production
des
bilans
socio-économiques
et
environnementaux initiée par lettre du 23 février 2005 adressée à l’ensemble
des concessionnaires, l’Etat a demandé à ce qu’il soit tenu compte de ces
recommandations. Il n'existe en revanche pas de texte de portée nationale
définissant un éventuel contrôle de la rentabilité financière des sociétés.
L'analyse faite par les services de la direction générale des routes a donc
surtout valeur d'étalonnage de ses propres modèles financiers en vue de leur
application aux nouvelles concessions.
II.2 Une remise en ordre progressive par grandes sections
homogènes est néanmoins possible.
Le lien entre tarification et coûts de l’infrastructure n’est cependant ni
systématique, ni homogène entre les sociétés. C’est ainsi que les contrats
d’entreprises les plus récents (ASF-Escota 2007-2011) et à venir (Sanef-
SAPN et APRR-AREA pour lesquels des négociations sont en cours)
s’inscriront dans une homogénéisation des pratiques et une meilleure
traduction des coûts dans les tarifs kilométriques moyens des sections de
référence. Cette évolution aura pour objet de faire du prix un signal du
niveau du coût, sans bien sûr chercher à faire supporter celui-ci pour chaque
section autoroutière, par les péages enregistrés, ce qui serait impossible dans
le contexte général d’adossement tel que décrit plus haut. Pour ASF, cet
effort se traduit dans le récent contrat d’entreprise par un objectif, modeste,
de convergence des tarifs kilométriques moyens des sections de référence,
afin de lisser les différences historiques les moins justifiables.
262
COUR DES COMPTES
Le ministère de l’écologie, du développement et de l’aménagement
durables partage en outre avec la Cour l’objectif de limiter les distorsions
des tarifs kilométriques entre les trajets. Il est néanmoins nécessaire de ne
pas bouleverser ces tarifs, ce qui se traduirait pas des augmentations très
fortes localement sans bénéfice pour les usagers et inutiles dès lors que,
comme il est rappelé au III ci-dessous, le foisonnement est supprimé. Par
ailleurs, les chiffres cités par la Cour sur les dispersions sont inexacts. Les
tarifs par kilomètre des trajets s’inscrivent certes dans une large fourchette
mais dans des proportions qui n’ont rien à voir avec celles indiquées dans le
projet d’insertion. En particulier, les exemples cités dans la section II-B-2
concernant les tarifs calculés sur certaines sections des autoroutes A7, A43
et A16 sont factuellement exacts mais ne prennent pas en compte les écarts
de tarif kilométrique sur les trajets considérés qui sont d’ampleur plus
limitée, certaines modulations sur des trajets longs pouvant de surcroît être
les conséquences de contraintes locales particulières.
II-3 Le
concept
de
tarification
aux
coûts
des
facteurs,
historiquement particulièrement fécond, mais qui montre aujourd’hui ses
limites,
doit progressivement être dépassé, au profit de la prise en compte
des coûts complets des transports et de la valeur du service pour l’usager.
Dans son intéressante étude du 24 octobre 2002 sur les redevances, le
Conseil d’Etat, prenant acte de la souplesse de sa jurisprudence, écrivait
déjà : « Que la redevance soit destinée à couvrir les charges ou les frais
exposés par le service dont le financement est assuré est une chose ; qu’il
faille toujours en déduire un strict plafonnement du prix en fonction du coût
en est une autre, qui ne va pas de soi ».
Affirmant cela, le Conseil d’Etat évoquait une éventuelle évolution de
la jurisprudence qui permettrait notamment de déterminer la valeur du
service rendu à l’usager autrement qu’en considération du seul coût. Depuis,
la Haute juridiction a eu l’occasion d’infléchir les principes historiques
applicables aux redevances pour service rendu en reconnaissant que la
tarification d’un service n’est pas nécessairement strictement corrélée à ses
coûts mais peut tenir compte de la valeur du service pour l’usager
86
.
Cette évolution jurisprudentielle est accompagnée par certaines
dispositions
du
droit
communautaire,
notamment
la
directive
dite
Eurovignette modifiée, qui prévoit depuis 2006 quelques entorses au principe
de la tarification au coût des facteurs en introduisant la possibilité de sur-
péages localisés
87
et de droits régulateurs
88
, ces éléments de tarification
s’ajoutant à une tarification de base représentative des coûts. Cette directive
fait par ailleurs clairement apparaître le texte actuel comme une première
86) CE 16 juillet 2007, « Syndicat national de défense de l’exercice de la médecine
libérale à l’hôpital »
87) Article 7 de la directive 2006/38 CE
88) Article 9 de la directive 2006/38 CE
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
263
étape vers une prise en compte plus directe et plus complète des externalités,
notamment environnementales, dans les principes de la tarification
89
.
Dans ce contexte, la remise en ordre décrite plus haut pourrait
s’inscrire dans une évolution à moyen terme du cadre législatif et
réglementaire, notamment de l’article L 122-4 du Code de la voirie routière.
Là encore, la traduction concrète de ces évolutions sur les péages sera un
processus long, non seulement parce que leurs conséquences sur les usagers
seraient très sensibles si elles venaient à s’appliquer sans discernement, mais
aussi parce qu’elles devront respecter l’équilibre financier préalable des
concessions historiques. Néanmoins, ce mouvement semble inéluctable.
III - L’appréciation selon laquelle l’évolution des concessions se fait
à sens unique, est contestable. Depuis la fin de l’adossement, les
négociations sont au contraire de plus en plus strictes et les contrôles
tarifaires se sont considérablement durcis.
III.1 L’évolution récente montre que les négociations tarifaires sont
de plus en plus précises et strictes et que les investissements nouveaux ont
été compensés au plus juste.
Les hausses tarifaires accordées aux sociétés concessionnaires sont
établies pour compenser les investissements nouveaux qu’elles doivent
réaliser. Elles font l’objet d’âpres discussions visant à définir les
compensations au plus juste.
Pour ce faire, la direction générale des routes procède d’une part à
une évaluation du montant des investissements, d’autre part à une analyse
financière visant à déterminer le niveau des hausses tarifaires destinées à les
compenser. Cette dernière analyse financière nécessite une modélisation
précise du plan d’affaires de la société. Elle est fondée sur la méthodologie
des flux actualisés utilisée classiquement par les entreprises. Je tiens à
assurer la Cour de la rigueur et du sérieux apportés à la vérification des
projections financières concernant les investissements compensés aux
concessionnaires par des compléments de hausses tarifaires, ainsi que de la
juste prise en compte de ces coûts par la direction générale des routes,
l’absence de publicité de ces travaux ne traduisant pas la moindre carence
en ce domaine.
S’agissant de l’établissement des lois tarifaires, le décret du
24 janvier 1995 relatif aux péages autoroutiers dispose qu’en l’absence de
contrat de plan, la société doit bénéficier d’une hausse tarifaire minimale de
70 % de l’inflation permettant de couvrir les charges normales et récurrentes
de la concession. Aussi, toute hausse supérieure ne constitue en rien une
« prime » à la signature d’un contrat de plan et doit avoir une contrepartie
sous forme d’investissements nouveaux.
89)) Considérants 18 et 19 notamment de la directive 2006/38 CE
264
COUR DES COMPTES
C’est bien ce principe qui a été retenu et mis en oeuvre lors des
dernières négociations avec les sociétés, en particulier lors de l’élaboration
du contrat de plan 2007 – 2013 conclu entre l’Etat et ASF. Pour la même
raison, la hausse des coefficients poids lourds a eu pour contrepartie des
investissements nouveaux à réaliser. C’est sur ces mêmes bases que seront
conduites les négociations à venir précédemment évoquées.
Il ne fait pas de doute qu’une modification de cette évolution
minimale, fondant le calcul de l’équilibre des concessions revu en 2001 lors
de la réforme du secteur autoroutier, ouvrirait droit à une compensation au
bénéfice des concessionnaires.
III.2 Les contrôles approfondis ont révélé le foisonnement et il y a
été mis fin.
Comme le rappelle la Cour, il a été entrepris de mettre fin à la
pratique du foisonnement.
Afin de mettre un terme à l'optimisation des tarifs de péage,
optimisation qualifiée d'effet de foisonnement ou effet de structure, dénoncé
depuis 2006 par le commissaire du gouvernement ou son adjoint lors des
conseils d'administration ou par la Cour dans son contrôle de la
privatisation, la direction générale des routes a renforcé ses méthodes de
contrôle au cours de l'été 2007. Après avoir demandé aux sociétés
concessionnaires d'autoroutes les données détaillées relatives aux trafics sur
chacun des trajets internes à leur réseau, elle a reconstitué les recettes
tarifaires réelles en multipliant le tarif de chaque trajet possible sur le réseau
par le nombre d'usagers ayant parcouru au cours de l'année le trajet. Ceci a
permis de comparer l'évolution du chiffre d'affaires brut théorique au taux de
hausse tarifaire accordé contractuellement et de mettre en exergue le fait que
les recettes kilométriques toutes classes confondues, à structure du trafic
constante, étaient supérieures à la hausse tarifaire contractuellement
accordée.
Ces contrôles approfondis ont, pour les sociétés APRR, AREA et
SANEF dont la hausse est intervenue au 1
er
octobre ou au 1
er
décembre 2007,
conduit à la suppression du foisonnement. Les recettes supplémentaires dues
aux modulations tarifaires pratiquées lors de la hausse intervenue en 2006
ont en outre été neutralisées par la combinaison d'une baisse de la hausse
tarifaire contractuellement accordée pour 2007 de 0,84 % pour APRR,
0,22 % pour AREA et 0,40 % pour SANEF et d'un report pour les prochaines
hausses d'une baisse respectivement de 0,51 %, 0,72 % et 0,72 % toutes
classes confondues.
Il va bien évidemment de soi que cette démarche sera poursuivie à
l’occasion de la détermination des prochaines hausses tarifaires.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
265
III.3 La seule question aujourd’hui non réglée qui confine à
l’enrichissement sans cause est celle de la suppression des réductions poids
lourds.
La diminution des réductions des péages consenties par les sociétés
concessionnaires aux poids lourds titulaires d’abonnements, en prévision de
la transposition prochaine des dispositions de la directive Eurovignette
plafonnant à 13% le taux maximum de rabais accordés aux usagers
fréquents, a pour conséquence une croissance soutenue des recettes, au-delà
de l’évolution du tarif kilométrique moyen. Comme le constate la Cour, cet
effet d’aubaine ne s’inscrit pas, contrairement au foisonnement, dans une
démarche délibérée des sociétés concessionnaires de procéder à une
maximisation indue de leurs recettes.
La captation par les sociétés du bénéfice de cet effet n’est pas pour
autant légitime. Des discussions sont en cours avec les sociétés
concessionnaires sur la façon dont ces recettes supplémentaires pourraient
être redistribuées, totalement ou en partie, aux usagers. Plusieurs possibilités
sont ouvertes parmi lesquelles figurent l'amélioration de la qualité de service
et des investissements nouveaux. Même s’il est difficile aujourd’hui de se
prononcer sur l’issue de ces négociations, l’Etat restera vigilant sur
l’aboutissement d’une solution juste pour les usagers.
III.4
La
publicité
des
tarifs,
de
la
responsabilité
des
concessionnaires, montre des pratiques hétérogènes mais assurant un
niveau d’information très correct.
Les cahiers des charges de concession disposent que les grilles
tarifaires des sociétés, annexées aux contrats de concession, sont
consultables auprès de la société, de la direction générale des routes et de la
direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes, en substitution à la publication de ces tarifs par l’Etat. Ils
imposent également à la société concessionnaire de les porter à la
connaissance du public.
Par ailleurs, les contrats d’entreprise 2004 – 2008 conclus avec
APRR, AREA, SANEF et SAPN imposent à ces sociétés de délivrer une
information sur les tarifs dix jours francs avant la hausse annuelle. Cette
obligation est reprise à l’article 25 du cahier des charges des concessions
ASF et ESCOTA.
L’intégralité des tarifs de péage a de plus été publiée au Journal
officiel par arrêté du 24 décembre 2001 fixant les tarifs de péage en euros.
Cette publication avait été jugée nécessaire car ces tarifs avaient été
considérés comme une nouvelle grille tarifaire n’émanant pas des sociétés.
266
COUR DES COMPTES
Par lettre du 9 juillet 2007, la direction générale des routes a
demandé aux sociétés d’indiquer précisément les conditions dans lesquelles
elles portaient à la connaissance des usagers, en application des articles
25.8 et 26 du cahier des charges, les tarifs de péage en vigueur en joignant
notamment des exemples de documents commerciaux (affiches, plaquettes
d’informations, …), ainsi qu’en explicitant les moyens mis en oeuvre sur le
site internet de la société.
Les réponses reçues traduisent effectivement des pratiques différentes,
qui permettent néanmoins toutes d’obtenir le tarif d’un trajet spécifique. Les
prochaines négociations des contrats de plan avec les sociétés des groupes
APRR et SANEF seront l’occasion de mieux définir les objectifs
d’information des usagers.
La proposition de la Cour d’afficher avant l’accès aux autoroutes les
tarifs de péage de certains trajets mérite d’être analysée au regard de sa
faisabilité technique, notamment de ses conséquences en terme de sécurité
routière.
Il en est de même de la publication des tarifs par kilomètre, qui
pourrait constituer une information utile au consommateur. Il conviendrait
cependant de s’en assurer auprès des usagers, car le prix total du trajet
qu’ils souhaitent effectuer est peut-être une information plus pertinente. Sur
ces questions qui relèvent de l’attente du consommateur à l’égard du service
rendu par l’autoroute, des études qualitatives seront menées par la direction
générale des routes, pour aller au-delà des enquêtes annuelles de satisfaction
menées par les concessionnaires en application de l’article 19 du cahier des
charges de la concession sur la base d’un questionnaire unique établi par
l’Etat.
IV - Conclusions
Comme indiqué précédemment, plusieurs des critiques de la Cour
paraissent devoir être nuancées, et plus particulièrement celles portant sur la
faiblesse des contrôles de l'administration ou l’absence de justification
économique des tarifs et des niveaux de hausses tarifaires accordées.
Au-delà du fait que la baisse des tarifs envisagée par la Cour sur les
sections les plus anciennes n’est pas praticable (pour les raisons explicitées
plus haut), les recommandations avancées par la Cour appellent de ma part
les observations suivantes :
- la Haute juridiction suggère la création d’un organisme consultatif
comprenant des représentants des usagers. Je suis favorable à une telle
mesure qui contribuera à une meilleure transparence des procédures
complexes s'appliquant d'une manière générale aux concessions et plus
spécifiquement
à
la
détermination
des
tarifs.
La
définition
d’une
représentation adéquate du public sera néanmoins un exercice délicat
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
267
compte tenu de l’absence d’organisme représentatif des usagers des
autoroutes concédées ;
- je suis également favorable à la suggestion de la Cour de faire
établir par la direction générale des routes un rapport annuel sur ses travaux
en terme de contrôle tarifaire ou plus globalement sur les résultats des
concessions. S’agissant d’une communication officielle, ce rapport devrait
d’une part s’inscrire dans le cadre de la politique globale d’information du
gouvernement, d’autre part veiller à ne diffuser que des informations
incontestables et qui ne soient pas couvertes par le secret des affaires ;
- même si jusqu’à ce jour, il n’a pas été nécessaire d’aller jusqu’au
bout des démarches entreprises pour obtenir les éléments d'information
nécessaires au suivi de la concession, mes services n’hésiteraient pas à
sanctionner financièrement les sociétés ne les fournissant pas. La Cour peut
être assurée de la mise en oeuvre effective des sanctions prévues par les
contrats chaque fois que nécessaire ;
- sur la question des hausses tarifaires, je souligne que la suppression
du décret du 24 janvier 1995 instituant une hausse minimale des tarifs de
70 % de l'inflation n'est pas envisageable. Le principe de cette hausse
minimale est d'ailleurs repris à l'article 25 des contrats de concession. Si la
Cour peut légitimement s'interroger sur la justification technique du niveau
retenu, force est de constater que ce niveau est un élément essentiel de
l'équilibre de la concession tel qu'il a été défini par les avenants successifs.
Or cet équilibre, par hypothèse, prend déjà en compte la perspective de
maturité du réseau, qui aura pour effet de rapprocher la loi tarifaire de ce
niveau plancher. L'absence de justification d'une suppression unilatérale de
ce
décret
aurait
pour
conséquence
certaine
la
condamnation
de
l'administration à rétablir l'équilibre antérieur ;
- la clarification des dispositions contractuelles relatives à la fixation
des péages me semble enfin indispensable, dans le sens d’une plus grande
lisibilité et d’une traduction plus directe des principes régissant les
évolutions annuelles.
268
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DE LA MINISTRE DE L’ÉCONOMIE, DES FINANCES
ET DE L’EMPLOI
Les observations formulées dans l’insertion sur « Les péages
autoroutiers », que conduisent la Cour à recommander une réforme des
conditions de régulation tarifaire des sociétés concessionnaires d’autoroutes,
appellent de ma part les éléments de réponse suivants :
1. Le système de fixation des tarifs
La mise en oeuvre de l’évolution des péages a parfois pu être utilisée,
comme vous le soulignez, par des sociétés concessionnaires pour optimiser
leurs recettes, en ciblant les hausses les plus fortes sur les portions du réseau
les plus fréquentées. Il convient effectivement d’encadrer strictement cette
mise en oeuvre pour éviter de telles dérives.
C’est ce à quoi se sont attachés les services de l’Etat : ainsi, les
premières propositions de hausse tarifaire qui ont été présentées cette année
par différentes sociétés concessionnaires n’ont pas été entérinées au motif
que les modulations envisagées n’étaient pas conformes aux principes
encadrant les évolutions tarifaires.
Sur ce point, il m’apparaît naturellement que l’exploitation des
concessions doit respecter strictement les termes du contrat qui régit la
concession. Une bonne application de ce cadre de régulation permet une
évolution maîtrisée des péages et évite
tout prélèvement non justifié sur le
pouvoir d’achat des ménages.
2. Les défauts de publicité des péages
L’information essentielle dont les usagers doivent pouvoir disposer
pour choisir entre différents trajets possibles (entre autoroutes et routes
nationales, choix de la sortie sur l’autoroute, etc.) est celle relative aux tarifs
des péages qui leur seront appliqués sur la liaison empruntée. Ces tarifs
doivent être facilement accessibles, par brochure et sur les sites internet des
différentes sociétés.
En revanche, la publication par les sociétés concessionnaires
d’autoroutes des prix au kilomètre serait moins directement utilisable par les
usagers pour décider de leur itinéraire.
3. La baisse des réductions pour les poids lourds
Il m’apparaît que la limitation des réductions tarifaires accordées aux
poids lourds dans le cadre des abonnements, qui a pour conséquence un
accroissement
des
recettes
d’exploitation
perçues
par
les
sociétés
concessionnaires, pourrait justifier une compensation, tarifaire ou d’une
autre nature, notamment s’il est clairement démontré que ces réductions, au
moment où elles ont été mises en oeuvre, ont été compensées par des hausses
complémentaires de péages.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
269
4. Une procédure de consultation des usagers
La mise en oeuvre d’une procédure de consultation des usagers, qui
interviendrait avant que les administrations compétentes ne prennent leurs
décisions relatives aux péages, pose la question de l’instance adéquate
auprès de laquelle une telle consultation pourrait être menée, de ses
capacités d’expertise et des délais dans lesquelles celle-ci pourrait se
prononcer. Cette instance pourrait être le Conseil national de la
consommation, qui réunit des représentants des professionnels et des
consommateurs, sous réserve d’en adapter le mode de fonctionnement pour
ce type de mission.
***
Les contrats de concession, qui portent sur la construction, l’entretien
et l’exploitation d’autoroutes, sont conclus aux risques et périls de
l’exploitant en prenant en compte l’équilibre financier de la concession tel
qu’il a pu être établi à son origine. Il est bien entendu exclu que
l’exploitation des concessions autoroutières puisse conduire à une forme
d’enrichissement sans cause des concessionnaires. Toutes les modifications
ultérieures de ces contrats de concession, consécutives notamment à des
investissements, témoignent de la même préoccupation du respect de
l’équilibre originel de la concession, au coeur des engagements contractuels
entre l’Etat concédant et le concessionnaire. Les évolutions ambitieuses que
vous suggérez doivent en tenir compte.
Dans ce contexte, je n’exclus pas que l’Etat concédant engage des
négociations avec les concessionnaires pour améliorer le cadre tarifaire
existant, mais naturellement dans le respect du cadre contractuel qui régit les
concessions autoroutières. Il en va de la crédibilité de l’Etat comme
concédant et comme régulateur tant vis-à-vis des concessionnaires et des
investisseurs que vis-à-vis des utilisateurs.
L’Etat est et restera en tout état de cause très attentif à la bonne
exécution des contrats de concession : les procédures de suivi et de contrôle
de l'exécution de la concession et les obligations du concessionnaire en
matière de qualité de service ont été renforcées à l’occasion de la
privatisation d’ASF, d’APRR et de Sanef, et les mesures tarifaires adoptées
récemment pour les sociétés APRR, AREA, SANEF et SAPN montrent la
détermination des pouvoirs publics à encadrer au plus près les modulations
de tarifs, conformément au cadre de régulation.
270
COUR DES COMPTES
RÉPONSE COMMUNE
DU PRÉSIDENT DU GROUPE AUTOROUTES PARIS-RHIN-RHÔNE
(APRR)
ET DU PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES
RHÔNE-ALPES (AREA)
L’insertion au rapport public transmis par la Cour des Comptes
relatif aux péages autoroutiers appelle, de la part des sociétés APRR et
AREA, trois séries d’observations :
−
la remise en cause de la tarification des autoroutes n’est ni fondée
en droit ni justifiée économiquement ;
−
la
politique
tarifaire
des
sociétés
concessionnaires
est
respectueuse des cahiers des charges imposés par l'Etat ;
−
si des réformes de la tarification autoroutière peuvent être
envisagées, elles doivent respecter le cadre concessif et l’équilibre
financier des contrats.
1. la remise en cause de la tarification des autoroutes n’est ni fondée en
droit ni justifiée économiquement
Dans le projet d’insertion au rapport public, le Rapporteur formule
d’importantes critiques à l’encontre du système de tarification de l’usage des
autoroutes résultant du décret n° 95-81 du 24 janvier 1995. Ces critiques ne
sont justifiées, ni en droit, ni économiquement. Au surplus, elles comportent
encore certaines erreurs factuelles.
1.1. Les critiques formulées méconnaissent la notion de redevance pour
service rendu et remettent en cause l'économie générale des contrats de
concession en vigueur
Ces critiques des règles de fixation des péages autoroutiers instituées
par le décret du 24 janvier 1995 s'appuient sur l'idée qu'existerait une
insuffisante corrélation entre le tarif et l'amortissement de l'autoroute
concernée. En réalité, cette appréciation méconnaît à la fois les règles de
fixation des péages et
celles de la concession de service public.
La méconnaissance des règles de fixation des péages porte à la fois
sur les dispositions législatives qui les encadrent et sur la notion de
redevance pour service rendu.
Il résulte des dispositions législatives relatives aux péages - l'article
L.122-4 du Code de la voirie routière - que les niveaux de péage s’apprécient
à l’échelle d’une concession et non section d’autoroute par section
d’autoroute. C’est, d'ailleurs, la raison pour laquelle le décret du 24 janvier
1995 encadre des tarifs kilométriques moyens, pondérés par les trafics
constatés, ce qui permet la mise en place d'une péréquation tarifaire entre les
sections d'autoroutes.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
271
La Cour fonde également son raisonnement sur une interprétation de
la notion de redevance pour service rendu – en se référant au plafonnement
des redevances par le coût du service – qui n'est pas conforme à la
jurisprudence administrative. Par une importante décision du 16 juillet
2007
90
, en effet, le Conseil d'Etat a supprimé cette exigence de plafonnement
par les coûts, ce qui autorise une plus grande souplesse dans la fixation des
tarifs.
Exiger une corrélation totale entre l'amortissement de la section
d'autoroute concernée et le tarif pratiqué n'est donc pas justifié en droit.
Les observations formulées par le Rapporteur méconnaissent, par
ailleurs, l'économie générale des concessions autoroutières existantes.
Les concessions autoroutières sont constituées de réseaux plus ou
moins anciens au sein desquels s’exerce une péréquation tarifaire : les
recettes des autoroutes les plus anciennes servent à financer les réseaux les
plus récents, tout en mutualisant les coûts entre les différentes sections. Cette
technique de financement – dénommée "adossement" – a permis le
développement d’un réseau autoroutier dense, de qualité et à haut niveau de
service.
Si le recours à cette technique de financement est désormais très
encadré par l’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999, deux limites sont
fixées à l'interdiction : d'une part, l'adossement n'est pas prohibé pour des
extensions limitées des réseaux ; et, d'autre part, surtout, les situations
antérieures n’ont pas été remises en cause.
Il n’y a pas lieu, par conséquent, de réduire les tarifs des péages des
sections les plus anciennes car ces sections contribuent au financement de
sections d’autoroutes à trafic modéré qui n’auraient jamais pu être réalisées
sans leur intégration aux concessions existantes, si ce n’est au prix de
subventions publiques très importantes.
Exiger une corrélation totale entre le coût d’une autoroute et le tarif
qui y est pratiqué reviendrait à remettre en cause cette appréciation globale
de l’équilibre financier d’une concession qui constitue l’un des piliers du
système autoroutier français.
En outre, la délégation de service public ne peut être confondue avec
la régie. La délégation, comme sa dénomination l'implique, entraîne la
dévolution au partenaire de la collectivité publique d'un certain nombre de
responsabilités : la notion même de délégation de service public implique
ainsi de laisser à la société concessionnaire une certaine autonomie dans la
définition de sa politique tarifaire, dans les limites autorisées par le cahier
des charges et dans l'encadrement contractuellement convenu du contrat de
90) CE, Assemblée, 16 juillet 2007, SYNDICAT NATIONAL DE DEFENSE DE
L'EXERCICE LIBERAL DE LA MEDECINE A L'HOPITAL, req. n° 293229.
272
COUR DES COMPTES
plan ou d'entreprise. L'autonomie ainsi laissée à la société concessionnaire
comporte le risque, notamment commercial. Les modalités de fixation de la
rémunération du concessionnaire constituent le corollaire nécessaire du
risque porté par ce dernier.
Enfin, les critiques fondées sur les formules d’indexation des tarifs
inscrites dans les cahiers des charges ne sont pas davantage justifiées. Les
règles d’évolution des tarifs sont fixées ex ante et constituent une composante
essentielle de l’équilibre financier des concessions. Ces formules prennent en
compte les investissements nouveaux réalisés par les concessionnaires sur les
réseaux en service ainsi que ceux à venir, mais également les gains de
productivité des concessionnaires, de sorte que les "augmentations" se
traduisent, en réalité et sur le long terme, par des
baisses de tarifs en valeur
réelle
.
1.2 Les solutions suggérées aggraveraient les inégalités entre les usagers et
entre les territoires
Outre le fait qu’elle méconnaîtrait profondément la logique des
concessions autoroutières, l’exigence d’une forte corrélation entre coût de
chaque section d’autoroutes et tarif produirait des effets pour le moins
paradoxaux sur le plan économique et injustes du point de vue de
l'aménagement du territoire.
Cette exigence conduirait, en effet, à réduire, voire à supprimer la
péréquation tarifaire entre les sections d'autoroutes d'une même concession :
si les sociétés étaient contraintes de réduire les tarifs des autoroutes les plus
anciennes, elles devraient alors majorer les tarifs des sections les plus
récentes. Compte tenu de la structure des réseaux, il s'agit le plus souvent de
sections d'aménagement du territoire à trafic modéré. Pour compenser la
perte de recettes résultant des baisses de tarifs des sections anciennes, les
augmentations de tarif seraient très fortes.
L'augmentation des tarifs des autoroutes nouvelles risquerait au
surplus – du fait des effets d'élasticité – de conduire à des reports de trafic
sur le réseau non concédé, ce qui contredirait totalement les objectifs
d'aménagement du territoire et de désengorgement du réseau non concédé
qui ont motivé la réalisation de ces mêmes autoroutes.
Inversement, la réduction des tarifs sur les sections les plus anciennes
– qui sont souvent les plus fréquentées – risque d'accroître la saturation de
ces axes et leurs effets induits sur l'environnement (pollution, bruit, etc)
auquel tant les pouvoirs publics que nos concitoyens accordent une
importance toujours plus significative.
On sortirait ici du simple paradoxe pour entrer à vrai dire dans le
domaine de la contradiction pure et simple.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
273
2. La politique tarifaire des sociétés concessionnaires est respectueuse des
cahiers des charges imposes par l'Etat
Si la Cour formule également un certain nombre de critiques sur des
distorsions dans les grilles tarifaires ou des incohérences dans les politiques
tarifaires des sociétés concessionnaires, aucune de ces critiques ne résiste à
un examen détaillé.
2.1 Les sociétés appliquent les règles déterminées par l'Etat
Les sociétés APRR et AREA souhaitent rappeler que la tarification
mise en oeuvre résulte de l'application des clauses des cahiers des charges
très largement imposés par l'Etat. Ces règles ont d'ailleurs été mises à jour
récemment par le concédant, par des avenants aux cahiers des charges des
concessions approuvés par le décret du 5 novembre 2004.
Deux avenants sont entrés en vigueur depuis cette date, relatifs
respectivement à APRR et à AREA – et d'ailleurs dans le contexte de la
privatisation – sans que l'Etat ait jugé nécessaire d'apporter la moindre
modification aux clauses relatives aux tarifs de péage.
Depuis 1995, les services de la DGR et de la DGCCRF ont toujours
homologué chaque année les tarifs proposés par les sociétés. Ce n'est que
pour les grilles tarifaires applicables pour l'année 2008 que certaines
divergences d'interprétation sont apparues entre l'Etat et les sociétés.
2.2 Les écarts tarifaires critiqués par la Cour sont conformes aux règles
régissant les péages
Il convient de préciser, en tout état de cause, que ni les dispositions
législatives ou réglementaires relatives aux péages, ni les clauses des cahiers
des charges n'imposent de pratiquer des tarifications kilométriques
uniformes selon les sections d'autoroutes.
L'existence d'écarts tarifaires est parfaitement admise par la
jurisprudence administrative puisque – comme le sait la Cour – le principe
d'égalité comporte trois catégories de dérogations :
- celles prévues par la loi
: l'appréciation des tarifs s'effectuant
concession par concession, les autoroutes situées sur deux concessions vont
nécessairement comporter des tarifs différents ;
- celles justifiées par des différences de situations appréciables entre
usagers
: il est admis que les situations de congestion fassent l'objet de
tarifications spécifiques, ce qui permet la mise en oeuvre de tarifs
kilométriques plus élevés sur les sections les plus fréquentées ;
- celles justifiées par des motifs d'intérêt général
, au nombre
desquels figurent à la fois les nécessités de l'exploitation des autoroutes et de
l'équilibre financier des concessions.
274
COUR DES COMPTES
De plus, force est de rappeler à nouveau à ce stade que la Délégation
de Service Public (DSP) n'est pas une régie et que c'est la logique même de
la DSP que de laisser au concessionnaire une certaine marge de manoeuvre
dans la définition de sa politique commerciale et tarifaire, dans les limites
fixées par le cahier des charges et le contrat de plan ou d'entreprise.
C'est
la raison pour laquelle l'encadrement des tarifs s'effectue sur la base de
tarifs moyens pondérés calculés sur des sections de référence, de manière à
ajuster les tarifs kilométriques selon les caractéristiques principales des
différentes sections.
Certaines contraintes d'exploitation justifient également des écarts
tarifaires. Ainsi en est-il des systèmes de péage "ouvert", qui conduisent à
percevoir un péage forfaitaire indépendant de la distance parcourue, péage
dont la légalité a été admise par le Conseil d'Etat. Il en va de même des
écarts nés de l'existence de sections gratuites pour le trafic local qui ont été
prévues par les cahiers des charges.
Cela rappelé, les sociétés sont conscientes du fait que certains écarts
tarifaires, bien que justifiés en droit, suscitent des interrogations, voire des
critiques, d'usagers. Au fur et à mesure des augmentations tarifaires, elles
s'emploient donc à réduire progressivement certaines disparités.
C'est dans cette logique que les sociétés APRR et AREA ont accepté
une modération des hausses tarifaires intervenues au 1
er
octobre 2007 et non,
comme semble l'inférer la Cour, en raison des divergences d'interprétation
de certaines clauses du cahier des charges qui ont pu opposer récemment les
services compétents de l'Etat et certaines sociétés concessionnaires.
Sur cette question, les sociétés APRR et AREA ont toujours considéré
et continuent, d'ailleurs, de considérer que l'appréciation portée par les
services compétents de l'Etat sur les grilles tarifaires n'est pas fondée en
droit, qu'elle méconnaît les cahiers des charges de concession et qu'elle
altère les perspectives sur la base desquelles les sociétés ont fait l'objet d'un
transfert au secteur privé.
3. Si des réformes de la tarification autoroutière peuvent être envisagées,
elles doivent respecter le cadre concessif et l’équilibre financier des
contrats
3.1 Certaines réformes peuvent être envisagées
Les sociétés ne sont pas hostiles, par principe, à toute réforme de la
tarification des autoroutes.
Certaines réformes sont d'ailleurs inéluctables pour transposer les
règles issues du droit communautaire ou pour intégrer des préoccupations
nouvelles, exprimées notamment lors du Grenelle de l'Environnement.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
275
D'autres réformes peuvent également être envisagées, à plus long
terme, pour faire du péage un outil plus efficace de régulation du trafic et de
lutte contre la congestion.
Les sociétés sont également conscientes de la nécessité d'accroître
l'information du public sur les tarifs autoroutiers. A cet égard, et avant même
la communication du projet d'insertion au rapport public, les sociétés APRR
et AREA ont déjà pris les mesures suivantes pour l'augmentation de tarifs
intervenue au 1
er
octobre 2007 :
- mise en place d'affichettes dans les gares de péage informant du
changement de tarifs ;
- affichage du tableau des tarifs applicables dans la gare considérée
dans toutes les voies de péage, hors celles réservées au télépéage ;
- publication, sur le site internet des deux sociétés, de l'ensemble des
tarifs consultables par trajet et par classe ou par gare ;
- envoi de la grille tarifaire complète par classe à tous les clients qui en
font la demande ;
- envoi d'un courrier aux abonnés "Poids lourds" les informant de
l'augmentation de tarifs ;
- envoi d'une lettre intitulée "Voie réservée" aux abonnés "liber-t" les
informant de l'augmentation de tarifs ;
- distribution de la plaquette "toutes les réponses sur le péage" aux
clients dans les cabines de péage ;
-
diffusion
d'un
communiqué
de
presse
et
d'un
dossier
de
presse annonçant l'augmentation des tarifs.
3.2 D'autres propositions formulées par la Cour appellent, en revanche, des
réserves sérieuses.
Si l'information des usagers peut être améliorée, la proposition
tendant à la publication des tarifs kilométriques des différentes autoroutes ne
semble guère pertinente car elle n'est pas de nature à aider les usagers dans
leurs choix. Ce n'est pas le prix au kilomètre mais le prix du trajet que
souhaite réaliser l'usager qui constitue, en effet, l'information pertinente et
l'élément déterminant du choix du mode de transport ou de l'itinéraire.
En outre, la publication de tarifs kilométriques risque d'induire des
confusions en permettant des comparaisons faussées car réalisées sur des
bases hétérogènes. Le niveau de tarif étant la résultante de l'équilibre
financier d'un contrat de concession, la comparaison des tarifs de plusieurs
réseaux n'a de sens que si l'on compare également l'ensemble des paramètres
intervenant dans leur détermination, et notamment, la durée de concession,
le volume des investissements restant à réaliser, etc.
276
COUR DES COMPTES
De même, le réexamen des formules d'évolution tarifaire et, d'une
manière générale, des règles de détermination des tarifs des péages ne peut
s'effectuer que dans le respect de l'équilibre financier des concessions
.
D'une manière générale, il y a lieu de souligner le risque consistant à
modifier unilatéralement des éléments aussi essentiels des contrats au cours
de leur exécution, surtout lorsqu'est intervenue peu de temps avant une
novation institutionnelle aussi importante qu'une privatisation.
Lors du processus de privatisation, en effet, la valorisation des
sociétés concessionnaires par les investisseurs a été effectuée sur la base (i)
des obligations existantes des charges en vigueur à cette date et (ii) du projet
d'avenant communiqué par l'Etat et présenté par ce dernier comme la
condition sine qua non et non véritablement négociable de la cession. Et c'est
en se fondant sur les perspectives de recettes autorisées par le cahier des
charges tel qu'il se trouvait ainsi rédigé que les propositions des futurs
actionnaires des sociétés à privatiser ont été élaborées et acceptées par
l'Etat.
La remise en cause unilatérale de ces perspectives, postérieurement
aux opérations de cession, risquerait d'affecter la valorisation de ces sociétés
et serait, en toute hypothèse, difficilement comprise par les investisseurs,
notamment étrangers, dans un contexte d'appel croissant aux fonds privés
pour financer les programmes nouveaux d'infrastructures publiques.
Au surplus, une réduction de l'indexation ou un encadrement plus
strict des tarifs auraient sans doute pour conséquence des pertes de recettes
pour les sociétés concessionnaires. En l'absence de faute de leur part, de
telles mesures unilatérales nécessiteraient la mise en place de compensations
financières
au
bénéfice
des
sociétés
qui
pourraient
conduire,
paradoxalement, à substituer le contribuable à l'usager dans le financement
des autoroutes concédées.
La parfaite rationalité et même la légitimité d'une telle solution
n'apparaît pas dans ces conditions avec évidence.
***
En définitive, et comme peut le constater la Cour, l'attitude des
sociétés concessionnaires n'est en aucune manière fermée à des
perspectives d'aménagement et d'amélioration. Mais les sociétés ne peuvent
accepter des constats inexacts, fondés sur des présupposés injustifiés et qui
débouchent sur des conclusions excessives.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
277
RÉPONSE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES
AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE (ASF)
Comme le montrent les éléments de la réponse de la société ci-après,
l’insertion de la Cour des comptes sur «
Les péages autoroutiers », destiné à
figurer dans son prochain rapport public annuel, contient de nombreuses
affirmations manifestement erronées, de nature à porter un préjudice sérieux
à l’ensemble des acteurs du domaine autoroutier. Après analyse du dispositif
applicable, la société ASF considère que, tant en droit, qu’en fait :
- contrairement à ce que soutient la Cour, le péage reflète bien le coût
des sections anciennes comme des sections nouvelles. Pour toutes les
sections
incluses
dans
les
contrats
de
concession
par
voie
d’adossement, l’amortissement des sections anciennes, comme des
plus récentes, a été reporté à une date commune et unique : celle de la
fin du contrat.
- c’est méconnaître la réalité de la régulation des contrats que de dire
qu’« aucun lien évident ne peut être établi entre les hausses tarifaires
et l’évolution des coûts ». Les contrats font régulièrement l’objet
d’avenants et le péage est ajusté tous les cinq ans dans les contrats de
plan : l’équilibre financier de la concession détermine la loi tarifaire
des cinq années couvertes par le contrat à partir de simulations
financières prenant en compte les investissements nouveaux prescrits
par l’Etat concédant.
- contrairement à ce qu’affirme la Cour, les sociétés concessionnaires
ne vivent pas «
une rente de monopole ». La concurrence existe avec
le rail et la route, et elle s’accroît comme le souhaite d’ailleurs l’Etat
qui, à l’issue du Grenelle de l’Environnement, a réaffirmé sa volonté
de développer les autres modes de transport.
- la Cour commet une erreur d’appréciation lorsqu’elle affirme que le
mécanisme tarifaire est « opaque » et « faussement rigoureux ».
Certes, il est, par essence, complexe, avec des grilles de plusieurs
milliers de tarifs. Cette complexité intrinsèque n’autorise pas, pour
autant, à parler de «
fausse rigueur » alors que les contrats de
concession
prévoient
des
dispositions
très
précises
et
fort
contraignantes. Il y a lieu de rappeler également que tous les tarifs
sont publiés (notamment sur internet), conformément aux dispositions
législatives et contractuelles. Enfin, toutes les informations sont
fournies au concédant, conformément au contrat.
Plus largement, le raisonnement sous-jacent du projet de rapport de
la Cour méconnaît, à plusieurs titres, la nature et l’économie même du
système de la concession, ainsi que sa réalité juridique :
278
COUR DES COMPTES
- Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le cadre de
contrats de concession, lesquels impliquent par nature qu’elles
assurent l’exploitation à leurs risques et périls :
•
contrairement aux titulaires d’un marché public, d’un
contrat de gérance ou d‘une régie intéressée, elles assument
à leurs risques et périls le risque trafic ; de ce fait, seuls les
tarifs, à la différence des recettes, sont déterminés selon des
règles fixées par le contrat de concession ;
•
elles ont emprunté à leurs risques et périls des sommes
considérables sur le long terme afin de financer les
investissements
nécessaires
à
la
construction,
à
l’amélioration et à la rénovation du réseau autoroutier qui
leur a été concédé ;
•
elles
n’affichent
aujourd’hui
des
résultats
financiers
excédentaires qu’après plusieurs décennies beaucoup moins
favorables ; or, l’équilibre des concessions doit s’apprécier
sur la totalité de leur durée.
Or, la Cour ne prend nullement en compte, dans son appréciation, ce
critère du risque et remet en cause, ce faisant, les fondements mêmes des
contrats de concession en général.
- Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le
cadre de dispositions législatives, réglementaires et contractuelles.
Elles ne peuvent donc, sans encourir le risque de voir leur
responsabilité engagée, s’abstenir de les appliquer. Or, la société
ASF a toujours appliqué l’ensemble de ces dispositions.
- Les obligations s’imposant aux sociétés dans le cadre des contrats
de concession existants n’ont pas à être modifiées du fait de
l’évolution de la structure de leur capital. Que des sociétés
concessionnaires soient détenues par des actionnaires publics,
comme ce fut très majoritairement le cas jusqu’en 2006, ou qu’elles
soient détenues par des actionnaires privés, comme tel est le cas
maintenant pour la plupart, est nécessairement sans rapport avec
l’analyse. La Cour établit donc, à tort, un lien, qui n’a pas lieu
d’être, entre le système tarifaire et l’évolution du capital ;
Le rapport omet de rappeler que ce système de la concession
autoroutière a permis de financer, construire, exploiter et maintenir, en
l’améliorant sans cesse depuis plus de 50 ans, l’un des meilleurs réseaux
autoroutiers du monde, et cela quasiment sans apport de fonds publics. Cet
instrument particulièrement efficace a permis la mise en oeuvre de la
politique d’aménagement et de solidarité entre territoires voulue par tous les
gouvernements successifs.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
279
Or, le succès du modèle de la concession repose sur la stabilité des
engagements réciproques contractuels de l’Etat concédant et de ses
concessionnaires.
Remettre maintenant en cause cette exigence reviendrait à fragiliser
la crédibilité économique et la signature financière d’acteurs qui se sont
lourdement endettés pour participer à l’aménagement du territoire français.
Ce serait également faire prendre un risque important pour l’Etat au
moment où il soumet à l’appel d’offres de nouveaux projets nécessitant des
investissements de plusieurs milliards d’euros.
Si des évolutions des lois, des règlements ou des contrats régissant les
concessions apparaissaient souhaitables – notamment à la lumière des
nouveaux enjeux de mobilité résultant du Grenelle de l’environnement – la
société ASF se déclare prête à en discuter des conséquences, dans le respect
de l’équilibre financier de ses concessions. D’ici là, comme elle l’a toujours
montré, la société ASF continuera à être force de proposition auprès de
l’Etat concédant.
***
I.
SUR LA PRETENDUE INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE PAR LE
SYSTEME DE
LA REFERENCE JURIDIQUE TIREE DES COUTS
1.
Trois principaux griefs sont formulés par la Cour pour considérer
que le système actuel ne serait pas de nature à garantir une prise en compte
suffisante de l’ensemble des coûts dans la détermination du montant des
péages : (i) l’Etat n’aurait pas tiré toutes les conséquences juridiques
résultant de l’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999 mettant fin à la
pratique de l’adossement, (ii) la pratique antérieure de l’adossement
permettrait aux sociétés de percevoir, sur les concessions historiques, des
péages sur une «période deux fois plus longue» que sur les plus récentes,
alors que les premières seraient «plus rentables» que les secondes, (iii) le
système mis en place ne reposerait pas sur un fondement juridique clair,
compte tenu de l’existence de distorsions entre les coûts et les péages et
d’une insuffisante prise en compte des surcoûts de construction dans
l’établissement des tarifs.
2. ASF considère qu’aucun des éléments avancés par la Cour n’est
fondé et que les péages sont, contrairement à ce qu’elle soutient, bien
déterminés en fonction de l’ensemble des coûts.
A.
La fin partielle de l’adossement
3.
La Cour considère que le Conseil d’Etat ayant confirmé l’illégalité
de la pratique de l’adossement, les conséquences en résultant devaient être
doubles : «le mécanisme de l’adossement devait être à l’avenir
écarté» et
«les péages des autoroutes les plus anciennes auraient dû évoluer à la baisse
une fois leur amortissement achevé». Elle relève, par ailleurs, que «l’Etat a
280
COUR DES COMPTES
mis fin à l’adossement : dès 1998, le financement des nouvelles autoroutes a
été organisé par concession autonome et sans lien avec les ressources tirées
des concessions anciennes. En revanche, le mode de fixation des péages des
autoroutes anciennes n’a pas été modifié et la baisse des péages n’a pas eu
lieu».
4. Ces affirmations méconnaissent, à plusieurs titres, la portée de
l’avis rendu par le Conseil d’Etat.
5.
Si celui-ci a, en effet, considéré qu’il devait être mis fin à la
pratique de l’adossement, c’est uniquement parce que cette pratique
s’avérait incompatible avec l’adoption des dispositions
nouvelles de la loi
du 29 janvier 1993. Ainsi, devait-il préciser, dans cet avis, que «si, en vue de
la concession de la construction et de l’exploitation d’un tronçon d’autoroute
dont le trafic envisagé ne permet d’assurer la rentabilité, un candidat déjà
titulaire d’une concession était admis à présenter une offre dont l’équilibre
financier serait assuré par la prolongation de la durée de la concession
initiale, alors que les autres candidats ne pourraient que réclamer une
subvention de la part de l’autorité concédante, l’égalité entre les candidats
serait rompue» et que les dispositions de l’article 40 de la loi du 29 janvier
1993 n’autorisent pas, par ailleurs, un allongement de la durée des contrats
de concession pour des motifs tenant au financement de tronçons
autoroutiers déficitaires.
6.
On voit donc bien que, contrairement à ce qu’affirme la Cour, le
Conseil d’Etat n’a jamais, dans son avis, remis en cause, d’une manière ou
d’une autre, le mode de fixation des tarifs existant. Et, en réalité, il ne
pouvait pas le faire.
7.
D’une part
, parce que, pour les raisons expliquées ci-après, les
autoroutes anciennes ayant fait l’objet d’un adossement ne peuvent être
regardées comme amorties.
8
. D’autre part
, parce que le financement des autoroutes nouvelles est
sans rapport avec le mode de fixation des tarifs des autoroutes anciennes.
L’exploitation des autoroutes nouvelles a, en effet, été attribuée dans le cadre
de nouveaux contrats de concession, distincts de ceux régissant les
concessions anciennes. Dès lors que ces autoroutes ne relèvent pas du
périmètre des concessions anciennes, on ne voit pas en quoi l’attribution de
ces nouveaux contrats aurait dû conduire, d’une manière ou d’une autre, à
une baisse des péages sur les autoroutes anciennes. Les conditions de
détermination des tarifs autoroutiers étant fixées contrats par contrats, il
n’est pas possible de prendre prétexte de la conclusion de nouveaux contrats
pour revenir sur celles définies dans le cadre de contrats anciens et déjà
attribués.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
281
B.
La pratique antérieure de l’adossement
S’agissant des concessions historiques, c'est-à-dire celles ayant fait
l’objet d’un adossement, ASF considère qu’il est erroné de raisonner,
comme le fait la Cour, autoroute par autoroute ou, encore moins, section
par section.
10
. L’incorporation, par voie d’adossement de sections autoroutières
nouvelles dans le contrat d’origine, a en effet conduit à un allongement de sa
durée initiale et à un nouveau calcul des amortissements de caducité. Toutes
les sections autoroutières qui ont été incluses dans un même contrat de
concession, par voie d’adossement, étant juridiquement et financièrement
interdépendantes, elles ne constituent aujourd’hui qu’un seul et même
réseau. Il en résulte que l’équilibre financier du contrat doit s’apprécier au
regard de l’intégralité du réseau et qu’aucune autoroute ne peut être
considérée, d’un point de vue comptable, comme amortie ; l’amortissement
des sections anciennes comme des sections nouvelles ayant été reporté à une
date commune et unique, celle de la fin du contrat. De fait, et sauf à porter
directement atteinte à la viabilité économique du contrat de concession, droit
pourtant garanti au concessionnaire, l’économie du système oblige
nécessairement à raisonner quant à la question de la prise en compte des
coûts, de manière globale, au niveau du réseau concédé.
11
. Le seul fait, par conséquent, que les tarifs ne soient pas fixés
autoroute par autoroute ne suffit donc pas à considérer qu’ils ne seraient pas
de nature à refléter l’ensemble des coûts. Bien au contraire, les allongements
décidés par l’autorité concédante avant qu’il ne soit mis fin à l’adossement,
ont toujours été déterminés en vue de respecter l’équilibre financier global
de la concession. Or, l’équation financière de tout contrat de concession
devant elle-même être déterminée de manière à assurer au concessionnaire
« la couverture de ses dépenses, une rémunération raisonnable des capitaux
investis et un bénéfice normal»
91
, les tarifs ne peuvent pas être fixés
autrement qu’en tenant compte de l’ensemble des coûts.
12. Toute autre interprétation serait d’ailleurs directement contraire
au cadre juridique applicable.
13
. D’une part
, parce que le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
relatif aux péages autoroutiers, pris en application de l’article L. 122-4 du
Code de la voirie routière précise que le cahier des charges d’une concession
autoroutière «définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment
les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen servant de base aux
tarifs de péages et qui tient compte de
la structure du réseau
, des charges
d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les
possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen». Dès lors que les
91) Voir Gaston Jèze in RDP 1935, p. 735 cité in Lamy droit public des affaires,
2006, N° 3515.
282
COUR DES COMPTES
dispositions réglementaires applicables prévoient expressément le principe
de la détermination des tarifs au regard de la structure du réseau, il ne peut
être fait grief aux sociétés concessionnaires de s’y conformer en prenant en
compte l’ensemble de leur réseau, et notamment sa structure globale, pour
fixer le niveau des péages.
14.
D’autre part
, parce que, comme il a été précédemment démontré,
le Conseil d’Etat n’a, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, jamais
remis en cause l’adossement au motif qu’il ne serait pas de nature à garantir
une fixation adéquate des tarifs. Il en résulte donc bien que, pour les
concessions historiques ayant fait l’objet d’un adossement, le régime
consistant à définir l’équilibre financier du contrat au regard de l’ensemble
du réseau doit être regardé comme valide. Il en est donc de même de toutes
les conséquences en découlant logiquement et, a fortiori, de la possibilité,
pour le concessionnaire, de déterminer le niveau des tarifs en fonction des
coûts du réseau pris dans sa globalité.
15.
Au surplus, et à supposer que l’on puisse raisonner autoroute par
autoroute, exercice purement théorique compte tenu des liens financiers
indissolubles créés par les adossements successifs et les allongements de la
durée de la concession qui en ont résulté, la baisse des péages sur les
sections les plus anciennes aurait dû inévitablement trouver sa contrepartie
dans des hausses très significatives des tarifs sur les sections les plus
récentes, notamment ceux des moins rentables. Or, dans la mesure où c’est
précisément la pratique de l’adossement et le mode de détermination des
tarifs y afférent qui a permis aux sociétés concessionnaires de ne pas imposer
aux usagers, un niveau de tarif disproportionné sur les sections les plus
récentes ou encore de permettre la construction d’autoroutes qui, sans cela,
n’auraient jamais pu être réalisées, puisqu’elles auraient dû alors être
financées par voie de subventions publiques, ce qui n’a pas été le choix de
l’Etat, on voit difficilement comment cette pratique
aurait pu être
considérée, sur le plan des principes, comme contestable.
En rappelant que
«l’exacte proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour
les usagers», la Cour reconnaît d’ailleurs elle-même
implicitement la nécessité de réaliser une péréquation tarifaire entre les
différentes sections d’un réseau autoroutier concédé.
C.
La prétendue absence de fondement juridique clair
16. Pour considérer que le régime actuel ne reposerait pas sur un
fondement juridique clair, la Cour affirme (i) qu’il existerait des distorsions
entre les coûts et les péages résultant de la détermination du niveau des tarifs
par référence au «taux kilométrique moyen» et de la mise en oeuvre, par les
sociétés concessionnaires, d’une politique d’uniformisation et (ii) que les
surcoûts de construction ne seraient qu’insuffisamment pris en compte dans
la détermination des tarifs.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
283
17. ASF considère qu’aucun de ces arguments n’est fondé.
18
. S’agissant des « distorsions entre péages et coûts », on rappellera,
tout d’abord, que la détermination des tarifs par référence à un taux
kilométrique moyen du réseau et des hausses annuelles à partir de taux
kilométriques moyens par section de référence, qui est considérée comme
critiquable par la Cour, est expressément prévue par le cahier des charges. Il
s’agit donc là d’un principe qui s’impose aux sociétés concessionnaires et
dont elles ne peuvent s’exonérer, sauf à voir leur responsabilité engagée.
19.
En outre, et contrairement à ce que prétend la Cour, ASF
considère que la référence au taux kilométrique moyen n’engendre pas de
distorsion entre les péages et les coûts.
20.
S’agissant des sections nouvelles, le cahier des charges prévoit, en
effet, que «la tarification des sections nouvelles à leur mise en service est
fixée par la société concessionnaire sur la base du taux kilométrique moyen
de son réseau au moment de l’ouverture de ces sections,
éventuellement
corrigé en fonction des coûts de construction et d’exploitation
si ceux-ci
sont sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau»
92
. Et il
précise, par ailleurs, que «dans le cas où le tarif envisagé conduit à un taux
kilométrique moyen de l’autoroute concernée supérieur de plus de 20 p.100
au taux kilométrique moyen des sections contiguës de son réseau, la société
doit recueillir
l’accord
du ministre chargé de l’économie et du ministre
chargé de la voirie nationale avant de fixer les tarifs applicables avant la
mise en service». On voit donc bien que la tarification des sections nouvelles
ne se détermine pas exclusivement par référence au taux kilométrique moyen
du réseau, puisque le cahier des charges impose la prise en compte d’un
facteur correctif tenant aux coûts de construction et d’exploitation, et que la
fixation du taux kilométrique moyen de la section d’autoroute concernée est
elle-même bien contrôlée par l’Etat concédant.
21
. Enfin, indépendamment de ces mécanismes qui, à eux seuls,
garantissent déjà que les péages soient fixés de manière à refléter l’ensemble
des coûts, il convient de rappeler, puisque la Cour omet de le préciser, que
les cahiers des charges et le contrat de plan propre à chacune des sociétés
s’inscrivent, tout entier, dans une logique de prise en compte des coûts.
22
. Ainsi, le cahier des charges fait obligation au concessionnaire de
remettre chaque année à l’autorité concédante une étude financière
prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable de la concession et
intégrant, à ce titre, les charges d’exploitation et d’investissements. Cette
étude doit ainsi notamment comprendre, pour la durée restant à courir, un
92) Article 25.5 du cahier des charges de la société ASF.
284
COUR DES COMPTES
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
93
.
23.
Dans le même sens, le contrat de plan signé avec l’Etat pour cinq
ans, retrace la nature des investissements réalisés par le concessionnaire et
les coûts s’y rattachant
94
.
24.
Sur la période de ces cinq années, la loi tarifaire est déterminée
sur la base de simulations financières prenant notamment en compte les
charges d’exploitation et les investissements prescrits par le concédant
comme l’impose, d’ailleurs, le décret n°95-81 du 24 janvier 1995.
25.
S’agissant du mouvement « d’uniformisation tarifaire » mis en
oeuvre par les sociétés, ASF considère que, compte tenu de ce qui précède et
des mécanismes tenant à la détermination de la loi tarifaire, ce mouvement
ne peut, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, être, par lui-même,
considéré comme critiquable,.
26
. Il peut d’autant moins l’être que, comme le rappelle d’ailleurs la
Cour, cette politique d’uniformisation a été prescrite par l’autorité
concédante, le contrat de plan d’ASF pour 2007-2011 prévoyant même
expressément que «la société s’efforcera de faire converger progressivement
les taux kilométriques moyens de chaque section de référence pour chaque
classe de véhicule vers le taux kilométrique moyen de la classe de véhicule
concernée»
95
. A nouveau, et sauf en réalité à faire grief aux sociétés
concessionnaires de se conformer aux dispositions applicables, on ne voit
pas comment cette politique pourrait, d’une manière ou d’une autre, être
remise en cause.
27
. Au demeurant, cette politique tarifaire souhaitée depuis longtemps
par l’Etat et désormais explicitement inscrite dans les dispositions du contrat
de plan précité, doit s’analyser au regard de la nature juridique spécifique
des péages.
28.
Les péages constituent en effet, au sens de la jurisprudence, des
redevances pour service rendu
96
et doivent, pour cette raison, trouver leur
contrepartie directe dans le service procuré aux usagers. C’est donc au
regard de la valeur du service procuré à l’usager qu’il faut raisonner pour
déterminer le montant des redevances. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence du Conseil d’Etat, puisque celui-ci a expressément considéré
que l’intensité du trafic pouvait être prise en compte dans la détermination
93) Articles 35 du cahier des charges d’ASF relatif au Compte rendu d’exécution de
la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
94) Voir, par exemple, article 3.1.4. du contrat de plan Etat-ASF 2007-2011 relatif à
la réalisation des investissements sur sections nouvelles.
95) Article 5.1.1. du Contrat de plan Etat-ASF 2007-2011.
96) CE, 14 février 1975, Epoux Merlin et Association de défense des habitants des
quartiers de Super-La-Ciotat et de Ceyreste, p. 110.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
285
du montant des péages autoroutiers, en jugeant qu’«il est constant que les
usagers d'une autoroute se trouvent placés dans une situation différente, au
regard des conditions d'exploitation de l'ouvrage, selon la densité de la
circulation prévisible ; qu'ainsi, en prévoyant une variation du prix des
péages en fonction de l'intensité du trafic, afin de favoriser dans l'intérêt
général la plus grande fluidité de celui-ci, l'arrêté attaqué n'a pas institué
une discrimination illégale entre ces usagers»
97
.
Or, la politique
d’homogénéisation tarifaire vise précisément à répondre à cet objectif. En
effet, et à défaut, les usagers se verraient imposer
des charges différentes
selon les sections, qui ne seraient pas toujours justifiées par des situations
elles-mêmes différentes. C’est d’ailleurs à cette
conclusion que la Cour
aurait dû arriver, lorsqu’elle souligne, à juste titre, que «l’exacte
proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour les usagers et de la nécessité de réguler le trafic ».
29.
Enfin, pour ce qui concerne « la faible prise en compte des
surcoûts de construction », la Cour, en affirmant que «les majorations de
tarifs lors de la mise en service des sections d’autoroutes nouvelles plus
onéreuses sont très inférieures à leur surcoût de construction» se livre à un
raisonnement intrinsèquement contradictoire. En effet, elle ne peut pas à la
fois faire grief aux sociétés concessionnaires de ne pas suffisamment tenir
compte des surcoûts de construction dans la détermination des tarifs
appliqués aux sections nouvelles et, en même temps, considérer que la stricte
proportionnalité entre tarifs et coûts n’est ni souhaitable ni exigée.
30. Ainsi, et de quelque manière qu’on l’envisage, il apparaît bien
que les tarifs sont fixés de manière à refléter l’ensemble des coûts et que le
système mis en place n’est ni empreint de disparités, ni, encore moins
d’arbitraire, comme l’affirme la Cour.
II
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT FAUSSEMENT RIGOUREUX
,
INCOHERENT ET OPAQUE DE LA TARIFICATION
31
. Pour considérer que le système tarifaire serait faussement
rigoureux, incohérent et opaque, la Cour affirme, (i) que les tarifs ne seraient
pas déterminés sur la base de valeurs absolues et que le taux kilométrique
moyen ne constituerait pas une référence appropriée, (ii) que l’analyse
des
tarifs pratiqués ne révèlerait aucune logique , compte tenu de l’existence de
divergences de hausses ou de coefficients entre sections de référence et de
distorsions dans les grilles tarifaires, et (iii) que la publicité des tarifs serait
incomplète.
97) Conseil d'Etat, 28 février 1996 Association FO Consommateurs, n° 150520.
286
COUR DES COMPTES
32. ASF considère que ces affirmations sont erronées et que si le
système tarifaire est certes, par essence, complexe, avec des grilles de
plusieurs milliers de tarifs, il n’est pas, pour autant faussement rigoureux,
incohérent ou opaque.
A.
Un système prétendument faussement rigoureux
33. Le fait pour le système tarifaire de s’attacher à des variations, et
non à des valeurs absolues, ne permet
en rien de le qualifier de faussement
rigoureux. D’ailleurs, la Cour n’apporte, à l’appui de ses observations,
aucun élément de nature à le démontrer.
34.
Bien au contraire, l’analyse du système, pour peu qu’on s’y
attache, établit que la référence à des hausses annuelles sur les sections en
service ou à des écarts de tarifs des nouvelles sections, constitue, en réalité,
la seule méthode praticable. Compte tenu des effets de l’adossement qui
obligent, on l’a vu, à raisonner au regard du réseau pris dans son intégralité,
il n’est pas possible, en effet, de recalculer chaque année, à partir des coûts
complets affectables à chaque section, les valeurs absolues des tarifs
élémentaires.
35.
De manière plus générale, on relèvera que ce mécanisme n’est ni
inédit, ni spécifique au système autoroutier. Pour exemple, c’est précisément
celui qui a été retenu pour la détermination des tarifs applicables au réseau
de la SNCF ou de la RATP.
36.
Dans le même sens, le fait pour le taux kilométrique moyen d’une
section de référence de ne pas être défini par référence au trafic et que les
sociétés concessionnaires puissent prévoir des différenciations tarifaires sur
les trajets les plus parcourus ne constitue en rien un élément pouvant
conduire à qualifier le système de faussement rigoureux. Cette pratique, qui
n’a, d’ailleurs, rien de systématique, est, à l’inverse, conforme à la
jurisprudence et aux dispositions contractuelles applicables.
37.
D’une part
, parce que, comme précédemment indiqué, le Conseil
d’Etat a expressément validé, dans son arrêt du 28 février 1996 précité, la
possibilité
pour
les
sociétés
concessionnaires
de
pratiquer
des
différenciations tarifaires sur les sections les plus fréquentées. Ce qu’il a
confirmé, par la suite, dans son rapport sur les redevances pour service
rendu, puisqu’il a considéré qu’il était «normal et conforme à la théorie
économique que l’utilisateur acquitte un péage plus élevé sur des tronçons
réputés encombrés pour lesquels la fluidité du trafic n’a été rendue possible
que par des investissements accrus ou par le soutien d’autres modes de
transport»
98
. Ce qui est en réalité logique, compte tenu de la différence de
situation existant entre les usagers empruntant des sections encombrées et
ceux empruntant des sections au trafic plus fluide et de la nécessité, pour les
98) Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine public,
Rapport du Conseil d’Etat, la Documentation française, 24 octobre 2002, p. 76.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
287
exploitants, de tenir compte, dans la détermination de leurs tarifs, de
l’acceptabilité sociale du péage.
38
. D’autre part
, parce que, la composante trafic est bien prise en
compte dans la détermination des tarifs. Ainsi, le cahier des charges prévoit-
il, s’agissant de l’évolution du taux kilométrique moyen sur le périmètre de la
concession, que celle-ci est «égale à la
moyenne des évolutions
des taux
kilométriques moyens (HT) en vigueur sur chaque section de référence
figurant dans le contrat d’entreprise,
pondérée par le nombre de kilomètres
parcourus sur la section
considérée l’année précédant la hausse»
99
. On voit
donc bien que les sociétés concessionnaires sont tenues de mettre en oeuvre
un principe de pondération par les kilomètres parcourus en matière
d’évolution tarifaire.
39
. Enfin
, parce que le caractère rigoureux ou non du mécanisme
tarifaire doit s’apprécier au regard du cadre juridique dans lequel il
s’inscrit.
Or,
la
Cour
semble
raisonner
comme
si
les
sociétés
concessionnaires exerçaient leurs activités dans le cadre d’un marché public,
d’une régie intéressée ou encore d’un contrat de gérance, qui leur
garantirait
le versement d’une rémunération indépendante des résultats
d’exploitation, ce qui n’est pas le cas. L’exploitation des autoroutes
s’inscrivant, en effet, dans le cadre de contrats de concession supposant, par
nature, que le délégataire assume la gestion du service à ses risques et périls,
il n’est pas possible, sauf à dénaturer la substance même de ces contrats, de
mettre à sa charge un transfert du risque sans lui reconnaître
concomitamment la liberté de gestion y afférente, ne serait-ce que parce que
le délégataire assume complètement le risque trafic. Celui-ci peut, en effet,
évoluer beaucoup moins vite que prévu, notamment sur les trajets à trafic
élevé, voire même régresser comme cela s’est
déjà produit sur l’autoroute
A7, pour laquelle on peut d’ailleurs remarquer que les taux kilométriques
moyens des deux sections de référence Nord et Sud restent encore inférieurs
au taux kilométrique moyen du réseau, alors que le trafic moyen journalier
de cette autoroute est très élevé.
40
. Cette faculté laissée au concessionnaire, au demeurant limitée et
d’ailleurs reconnue par la Cour, de procéder à des différenciations de
hausses tarifaires s’impose d’autant plus que les sociétés concessionnaires
exercent leurs activités sur un marché pleinement concurrentiel. En effet, et
contrairement à ce qu’affirme la Cour , les sociétés concessionnaires ne sont
pas en situation de monopole naturel. Bien au contraire, elles subissent la
concurrence résultant de l’existence de modes alternatifs de transport : le
rail, la route ou encore le transport aérien, concurrence qui a d’ailleurs
vocation à se développer, comme l’a rappelé l’Etat à l’issue du Grenelle de
l’environnement. C’est d’ailleurs ce que le Conseil d’Etat a rappelé
formellement, puisqu’il a considéré dans son avis des 25 et 29 août 2005 que
99) Article 25.2.1 du cahier des charges d’ASF.
288
COUR DES COMPTES
la notion de monopole de fait doit «s’entendre compte tenu de l’ensemble du
marché intérieur à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises
ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part des
autres entreprises ; qu’on ne saurait prendre en compte les positions
privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard
d’une production qui ne représente qu’une petite partie de ses activités. A cet
égard, les sociétés concessionnaires ne constituent pas des monopoles de fait
dès lors qu’il existe, pour chaque itinéraire autoroutier, un autre itinéraire
permettant de relier les deux points desservis. En outre, la circonstance que
l’exploitation des autoroutes prend la forme d’une concession exclusive ne
saurait conférer aux sociétés concessionnaires le caractère d’un monopole
de fait au sens de l’alinéa précité»
100
. Dès lors que cette question a été
expressément tranchée, la Cour ne peut pas ne pas en tenir compte dans son
analyse.
41.
En outre, la nature exacte des risques pesant sur les sociétés
concessionnaires doit s’examiner au regard du statut qui est le leur, celui de
sociétés exposées au risque du marché financier. Or, ce risque est d’autant
plus élevé que ces sociétés ont emprunté, à leurs risques et périls, des
sommes considérables sur le long terme, afin de financer les investissements
nécessaires à la construction, à l’amélioration
et à la rénovation du réseau
routier autoroutier qui leur a été concédé.
42
. Il n’est donc pas possible de faire abstraction de ces éléments de
risques pour mener l’analyse. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence, puisqu’elle fait précisément de ce transfert de risque un
élément caractéristique des contrats de concession les distinguant, par
exemple, de la régie intéressée ou des marchés de service, et qu’elle
considère, par ailleurs, que l’équilibre financier du contrat de concession
devant être défini de manière à garantir au concessionnaire un bénéfice
raisonnable,
l’autorité
concédante
a
l’obligation
de
garantir
le
concessionnaire contre les risques de concurrence
101
.
43. Il résulte de ce qui précède que le système tarifaire ne peut être
considéré comme faussement rigoureux.
B.
Des tarifs prétendument incohérents
44
. Pour considérer que les tarifs pratiqués seraient incohérents, la
Cour relève qu’il existe « des divergences de hausses ou coefficients entre
sections de référence » et « des distorsions de grilles tarifaires ».
45. En se bornant à ce simple constat, la Cour méconnaît la logique
même du système et en tire des conséquences erronées.
100) Avis du Conseil d’Etat des 25 et 29 août 2005, Section des finances, n° 372.147.
101) CE, Ass. 16 avril 1986, n° 75.040, 75.087, 75.110 CLT, Rec. CE. 1986, p. 97.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
289
46
. En effet, et pour ce qui concerne « les divergences de hausses ou
de coefficients
», la Cour relève, à juste titre, que «les sociétés ne sont pas
tenues d’appliquer uniformément les hausses globales annuelles »et constate
que « certaines font ainsi varier fortement les hausses de TKM entre sections
de référence». Or, on précisera, tout d’abord, que les différences de taux
kilométriques doivent être distinguées des différences de prix. Les taux
kilométriques ne sont qu’un mode de détermination des prix, défini par les
dispositions contractuelles applicables et ne peuvent donc, à eux seuls,
caractériser un élément d’incohérence des tarifs.
47
. En outre, la divergence de hausses entre sections de référence ou
de coefficients de classe se justifie par la combinaison de plusieurs facteurs :
(i) la politique d’uniformisation progressive des taux kilométriques moyens,
pour un service rendu équivalent, à partir des taux kilométriques fixés à la
mise en service de chaque section, politique voulue par l’Etat et imposée aux
concessionnaires, (ii) la prise en compte de l’acceptabilité sociale du péage,
notamment en zone urbaine et périurbaine, (iii) la mise en oeuvre de hausses
spécifiques lors de l’intégration de sections ou d’échangeurs nouveaux, et
(iv) l’impossibilité d’augmenter d’une année sur l’autre tous les tarifs
élémentaires, du fait notamment de la règle de l’arrondi au décime le plus
proche, dans la mesure où elle génère des hausses élevées, en pourcentage,
pour les tarifs applicables aux courts trajets.
48.
On voit donc bien que la logique même du système conduit à des
divergences de hausses ou de coefficients, sans qu’il soit, pour autant,
possible de caractériser l’existence d’une quelconque incohérence.
49.
Pour ce qui a trait, cette fois-ci aux « distorsions de grilles
tarifaires »,
la Cour
souligne notamment que «le calcul des différentiels de
prix fait apparaître des tronçons gratuits pour certains trajets dans les
réseaux ASF ».
50.
On relèvera que ce raisonnement est purement théorique, la
«gratuité» évoquée par la Cour, n’étant, en effet, qu’une «gratuité
virtuelle», sans aucune réalité pour l’usager.
51.
En effet, la «gratuité» apparente de certains tronçons inclus dans
plusieurs trajets tient essentiellement à l’historique de l’établissement, puis
de l’évolution des tarifs soumis à un jeu de contraintes, tel que toutes ne sont
conciliables que si l’on prend en compte une période de temps suffisamment
longue. Notamment la règle des arrondis et le respect d’un temps minimal
entre deux hausses (qui ne peuvent être inférieures à 10 centimes d’euros),
pour lisser, dans la durée, l’effet d’une hausse sur des tarifs très faibles, font
que des distorsions peuvent se créer, pour ensuite s’atténuer voire
disparaître, faisant ainsi apparaître, à un moment donné, certains tronçons
comme «gratuits», lorsqu’ils sont parcourus au sein de certains trajets qui
les englobent.
290
COUR DES COMPTES
52.
Par ailleurs, pour les sections en système ouvert et pour les
sections d’extrémité d’un système fermé - lorsqu’elles comportent au-delà de
la barrière de péage en pleine voie, plusieurs entrées et sorties elles-mêmes
libres de péages -, le tarif de péage acquitté est nécessairement le même,
quelle que soit l’entrée ou la sortie, en système ouvert ou en section
d’extrémité en système fermé. Les différences de longueur des différents
trajets effectués pour un même
tarif de péage induisent,
dans ces cas, des
taux kilométriques différents, et donc une apparente gratuité de certains
tronçons. Dans ces deux cas, un calcul par différence pour faire apparaître
des «tronçons gratuits» inclus dans des trajets payants n’a alors aucun sens.
53.
Seuls peuvent donc être véritablement considérés comme gratuits,
les trajets pour lesquels les dispositions contractuelles prévoient qu’ils soient
totalement libres de péage.
54. Il suit de là que les tarifs de péage appliqués par la société ASF
ne peuvent, en aucun cas, être qualifiés d’incohérents.
C.
Des tarifs prétendument opaques
55. La Cour affirme que les clauses des cahiers des charges sur la
publicité des tarifs seraient vagues et désuètes et qu’aucune société
n’afficherait « ses prix unitaires, c'est-à-dire les tarifs kilométriques ». Elle
estime, à ce titre, qu’une «publicité compréhensible, par brochures et sur
Internet, des doubles grilles de péages et de tarifs kilométriques par
autoroute devrait être exigée».
56. ASF considère que les affirmations de la Cour sont erronées tant
en droit, qu’en fait.
57
. On rappellera, tout d’abord, que la notion de tarif kilométrique,
en tant que prix unitaire, qui fonde tout entier le raisonnement de la Cour,
n’existe pas. Les cahiers des charges, qui définissent la nature des
obligations s’imposant aux concessionnaires, font référence aux tarifs de
péage, entendus comme les prix payés pour emprunter les différents trajets,
et introduisent, pour la détermination de ces tarifs, la notion de « taux
kilométrique moyen » (et non de « tarif kilométrique »), pour chaque section
de référence et non pour chaque trajet.
On ne voit pas, dans ces conditions,
comment il serait possible de soutenir que les sociétés concessionnaires
devraient publier un quelconque «tarif kilométrique».
58
.
Au demeurant,
les dispositions
légales
et
contractuelles
applicables en matière de publicité s’imposent aux concessionnaires et
leur
caractère prétendument désuet ou non ne peut leur être imputé.
59
. Sur le fond, aucune opacité du dispositif mis en place ne peut être
caractérisée.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
291
60.
L’article 113-3 du Code de la consommation prévoit, en effet, que
«tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de
marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié,
informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la
responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon
des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après
consultation du Conseil national de la consommation».
61
. Pour l’application de ces dispositions législatives, le cahier des
charges définit les obligations des sociétés en matière de publicité des tarifs.
Ainsi, le cahier des charges ASF prévoit-il que «L’ensemble des tarifs
applicables sur le réseau de la société, en vigueur, à la date de la publication
du décret approuvant le présent avenant, sont annexés au cahier des charges.
L’ensemble des tarifs en vigueur peuvent être consultés soit sur un serveur
télématique, soit auprès de la société concessionnaire […], soit auprès de la
direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes […] ou auprès de la direction des routes […]»
102
.
La référence
à un serveur télématique montre, à l’évidence, que les clauses des cahiers
des charges ne sont, en rien, désuètes, comme l’affirme la Cour.
62
. Ces dispositions, qui édictent des obligations précises en matière
de publicité, sont appliquées par la société ASF.
C’est ainsi que la société
ASF a spécifiquement édité une brochure largement accessible à tous les
usagers et retraçant l’ensemble de ses grilles tarifaires. Les informations y
figurant sont, en outre, publiées sur son site Internet dans une rubrique
complètement dédiée aux tarifs et intitulée de manière explicite «Tarifs &
Péages».
63
. Il n’est donc pas possible de considérer que sa tarification serait,
d’une manière ou d’une autre, opaque, aucune disposition n’obligeant la
société, par ailleurs, à publier les taux kilométriques, lesquels ne sont pas
des «tarifs» mais des modalités de calcul des tarifs applicables aux différents
trajets effectués.
64. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît donc bien que le
système tarifaire n’est ni faussement rigoureux, ni incohérent, ni opaque,
et que la publicité des tarifs, telle qu’elle est effectuée par la société ASF,
est complète.
III
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT DEVENU TROP FAVORABLE
DU SYSTEME POUR LES CONCESSIONNAIRES
65.
Deux observations principales sont ici formulées par la Cour: (i)
les hausses de prix accordées par l’Etat seraient contestables compte tenu
notamment du mécanisme d’indexation et du caractère «mal étayé» des
hausses additionnelles et (ii) les sociétés concessionnaires mettraient en
oeuvre, dans un contexte de «rente de monopole», une politique de
102) Article 25.7 du cahier des charges d’ASF.
292
COUR DES COMPTES
«maximisation» des recettes résultant de «l’effet de foisonnement» et de la
baisse des réductions pour les poids lourds.
66. ASF considère que ces
observations ne sont pas fondées et
remettent en cause les fondements même des contrats de concession.
A.
Les hausses de prix accordées par l’Etat
67.
Pour ce qui concerne le principe de l’indexation, la Cour
relève
que le groupe ASF «s’est vu même accorder par ses cahiers des charges, à
l’ouverture de son capital en 2002, une hausse de base égale à 85 % de
l’inflation» et affirme que cette garantie «est d’autant plus critiquable que,
pour les concessionnaires d’autoroutes anciennes, l’achèvement des
programmes de construction et la fin de l’adossement font qu’ils n’ont plus
de nouvelles sections importantes à financer, que les anciennes autoroutes
sont elles mêmes progressivement amorties».
68.
Pour ce qui a trait, au caractère « mal étayé » des hausses
additionnelles, la Cour affirme que «tout nouvel investissement est compensé
aux concessionnaires, en particulier par des compléments de hausses
tarifaires. Mais les projections financières qui les fondent ne sont pas
publiques et n’ont pas été communiquées à titre d’exemples à la Cour».
69. ASF considère que la seule lecture des dispositions applicables
suffit à établir que ces affirmations sont infondées.
70.
En effet, le principe de l’indexation
est expressément posé par les
dispositions applicables, le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
garantissant
aux concessionnaires, comme le rappelle d’ailleurs la Cour, une hausse des
péages au moins égale à 70 % de l’inflation. Le cahier des charges fixant
pour ASF une hausse
au moins égale à 85 % de l’inflation, dans le cadre des
contrats de plan, est donc en tout point conforme aux dispositions du décret
précité, seul pertinent pour trancher cette question. Par conséquent, et sauf à
modifier les dispositions applicables et à indemniser les concessionnaires à
raison du bouleversement de l’économie du contrat qui en résulterait, ce
régime s’impose et doit régir la situation des sociétés concessionnaires.
71
. Sur le fond, on rappellera, que l’équilibre financier du contrat
devant s’apprécier sur l’ensemble de sa durée, le niveau de la hausse ainsi
autorisée ne peut, par nature, être considéré comme critiquable.
72.
Par ailleurs, et pour ce qui concerne tant le mécanisme de
l’indexation que le caractère prétendument mal étayé des hausses
additionnelles
, il convient de rappeler que la loi tarifaire est établie sur la
base de simulations financières fournies par la société à l’autorité
concédante.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
293
73
. A ce titre, le cahier des charges règle expressément cette question
en prévoyant que la société doit fournir à l’autorité concédante «tous les
éléments d’information et de calcul nécessaires à la bonne application des
règles de calcul»
103
définis par le contrat de concession, le contrat de plan et
la réglementation en vigueur et qu’elle lui communique, par ailleurs, chaque
année, «une étude financière prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable
de la concession» comprenant, notamment, pour la durée restant à courir, un
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
104
.
74
. Dans le même sens, le contrat de plan retrace la nature des
investissements réalisés par la société concessionnaire et les coûts y
afférents. Ce qui conduit bien à établir que, sur la période des cinq années
concernées, la loi tarifaire n’est pas définie autrement que sur la base de
simulations
financières prenant
en
compte
l’ensemble
des
charges
d’exploitation et les investissements à réaliser. On peut souligner, sur ce
sujet que, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, non seulement les
programmes de construction ne sont pas encore achevés, mais les
programmes d’investissement sur autoroutes en service sont très importants.
C’est ainsi qu’au total, 3 milliards d’euros et 2,5 milliards d’euros ont été
inscrits respectivement dans les contrats de plan ASF pour 2002-2006 et
2007-2011.
75.
On voit donc bien déjà, que contrairement à ce que laisse entendre
la Cour, les mécanismes prévus par les dispositions applicables ne
conduisent en rien à l’octroi d’un avantage indu.
76.
Conformément à ces dispositions, ASF a d’ailleurs toujours
communiqué à l’autorité concédante les éléments justifiant sa loi tarifaire et
elle a, de surcroît, transmis à la Cour les éléments qu’elle lui avait
demandés. Si Cour n’a pas pu vérifier la justification des hausses
additionnelles, acceptées par l’Etat et contractualisées, elle n’est pas pour
autant fondée à considérer que ces hausses seraient mal étayées.
B.
Les prétendues pratiques de «maximisation des recettes»
77. S’agissant du «foisonnement»
, notion introduite par la Cour
mais qu’elle ne définit nullement et dont elle précise, elle-même, que son
calcul exact est «compliqué», ASF considère que le raisonnement suivi est
tout entier entaché de contradictions et d’erreurs.
103) Article 25.6 du cahier des charges d’ASF.
104) Articles 35 du cahier des charges d’ASF relatif au Compte rendu d’exécution de
la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
294
COUR DES COMPTES
78.
Il convient de rappeler que, contrairement à ce que la Cour laisse
croire, les hausses accordées ne concernent pas les recettes mais le seul taux
kilométrique moyen du réseau, ainsi qu’éventuellement les coefficients de
classe. A ce titre, ASF a toujours publié des grilles tarifaires respectant les
hausses tarifaires autorisées, comme cela a d’ailleurs été vérifié chaque
année par la DGCCRF et la direction générale des routes.
79.
Sur le fond, on rappellera, à nouveau, qu’aucune disposition du
cahier des charges n’interdit aux sociétés concessionnaires d’appliquer des
hausses tarifaires différenciées, bien au contraire. La Cour le relève, elle-
même, en soulignant que « les sociétés ne sont pas tenues d’appliquer
uniformément les hausses globales annuelles », et qu’«au sein des sections de
référence, le taux kilométrique moyen ne tient pas compte des volumes de
trafic et laisse les concessionnaires libres de concentrer les hausses de
péages et les tarifs élevés sur les tronçons ou les trajets les plus fréquentés au
sein de chaque section».
80
. Cette pratique est donc licite et ne peut, par principe, être remise
en cause. Elle résulte des termes même du contrat de concession, lequel
constitue la loi des parties.
81.
Ce qui est en réalité logique dans la mesure où les
concessionnaires assumant entièrement l’exploitation à leurs risques et
périls, seuls les tarifs, à la différence des recettes, sont déterminés selon des
règles fixées par le contrat de concession.
82.
Cette pratique est, d’ailleurs, conforme aux principes posés par le
Conseil d’Etat
comme il a été précédemment indiqué.
83.
En tout état de cause, cette pratique est induite par la nature et
l’économie même du système dans la mesure où elle ne constitue, en réalité,
qu’une
simple
contrepartie
aux
aléas
de
trafic
supportés
par
le
concessionnaire, entre autres de l’élasticité du trafic aux tarifs. Ainsi, et sauf
à méconnaître le principe même de la gestion de la concession aux risques et
périls du concessionnaire, il n’est pas possible de la considérer comme
contestable. D’autant que, comme il a été démontré, les sociétés
concessionnaires opèrent, non pas en «rente de monopole», mais sur un
marché pleinement concurrentiel et sont, par ailleurs, exposées aux risques
du marché financier.
84.
S’agissant des réductions pour les poids lourds
, la Cour relève
que «l’octroi de ces rabais s’effectuait à l’initiative des sociétés
concessionnaires au titre de leur politique commerciale. Leur diminution et
l’amélioration corrélative des recettes des concessionnaires n’ont pas été
compensées par une moindre hausse des tarifs accordés par l’Etat».
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
295
85.
Il convient de préciser que le contrat d’abonnement CAPLIS
octroyant des remises aux sociétés de transport, a été mis en place, non pas à
l’initiative des sociétés, mais à la demande expresse de l’Etat. Dans la
mesure où l’objectif fixé par l’Etat était alors de diminuer les charges du
poste péage pour les transporteurs, l’octroi de ces remises n’a pas fait l’objet
de compensations tarifaires. Sa mise en place a donc pesé sur le chiffre
d’affaires des sociétés. L’adoption de la directive européenne 2006/38
modifiant la directive 1999/62 relative à la taxation des poids lourds pour
l’utilisation de certaines infrastructures, prévoyant un plafonnement à 13 %
des rabais accordés aux poids lourds, a conduit la société à réduire
progressivement les pourcentages de remise accordés pour tendre vers ce
plafond. Cette évolution sera achevée au printemps 2008 avec la suppression
totale de l’abonnement CAPLIS et son remplacement par l’abonnement
télépéage PL respectant le plafond fixé par la directive. La mise en place de
ce nouvel abonnement télépéage PL a, d’ores et déjà, conduit à un
doublement du nombre d’entreprises bénéficiaires de ces remises.
86.
L’exemple de l’abonnement CAPLIS montre, plus largement, que
les conditions commerciales offertes aux clients de la société ont un impact
sur les recettes, qui peut être positif ou négatif selon l’évolution de ces
conditions commerciales, du nombre d’abonnés et des chiffres d’affaires
concernés, impact qu’il convient en tout état de cause, de distinguer de l’effet
des hausses tarifaires proprement dit.
87.
Enfin, il convient également de tenir compte du fait que les
recettes de péage de la société augmentent à la suite des mises en service qui
interviennent en cours d’année, alors que les hausses tarifaires autorisées le
sont « à périmètre constant », un dispositif spécifique étant, par ailleurs,
prévu par le cahier des charges pour déterminer les tarifs de péage
applicables aux sections nouvelles.
87. Ainsi, force est de constater que le système n’est en rien devenu
trop favorable aux sociétés concessionnaires, mais se justifie par le
principe même de la gestion aux risques et périls du concessionnaire,
fondement du contrat de concession.
296
COUR DES COMPTES
RÉPONSE DU PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE
LA
SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES ESTEREL CÔTE D’AZUR, PROVENCE,
ALPES (ESCOTA)
RÉSUMÉ
L’insertion au rapport public annuel de la Cour des comptes sur « Les
péages autoroutiers » contient de nombreuses affirmations manifestement
erronées, de nature à porter un préjudice sérieux à l’ensemble des acteurs du
domaine autoroutier. Après analyse du dispositif applicable, la société
ESCOTA considère que, tant en droit, qu’en fait :
−
Contrairement à ce que soutient la Cour, le péage reflète bien le
coût des sections anciennes comme des sections nouvelles. Pour
toutes les sections incluses dans les contrats de concession par
voie d’adossement, l’amortissement des sections anciennes,
comme des plus récentes, a été reporté à une date commune et
unique : celle de la fin du contrat.
−
C’est méconnaître la réalité de la régulation des contrats que de
dire qu’« aucun lien évident ne peut être établi entre les hausses
tarifaires
et
l’évolution
des
coûts ».
Les
contrats
font
régulièrement l’objet d’avenants et le péage est ajusté tous les
cinq ans dans les contrats de plan : l’équilibre financier de la
concession détermine la loi tarifaire des cinq années couvertes par
le contrat à partir de simulations financières prenant en compte
les investissements nouveaux prescrits par l’Etat concédant.
−
Contrairement
à
ce
qu’affirme
la
Cour,
les
sociétés
concessionnaires ne vivent pas «
une rente de monopole ». La
concurrence existe avec le rail et la route, et elle s’accroît comme
le souhaite d’ailleurs l’Etat qui, à l’issue du Grenelle de
l’Environnement, a réaffirmé sa volonté de développer les autres
modes de transport.
−
La Cour commet une erreur d’appréciation lorsqu’elle affirme que
le mécanisme tarifaire est « opaque » et « faussement rigoureux ».
Certes, il est, par essence, complexe, avec des grilles de plusieurs
centaines de tarifs. Cette complexité intrinsèque n’autorise pas,
pour autant, à parler de «
fausse rigueur » alors que les contrats
de concession prévoient des dispositions très précises et fort
contraignantes. Il y a lieu de rappeler également que tous les tarifs
sont
publiés
(notamment
sur
internet),
conformément
aux
dispositions législatives et contractuelles. Enfin, toutes les
informations sont fournies au concédant, conformément au
contrat.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
297
Plus largement, le raisonnement sous-jacent du projet de rapport de
la Cour méconnaît, à plusieurs titres, la nature et l’économie même du
système de la concession, ainsi que sa réalité juridique :
→
Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le
cadre de contrats de concession, lesquels impliquent par nature
qu’elles assurent l’exploitation à leurs risques et périls :
▪
contrairement aux titulaires d’un marché public, d’un contrat
de gérance ou d‘une régie intéressée, elles assument à leurs
risques et périls le risque trafic ; de ce fait, seuls les tarifs, à la
différence des recettes, sont déterminés selon des règles fixées
par le contrat de concession ;
▪
elles ont emprunté à leurs risques et périls des sommes
considérables
sur
le
long
terme afin
de
financer
les
investissements nécessaires à la construction, à l’amélioration
et à la rénovation du réseau autoroutier qui leur a été concédé ;
▪
elles
n’affichent
aujourd’hui
des
résultats
financiers
excédentaires qu’après plusieurs décennies beaucoup moins
favorables ; or, l’équilibre des concessions doit s’apprécier sur
la totalité de leur durée.
Or, la Cour ne prend nullement en compte, dans son appréciation, ce
critère du risque et remet en cause, ce faisant, les fondements mêmes des
contrats de concession en général.
→
Les sociétés concessionnaires exercent leurs activités dans le
cadre de dispositions législatives, réglementaires et contractuelles.
Elles ne peuvent donc, sans encourir le risque de voir leur
responsabilité engagée, s’abstenir de les appliquer. Or, la société
ESCOTA a toujours appliqué l’ensemble de ces dispositions ;
→
Les obligations s’imposant aux sociétés dans le cadre des contrats
de concession existants n’ont pas à être modifiées du fait de
l’évolution de la structure de leur capital. Que des sociétés
concessionnaires soient détenues par des actionnaires publics,
comme ce fut très majoritairement le cas jusqu’en 2006, ou
qu’elles soient détenues par des actionnaires privés, comme tel est
le cas maintenant pour la plupart, est nécessairement sans rapport
avec l’analyse. La Cour établit donc, à tort, un lien, qui n’a pas
lieu d’être, entre le système tarifaire et l’évolution du capital.
Le rapport omet de rappeler que ce système de la concession
autoroutière a permis de financer, construire, exploiter et maintenir, en
l’améliorant sans cesse depuis plus de 50 ans, l’un des meilleurs réseaux
autoroutiers du monde, et cela quasiment sans apport de fonds publics. Cet
instrument particulièrement efficace a permis la mise en oeuvre de la
politique d’aménagement et de solidarité entre territoires voulue par tous les
gouvernements successifs.
298
COUR DES COMPTES
Or, le succès du modèle de la concession repose sur la stabilité des
engagements réciproques contractuels de l’Etat concédant et de ses
concessionnaires.
Remettre maintenant en cause cette exigence reviendrait à fragiliser
la crédibilité économique et la signature financière d’acteurs qui se sont
lourdement endettés pour participer à l’aménagement du territoire français.
Ce serait également faire prendre un risque important pour l’Etat au
moment où il soumet à l’appel d’offres de nouveaux projets nécessitant des
investissements de plusieurs milliards d’euros.
Si des évolutions des lois, des règlements ou des contrats régissant les
concessions apparaissaient souhaitables – notamment à la lumière des
nouveaux enjeux de mobilité résultant du Grenelle de l’environnement – la
société ESCOTA se déclare prête à en discuter des conséquences, dans le
respect de l’équilibre financier de sa concession. D’ici là, comme elle l’a
toujours montré, la société ESCOTA continuera à être force de proposition
auprès de l’Etat concédant.
***
PARTIE I – OBSERVATIONS GENERALES
I
-
SUR LA PRETENDUE INSUFFISANTE PRISE EN COMPTE PAR LE SYSTEME
DE
LA REFERENCE JURIDIQUE TIREE DES COUTS
1
. Trois principaux griefs sont formulés par la Cour pour considérer
que le système actuel ne serait pas de nature à garantir une prise en compte
suffisante de l’ensemble des coûts dans la détermination du montant des
péages : (i) l’Etat n’aurait pas tiré toutes les conséquences juridiques
résultant de l’avis du Conseil d’Etat du 16 septembre 1999 mettant fin à la
pratique de l’adossement, (ii) la pratique antérieure de l’adossement
permettrait aux sociétés de percevoir, sur les concessions historiques, des
péages sur une «période deux fois plus longue» que sur les plus récentes,
alors que les premières seraient «plus rentables» que les secondes, (iii) le
système mis en place ne reposerait pas sur un fondement juridique clair,
compte tenu de l’existence de distorsions entre les coûts et les péages et
d’une insuffisante prise en compte des surcoûts de construction dans
l’établissement des tarifs.
2. ESCOTA considère qu’aucun des éléments avancés par la Cour
n’est fondé et que les péages sont, contrairement à ce qu’elle soutient, bien
déterminés en fonction de l’ensemble des coûts.
A.
La fin partielle de l’adossement
3.
La Cour considère que le Conseil d’Etat ayant confirmé l’illégalité
de la pratique de l’adossement, les conséquences en résultant devaient être
doubles : «le mécanisme de l’adossement devait être à l’avenir
écarté» et
«les péages des autoroutes les plus anciennes auraient dû évoluer à la baisse
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
299
une fois leur amortissement achevé». Elle relève, par ailleurs, que «l’Etat a
mis fin à l’adossement : dès 1998, le financement des nouvelles autoroutes a
été organisé par concession autonome et sans lien avec les ressources tirées
des concessions anciennes. En revanche, le mode de fixation des péages des
autoroutes anciennes n’a pas été modifié et la baisse des péages n’a pas eu
lieu».
4. Ces affirmations méconnaissent, à plusieurs titres, la portée de
l’avis rendu par le Conseil d’Etat.
5.
Si celui-ci a, en effet, considéré qu’il devait être mis fin à la
pratique de l’adossement, c’est uniquement parce que cette pratique
s’avérait incompatible avec l’adoption des dispositions
nouvelles de la loi
du 29 janvier 1993. Ainsi, devait-il préciser, dans cet avis, que «si, en vue de
la concession de la construction et de l’exploitation d’un tronçon d’autoroute
dont le trafic envisagé ne permet d’assurer la rentabilité, un candidat déjà
titulaire d’une concession était admis à présenter une offre dont l’équilibre
financier serait assuré par la prolongation de la durée de la concession
initiale, alors que les autres candidats ne pourraient que réclamer une
subvention de la part de l’autorité concédante, l’égalité entre les candidats
serait rompue» et que les dispositions de l’article 40 de la loi du 29 janvier
1993 n’autorisent pas, par ailleurs, un allongement de la durée des contrats
de concession pour des motifs tenant au financement de tronçons
autoroutiers déficitaires.
6.
On voit donc bien que, contrairement à ce qu’affirme la Cour, le
Conseil d’Etat n’a jamais, dans son avis, remis en cause, d’une manière ou
d’une autre, le mode de fixation des tarifs existant. Et, en réalité, il ne
pouvait pas le faire.
7
. D’une part
, parce que, pour les raisons expliquées ci-après, les
autoroutes anciennes ayant fait l’objet d’un adossement ne peuvent être
regardées comme amorties.
8
. D’autre part
, parce que le financement des autoroutes nouvelles est
sans rapport avec le mode de fixation des tarifs des autoroutes anciennes.
L’exploitation des autoroutes nouvelles a, en effet, été attribuée dans le cadre
de nouveaux contrats de concession, distincts de ceux régissant les
concessions anciennes. Dès lors que ces autoroutes ne relèvent pas du
périmètre des concessions anciennes, on ne voit pas en quoi l’attribution de
ces nouveaux contrats aurait dû conduire, d’une manière ou d’une autre, à
une baisse des péages sur les autoroutes anciennes. Les conditions de
détermination des tarifs autoroutiers étant fixées contrats par contrats, il
n’est pas possible de prendre prétexte de la conclusion de nouveaux contrats
pour revenir sur celles définies dans le cadre de contrats anciens et déjà
attribués.
300
COUR DES COMPTES
B.
La pratique antérieure de l’adossement
9. S’agissant des concessions historiques, c'est-à-dire celles ayant
fait l’objet d’un adossement, ESCOTA considère qu’il est erroné de
raisonner, comme le fait la Cour, autoroute par autoroute ou, encore
moins, section par section.
10.
L’incorporation, par voie d’adossement de sections autoroutières
nouvelles dans le contrat d’origine, a en effet conduit à un allongement de sa
durée initiale et à un nouveau calcul des amortissements de caducité. Toutes
les sections autoroutières qui ont été incluses dans un même contrat de
concession, par voie d’adossement, étant juridiquement et financièrement
interdépendantes, elles ne constituent aujourd’hui qu’un seul et même
réseau. Il en résulte que l’équilibre financier du contrat doit s’apprécier au
regard de l’intégralité du réseau et qu’aucune autoroute ne peut être
considérée, d’un point de vue comptable, comme amortie ; l’amortissement
des sections anciennes comme des sections nouvelles ayant été reporté à une
date commune et unique, celle de la fin du contrat. De fait, et sauf à porter
directement atteinte à la viabilité économique du contrat de concession, droit
pourtant garanti au concessionnaire, l’économie du système oblige
nécessairement à raisonner quant à la question de la prise en compte des
coûts, de manière globale, au niveau du réseau concédé.
11.
Le seul fait, par conséquent, que les tarifs ne soient pas fixés
autoroute par autoroute ne suffit donc pas à considérer qu’ils ne seraient pas
de nature à refléter l’ensemble des coûts. Bien au contraire, les allongements
décidés par l’autorité concédante avant qu’il ne soit mis fin à l’adossement,
ont toujours été déterminés en vue de respecter l’équilibre financier global
de la concession. Or, l’équation financière de tout contrat de concession
devant elle-même être déterminée de manière à assurer au concessionnaire
« la couverture de ses dépenses, une rémunération raisonnable des capitaux
investis et un bénéfice normal»
105
, les tarifs ne peuvent pas être fixés
autrement qu’en tenant compte de l’ensemble des coûts.
12. Toute autre interprétation serait d’ailleurs directement contraire
au cadre juridique applicable.
13.
D’une part
, parce que le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
relatif aux péages autoroutiers, pris en application de l’article L. 122-4 du
Code de la voirie routière précise que le cahier des charges d’une concession
autoroutière «définit les règles de fixation des tarifs de péages, notamment
les modalités de calcul d'un tarif kilométrique moyen servant de base aux
tarifs de péages et qui tient compte de
la structure du réseau
, des charges
d'exploitation et des charges financières de la société, ainsi que les
possibilités de modulation de ce tarif kilométrique moyen». Dès lors que les
105) Voir Gaston Jèze in RDP 1935, p. 735 cité in Lamy droit public des affaires,
2006, N° 3515.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
301
dispositions réglementaires applicables prévoient expressément le principe
de la détermination des tarifs au regard de la structure du réseau, il ne peut
être fait grief aux sociétés concessionnaires de s’y conformer en prenant en
compte l’ensemble de leur réseau, et notamment sa structure globale, pour
fixer le niveau des péages.
14
. D’autre part
, parce que, comme il a été précédemment démontré,
le Conseil d’Etat n’a, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, jamais
remis en cause l’adossement au motif qu’il ne serait pas de nature à garantir
une fixation adéquate des tarifs. Il en résulte donc bien que, pour les
concessions historiques ayant fait l’objet d’un adossement, le régime
consistant à définir l’équilibre financier du contrat au regard de l’ensemble
du réseau doit être regardé comme valide. Il en est donc de même de toutes
les conséquences en découlant logiquement et, a fortiori, de la possibilité,
pour le concessionnaire, de déterminer le niveau des tarifs en fonction des
coûts du réseau pris dans sa globalité.
15.
Au surplus, et à supposer que l’on puisse raisonner autoroute par
autoroute, exercice purement théorique compte tenu des liens financiers
indissolubles créés par les adossements successifs et les allongements de la
durée de la concession qui en ont résulté, la baisse des péages sur les
sections les plus anciennes aurait dû inévitablement trouver sa contrepartie
dans des hausses très significatives des tarifs sur les sections les plus
récentes, notamment ceux des moins rentables. Or, dans la mesure où c’est
précisément la pratique de l’adossement et le mode de détermination des
tarifs y afférent qui a permis aux sociétés concessionnaires de ne pas imposer
aux usagers, un niveau de tarif disproportionné sur les sections les plus
récentes ou encore de permettre la construction d’autoroutes qui, sans cela,
n’auraient jamais pu être réalisées, puisqu’elles auraient dû alors être
financées par voie de subventions publiques, ce qui n’a pas été le choix de
l’Etat, on voit difficilement comment cette pratique
aurait pu être
considérée, sur le plan des principes, comme contestable.
En rappelant que
«l’exacte proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour
les usagers», la Cour reconnaît d’ailleurs elle-même
implicitement la nécessité de réaliser une péréquation tarifaire entre les
différentes sections d’un réseau autoroutier concédé.
C.
La prétendue absence de fondement juridique clair
16.
Pour considérer que le régime actuel ne reposerait pas sur un
fondement juridique clair, la Cour affirme (i) qu’il existerait des distorsions
entre les coûts et les péages résultant de la détermination du niveau des tarifs
par référence au «taux kilométrique moyen» et de la mise en oeuvre, par les
sociétés concessionnaires, d’une politique d’uniformisation et (ii) que les
surcoûts de construction ne seraient qu’insuffisamment pris en compte dans
la détermination des tarifs.
302
COUR DES COMPTES
17. ESCOTA considère qu’aucun de ces arguments n’est fondé.
18.
S’agissant des « distorsions entre péages et coûts »
, on
rappellera, tout d’abord, que la détermination des tarifs par référence à un
taux kilométrique moyen du réseau et des hausses annuelles à partir de taux
kilométriques moyens par section de référence, qui est considérée comme
critiquable par la Cour, est expressément prévue par le cahier des charges. Il
s’agit donc là d’un principe qui s’impose aux sociétés concessionnaires et
dont elles ne peuvent s’exonérer, sauf à voir leur responsabilité engagée.
19
. En outre, et contrairement à ce que prétend la Cour, ESCOTA
considère que la référence au taux kilométrique moyen n’engendre pas de
distorsion entre les péages et les coûts.
20.
S’agissant des sections nouvelles, le cahier des charges prévoit, en
effet, que «la tarification des sections nouvelles à leur mise en service est
fixée par la société concessionnaire sur la base du taux kilométrique moyen
de son réseau au moment de l’ouverture de ces sections,
éventuellement
corrigé en fonction des coûts de construction et d’exploitation
si ceux-ci
sont sensiblement différents de ceux constatés sur le reste du réseau»
106
. Et il
précise, par ailleurs, que «dans le cas où le tarif envisagé conduit à un taux
kilométrique moyen de l’autoroute concernée supérieur de plus de 20 p.100
au taux kilométrique moyen des sections contiguës de son réseau, la société
doit recueillir
l’accord
du ministre chargé de l’économie et du ministre
chargé de la voirie nationale avant de fixer les tarifs applicables avant la
mise en service». On voit donc bien que la tarification des sections nouvelles
ne se détermine pas exclusivement par référence au taux kilométrique moyen
du réseau, puisque le cahier des charges impose la prise en compte d’un
facteur correctif tenant aux coûts de construction et d’exploitation, et que la
fixation du taux kilométrique moyen de la section d’autoroute concernée est
elle-même bien contrôlée par l’Etat concédant.
21.
Enfin, indépendamment de ces mécanismes qui, à eux seuls,
garantissent déjà que les péages soient fixés de manière à refléter l’ensemble
des coûts, il convient de rappeler, puisque la Cour omet de le préciser, que
les cahiers des charges et le contrat de plan propre à chacune des sociétés
s’inscrivent, tout entier, dans une logique de prise en compte des coûts.
22
. Ainsi, le cahier des charges fait obligation au concessionnaire de
remettre chaque année à l’autorité concédante une étude financière
prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable de la concession et
intégrant, à ce titre, les charges d’exploitation et d’investissements. Cette
étude doit ainsi notamment comprendre, pour la durée restant à courir, un
106) Article 25.5 du cahier des charges de la société ESCOTA.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
303
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
107
.
23.
Dans le même sens, le contrat de plan signé avec l’Etat pour cinq
ans, retrace la nature des investissements réalisés par le concessionnaire et
les coûts s’y rattachant
108
.
24.
Sur la période de ces cinq années, la loi tarifaire est déterminée
sur la base de simulations financières prenant notamment en compte les
charges d’exploitation et les investissements prescrits par le concédant
comme l’impose, d’ailleurs, le décret n°95-81 du 24 janvier 1995.
25
. S’agissant du mouvement « d’uniformisation tarifaire » mis en
oeuvre par les sociétés, ESCOTA considère que, compte tenu de ce qui
précède et des mécanismes tenant à la détermination de la loi tarifaire, ce
mouvement ne peut, contrairement à ce que laisse entendre la Cour, être, par
lui-même, considéré comme critiquable,.
26.
Il peut d’autant moins l’être que, comme le rappelle d’ailleurs la
Cour, cette politique d’uniformisation a été prescrite par l’autorité
concédante, le contrat de plan d’ESCOTA pour 2007-2011 prévoyant même
expressément que «la société s’efforcera de faire converger progressivement
entre eux les taux kilométriques moyens des sections de référence (pour
chaque classe de véhicule) de nature semblable en termes de trafic, système
de péage, contraintes d’exploitation,..»
109
. A nouveau, et sauf en réalité à
faire grief aux sociétés concessionnaires de se conformer aux dispositions
applicables, on ne voit pas comment cette politique pourrait, d’une manière
ou d’une autre, être remise en cause.
27. Au demeurant, cette politique tarifaire souhaitée depuis longtemps
par l’Etat et désormais explicitement inscrite dans les dispositions du contrat
de plan précité, doit s’analyser au regard de la nature juridique spécifique
des péages.
28
. Les péages constituent en effet, au sens de la jurisprudence, des
redevances pour service rendu
110
et doivent, pour cette raison, trouver leur
contrepartie directe dans le service procuré aux usagers. C’est donc au
regard de la valeur du service procuré à l’usager qu’il faut raisonner pour
déterminer le montant des redevances. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence du Conseil d’Etat, puisque celui-ci a expressément considéré
107) Articles 35 du cahier des charges d’ESCOTA relatif au Compte rendu
d’exécution de la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
108) Voir, par exemple, titre 2 du contrat de plan Etat-ESCOTA 2007-2011 relatif à
la réalisation des investissements et l’annexe 1 reprenant les échéanciers annuels des
investissements prévus au contrat de plan.
109) Article 5.1.1.3 du Contrat de plan Etat-ESCOTA 2007-2011.
110) CE, 14 février 1975, Epoux Merlin et Association de défense des habitants des
quartiers de Super-La-Ciotat et de Ceyreste, p. 110.
304
COUR DES COMPTES
que l’intensité du trafic pouvait être prise en compte dans la détermination
du montant des péages autoroutiers, en jugeant qu’«il est constant que les
usagers d'une autoroute se trouvent placés dans une situation différente, au
regard des conditions d'exploitation de l'ouvrage, selon la densité de la
circulation prévisible ; qu'ainsi, en prévoyant une variation du prix des
péages en fonction de l'intensité du trafic, afin de favoriser dans l'intérêt
général la plus grande fluidité de celui-ci, l'arrêté attaqué n'a pas institué
une discrimination illégale entre ces usagers»
111
.
Or, la politique
d’homogénéisation tarifaire vise précisément à répondre à cet objectif. En
effet, et à défaut, les usagers se verraient imposer
des charges différentes
selon les sections, qui ne seraient pas toujours justifiées par des situations
elles-mêmes différentes. C’est d’ailleurs à cette
conclusion que la Cour
aurait dû arriver, lorsqu’elle souligne, à juste titre, que «l’exacte
proportionnalité n’est ni exigée, ni souhaitable au regard des prix
supportables pour les usagers et de la nécessité de réguler le trafic ».
29.
Enfin, pour ce qui concerne « la faible prise en compte des
surcoûts de construction », la Cour, en affirmant que «les majorations de
tarifs lors de la mise en service des sections d’autoroutes nouvelles plus
onéreuses sont très inférieures à leur surcoût de construction» se livre à un
raisonnement intrinsèquement contradictoire. En effet, elle ne peut pas à la
fois faire grief aux sociétés concessionnaires de ne pas suffisamment tenir
compte des surcoûts de construction dans la détermination des tarifs
appliqués aux sections nouvelles et, en même temps, considérer que la stricte
proportionnalité entre tarifs et coûts n’est ni souhaitable ni exigée.
30. Ainsi, et de quelque manière qu’on l’envisage, il apparaît bien
que les tarifs sont fixés de manière à refléter l’ensemble des coûts et que le
système mis en place n’est ni empreint de disparités, ni, encore moins
d’arbitraire, comme l’affirme la Cour.
II
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT FAUSSEMENT RIGOUREUX
,
INCOHERENT ET OPAQUE DE LA TARIFICATION
31
. Pour considérer que le système tarifaire serait faussement
rigoureux, incohérent et opaque, la Cour affirme, (i) que les tarifs ne seraient
pas déterminés sur la base de valeurs absolues et que le taux kilométrique
moyen ne constituerait pas une référence appropriée, (ii) que l’analyse
des
tarifs pratiqués ne révèlerait aucune logique , compte tenu de l’existence de
divergences de hausses ou de coefficients entre sections de référence et de
distorsions dans les grilles tarifaires, et (iii) que la publicité des tarifs serait
incomplète.
111) Conseil d'Etat, 28 février 1996 Association FO Consommateurs, n° 150520.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
305
32. ESCOTA considère que ces affirmations sont erronées et que si
le système tarifaire est certes, par essence, complexe, avec des grilles de
plusieurs centaines de tarifs, il n’est pas, pour autant faussement
rigoureux, incohérent ou opaque.
A.
Un système prétendument faussement rigoureux
33. Le fait pour le système tarifaire de s’attacher à des variations, et
non à des valeurs absolues, ne permet
en rien de le qualifier de faussement
rigoureux. D’ailleurs, la Cour n’apporte, à l’appui de ses observations,
aucun élément de nature à le démontrer.
34.
Bien au contraire, l’analyse du système, pour peu qu’on s’y
attache, établit que la référence à des hausses annuelles sur les sections en
service ou à des écarts de tarifs des nouvelles sections, constitue, en réalité,
la seule méthode praticable. Compte tenu des effets de l’adossement qui
obligent, on l’a vu, à raisonner au regard du réseau pris dans son intégralité,
il n’est pas possible, en effet, de recalculer chaque année, à partir des coûts
complets affectables à chaque section, les valeurs absolues des tarifs
élémentaires.
35
. De manière plus générale, on relèvera que ce mécanisme n’est ni
inédit, ni spécifique au système autoroutier. Pour exemple, c’est précisément
celui qui a été retenu pour la détermination des tarifs applicables au réseau
de la SNCF ou de la RATP.
36
. Dans le même sens, le fait pour le taux kilométrique moyen d’une
section de référence de ne pas être défini par référence au trafic et que les
sociétés concessionnaires puissent prévoir des différenciations tarifaires sur
les trajets les plus parcourus ne constitue en rien un élément pouvant
conduire à qualifier le système de faussement rigoureux. Cette pratique, qui
n’a, d’ailleurs, rien de systématique, est, à l’inverse, conforme à la
jurisprudence et aux dispositions contractuelles applicables.
37
. D’une part
, parce que, comme précédemment indiqué, le Conseil
d’Etat a expressément validé, dans son arrêt du 28 février 1996 précité, la
possibilité
pour
les
sociétés
concessionnaires
de
pratiquer
des
différenciations tarifaires sur les sections les plus fréquentées. Ce qu’il a
confirmé, par la suite, dans son rapport sur les redevances pour service
rendu, puisqu’il a considéré qu’il était «normal et conforme à la théorie
économique que l’utilisateur acquitte un péage plus élevé sur des tronçons
réputés encombrés pour lesquels la fluidité du trafic n’a été rendue possible
que par des investissements accrus ou par le soutien d’autres modes de
transport»
112
. Ce qui est en réalité logique, compte tenu de la différence de
situation existant entre les usagers empruntant des sections encombrées et
112) Redevances pour service rendu et redevances pour occupation du domaine
public, Rapport du Conseil d’Etat, la Documentation française, 24 octobre 2002,
p. 76.
306
COUR DES COMPTES
ceux empruntant des sections au trafic plus fluide et de la nécessité, pour les
exploitants, de tenir compte, dans la détermination de leurs tarifs, de
l’acceptabilité sociale du péage.
38
. D’autre part
, parce que, la composante trafic est bien prise en
compte dans la détermination des tarifs. Ainsi, le cahier des charges prévoit-
il, s’agissant de l’évolution du taux kilométrique moyen sur le périmètre de la
concession, que celle-ci est «égale à la
moyenne des évolutions
des taux
kilométriques moyens (HT) en vigueur sur chaque section de référence
figurant dans le contrat d’entreprise,
pondérée par le nombre de kilomètres
parcourus sur la section
considérée l’année précédant la hausse»
113
. On voit
donc bien que les sociétés concessionnaires sont tenues de mettre en oeuvre
un principe de pondération par les kilomètres parcourus en matière
d’évolution tarifaire.
39.
Enfin
, parce que le caractère rigoureux ou non du mécanisme
tarifaire doit s’apprécier au regard du cadre juridique dans lequel il
s’inscrit.
Or,
la
Cour
semble
raisonner
comme
si
les
sociétés
concessionnaires exerçaient leurs activités dans le cadre d’un marché public,
d’une régie intéressée ou encore d’un contrat de gérance, qui leur
garantirait
le versement d’une rémunération indépendante des résultats
d’exploitation, ce qui n’est pas le cas. L’exploitation des autoroutes
s’inscrivant, en effet, dans le cadre de contrats de concession supposant, par
nature, que le délégataire assume la gestion du service à ses risques et périls,
il n’est pas possible, sauf à dénaturer la substance même de ces contrats, de
mettre à sa charge un transfert du risque sans lui reconnaître
concomitamment la liberté de gestion y afférente, ne serait-ce que parce que
le délégataire assume complètement le risque trafic. Celui-ci peut, en effet,
évoluer beaucoup moins vite que prévu, notamment sur les trajets à trafic
élevé, voire même régresser comme cela s’est
déjà produit sur l’autoroute
A8, alors que le trafic moyen journalier de cette autoroute est très élevé.
40.
Cette faculté laissée au concessionnaire, au demeurant limitée et
d’ailleurs reconnue par la Cour, de procéder à des différenciations de
hausses tarifaires s’impose d’autant plus que les sociétés concessionnaires
exercent leurs activités sur un marché pleinement concurrentiel. En effet, et
contrairement à ce qu’affirme la Cour , les sociétés concessionnaires ne sont
pas en situation de monopole naturel. Bien au contraire, elles subissent la
concurrence résultant de l’existence de modes alternatifs de transport : le
rail, la route ou encore le transport aérien, concurrence qui a d’ailleurs
vocation à se développer, comme l’a rappelé l’Etat à l’issue du Grenelle de
l’environnement. C’est d’ailleurs ce que le Conseil d’Etat a rappelé
formellement, puisqu’il a considéré dans son avis des 25 et 29 août 2005 que
la notion de monopole de fait doit «s’entendre compte tenu de l’ensemble du
marché intérieur à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises
113) Article 25.2.1 du cahier des charges d’ESCOTA.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
307
ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part des
autres entreprises ; qu’on ne saurait prendre en compte les positions
privilégiées que telle ou telle entreprise détient momentanément ou à l’égard
d’une production qui ne représente qu’une petite partie de ses activités. A cet
égard, les sociétés concessionnaires ne constituent pas des monopoles de fait
dès lors qu’il existe, pour chaque itinéraire autoroutier, un autre itinéraire
permettant de relier les deux points desservis. En outre, la circonstance que
l’exploitation des autoroutes prend la forme d’une concession exclusive ne
saurait conférer aux sociétés concessionnaires le caractère d’un monopole
de fait au sens de l’alinéa précité»
114
. Dès lors que cette question a été
expressément tranchée, la Cour ne peut pas ne pas en tenir compte dans son
analyse.
41
. En outre, la nature exacte des risques pesant sur les sociétés
concessionnaires doit s’examiner au regard du statut qui est le leur, celui de
sociétés exposées au risque du marché financier. Or, ce risque est d’autant
plus élevé que ces sociétés ont emprunté, à leurs risques et périls, des
sommes considérables sur le long terme, afin de financer les investissements
nécessaires à la construction, à l’amélioration
et à la rénovation du réseau
routier autoroutier qui leur a été concédé.
42
. Il n’est donc pas possible de faire abstraction de ces éléments de
risques pour mener l’analyse. C’est d’ailleurs tout le sens de la
jurisprudence, puisqu’elle fait précisément de ce transfert de risque un
élément caractéristique des contrats de concession les distinguant, par
exemple, de la régie intéressée ou des marchés de service, et qu’elle
considère, par ailleurs, que l’équilibre financier du contrat de concession
devant être défini de manière à garantir au concessionnaire un bénéfice
raisonnable,
l’autorité
concédante
a
l’obligation
de
garantir
le
concessionnaire contre les risques de concurrence
115
.
43. Il résulte de ce qui précède que le système tarifaire ne peut être
considéré comme faussement rigoureux.
B.
Des tarifs prétendument incohérents
44. Pour considérer que les tarifs pratiqués seraient incohérents, la
Cour relève qu’il existe « des divergences de hausses ou coefficients entre
sections de référence » et « des distorsions de grilles tarifaires ».
45. En se bornant à ce simple constat, la Cour méconnaît la logique
même du système et en tire des conséquences erronées.
114) Avis du Conseil d’Etat des 25 et 29 août 2005, Section des finances, n° 372.147.
115) CE, Ass. 16 avril 1986, n° 75.040, 75.087, 75.110 CLT, Rec. CE. 1986, p. 97.
308
COUR DES COMPTES
46
. En effet, et pour ce qui concerne « les divergences de hausses ou
de coefficients
», la Cour relève, à juste titre, que «les sociétés ne sont pas
tenues d’appliquer uniformément les hausses globales annuelles » et constate
que « certaines font ainsi varier fortement les hausses de TKM entre sections
de référence». Or, on précisera, tout d’abord, que les différences de taux
kilométriques doivent être distinguées des différences de prix. Les taux
kilométriques ne sont qu’un mode de détermination des prix, défini par les
dispositions contractuelles applicables et ne peuvent donc, à eux seuls,
caractériser un élément d’incohérence des tarifs.
47
. En outre, la divergence de hausses entre sections de référence ou
de coefficients de classe se justifie par la combinaison de plusieurs facteurs :
(i) la politique d’uniformisation progressive des taux kilométriques moyens,
pour un service rendu équivalent, à partir des taux kilométriques fixés à la
mise en service de chaque section, politique voulue par l’Etat et imposée aux
concessionnaires, (ii) la prise en compte de l’acceptabilité sociale du péage,
notamment en zone urbaine et périurbaine, (iii) la mise en oeuvre de hausses
spécifiques lors de l’intégration de sections ou d’échangeurs nouveaux, et
(iv) l’impossibilité d’augmenter d’une année sur l’autre tous les tarifs
élémentaires, du fait notamment de la règle de l’arrondi au décime le plus
proche, dans la mesure où elle génère des hausses élevées, en pourcentage,
pour les tarifs applicables aux courts trajets.
48.
On voit donc bien que la logique même du système conduit à des
divergences de hausses ou de coefficients, sans qu’il soit, pour autant,
possible de caractériser l’existence d’une quelconque incohérence.
49.
Pour ce qui a trait, cette fois-ci aux « distorsions de grilles
tarifaires »,
la Cour
souligne notamment l’existence de sections gratuites ou
l’hétérogénéité des tarifs au kilomètre.
50
. On relèvera que ce raisonnement est purement théorique, la
«gratuité» évoquée par la Cour,
n’étant, en effet, qu’une «gratuité
virtuelle», sans aucune réalité pour l’usager.
51.
En effet, la «gratuité» apparente de certains tronçons inclus dans
plusieurs trajets tient essentiellement à l’historique de l’établissement, puis
de l’évolution des tarifs soumis à un jeu de contraintes, tel que toutes ne sont
conciliables que si l’on prend en compte une période de temps suffisamment
longue. Notamment la règle des arrondis et le respect d’un temps minimal
entre deux hausses (qui ne peuvent être inférieures à 10 centimes d’euros),
pour lisser, dans la durée, l’effet d’une hausse sur des tarifs très faibles, font
que des distorsions peuvent se créer, pour ensuite s’atténuer voire
disparaître, faisant ainsi apparaître, à un moment donné, certains tronçons
comme «gratuits», lorsqu’ils sont parcourus au sein de certains trajets qui
les englobent.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
309
52.
Par ailleurs, pour les sections en système ouvert et pour les
sections d’extrémité d’un système fermé - lorsqu’elles comportent au-delà de
la barrière de péage en pleine voie, plusieurs entrées et sorties elles-mêmes
libres de péages -, le tarif de péage acquitté est nécessairement le même,
quelle que soit l’entrée ou la sortie, en système ouvert ou en section
d’extrémité en système fermé. Les différences de longueur des différents
trajets effectués pour un même
tarif de péage induisent,
dans ces cas, des
taux kilométriques différents, et donc une apparente gratuité de certains
tronçons. Dans ces deux cas, un calcul par différence pour faire apparaître
des «tronçons gratuits» inclus dans des trajets payants n’a alors aucun sens.
53.
Seuls peuvent donc être véritablement considérés comme gratuits,
les trajets pour lesquels les dispositions contractuelles prévoient qu’ils soient
totalement libres de péage.
54. Il suit de là que les tarifs de péage appliqués par la société
ESCOTA ne peuvent, en aucun cas, être qualifiés d’incohérents.
C.
Des tarifs prétendument opaques
55
. La Cour affirme que les clauses des cahiers des charges sur la
publicité des tarifs seraient vagues et désuètes et qu’aucune société
n’afficherait « ses prix unitaires, c'est-à-dire les tarifs kilométriques ». Elle
estime, à ce titre, qu’une «publicité compréhensible, par brochures et sur
Internet, des doubles grilles de péages et de tarifs kilométriques par
autoroute devrait être exigée».
56. ESCOTA considère que les affirmations de la Cour sont
erronées tant en droit, qu’en fait.
57.
On rappellera, tout d’abord, que la notion de tarif kilométrique,
en tant que prix unitaire, qui fonde tout entier le raisonnement de la Cour,
n’existe pas. Les cahiers des charges, qui définissent la nature des
obligations s’imposant aux concessionnaires, font référence aux tarifs de
péage, entendus comme les prix payés pour emprunter les différents trajets,
et introduisent, pour la détermination de ces tarifs, la notion de « taux
kilométrique moyen » (et non de « tarif kilométrique »), pour chaque section
de référence et non pour chaque trajet.
On ne voit pas, dans ces conditions,
comment il serait possible de soutenir que les sociétés concessionnaires
devraient publier un quelconque «tarif kilométrique».
58.
Au demeurant,
les dispositions
légales
et
contractuelles
applicables en matière de publicité s’imposent aux concessionnaires et
leur
caractère prétendument désuet ou non ne peut leur être imputé.
59
. Sur le fond, aucune opacité du dispositif mis en place ne peut être
caractérisée.
310
COUR DES COMPTES
60.
L’article 113-3 du Code de la consommation prévoit, en effet, que
«tout vendeur de produit ou tout prestataire de services doit, par voie de
marquage, d'étiquetage, d'affichage ou par tout autre procédé approprié,
informer le consommateur sur les prix, les limitations éventuelles de la
responsabilité contractuelle et les conditions particulières de la vente, selon
des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l'économie, après
consultation du Conseil national de la consommation».
61
. Pour l’application de ces dispositions législatives, le cahier des
charges définit les obligations des sociétés en matière de publicité des tarifs.
Ainsi, le cahier des charges ESCOTA prévoit-il que «L’ensemble des tarifs
applicables sur le réseau de la société, en vigueur, à la date de la publication
du décret approuvant le présent avenant, sont annexés au cahier des charges.
L’ensemble des tarifs en vigueur peuvent être consultés soit sur un serveur
télématique, soit auprès de la société concessionnaire […], soit auprès de la
direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes […] ou auprès de la direction des routes […]»
116
.
La référence
à un serveur télématique montre, à l’évidence, que les clauses des cahiers
des charges ne sont, en rien, désuètes, comme l’affirme la Cour.
62.
Ces dispositions, qui édictent des obligations précises en matière
de publicité, sont appliquées par la société ESCOTA.
C’est ainsi que la
société ESCOTA a spécifiquement édité une brochure largement accessible à
tous les usagers et retraçant l’ensemble de ses grilles tarifaires. Les
informations y figurant sont, en outre, publiées sur son site Internet dans une
rubrique complètement dédiée et intitulée de manière explicite «Tarifs».
63.
Il n’est donc pas possible de considérer que sa tarification serait,
d’une manière ou d’une autre, opaque, aucune disposition n’obligeant la
société, par ailleurs, à publier les taux kilométriques, lesquels ne sont pas
des «tarifs» mais des modalités de calcul des tarifs applicables aux différents
trajets effectués.
64. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaît donc bien que le
système tarifaire n’est ni faussement rigoureux, ni incohérent, ni opaque,
et que la publicité des tarifs, telle qu’elle est effectuée par la société
ESCOTA, est complète.
III
-
SUR LE CARACTERE PRETENDUMENT DEVENU TROP FAVORABLE DU
SYSTEME POUR LES CONCESSIONNAIRES
65.
Deux observations principales sont ici formulées par la Cour: (i)
les hausses de prix accordées par l’Etat seraient contestables compte tenu
notamment du mécanisme d’indexation et du caractère «mal étayé» des
hausses additionnelles et (ii) les sociétés concessionnaires mettraient en
oeuvre, dans un contexte de «rente de monopole», une politique de
116) Article 25.7 du cahier des charges d’ESCOTA.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
311
«maximisation» des recettes résultant de «l’effet de foisonnement» et de la
baisse des réductions pour les poids lourds.
66. ESCOTA considère que ces
observations ne sont pas fondées et
remettent en cause les fondements même des contrats de concession.
A .
Les hausses de prix accordées par l’Etat
67.
Pour ce qui concerne le principe de l’indexation, la Cour
relève
que le groupe ASF «s’est vu même accorder par ses cahiers des charges, à
l’ouverture de son capital en 2002, une hausse de base égale à 85 % de
l’inflation» et affirme que cette garantie «est d’autant plus critiquable que,
pour les concessionnaires d’autoroutes anciennes, l’achèvement des
programmes de construction et la fin de l’adossement font qu’ils n’ont plus
de nouvelles sections importantes à financer, que les anciennes autoroutes
sont elles mêmes progressivement amorties».
68.
Pour ce qui a trait, au caractère « mal étayé » des hausses
additionnelles, la Cour affirme que «tout nouvel investissement est compensé
aux concessionnaires, en particulier par des compléments de hausses
tarifaires. Mais les projections financières qui les fondent ne sont pas
publiques et n’ont pas été communiquées à titre d’exemples à la Cour».69.
69. ESCOTA considère que la seule lecture des dispositions
applicables suffit à établir que ces affirmations sont infondées.
70
. En effet, le principe de l’indexation
est expressément posé par les
dispositions applicables, le décret n° 95-81 du 24 janvier 1995
garantissant
aux concessionnaires, comme le rappelle d’ailleurs la Cour, une hausse des
péages au moins égale à 70 % de l’inflation. Le cahier des charges fixant
pour ESCOTA une hausse
au moins égale à 85 % de l’inflation, dans le
cadre des contrats de plan, est donc en tout point conforme aux dispositions
du décret précité, seul pertinent pour trancher cette question. Par
conséquent, et sauf à modifier les dispositions applicables et à indemniser les
concessionnaires à raison du bouleversement de l’économie du contrat qui
en résulterait, ce régime s’impose et doit régir la situation des sociétés
concessionnaires.
71
. Sur le fond, on rappellera, que l’équilibre financier du contrat
devant s’apprécier sur l’ensemble de sa durée, le niveau de la hausse ainsi
autorisée ne peut, par nature, être considéré comme critiquable.
72.
Par ailleurs, et pour ce qui concerne tant le mécanisme de
l’indexation que le caractère prétendument mal étayé des hausses
additionnelles
, il convient de rappeler que la loi tarifaire est établie sur la
base de simulations financières fournies par la société à l’autorité
concédante.
312
COUR DES COMPTES
73.
A ce titre, le cahier des charges règle expressément cette question
en prévoyant que la société doit fournir à l’autorité concédante «tous les
éléments d’information et de calcul nécessaires à la bonne application des
règles de calcul»
117
définis par le contrat de concession, le contrat de plan et
la réglementation en vigueur et qu’elle lui communique, par ailleurs, chaque
année, «une étude financière prévisionnelle portant sur l’équilibre comptable
de la concession» comprenant, notamment, pour la durée restant à courir, un
plan de financement ainsi que le programme des investissements à réaliser
sur les cinq années ultérieures
118
.
74.
Dans le même sens, le contrat de plan retrace la nature des
investissements réalisés par la société concessionnaire et les coûts y
afférents. Ce qui conduit bien à établir que, sur la période des cinq années
concernées, la loi tarifaire n’est pas définie autrement que sur la base de
simulations
financières prenant
en
compte
l’ensemble
des
charges
d’exploitation et les investissements à réaliser. On peut souligner, sur ce
sujet, que les programmes d’investissement sur autoroutes en service sont
très importants. C’est ainsi qu’au total 777 millions d’euros ont été inscrits
dans le contrat de plan ESCOTA pour 2007-2011.
75.
On voit donc bien déjà, que contrairement à ce que laisse entendre
la Cour, les mécanismes prévus par les dispositions applicables ne
conduisent en rien à l’octroi d’un avantage indu.
76.
Conformément à ces dispositions, ESCOTA a d’ailleurs toujours
communiqué à l’autorité concédante les éléments justifiant sa loi tarifaire et
elle a, de surcroît, transmis à la Cour les éléments qu’elle lui avait
demandés. Si Cour n’a pas pu vérifier la justification des hausses
additionnelles, acceptées par l’Etat et contractualisées, elle n’est pas pour
autant fondée à considérer que ces hausses seraient mal étayées.
B.
Les prétendues pratiques de «maximisation des recettes»
77. S’agissant du «foisonnement»
, notion introduite par la Cour
mais qu’elle ne définit nullement et dont elle précise, elle-même, que son
calcul exact est «compliqué», ESCOTA considère que le raisonnement
suivi est tout entier entaché de contradictions et d’erreurs.
78
. Il convient de rappeler que, contrairement à ce que la Cour laisse
croire, les hausses accordées ne concernent pas les recettes mais le seul taux
kilométrique moyen du réseau, ainsi qu’éventuellement les coefficients de
classe. A ce titre, ESCOTA a toujours publié des grilles tarifaires respectant
les hausses tarifaires autorisées, comme cela a d’ailleurs été vérifié chaque
année par la DGCCRF et la direction générale des routes.
117) Article 25.6 du cahier des charges d’ESCOTA.
118) Articles 35 du cahier des charges d’ESCOTA relatif au Compte rendu
d’exécution de la concession et aux informations transmises à l’autorité concédante.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
313
79
. Sur le fond, on rappellera, à nouveau, qu’aucune disposition du
cahier des charges n’interdit aux sociétés concessionnaires d’appliquer des
hausses tarifaires différenciées, bien au contraire. La Cour le relève, elle-
même, en soulignant que « les sociétés ne sont pas tenues d’appliquer
uniformément les hausses globales annuelles », et qu’«au sein des sections de
référence, le taux kilométrique moyen ne tient pas compte des volumes de
trafic et laisse les concessionnaires libres de concentrer les hausses de
péages et les tarifs élevés sur les tronçons ou les trajets les plus fréquentés au
sein de chaque section».
80.
Cette pratique est donc licite et ne peut, par principe, être remise
en cause. Elle résulte des termes même du contrat de concession, lequel
constitue la loi des parties.
81.
Ce qui est en réalité logique dans la mesure où les
concessionnaires assumant entièrement l’exploitation à leurs risques et
périls, seuls les tarifs, à la différence des recettes, sont déterminés selon des
règles fixées par le contrat de concession.
82
. Cette pratique est, d’ailleurs, conforme aux principes posés par le
Conseil d’Etat
comme il a été précédemment indiqué.
83
. En tout état de cause, cette pratique est induite par la nature et
l’économie même du système dans la mesure où elle ne constitue, en réalité,
qu’une
simple
contrepartie
aux
aléas
de
trafic
supportés
par
le
concessionnaire, entre autres de l’élasticité du trafic aux tarifs. Ainsi, et sauf
à méconnaître le principe même de la gestion de la concession aux risques et
périls du concessionnaire, il n’est pas possible de la considérer comme
contestable. D’autant que, comme il a été démontré, les sociétés
concessionnaires opèrent, non pas en «rente de monopole», mais sur un
marché pleinement concurrentiel et sont, par ailleurs, exposées aux risques
du marché financier.
84
. S’agissant des réductions pour les poids lourds
, la Cour relève
que «l’octroi de ces rabais s’effectuait à l’initiative des sociétés
concessionnaires au titre de leur politique commerciale. Leur diminution et
l’amélioration corrélative des recettes des concessionnaires n’ont pas été
compensées par une moindre hausse des tarifs accordés par l’Etat».
85
. Il convient de préciser que le contrat d’abonnement CAPLIS
octroyant des remises aux sociétés de transport, a été mis en place, non pas à
l’initiative des
sociétés, mais à la demande expresse de l’Etat. Dans la
mesure où l’objectif fixé par l’Etat était alors de diminuer les charges du
poste péage pour les transporteurs, l’octroi de ces remises n’a pas fait l’objet
de compensations tarifaires. Sa mise en place a donc pesé sur le chiffre
d’affaires des sociétés. L’adoption de la directive européenne 2006/38
modifiant la directive 1999/62 relative à la taxation des poids lourds pour
l’utilisation de certaines infrastructures, prévoyant un plafonnement à 13 %
des rabais accordés aux poids lourds, a conduit la société à réduire
314
COUR DES COMPTES
progressivement les pourcentages de remise accordés pour tendre vers ce
plafond. Cette évolution sera achevée au printemps 2008 avec la suppression
totale de l’abonnement CAPLIS et son remplacement par l’abonnement
télépéage PL respectant le plafond fixé par la directive. La mise en place de
ce nouvel abonnement télépéage PL a, d’ores et déjà, conduit à un
doublement du nombre d’entreprises bénéficiaires de ces remises.
L’exemple de l’abonnement CAPLIS montre, plus largement, que les
conditions commerciales offertes aux clients de la société ont un impact sur
les recettes, qui peut être positif ou négatif selon l’évolution de ces conditions
commerciales, du nombre d’abonnés et des chiffres d’affaires concernés,
impact qu’il convient en tout état de cause, de distinguer de l’effet des
hausses tarifaires proprement dit.
86.
Enfin, il convient également de tenir compte du fait que les
recettes de péage de la société augmentent à la suite des mises en service qui
interviennent en cours d’année, alors que les hausses tarifaires autorisées le
sont « à périmètre constant », un dispositif spécifique étant, par ailleurs,
prévu par le cahier des charges pour déterminer les tarifs de péage
applicables aux sections nouvelles.
87. Ainsi, force est de constater que le système n’est en rien devenu
trop favorable aux sociétés concessionnaires, mais se justifie par le
principe même de la gestion aux risques et périls du concessionnaire,
fondement du contrat de concession.
PARTIE 2 – POINTS SPECIFIQUES
ESCOTA souhaite rappeler qu’elle a produit, en septembre 2007, des
observations sur l’annexe 3, la concernant, du relevé de constatations
provisoires
sur
« La
privatisation
des
sociétés
d’économie
mixte
concessionnaires d’autoroutes – La tarification des autoroutes », sans avoir
eu connaissance du corps dudit relevé. ESCOTA y réitérait des objections qui
avaient été formulées antérieurement dans le cadre d’un contrôle de sa
gestion par la Cour pour la période 1999 – 2003. Or ces objections avaient
conduit la Cour à ne pas reprendre certaines de ses observations dans le
rapport particulier définitif. ESCOTA s’étonne donc de retrouver dans ce
nouveau projet de rapport des observations qui avaient été retirées
par la
Cour elle-même dans le cadre de cette précédente procédure. Ces
observations portent de façon générale sur l’appréciation que porte la Cour
sur le système dit de l’ « adossement » et sur ses conséquences, et sont
reprises dans la première partie de la présente réponse.
D’autres remarques nouvelles et particulières concernant ESCOTA
sont néanmoins apparues dans le nouveau projet d’insertion et il y est
apporté ci-dessous des précisions ou des réponses.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
315
IV
-
S
UR L
’
HOMOGENEISATION DES TARIFS
88
. Le contrat de plan 2007/2011 d’ESCOTA stipule, à l’Article 5.1.1.
que la Société s’efforcera de faire converger les taux kilométriques moyens
entre les sections de référence présentant des caractéristiques similaires. De
fait, pour ESCOTA, cette convergence doit se faire deux à deux entre d’une
part les sections à caractère urbain et en système de péage ouvert (A8 est et
A50), et d’autre part les sections à caractère interurbain à système de page
fermé (A8 ouest, A52, A57 et A51).
89.
C’est d’ailleurs dans cette perspective qu’à la demande du
Concédant, le nombre de sections de référence à été ramené de 6 à 4 en
2007.
90
. Ce phénomène de convergence, imposé à ESCOTA par son contrat
de plan, ne remet pas en cause le lien qui existe entre les tarifs et l’ensemble
des coûts, mesurés à l’échelle de l’ensemble du réseau concédé à ESCOTA,
et s’inscrit bien dans une lecture économique globale de la concession et de
la valeur du service rendu à l’usager.
V.
S
UR
LES
SECTIONS
GRATUITES
ET
LES
DISTORSIONS
DE
TAUX
KILOMETRIQUE
91.
La Cour relève qu’ESCOTA, entre autres concessionnaires,
recourt largement au système ouvert de péage, ce qui, selon la Cour,
contribuerait à rendre incompréhensibles les prix au kilomètre.
92.
L’existence du système ouvert résulte, pour ESCOTA, d’un choix
historique, guidé par sa meilleure adéquation au milieu urbain et périurbain.
En effet un tel système permet de limiter l’espace consommé par les gares de
péage d’une part, et le nombre moyen d’arrêts au péage par déplacement
d’autre part (au moins 2 en système fermé, entrée et sortie, moins de 2 en
moyenne en système ouvert). Certes, cela peut entraîner une distorsion des
prix ramenés au kilomètre, mais c’est la contrepartie du service rendu par la
fluidité des entrées ou sorties sans péage.
93
. Seul un tel système ouvert permet en outre de respecter les
obligations de gratuité qui sont imposées à la Société par son cahier des
charges (Avenant n° 11, Article 25.8), sans multiplier les barrières de péage
entourant ces sections gratuites.
94
. Par expérience, les clients n’interprètent pas, d’une manière
générale, les tarifs de péage au kilomètre mais en valeur absolue et, en
système ouvert, les sommes unitaires perçues sont très faibles, à tel point
qu’elles ne couvrent pas toujours les coûts de leur perception.
95
. A titre d’exemple, la Cour relève que le tarif kilométrique de la
section La Bédoule – Cassis de l’autoroute A50 ressort à 39,13 c€ (0,90 €
pour 2,3 km). Le calcul est exact mais non représentatif d’une volonté de sur-
tarification. De fait, ce trajet est inclus dans la section Aubagne Est – Cassis,
316
COUR DES COMPTES
tarifé lui aussi à 0,90 €. En effet, la section Aubagne Est – Carnoux – La
Bédoule est libre de péage pour le trafic interne, au titre de l’Article précité
du cahier des charges. Cette gratuité ne s’étend pas aux trajets Aubagne Est
– Cassis ou La Bédoule – Cassis. Comme le péage est perçu en système
ouvert à Cassis, il n’y a qu’un tarif unique qui correspond au trajet Aubagne
Est – Cassis, 0,90 € pour 8,9 km, soit 10,11 c€ par kilomètre, proche du TKM
de la section de référence correspondante A50 : 9,735 c€ au 01/02/07.
L’utilité publique de l’échangeur de La Bédoule ne faisant aucun doute, et le
système de perception du péage, ainsi que les tarifs correspondants, ayant
été validés par le Concédant, il est faux de dire que cette situation constitue
une distorsion des grilles tarifaires.
96
. Ce taux kilométrique ne peut pas être, non plus, comparé
directement à celui du trajet interurbain Saint-Maximin - Pas-de-Trêts, qui
représente, de par le tracé de l’autoroute, un allongement de trajet par
rapport au trajet direct par le réseau départemental. Une telle tarification
correspond donc bien à une volonté d’inciter les automobilistes à emprunter
l’autoroute, quatre fois plus sûre que le réseau non concédé, malgré un
allongement de la distance parcourue. Là encore, l’utilité publique d’une
telle incitation ne peut être contestée et ce tarif ne peut être considéré comme
constituant une distorsion de la grille tarifaire.
VI.
S
UR LA METHODE DE CALCUL DES HAUSSES TARIFAIRES
97.
La Cour indique qu’ESCOTA, à côté d’AREA et d’ASF, a une
méthode propre en matière de calcul des péages, mais ceci n’est pas étayé
par la suite. En effet, ce n’est pas avoir une méthode propre que de ne pas
intégrer les kilomètres non payants dans les calculs de la hausse tarifaire. Au
contraire, c’est la manière normale de faire. Autrement, outre le fait que le
trafic non payant est connu avec moins de précision que le trafic payant
mesuré par le système de péage, les hausses tarifaires en seraient faussées,
puisque pondérées par une part de trafic à tarif nul. Il est important de noter
à cet égard le niveau très élevé de trafic non payant sur le réseau ESCOTA,
du fait de décisions de l’Etat sur la gratuité de certaines sections très
circulées sur A.8, A.50 et A.57 (cf. article 25.8 du cahier des charges).
VII.
S
UR LA
«
MAXIMISATION DES RECETTES
»
98.
Tout en rappelant que le contrat de concession et le contrat de
plan encadrent les tarifs et non les recettes du concessionnaire, ESCOTA
relève que, dans le contexte de ce rapport et plus particulièrement d’un
chapitre traitant de la « maximisation des recettes », la note de bas de page
n°4 de la page 14 du projet de rapport stigmatise les tarifs d’ESCOTA de
manière infondée. En effet, telle qu’elle est rédigée, cette note de bas de page
peut prêter à confusion, n’étant pas précisé de quelle partie de l’A8 il est
question (A8 ouvert, A8 fermé), à quoi se rapporte la notion de « plus chère »
(construction, exploitation, tarif ) ni à quel réseau on le compare (réseau
ESCOTA, réseau concédé). Une correction serait souhaitable.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
317
99.
De fait, la politique de convergence des taux kilométriques moyens
entre sections de référence similaires, conformément à l’article 5.1.1.3 du
contrat de plan 2007/2011, aura pour effet de limiter la hausse moyenne sur
la section de référence A8 « ouvert » et d’aligner progressivement le taux
kilométrique moyen de l’A50 sur le niveau de l’A8 ouvert. Il serait faux d’en
conclure qu’ESCOTA tend à aligner ses tarifs « les plus bas » sur les tarifs
« les plus chers ». ESCOTA ne fait par là-même que se conformer à ses
obligations contractuelles et il ne pourrait lui en être fait grief.
RÉPONSE COMMUNE DU
DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES AUTOROUTES DU
NORD ET DE L'EST DE LA FRANCE (SANEF)
ET DU PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES
AUTOROUTES PARIS-NORMANDIE (SAPN)
Introduction
Les sociétés Sanef et SAPN ont toujours fait une application stricte
des contrats de concession et des contrats d’entreprise passés avec l’Etat et
en particulier, les hausses de tarifs proposées par Sanef et SAPN ont toujours
été conformes aux engagements contractuels et elles ont été validées par
l’Etat.
La Cour paraît souhaiter que l’administration fixe les recettes, c'est-
à-dire le chiffre d’affaires réalisé par le concessionnaire autoroutier, si tel
était le cas, il y aurait dès lors un changement radical du contrat de
concession signé avec l’Etat :
En effet dans un contrat de concession :
- d’une part, le concessionnaire n’a pas de garantie de recettes car il
n’est pas rémunéré par l’autorité concédante, comme dans le cas d’un
marché public de services ou d’un contrat de partenariat public privé, mais
par l’usager du service public. L’autorité concédante fixe une règle
d’évolution annuelle des tarifs que doivent acquitter
les usagers, mais non
les recettes du concessionnaire.
- d’autre part,
le contrat de concession est accordé aux risques et
périls du concessionnaire. En l’espèce, les risques sont multiples, il peut
s’agir à titre d’exemples : d’un trafic inférieur aux prévisions et qui menace
la rentabilité de l’investissement, des coûts des travaux, de la maintenance,
de l’exploitation, ou de décisions de l’Etat ou de Collectivités Territoriales
d’aménager des itinéraires routiers alternatifs, voire de construire des voies
de contournement des barrières de péage, ou encore de la politique de l’Etat
318
COUR DES COMPTES
qui peut décider de promouvoir des moyens de transport concurrents à
l’autoroute pour encourager le report modal du trafic au détriment de
l’autoroute.
1 – Selon la Cour, le système se serait éloigné de la référence juridique aux
coûts et serait économiquement incohérent
1.1
Le contexte historique de « l’adossement »
Historiquement, les
autoroutes concédées à Sanef et à SAPN ont été
décidées, financées, construites, mises en service et sont exploitées, dans le
contexte juridique dit de « l’adossement » à l’ensemble du réseau. Il s’agit
d’un système de péréquation financière dans lequel les autoroutes anciennes
à plus fort trafic, contribuent au financement de la construction et de
l’exploitation des sections autoroutières les plus récentes et à moindre trafic.
Cette pratique résultant de la politique d’aménagement du territoire de l’Etat
a permis le développement rapide du réseau autoroutier national, et a
contribué à un bon aménagement effectif
des territoires desservis.
Si la technique de « l’adossement » n’a juridiquement plus cours
depuis le 1
er
janvier 2001 pour les nouvelles concessions autoroutières, cette
pratique subsiste pour les concessions antérieurement accordées, ce qui est
notamment le cas des autoroutes concédées à Sanef ou à SAPN. Par
conséquent au sein du groupe Sanef et en vertu de l’adossement, la
rentabilité d’une section autoroutière ne peut s’analyser séparément mais
s’apprécie sur l’ensemble du réseau concédé.
1.2
Le système de « péage ouvert »
Les systèmes de « péage ouvert » existant sur les réseaux de Sanef et
de SAPN ont été décidés par l’Etat et figurent aux contrats de concession. Ils
consistent à faire payer un prix forfaitaire non proportionnel à la longueur
du trajet parcouru. Il peut ainsi exister plusieurs trajets possibles pour un
même péage. Pour des trajets courts, ce système est favorable à l’usager en
ne l’arrêtant qu’une seule fois au péage. Par ailleurs, ce système
permet de
faire cohabiter des trajets payants et des trajets gratuits entre deux barrières
de péage en pleine voie.
1.3
L’Etat définit des tarifs kilométriques moyens sur des « sections de
référence »
Le contrat de concession et le contrat d’entreprise de Sanef et de
SAPN signés avec l’Etat, fixent :
−
un système tarifaire appliqué à des « sections de référence », qui
donne une visibilité géographique forte lors de l’élaboration des
hausses de péage, ce qui ne ferait pas une pondération générale
indifférenciée par le chiffre d’affaire.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
319
−
des tarifs kilométriques moyens et non des tarifs kilométriques
unitaires, ce qui dès lors suppose une marge de manoeuvre du
concessionnaire dans les limites fixées par la loi et notamment
s’agissant de la règle d’égalité de traitement entre les usagers.
Il faut noter, à titre d’illustration de la complexité de modification
d’un barème de tarifs, que sur le réseau Sanef il y a plus de 4300 tarifs
différents et qu’à chaque hausse, la moitié environ ne sont pas modifiés,
notamment pour des raisons d’arrondis aux dix centimes d’euros.
1.4
Les tarifs de péage et l’égalité de traitement entre les usagers
L’article L. 122-4 du Code de la voirie routière fait du tarif la
résultante de l’équilibre financier des concessions, de sorte que les tarifs
kilométriques varient, selon les sociétés concessionnaires et selon les
concessions. La loi autorise ainsi, implicitement mais nécessairement, une
telle « distorsion. » La seule discrimination prohibée par le Code de la voirie
routière à l’article L. 122-4-1 concerne les poids lourds et les
discriminations selon leur nationalité.
Ainsi, sur une même autoroute située à la jonction de deux
concessions, les tarifs kilométriques peuvent varier assez sensiblement selon
que l’on se situe sur l’une ou l’autre des concessions, alors même qu’il s’agit
du même itinéraire.
La jurisprudence du Conseil d'Etat en matière de péages a, depuis de
nombreuses années, admis les différenciations tarifaires en se fondant sur
l'existence de différences de situations appréciables entre usagers et/ou sur
des motifs d'intérêt général.
1.5 Des tarifs modulés existent également chez d’autres gestionnaires
d’infrastructures de transports
−
les péages ferroviaires comportent
des modulations importantes,
en application du décret n° 97-446 du 5 mai 1997 relatif aux
redevances d'utilisation du réseau ferré national perçues au profit
de Réseau Ferré de France, lequel dispose que les redevances
"tiennent notamment compte du coût de l'infrastructure du réseau
ferré national, de la situation du marché des transports et des
caractéristiques de l'offre et de la demande, des impératifs de
l'utilisation optimale du réseau ferré national, du coût des effets
sur
l'environnement
de
l'exploitation
des
trains
et
de
l'harmonisation des conditions de la concurrence intermodale."
−
les péages perçus par Voies Navigables de France (VNF) ne sont
pas davantage uniformes. En application de l'article 124 de la loi
de finances pour 1991, VNF est autorisé à percevoir des péages
pour l'utilisation du domaine public fluvial dont il assure
l'exploitation. Ces redevances fixées par une délibération de son
conseil d'administration en date du 4 avril 2007 comportent un
320
COUR DES COMPTES
droit d'accès au réseau progressif en fonction du tonnage du
bateau et un terme variable exprimé en tonnes par kilomètres qui
prend en compte la longueur du trajet et le volume de
marchandises transportées.
−
les
redevances
aéroportuaires
comportent
également
des
modulations.
2 – Selon la Cour, le système serait devenu trop favorable aux
concessionnaires
2.1
Des hausses tarifaires différenciées par société
Conformément à l’article L. 122-4 du Code de la voirie routière, les
hausses tarifaires sont différenciées par société en fonction des charges.
Ainsi concernant SAPN, l’état d’endettement de cette société
provenant d‘un programme d’investissement demandé par l’Etat, trop élevé
par rapport à sa capacité financière, justifie que lors du contrat d’entreprise
2004-2008 en cours d’exécution, celle-ci se voit vue accorder la hausse la
plus élevée du secteur autoroutier. De plus le programme d’investissement de
SAPN prévu au contrat d’entreprise
pour la période 2004-2008 est
important, puisqu’il atteint un montant de près de 290 millions d’Euros, soit
l’équivalent d’un an de chiffre d’affaires. En vertu de ce programme
d’investissement, SAPN doit : élargir à trois voies
une partie de l’autoroute
A13, réaliser un nouveau diffuseur sur l’autoroute A14 et créer deux
nouveaux barreaux autoroutiers entre l’autoroute A13 et la RN13 à Caen et
à Chaufour.
Concernant Sanef, la hausse tarifaire annuelle pour les années 2005 à
2008 pour les véhicules de classe 1 est fixée à 80% du taux de l’évolution des
prix hors tabac assorti d’une majoration additionnelle de 0,455%. Cette
majoration additionnelle a pour objet de compenser les charges nouvelles
découlant du 7
ème
avenant, notamment le remboursement des études et des
travaux préliminaires en Île-de-France sur A16 jusqu’au BIP (Boulevard
Intercommunal du Parisis : projet abandonné par l’Etat), des travaux de
prolongation d’A16 en Île-de-France jusqu’à l’A104, les surcoûts liés à la
Ligne à Grande Vitesse Est sur le contournement sud de Reims.
Enfin
pour les deux sociétés précitées, la hausse tarifaire pour la
période 2004-2008, tient compte
de la renonciation au « crédit de départ
TVA » auquel avaient droit les sociétés lors de l’introduction sur le péage de
la TVA à compter du 1
er
janvier 2001
et du décalage de la date de la hausse
annuelle contractuellement prévue le 1
er
février au 1
er
décembre pour la
période 2004 - 2008.
LES PÉAGES AUTOROUTIERS
321
2.2
Une politique tarifaire continûment validée par l’Etat et base de la
valorisation du Groupe Sanef lors de l’introduction en bourse et lors de la
privatisation
L’Etat a approuvé continûment la politique tarifaire proposée par la
société Sanef et la société SAPN en vertu du décret de 1995 précité et des
contrats d’entreprise successifs antérieurement à la privatisation de Sanef
intervenue en février 2005 et a continué de le faire l’année qui a suivi la
privatisation.
En conséquence, c’est sur la base de cette politique tarifaire qu’a été
établie la
valorisation de la société Sanef lorsque celle-ci a été introduite en
bourse, puis privatisée.
2.3
Des tarifs publiés conformément à la réglementation applicable
Le groupe Sanef ne cherche pas à « rendre ses tarifs opaques »
comme le suggère la Cour, il est fait une stricte application de l’arrêté
n° 76-68/P du 8 juillet 1976 (BOCC du 10 juillet 1976) relatif à la publicité
des péages autoroutiers qui prescrit la publication des tarifs des trajets et
non des taux kilométriques.
Ainsi, les tarifs de tous les trajets et pour toutes les catégories, sont
disponibles dès leur date d'application sur les sites
Internet Sanef.com et
SAPN.fr et sont d'ailleurs utilisés par différents sites de calcul d'itinéraires.
Par ailleurs, dans chaque gare de péage, des affichettes indiquent
pour les différentes classes les tarifs des trajets correspondants.
Enfin un dépliant indiquant sous forme de grille pour chacune des
cinq classes les tarifs pour l'ensemble des trajets est disponible à la demande
des clients.
Conclusion
Les sociétés Sanef et SAPN ont toujours fait une application stricte
des contrats de concession et des contrats d’entreprise passés avec l’Etat et
en particulier, les hausses de tarifs proposées par Sanef et SAPN ont toujours
été conformes aux engagements contractuels et elles ont été validées par
l’Etat.
Si l’Etat souhaitait améliorer la lisibilité du système de la hausse
tarifaire tel que prévu par les contrats de concession et les contrats
d’entreprise, les sociétés du groupe Sanef sont ouvertes à la négociation des
avenants correspondants, dans le respect des principes développés par la
jurisprudence du Conseil d’Etat relative au maintien de l’équilibre
économique des concessions.