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Chapitre VII
:
Soins de suite et de réadaptation,
soins psychiatriques, accueil des
personnes âgées dépendantes
et des personnes handicapées :
dix ans de réformes inabouties
du financement des établissements
et services
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_____________________ PRÉSENTATION_____________________
En 2009 et 2010, dans la continuité de la réforme appliquée à
partir de 2004 aux soins aigus (MCO)
356
, le ministère de la santé a
envisagé, pour les établissement de santé, des réformes du financement des
soins de psychiatrie et des soins de suite et de réadaptation
357
(SSR). Une
démarche analogue de réforme globale du financement a également été
envisagée à la même période dans le domaine médico-social, pour les soins
délivrés dans les établissements d’hébergement pour les personnes âgées
(Ehpad) et pour les diverses catégories de services
358
et d’établissements
médico-sociaux pour les personnes handicapées (ESMS-PH). Ainsi, quatre
chantiers majeurs de réforme des modalités de financement ont été
engagés parallèlement.
Les quatre domaines concernés constituent des enjeux financiers
lourds en matière de financements publics, représentant chaque année
pour l’assurance maladie près 18,5 Md€ de dépenses dans le champ
sanitaire et plus de 20 Md€ dans le champ médico
-social, auxquelles
s’ajoutent plus de 9 Md€ de dépenses des conseils départementaux.
Chaque chantier a ses spécificités et sa temporalité. Mais ils répondent aux
mêmes objectifs : prendre en compte la lourdeur relative des besoins des
patients, afin de favoriser des soins adaptés, dans une logique de parcours
et de gradation, par la promotion de l’ambulatoire notamment ou du
maintien à domicile ; rompre avec la reconduction de dotations aux
montants fondés sur des bases historiques, devenues sans justification ;
rapprocher les modalités de financement des établissements de statuts
différents, public, privé d’intérêt collectif
ou privé lucratif ; réduire les
inégalités territoriales de répartition de l’offre en établissement. Ils
supposent, en outre, tous, de mieux connaître la réalité des besoins des
usagers, mais aussi de disposer d’indicateurs d’activité et de performance
financière ou de qualité de la prise en charge.
Au cours de la décennie 2010-2020, ces quatre chantiers ont été
menés de front, de même d’ailleurs que celui de l’adaptation des modalités
de financement du MCO. Leur conduite s’avérant complexe, ils n’ont
avancé que difficilement. En 2018, les réformes relatives aux SSR et à la
psychiatrie ont été relancées, avec des modèles rénovés.
356
Les soins de médecine, chirurgie et obstétrique, ou « MCO ».
357
Le projet de décret relatif aux autorisations d’activité les renomme «
soins médicaux
et de réadaptation ». La terminologie encore en vigueur a été maintenue ici.
358
Le cas particulier de la recherche d’un modèle tarifaire pour les Services de soins
infirmiers à domicile (Ssiad) n’est pas examiné ici.
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268
S’il est trop tôt pour tirer un bilan complet, les progrès enregistrés
restent très partiels au bout de dix ans (I). Or l’absence ou l’insuffisance
des progrès de réformes du financement serait dommageable à la stratégie
de gradation des soins ou de transformation vers des modalités plus
inclusives. Dans les deux domaines sanitaires examinés, psychiatrie et
SSR, où de nombreux arbitrages restent pendants, comme pour les deux
réformes tarifaires du champ médico-social, encore inachevées, il paraît
indispensable de perfectionner les modèles et d’adopter une méthode de
pilotage rénovée (II).
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ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
269
I -
Des réformes inabouties
Compte tenu de l
’importance des enjeux et de l’existence de
précédents ou de références, il est apparu logique d’entreprendre des
réformes d’ampleur (A). Mais celles
-
ci n’ont que très partiellement abouti
(B), se traduisant surtout par des progrès dans les outils de connaissance de
l’activité mais encore très peu par des dispositifs réformant la répartition
effective des financements (C).
A -
Des réformes apparues nécessaires,
des réorientations récentes
1 -
Des enjeux pour les usagers
En 2019, plus d’un million de personnes
359
ont été hospitalisées dans
les 1 625 établissements de santé de soins de suite et de réadaptation. Plus
de 425 000 personnes
360
l’ont été
dans les 617 structures fournissant des
soins psychiatriques.
Dans le secteur médico-social, fin 2019, 7 519 Ehpad accueillaient
près de 600 000
361
personnes âgées dépendantes, à titre permanent ou
temporaire.
Plus
de
400 000
personnes
handicapées
362
étaient
accompagnés par les établissements et services médico-sociaux (ESMS).
Si les besoins des personnes concernées sont évidemment différents
(convalescence et rétablissement en sortir d’un séjour hospitalier, prise en
charge de troubles psychiques plus ou moins sévères, personnes âgées peu
ou pas autonomes et personnes en situation de handicap), ces besoins
évoluent, une même personne pouvant être amenée à être prise en charge
successivement dans des établissements relevant de domaines différents (une
sortie d’un établissement de santé mentale se faisant par exemple vers un
foyer pour adultes handicapés). La fluidité des parcours des personnes,
souvent longs et complexes, implique que les modalités tarifaires de leur
prise en charge, d’un domaine à l’autre, obéissent à des logiques cohérentes.
359
Selon l’Agence technique de l’hospitalisation (ATIH), 37
000 enfants de moins de
18 ans, 615 000 adultes de moins de 80 ans, 371 000 adultes de 80 ans et plus.
360
Selon la Drees, 45 223 enfants de moins de 16 ans, 381 975 adultes de 16 ans et plus.
361
600 000 places étaient disponibles selon la CNSA.
362
161 955 places pour les enfants et 344 991 places pour les adultes étaient disponibles
selon la CNSA.
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270
Les modèles de financement orientent aussi, au moins en partie, le
comportement
des
professionnels
de
santé
et
des
gestionnaires
d’établissements, en complément des autres leviers réglementaires que sont
notamment les autorisations d’activités ou la contractualisation entre les
tutelles et les établissements.
Un système de financement peut ainsi générer des effets
dommageables,
contraires
à
l’intérêt
des
patients
,
comme
des
hospitalisations non justifiées ou un allongement de la durée des séjours,
ou contribuer à une éventuelle
insuffisance de l’enc
adrement médical ou
en soins, …
À l’inverse,
des modalités de financement plus pertinentes
peuvent dans une certaine mesure favoriser de meilleures pratiques de soins
ou récompenser des efforts et des résultats, en particulier en matière de
qualité et de pertinence des soins en fonction des besoins des patients.
2 -
Des enjeux financiers
En 2019, dans le champ sanitaire, l’assurance maladie versait
18,4
Md€ aux établissements de santé, publics ou privé (sans ou à but
lucratif), autorisés au titre des soins de suite et de réadaptation ou de la
santé mentale.
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SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION, SOINS PSYCHIATRIQUES,
ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
271
Tableau n° 26 :
dépenses d’assurance maladie pour les établissements
de soins de suite et de réadaptation et de psychiatrie
(en M
)
363
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Évolu-
tion 2011-
2019
SSR
Total
7683
7873
8048
8307
8324
8315
8545
8516
8613
1,4 %
DAF
5834
5917
5997
6163
6127
6078
6177
6201
6276
0,9 %
Dont MIGAC SSR
12
141
150
153
Dont dotation
modulée
à l’Activité SSR
501
589
589
Dont IFAQ SSR
7
19
OQN
1849
1956
2052
2144
2197
2237
2368
2315
2337
3,0 %
Dont MIGAC SSR
17
21
15
Dont Dotation
modulée
à l’activité SSR
209
257
259
Dont IFAQ
SSR
6
10
Psy
Total
8991
9147
9319
9367
9451
9498
9606
9646
9790
1,1 %
DAF
8385
8512
8665
8692
8763
8797
8897
8921
9026
0,9 %
OQN
606
635
654
676
688
701
709
724
765
2,9 %
Total :
16674
17021
17367
17675
17775
17813
18151
18161
18403
1,2 %
Source : États financiers des ARS
Dans le secteur médico-
social, les dépenses de l’assurance maladie
atteignaien
t 20 Md € en 2019 au titre des Ehpad et des ESMS.
La dépense
publique est toutefois encore plus importante, si sont également prises en
compte celles des
conseils départementaux, destinées à couvrir l’allocation
personnalisée pour l’autonomie versée aux résidents en Ehpad présentant
une perte d’autonomie, ainsi que l’aide sociale aux personnes ne disposant
pas des ressources suffisantes pour faire face aux
frais d’hébergement en
établissement médico-social.
363
Comme dans les autres champs des activités en établissements sanitaires, on
distingue trois catégories juridiques, établissements publics, établissements de santé
privés d’intérêt collectif (Espic) et clinique
s privées à but lucratif. Mais sur le plan du
financement, c’est une autre distinction qui s’impose entre, d’un côté, les établissements
du service public hospitalier, qui englobe tous les établissements publics et la quasi-
totalité des Espic (DAF), et, de
l’autre, les établissements privés financés par des
modalités distinctes (OQN).
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272
Tableau n° 27 :
dépenses publiques pour les établissements
médico-sociaux (2011-2019)
En M€
2011
2012
2013
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Évolution
2011-19
EHPAD
Total
9482
10261
10675
10990
11288
11543
11828
12097
12514
3,0 %
ARS
6595
6935
7271
7520
7702
7899
8124
8383
8790
3,7 %
Conseils
départementaux
APA
2028
2106
2182
2257
2338
2385
2431
2452
2475
2,5 %
Aide sociale à
l’hébergement (1)
1219
1220
1222
1213
1248
1259
1273
1262
1249
0,3 %
PH
Total
14351
14637
15073
15552
15878
16141
16444
16657
17017
2,2 %
ARS hors ESAT
8634
8744
9064
9321
9497
9652
9799
10007
10230
2,1 %
ESAT
1398
1416
1438
1451
1462
1469
1518
1534
1584
1,6 %
Aide sociale à
l’
hébergement (2)
4319
4477
4570
4780
4919
5020
5127
5116
5204
2,4 %
Total
24192
24898
25748
26542
27166
27684
28272
28754
29532
2,5 %
Note : les dépense
s d’APA et ASH incluent également celles versées au titre de résidents en E
hpad, USLD et
résidence autonomie
Source : états financiers des ARS, Drees
enquête aide sociale. (1) Les dépenses d’ASH sont nettes des récupérations
sur tiers payants et successions. (2) y compris accueil de jour
3 -
Des réformes aux objectifs multiples
À la fin des années 2000, alors que le secteur du MCO connaissait
une réforme majeure à travers l’introduction de la tarification à l’activité
(« la T2A
»), l’orientation a été prise
de rénover également en profondeur
les modalités de financement des établissements sanitaires, délivrant les
soins de suite et de réadaptation et les soins psychiatriques, et des
établissements médicosociaux.
Fondés sur des bases historiques, ces financements ne permettaient
pas une allocation des ressources budgétaires conforme aux besoins de la
population et au développement de l’activité des établissements. Pour les
quatre secteurs, l’objectif commun a ainsi été de rompre avec le système
de dotations globales, appliqué à tout le champ du médicosocial et
également à la grande majorité des établissements sanitaires, notamment
publics et à but non lucratifs, en SSR et psychiatrie.
Il s’agissait de parvenir à des financements plus équilibrés, entre
acteurs et entre territoires, et de mieux mobiliser les moyens en favorisant
le développement de l’activité des établissements de soins de SSR et
psychiatriques à travers des tarifs
. Il s’agissait également, pour le secteur
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ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
273
sanitaire, de mettre fin à la dichotomie existant avec le secteur privé,
financé principalement par des prix de journées.
4 -
Des modèles de financement mixte, en cohérence
avec la réorientation de la T2A dans le champ MCO
À la fin de la dernière décennie, devant les critiques accrues à
l’égard des e
ffets de la T2A sur le champ MCO, deux rapports
364
ont
recommandé une diversification des modes de financement afin de corriger
certains effets négatifs potentiels de la tarification à l’activité, notamment
en matière de qualité et de pertinence des soins.
L’appréciation évolutive des effets de la T2A dans le champ MCO
Les modalités de financement des séjours hospitaliers en MCO
relèvent majoritairement de la tarification à l’activité, dite T2A, qui se
fonde
sur des forfaits par séjour fixés par groupes d’ac
tivité (groupes homogènes
de malades, GHM), construits à partir d’une description fine de l’activité
hospitalière. Ces financements à l’activité sont toutefois complétés par des
dotations, dites missions d’intérêt général et d’aides à la contractualisation
(Migac). La Cour a décrit déjà
l’introduction de cette réforme
365
et a plus
récemment souligné la nécessité d’évolutions de ses modalités
.
366
Les premiers bilans de mise en œuvre du modèle de la T2A, dans le
champ MCO apparaissaient au début des années 2010 globalement positifs,
en stimulant notamment la productivité des établissements et leur capacité
à développer de l’activité en réponse aux besoins.
364
«
L’évolution des modes de financement des établissements de santé, une nouvelle
échelle de valeur », Dr Olivier Véran, 2017 et « Les réformes des modes de financement
et de régulation, vers un modèle de paiement combiné », Jean-Marc Aubert, Task Force
« Réforme du financement du système de santé », janvier 2019.
365
Cour des comptes, «
La mise en œuvre de la T2A
: bilan à mi-parcours », octobre
2009, «
Tarification à l’activit
é et convergence tarifaire », octobre 2010, « Les
financements par dotation aux établissements de santé (Migac et FIR) : une
simplification nécessaire », octobre 2020 in
La Sécurité sociale
rapport d’application
des lois de financement de la sécurité sociale
, La Documentation française, disponible
sur www.ccomptes.fr.
366
Cour des comptes, «
L’avenir de l’assurance maladie
», rapport public thématique,
2017, pages. 88 à 90.
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274
Divers effets pervers ont, ensuite, été mis en avant, avec des
retentissements potentiels significatifs pour les patients : la qualité des soins
pourrait être altérée si elle n’est pas suffisamment valorisée. En outre, la
fluidité et la pertinence des parcours des patients entre les différents secteurs
de soins ne sont pas favorisées, chaque opérateur étant incité à développer ou
à optimiser son offre sans rechercher une coordination avec les autres acteurs.
L’orientation prise par les pouvoirs publics consiste depuis 2018,
pour l’ensemble du champ sanitaire, à chercher à développer, au côté des
financements au séjour, des compartiments complémentaires, notamment
pour inciter à la qualité des soins ou pour tendre, à travers des dotations,
dites populationnelles, vers une meilleure répartition des financements
entre régions et territoires.
De la sorte, un cadre d
’ensemble semble susceptible d’être trouvé,
applicable au moins en partie aux soins fournis dans le secteur
médicosocial, même si les travaux relatifs à des indicateurs de qualité,
notamment, y sont moins avancés.
B -
Une mise
en œuvre encore très partielle
au terme de la décennie
Le bilan établi de manière synthétique par la Cour fait apparaître la
lenteur des avancées par rapport aux objectifs fixés au début des années
2010, ainsi révisés : le système des dotations historiques demeure
prépondérant en 2021. La seule exception est celle du secteur des Ehpad,
majoritairement
financé
par
l’assurance
maladie
et
les
conseils
départementaux, en fonction des capacités d’accueil, du taux d’occupation
et de la lourdeur relative des prises en charge, financements ainsi
i
ndirectement liés à la réalité de l’activité des établissements.
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HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
275
Tableau n° 28 :
structure de financement des établissements
2010
2021
Activité
Forfaits
Activité
Forfaits
SSR
22 %
78 %
31 %
69 %
Psychiatrie
7 %
93 %
8 %
92 %
Ehpad
0 %
100 %
90 %
10 %
Personnes Handicapées
0 %
100 %
0 %
100 %
Source : estimations Cour des comptes
Note
: pour les Ehpad l’estimation recouvre à la fois les parties soins et dépendance
; les dotations
prenant en compte la lourdeur des cas sont considérées comme assises sur l’activité.
L’analyse de chacun des quatre chantiers étudiés par la Cour ne peut
être détaillée ici. Quelques éléments méritent cependant d’être rappelés,
qui reflètent les efforts déployés au cours de la décennie pour essayer
d’adapter les modèles de financement, d’abord selon l’activité, puis à partir
de 2018 en « combinaison
» avec d’autres paramètres.
1 -
Pour les SSR, un modèle à préciser
La réforme du financement des SSR a été engagée en 2009, inspirée
directement de la démarche mise en œuvre pour le MCO. L’activit
é des
établissements devait être décrite à partir de groupes homogènes de
patients, selon des pathologies principales et des échelles de sévérité, pour
fonder un système de paiements prospectifs
367
. L’ambition initiale était de
mettre en œuvre ces nouveaux o
utils dès 2012. Toutefois, au vu de la
diversité des soins délivrés dans les établissements SSR et de la difficulté
d’identifier des groupes homogènes de patients au regard du coût des soins
reçus, la réforme a d’abord été repoussée à 2013, puis à 2016.
367
Un paiement prospectif consiste à verser au producteur de soins des montants fixés
antérieurement à la période de production des soins.
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276
Un modèle cible a ainsi été fixé par la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2016. Il s’agissait de verser aux établissements des dotations
modulées selon leur activité, lissée sur trois ans. Quatre compléments de
dotation devaient être également attribués
368
. Cette réforme devait entrer en
vigueur progressivement à partir de 2017. Pourtant, le processus de mise en
œuvre s’est interrompu,
en raison de l’importance des effets de transferts de
ressources entre établissements « gagnants » et « perdants
» et d’une
nomenclature des groupes homogènes de malades, jugée encore trop
imparfaite selon les fédérations
professionnelles d’établissements
369
. En
conséquence, seule la première étape de la transition a été mise en œuvre, si
bien qu’en 2019 seulement 10 % des financements attribués l’étaient selon
les règles du modèle défini en 2016.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a ajusté le
modèle de financement. Le financement à l’activité
pourrait s’élever à
environ 50 % du total des financements attribués, et serait, notamment,
complété par deux compartiments : une dotation dite « populationnelle »,
destinée à favoriser une répartition de l’offre en soins plus équitable entre
régions et entre territoires au sein d’une même région
370
, qui pourrait être
de l’ordre de 30
% ; et une dotation dite de « transformation » à hauteur de
5 %, destinée à accompagner « la résorption des écarts entre régions en
matière de prise en charge ». La définition de ces deux enveloppes est
cependant demeurée jusqu’ici
très imprécise.
2 -
Pour la psychiatrie, des travaux encore inachevés
Inscrite dans la continuité de premiers travaux engagés dans les
années 1990, la réforme du modèle de financement pour les établissements
autorisés en psychiatrie a d’abord cherché à valoriser l’activité, à l’image
du modèle MCO, en fonction de groupes homogènes de patients, définis
par croisement des diagnostics et les échelles individuelles de sévérité.
368
Pour assurer le financement des molécules pharmaceutiques onéreuses, celui de plateaux
techniques spécifiques (balnéothérapie, assistance robotisée des membres inférieurs ou
supérieurs…) et celui de missions d’intérêt général. En outre, un financement au titre de
l’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins a été prévu, à l’image de celui introduit
en MCO (dotation dite « Ifaq », ou « incitation financière à la qualité »).
369
La nomenclature
fait l’objet de travaux d’enrichissement qui se poursuivaient en
2020 (voir infra).
370
Cette dotation fait l’objet de plusieurs phases de répartition
: à partir de critères
démographiques pondérés, entre les régions (ce qui permet de progressivement réduire
les disparités), puis au sein des régions, entre territoires de santé ou directement entre
établissements, selon les choix des régions et sans doute l’importance relative des
activités, dans la région ou les territoires concernés.
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SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION, SOINS PSYCHIATRIQUES,
ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
277
Cette approche a cependant rencontré les réticences des professionnels
Deux évolutions ont alors été privilégiées.
La première a consisté à chercher à se référer aux coûts des
différentes structures. Des études de coûts ont, récemment, été menées,
pour les années 2015 et 2016, afin de mesurer et expliquer la dispersion
des coûts élémentaires des différentes structures du secteur (centres
médico-
psychologiques, services d’hospitalisation à temps plein, …). Le
contenu des missions exercées par ces structures, dont les organisations
locales peuvent fortement varier, est cependant peu réglementé. Cette voie
s’est donc révélé insuffisamment concluante.
La seconde a consisté à pratiquer des « péréquations » entre régions
et au sein de celles-ci, entre établissements, sur la base de paramètres
« populationnels »
371
. La réforme adoptée en loi de financement de la
sécurité sociale pour 2020 a confirmé cette démarche : au sein des
multiples « compartiments, la dotation dite « populationnelle » pourrait
ainsi représenter 80 % environ du financement total par l’assurance
maladie obligatoire des établissements du service public.
En raison de la crise sanitaire, la loi de financement de la sécurité
sociale pour 2021 a repoussé d’un an le délai prévu de mise en œuvre des
réformes pour la psychiatrie et les SSR, les Agences régionales de santé
(ARS) ne pouvant se consacrer suffisamment au travail complexe de
détermination et d’arbitrage des dotations sur ces nouvelles bases.
3 -
Pour les Ehpad, une réforme mise en œuvre difficilement
Le financement des Ehpad est réparti depuis la fin des années 1990
entre trois « sections », supposées étanches, décrivant respectivement les
budgets : des soins, financés par l’assurance maladie
; de la prise en charge
de la dépendance, financée par le conseil départemental, après application
d’un ticket modérateur dépendant du revenu à
la charge des résidents ; de
l’hébergement, financé par les résidents, sous réserve d’une contribution
de l’aide sociale départementale pour les résidents les plus modestes, dans
les établissements habilités. L’introduction d’échelles de sévérité (avec
d’a
bord la grille dite Aggir, relative au niveau de dépendance, puis celle
dite Pathos, relative aux besoins en soins), visait à réduire les disparités de
financement entre établissements. Des mécanismes de convergence, tenant
371
Notamment selon l’â
ge moyen et les niveaux de précarité relatifs.
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COUR DES COMPTES
278
compte de la sévérité des cas, ont ainsi pu être introduits dès 1999, avec la
définition d’un plancher, puis d’un plafond aux dotations à partir de 2008.
L’étape suivante a consisté à calculer les forfaits finançant les soins
et la dépendance directement à partir d’équations fondées sur
des mesures
périodiques des besoins des résidents, évalués selon les grilles Aggir et
Pathos. Une première tentative de réforme en ce sens, en 2009, n’a pas
abouti, faute de publication du décret d’application pourtant transmis au
Conseil d’État
372
. Fin 2015, la loi dite «
d’adaptation de la société au
vieillissement » a confirmé ce principe de tarification : les mesures
réglementaires d’application, publiées fin 2016, prévoyaient une mise en
œuvre progressive de 2017 à 2023
373
. Mais les nouvelles modalités de
calcul du forfait dépendance générant des pertes de recettes pour 20 à 25
% des établissements, des tensions sociales sont survenues à l’automne
2017, nécessitant l’intervention d’une médiation. Le Gouvernement a
décidé de poursuivre la réforme, l’assuranc
e maladie étant sollicitée pour
financer des versements complémentaires aux établissements perdants
374
,
pour un surcoût cumulé annuel d’environ 1
30
M€ en 202
1
375
.
4 -
Pour les ESMS-PH, un chantier de très longue durée
Les établissements et services médico-sociaux qui accueillent des
personnes handicapées (ESMS) sont très divers, par les publics accueillis,
leurs régimes juridiques ou encore la répartition
de l’origine des
financements entre l’assurance maladie et les conseils départementaux.
Mais au sein de chaque catégorie d’établissements ou services, la diversité
des modes d’organisation,
du niveau de prestations et de leur coût est
également très marquée, comme le montre le tableau ci-après
376
.
372
Le caractère automatique de la formule avait généré des interrogations, dans la
mesure où elle ne laissait plus de place à la négociation avec l’autorité tarificatrice.
373
Calendrier avancé par la suite à 2021 pour la section relative aux soins conduisant à
un écart à la cible pour cette section de l’ordre de 2 % pour les convergences à la baisse
et de 3 % pour les convergence à la hausse (source Hapi CNSA).
374
Selon le dossier de presse 30 mai 2018 « feuille de route grand âge autonomie », le
ministère s’est engagé «
à ce que leurs ressources financières soient maintenues au
minimum à leur hauteur actuelle pour les années 2018 et 2019 ».
375
Des moyens nouveaux ont été alloués :
29 M€ de financements complémentaires en
2018
(circulaire budgétaire 2018), 17,6 M€ en 2019 (circulaire budgétaire 2019) et
47,1
M€ en 2020 (circulaire budgétaire 2020).
376
Il présente de manière résumée une partie des données publiées par la CNSA, à partir
des comptes administratifs des établissements de 2016. Ont été retenues ici les
catégories pour lesquelles l’échantillon d’établissements était le plus nombreux.
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SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION, SOINS PSYCHIATRIQUES,
ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
279
Tableau n° 29 :
dispersion des coûts nets moyens annuels par usager
selon les structures (en K €)
Catégories
377
1
er
décile
médiane
9
e
décile
D9/D1
Esat
10,9
12,1
13,6
1,25
Mas
61,9
73,3
89,7
1,45
Fam (internat)
20,4
43,3
80,4
3,94
IME (internat)
30,6
39,7
59,9
1,96
IME(sans
internat)
21,3
30,2
44,1
2,07
Itep
36,2
47,7
59,3
1,64
Source : CNSA 2019, analyse des comptes administratifs de 2016
La réforme du financement des établissements médico-sociaux pour
personnes handicapées (ESMS-PH) a été engagée en 2013, à la suite de
deux rapports conjoints de l’IGF et de l’Igas,
de 2012
378
et 2013
379
. Le
second soulignait la complexité du financement et identifiait sept chantiers
prioritaires
380
. Au vu de la complexité de ces chantiers, il recommandait de
procéder par étapes, étalées sur sept à huit années. Il préconisait aussi
d’ouvrir
deux chantiers complémentaires, l’un visant à adopter pour tous
les ESMS le principe d’un financement en dotation globale
et l’autre visant
à procéder à une refonte du système de production des indicateurs.
D’emblée programmé pour une durée longue, le ch
antier dit
« Serafin-PH
381
» s’est révélé encore plus long puisque les échéanciers
377
Esat
: établissements et services d’aide par le travail, Mas
: maisons d’accueil
spécialisé, Fam
: foyers d’accueil médicalisé, IME
: instituts médico-éducatifs, Itep :
instituts thérapeutiques et éducatifs.
378
« Établissements et services pour personnes handicapées, offre et besoins, modalités
de financement », Igas et IGF, octobre 2012.
379
Missio
n d’assistance –
modernisation de l’action publique
« Réforme de la
tarification des établissements et services pour personnes handicapées », Igas et IGF,
juillet 2013.
380
Création d’un outil partagé de mesure des besoins, création d’un outil partagé de
de
scription des prestations, mise en place d’une consolidation de la dépense de santé,
passage au tarificateur unique, construction du ou des modèles d’allocation des
ressources, conduite d’étude nationales de coûts, enfin simulation de l’impact de la
réforme et de son mode de déploiement.
381
Acronyme pour « Services et établissements : réforme pour une adéquation des
financements aux parcours des personnes handicapées ».
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COUR DES COMPTES
280
actualisés présentés en novembre 2019 et arbitrés un an après, fin 2020,
prévoient un déploiement à partir de 2024, après des expérimentations
programmées en 2022. À fin 2020, une nomenclature indicative des
« besoins et des prestations
» avait été adoptée, mais l’objectif initialement
prioritaire «
de création d’un outil partagé de mesure des besoins
» n’est
pas identifié parmi les arbitrages à venir.
C -
Une meilleure connaissan
ce de l’activité
Pour les quatre domaines, les chantiers, encore en cours, ont
cependant favorisé des progrès dans la connaissance de l’activité et des
coûts, ainsi que la sélection d’indicateurs de qualité pertinents.
1 -
Le recueil de données et la diffusio
n d’outils
Des progrès ont été réalisés au cours des dernières années améliorant
la connaissance de l’activité des quatre secteurs, notamment :
-
la fiabilisation progressive du recueil et des données du programme
médicalisé des systèmes d’information (PMSI
) dans le champ des
établissements de santé (SSR et psychiatrie) ;
-
la réalisation de classifications des actes, en SSR, quoique perfectibles
ou encore contestées, ainsi que des nomenclatures des besoins des
personnes handicapées et des prestations qui leur sont destinées ;
-
l’extension du recueil des données aux dépenses réalisées par les
départements (tarifs dépendance) pour le secteur des personnes âgées
et le chainage avec les dépenses réalisées « en ville »
382
.
Des enquêtes de coûts, relativement lourdes, ont également été
menées par l
’Agence technique pour l’information hospitalière
(ATIH)
383
.
Les données recueillies ont permis d’établir des référentiels utilisables pour
382
Mais pas encore pour le secteur des personnes handicapées. Un décret de mars 2018
autorise à décrire de manière plus exhaustive l'activité et la consommation de soins dans
les établissements ou services médico-
sociaux, permettant de fait l’extension de l’outil
dit « Resid-Ehpad
» au reste des ESMS. Mais l’outil n’est pas encore disponible,
sa
réalisation ayant été plusieurs fois reportée.
383
L’Agence a mené ces enquêtes d’abord pour les SSR depuis 2009,
puis pour la
psychiatrie, à partir de 2016, et également pour les Ehpad et les ESMS accueillant des
personnes handicapées (depuis 2015).
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SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION, SOINS PSYCHIATRIQUES,
ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
281
mieux connaître la formation des coûts. Ils révèlent l’importance relative
des coûts ind
irects, liés aux transports ou à l’usage des locaux
384
.
2 -
La définition d’indicateurs de qualité
Des financements incitatifs à la qualité des soins ont
d’abord été
introduits progressivement entre 2012 et 2015 dans le champ MCO, sous
une forme expérimentale,
à l’initiative de la Haute autorité de santé (HAS)
et du ministère chargé de la santé. Un impact positif a pu être identifié sur
les indicateurs de qualité retenus, même s’il était relativement limité
385
.
Cette «
incitation financière à l’amélioration de la
qualité » (Ifaq),
généralisée depuis 2016 au MCO et à l’hospitalisation à domicile, a été
étendue aux activités SSR en 2017. Elle devait l’être aussi au secteur de la
psychiatrie à partir de 2020, mais les travaux, retardés par la crise sanitaire,
n’ont pa
s encore abouti.
La dotation Ifaq est calculée en fonction du niveau et de l’évolution,
quand elle est disponible, de certains indicateurs de qualité
386
. Même si les
travaux relatifs à la mesure de la satisfaction des usagers et de leurs familles
ont progressé
387
, l’ensemble du dispositif reste encore en deçà des
ambitions initiales, tant dans les montants effectivement alloués, malgré
leur progression ces dernières années, que dans les éléments pris en
compte, puisqu’ils ne comprennent toujours pas d’indicate
urs de résultats
sanitaires, pourtant décisifs pour accompagner la transformation des
pratiques. Ces indicateurs restent également à développer dans le champ
des établissements sociaux et médicosociaux.
384
Dans le cas des ESMS-
PH, l’analyse des comptes administratifs de 2016 a ainsi
montré que seule la moitié environ des coûts étaient des coûts directs, les coûts de
transport ou de logistique représentaient deux-tiers des charges indirectes.
385
Bilan de l’expérimentation incitation financière à l’amélioration de la qualité (Ifaq)
:
vers un modèle de généralisation, A. Fourcade
et al.
, « Journal de gestion et d'économie
médicales », 2017.
386
60 % de la rémunération provient du niveau de l’indicateur et seuls son
t rémunérés
les établissements figurant dans les 70 % les meilleurs de leur classe. 40% provient de
l’évolution de l’indicateur et seuls sont rémunérés 70 % des établissements qui
progressent ou restent stables (arrêté du 18 juin 2019). La LFSS pour 2019 prévoit des
pénalités financières pour les établissements ne parvenant pas à un seuil minimal pour
certains indicateurs mais le décret d’application n’a pas encore été publié.
387
Une expérimentation a été réalisée pour les soins de suite et de réadaptation. Ils restent
à développer pour les Ehpad et les établissements accueillant des personnes handicapées.
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COUR DES COMPTES
282
II -
Des retards pénalisants
Faute de mises en œuvre opér
ationnelles des réformes, les
modalités de financement historiques ont perduré, à l’exception du secteur
des Ehpad (
la mise en œuvre d’une tarification paramétrée en fonction de
la sévérité des cas pourrait y être achevée rapidement). Or les effets pervers
induits, souvent sous-estimés, entravent le déploiement de la stratégie de
mobilisation et de gradation de l’offre de soins (A) ou de réorientation vers
des soins plus « inclusifs » (B). Des modalités rénovées de pilotage des
réformes sont dès lors indispensables, pour les mener à bien (C).
A -
Une lourdeur des prises en charge
à mieux prendre en compte
1 -
L’intérêt d’une mesure du besoin en soins
L’objectif principal assigné aux réformes de financement est
d’allouer les ressources en fonction des besoins de so
ins. Cela suppose
donc d’être capable de mesurer ceux
-ci, de manière individualisée pour
chaque patient ou groupes de patients
388
(avec des « coupes »
périodiques
389
, selon le dispositif retenu pour les Ehpad
390
).
Pour le secteur des SSR, des « groupements médico-économiques »
(ou GME) ont été établis, à partir du diagnostic médical mais aussi du
niveau d’autonomie et de l’intensité de la rééducation et réadaptation
nécessaires. Mais leur utilisation dans les mécanismes de financement est
encore très réduite.
Dans les établissements de psychiatrie, le projet de réforme prévoit
qu’une partie des financements dépendrait de l’activité, appréciée de
manière uniforme par grands types de structures (centres de crise, services
intra-
hospitaliers, ambulatoire, …). Mais r
émunérer de la même manière
les séjours des patients, sans tenir compte de la sévérité relative des cas,
risque d’inciter les établissements à choisir les patients les plus légers, au
détriment des cas les plus lourds. Dès lors, l’objectif de soins gradués
, qui
vise à faire correspondre à chaque niveau de besoins de soins un niveau de
prise en charge, se trouverait compromis.
388
Une telle mesure revêtant d’ailleurs un intérêt thérapeutique incontesté, les
« évaluations fonctionnelles » étant à la base des plans individualisés de traitement
déployés dans le secteur sanitaire comme dans le secteur médico-social.
389
C’est
-à-dire une évaluation des besoins des résidents à une date donnée.
390
Le renforcement de la prise en compte des besoins dans les modalités de financement
des Ehpad a en effet accompagné la progression de la dépendance des résidents hébergés.
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SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION, SOINS PSYCHIATRIQUES,
ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
283
De même pour les ESMS accueillant des personnes handicapées, le
risque de sélection des patients ne peut être écarté. Seule une description
individualisée de l’importance des besoins en soins peut le prévenir ou le
réduire. Ce risque apparait ainsi nettement plus faible pour les personnes
âgées grâce aux évaluations avec les grilles Aggir et Pathos, sous réserve
qu’elles soient effectu
ées fréquemment.
2 -
Une moindre pertinence des soins
Un financement qui ne tient pas compte des besoins des patients
engendre un risque accru d’affecter la pertinence des soins.
En SSR, pour lesquels le financement est indépendant des besoins
en soins des patients, une part significative des hospitalisations complètes
serait inadéquate, selon les études disponibles. L’assurance maladie
estimait qu’en 2012, près de 18 % des séjours en SSR pour prothèse du
genou et 13 % pour prothèse de hanche étaient évitables, alors que ces
séjours représentaient près de 10 % de l’activité des SSR
391
.
Dans une étude interne relative à des établissements du groupe
Ugecam
392
, la Cnam a estimé que 27 % en moyenne des journées des onze
établissements
SSR
étudiés
étaient
non
pertinentes
en
2018.
L’inadéquation du séjour aurait pu être souvent constatée dès l’admission
du patient (ainsi, 22,5% des journées au titre de l’appareil locomoteur
étaient non pertinentes, du fait d’un recours insuffisant aux prises en charge
à domicile ou en hospitalisation de jour en SSR)
393
.
Une tarification, fondée sur une appréciation de la sévérité, est de
nature à rendre le recours aux soins de SSR plus pertinent, en réduisant par
exemple fortement la rémunération des séjours pour les cas dont la sévérité
permet un traitement à domicile
394
.
391
Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses : propositions de
l’Assurance Maladie pour 2015, Cnam, 2014.
392
Les Ugecam sont des unions de caisses d’ass
urance maladie, gestionnaires
d’établissements et services sanitaires et médicosociaux. Elles sont pilotées par la
Cnam, au sein de la direction nationale du Groupe Ugecam.
393
Une autre source d’inadéquation, sans lien avec la tarification SSR, est liée à l
a
difficulté de sortie des patients. Ainsi, 33% des journées (adultes et enfants confondus)
en neurologie s’avèrent non pertinentes, essentiellement du fait de l’indisponibilité de
structures d’aval et d’aides pour l’organisation de la vie quotidienne à la
sortie.
394
Il convient toutefois de veiller à ce que les établissements ne soient pas tentés de
surcoder les besoins en soins des patients.
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COUR DES COMPTES
284
3 -
Des soins plus coûteux dans le public, des niveaux
de rentabilité singuliers dans le privé
D’un côté, une tarification en dotation globale, sans pondération de
la sévérité des prises en charge, comme c’est encore le cas
pour les
établissements publics en SSR et psychiatrie et pour les établissements
accueillant des personnes handicapées
395
, n’incite pas à optimiser les coûts
des séjours au regard de l’objectif thérapeutique.
L’exemple des SSR permet de l’illustrer. Le plu
s faible nombre de
journées réalisées par ETP dans le public par rapport au secteur privé non
lucratif et lucratif (respectivement 272, 327 et 408 sur les données de
l’année 2017) peut s’expliquer à la fois par une patientèle plus sévère dans
le public que
dans le privé et par des modes d’organisation différents (y
compris en terme d’externalisation de certaines tâches). Toutefois, une
analyse des coûts recueillis par les enquêtes nationales montre que les
établissements financés par des dotations globales (notamment publics) ont
des coûts supérieurs pour la plupart des groupes de la classification
actuelle, qui tient déjà pour partie compte de la sévérité des cas (GME). Et
cette différence de coût persiste, même
si l’on
intégrait en complément
l’écart de sé
vérité moyenne des patientèles respectives du public et du
privé
396
pour un même GME, suggérant que les questions d’organisation
jouent un rôle significatif dans ces différences de coûts.
De l’autre, une tarification en prix de journées, sans pondération de
la lourdeur des prises en charge, comme c’est le cas aujourd’hui pour le
secteur privé à but lucratif aussi bien en SSR qu’en psychiatrie, n’est pas
favorable à la pertinence globale des soins, notamment en n’incitant pas les
établissements à maîtriser la durée des séjours.
L’évolution très favorable de la rentabilité du secteur privé à but
lucratif, financé en prix de journées, paraît confirmer ce risque
397
.
395
Et, partiellement encore, pour les Ehpad tant que la réforme n’est pas totalement
achevée.
396
La différence de pa
tientèle, telle que mesurée par l’âge, le score physique et cognitif,
le besoin de recours à des actes de rééducation et de réadaptation ou la part de séjour
post opératoire, ne permettent d’expliquer qu’environ un quart de l’écart de coût des
GME, entre les secteurs financés en prix de journée et ceux financés en dotation globale.
397
On relève que le niveau moyen de rentabilité dépasse en 2018 le seuil de 8 %, qui
sert de référence indicative à la Commission européenne pour apprécier le risque de
« surcompensation
» des charges liées à l’intérêt général, dans le cadre du régime des
Services d’intérêt économique général (SIEG), retenu pour les établissements sanitaires
privés à but lucratif par l’article 111 de la loi du 26 janvier 2016.
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ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
285
Graphique n° 14 :
le niveau élevé de la rentabilité des cliniques
Source : Greffes des tribunaux de commerce, SAE 2006-2018, traitements Drees
Note
: en % du chiffre d’affaires. Champ
: cliniques privées de France métropolitaine et des Drom
(incluant Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Mayotte) présentes dans la SAE.
B -
Des dotations populationnelles à perfectionner
Les dotations populationnelles
En janvier 2019, les équipes du ministère des solidarités et de la santé
en charge de la réforme du financement du système de santé ont proposé
398
de diminuer la part relative des financements assis sur l’activité, en donnant
une part importante à des dotations globales fondées sur des critères
objectifs, dits « populationnels », et non plus historiques.
Ces dotations de l’assurance maladie représenteraient selon les
présentations faites aux fédérations environ 80 % du financement des
établissements du service public autorisés en psychiatrie
399
et 30 % de celui
de tous ceux autorisés en SSR.
398
« Les réformes des modes de financement et de régulation, vers un modèle de
paiement combiné, Jean-Marc Aubert, Task Force « Réforme du financement du
système de santé », janvier 2019.
399
En revanche, les parts relatives des deux dotations, à l’activité ou populationnelle,
seraient quasi inversées pour le secteur privé à but lucratif par rapport celles envisagées
pour le secteur public.
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COUR DES COMPTES
286
Ce mode de répartition présente des avantages pour ce qui concerne
un premier niveau de répartition, entre les régions ou même en leur sein
entre territoires (1). À ce stade, cependant, les modalités plus fines
d’attribution des dotations aux établissements, paraissent encore pour une
part indéterminées (2).
1 -
La volonté de réduire des inégalités territoriales
Dans les deux domaines des SSR et de la psychiatrie, la répartition
territoriale de l’offre de soins est très inégale, qu’elle soit mesurée par le
nombre de lits ou places ou par la dépense de soins en établissements,
rapportée au nombre d’habitants. Pour les établissements de santé mentale,
cette dépense varie de 116 euros en région Pays de la Loire à 160 euros par
an et par habitant en Corse
400
. Cette inégalité des moyens est aussi vraie
pour les SSR, comme en témoigne la carte présentée ci-après.
Selon le code de la sécurité sociale, la dotation populationnelle a
notamment «
pour objectif de réduire progressivement les inégalités dans
l'allocation de ressources entre les régions
»
401
. Sa répartition entre
régions doit s’effectuer selon des critères sociaux et démographiques qui
reflètent les besoi
ns de la population et les caractéristiques de l’offre des
territoires
402
.
400
Cf. rapport précité de la Task Force « Réforme du financement du système de
santé », janvier 2019.
401
Article L. 162-22-18 (I) du code de l
a sécurité sociale, introduit par l’article 34 de la
LFSS pour 2020, qui précise les modalités pour la psychiatrie. Il prévoit également une
phase de transition. Selon les simulations présentées, la trajectoire retenue visait à
corriger la moitié des écarts en cinq années.
402
Plusieurs simulations ont été faites déjà pour la psychiatrie, tenant compte
notamment de la structure par âge, des revenus, du type de logement. Une
correspondance globalement satisfaisante avait été mise en évidence entre les besoins
de santé mentale et de soins en psychiatrie avec ce type d’indicateurs
; cf. « Modelling
Needs for Mental Healthcare from Epidemiological Surveys”, Viviane Kovess, Clinical
Practice & Epidemiology in Mental Health, 2015, Volume 11 3.
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SOINS DE SUITE ET DE RÉADAPTATION, SOINS PSYCHIATRIQUES,
ACCUEIL DES PERSONNES ÂGÉES DÉPENDANTES ET DES PERSONNES
HANDICAPÉES : DIX ANS DE RÉFORMES INABOUTIES DU FINANCEMENT
DES ÉTABLISSEMENTS ET SERVICES
287
Carte n° 1 :
inégalités de répartition des capacités d’accueil en SSR (2016)
Source : Insee, SAE 2016 Drees, PMSI-SSR 2016, ATIH, calculs Drees.
Lecture : rapports entre
les densités département
ales standardisées de capacités d’accueil en SSR et la densité nationale,
en 2016. Champ : France métropolitaine et Drom, hors SSA, Mecs temporaires, établissements de
Fresnes et de cures thermales
S’agissant des SSR, ce n’est que depuis juin 2020 que le c
hoix a été
fait de réserver une part relativement importante à une dotation
populationnelle. À ce stade, toutefois, des méthodes d’appréciation des
besoins en soins, équivalentes à celles utilisées pour la psychiatrie, ne sont
pas encore disponibles.
Pour
les ESMS, le rapport d’évaluation et de performance de la
branche « autonomie », annexé au PLFSS pour 2021 montre également
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COUR DES COMPTES
288
l’importance des écarts entre régions
403
. La loi prévoit une réduction des
inégalités d’allocation des ressources entre régions et ent
re établissements
et services de mêmes catégories
404
. Mais faute de critère précis, ces
dispositions sont peu utilisées par les ARS pour les personnes
handicapées
405
, comme l’a encore récemment
souligné un rapport de la
Commission des affaires sociales du Sénat
406
. En tout état de cause, elles
ne portent chaque année que sur la répartition des mesures nouvelles,
représentant (pour le secteur des personnes âgées) de l’ordre de 1% des
financements attribués au secteur.
2 -
Un outil d’orientation fine des financements e
ncore en devenir
Une fois réparties entre régions, les dotations populationnelles sont
censées être réparties entre les établissements : pour la psychiatrie
407
, la loi
a précisé qu’il convenait également de
«
tenir compte de la contribution de
l'établissement à la réponse aux besoins de santé du territoire tels que
définis dans le projet territorial de santé mentale
»
.
Mais la méthodologie d’affectation fine des dotations et l’éventuel
conditionnement de leur attribution à la couverture, par les établissements,
de besoins fixées par ailleurs (notamment par le projet territorial de santé
mentale, visé par la loi) posent des questions complexes
408
. Les ARS ne
peuvent, chacune isolément, inventer ces formules nouvelles et ainsi passer
d’une répartition
passive des ressources aux établissements, fondée
exclusivement sur une évaluation paramétrique des besoins, à une vision plus
structurée, qui positionne au bon niveau, en termes de qualité et d’efficience,
l’offre de soins en établissement parmi l’ensemble des solut
ions que le
système de santé peut apporter aux besoins de la population.
Pour satisfaire ce besoin de cohérence, il est nécessaire qu’un cadre
national précise la manière de concilier l’application de critères automatiques
et l’intégration d’objectifs plus
qualitatifs, tenant notamment aux objectifs de
403
La dispersion des dépenses moyennes pour 1000 habitants des ESMS destinés aux
adultes handicapés n’était que de 14
% autour de la moyenne nationale, mesurée pour
les régions, mais atteignait jusqu’à 121
% pour les départements.
404
Article L.
314.3 (II) du code de l’action soci
ale et des familles.
405
Cependant
, pour les personnes âgées, la mise en œuvre de critères d’allocation
homogènes à travers l’équation tarifaire a pour objet de tendre vers une équité entre
établissements.
406
Rapport d’information sur le financement de l’a
ccompagnement social des
personnes handicapées, octobre 2018 (rapporteur M. Philippe Mouiller).
407
Article L. 162-22-19.-I. du CSS pour la seule psychiatrie.
408
La loi ajoute « 2° (et) tenant compte de l'activité de l'établissement et, le cas échéant,
des missions spécifiques qu'il assure ou auxquelles il participe ».
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289
transformation de l’offre, visant à des soins gradués et plus inclusifs. La
fixation d’un tel cadre parait d’autant plus indispensable que la loi de
financement a prévu pour la psychiatrie, selon un dispositif étendu par décret
aux SSR et aux structures d’urgence, que les critères mis en œuvre par les
ARS soient soumis aux représentants des fédérations professionnelles au
sein d’un comité consultatif d'allocation des ressources
409
.
À défaut d’orientations incitant à la transformation de l’offre de
soins, le risque est de pérenniser le statu quo. Si de telles références
n’étaient pas fixées, le risque paraît réel que la France reste à l’écart d’un
mouvement désormais engagé de manière nette dans les pays de l’OCD
E.
Comme le montre le graphique qui suit, alors que la part de soins en
établissements dans l’ensemble des soins de longue durée avait décru en
moyenne de trois points pour les pays de l’OCDE, de 2015 à 2017 (dernière
période d’analyse connue), elle avait
augmenté de deux points en France.
Graphique n° 15 :
dépenses de soins de longue durée
selon le lieu de prestation des soins
Champ
: régimes d’assurance
publics et obligatoires (données 2017, avec en outre la donnée 2015
de référence pour la moyenne OCE et pour la France) Source : OCDE.
409
Le décret n° 2021-216 du 25 février 2021 relatif à la réforme du financement des
structures des urgences et des structures mobiles d'urgence et de réanimation et portant
diverses dispositions relatives aux établissements de santé crée un comité consultatif
d'allocation des ressources relatif aux activités d'urgence, de psychiatrie et de soins de
suite et de réadaptation des établissements de santé.
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COUR DES COMPTES
290
Au total, l’inflexion des chantiers de financement dans le sens des
priorités stratégiques fixées par les pouvoirs publics suppose encore des
travaux complémentaires, pour un enrichissement des modèles par des
outils de mesure du besoin individuel en soins, et pour décrire la cible
d’offre graduée vers laquelle chaque territoire devrait converger.
Pour autant, il ne paraît pas justifié de différer, dans l’attente, la mise
en œuvre de réformes déjà votées et déjà plusieurs fois reporté
es. Ce serait
regrettable, compte tenu du caractère insatisfaisant des systèmes actuels
d’allocation des financements. Une solution pourrait donc être de
poursuivre une application progressive des réformes, avec un palier par
exemple en 2024, date à laquelle seraient intégrés les compléments
indispensables.
C -
Un pilotage à affirmer et à rendre plus transversal
Pour mener à bien des chantiers tarifaires, beaucoup dépend des
impulsions politiques, dans un contexte, peu fréquent en Europe, de
coexistence entre établissements publics, établissements privés non lucratif
et établissements privés à but lucratif, aux intérêts souvent contradictoires.
Les arbitrages en sont rendus plus difficiles. La priorité donnée à la
concertation ne doit toutefois pas prendre le p
as sur la volonté d’aboutir.
La conduite des projets doit avoir pour but d’éviter leur enlisement
progressif sous l’emprise du jeu des intérêts contradictoires des différentes
parties prenantes concernées. Une meilleure organisation de la conduite de
ces chantiers constitue également un facteur important de réussite.
Une pratique de concertation à clarifier,
des impacts à mieux anticiper
Le principe retenu pour chacun des chantiers de réforme du
financement est de rechercher le consensus le plus large, à travers une « co-
construction » avec les utilisateurs ou bénéficiaires futurs.
Mais la concertation qui en découle est organisée sans que soient
présentés aux parties prenantes, en particulier aux fédérations d’établissements
ou aux associations de personnels, des projets cohérents et complets. Cette
pratique présente en conséquence l’inconvénient de n’être encadrée, ni dans son
calendrier, qui a été souvent glissant, ni dans son périmètre, qui est souvent resté
flou. La frontière entre ce qui est soumis à concertation et ce qui constitue un
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291
« prérequis » ou un point connexe, non discutable, est difficile à discerner
et souvent évolutive. Le périmètre des débats demeure large et diversifié,
les objectifs des réunions n’étant pas toujours clairement identifiés
. La
multiplication des consultations conduit alors à fractionner les sujets,
limitant la possibilité pour les acteurs d’avoir une vision d’ensemble et
augmentant le risque de prises de position peu cohérentes.
Parallèlement, les effets prévisibles des réformes ont en général fait
l’objet de simulations
trop tardives (nettement après les dispositions
législatives décidant des réformes
) et souffrant d’incertitudes résiduelles
importantes
410
. Or, comme l’a montré en particulier la réforme tarifaire des
Ehpad, u
ne connaissance précise de l’incidence des réformes sur les
établissements est un élément décisif sur sa faisabilité effective.
Par ailleurs
, sous l’égide du secrétariat général des ministères
sociaux, une meilleure coordination des différents chantiers, q
u’ils soient
de nature financière ou non, est indispensable pour atteindre les objectifs
souhaités par les pouvoirs publics, d’amélioration de la r
éponse aux
besoins de santé des personnes.
D’une part,
il faut rappeler que les patients peuvent successivement
relever des différents secteurs de prise en charge. Il conviendrait
notamment que les aides et l’accompagnement apportés aux personnes
dans le secteur médico-social soient globalement les mêmes, rapportés aux
coûts, quelles que soient les modalités choisies. Le niveau insuffisant des
aides à domicile après un séjour en établissement pour les cas les plus
sévères est ainsi souvent signalé comme un obstacle à la fluidité des
parcours de soins des personnes.
D’autre part,
le risque est que les modèles de financement soient
rendus excessivement complexes
411
, alors que les effets incitatifs
recherchés pourraient
être portés par d’autres leviers de régulation, comme
les autorisations d’activité ou la politique contractuelle avec les
410
Par exemple, dans le champ sanitaire, quant aux effets conjoints de la réforme
engagée en parallèle du ticket modérateur ; ou quant aux effets des réformes sur les
résultats des établissements.
411
C’est le cas de la réforme du financement en psychiatrie, à laquelle il a été envisagé
en 2020 d’ajout
er à la fois des incitations dégressives complexes, calculées en fonction
de la durée d’hospitalisation à temps complet sur l’année, et des majorations tarifaires
pour favoriser les soins effectués au domicile des patients ou pour le suivi de troubles
sévères en ambulatoire. En dépit de leur pertinence théorique, il paraîtrait nécessaire de
réduire la complexité potentielle induite,
en s’assurant
par ailleurs de la cohérence de
ces mesures avec les évolutions prévues du
régime des autorisations d’activité
.
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COUR DES COMPTES
292
établissements.
Il s’agit d’ailleurs d’une
question globale d’efficacité
comparée des divers leviers dont disposent les autorités pour obtenir une
inflexion des pratiques des établissements, qu’il s’agisse
des autorisations,
du contrat pluriannuel d’objectif et de moyens (CPOM) ou des
modalités
de financement
412
. Le ministère ne semble pas disposer de doctrine claire
en la matière même si des possibilités nouvelles ont été ouvertes
récemment
413
. Il conviendrait donc de procéder, dans chacun des domaines
en cours de réforme, à la détermination
a priori
des leviers à utiliser de
préférence pour atteindre chacun des objectifs visés.
412
S’il s’agit, par exemple, de réduire la part des hospitalisations de longue durée
inadéquates, les indicateurs associés aux CPOM, ou le régime des autorisations peuvent
contribuer aux évolutions attendues, parfois mieux qu’un signal au sein du modèle de
financement peu souple et peu individualisable.
413
Il est par exemple désormais possible d’enrichir le contenu des CPOM et de leur
donner une plus grande force en les liant à une possibilité de révision des autorisations.
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293
__________ CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS __________
La relance récente des réformes de financement, dans le secteur
sanitaire pour la psychiatrie et les SSR, traduit la volonté de prendre en
considération le caractère inadapté des règles actuelles et montre
l’importance des enjeux qui s’attachent à leur réforme, tant pour la
satisfaction des besoins de santé de la population, que pour le meilleur
usage des financements publics.
L’obje
ctif de soins gradués et plus pertinents suppose cependant
l’intégration dans les modèles de référentiels relatifs aux besoins en soins
et le recueil par les établissements des données correspondantes. L’objectif
devrait être de pouvoir procéder à ces enri
chissements sous trois ans, d’ici
fin 2024.
Le déploiement de dotations dites populationnelles constitue un
levier pour une répartition plus équitable de l’offre entre régions. Mais au
sein des régions, la vocation de ces dotations doit encore être clarifiée. Un
équilibre devrait être ainsi recherché entre une répartition régionale des
moyens selon des critères strictement populationnels, et une répartition
plus volontariste, fondée sur des schémas territoriaux, à l’instar des
premiers « projets territoriaux de santé mentale ».
D’autres
progrès
méthodologiques
sont
nécessaires,
qui
justifieraient notamment la constitution d’une équipe dédiée de «
maîtrise
d’ouvrage déléguée
» au sein du secrétariat général des ministères
sociaux, afin de coordonner les équipes de «
maîtrise d’œuvre
» déjà
présentes au titre des différents chantiers. Cette coordination renforcée
permettrait de définir les choix des instruments de transformation de l’offre
de soins à utiliser et veillerait à la cohérence des méthodes utilisées pour
répondre de manière homogène au besoins du public. Un lien plus fort avec
les réformes parallèles des autorisations d’activités, en cours pour les SSR
et la psychiatrie, doit être également recherché.
Ces efforts de méthode devraient enfin inclure une amélioration des
pratiques de concertation, trop souvent mal cadrées, en termes de
périmètre comme de calendrier et insuffisamment éclairées par des
simulations financières, pour éviter l’enlisement des chantiers.
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294
Pour ces motifs, la Cour formule les cinq recommandations qui
suivent :
28.
d’ici fin 2024, développer pour chacun des champs, les outils de
mesure de la lourdeur des prises en charge dans l’objectif d’enrichir
les modèles tarifaires correspondants (ministère chargé de la sécurité
sociale et de la santé, CNSA) ;
29.
étendre au secteur des SSR et aux ESMS le principe législatif visant à
corriger progressivement les inégalités territoriales à travers la
répartition entre régions de dotations, fixées selon des critères
transparents (ministère chargé de la sécurité sociale et de la santé) ;
30.
mettre en place une structure transversale permanente de « maîtrise
d’ouvrage déléguée
», au sein du secrétariat général des ministères
sociaux, en charge de la supervision et de la coordination des réformes
tarifaires (ministère chargé de la sécurité sociale et de la santé) ;
31.
dans une optique d’un recours plus sélectif aux incitations tarifaires,
établir en amont des réformes la cartographie projetée de l’utilisation
des trois principaux leviers de transformation de l’off
re :
autorisations, CPOM et tarifs (ministère chargé de la sécurité sociale
et de la santé) ;
32.
adopter un cadre méthodologique rigoureux pour les simulations
financières et les concertations relatives aux projets de réforme et les
insérer dans un calendrier
préfixé d’une durée raisonnable (ministère
chargé de la sécurité sociale et de la santé).
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