Parc d’activités La Providence –
Kann’Opé –
Bât. D
–
CS 18111
–
97181 LES ABYMES CEDEX
Tél. 05 90 21 26 90
–
Courriel : «
antillesguyane@crtc.ccomptes.fr
»
Site internet : «
www.ccomptes.fr/fr/antilles-guyane
»
RAPPORT D
’
OBSERVATIONS DEFINITIVES
REGION GUADELOUPE
GESTION DE L
’
OCTROI DE MER
Exercices 2014 (à compter du 2 mai) et suivants
Le présent document, qui a fait l
’
objet d
’
une contradiction avec les destinataires concernés,
a été délibéré par la chambre le 9 octobre 2020.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
1
TABLE DES MATIÈRES
SYNTHÈSE __
..........................................................................................................
3
RECOMMANDATIONS
..........................................................................................
7
INTRODUCTION
.....................................................................................................
9
1.
UN DISPOSITIF ANCIEN, MAINTENU « PROVISOIREMENT » MALGRÉ
LA CRÉATION DU MARCHÉ UNIQUE EUROPÉEN
...................................
10
1. 1.
Une exception à l’interdiction des droits de douane au sein de l’Union
européenne
...................................................................................................
10
1.1. 1. Des objectifs et un mécanisme encadrés par des décisions européennes
.....
11
1.1. 2.
Un dispositif d’exonération sur les importations ajouté par la loi nationale
13
1. 2.
Un régime d’imposition sensiblement plus complexe que la TVA
...........
15
1.2. 1.
Une complexité concernant tant l’assiette que la
délimitation de
l’assujettissement ou, encore, la liquidation de la taxe
.................................
16
1.2. 2. Un dispositif mal articulé avec la TVA
........................................................
17
2.
UN RÉGIME DE PROTECTION DOUANIÈ
RE CONSTITUANT D’ABO
RD
UNE RESSOURCE SUPPLÉMENTAIRE POUR LES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES, À LA MAIN DE LA RÉGION
..........................................
18
2. 1.
Une ressource supplémentaire rendue possible par une réduction du taux de
TVA consentie par l’
État
.............................................................................
18
2.1. 1. Une recette supplémentaire pour la région
...................................................
19
2.1. 2. Une recette répartie entre les communes par la région
.................................
22
2.1. 3. Une recette communale qui fait plus que compenser la mauvaise tenue des
bases fiscales et la faiblesse des recettes fiscales de droit commun des
communes
.....................................................................................................
24
2.1. 4. Le FRDE
: une ressource d’investissement gérée par la région dont les
conditions d’emploi ne sont pas strictement respectées
...............................
26
2. 2.
Une logique de taxation et d’exonérations à l’importation non
discernable
....................................................................................................
27
2.2. 1.
Une politique d’exonération erratique, pour des montants très élevés et sans
contrepartie identifiée en termes de développement économique
................
27
2.2. 2. Un faux marché unique antillais qui suscite des contournements
................
29
2. 3.
Une gestion opaque du dispositif fiscal
......................................................
30
2.3. 1. Un dispositif régional illisible pour les opérateurs économiques
.................
30
2.3. 2. Des exonérations qui pèsent très majoritairement sur la part communale
....
31
2.3. 3. Un pilotage délégué, de fait, à
une commission
ad hoc
ambivalente
...........
32
2.3. 4. Une information des élus régionaux et communaux insuffisante
.................
35
2. 4.
Une évaluation non rigoureuse des effets de ce régime
.............................
35
2.4. 1. Un défaut de statistiques qui nuit à la justification de ce régime fiscal
........
35
2.4. 2. Un rapport annuel obligatoire lacunaire et produit seulement trois fois
depuis 2014
...................................................................................................
36
2.4. 3. Une cohérence reconstituée
a posteriori
......................................................
38
2.4. 4. Des surcoûts allégués sur la base de déclarations non étayées
.....................
38
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
2
3.
UN SOUTIEN AU DÉVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL DONT
L’EFFICACITE N’EST P
AS MESUREE
..........................................................
41
3. 1.
Des résultats non documentés après trente ans de mise en œuvre, malgré un
nombre restreint de bénéficiaires
.................................................................
41
3.1. 1.
Un dispositif de différentiels tarifaires dont les effets positifs d’ensemble sur
l’économie ne sont pas démontrés
................................................................
41
3.1. 2.
Un nombre restreint d’entreprises bénéficiaires
...........................................
48
3. 2.
Des effets de distorsion de concurrence
.....................................................
49
3.2. 1.
Le nombre d’entreprises assujetties n’a pas augmenté au niveau attendu en
2015
..............................................................................................................
49
3.2. 2.
La production locale n’est que partiellement déclarée
.................................
50
3.2. 3.
La barrière à l’entrée sur les biens constitue aussi une barrière à
l’implantation de nouveaux acteurs sur le marché
........................................
51
3. 3.
Une pratique généreuse d’exonérations sans contrepartie affichée et
porteuse de risques juridiques
......................................................................
52
3.3. 1.
Des avantages importants accordés à un nombre limité d’entreprises
.........
52
3.3. 2.
Un régime d’exonérations peu lié à l’intérêt général et dont la légalité n’est
pas assurée
....................................................................................................
54
3.3. 3. Un r
égime européen et un régime français dont l’effet cumulatif n’est pas
pris en compte
...............................................................................................
57
3. 4.
Un facteur de hausse des prix au-delà des seuls prélèvements fiscaux
......
58
3.4. 1. Un prélèvement payé par les consommateurs sans contrepartie
...................
58
3.4. 2. Un facteur de hausse des prix sur les produits locaux et sur les
« importations »
............................................................................................
60
3.4. 3.
L’usage de l’octroi de mer
: un facteur indirect de hausse des prix supporté
in fine
par les ménages les plus modestes
.....................................................
63
GLOSSAIRE __
......................................................................................................
66
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
3
SYNTHÈSE
__
Avertissement :
le présent rapport porte sur la période antérieure à la crise sanitaire du
Covid-19 mais les constats qu
’
il formule n
’
en sont pas modifiés pour autant, la baisse de
générale des rentrées fiscales ne distinguant pas ce régime de celui d
’
autres taxes sur la
consommation, au niveau national et international.
Vieille imposition qui remonte à 1825 pour la Guadeloupe, l
’
octroi de mer est un impôt
spécifique de l
’
outre-mer, maintenu par le droit européen par dérogation au marché
unique. Qualifié de taxe intérieure, il pèse sur les « importations » guadeloupéennes
(octroi de mer externe) en provenance de la métropole, de l
’
Union européenne ou de
l
’
étranger et, aussi, depuis 1992, sur les produits locaux (octroi de mer interne). Son
produit alimente les collectivités territoriales de Guadeloupe : communes et région.
L
’
octroi de mer conjugue un dispositif de différenciation tarifaire entre produits locaux
et produits importés et un dispositif d
’
exonération sur les importations, deux aspects sur
lesquels les délibérations régionales jouent un rôle important :
-
en tant que mesure spécifique autorisée par l
’
article 349 du traité sur le
fonctionnement de l
’
Union européenne (TFUE) portant, notamment, sur la
politique douanière, une décision européenne de 2014 autorise pour une durée
limitée, venant à échéance au 31 décembre 2020, des différentiels de taux entre
les produits importés et les produits locaux inscrits sur trois listes A, B et C, à la
demande du conseil régional ;
-
au niveau national, la loi ajoute à ces différentiels tarifaires une possibilité
d
’
exonération d
’
octroi de mer à l
’
« importation », par secteur d
’
activité, sur
décision du conseil régional.
Ce dispositif fiscal dérogatoire, transitoire, est régulièrement reconduit depuis 1989.
L
’
objectif du régime conçu à partir de cette date est d
’
accorder temporairement un soutien
aux productions locales contre la concurrence des produits importés en rendant ceux-ci
plus chers, le temps que les productions locales s
’
adaptent et deviennent concurrentielles
à leur tour, ce qui suppose un progrès de compétitivité de ces entreprises, la consolidation
des emplois qu
’
elles offrent et, à l
’
issue de la période transitoire, une baisse des prix pour
les consommateurs.
L
’
octroi de mer porte sur les ventes de biens meubles, les services étant exonérés. La
différenciation tarifaire autorisée permet d
’
exonérer une part significative de la
production locale qui ne contribue qu’à hauteur de
3
% à la recette totale d’octroi de mer
.
Même s
’
il ne repose pas sur le mécanisme de la taxe en cascade, avantage insigne de la
TVA, cette taxe payée par les importateurs est répercutée intégralement sur le prix final
des produits payé par le consommateur.
L
’
octroi de mer représente des montants élevés pour la population guadeloupéenne, pour
les collectivités territoriales (région, communes) dont il est la première ressource fiscale
et pour les entreprises qui le versent et qui bénéficient cependant d
’
importantes
exonérations.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
4
Il représente plus de 40 % des recettes fiscales des communes et de la région et s
’
ajoute
aux ressources de droit commun de ces collectivités territoriales. Les collectivités de
Guadeloupe bénéficient ainsi de recettes supérieures à celles de leurs homologues
hexagonales en contrepartie d
’
un abandon de recette non négligeable de la part de l
’
État.
Ce faisant, la région Guadeloupe bénéficie par ce dispositif, outre d
’
une autonomie
financière supérieure, d
’
une autonomie fiscale dont ne disposent plus les régions de
métropole.
L
’
octroi de mer désigne en réalité deux taxes, réparties en trois ensembles :
-
l
’
« octroi de mer »
(OM) dont le produit est divisé en deux parts :
.
une dotation globale garantie qui est une ressource des communes,
.
un solde qui constitue le fonds régional pour le développement et l
’
emploi
(FRDE) réparti entre les communes et la région ;
-
l
’
« octroi de mer régional »
(OMR) qui est une ressource de la région.
Le prélèvement total d
’
octroi de mer, net des exonérations, s
’
est élevé à 305
M€ en 2019
,
dont 97 % proviennent de la taxation des importations. Le coût induit par cette taxe pour
le consommateur final sur les produits importés est supérieur puisqu
’
il faut y ajouter,
d’une part,
les coûts de prestation des intermédiaires comme les commissionnaires en
douane, payés par les importateurs et réper
cutés sur les prix des produits, d’autre part, le
fait que l’octroi de mer est inévitablement inclus dans le coût de revient des produits et,
donc, dans l’assiette de la TVA, même si
la loi dit le contraire.
La région délibère sur l
’
octroi de mer, recette des communes, et sur l
’
octroi de mer
régional qui est sa principale recette fiscale : elle fixe les taux sur les importations et sur
la production locale mais délibère, aussi, sur les exonérations des produits de liste réalisés
localement et sur les exonérations des importations par secteur d
’
activité, ainsi que sur
les critères de répartition de la recette entre les communes, soumis à autorisation expresse
ou implicite du Gouvernement (article 48 de la loi du 2 juillet 2004).
La région accorde largement les exonérations, ce qui réduit les recettes des communes et
rarement les siennes. Au total, le « manque à gagner » que représentent ces exonérations
s
’
est élevé à 111
M€ en 2019 (dont
103
M€ réduisant les recettes communales).
La complexité de l
’
octroi de mer dont la région modifie fréquemment les règles conduit
à son opacité pour le citoyen et pour les opérateurs économiques que sont les entreprises.
Il en va de même des élus communaux qui ne sont pas informés que les décisions
d
’
exonération de la région privent les communes d
’
une part substantielle de leurs
ressources.
La communication de la région sur les vertus du dispositif global tel qu
’
il fonctionne
actuellement ne compense pas le manque de transparence sur le pilotage et les décisions.
Une commission
ad hoc
« octroi de mer », composée notamment de représentants
d
’
entreprises et où les consommateurs sont peu représentés - et seulement depuis 2016 -
est chargée par la région de donner des avis sur les taux et sur les exonérations, dont les
demandes individuelles
d’exonération
. La région ne s
’
est pas donné les moyens d
’
une
expertise interne qui lui donnerait une autonomie de décision au regard de l
’
ensemble de
sa politique économique et de soutien à l
’
emploi. Les risques de conflit d
’
intérêt ne sont
pas maîtrisés.
Région Guadeloupe -
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(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
5
Parmi les actions économiques de la région, la politique fiscale de l
’
octroi de mer est
conçue de manière autonome, sans relation avec les autres dispositifs de soutien à
l
’
économie - tels que le schéma régional de développement économique, d
’
innovation et
d
’
internationalisation (SRDEII) - qui ne le citent pas. Les élus régionaux sont peu
informés des enjeux de ces décisions qu
’
ils votent.
La région produit un rapport, en principe annuel, censé rendre compte à l
’
État du respect
des objectifs et des règles fixées par l
’
autorisation européenne, notamment de la
justification précise des écarts de taux. Cependant, le rythme annuel exigé n
’
est pas
respecté et les justifications et données sont présentées selon des méthodes changeantes
d
’
un rapport à l
’
autre. Dans aucun de ces rapports, la région ne justifie la nécessité des
différentiels tarifaires des produits de liste, ni la proportionnalité des taux ; sont présentés
des calculs de surcoûts sans fondement vérifiable. Aucune étude d
’
impact sur le
développement économique n
’
est réalisée. Le dispositif d
’
exonération d
’
octroi de mer
sur les importations masque la réalité des taux appliqués par rapport aux taux affichés et
déclarés à l
’
Union européenne.
Si l’autorisation européenne est accordée à titre transitoire dans un objectif de
convergence, la région considère qu’elle compense des handicaps permanents
. Les trente
ans de soutien à la production locale par ce dispositif ayant transformé, de fait, une taxe
intérieure en droit de douane,
ce qu’elle était à l’origine,
n
’
ont pas permis de surmonter
les handicaps productif locaux. Les différentiels tarifaires pratiqués constituent autant des
entraves au développement économique qu
’
une protection de l
’
emploi local. Ils
entretiennent au contraire un système figé au bénéfice des entreprises déjà installées.
Les exonérations sur les importations, très généreuses, comportent d
’
importants risques
juridiques, notamment les exonérations ponctuelles dont la justification n
’
est pas
argumentée et qui portent atteinte au principe d
’
égalité devant l
’
impôt et au droit de la
concurrence.
Si l
’
octroi de mer n
’
est pas la principale cause du niveau élevé des prix à la consommation
en Guadeloupe, il y contribue de deux manières : d
’
une part, par son impact direct sur les
prix, variable selon les produits mais réel ; d
’
autre part, par la barrière à l
’
entrée qu
’
il
représente sur la totalité des importations, y compris sur celles sans équivalent local, par
la complexité de sa tarification et l
’
hermétisme des exonérations. La population est privée
de l’accès à la vente par correspondance principalement pour cette raison. Par ailleurs
, les
taux relatifs à l
’
importation de produits alimentaires de consommation courante sont très
élevés.
Les exonérations ne se traduisent pas par des baisses de prix pour les consommateurs
mais contribuent à protéger des marges commerciales excessives et à consolider des
monopoles au lieu de favoriser l
’
installation d
’
opérateurs locaux compétitifs. Les
entreprises en situation monopolistiques peuvent ainsi établir leurs prix par référence aux
consommateurs qui disposent du pouvoir d
’
achat le plus élevé, notamment les agents
publics qui bénéficient de la surrémunération indiciaire, faisant peser les marges et les
prix qui en résultent sur l
’
ensemble de la population et, donc, aussi sur les ménages les
plus modestes.
A l
’
autre extrémité de la chaîne et de manière générale, la ressource supplémentaire
fournie aux communes par l
’
octroi de mer ne s
’
est pas traduite par un accroissement du
patrimoine et des services publics et n
’
a pas consolidé leur situation financière, mais a
rendu possible le sureffectif des fonctionnaires locaux et le niveau élevé de leur
Région Guadeloupe -
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(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
6
rémunération, comme en témoignent les nombreux avis budgétaires rendus chaque année
par la chambre.
Bien qu’autorisé à titre transitoire, l’octroi de mer s’est maintenu comme une taxe
au fonctionnement archaïque et opaque. A l’inverse de la simplicité du système de la TVA
qui se diffus
e à l’échelle mondiale, la complexité du régime de l’octroi de mer ne lui
permet pas d’atteindre clairement son but et contribue plutôt à perpétuer un système
économique peu performant en ne protégeant réellement que quelques niches de
production à l’effet
modeste en nombre d’emplois. Sa justification a glissé vers le concept
de « compensation
» de surcoûts discutables, souvent déjà compensés lorsqu’ils sont
avérés.
Alors que s’engagent les discussions avec l’Etat et l’Union européenne à
l’approche de l’échéance de l’autorisation accordée en 2014, la chambre régionale des
comptes émet 17 recommandations en direction de la région Guadeloupe, dont cinq de
« régularité » et 12 de « performance ». Ces recommandations visent à améliorer la
conformité et la transparence de ce dispositif fiscal dérogatoire, à étayer sa justification
au regard des objectifs qui lui sont expressément assignés, à l’intégrer dans une
prospective économique d’ensemble reposant sur des méthodes et des outils
rigoureusement conçus et appliqués au profit du développement du territoire, et à vérifier
les avantages qu’il est censé apporter à l’ensemble de la population, tant en ce qui
concerne le système de taxation que l’usage des fonds prélevés.
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Rapport d’observations définitives
7
RECOMMANDATIONS
Recommandation
Régularité
Performance
Recommandation n°1 :
Rendre cohérente la taxation de l
’
octroi de mer avec
la TVA, en créant trois ou quatre fourchettes de taux
d
’
octroi de mer, correspondant aux taux normal,
réduit, particulier et, éventuellement, majoré.
X
Recommandation n°2 :
Imputer les recettes de FRDE au chapitre 10
« Dotations, fonds divers et réserves »
en tant que
recettes propres d
’
investissement.
X
Recommandation n°3 :
Simplifier la grille des taux d
’
octroi de mer en
réduisant le nombre de taux, en fixant par défaut un
taux de droit commun (OM à 7 % et OMR à 2,5 %),
en n
’
adoptant qu
’
une délibération par an.
Recommandation n° 3
bis
:
Uniformiser les taux entre produits proches pour
éviter les distorsions de concurrence, pour dissuader
la fraude et pour simplifier le travail d
’
imposition et
de contrôle.
X
X
Recommandation n°4 :
Evaluer
ex-ante
la dépense fiscale (exonérations
accordées aux entreprises) pesant sur les recettes des
communes.
X
Recommandation n°5 :
Adopter un règlement intérieur de la commission
ad
hoc
qui fixe les obligations déontologiques de la
prévention du conflit d
’
intérêt.
X
Recommandation n°6 :
Rendre objectivable et traçable le processus de
fixation des taux et des différentiels de taux.
X
Recommandation n°7 :
Soumettre régulièrement le bilan de l
’
octroi de mer,
ses évolutions et perspectives à la conférence
territoriale de l
’
action publique.
X
Recommandation n°8 :
Assurer une fonction d
’
observation économique et
fiscale,
dotée
d
’
un
appareil
statistique
fiable,
permettant de rendre compte des résultats de la
politique d
’
octroi de mer.
X
Recommandation n°9 :
Produire annuellement et dans le délai prescrit le
rapport
obligatoire
en
respectant
son
contenu
réglementaire.
X
Recommandation n°10 :
Inclure
l
’
octroi
de
mer
dans
la
stratégie
de
développement économique et social de la région,
conformément aux conditions fixées par l
’
Union
européenne.
X
Recommandation n°11 :
Formaliser la stratégie suivie dans un programme-
cadre d
’
actions en relation avec le développement
économique souhaité et rendre compte des progrès
réalisés
via
le rapport annuel adressé au préfet.
X
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(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
8
Recommandation n°12 :
Fonder sur des données fiables les arguments apportés
pour justifier les différentiels de taxation et les
exonérations, selon une méthode transparente, et
corriger les calculs de surcoût en tenant compte de
toutes les aides accordées, des moindres coûts et des
protections existantes.
X
Recommandation n°13 :
Collecter et analyser les données brutes de l
’
octroi de
mer concernant les entreprises assujetties ou qui
devraient l
’
être.
X
Recommandation n°14 :
Inclure la présentation et l
’
analyse des exonérations à
l
’
importation dans le rapport annuel, comme attendu
selon l
’
obligation réglementaire.
X
Recommandation n°15 :
Tenir compte des exonérations à l
’
importation
accordées par secteur d
’
activité dans les calculs des
surcoûts et des compensations.
X
Recommandation n°16 :
Proposer à l
’
État, sur la base de l
’
article L. 4433-3 du
CGCT, d
’
augmenter, en faveur de l
’
investissement
des communes, la proportion de FRDE dans le
mécanisme de répartition de l
’
octroi de mer.
X
Recommandation n°17 :
Diminuer les taux applicables aux produits importés
de consommation courante pour lesquels il n
’
existe
pas d
’
équivalent dans la production locale et qui ont
un effet inflationniste, défavorable au pouvoir
d
’
achat.
X
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
9
INTRODUCTION
Ordonnateurs :
-
M. Victorin LUREL, du 2 mai 2014 au 17 décembre 2015 ;
-
M. Ary CHALUS, depuis le 18 décembre 2015.
Rappel de procédure :
Le contrôle des comptes et de la gestion de la région Guadeloupe de 2014 à la période la
plus récente, réalisé par la chambre en 2019, a mis en lumière le fonctionnement
particulier de l
’
octroi de mer, imposition spécifique à l
’
outre-mer votée par le conseil
régional et dont le produit alimente les communes et la région. Cet impôt a rapporté
275
M€ aux collectivités territoriales guadeloup
éennes en 2018, ressource qui s
’
ajoute à
celles de droit commun et qui représente 43 % des recettes fiscales des communes et 40 %
de celles de la région.
La chambre régionale des comptes de la Guadeloupe a inscrit à son programme de 2019
le contrôle de la gestion de l
’
octroi de mer par la région Guadeloupe, conformément aux
dispositions de l
’
article L. 211-4 du code des juridictions financières (CJF).
Le contrôle des comptes et de la gestion de l
’
octroi de mer par la région Guadeloupe porte
sur les exercices 2014 (à compter du 2 mai) jusqu
’
à la période la plus récente.
Aux termes de l
’
article L. 211-3, alinéa 3, du même code,
« l
’
examen de la gestion porte
sur la régularité des actes de gestion, sur l
’économie des moyens mis en œuvre et su
r
l
’
évaluation des résultats atteints par rapport aux objectifs fixés par l
’
assemblée
délibérante ou par l
’
organe délibérant. L
’
opportunité de ces objectifs ne peut faire l
’
objet
d
’
observations. »
L
’
ouverture du contrôle a été notifiée aux ordonnateurs en fonction durant la période
contrôlée, par lettres en date du 11 mars 2019. L
’
entretien d
’
ouverture du contrôle s
’
est
tenu avec M. Ary CHALUS, le 23 avril 2019, et avec M. Victorin LUREL,
le 30 avril 2019.
L
’
entretien de fin de contrôle avec le président en exercice, a eu lieu le 27 février 2020 ;
celui avec son prédécesseur a eu lieu le 3 mars 2020.
Après avoir entendu le rapporteur et pris connaissance des conclusions du procureur
financier, la chambre a arrêté, le 14 mai 2020, un rapport d
’
observations provisoires qui
a été transmis à l
’
ordonnateur le 26 juin 2020. Des extraits ont été adressés à l
’
ancien
ordonnateur, ainsi qu
’
à 13 personnes physiques ou morales mises en cause. Les
destinataires disposaient de deux mois pour adresser leur réponse à la chambre.
La réponse de l
’
ordonnateur a été adressée à la chambre le 31 août 2020.
Par courrier daté du même jour, l
’
ordonnateur en fonction a sollicité une audition sur le
fondement de l
’
article L. 243- 3 du code des juridictions financières (CJF). Celle-ci s
’
est
tenue le 8 octobre 2020, l
’
ordonnateur ayant joint des documents à l
’
appui de l
’
audition.
Région Guadeloupe -
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(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
10
L’ancien ordonnateur a répondu par
lettre datée du 12 septembre 2020, reçue au greffe
le 29 octobre 2020.
Sept mis en cause ont, par ailleurs, adressé une réponse à la chambre dans le délai légal
de deux mois.
Le présent rapport décrit le dispositif légal et communautaire de l
’
octroi de mer, examine
sa gestion par la région Guadeloupe et ses effets sur l
’
économie régionale. Il porte sur la
période antérieure à la crise sanitaire du Covid-19 mais les constats qu
’
il formule n
’
en
sont pas modifiés pour autant, la baisse de rentrées fiscales étant générale et ne distinguant
pas ce régime de celui d
’
autres taxes sur la consommation et sur le flux des marchandises,
au niveau national et international.
Ce rapport devra être communiqué par l
’
ordonnateur à l
’
assemblée délibérante lors de sa
plus proche réunion suivant sa réception. Il fera l
’
objet d
’
une inscription à l
’
ordre du jour,
sera joint à la convocation adressée à chacun de ses membres et donnera lieu à un débat.
Il sera, ensuite, mis en ligne sur le site internet des juridictions financières
www.ccomptes.fr/fr/antilles-guyane et sera communicable à toute personne qui en ferait
la demande.
1.
UN
DISPOSITIF
ANCIEN,
MAINTENU
« PROVISOIREMENT »
MALGRÉ LA CRÉATION DU MARCHÉ UNIQUE EUROPÉEN
Vieille imposition qui remonte à 1670 pour la Martinique et à 1825 pour la Guadeloupe,
officialisée par le senatus-consulte du 4 juillet 1866 qui lui a donné son nom, l
’
octroi de
mer est aujourd
’
hui régi par la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 modifiée. Il s
’
agissait,
jusqu
’
en 1992, d
’
une taxe portant uniquement sur les « importations », terme qui qualifie
indistinctement les biens en provenance du territoire national (58,5 %) mais aussi
européen (11,8 %) et étranger (29,4 %).
L
’
octroi de mer se substitue en partie à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui s
’
applique
en Guadeloupe à des taux réduits par rapport au droit commun : 8,5 % (taux normal),
2,1 % (taux intermédiaire), 1,75 % (taux réduit) et 1,05 % (taux particulier) contre,
respectivement, 20 %, 10 %, 5,5 % et 2,1 % en métropole. Il s
’
agit donc pour l
’
État d
’
un
abandon de recettes très significatif qui constitue un supplément pour les collectivités par
rapport à leurs homologues de métropole.
1. 1.
Une exception à l
’
interdiction des droits de douane au sein de l
’
Union
européenne
L
’
Union européenne interdit par principe les atteintes à la libre concurrence sur
son territoire ; il s
’
agit de l
’
un de ses fondements économiques. Les droits de douane
internes et toutes les taxes d
’
effet équivalent sont proscrits depuis la création du marché
commun en 1968, le marché unique européen (1992) ayant établi la libre-circulation des
marchandises.
L
’
octroi de mer, en vigueur dans les régions ultrapériphériques (RUP) françaises, entre
en contradiction directe avec ces principes. Il porte atteinte à la libre circulation des
marchandises au sein du marché intérieur européen, dès lors que les biens acheminés en
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
11
Guadeloupe sont considérés comme des importations taxées distinctement des produits
locaux (voir
infra
). L
’
existence de ce régime fiscal et, de fait, douanier est donc une
exception importante aux principes fondateurs de l
’
Union européenne qui donne lieu à
autorisation européenne expresse à durée limitée sous condition de justifications précises.
1.1. 1.
Des objectifs et un mécanisme encadrés par des décisions européennes
Par une décision n° 89/688/CEE du 22 décembre 1989, le Conseil de l
’
Union européenne
a accepté un régime transitoire de dix ans, afin de permettre la création, le maintien et le
développement d
’
activités dans les départements d
’
outre-mer jusqu
’
à son intégration
pleine et entière dans le marché unique européen. Au terme de cette période, le régime
fiscal devait donc être pleinement conforme aux principes du traité de Rome, «
étant
entendu que des mesures de soutien visant les mêmes objectifs
[pouvaient]
toujours être
prises dans le cadre des aides régionales et dans le respect des dispositions
[du traité] ».
La décision initiale a conditionné le maintien de cette recette fiscale à la poursuite de
l’
objectif transitoire de favoriser l
’
adaptation de son développement économique et
social. Les exonérations devaient «
contribuer à la promotion ou au maintien d
’
une
activité économique dans les départements d
’
outre-mer et s
’
insérer dans la stratégie de
développement économique et social de chaque département d
’
outre-mer
».
La modulation des taux ne devait
« en aucun cas être de nature à maintenir ou à
introduire des discriminations à l
’
encontre des produits en provenance de la
Communauté »
.
À la demande de la France, l
’
Union européenne, par sa décision n° 2004/162/CE du
10 février 2004, a consenti à proroger jusqu
’
au 1
er
juillet 2014 l
’
autorisation dérogatoire
accordée en 1989. Elle y a ajouté l
’
exigence de «
se limiter aux mesures qui sont
strictement nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis, compte tenu des
handicaps de l
’
ultrapériphéricité
». L
’
objectif fixé était que «
le différentiel de taxation
[…]
n
’
ait pour objet que de compenser ce handicap et ne transforme pas cet impôt en
une arme protectionniste remettant en cause les principes de fonctionnement du marché
intérieur
». Elle réaffirmait que la recette devait être affectée à une stratégie de
développement économique.
La décision n° 940/2014/UE du 17 décembre 2014 tire les conséquences de la
modification des traités européens par le traité de Lisbonne en 2007. L
’
article 349 du
traité sur le fonctionnement de l
’
Union européenne (TFUE) confie en effet au Conseil,
sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, la
possibilité d
’
adopter des mesures spécifiques au bénéfice des RUP. La décision du
17 décembre 2014 prend acte que le respect de l
’
article 349 du TFUE suppose que «
le
différentiel de taxation autorisé
[n
’
excède pas]
les surcoûts justifiés
[…]
afin de ne pas
nuire à l
’
intégrité et à la cohérence de l
’
ordre juridique de l
’
Union, y compris le maintien
d
’
une concurrence non faussée dans le marché intérieur et les politiques en matière
d
’
aides d
’
État
». L
’
exigence d
’
affectation des recettes fiscales à la stratégie de
développement économique a été ainsi réitérée. De nouveau, le 18 décembre 2018, la
Commission a réitéré dans son rapport au Conseil son exigence de pouvoir mesurer
l
’
incidence de la taxation différenciée sur la croissance et sur l
’
emploi.
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Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
12
Cette décision de 2014 a prorogé l
’
autorisation européenne jusqu
’
au 31 décembre 2020.
Le 11 août 2020, la Commission a présenté une proposition visant à proroger de six mois
la décision du Conseil relative à l
’
octroi de mer, avec une nouvelle date d
’
expiration au
30 juin 2021, pour tenir compte de l
’
impact économique important de la pandémie de
COVID-19 sur les régions ultrapériphériques françaises.
La région Guadeloupe considère que l’article 349 du TFUE reconnaît l’existence de
handicaps permanents affectant le territoire, ce qui justifierait, selon elle, le maintien
pérenne du principe d’écarts tarifaires. Au contraire, le fait que l’U
nion européenne
soumette
ce régime d’
exception à la condition de la mesure annuelle des surcoûts dans le
cadre d’une autorisation périodiquement et expressément renouvelée
, dans un objectif de
convergence, atteste que les handicaps identifiés ne peuvent être que relatifs et
temporaires.
1.1.1. 1.
La décision du 10 février 2004 a créé un dispositif de taxation différenciée
La décision du 22 décembre 1989 autorisait
« des exonérations [de l
’
octroi de mer],
partielles ou totales selon les besoins économiques, […] en f
aveur des productions
locales »
.
La décision du 10 février 2004 a encadré doublement le dispositif :
-
les exonérations et réductions de taux en faveur de certaines productions locales
sont limitées à trois listes de biens (A, B et C) ;
-
la différence de taux, autorisée entre produits importés et produits locaux, est
plafonnée pour chaque liste à 10, 20 ou 30 points de pourcentage.
Les trois listes de biens A, B et C sont spécifiques à chaque DROM ; elles comprennent
165 familles de produits pour la Guadeloupe. Ces produits locaux sont communément
appelés «
productions de liste
».
La décision de 2004 assujettit toutes les entreprises mais les producteurs locaux dont le
chiffre d
’
affaires annuel n
’
atteignait pas 550 000
€ étaient exonérés de taxation.
Ce régime de 2004 était encore en vigueur en 2014 et au premier semestre de 2015, les
deux premiers exercices de la période examinée dans le présent rapport.
1.1.1. 2.
La décision du Conseil du 17 décembre 2014 a restreint l
’
écart de taxation
autorisé
La décision du 17 décembre 2014 a reconduit le principe de trois listes A, B et C par
DROM et des trois plafonds de différentiel de taxation.
Cependant, le nombre de familles de produits des listes A, B et C autorisé pour la
Guadeloupe est réduit à 97 et la composition des familles de produits de chaque liste a
évolué assez sensiblement entre le régime de 2004 et celui de 2014. Enfin, le
référencement des produits de liste à la position tarifaire à quatre ou six chiffres (système
harmonisé de l
’
organisation mondiale des douanes dit SH4 ou SH6, respectivement),
nomenclature de marchandises qui sert à l
’
élaboration des tarifs douaniers, a été considéré
comme insuffisamment précis, s
’
agissant de grandes familles de produits hétérogènes. Il
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
13
a donc été décidé de recourir à une nomenclature plus détaillée de sous-position à huit
chiffres (nomenclature combinée européenne dite NC8).
Nombre de familles et de produits de liste de la décision n° 940/2014
Liste A
Liste B
Liste C
Liste de familles de produits figurant à l
’
annexe de la décision
23
63
11
Déclinaison à l
’
échelle NC8
272
409
153
Source : région Guadeloupe, rapport à mi-parcours
La région Guadeloupe avait demandé l
’
inscription de 63 autres
familles de produits (à
l
’
échelle SH4) dont l
’
inscription a été, selon les produits, refusée, limitée ou déclassée
par le Conseil européen.
La région n
’
a pas conduit d
’
étude pour savoir ce qu
’
étaient devenues les entreprises dont
la production était sortie des listes européennes en 2014. Elle ne sait pas dans quel sens a
évolué leur production locale au regard des importations, des prix et des emplois. Or,
c
’
est une question stratégique pour mesurer l
’
effectivité du développement économique
ou, au contraire, du soutien des différentiels tarifaires.
Cependant, à l
’
issue de l
’
examen à mi-parcours du régime 2014-2020, la décision (UE)
n° 2019/664 du Conseil du 15 avril 2019 a modifié les listes A, B et C, réservant une suite
favorable aux demandes de la région Guadeloupe de voir inscrire de nouveaux produits
sur les listes (tels que les piments, des viandes, des sauces, des engrais, des produits
cosmétiques, des boîtes en carton) ou de faire passer certains produits de la liste A à la
liste B (tels que l
’
ananas, les préparations et conserves à base de viande, certains engrais)
ou de la liste B à la liste C (tels que les yaourts, les eaux aromatisées, certains matériaux
de construction), sur la base des surcoûts calculés par la région.
Au total, cependant, plus de 97 % des produits du code douanier à l
’
échelle NC8 ne
donnent pas lieu à production locale et ne sont pas pris en compte par l
’
autorisation
européenne. Ces produits sont importés et la région est libre d
’
en fixer le taux d
’
octroi de
mer, dans la limite d
’
un taux maximal de 60 % et, pour les produits alcooliques et les
tabacs manufacturés, d
’
un taux maximal de 90 % (article 27 de la loi 2004-639 modifiée).
1.1. 2.
Un dispositif d
’
exonération sur les importations ajouté par la loi nationale
Au niveau national, la décision européenne du 22 décembre 1989 a conduit la France à
abroger son propre dispositif et à adopter la loi n° 92-676 du 17 juillet 1992 pour mettre
en œuvre l’
encadrement européen.
Cette loi a distingué l
’
«
octroi de mer
» (ODM) destiné aux communes et un «
droit
additionnel
» affecté à la région (DADOM). Elle a institué un fonds régional pour le
développement et l
’
emploi (FRDE) alimenté par le solde de l
’
octroi de mer après
affectation d
’
une dotation globale garantie aux communes. Le FRDE a été affecté à la
région pour qu
’
elle aide les communes à réaliser des projets de développement
économique favorable à l
’
emploi.
À la suite de la décision du Conseil n° 2004/162/CE du 10 février 2004, la loi n° 2004-
639 du 2 juillet 2004 a abrogé la loi du 17 juillet 1992 et transposé le nouveau cadre
européen.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
14
La loi de 2004 a été, elle-même, modifiée par la loi n° 2015-732 du 29 juin 2015 à la suite
de la décision n° 940/2014/UE du 17 décembre 2014 qui proroge le dispositif de l
’
octroi
de mer jusqu
’
au 31 décembre 2020.
Le Conseil constitutionnel, saisi d
’
une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a
déclaré, en 2018, l
’
octroi de mer, dans sa version antérieure à sa réforme de 2015,
conforme à la Constitution (décision n° 2018-750/751 QPC). Le Conseil a, en effet, jugé
que la loi ne méconnaissait pas les principes d
’
égalité devant la loi et devant les charges
publiques :
-
ni au titre d
’
une différence de traitement entre producteurs locaux et leurs
concurrents de métropole, s
’
agissant des produits locaux exportés en franchise
d
’
octroi de mer ;
-
ni entre biens meubles soumis à l
’
octroi de mer et services et livraisons
d
’
immeubles qui n
’
y sont pas soumis ;
-
ni, enfin, entre les importations exonérées au bénéfice des secteurs qui en sont
bénéficiaires et les autres.
1.1.2. 1.
La loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 a ajouté à l
’
autorisation européenne un
dispositif national d
’
exonérations d
’
octroi de mer à l
’
importation
Dès 1992, la loi a ajouté un régime purement national d
’
exonération en matière
d
’
importation, maintenu et développé depuis lors, applicable :
-
à l
’
importation de biens qui sont déjà admis en franchise de droits (accises) et
taxes (TVA), ainsi qu
’
à l
’
importation de productions locales dans le cadre du
« marché unique antillais » - MUA - (article 4 de la loi) ;
-
à l
’
importation de quatre types de biens d
’
équipement et de matières premières,
et de biens réimportés en l
’
état (article 6).
Les deux premiers types d
’
exonérations sont dits obligatoires ; le troisième, dit facultatif,
est soumis à délibération de la région.
Hors réimportation, les exonérations de l
’
article 6 de la loi portent sur les biens suivants :
-
1° matériels d
’
équipement destinés à l
’
industrie hôtelière et touristique ainsi que
les produits, matériaux de construction, engrais et outillages industriels et
agricoles figurant sur une liste et destinés à une personne exerçant une activité
économique ;
-
2° matières premières destinées à des activités locales de production ;
-
3° équipements destinés à l
’
accomplissement des missions régaliennes de l
’
État ;
-
4° équipements sanitaires destinés aux établissements de santé publics ou privés.
La loi de 2004 a transformé le DADOM affecté aux régions en «
octroi de mer régional
»
(OMR) dont le taux plafond a été porté de 1 % à 2,5 %. Par ailleurs, les régions ayant
précédemment accumulé les crédits du FRDE sans les réaffecter aux projets communaux
auxquels il était destiné, l
’
affectation de ce fonds a été modifiée : le FRDE est désormais
attribué à hauteur de 80 % aux communes et de 20 % à la région.
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Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
15
1.1.2. 2.
La loi n° 2015-762 du 26 août 2015 a mis à jour la loi de 2004 et a élargi les
possibilités d
’
exonérations d
’
octroi de mer à l
’
importation
La loi n° 2015-762 du 26 août 2015 qui fixe le régime actuel a transposé dans le droit
interne la réforme européenne en précisant des points qui ne figurent plus dans la décision
du Conseil :
-
le seuil de chiffre d
’
affaires des entreprises assujetties est abaissé de 550 000
€
à 300 000
€, en vue
d
’
élargir l
’
assiette d
’
imposition ;
-
la possibilité de demande annuelle de révision des listes A, B et C a été
maintenue alors que cette faculté a disparu de la décision du Conseil.
Le dispositif purement national d
’
exonérations à l
’
importation institué par la loi
n° 2004-639 a été largement ouvert. Le nouvel article 6 opère trois modifications
substantielles :
-
il élargit à tout bien la possibilité d
’
exonération d
’
octroi de mer à l
’
importation ;
-
il unifie les deux premiers régimes d
’
exonération ouverts aux entreprises, sous
réserve qu
’
elles soient accordées par secteur d
’
activité économique et par
position tarifaire ;
-
il introduit deux nouvelles catégories de bénéficiaires : les personnes morales
scientifiques, de recherche et d
’
enseignement (nouveau 2°), ainsi que les
organismes à but non lucratif au sens de l
’
article 200 du CGI (nouveau 6°).
La loi élargit la possibilité d
’
exonération (article 7.1) aux biens destinés à l
’
avitaillement
des avions et navires et aux carburants destinés à un usage professionnel.
La loi précise les contours du « marché unique antillais » (MUA) entre la Martinique et
la Guadeloupe.
L
’
article 37 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l
’
égalité
réelle outre-mer a introduit la possibilité d
’
instituer un taux supplémentaire d
’
octroi de
mer régional ne pouvant excéder 2,5 % pour les collectivités ayant signé avec l
’
État un
contrat de convergence (voir
infra
). L
’
OMR pourrait donc être porté à 5 % sous cette
condition.
1. 2.
Un régime d
’
imposition sensiblement plus complexe que la TVA
L
’
octroi de mer relève à la fois de la fiscalité locale, puisque son produit est reversé aux
collectivités, et des droits indirects, puisqu
’
il n
’
est pas versé directement par le
contribuable au Trésor public.
C
’
est la douane (direction générale des douanes et droits indirects - DGDDI) qui est
chargée du recouvrement et du contrôle de l
’
octroi de mer, ce recouvrement étant payé,
en pratique, lorsqu
’
il s
’
agit d
’
importations, par les commissionnaires en douane, lors de
la déclaration en douane pour le compte de l
’
importateur, qui la refacture à son client en
sus du prix de revient des produits mis à la consommation.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
16
1.2. 1.
Une
complexité
concernant
tant
l’
assiette
que
la
délimitation
de
l
’
assujettissement ou, encore, la liquidation de la taxe
Les opérations soumises à l
’
OM sont les importations de biens mis à la consommation
(octroi de mer externe - OME) et les livraisons à titre onéreux de biens produits sur place
(octroi de mer interne - OMI). Aussi la région vote-t-elle quatre taux pour chaque produit :
octroi de mer (communal) interne (OMI), octroi de mer régional interne (OMRI), octroi
de mer (communal) externe (OME), octroi de mer régional externe (OMRE).
L
’
assiette est constituée de la valeur
hors taxes
des biens, soit importés, soit livrés par les
personnes qui y sont assujetties.
Elle n’est cependant pas la même selon qu’il s’agit
d’importation ou de production locale
.
A l’importation, l’
assiette de l
’
OM est la valeur
en douane (coût du bien, assurance et fret - CAF). Pour les livraisons de biens produits
localement, l
’
assiette est le prix de vente hors TVA et hors accises
1
.
Sont assujetties à l
’
OMI les entreprises dont le chiffre d
’
affaires afférent à une activité de
production
2
atteint le seuil de 300 000
€
. Le caractère déclaratif de la production locale
renvoie au respect de l’obligation et à son contrôle, à
la situation des entreprises qui
franchissent le seuil,
dans un sens ou dans l’autre
. Sous le régime antérieur à 2014, toutes
les entreprises étaient assujetties (obligation de déclaration) même si seules celles
dépassant le seuil d’imposition étaient redevables de l’octroi de mer. Le régime actuel est
beaucoup plus difficile à contrôler.
L
’
octroi de mer est exigible au moment de l
’
importation ou de la livraison du bien. Il est
liquidé :
-
sur la déclaration en douane pour les opérations d
’
importation ;
-
pour les livraisons, au vu de déclarations trimestrielles souscrites par les
entreprises assujetties.
Par conséquent, l’importateur, qui n’est pas légalement considéré comme assujetti, doit
préfinancer la taxe avant d’avoir vendu le produit, alors que le producteur local rembourse
une taxe encaissée avec le produit de la vente, ce qui lui procure une trésorerie au
trimestre.
Toute personne qui importe un bien en provenance de France ou de l’Union européenne
s’acquitte de l’octroi de mer à partir d’une valeur déclarée de 205
€ et d
ès le premier euro
pour la vente par correspondance. La population de Guadeloupe est, à cet égard, privée
de l’accès à la vente par correspondance du fait de
la lourdeur des opérations de
dédouanement et de taxation qui a pour effet de dissuader le secteur de livrer outre-mer,
pour des biens qui ne concurrencent, pour la plupart, aucune production locale.
1
Les accises sont des taxes fondées non sur une valeur monétaire mais sur une quantité matérielle.
2
Sont considérées comme des activités de production les opérations de fabrication, de transformation ou
de rénovation de biens meubles corporels, ainsi que les opérations agricoles et extractives.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
17
L
’
OM payé sur les biens nécessaires ou incorporés à une production imposable est, sauf
exception
3
, déductible de l
’
OM perçu sur le prix de vente. L
’
éventuel excédent du premier
sur le second peut être reporté, jusqu
’
à épuisement, sur les déclarations suivantes. La
déduction au titre de l
’
année en cours est ouverte aux entreprises qui franchissent le seuil.
Les services ne sont pas taxés, ce qui a engendré des conflits d’interprétation sur la
qualification juridique de certaines activités, telles que les « points chauds » ou la
restauration rapide
4
.
1.2. 2.
Un dispositif mal articulé avec la TVA
Si l
’
assujetti à l
’
octroi de mer est l
’
entreprise alors que le système de l
’
imposition-
déduction en cascade de la TVA pèse seulement sur le consommateur, la charge finale de
l
’
octroi de mer sur les entreprises demeure inévitablement financée par les prix à la
consommation. Il s
’
agit donc aussi d
’
une taxe sur la consommation, au régime beaucoup
plus rustique que le régime de la TVA dont le système de perception performant se
développe à l’échelle mondiale
.
En effet, alors que la TVA apparaît clairement à chaque transaction portant sur un bien
ou un service, ce qui permet d’en assurer la parfaite traçabilité, l’octroi de mer n’apparaît
clairement que dans le cadre du processus de production : taxation du produit sortant et
déductibilité de l’octroi de mer sur les intrants. En revanche, s’agissant des services et
notamment du commerce, l’octroi de mer est acquitté par l’entreprise importatrice puis
il
se fond dans le prix de revient du bien et ne peut plus être précisément affiché au cours
des différentes transactions jusqu’au clien
t final, rendant invérifiable son effet relatif sur
les prix par rapport à la marge.
En vertu de l’article 45 de la loi n°
2004-639, par exception aux dispositions des
articles
267 et 292 du code général des impôts, l’OM et l’OMR ne sont pas compris dans
l
a base d’imposition de la TVA. Seuls les assujettis à l’octroi de mer vendant des biens
produits localement à d’autres assujettis doivent faire figurer l’OM et l’OMR sur leurs
factures de ventes (article 35 de la loi).
Or, dans les faits, sauf en ce qui co
ncerne l’électricité
et l’eau potable, l’absence de
formalisation de son montant dans la facturation conduit à ce qu’il soit illégalement
compris dans la base d’imposition de la TVA du client final. Cette anomalie c
ontribue à
la cherté de la vie.
Le fait q
ue, pour le commerce, l’octroi de mer pèse sur le prix à l’importation et non
sur
le prix de vente, rend peu praticable une éventuelle indication obligatoire sur les factures
et tickets de caisse du montant du prix hors taxes, de l’octroi de mer et de la T
VA. Difficile
3
Ce droit à déduction de l
’
octroi de mer payé par l
’
entreprise sur l
’
octroi de mer facturé à ses clients
n
’
est pas ouvert pour les biens d
’
investissement qui ne sont pas affecté au moins à 50 % à des opérations
ouvrant droit à déduction, et ne s
’
applique pas aux achats de véhicules pour le transport des personnes,
à l
’
exception des véhicules de plus de huit places utilisés par les entreprises pour transporter leur
personnel sur les lieux de travail.
4
Plusieurs jurisprudences ont distingué, dans l’activité de restauration, celle qui réalise des opérations de
production (les restaurants, les boulangeries-pâtisseries) et celle qui se contente de réchauffer (les points
cha
uds) ou d’ajuster des ingrédients sans les cuisiner (restauration rapide), qui relève des services non
assujettis.
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Rapport d’observations définitives
18
à mettre en œuvre en raison du caractère très complexe de cette imposition
, une telle
mesure contribuerait pourtant à la compréhension de la composition des prix par le public.
Par ailleurs, les taux votés par la région ne sont pas tous cohérents avec les taux de TVA.
Un certain nombre de produits de consommation courante, tels que les médicaments ou
les animaux destinés à la boucherie connaissent un écart significatif entre taux de TVA
5
et taux d’octroi de mer qui conduit la politique fiscale de l’État et celle de la région à se
neutraliser.
La région devrait, sinon aligner, du moins rendre cohérente la grille de taux avec les
orientations de politique fiscale qui sous-tendent les taux de TVA. Elle pourrait ainsi
définir un encadrement des taux par des fourchettes, par exemple une fourchette de 0 à
4 % (OM+OMR) pour les deux taux super-réduits, de 4 à 8 % pour le taux réduit et de 8
à 12 % pour le taux normal, et jusqu
’
à 60 %, plafond de l
’
article 27 de la loi, pour une
liste limitative de produits, hors produits alcooliques et tabacs manufacturés dont le taux
maximal légal est de 90 %.
Rendre cohérente la taxation de l
’
octroi de mer avec la
TVA, en créant trois ou quatre fourchettes de taux
d
’
octroi de mer, correspondant aux taux normal, réduit,
particulier et, éventuellement, majoré.
2.
UN RÉGIME DE PROTECTION DOUANIÈRE CONSTITUANT
D’ABORD
UNE RESSOURCE SUPPLÉMENTAIRE POUR LES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES, À LA MAIN DE LA RÉGION
2. 1.
Une ressource supplémentaire rendue possible par une réduction du taux de
TVA consentie par l
’
État
L
’
octroi de mer désigne deux taxes réparties en trois parts : l
’
octroi de mer régional
(OMR) qui est une ressource de la région, l
’
octroi de mer (ODM) qui est une ressource
des communes subdivisée en deux parts : une dotation globale garantie (DGG) et un solde
qui constitue le fonds régional pour le développement et l
’
emploi (FRDE).
L
’
expression « octroi de mer » est utilisée au sens général dans le présent rapport, la
précision étant apportée chaque fois que nécessaire, s
’
agissant de l
’
octroi de mer destiné
aux communes ou de l
’
octroi de mer régional.
5
Le taux de TVA à 2,1 % (10 % en métropole) s
’
applique notamment aux produits destinés à
l
’
alimentation humaine, à l
’
eau potable, à certains produits d
’
origine agricole, de la pêche, de la
pisciculture et de l
’
aviculture, aux produits destinés à l
’
alimentation animale et aux produits à usage
agricole, aux livres, aux appareillages et équipements spéciaux pour personnes handicapées, à certains
produits de santé ou d
’
hygiène.
Le taux de TVA de 1,75 % est
relatif aux ventes d’animaux vivants de boucherie et de charcuterie faites
à des personnes non assujetties à la TVA (autoentrepreneurs et microsociétés dont le chiffre d’affaires
est inférieur à un plafond).
Le taux de TVA de 1,05
% s’applique aux
publications de presse.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
19
Répartition des recettes de l
’
octroi de mer
Nota :
l
’
octroi de mer prélevé comprend un prélèvement pour frais d
’
assiette et de recouvrement qui
était de 2,5 % jusqu
’
à 2016 et qui est de 1,5 % depuis la loi n° 2017-256 du 28 février 2017.
Source :
chambre régionale des comptes
Les recettes totales d
’
octroi de mer des collectivités guadeloupéennes se sont élevées
à 259,6
M€
en 2014 et à 301,1
M€
en 2019. Elles ont augmenté de 16 % sur cette période
et de 2,8 % en moyenne annuelle. De 2014 à 2018, l
’
inflation cumulée s
’
est élevée à
3,02 % ; par conséquent, l
’
octroi de mer s
’
est révélé une recette fiscale très dynamique
en euros constants (+13 %).
Prélèvement opéré en Guadeloupe au titre de l
’
octroi de mer
et destination des sommes collectées, de 2014 à 2019
(M€)
Répartition
2014
2015
2016
2017
2018
2019
Frais d
’
assiette et de recouvrement (DGDDI)
6,6
7,0
7,0
4,0
4,3
4,6
Dotation globale garantie (communes)*
169,4
193,2
193,8
194,1
191,7
196,1
Fonds régional de développement économique (FRDE)
16,3
7,7
5,0
2,9
9,1
18,2
Octroi de mer régional (région)
73,9
72,3
74,5
76,2
82,7
86,8
Total (montant prélevé)
266,2
280,2
280,3
277,2
287,8
305,7
*
dont le solde de 4 % versé en N+1
Source : préfecture de région Guadeloupe
2.1. 1.
Une recette supplémentaire pour la région
Les régions d
’
outre-mer perçoivent, en sus des impôts et taxes que perçoivent les régions
de métropole (article L. 4331-2 du CGCT), les recettes fiscales suivantes :
-
la taxe spéciale de consommation sur les carburants (TSCC) en lieu et place de
la quote-part de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques
(TICPE) perçue par les régions de métropole
6
;
-
la taxe sur les transports publics, aériens et maritimes ;
6
Elle perçoit néanmoins, à l’instar des autres régions, deux parts de TICPE au titre des ressources pour
l’apprentissage et, depuis 2015, une part de TICPE pour la gestion des fo
nds européens et, depuis 2018,
pour la gestion du CREPS et du dispositif
« Nouvel accompagnement pour la création ou la reprise
d’entreprise
»
(NACRE).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
20
-
l
’
octroi de mer régional ;
-
les taxes additionnelles assimilées à l
’
octroi de mer sur les rhums et spiritueux.
En outre, elles perçoivent des recettes fiscales spécifiques destinées au financement
d
’
investissements (CGCT art. L. 4331-3) :
-
le produit des amendes des radars ;
-
20 % du fonds régional pour le développement et l
’
emploi (FRDE).
Avant de compter l
’
octroi de mer, la région Guadeloupe dispose déjà d
’
une recette de
fonctionnement par habitant très supérieure à celle de la moyenne des régions de France
euro-continentale et supérieure à celle de La Réunion.
Recettes de fonctionnement par habitant (en euros) de la région Guadeloupe en 2018,
et comparaison avec la région La Réunion et avec les régions de France eurocontinentale
Recettes fiscales
hors octroi de mer
Octroi
de mer
Dotations et
participations
Autres recettes
de gestion
Total
Région Guadeloupe
312
208
207
19
746
Région La Réunion
392
112
167
12
683
Régions métropolitaines (hors Corse)
329
-
40
6
375
Source : Direction générale des collectivités locales
Sans compter l
’
octroi de mer, en 2018, la région Guadeloupe a reçu 538
€/habitant de
ressources de fonctionnement totales, contre 571
€/hab. pour la région La Réunion et
375
€/hab. pour les régions de France eurocontinentale. Par habitant, la région
Guadeloupe a donc reçu au cours de cette année 2018, sans évènement particulier qui les
auraient affectées à la hausse ou à la baisse, 71 % de plus de recettes de fonctionnement
que ses homologues de métropole, hors octroi de mer, et 94 % de plus avec l
’
octroi de
mer.
S
’
agissant des seules recettes fiscales par habitant, en 2017, la région Guadeloupe en a
reçu 58 % de plus que les régions métropolitaines, sous l
’
effet de la fiscalité indirecte
spécifique (octroi de mer et taxe sur les carburants) qui lui a rapporté, par habitant,
4,36 fois le montant qu
’
a rapporté la TICPE aux régions hexagonales (80
€).
2.1.1. 1.
La région Guadeloupe conserve son pouvoir de taux sur ses deux principales
recettes fiscales, à la différence des régions de métropole qui n
’
en disposent
plus
La région Guadeloupe dispose du pouvoir de fixer le taux de l
’
octroi de mer mais, aussi,
celui de la taxe sur les carburants.
Avec 54,3
M€ en 201
8, la taxe sur les carburants est la seconde recette fiscale de la région
Guadeloupe. Recette spécifique à l
’
outre-mer, elle donne lieu à un taux voté par la région
sur lequel elle conserve des marges. La fiscalité sur les carburants est moins élevée en
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
21
Guadeloupe qu
’
en métropole
7
, alors même que le prix à la pompe, sensiblement le même
ou légèrement plus élevé,
s’explique par l
es marges des sociétés
8
. Comme pour l
’
octroi
de mer, l
’
État abandonne à la région Guadeloupe une recette fiscale qu
’
il gère et perçoit
en partie en métropole, la région Guadeloupe ayant la main sur les taux, les exonérations
et sur une partie de la répartition du produit de la collecte (article L. 4434-3 du CGCT).
À la différence des régions métropolitaines qui ont perdu en grande partie leur pouvoir
de taux
9
depuis 2011, la Guadeloupe, en tant que région d
’
outre-mer, conserve donc le
pouvoir de taux de ses deux principales recettes fiscales indirectes, la taxe sur les
carburants et l
’
OMR, qui représentent ensemble 67,7 % de ses recettes fiscales. En
ajoutant la taxe sur les immatriculations, la région Guadeloupe dispose d
’
un pouvoir de
taux sur 73,04 % de ses recettes fiscales (2018).
Le maintien d
’
un pouvoir de taux élevé est considéré comme un avantage par rapport aux
régions métropolitaines avec, toutefois et en contrepartie, la nécessité pour la collectivité
qui les perçoit d
’
assumer la responsabilité de fixer ces taux, de se donner les moyens d
’
en
apprécier les effets, tant sur le niveau des recettes que sur l
’
économie régionale, et de
devoir assumer plus directement les variations de recettes liées à ces taxes qui peuvent
être importantes selon les circonstances.
2.1.1. 2.
Le prélèvement
d’OMR
au plafond du taux normal en fait la première recette
fiscale de la région
L’octroi de mer régional
est fixé de manière systématique au taux plafond de 2,5 % :
moins d
’
une dizaine de produits bénéficient d
’
une exonération ou d
’
un taux réduit
d
’
OMR.
En 2019, l
’
octroi de mer régional, avec 86,8
M€
, compte pour 40,07 % des recettes
fiscales et 26,97 % des recettes de fonctionnement de la région (hors recettes
exceptionnelles). C
’
est, ainsi, sa première recette fiscale.
L
’
OMR a nettement progressé dans les recettes de la région Guadeloupe (+ 6 points de
pourcentage depuis 2004).
Rapporté à sa population, en comparaison avec les autres collectivités régionales d
’
outre-
mer, c
’
est en Guadeloupe que l
’
octroi de mer régional pèse le plus (207,90
€/habitant) et
qu
’
il croît le plus (+ 13,47 % en quatre ans).
7
0,38
€ pour le gazole contre
0,59
€ en métropole et
0,59
€ pour le SP95 et
le SP98 contre de 0,66 à
0,68
€ en métropole, en
2019.
8
Source : relevés de la préfecture de la Guadeloupe.
9
Sauf en ce qui concerne les certificats d
’
immatriculation et la majoration d
’
une part de la TICPE dite
« Grenelle », recette affectée.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
22
Comparaison des recettes fiscales d
’
octroi de mer
des régions et collectivités territoriales uniques d
’
outre-mer (montants en euros)
2014
2015
2016
2017
2018
Variation
2018/2014
Guadeloupe
72 919 247
72 313 100
74 460 883
76 124 461
82 738 318
+ 13,47 %
Guyane
35 756 317
32 713 667
60 231 800
49 445 780
NC
Martinique
67 059 529
63 116 500
75 190 361
71 976 387
75 129 474
+ 12,03 %
La Réunion
93 823 716
94 766 739
95 060 274
97 994 317
101 605 983
+ 8,29 %
Source : comptes de gestion 2014 à 2018 des quatre régions et collectivités uniques
2.1.1. 3.
Le doublement du plafond rendu possible par le contrat de convergence, non
mobilisé
La loi n° 2017-256 du 28 février 2017 autorise les régions ayant signé avec l
’
État un
contrat de convergence à porter le taux de l
’
OMR jusqu
’
à 5 %. La région Guadeloupe qui
a signé le contrat de convergence le 31 décembre 2018, n
’
a pas prévu, pour l
’
instant, de
recourir à cette faculté.
L
’
éventualité d
’
un relèvement du taux de l
’
octroi de mer pèserait sur les importations.
Comme 90 % des produits importés ne figurent pas sur les listes européennes et n
’
ont pas
d
’
équivalent dans la production locale, toute augmentation du taux d
’
OMR se traduirait
par une augmentation des prix, sans possibilité de réorientation du consommateur vers la
consommation locale.
S
’
agissant des produits de liste, un éventuel relèvement de l
’
OMR se traduirait par une
diminution de même niveau de l
’
octroi de mer des communes. Au demeurant, les
productions locales étant très majoritairement exonérées en vertu des différentiels
autorisés, le produit serait limité.
2.1. 2.
Une recette répartie entre les communes par la région
L’octroi de mer des communes est
réparti en deux parts : la première, intitulée dotation
globale garantie (DGG), alimente le budget de fonctionnement des communes, tandis que
la seconde, fonds régional pour le développement et l’emploi
(FRDE), est une recette
d’investissement attribuée à
hauteur de 80 % aux communes et de 20 % à la région.
En vertu de l
’
article 47 de la loi n° 2004-639 précitée, le montant de DGG des communes
est égal au montant de l
’
année précédente majoré du taux de croissance du PIB en
valeur
10
. Un dispositif prévoit l
’
hypothèse où
les recettes d’octroi de mer ne permettraient
10
Indice composé de la somme du taux d
’
évolution de la moyenne annuelle du prix de la consommation
hors tabac des ménages et du taux d
’
évolution du produit intérieur brut total en volume, tels qu
’
ils
figurent dans les documents annexés au projet de loi de finances de l
’
année en cours.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
23
pas d’atteindre le
montant de DGG ainsi calculé
11
. Le FRDE est constitué du solde après
calcul de la DGG.
Evolution de l’octroi de mer communal depuis 2014 (montant en M€)
2014
2015
2016
2017
2018
2019
DGG (part principale et 4 %)
169,4
193,2
193,8
194,1
191,7
196,1
FRDE (solde N-1 versé en N)
13,1
6,1
4,0
2,3
9,1
14,5
Total
180,3
192,9
187,1
187,6
192,1
203,5
Par habitant
445,88
€
478,29
€
465,28
€
468,78
€
482,68
€
516,35
€
Source :
préfecture de la Guadeloupe
Il appartient à la région de proposer à l’État les critères de répartition de la DGG. L
a
délibération en vigueur, en date du 28 mars 2002, fixe les critères de répartition et modifie
la délibération du 29 mars 1999. La DGG est ainsi répartie en fonction de deux critères :
-
le premier critère, fixé en 1978, est fondé sur une répartition proportionnelle à la
population communale avec un minimum par commune correspondant à
3 000 habitants ;
-
le second critère, déterminé en 2002, attribue 4 % du produit total en trois parts
dont la proportion n
’
est pas précisée (une fraction aux villes-centres que sont
Basse-Terre et Pointe-à-Pitre ; une fraction aux communes des îles, le solde étant
réparti par délibération entre les communes pour le financement de «
chartes
communales, pour des projets d
’
intérêt régional »)
.
La part démographique minimale bénéficie aujourd
’hui à cinq communes (dont
quatre
situées dans les îles du sud)
12
, dont elle augmente les ressources tirées de l
’
octroi de mer
de 80 % en moyenne par rapport à leur part réelle dans la population.
Malgré la fraction qui est allouée aux deux communes chefs-lieux, la recette totale
d
’
octroi de mer compte proportionnellement moins dans les produits de gestion et les
recettes fiscales des communes
les plus peuplées ou dans lesquelles l’activité
commerciale est la plus développée, telles que Basse-Terre, Pointe-à-Pitre, Baie-Mahault
et Les Abymes où elle représente de 18,3 à 23,5 % des produits de gestion, que dans les
recettes des communes plus rurales, telles que Vieux-Fort ou Terre-de-Bas où elle
représente respectivement 65,2 et 71,4 % des produits de gestion.
La région délibère chaque année pour répartir les 4 % restants, qualifiés de « réserve ».
La délibération a lieu parfois deux fois dans l’année (2014) ou attribue le solde de deux
exercices (2016 pour 2015 et 2016). Le montant total ne représente pas 4 % de la DGG
et varie de 2,2 à 10,7
M€ au cours de la période.
Le solde disponible en 2019 versé en
2020 s
’
est ainsi élevé à 3,6 % et non à 4 %, ce qui engendre un reliquat variable reporté
11
Dans le cas où le produit global de l
’octroi de mer serait
inférieur au montant de la DGG répartie l
’
année
précédente augmentée de l
’
indice prévu, la dotation globale garantie de l
’année en cours serait
réduite
à due concurrence. Dans ce cas, le montant de la dotation globale garantie de l
’
année suivante est alors
égal à la dotation de l
’
antépénultième année, majorée des indices mentionnés correspondants à l
’
année
précédente et à l
’année en cours.
12
Au 1
er
janvier 2017 (INSEE) : La Désirade, 1 448 habitants ; Terre-de-Bas, 1 046 habitants ; Terre-de-
Haut 1 532 habitants ; Vieux-Fort 1 845 habitants ; Saint-Louis 2 447 habitants.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
24
d
’
une année sur l
’
autre, sans justification. Le reliquat de l
’
année est connu au plus tard
fin janvier de l
’
année suivante et devrait être intégralement et immédiatement attribué.
La répartition du solde entre les communes n
’
obéit donc plus au dispositif du décret de
1999. Elle est arbitraire dès lors qu
’
elle consiste à répartir, hors critères objectifs, le solde
par l’attribution de montants forfaitaires alloués aux communes. Il
appartient à la région
d
’
organiser une concertation avec les communes puis de délibérer pour proposer à l
’État
des critères de répartition rénovés qui feraient l
’
objet d
’
un nouveau décret.
Depuis 2017, le préfet entérine par arrêté la délibération régionale répartissant les sommes
entre les communes. Cette situation résulte de l
’
incertitude juridique du régime et de la
ressource de l
’
octroi de mer qui n
’
a finalement pas d
’
ordonnateur : ce n
’
est pas l
’État
puisqu
’
il s
’
agit de recettes fiscales locales et ce n
’
est pas la région qui ne perçoit pas la
recette avant sa redistribution entre les bénéficiaires. La responsabilité respective de la
région et de l
’État
est en fait indiscernable au regard du système financier public.
Alors que l’article 72 de la Constitution dispose qu’»
aucune collectivité territoriale ne
peut exercer une tutelle sur une autre
», la loi confie à la région une responsabilité
importante en matière de ressources financière des communes :
elle vote non seulement
les taux d’octroi de mer (dont les différentiels autorisés par l’Union européenne et les
exonérations d’octroi de mer à l’importation) mais, aussi, les critères de répart
ition du
produit entre les communes, soumis à autorisation expresse ou implicite du
Gouvernement (article 48 de la loi du 2 juillet 2004). On peut relever à cet égard que la
loi exige un décret tout en reconnaissant l’applicabilité directe de la délibérati
on
modifiant les dispositions antérieures fixées par décret.
S’il ne s’agit pas d’une tutelle à
proprement parler, cette recette financière des communes fonctionne à la manière d’une
dotation dépendant de la région.
2.1. 3.
Une recette communale qui fait plus que compenser la mauvaise tenue des bases
fiscales et la faiblesse des recettes fiscales de droit commun des communes
En vertu des articles L. 23321-1 et L. 2331-3 du CGCT, les communes de Guadeloupe
perçoivent les impôts et taxes des communes de métropole, certaines impositions étant
liées à une situation spécifique (prélèvement sur les casinos, par exemple).
Elles perçoivent, en outre, le produit de la fiscalité spécifique aux DROM que sont :
-
l
’
octroi de mer ;
-
une quote-part de la taxe spéciale de consommation sur les carburants (voir
supra
).
Elles perçoivent aussi des recettes fiscales d
’
investissement, comme toutes les communes
de France, prévues à l
’
article L. 2331-5 du CGCT, auxquelles s
’
ajoutent les 80 % du
FRDE susmentionnés, recette supplémentaire propre aux communes des DROM.
En euros constants, les recettes communales issues de l
’
octroi de mer ont augmenté de
8,36 % de 2014 à 2019 et de 11,2 % par habitant.
Cet impôt s’est donc révélé une recette
dynamique en période de croissance économique.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
25
Part de l
’
octroi de mer dans les recettes fiscales des communes
OM communal et FRDE
Part dans les recettes fiscales des communes
2014
182,4
M€
40,5 %
2015
199,4
M€
41,3 %
2016
197,8
M€
44,7 %
2017
196,4
M€
44,5 %
2018
199,0
M€
45,1 %
2019
210,6
M€
47,1 %
Source :
DGCL et préfecture de la Guadeloupe (concernant les 4 % versés en N+1)
L
’
octroi de mer est ainsi la première recette fiscale des communes. En 2018, la DGG et
le FRDE ont représenté 30,4 % des produits de gestion des communes de Guadeloupe et
44,8 % de leurs recettes fiscales.
En Guadeloupe, les recettes fiscales de droit commun des communes (hors octroi de mer),
rapportées à la population, sont notablement plus faibles que dans le reste du territoire
national, en raison, principalement, de l
’
insuffisance des bases fiscales, lacunaires et
rarement actualisées (une partie importante du potentiel taxable à la taxe foncière bâtie
n
’
est pas répertoriée ni taxée) et de la sous-déclaration.
L
’
octroi de mer comble largement cette différence à l
’
échelle de la Guadeloupe mais, en
raison du mode de répartition de son produit entre les communes, de manière
sensiblement plus avantageuse pour les plus petites communes que pour les plus grosses.
Comparaison des recettes par habitant des communes de Guadeloupe
et des communes de métropole, hors Ile-de-France, par strate, en 2017 (en euros)
Strate de population
(nombre d
’
habitants)
500-
2 000
2 000-
3 500
3 500-
5 000
5 000-
10 000
10 000-
20 000
20 000-
50 000
Tranche
50 000-
60 000
Ensem-
ble
Guadeloupe
(A)
Recettes fiscales hors OM
(nombre de communes par strate)
525
4
535
2
663
1
432
11
558
7
651
6
633
1
580
32
Octroi de mer
834
490
443
451
447
449
443
454
Total recettes fiscales
2 072
1 535
1 695
1 255
1 546
1 507
1 405
1 472
Dotations et autres recett. récurrentes
368
386
317
382
466
391
304
396
Total recettes de fonctionnement
1 727
1 411
1 423
1 265
1 471
1 491
1 380
1 430
France
eurocontinentale
(hors Ile-de-France)
(B)
Recettes fiscales
(nombre de communes par strate)
436
10 995
548
2 141
654
889
742
1 036
853
428
923
192
905
21
683
34 008
Dotations et autres recett. récurrentes
340
340
361
369
402
432
423
391
Total recettes de fonctionnement
776
887
1 015
1 111
1 255
1 354
1 328
1 074
Différence de recettes (A-B), hors octroi de mer
117
34
-35
-297
-231
-312
-391
-98
Différence de recettes (A-B), octroi de mer inclus
951
524
408
154
216
137
52
356
Source : DGCL et chambre régionale des comptes
Cette ressource opportune ne doit pas les conduire à ne pas engager résolument le travail
indispensable sur leurs bases fiscales.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
26
Bien qu
’
étant une ressource supplémentaire par rapport à celles de leurs homologues de
métropole, soumise à fluctuation en fonction de l
’
activité économique et des délibérations
régionales, dans la plupart des communes de Guadeloupe, l
’
octroi de mer est utilisé pour
financer des ressources de fonctionnement rigides (dépenses de personnel excessives, le
plus souvent) et sans nécessité avérée pour le service public, comme en témoignent les
très nombreux avis budgétaires et rapports sur les comptes et la gestion rendus par la
chambre, alors que ces ressources supplémentaires devraient être réservées aux dépenses
d
’
investissement ou à des dépenses de fonctionnement aisément régulables d
’
une année
sur l
’
autre en fonction des recettes perçues.
La décision européenne de 1989 demandait que la recette de la taxe favorise, le plus
efficacement possible, le développement économique et social, ce qui doit s
’
entendre par
l
’
investissement public ou des aides à l
’
investissement des entreprises. Dans son rapport
de 2017 sur les finances publiques locales, la Cour des comptes a recommandé qu
’
une
partie significative du produit de l
’
octroi de mer soit réservée à l
’
investissement. La
proportion de FRDE devrait être sensiblement accrue en ce sens.
2.1. 4.
Le FRDE : une ressource d
’
investissement gérée par la région dont les
conditions d
’
emploi ne sont pas strictement respectées
Après attribution de la dotation globale garantie, le solde d
’
OM communal, lorsqu
’
il
existe, est affecté à l
’
alimentation du fonds régional pour le développement et l
’
emploi
(FRDE).
Depuis la loi du 2 juillet 2004
13
, 80 % des recettes du FRDE sont versées aux communes
et 20 % à la région. Calculé après la fin de l
’
exercice, il est réparti par arrêté préfectoral
et versé en année N+1.
2.1.4. 1.
Des montants élevés mais variables d
’
une année sur l
’
autre
Evolution du FRDE de 2016 à 2019 (montants en euros)
2014
2015
2016
2017
2018
2019
2020
Part communale
13 074 032
6 130 328
4 040 029
2 315 635
7 291 504
14 543 114
25 389 639
Part régionale
3 268 508
1 532 582
1 010 007
578 909
1 822 876
3 635 778
6 347 409
Total
16 342 540
7 662 910
5 050 036
2 894 544
9 114 380
18 178 892
31 737 048
L
’
année de référence du FRDE est l
’
exercice N, l
’
année du calcul et du versement est l
’
exercice N+1
Sources : Arrêtés préfectoraux de répartition du FRDE
Le montant total du FRDE subit de très fortes variations interannuelles. Par habitant, il a
presque été multiplié par deux au cours de la période, de 40,42
€ à 80,53
€.
La part communale est constituée d
’
une dotation d
’
équipement local répartie entre les
communes au prorata de leur population. Cependant, la loi a réservé 10 % de la part
13
Jusqu
’
en 2004, le FRDE était inscrit au budget des régions et destiné à allouer des subventions
d
’
équipement aux communes.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
27
communale aux îles du sud et majoré de 20 % et 15 %, respectivement, la part de la
commune chef-lieu de département et de la commune chef-lieu d
’
arrondissement.
Cette répartition accentue l
’
effet redistributif de l
’
OM au profit des îles du sud.
2.1.4. 2.
Un enregistrement comptable incorrect
Recette d
’
investissement, le versement de la première part devrait figurer dans les
comptes des communes, au chapitre 10 «
Dotations, fonds divers et réserves
», et être
affecté prioritairement au financement «
des projets facilitant l
’
installation d
’
entreprises
et la création d
’
emplois ou contribuant à la réalisation d
’
infrastructures et
d
’
équipements publics nécessaires au développement
» (article 49 de la loi).
La région devrait enregistrer la seconde part en recettes dans ses comptes au même
chapitre 10. Or, le FRDE est improprement inscrit en recettes au chapitre 13 dans les
comptes de la région (compte 1347 «
FRDE
»).
Imputer
les
recettes
de
FRDE
au
chapitre 10
« Dotations, fonds divers et réserves »
du budget de la
région en tant que recette propre d
’
investissement
2.1.4. 3.
Une part régionale du FRDE non utilisée à la destination prévue
La part régionale du FRDE doit être affectée, par délibération du conseil régional, au
financement
d
’
investissements
contribuant
au
développement
économique,
à
l
’
aménagement du territoire et au désenclavement, sous maîtrise d
’
ouvrage de la région,
de syndicats mixtes ou d
’
EPCI.
Sur l
’
enveloppe perçue par la région, aucune part n
’
a été fléchée au titre du FRDE sous
forme de subvention d
’
équipement aux syndicats mixtes et aux EPCI au cours de la
période. Aucune délibération n
’
affecte cette recette aux projets visés par la loi, y compris
aux projets propres à la région. Aucune communication n
’
a été adressée aux
établissements publics concernés par ce dispositif légal pour leur permettre de déposer
des dossiers. Les dépenses que la région aurait réalisées en contrepartie de cette recette,
pourtant affectée, ne sont pas identifiées, pour un total de 18,2
M€ sur sept ans.
2. 2.
Une logique de taxation et d
’
exonérations à l
’
importation non discernable
2.2. 1.
Une politique d
’
exonération erratique, pour des montants très élevés et sans
contrepartie identifiée en termes de développement économique
2.2.1. 1.
La région n
’
évalue pas à l
’
avance le montant d
’
exonérations à consentir
On désigne par «
dépense fiscale
» le montant des exonérations d
’
octroi de mer qui
auraient dû, en leur absence, entrer dans les caisses publiques. L
’
exposé des motifs de la
loi n° 2004-639 modifiée en 2015 confie à la région le soin d
’
arbitrer entre deux objectifs,
celui d
’
assurer des recettes fiscales aux communes et à la région elle-même, d
’
une part,
et celui de contribuer au développement économique par une protection proportionnée
des productions locales, d
’
autre part.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
28
La région décide par conséquent, à la fois, du niveau qui lui paraît justifié de différentiel
de taxation des produits de liste, d
’
une part, et des exonérations d
’
octroi de mer à
l
’
importation qui lui paraissent utiles, d
’
autre part.
La région décide du régime des exonérations par délibération mais elle ne découvre qu
’
ex-
post
,
via
les données que lui communique la douane, le montant de la dépense fiscale
correspondante, puisqu
’
elle n
’
a pas construit de dispositif permettant d
’
en évaluer
l
’
impact financier
ex-ante
.
Afin de permettre à la région de rédiger son rapport annuel obligatoire, la douane lui
communique, en vertu des dispositions de l
’
article 13 du décret n° 2015-1077 du 28 août
2015, les données statistiques et non nominatives relatives aux déclarations en douane,
s
’
agissant des importations, et aux déclarations trimestrielles souscrites par les assujettis.
La région fait état de nombreuses erreurs de déclaration, liées à des confusions de
codification entre produits relativement proches, de la part des entreprises déclarantes. La
différence d
’
appréciation porte sur 17
M€ en 2015 et 14
M€ en 2016.
Cependant, la
région ne documente pas les données corrigées qu
’
elle avance et n
’
a pas entrepris de
démarche vis-à-vis des importateurs, des commissionnaires et de la douane pour diminuer
ces « erreurs » de déclaration, le terme d
’
erreur demandant à être vérifié, s
’
agissant de
déclaration fiscale.
2.2.1. 2.
Le total des exonérations consenties par la région a dépassé 110
M€
en 2019
Les exonérations d
’
octroi de mer correspondent aux taux zéro dont bénéficient les
productions locales pour les produits de liste, d
’
une part, et les biens exemptés par secteur
d
’
activité, sur délibération de la région, d
’
autre part.
L
’
adoption avec retard des délibérations mettant à jour le régime régional (novembre
2015 concernant le tarif d
’
octroi de mer alors que la décision européenne demandait une
mise en œuvre au 1
er
juillet 2015 ; décembre 2017 concernant le régime général des
exonérations à l
’
importation, alors que la loi du 29 juin 2015 état entrée en vigueur le
1
er
juillet 2015) a placé les exonérations accordées dans l
’
intervalle dans une situation
d
’
insécurité juridique.
Montant des exonérations accordées par la région (en
M€)
Exercice
Exonérations
sur les produits de liste*
Exonérations
sur les importations**
Total des exonérations
2014
53,7
22,5
76,2
2015
49,3
15,8
65,1
2016
53,1
23,7
76,8
2017
55,2
27,1
82,3
2018
64,7
34,3
99,0
2019
72,7
39,1
111,8
*
loi 2004-639, art. 28 ;
**
loi 2004-639, art. 6 et 7-1
Source :
direction des douanes
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Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
29
Alors que la région ne recourt que rarement au plafond des différentiels autorisés, elle a
accru systématiquement les différentiels depuis 2016, à l
’
exemple des produits laitiers
14
du code SH4 0403, passés de la liste A à la liste B et portés au plafond du différentiel.
De la même façon, le régime des exonérations sur les importations a été plus généreux à
compter de 2018. Au total, le montant des exonérations a augmenté de près de 23
M€
de 2014 à 2018, sans contrepartie demandée aux entreprises, ni en terme de baisse de prix
pour le consommateur, ni en développement économique (par exemple investissements
capacitaires ou de productivité), ni en termes de création d
’
emplois.
2.2. 2.
Un faux marché unique antillais qui suscite des contournements
La Guadeloupe et la Martinique constituent formellement un marché unique antillais
(MUA) au sein duquel les biens circulent en franchise de droits et de taxes
15
. La Guyane
y participe pour partie, la libre-circulation n
’
étant pas ouverte à tous les produits.
Les productions locales étant différentes, comme l
’
est la situation concurrentielle, les
produits de liste sont différents entre les collectivités. Si l
’
on s
’
en tient à la seule liste C,
seulement 12 produits de liste sont communs entre la Martinique et la Guadeloupe et 29
ne le sont pas.
Chacune des collectivités détermine librement les taux de l
’
octroi de mer à l
’
importation
et à la livraison, ce qui peut conduire à des différences significatives, même pour des
produits de liste classés dans la même catégorie.
Une commission de conciliation a été créée par la loi n° 2015-762 entre la Guadeloupe et
la Martinique mais elle ne s
’
est jamais réunie. Les services indiquent se concerter
spontanément et informellement.
Or, les différences de taxation à l
’
octroi de mer incitent naturellement les importateurs à
rechercher le taux le plus bas.
La région Guadeloupe indique que des importateurs ont pu jusqu
’
à récemment faire
transiter des biens par la Martinique pour les importer en Guadeloupe et réciproquement.
Elle cite l
’
exemple du champagne. Les taux ont été en grande partie harmonisés
récemment, ce qui aurait mis fin à ces contournements.
Au regard du coût du transport, les différences de taux qui perdurent, malgré l
’
affirmation
de la région, sont susceptibles de susciter des effets d
’
aubaine, notamment pour les
produits pondéreux (riz, farines de malt, produits laminés), les produits de grande
consommation (yaourts) ou de valeur (verres de lunetterie). Les écarts de taux les plus
importants sont de 25 points de pourcentage, ce qui est très significatif.
À l
’
inverse, certaines productions sont réalisées par la même société sur deux au moins
des trois départements, la région reconnaissant qu
’
il est difficile de savoir où le produit
14
Babeurre, lait et crèmes caillés, yoghourts, képhir et autres laits et crèmes fermentés ou acidifiés...
15
La Guyane est dans une situation spécifique, puisqu
’
elle fait partie du MUA mais la loi a disposé que
ses produits ne circulent pas tous en franchise d
’
OM au sein du MUA.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
30
est fabriqué, donc doit être taxé. Elle cite les yaourts, le tréfilage à froid et la fabrication
de produits en matière plastique pour la construction.
Un marché unique n
’
existe que par une union douanière, c
’
est-à-dire par l
’
absence de
barrière douanière en son sein et par des taux identiques sur tout son pourtour. Le
« marché unique antillais » n
’
en est pas un. Il suscite des trafics et transferts artificiels de
marchandises et de taxe répondant à des effets d
’
aubaine mais ne favorise ni le bien-être
de la population ni la prévisibilité des ressources des collectivités.
2. 3.
Une gestion opaque du dispositif fiscal
2.3. 1.
Un dispositif régional illisible pour les opérateurs économiques
Le tarif général d
’
octroi de mer (TGOM) de la région Guadeloupe donne lieu à une
délibération par an, au moins. Il comporte 9 577 positions NC8 en 2016 (9 668 en 2020),
qui sont autant de types de produits. Chaque produit est présenté par son code douanier à
huit chiffres, son libellé officiel, et ses quatre taux d
’
imposition. Par conséquent, ce sont
près de 40 000 références de taux qui figurent à l
’
annexe de cette délibération. La région
n
’
est pas seule responsable de la complexité de ses délibérations : par exemple, 702 codes
douaniers de la nomenclature à huit chiffres (dite NC8) de l
’
Union européenne ont été
modifié en 2017.
La complexité du TGOM tient aussi à l
’
existence de références signalées « EX », qui sont
présentées sur deux lignes ou davantage, la première relative au tarif normal, les autres à
un « tarif spécifique », chacune ayant ses quatre taux :
-
certaines références « EX » correspondent à des produits dont une partie est
importée au titre du régime spécifique d
’
approvisionnement (RSA
16
) en vue de
servir pour leur transformation en produits de l
’
alimentation humaine ou
animale ; le tarif les distingue, sur une seconde ligne, des mêmes produits qui ne
sont pas importés dans ce but ;
-
d
’
autres références « EX » concernent des familles de produits au sein
desquelles la région distingue plus finement les produits dès lors qu
’
existe une
production locale, avec l
’
ajout d
’
un code additionnel national (CANA), à
l
’
exemple du lait démaquillant, de l
’
huile de massage et d
’
autres produits de
beauté à base d
’
huile de coco, lignes créées par subdivision du code 3304 99 00 ;
ces références « EX » peuvent revêtir un caractère temporaire dans l
’
attente
d
’
une autorisation communautaire de mise en place d
’
un différentiel de taxation.
De la même façon, la délibération relative au régime général d
’
exonération d
’
octroi de
mer à l
’
importation représente en 2019 plus de 6 000 exonérations par secteur
économique. Par exemple, le secteur de la culture des légumes, melons, racines et
16
Les règlements européens de 2004 et de 2014 disposent que les produits qui bénéficient du régime
spécifique d
’
approvisionnement (règlement CE n° 1452/2001) doivent connaître le même régime de
taxation
que
celui
des
produits
fabriqués
localement
(article
2).
Le
régime
spécifique
d’approvisionnement
RSA est un volet du programme POSEI, qui décline outre-mer la Politique
agricole commune.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
31
tubercules (code NAF 0113Z) bénéficie de la franchise à l
’
importation sur 18 types de
produits dont il a besoin pour réaliser sa production.
Ce régime général des exonérations est complété par des exonérations ponctuelles, d
’
une
durée générale d
’
un an, dont une partie seulement est ensuite intégrée au régime général
lors de sa mise à jour.
Outre la lourdeur de délibérations de 438 pages (TGOM de 2019) et de 636 pages
(exonérations à l
’
importation), la région modifie ses délibérations en cours d
’
année et les
assortit d
’
un délai d
’
entrée en vigueur parfois très court
17
.
Cette inflation réglementaire et son instabilité rendent le dispositif peu lisible et non
prédictible. Or, la stabilité de la loi fiscale, au moins au cours d
’
un exercice budgétaire,
est un élément essentiel d
’
environnement pour les décideurs économiques. La complexité
de ce dispositif dissuade ainsi, par exemple, les sociétés de vente par correspondance de
livrer sur place, effet pervers touchant fortement la population et barrière invisible à
l
’
entrée sur le marché guadeloupéen.
Le coût administratif de cette gestion est disproportionné par rapport à l
’
intérêt des
changements, notamment en cours d
’
année. La région devrait simplifier la grille des taux
d
’
octroi de mer, puisque le tarif général d
’
octroi de mer est identique à l
’
importation et à
la livraison pour 90,7 % de la nomenclature et que le taux est très majoritairement de 7 %
pour ce qui concerne l
’
OM communal et de 2,5 % pour l
’
OMR, soit un total de 9,5 %. À
cet égard, la délibération du 29 novembre 2018 qui n
’
a publié que les sept positions
tarifaires modifiées est une meilleure pratique.
Simplifier la grille des taux d
’
octroi de mer en réduisant
le nombre de taux, en fixant par défaut un taux de droit
commun (OM à 7 % et OMR à 2,5 %), en n
’
adoptant
qu
’
une délibération par an.
2.3. 2.
Des exonérations qui pèsent très majoritairement sur la part communale
La région fait porter les différentiels tarifaires et les exonérations d
’
octroi de mer sur
l
’
OM communal mais ne les pratique pas sur l
’
OMR alors qu
’
elle en a la possibilité, le
taux de 2,5 % étant un plafond et non une norme.
La principale activité taxée à l
’
octroi de mer interne est l
’
électricité qui frappe 509,7
M€
de ventes internes en 2018. La taxe afférente a rapporté 7,6
M€ à la région, au ta
ux OMR
de 1,5 %, et rien aux communes, puisque le taux d
’
octroi de mer communal sur la
production d
’
électricité est de zéro.
17
Certaines délibérations annuelles sont modifiées en cours d
’
année : la délibération CR/16-02 du
22 janvier 2016 a abrogé la délibération CR/15-1305 du 19 novembre 2015 qui venait d
’
entrer en
vigueur au 1
er
janvier, elle a elle-même remplacée par la délibération CR/16-425 du 29 juin 2016.
Le délai d
’
entrée en vigueur laisse peu de temps à la douane pour mettre en application les délibérations
du conseil régional : le 29 juin 2016 pour une entrée en vigueur le 1
er
août 2016, le 19 avril 2018 pour
une entrée en vigueur au 1
er
mai 2018, le 29 novembre 2018 pour une entrée en vigueur le 1
er
décembre
2018, le 23 septembre 2019 pour une entrée en vigueur le 1
er
octobre 2019.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
32
En 2018, les exonérations sur produits de liste ont représenté 7,14 fois le montant de
l
’
OMI.
Jusqu
’
en 2017, le budget régional ne supportait d
’
exonération que pour douze produits,
d
’
une part, et sur sa part de FRDE, d
’
autre part. Le montant qui pèse sur les recettes
régionales peut être évalué à 5,8
M€ en 2017, soit 6
% du total des exonérations. L
’
ajout
d
’
exonérations sur le carburant de certains navires et aéronefs, par deux délibérations du
27 décembre 2017, a augmenté ce montant de 2,3
M€ par an, en moyenne.
En 2018, le total des exonérations a représenté 31 % des recettes d
’
octroi de mer
communal.
Le montant des exonérations accordées aux entreprises s
’
est traduit en 2018, par une
diminution de la dotation globale garantie :
-
la loi n° 2004-639 prévoit un mécanisme d
’
indexation de la DGG, ainsi que les
modalités de calcul de réduction à due concurrence, en cas de diminution du
produit qui ne permettrait pas d
’
honorer l
’
augmentation de la DGG ;
-
la réduction de la DGG en 2018 est consécutive, non à une faible croissance
économique, mais aux décisions d
’
exonérations de la région.
L
’
augmentation de l
’
octroi de mer communal n
’
est pas une fin en soi. Cependant, les
communes sont en droit d
’
attendre une prévisibilité des ressources que maîtrise l
’
échelon
régional pour faire face à leurs dépenses pérennes. Le fait que la région décide
d
’
exonérations sur la première recette fiscale des communes, dans des proportions aussi
importantes, se heurte au principe de l
’
autonomie financière des communes.
Compte tenu que ces exonérations réduisent les recettes fiscales des communes et non les
siennes propres, la région pourrait s
’
inspirer de la doctrine récente que l
’
État s
’
est
imposée à lui-même, en fixant des règles d
’
encadrement de la dépense fiscale
(exonérations), sur la base d
’
une étude économique prospective (articles 20 et 21 de la loi
n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années
2018 à 2022).
Evaluer
ex-ante
la
dépense
fiscale
(exonérations
accordées aux entreprises) pesant sur les recettes des
communes.
2.3. 3.
Un pilotage délégué, de fait, à
une commission
ad hoc
ambivalente
Par délibération n° CR/16-30 du 24 mars 2016, la région Guadeloupe a prorogé
l
’
existence de la commission intitulée «
ad hoc
octroi de mer », qui existait déjà sous les
mandatures précédentes. Chargée d
’
émettre un avis sur les projets de rapports
réglementaires et les projets de délibération, elle comprend, comme toute commission,
un président, un vice-président, un secrétaire et six membres reflétant la composition
politique du conseil régional. Seuls les membres titulaires des commissions ont le droit
de prendre part à l
’
émission des avis.
A la différence des autres commissions de la région, la commission
ad hoc
comprend des
membres invités, ce qui n
’
est pas contraire aux dispositions de l
’
article L. 4132-21
du CGCT, à condition qu
’
ils n
’
aient pas le droit de vote.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
33
Sont ainsi représentés les présidents du comité économique, social et environnemental
régional (CESER), des trois chambres consulaires, de l
’
Union des entreprises
–
Mouvement des entreprises de France (UDE-MEDEF), de la Confédération générale des
PME (CGPME), de l
’
Association des moyennes et petites industries (AMPI), du Syndicat
des transitaires et commissionnaires de la Guadeloupe (STCG) et, depuis 2016, de la
Fédération des très petites entreprises (FTPE) et de l
’
Interprofession guadeloupéenne de
la viande et de l
’
élevage (IGUAVIE).
Guadeloupe-Expansion qui en a fait partie jusqu
’
en
2015 n
’
a pas été remplacée.
Le déséquilibre dans la composition de la commission, entre les 10 représentants du
monde de l
’
entreprise, contre un seul pour les communes
18
et un seul pour les
consommateurs
19
, ne permet pas d
’
assurer l
’
équilibre des objectifs de l
’
octroi de mer.
Encore, ces derniers membres n
’
ont-ils été ajoutés à la composition de la commission que
depuis 2016, en même temps que deux représentants de l
’
université des Antilles.
L
’
absentéisme des membres titulaires est très important : sur 10 PV de commission
ad
hoc
transmis par la région, un seul élu régional est présent dans la majorité des cas,
quelquefois deux et une seule fois trois. Soit l
’
avis est adopté par le seul élu présent, soit
il l
’
est par consensus avec les membres non titulaires.
Ce procédé d’adoption n’est pas
régulier, d
’
autant moins que cet avis est systématiquement suivi par la commission
permanente.
Face à la connaissance fine du tissu entrepreneurial qu
’
ont les représentants
socioprofessionnels, la région est en position d
’
asymétrie d
’
information :
-
l
’
absence d
’
observatoire économique et fiscal, de bases de données et d
’
outils
d
’
analyse la prive de capacités d
’
autonomie dans la prise de décision ;
-
l
’
absence d
’
analyse transversale, comme l
’
absence d
’
un outil de simulation sur
les conséquences des décisions sur le tissu productif, sur les recettes des
communes, sur les pertes de recettes du fait des exonérations ou les prix à la
consommation réduisent son champ d
’
analyse à la dimension douanière.
La commission examine des dossiers individuels dans le cadre de l
’
avis qu
’
elle émet sur
les projets de délibérations ponctuelles. Les socioprofessionnels n
’
ont pas qualité pour
connaître de dossiers individuels et donner un avis sur les projets de sociétés qui peuvent
être leurs mandants directs, leurs concurrents, leurs clients ou fournisseurs, ou dans
lesquelles ils peuvent avoir un intérêt personnel. En ouvrant un espace de négociation aux
entreprises assujetties organisées en groupe de pression, la région ne s
’
est pas prémunie
contre les risques déontologiques.
Le compte-rendu des réunions de la commission montre que les seuls arguments invoqués
sont relatifs à l
’
équilibre entre les besoins des producteurs locaux et ceux des
importateurs. La commission n
’
aborde jamais les questions relatives à l
’
impact des
projets sur les prix à la consommation, sur les recettes fiscales et sur le développement
économique et sur l
’
emploi.
18
Le président de l’association des maires du département ou son représentant.
19
Le président de l’association de l’union régionale des consommateurs ou son représentant.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
34
Par ce dispositif, la région recherche à l
’
évidence le consentement des entreprises,
via
la
commission
ad hoc
, sur les exonérations et les différentiels de taux, sans considération
pour les consommateurs, c
’
est-à-dire pour la population générale. Il contredit les objectifs
déclarés du régime de l
’
octroi de mer.
En effet, les intérêts des entreprises au regard des différentiels de taux d
’
octroi de mer
sont variables :
-
un certain nombre d
’
intrants du processus de production sont importés ; l
’
intérêt
des entreprises est donc de les importer le moins cher possible, soit
via
la
modulation des taux, soit en bénéficiant d
’
exonérations par secteur d
’
activité,
sans que la préférence pour une exonération ponctuelle par rapport à une
modification à la baisse du taux permanent soit claire ;
-
certains produits entrent en concurrence avec les productions locales ; l
’
intérêt
des importateurs simples revendeurs est donc opposé à celui des producteurs
locaux que l
’
octroi de mer est censé protéger.
Lorsque le consensus n
’
est pas réuni, la décision de la région est repoussée, à l
’
exemple
du taux de taxe à l
’
importation de fils de fer ou d
’
aciers et barres d
’
acier utilisés par les
entreprises relevant de l
’
activité «
Fabrication de structures métalliques et de parties de
structure
s » (commission
ad hoc
du 26 septembre 2019).
Jusqu
’
en 2019, la commission permanente ne se prononçait pas sur les rejets formulés
par la commission qui était,
de facto,
décisionnaire, ce qui n
’
était pas légal.
Les modalités de prise de décision de la commission permanente sont mal encadrées. Par
ailleurs, malgré l
’
existence d
’
un règlement de procédure, aucun critère n
’
éclaire le
demandeur.
La motivation des délibérations ponctuelles est stéréotypée. Si la motivation de décision
réglementaire n
’
est pas obligatoire, il demeure que le conseil régional se contente de
reprendre le motif général de la loi n° 2004-639, sans jamais expliciter en quoi le cas
soumis et la décision se rattachent aux objectifs économiques de l
’
octroi de mer.
Pour rendre objectivable et traçable le processus de fixation des taux et des différentiels
de taux, le rapport du président en vue de délibération devrait indiquer, pour chaque
modification de taux envisagée, pourquoi il propose un taux plutôt qu
’
un autre, en
retraçant l
’
évolution récente de la production, de l
’
emploi et des marges du secteur
d
’
activité concerné, ainsi que la situation concurrentielle, en précisant les surcoûts
constatés et les effets attendus du différentiel proposé sur les ventes locales et les
importations, l
’
effet estimé sur l
’
emploi et sur les prix, rappeler la proposition chiffrée du
service, celle de la commission
ad hoc
octroi de mer, les auditions éventuelles des groupes
d
’
intérêt. Le rapport annuel indiquerait si les objectifs ont été atteints.
Adopter un règlement intérieur de la commission
ad hoc
qui fixe les obligations déontologiques de la prévention
du conflit d
’
intérêt.
Rendre objectivable et traçable le processus de fixation
des taux et des différentiels de taux.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
35
2.3. 4.
Une information des élus régionaux et communaux insuffisante
Complexe, le régime de l
’
octroi de mer l
’
est aussi pour les élus locaux : les vice-
présidents et conseillers régionaux ne bénéficient pas d
’
informations sur les conséquences
attendues des décisions du conseil régional sur les budgets communaux, tandis que les
maires ignorent le montant des exonérations qui constituent la dépense fiscale de leur
commune du fait des exonérations accordées par la région.
La concertation entre la région et les opérateurs économiques organisée en 2016 est une
bonne
pratique répondant en partie à la difficulté relevée mais l’étendue des partenaires
consultés n’est pas connue. Jusqu’à l’année
2020 et à
l’approche du renouvellement du
dispositif
, aucune autre information n’a été organisée et le rapport 2014
-
2015 n’a pa
s été
délibéré par la région. Les rapports réalisés par la région, dont les versions 2016, 2017,
2018 et le rapport en vue de reconduction, transmis à la chambre avec la réponse de la
région au rapport provisoire, ne respectent pas le principe de permanence des méthodes
qui permettrait des comparaisons dans la durée. Enfin, les informations figurant dans le
guide de procédure de 2018 sont en partie erronées (montant
de l’octroi de mer perçu par
les communes, montant des exonérations fiscales).
La région, outre le conseil régional et le conseil économique, social et environnemental,
dispose d’une
instance adaptée à la concertation sur un sujet aussi stratégique pour
l’économie du territoire et sensible pour les autres collectivités territoriales
: la conférence
territoriale de l’action publique.
Soumettre régulièrement le bilan de l
’
octroi de mer, ses
évolutions et perspectives à la conférence territoriale de
l
’
action publique.
2. 4.
Une évaluation non rigoureuse des effets de ce régime
2.4. 1.
Un défaut de statistiques qui nuit à la justification de ce régime fiscal
Les exigences d
’
évaluation périodique du régime de l
’
octroi de mer, posées par le décret
n° 2004-1550 du 30 décembre 2004, auquel s
’
est substitué le décret n° 2015-1077 du
26 août 2015, nécessite des données fiables et pertinentes permettant de justifier les écarts
de taxation par produit et par secteur d
’
activité, d
’
attester de la nécessité et de la
proportionnalité des exonérations, d
’
examiner la portée économique des mesures par
secteur d
’
activité.
La région fait seulement le constat que les données disponibles manquent et que les
statistiques existantes sont incomplètes ou fausses. Ainsi, les fortes variations
interannuelles des montants en valeur de la production locale des produits de liste
demeurent inexpliquées et illustrent la faiblesse de l
’
outil statistique.
Cependant, la région n
’
a pas mis en place de système propre ou partenarial de production
de données statistiques, qu
’
elle pouvait aisément financer avant d
’
accorder des montants
d
’
exonérations de plus de cent millions d
’
euros, afin d
’
en étudier la pertinence.
Un projet d
’
observatoire économique figure au schéma régional de développement
économique
d
’
innovation
et
d
’
internationalisation
(SRDEII).
Il
existe
dans
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
36
l
’
organigramme de la région depuis 2018 mais la région n
’
a pu présenter ni son cahier
des charges, ni sa composition, ni son plan de travail. Cet observatoire n
’
a encore rien
produit.
La région affirme avoir des difficultés à obtenir les données existantes mais n
’
a pas conclu
de convention avec les organismes susceptibles de les lui fournir.
Au demeurant, les données présentées dans les rapports de la région ne sont pas
cohérentes avec les données produites par la douane ou la préfecture. La région
Guadeloupe indique compléter les données fournies par l
’
administration des douanes par
celles de la direction de l
’
alimentation, de l
’
agriculture et de la forêt (DAAF), de l
’
institut
français de recherche pour l
’
exploitation de la mer (IFREMER) et des producteurs,
notamment. Pour autant, les données de la région se contredisent entre deux rapports
annuels
20
, ce que la région justifie par l
’
obtention de données plus récentes, affirmation
contredite par les douanes.
Assurer une fonction d
’
observation économique et
fiscale,
dotée
d
’
un
appareil
statistique
fiable,
permettant de rendre compte des résultats de la
politique d
’
octroi de mer.
2.4. 2.
Un rapport annuel obligatoire lacunaire et produit seulement trois fois
depuis 2014
La loi n° 2004-639 dispose que la région doit produire chaque année un rapport sur les
écarts de taxation à l
’
octroi de mer. Le contenu de ce rapport est précisé par le décret
n° 2004-1550 du 30 décembre 2004 (pour l
’
exercice 2014 en ce qui concerne le présent
contrôle), remplacé par le décret n° 2015-1077 du 26 août 2015 à compter de
l
’
exercice 2015.
Le rapport, annuel, doit être transmis au représentant de l
’
État au plus tard à la fin du
premier semestre de l
’
année suivante, comprenant les informations suivantes :
-
les justifications économiques des écarts de taux d
’
octroi de mer et d
’
octroi de
mer régional, par produit et par secteur d
’
activité ;
-
la nécessité et la proportionnalité des exonérations accordées au regard des
handicaps structurels subis par les entreprises de production situées dans ces
collectivités ;
-
la distinction entre les exonérations prévues par les différents articles de la loi ;
-
l
’
examen de la portée économique des mesures d
’
exonération au regard du
développement économique attendu dans les différents secteurs d
’
activités
économiques où exercent les entreprises de production ;
-
le montant de la dépense fiscale pour la collectivité par secteur d
’
activité ;
20
Par exemple pour la même année 2016, le rapport à mi-
parcours et le rapport de l’année 2018 donnent
des montants différents pour les livraisons internes, les importations et le taux moyen pondéré OME +
OMER sur les produits de liste.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
37
-
une annexe détaillée par produit sur les exonérations effectivement mises en
œuvre au cours de l’
année civile précédente.
Passé sous forme de marché public, le cahier des charges définissant le contenu des
rapports annuels 2016 à 2020 ne répond pas aux dispositions du décret :
-
les justifications économiques des écarts de taux ne sont pas abordées, pas plus
que la distinction entre les exonérations selon les articles de la loi ni l
’
annexe
détaillée par produit ;
-
la nécessité et la proportionnalité des exonérations est remplacée par une analyse
sectorielle du dispositif de différentiel ;
-
l
’
examen de la portée économique des mesures d
’
exonération au regard du
développement économique attendu est remplacé par l
’
analyse de l
’
évolution de
la production régionale et par l
’
examen de la position concurrentielle des
produits de liste.
La région a rédigé un rapport pour les exercices 2014 et 2015 et un second intitulé
« rapport à mi-parcours » portant sur l
’
année 2016. Le rapport 2014-2015 n
’
a pas été
soumis à délibération. Le rapport à mi-parcours (2016) l
’
a été en décembre 2017. Les
rapports pour les années 2016 à 2018 et de demande de reconduction du dispositif ont été
délibérés le 26 juin et le 6 août 2020, respectivement, et n
’
ont pas pu être examinés dans
le cadre du présent contrôle.
Essentiellement descriptif, le contenu des rapports est à l
’
image de leur cahier des charges
et ne répond pas aux objectifs assignés par la loi et par l
’
autorisation européenne : après
une présentation macro-économique et de l
’
évolution interannuelle des productions
locales et importations de produits de liste, ils constatent les moyennes de taux d
’
octroi
de mer, pondérées des quantités produites ou importées par secteur d
’
activité, leur
répartition en nombre de produits, leur évolution interannuelle. Ils établissent les
différentiels de taxation entre produits importés et livraisons et leur répartition en nombre
de produits par taux et par secteur
21
. Ils évaluent la dépense fiscale. Ils présentent des
tableaux de surcoûts par produit. Les changements dans la méthode, dans le contenu des
tableaux de chiffres présentés ou les divergences de chiffres entre rapports ne permettent
pas de dresser des comparaisons dans la durée.
La région n
’
apporte cependant aucune justification économique au maintien des écarts de
taux par produit et par secteur d
’
activité, laissant supposer sans l
’
argumenter que toute
production locale rend nécessaire un différentiel de taux. Elle réduit la justification de la
proportionnalité des exonérations accordées en matière d
’
OMI à la notion de surcoût, non
étayée. Elle ne distingue pas entre les exonérations par article de la loi et n
’
aborde pas
l
’
examen de la portée économique des mesures d
’
exonération au regard du
développement économique, de l
’
emploi, du niveau des prix.
21
En 2016, les produits de liste A connaissent un différentiel moyen de 6,7%, les produits de liste B de
14,6 %, les produits de liste C de 25,1 %. Les différentiels en moyenne pondérée s
’
élèvent
respectivement à 5,9 %, 15,1 % et 18,16 %.
C’
est sur les produits agroalimentaires que portent les écarts
moyens pondérés les plus importants (18,1 % en 2014) et les seuls qui augmentent en 2016 (18,8 %)
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
38
Produire annuellement et dans le délai prescrit le
rapport
obligatoire,
en
respectant
son
contenu
réglementaire.
2.4. 3.
Une cohérence reconstituée
a posteriori
Les constats des rapports de la région reconstituent
a posteriori
la cohérence globale de
la politique de l
’
octroi de mer à partir de l
’
analyse des taux et des différentiels :
maximisation des différentiels dans le secteur de l
’
agroalimentaire, progression des parts
de marché… Or, une politique publique
consiste, au contraire, à définir explicitement et
préalablement les objectifs recherchés et les moyens pour les atteindre, à rendre compte
des résultats obtenus et à proposer des mesures correctives, si nécessaire.
La décision européenne de 1989 demandait de mesurer le rattrapage économique et social
des départements d
’
outre-mer, en prenant notamment comme critères le taux de chômage,
la balance commerciale, le produit intérieur brut régional.
Une politique publique, à la croisée du soutien aux entreprises locales, du développement
économique régional, de la politique fiscale, de la lutte contre la vie chère, rend
indispensable une approche transversale, voire systémique, de par les implications
qu
’
emporte une décision sur l
’
ensemble de ces champs. Elle renvoie au défaut des outils
statistiques évoqués plus haut, sur la base desquels la région disposerait d
’
indicateurs
fiables permettant de répondre aux exigences de la décision européenne.
Sur le modèle du contrat de convergence signé le 31 décembre 2018 entre l
’
État, la région,
le département et les six intercommunalités de Guadeloupe, qui vise à réduire les écarts
de développement économique et social avec l
’
Hexagone et qui détermine des indicateurs
de convergence, la région pourrait décider formellement d
’
une stratégie avec des
indicateurs à suivre, dont l
’
avancement serait présenté dans chaque rapport annuel.
Inclure
l
’
octroi
de
mer
dans
la
stratégie
de
développement économique et social de la région,
conformément aux conditions fixées par l
’
Union
européenne.
Formaliser la strat
égie à mettre en œuvre dans un
programme-cadre
d
’
actions
en
relation
avec
le
développement économique souhaité et rendre compte
des progrès réalisés
via
le rapport annuel adressé au
préfet.
2.4. 4.
Des surcoûts allégués sur la base de déclarations non étayées
Le rapport annuel prévu par le décret n° 2015-1077 du 28 août 2015 doit présenter, par
secteur d
’
activité, les justifications économiques des écarts de taux d
’
octroi de mer et
l
’
examen de leur proportionnalité au regard de handicaps structurels permanents.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
39
L
’
argument principal des entreprises pour solliciter une exonération d
’
octroi de mer est
celui de « surcoûts » frappant les biens qu
’
elles souhaitent importer
22
.
Les rapports 2014-2015, 2016 et 2018 de la région présentent le résultat du calcul de
surcoûts de manière générale et le pourcentage moyen par secteur d
’
activité. Cependant,
la région n
’
a fourni aucune fiche de coût permettant de vérifier les données et les calculs.
Dans le volet microéconomique de son rapport 2014-2015, la région détaille sa méthode
de mesure des surcoûts : en comparaison des postes de charges d
’
un échantillon de
24 entreprises locales volontaires extraits de leur propre comptabilité, «
le taux de surcoût
de chacun des postes [a été calculé] en se fondant sur les dires des industriels, leur
connaissance des coûts supportés par leurs compétiteurs sur le continent européen, ou
encore sur les bilans publiés par certaines entreprises en Europe. Quand plusieurs
entreprises relèvent du même produit, ou du même secteur, une analyse comparée a été
utilement menée
. »
Le caractère purement déclaratif se fondant sur des «
dires
» et des «
connaissances
»,
atteste de la fragilité des données desquelles la région tire des statistiques d
’
écart, à la
virgule près, et d
’
évolution interannuelle de ces écarts.
La comparaison que la région prétend avoir établie sur le fondement de bilans publiés est
présentée comme un complément pour le calcul des surcoûts. Or, si quelques éléments de
surcoût sont objectifs, comme les primes des assurances, pour le reste, la comparaison
avec des entreprises européennes est impossible en raison de la diversité des coûts des
facteurs au sein de l
’
Union européenne, de la pluralité des monnaies, des différences
d
’
imposition et de réglementation du travail, de pouvoir d
’
achat ou des surcoûts liés aux
conditions géographiques de la ruralité ou de la montagne en métropole
…
Par ailleurs, la région ne tient pas compte de la totalité des aides reçues dans son calcul
de la compensation des surcoûts mais seulement des exonérations de l
’
octroi de mer
interne et de l
’
aide au fret.
Or, les coûts ne peuvent pas être présentés en faisant abstraction des diverses aides
publiques dont bénéficient déjà les productions locales et qui visent, peu ou prou, les
mêmes objectifs ou produisent le même effet, avant qu
’
une éventuelle exonération
d
’
octroi de mer s
’
y ajoute. Parmi ces nombreuses aides qui s
’
élèvent à plusieurs centaines
de millions d
’
euros par an
23
, les aides à finalité régionale visent déjà, précisément, à
compenser les surcoûts et sont expressément citées dans la décision européenne de 2014.
C
’
est ainsi à tort que la région réfute dans son rapport en vue de reconduction, du 7 août
2020, le lien que fait l
’
Europe entre aides d
’
État, autorisées de manière dérogatoire par le
22
La liste des surcoûts invoqués se compose de 18 catégories, tels que le coût des intrants importés, des
assurances, des amortissements, de l
’
entretien ou encore des salaires. La région déduit les frais de
commercialisation du chiffre d
’
affaires des entreprises locales, pour une comparaison juste avec le coût
des produits importés qui sont taxés sur la valeur CAF, c
’
est-à-dire avant le processus de
commercialisation.
23
Les aides économiques régionales, celles du SRDEII, celles des communes et agglomérations, les aides
diverses de l
’État
(aides directes, défiscalisation, réduction du coût du travail), les aides sectorielles de
l
’État
et européennes à l
’
industrie et à l
’
agriculture (dont les aides nationales à la filière canne et les
aides au rhum)
…
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
40
règlement général sur les exemptions par catégorie (RGEC), et différentiels autorisés
d
’
octroi de mer.
Le volet micro-économique du rapport 2014-2015 de la région présente la liste de
l
’
ensemble des aides perçues par l
’
échantillon des 24 entreprises consultées, représentant
49,76 % du PIB marchand taxable à l
’
octroi de mer : ces aides cumulées représentent
59,3 % de leur chiffre d
’
affaires, soit quatre fois le montant des surcoûts déclarés et non
prouvés.
Calcul du taux de compensation des surcoûts déclarés (montants en
M€)
Paramètre
Source
Moyenne
2014-2015
PIB taxable (hors électricité)
Douanes
436,18
Chiffre d
’
affaires des 24 entreprises de l
’
échantillon
déclaration des chefs d
’
entreprise
217,05
Chiffre d
’
affaires de l
’
échantillon/PIB taxable
données du présent tableau
49,76 %
Taux de surcoût déclaré par l
’
échantillon (en % du CA)
déclaration des chefs d
’
entreprise
29,80 %
Aide au fret
déclaration des chefs d
’
entreprise
1,38
Exonérations OMI
déclaration des chefs d
’
entreprise
15,36
Exonérations OME
proportion des exonérations totales
9,53
Autres aides
24
déclaration des chefs d
’
entreprise
102,45
Total des aides
données du présent tableau
128,72
Part des aides dans les surcoûts déclarés
données du présent tableau
284,21 %
Part des aides dans le chiffre d
’
affaires de l
’
échantillon
données du présent tableau
59,30 %
Sources : volet microéconomique du rapport 2014-2015 de la région Guadeloupe, direction régionale des
douanes
L
’
intégration des différentes aides reçues démontre que l
’
évaluation des surcoûts et de
leur compensation dans les rapports régionaux ne repose pas sur une base sérieuse.
En outre, il conviendrait de tenir compte, en déduction, des protections et moindres coûts
dont bénéficient les entreprises locales :
-
les « protections » naturelles liées au temps de transport de certains produits
frais, aux coûts de fret rédhibitoires pour les produits volumineux à faible valeur,
à la proximité des entreprises locales avec la clientèle et à la réactivité qui en
découle, au label « produit Pèyi » et, plus généralement, à la composante
identitaire et culturelle de certains produits ;
-
les « protections » règlementaires, telles que les normes environnementales ou
sanitaires qui amoindrissent la concurrence provenant des pays voisins ;
24
Les « autres aides », t
elles que déclarées par l’échantillon
d’entreprises ayant contribué aux résultats
présentés dans le rapport 2014-2015,
« 2. Volet microéconomique (tableau page 15) de la région »
, sont
les suivants : défiscalisation, TVA NPR, exonérations de charges salariales (LODEOM), crédit
d’impôts recherche (CIR), crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), autres (POSEI,
FEDER, FSE
, FEADER, aides de la région…).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
41
-
l
’
étroitesse et l
’
éloignement du marché par rapport aux grands opérateurs
implantés en Europe et qui ne prospectent pas sur ce territoire en raison des coûts
fixes difficiles à rentabiliser.
Fonder sur des données fiables les arguments apportés
pour justifier les différentiels de taxation et les
exonérations, selon une méthode transparente, et
corriger les calculs de surcoût en tenant compte de
toutes les aides accordées, des moindres coûts et des
protections existantes.
3.
UN SOUTIEN AU DÉVELOPPEMENT ECONOMIQUE ET SOCIAL DONT
L’EFFICACITE N’EST P
AS MESUREE
3. 1.
Des résultats non documentés
après trente ans de mise en œuvre
, malgré un
nombre restreint de bénéficiaires
La réforme de 2004 a conduit à réduire de 100 % à 90 % la production locale exonérée,
hors électricité, et celle de 2014 de 87,3 % à 76 %. Ce sont néanmoins les trois quarts de
la production guadeloupéenne, hors électricité, qui bénéficient encore aujourd
’
hui d
’
une
protection contre les importations par la barrière à l
’
entrée que constitue l
’
octroi de mer.
Production marchande taxable et octroi de mer, 2014 à 2018, en
M€
2014
2016
2018
Électricité (taxée)
517,0
533,0
509,7
Production marchande locale taxée, hors électricité
54,6
109,5
106,5
Produits de liste exonérés
375,4
345,2
356,2
Total de la production déclarée
947,0
987,7
972,4
Sources: direction régionale des douanes et rapports 2014 et 2016 de la région
Selon la synthèse du projet de rapport 2016-2017-2018 de la région, la production
déclarée auprès des douanes s
’
élèverait à 1,217
Md€ en 2016 et
à 1,297
Md€ en 2018,
tandis que les productions de liste s
’
élèveraient à 424
M€ et
à 441
M€, respectivement,
ce qui réduirait la part des productions de liste à 56 % (hors électricité). La différence
n
’
est pas expliquée.
3.1. 1.
Un dispositif de différentiels tarifaires dont les effets positifs d
’
ensemble sur
l
’
économie ne sont pas démontrés
3.1.1. 1.
L
’
absence
pénalisante
d
’
approche
méthodologique
régionale
du
développement économique
Le maintien de l
’
octroi de mer a été consenti à titre provisoire par l
’
Union européenne
pour permettre aux entreprises locales de se préparer à la concurrence des importations,
ce qui suppose que la région se saisisse parallèlement des outils destinés à y parvenir et
qui peuvent prendre diverses formes : développement du capital humain, structuration des
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
42
filières traditionnelles et leur insertion dans l
’
économie de marché, développement de
filières
d’
amont ou d'aval des productions locales existantes (sous réserve de l
’
étroitesse
du marché), diversification des produits au sein d
’
une même famille de produits ou dans
des produits proches requérant les mêmes techniques de production
…
L
’
impact des importations sur la production locale est variable et n
’
a pas donné lieu à des
études économiques, ni sectorielles ni sur le temps long. Il en va de même des potentialités
et des handicaps qui ne sont ni définitifs ni statiques et doivent être appréhendés par
secteur d
’
activité et de manière dynamique. La région ne s
’
est pas donné les moyens
d
’
une connaissance fine des leviers du développement économique.
Pour que les taux contribuent au développement économique, il est nécessaire que les
biens d
’
investissement (généralement importés) soient moins taxés que les intrants de la
production (généralement importés mais en partie produits localement), eux-mêmes
devant l
’
être moins que les produits de consommation finale (importés ou non), l
’
objectif
étant d
’
inciter les entreprises locales à investir et à produire de la valeur ajoutée.
Cette logique peut être mesurée par le taux moyen d
’
octroi de mer appliqué à ces diverses
étapes de la chaîne productive, que le rapport de la FERDI appelle
« taux effectif moyen
de protection nominale »
(TPN). Ces taux, calculés sur la base de l
’
écart entre le taux
moyen de l
’
OME et de l
’
OMI, sont les suivants en Guadeloupe.
Ecart entre le taux moyen de l
’
OME et de l
’
OMI
(taux effectif moyen de protection nominale ou TPN), en 2018
Nature économique des biens
TPN en points de pourcentage
Biens en capital (biens d
’
investissement)
3,88
Biens de consommations intermédiaires (intrants)
2,15
Biens de consommation finale
7,10
Total
6,41
Sources: Rapport de la FERDI, 2020
Ce rapprochement montre que la logique simple énoncée ci-dessus n
’
est pas respectée en
Guadeloupe. En outre, la dispersion de l
’
écart OME-OMI entre branches est très forte (de
9,6 à 23,2). La dispersion est encore plus forte pour les biens de consommation finale. La
région n
’
a cependant pas conduit d
’
étude globale
ex-ante
sur l
’
effet attendu de ses choix
de taux.
3.1.1. 2.
Des réussites locales qui demeurent isolées et dont la région n
’
a pas tiré
d
’
enseignement pour en faire une stratégie de développement économique
Malgré l
’
étroitesse des marchés locaux qui empêche le plus souvent les entreprises locales
d
’
atteindre une taille suffisante de production pour réaliser des économies d
’
échelle, ce
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
43
qui affecte leur compétitivité et les prix des produits de grande consommation, il est
possible d
’
identifier des réussites dans certaines filières
:
-
par exemple, les yaourts locaux occupent sept des 12 positions tarifaires
autorisées à la différenciation, le rhum et dérivés neuf des 22 positions tarifaires,
les engrais cinq des huit positions tarifaires, les éléments structurants de la
maison en matière plastique, cinq des neuf positions tarifaires, notamment les
portes et fenêtres en PVC, ces cas de diversification réussie constituant des
exceptions ;
-
avec un écart de taux de 10 points de pourcentage, le maraîchage a vu les ventes
internes passer de 2,3
M€ en 2015 à 2,9
M€ en 2018, les laitues
, par exemple,
passant de 86 à 91 % de part de marché ; on ne sait cependant pas s
’
il s
’
agit
d
’
une progression de la production locale ou d
’
une meilleure prise en compte
statistique de la production (ce qui serait aussi un point positif) ;
-
quelques filières d
’
aval se développent : l
’
eau de table Karuline extraite des
productions d
’
eau potable du SIAEAG, ou les jus de fruits Caraïbes qui
exploitent des produits locaux et des produits importés.
Ces exemples montrent qu
’
il n
’
y a ni fatalité ni handicap permanent. Pour autant, aucun
territoire ne connaît de développement économique en restant fermé sur lui-même. La
vision des importations comme un phénomène négatif, considérant les biens importés
comme concurrents des biens produits localement, est une approche restrictive et
historiquement datée qui part d
’
une analyse statique des productions et consommations,
et qui n
’
est pas plus vérifiée en Guadeloupe qu
’
ailleurs.
Cependant, l
’
exemple de l
’
eau de boisson montre que la région peine à tirer des
enseignements des réussites.
La production locale est réalisée par trois sociétés : Matouba SA, Capès Dolé et West
Indies Pack (Karuline). Aucune eau minérale naturelle
n’est produite
en Guadeloupe. La
société Matouba est la seule à produire de l
’
eau de source, les deux autres sociétés
produisant de l
’
eau rendue potable par traitement. Les eaux de boisson bénéficient de
différentiels tarifaires :
Comparaison des taux (%) d
’
octroi de mer (OM et OMR additionnés)
applicables à l
’
eau de boisson, à l
’
importation (M) et à la livraison (L)
Nomenclature
2201 10 11 et 19
Eaux minérales
naturelles
2201 10 90
Eaux artificielles
2201 90 00
Eaux, glace et neige
2202 10 00
Eaux aromatisées
Année du tarif
M
L
M
L
M
L
M
L
2016
22,5
22,5
17,5
17,5
21,0
1,0
22,5
2,5
2020
22,5
22,5
17,5
2,5
21,0
1,0
27,5
2,5
Variation de l
’
écart*
0,0
15,0
0,0
5,0
M = importation, L = livraison (production locale)
* en points de pourcentage
Source :
chambre régionale des comptes à partir des annexes des délibérations tarifaires de la région
Guadeloupe
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
44
Ces trois sociétés sont déclarées sous le code d
’
activité APE 1107A
« Industrie des eaux
de table »
. Trois positions tarifaires donnent lieu à déclaration en douane :
-
la majorité de la production est vendue sous la position tarifaire 2101 90 00
«
Eaux (à l
’exclusion des eaux minérales…), glace et neige
», déclarée pour
38,5
M€ en 2018 (voir
infra
) ;
-
les ventes d
’
eau artificielle, déclarées à hauteur de 18 835
€
;
-
la production d
’
eau sucrée ou aromatisée, déclarée à hauteur de 4,1
M€.
L
’
objectif de la région de promouvoir une production locale bon marché et
économiquement rentable est atteint en ce qui concerne l
’
eau de boisson qui exploite une
part de marché majoritaire.
Cependant, le tarif général d
’
octroi de mer comporte deux incohérences regrettables.
Il n
’
est pas possible de distinguer, sous la rubrique tarifaire 2101 90 00 «
Eaux (à
l
’exclusion des eaux minérales…
), glace et neige
» ce qui relève, respectivement, de l
’
eau
de table (eau de source et eau rendue potable par traitement) et de l
’
eau d
’
adduction :
-
la douane ne communiquant pas de données par entreprise à la région en raison
du secret fiscal et douanier, celle-ci ne peut pas différencier entre les trois
produits (voir
infra
), ni calculer la part de marché de l
’
eau de boisson ;
-
la production déclarée d
’
eau de boisson s
’
élèverait à 25
M€ sur le total affiché
;
-
la création de codes additionnels spécifiques permettrait une distinction utile.
La région a demandé et obtenu un différentiel tarifaire sur la base d
’
une erreur de
codification douanière :
-
le code de la santé publique ne reconnaît pas la notion d
’
eau minérale
artificielle ; cette notion existe dans le code douanier international parce que la
minéralisation de l
’
eau est autorisée dans certains pays non communautaires ;
-
les importations en Guadeloupe d
’
eaux artificielles déclarées aux douanes
(66 542
€ en 2018
) résultent d
’
erreurs de déclaration
25
;
-
la fiche argumentaire de la région dans le rapport à mi-parcours, prise sur cette
base, lui a permis d
’
obtenir un différentiel tarifaire pour un produit qui n
’
est ni
importé ni fabriqué localement.
3.1.1. 3.
L
’
absence de production locale déclarée pour la majorité des produits de
liste
Aucune production n
’
a été déclarée aux douanes en 2018 pour 767 des 901 produits de
liste développées à l
’
échelle NC8 du code douanier. La même année, aucune production
n
’
a été déclarée (par des entreprises réalisant plus de 300 000
€ de chiffre d’
affaires) à
l
’
échelle SH4 pour des familles entières de produits : canards (code 0207 comportant 110
lignes tarifaires), abats (code 0208), poissons comestibles, frais ou réfrigérés (0302),
25
Il n
’
existe que trois autres sources d
’
eaux rendues potables par traitement autorisées en France, à
consommation purement locale : la Bisontine produite en Franche-Comté, la Châteline en Limousin,
O
’
Jiva (eau de mer dessalée) à Mayotte (source : bilan national de la qualité des eaux conditionnées).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
45
crevettes et crustacés (0306), mollusques (0307), miel naturel (0409), laitues (0705),
carottes (0707), pâtes alimentaires (1902), etc. Outre une probable sous-déclaration (voir
infra
), lorsqu
’
elles existent, ces productions sont réalisées par des entreprises de moins
de 300 000
€ de
chiffre d’affaires
qui ne sont pas assujetties et qui, donc, ne justifient pas
l
’
existence d
’
un différentiel tarifaire, aucune étude de la région ne mettant en évidence
de franchissement du seuil d
’
assujettissement.
Par ailleurs, la Guadeloupe bénéficie d
’
un différentiel autorisé pour une quinzaine de
familles de produits à l
’
échelle SH4, alors même que seuls un ou deux biens (à l
’
échelle
NC8) de l
’
ensemble de la famille sont produits localement. Dans le cadre de sa demande
de reconduction du dispositif au-delà de 2020, la région propose la généralisation de la
différenciation tarifaire à l
’
échelle SH4. Une telle demande, qui ne simplifie pas la notion
de calcul des surcoûts du fait de la diversité des modes de production de produits distincts,
diluerait encore davantage la justification du soutien à des productions locales existantes.
Créer un différentiel tarifaire pour des biens qui ne sont pas produits localement vise à
peser sur les choix du consommateur en l
’
incitant à la consommation de certains produits
plutôt qu
’
à d
’
autres de la même famille : pour disposer d
’
éléments de comparaison, il
faudrait pouvoir mesurer les élasticités croisées
26
. Or, la région n
’
a pas mis en place de
tels outils de mesure. Elle est donc incapable de justifier la nécessité des différenciations
tarifaires quand il n
’
existe pas de production locale. Au demeurant, une telle incitation à
la substitution n
’
est pas conforme à la décision européenne qui admet «
des exonérations
ou des réductions de l
’
octroi de mer pour certains produits qui sont fabriqués dans les
régions ultrapériphériques de Guadeloupe […]
».
La région a demandé dans son rapport à mi-parcours, et a obtenu, l
’
inscription sur les
listes européennes de produits (codes 2833
« Sulfates »
et 2834
« Nitrites »
inscrits en
2019 en liste B, par exemple) sans production ni perspective déclarée en Guadeloupe (0
€
en 2018) ou pour des montants totaux confidentiels (108 000
€ en 2016)
, voire même qui
n
’
existent pas (eau minérale artificielle).
Elle fixe le différentiel de taux sans connaissance fine de la réalité de la production
locale : la commission
ad hoc
a reconnu, en décembre 2019, l
’
absence de production
locale de matériaux de construction en matière plastique de la position 3925 90 80
«
Éléments structuraux utilisés pour la construction des sols, murs, cloisons, plafonds,
toits, etc. »
, que la région a pourtant demandé de faire passer en liste C, ce qu
’
elle venait
d
’
obtenir en avril 2019.
3.1.1. 4.
Des productions protégées procurant des rentes monopolistiques
Selon le rapport à mi-parcours de la région, cinq groupes de produits locaux détiennent
plus de 75 % de parts de marché en 2016 : la transformation et la conservation de poisson,
de crustacés et de mollusques (96 %), la fabrication de produits laitiers et d
’
aliments pour
animaux (89 % chacune), la fabrication de boissons (76 %), le travail des grains et la
fabrication d
’
amidon (75 %). La synthèse du projet de rapport 2018 y ajoute les industries
26
L
’
élasticité-prix mesure l
’
effet sur la consommation des produits locaux par rapport aux produits
importés. L
’
élasticité-substitution mesure le déport du consommateur sur un produit proche de la même
famille. Les deux mécanismes ont un effet sur la demande et, par conséquent, sur l
’
offre.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
46
extractives, dont la part de marché de 88,8 % en 2018 aurait gagné cinq points
depuis 2016.
Une autre étude régionale, portant sur les 19 principales productions locales en 2015 et
en 2016, confirme l
’
existence de parts de marchés très majoritaires :
-
les portes, fenêtres et cadres en aluminium (code 7610 10 00), qui ont représenté
37,9
M€
en 2015 et 23,2
M€
en 2016, bénéficient d
’
un différentiel tarifaire B,
porté au plafond de 20 % par la région, alors même que la part de marché serait,
selon la région, de 95 %, en raison de l
’
importance du marché du «
sur-
mesure
» ;
-
les peintures et vernis (position du tarif douanier 3209 10 00) bénéficient du
même classement européen et d
’
un différentiel de 15 % en 2016, porté ensuite à
20 %, alors que la part de marché serait de 84 % ; cette part de marché
s
’
expliquerait par la qualité des produits locaux, conçus pour résister aux
conditions climatiques des milieux tropicaux.
De la même façon, la part de marché du safran atteint 99 %, ce qui n
’
a pas empêché la
région de demander à l
’
Europe son introduction sur la liste européenne A.
Il n
’
est pas possible de considérer que, pour ces produits de liste, l
’
octroi de mer n
’
excède
pas «
le pourcentage strictement nécessaire pour maintenir, promouvoir et développer
les activités locales
» sans porter une atteinte disproportionnée à la concurrence.
Si la production locale doit être protégée temporairement pour gagner des parts de
marchés, la quasi-exclusion de toute concurrence avec les produits importés est en
contradiction directe avec la politique européenne de concurrence, d
’
autant qu
’
elle se
double de constitution de monopoles ou d
’
oligopoles connus
27
.
En effet, 48 des 210 entreprises assujetties sont en position monopolistique et 73 en
position oligopolistique
28
. Or, les monopoles tendent à instituer des rentes puisqu
’
ils
imposent leur prix sur le marché, au détriment de la population qui ne peut plus faire jouer
une concurrence saine entre les produits et entre les prix.
L
’
une des sources du surcoût invoqué par les entreprises dans le rapport de la région
réside précisément dans le fait que les entreprises ne sont pas en mesure de mettre les
fournisseurs en concurrence. Par conséquent, plus l
’
entreprise monopolistique bénéficie
de conditions fiscales avantageuses et plus les barrières invisibles à l
’
entrée sur le marché,
telles que la délibération générale d
’
exonérations, empêchent l
’
arrivée de nouveaux
opérateurs, favorisant l
’
augmentation des prix au détriment des consommateurs.
Alors que le dispositif européen affichait dès 1989 le caractère impérativement provisoire
du dispositif de l
’
octroi de mer, la région a demandé sa reconduction à l
’
identique depuis
trente ans. La limitation dans le temps était justifiée par le nécessaire soutien des
27
Le monopole caractérise la situation dans laquelle il n
’
existe qu
’
un seul offreur d
’
un produit ou d
’
un
service considéré. Une situation d
’
oligopole se rencontre lorsqu
’
il y a, sur un marché, un nombre faible
d
’
offreurs disposant d
’
un pouvoir de marché face à un nombre important de demandeurs. Le marché est
dit « contestable » lorsque la concurrence potentielle (la possibilité d
’
entrée d
’
une entreprise
concurrente) garantit des prix concurrentiels.
28
Compte non tenu des micro-entreprises qui réalisent une part très minoritaire de la valeur ajoutée.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
47
entreprises locales pour qu
’
elles puissent se donner les moyens de faire face, dans un
second temps, à la concurrence internationale. L
’
atteinte de parts de marché très
majoritaires d
’
un certain nombre de produits locaux et le volume des exportations de ces
mêmes produits devraient suffire à attester que l
’
objectif est atteint et même dépassé, au
détriment du consommateur, si l
’
on en juge par le niveau des prix.
3.1.1. 5.
Le maintien d
’
un système qui n
’
incite pas à la performance
En l
’
absence d
’
étude de la région Guadeloupe sur l
’
effet de l
’
octroi de mer sur les prix,
pourtant demandée par le CESER en juin 2016, les sources existantes sont les avis de
l
’
Autorité de la concurrence et le rapport d
’
étude de la FERDI du 25 mars 2020.
Constatant, avec l
’
INSEE, des niveaux de prix en Guadeloupe supérieurs de 12,5 % à
ceux de la métropole, mais de 47,9 % s
’
agissant du panier métropolitain acheté
localement (indice de Fisher), l
’
Autorité de la concurrence, dans son avis n° 19-A-12 du
4 juillet 2019 concernant le fonctionnement de la concurrence en outre-mer, estime que
l
’
octroi de mer renchérit les prix à la consommation. L
’octroi de mer étant fondu dans le
prix de revient des produits, le montant d’octroi de mer payé sur chaque produit n’est pas
connu par le consommateur.
En 2009, elle observait déjà
29
que les producteurs locaux profitent des obstacles aux
importations et ne contribuent pas à dynamiser le jeu concurrentiel. Son rapport de 2019
aboutit à une conclusion similaire, malgré les outils législatifs développés depuis lors.
Pour elle, en effet, l
’
octroi de mer
« pèse sur les gains de productivité dans les secteurs
historiques et sur l
’
investissement et l
’
emploi dans les nouveaux secteurs. Il ralentit, par
son poids et sa complexité, l
’
adaptation du système productif ultramarin. »
En cherchant à préserver la Guadeloupe du jeu sain de la concurrence, la région dispense
les entreprises locales de s
’
adapter aux contraintes du marché et des attentes des
consommateurs et fait peser sur ceux-ci un surcoût dont les causes réelles handicapent le
développement économique, bien plus que les handicaps naturels. La fluidité croissante
de l
’
information, des transports, des séjours entre la Guadeloupe et la métropole, rend
encore plus sensibles ces freins à la modernisation de l
’
économie locale.
Sur le plan national, le taux de marge moyen des entreprises (excédent brut d
’
exploitation
sur la valeur ajoutée) était de 31,2 % en 2018. Ce taux n
’
est pas connu pour les entreprises
guadeloupéennes, à l
’
exception d
’
études déjà anciennes ou sectorielles. Il ne semble pas
affecté par la concurrence des importations : l
’
Autorité de la concurrence, dans son avis
du 4 juillet 2019, affirme que «
certains opérateurs bénéficient de taux de profitabilité et
de rentabilité confortables alors même que des produits importés d
’
une même famille, et
donc potentiellement concurrents, sont frappés de taux d
’
octroi de mer significatifs
».
Les différentiels de taux sont censés rendre concurrentiels les produits locaux sur le
marché intérieur ; les exonérations sur les investissements et sur les intrants ont pour but
d
’
abaisser les coûts de revient des produits fabriqués sur place ; les deux se cumulent au
29
Avis 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d
’
importation et de distribution des produits
de grande consommation dans les DOM.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
48
bénéfice des entreprises locales mais le consommateur n
’
en bénéficie pas et l
’
effet sur
l
’
emploi local n
’
est pas mesuré.
L
’
opacité de l
’
octroi de mer permet aux opérateurs économiques de maintenir des marges
élevées en lui faisant porter la responsabilité des prix.
Le remplacement de l
’
octroi de mer par un dispositif de type TVA, élargi aux services,
applicable selon les mêmes principes que dans le reste du pays, présenterait des avantages
significatifs
en termes de fiabilité de mise en œuvre, de prévisibilité pour les opérateurs,
de neutralité pour la chaîne de production (déductibilité), de simplicité pour le contrôle et
de niveau de recette, de capacité de pilotage des prix à la consommation pour les produits
de première nécessité.
3.1. 2.
Un nombre restreint d
’
entreprises bénéficiaires
À la différence de la TVA, l
’
octroi de mer frappe un segment très concentré de la richesse
produite. Les entreprises guadeloupéennes assujetties à l
’
octroi de mer exercent dans
seulement 78 activités parmi les 819 recensées par la NAF («
nomenclature d
’
activités
française
»), soit 9,5 %.
Parmi elles, au premier trimestre 2019, 210 entreprises étaient répertoriées par la douane
comme assujetties à l
’
octroi de mer. Elles étaient elles-mêmes concentrées sur un petit
nombre d
’
activités : 83 entreprises (soit 39,5 % des assujetties) relèvent de la section A
«
Agriculture, sylviculture et pêche »
, 76 entreprises (soit 36,2 %) de la section C
«
Industrie manufacturière
» et 34 (soit 16,2 %) de la section D «
Production et
distribution d
’
électricité, de gaz, de vapeur et d
’
air conditionné
». Les 17 autres
entreprises, soit 8,1 %, étaient classées dans les autres sections de la nomenclature.
Quarante-huit de ces 210 entreprises sont en position monopolistique dans leur domaine
d
’
activité en Guadeloupe, même s
’
il peut exister des micro-entreprises de moins de
300 000
€ de chiffre d’
affaires et, donc, non répertoriées, travaillant dans le même
secteur. Vingt-
quatre entreprises œuvrent dans des activités où elles sont deux assujetties
et 49 dans des activités où elles sont de trois à six entreprises assujetties. Seules cinq
activités sont exercées par plus de 10 entreprises assujetties :
Activités exercées par plus de dix entreprises assujetties (2019)
Code NAF
Libellé
Nombre d
’
entreprises
1071Z
Boulangerie et pâtisserie
23
1101Z
Production de boissons alcooliques distillées
13
1812Z
Imprimerie de labeur
14
2512Z
Fabrication de portes, fenêtres, etc., en métal
11
3511Z
Production d
’
énergie électrique
28
Source : direction régionale des douanes
Ces cinq activités représentent ensemble 42,4 % des entreprises assujetties ; les deux
activités les plus représentées comptent 24,3 % des entreprises assujetties.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
49
Il en va de même pour la valeur ajoutée : les produits de liste sont concentrés sur six
chapitres douaniers qui représentent près de 50 % de la valeur de la production de liste
30
:
-
chapitre 04
: lait, œufs d’
oiseaux, miel naturel ;
-
chapitre 17 : produits de l
’
industrie sucrière ;
-
chapitre 22 : eaux et boissons, rhums et boissons alcoolisées ;
-
chapitre 25 : sel, soufre, terres et pierres, plâtres, chaux et ciments ;
-
chapitre 73 : ouvrages en fonte, fer ou acier ;
-
chapitre 76 : aluminium et ouvrages en aluminium.
3. 2.
Des effets de distorsion de concurrence
L
’
un des principes du droit de la concurrence est de permettre l
’
entrée sur le marché de
nouveaux acteurs, ce qui n
’
est possible que dans des conditions de transparence des règles
et d
’
impartialité dans leur application. L
’
octroi de mer pratiqué en Guadeloupe ne répond
pas à ces deux conditions.
3.2. 1.
Le nombre d
’
entreprises assujetties n
’
a pas augmenté au niveau attendu en 2015
Le passage en 2015 d
’
un seuil d
’
assujettissement de 550 000
€ à 300
000
€ de production
était censé élargir l
’
assiette de la taxe. L
’
étude d
’
impact du décret d
’
application de la loi
de 2015 évaluait à 115 le nombre attendu des nouveaux assujettis, ce qui correspond aussi
à l
’
estimation de la chambre, sur la base du nombre des entreprises de dix salariés ou plus,
à partir d
’
un échantillon d
’
entreprises sur les sites www.societe.com et www.scores-
decisions.com.
Dans les faits, le nombre d
’
assujettis est passé de 179 en 2015 à 210 en 2019, soit une
augmentation de seulement 31 entreprises. Ce nombre étonnamment faible n
’
est
cependant pas fiable : plusieurs parmi ces entreprises « nouvelles » dépassaient déjà en
2014 l
’
ancien seuil d
’
assujettissement et d
’
autres, qui ne figurent plus sur la liste de 2019,
dépassent toujours le nouveau seuil (mêmes sources).
Ainsi, une dizaine d
’
entreprises des secteurs d
’
activité «
boissons alcooliques distillées
»,
«
boulangerie et pâtisserie
» et des trois codes NAF de fabrication du béton ont dépassé
le seuil d
’
assujettissement tout au long de la période, sans s
’
être systématiquement
déclarées, engendrant des distorsions de concurrence au sein même du marché
guadeloupéen, au détriment des entreprises régulièrement déclarées.
Moins de dix entreprises dont le chiffre d
’
affaires n
’
atteignait pas le seuil antérieur à 2015
sont réellement de nouvelles assujetties, par comparaison avec les listes fournies par la
douane.
30
Source : rapport à mi-parcours
sur l’octroi de mer
de la région Guadeloupe (2018).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
50
3.2. 2.
La production locale n
’
est que partiellement déclarée
Les ventes internes donnent lieu à déclaration trimestrielle à la douane par le chef
d
’
entreprise. Cette déclaration est difficile et sujette à erreur au niveau de précision NC8 :
par exemple, le jus d
’
ananas (non fermenté, sans alcool) peut se rattacher à 12 références
distinctes dans le tarif général, certaines figurant en liste C, d
’
autres sous régime RSA et
d
’
autres de droit commun.
Le changement annuel de tarif douanier nécessite pour le chef d
’
entreprise d
’
actualiser
régulièrement les données utiles à l
’
entreprise avant la déclaration en douane. La région
n
’a pas mis en œuvre d’
appui-conseil aux entreprises pour les aider dans ces démarches.
Pour autant, toutes les erreurs de déclaration ne sont pas involontaires.
La comparaison des parts de marché indiquées plus haut avec l
’
absence de production
déclarée des mêmes produits confirme l
’ampleur de l
a sous-déclaration, déjà signalée par
la Cour des comptes dans son référé S2018-0132 du 6 mars 2018 déjà mentionné
31
. Par
exemple, le rapport à mi-parcours de la région s
’
étonne que la production déclarée d
’œufs
passe de 1,3 M en 2014 à 5,2
M€ en 2016.
L
’
ambivalence d
’
un code douanier non discriminant sous la position tarifaire 2100 90 00
(voir
supra
la sous-partie relative à l
’
eau de boisson) masque une sous-déclaration
massive des producteurs d
’
eau potable :
-
seules quatre sociétés et régies publiques sont déclarées assujetties en 2019 ;
-
les cinq autres exploitants assujettis n
’
ont pas effectué les formalités de
déclaration
32
ou l
’
ont effectué tardivement
33
, alors que la facturation sur leurs
clients comporte la taxe d
’
octroi de mer et que les sommes ont été encaissées par
les producteurs
34
;
-
le chiffre d
’
affaires cumulé réel de vente d
’
eau potable des sociétés et régies de
production s
’
est élevé à environ 86
M€ en 2018
35
.
La régie RENOC et la régie des eaux de Sainte-Rose prélèvent l
’
octroi de mer sur les
usagers mais ne le reversent pas. En outre, plusieurs opérateurs prélèvent en sus l
’
octroi
de mer sur la partie abonnement de la facture qui, étant un service, n
’
y est pas soumis
(Eau d
’
Excellence, la régie Nord-Caraïbes -RéNoC-, Karuker
’
Ô, Eaux Nodis et le
SIAEAG) et doivent rembourser ce trop-perçu prélevé indûment sur leurs abonnés.
31
La région a confirmé ce fait en précisant, par exemple, que deux entreprises de boulangerie avaient
déposé le bilan après avoir subi un redressement fiscal d
’
octroi de mer et demandé à la région de financer
leur redressement fiscal.
32
N’ont pas effectué leur d
éclaration : la RéNoC eau (cinq communes), la commune de Sainte-Rose.
33
En situation de sous-
déclaration, Eaux d’Excellence (communauté d’agglomération de CAP
Excellence) et Karuker’Ô
(communauté de communes de Marie-Galante, ont repris et complété leurs
déclarations.
34
Le SIAEAG (six communes membres hors RéNoC) a fait ses déclarations tardivement mais n’a pas
honoré le paiement.
35
Source
: rapport annuel 2019 de l’
office de l
’
eau : 3,16
€/m
3
en moyenne au 1
er
janvier 2018, pour 38 %
de 72 Mm
3
.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
51
Au total, la sous-déclaration des producteurs d
’
eau potable s
’
élève à plusieurs dizaines de
millions d
’
euros. C
’
est une perte de recettes pour la région
36
, qui devrait, à l
’
instar des
collectivités déjà engagées dans ce type de dispositif, répertorier ses bases fiscales,
appliquer de manière rigoureuse et conforme à la loi les règles prévues pour lutter contre
l
’
évasion fiscale et ainsi optimiser ses ressources et celles des communes.
La perte de recette fiscale de l
’
ensemble des sous-déclarations ne peut pas être évaluée.
C
’
est le changement de seuil en 2015 qui a été le moment déclencheur de la brusque
augmentation de la sous-déclaration.
Il en va de la recette d
’
octroi de mer comme de toute recette fiscale : la région n
’
effectue
pas d
’
étude sur l
’
assiette fiscale, pas de contrôle, ne formule pas de demande à la douane.
En l
’
absence d
’
observatoire fiscal comme il en existe dans un grand nombre de
collectivités, la région se prive de recettes significatives et consent à de graves inégalités
entre les entreprises sur son territoire.
Reconnaissant
la
sous-déclaration,
la
région
propose
de
revenir
au
seuil
d
’
assujettissement antérieur, parce que les entreprises concernées présenteraient une
fragilité en matière de gestion et de comptabilité. L
’
assujettissement généralisé, comme
il existait jusqu
’
en 2015, devrait, au contraire, être un moyen de mieux connaître ces
entreprises, de lutter contre le travail non déclaré et de définir des moyens de soutien à la
structuration de ces petites entreprises.
La région devrait, à l
’
instar des collectivités déjà engagées dans ce type de dispositif,
répertorier ses bases fiscales, appliquer de manière rigoureuse et conforme à la loi les
règles prévues pour lutter contre l
’
évasion fiscale et ainsi optimiser ses ressources et celles
des communes.
Recommandation n° 3
bis
: Uniformiser les taux entre produits proches pour
éviter les distorsions de concurrence, pour dissuader la
fraude et pour simplifier le travail d
’
imposition et de
contrôle.
Collecter et analyser les données brutes de l
’
octroi de
mer, des entreprises assujetties ou qui devraient l
’
être.
3.2. 3.
La barrière à l
’
entrée sur les biens constitue aussi une barrière à l
’
implantation
de nouveaux acteurs sur le marché
L
’
entrée de nouveaux acteurs sur le marché présente plusieurs avantages : elle accroît
l
’
investissement, augmente et diversifie la production, apporte de nouveaux modèles
d
’
innovation ou de management, augmente la concurrence et, ce faisant, exerce une
pression à la baisse sur les prix tout en suscitant de nouveaux emplois, évoluant vers les
standards de qualité et de productivité plus élevés attendus par les consommateurs.
36
Le taux d
’
octroi de mer étant de zéro, les communes ne perçoivent pas de recette sur cette production.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
52
Le principe européen de libre-concurrence suppose l
’
absence de barrières naturelles ou
artificielles à l
’
entrée sur un marché :
-
les barrières naturelles sont objectives et listées dans la décision européenne :
« l
’
éloignement, la dépendance à l
’
égard des matières premières et de l
’
énergie,
l
’
obligation de constituer des stocks plus importants, la faible dimension du
marché local combinée à une activité exportatrice peu développée »
, qui peuvent
dissuader des investisseurs, notamment non locaux ;
-
les barrières artificielles à l
’
entrée peuvent être multiples : l
’
investissement de
départ peut être important ; la collecte de l
’
information peut être difficile ;
l
’
accompagnement de la création d
’
entreprise peut présenter des lacunes ;
l
’
adaptation à l
’
environnement et à la culture locale peut représenter un coût
d
’
apprentissage
; le jeu des acteurs présents sur le marché peut être hostile…
Le très petit nombre moyen d
’
entreprises par activité au sens de la NAF renforce les
positions acquises, par un coût d
’
entrée important pour un nouveau concurrent, ne serait-
ce qu
’
en termes de cumul d
’
exonérations antérieures en matière de biens d
’
équipement,
par exemple.
L
’
étude comparée des listes de 2014 et d
e 2019 ne permet pas d’évaluer
l
’
entrées de
nouveaux investisseurs sur le territoire guadeloupéen. L
’
exemple de la boulangerie-
pâtisserie ou de la production de rhum démontre, au contraire, qu
’
il s
’
agit principalement
de créations de sociétés résultant de l
’
autonomisation d
’
une marque préexistante ou d
’
un
membre de la famille, voire de création de sociétés de holding gérant les parts de sociétés
préexistantes.
Sur un échantillon de quinze sociétés « nouvelles » sur la liste de 2019, seules quatre sont
des créations
ex nihilo
postérieures à 2014, singulièrement dans le domaine de la
boulangerie-pâtisserie. Aucun investisseur externe n
’
a été identifié comme nouvel entrant
depuis 2014, tous les investisseurs de la liste de 2019 étant déjà établis sur place.
3. 3.
Une pratique généreuse d
’
exonérations sans contrepartie affichée et porteuse
de risques juridiques
3.3. 1.
Des avantages importants accordés à un nombre limité d
’
entreprises
Le produit de l
’
octroi de mer, avant déductions et exonérations, a représenté entre 330 et
387
M€ par an depuis
2014. Sur ce total, les trois quarts entrent dans les caisses des
collectivités et un quart donne lieu à des exonérations au bénéfice des entreprises.
3.3.1. 1.
Les
exonérations
d
’
OM
à
l
’
importation
bénéficient
à
moins
de
500 entreprises pour des montants très élevés
En 2015, 479 entreprises (et 26 administrations ou établissements de santé) ont bénéficié
d
’
exonérations sur les importations. Il s
’
agit non seulement des entreprises assujetties et
non
–
assujetties de production de biens mais aussi des sociétés de services telles que
l
’
hôtellerie-hébergement ou la récupération de déchets. Ces entreprises représentaient
moins de 9 % des entreprises actives en Guadeloupe (source : répertoire Sirene, INSEE).
Chacune a bénéficié, en moyenne, de 31 049
€
d
’
exonérations.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
53
Répartition des exonérations à l
’
importation par type de bénéficiaire
Entreprises
Article 6, 1° et
article 7-1
Régalien
Article 6, 3°
Santé
Article 6, 4°
Recherche,
enseignement
Article 6, 2°
Total
Année 2015
Montant
15 127 842
84 604
560 514
15 127 842
Part
95,91 %
0,54 %
3,55 %
100 %
Année 2018
Montant
32 623 712
169 986
1 396 385
67 545
34 257 628
Part
95,23 %
0,50 %
4,08 %
0,20 %
100 %
Source : direction régionale des douanes
De 2015 à 2018, le montant des importations a augmenté de 18,6 % mais l
’
assiette des
exonérations de 60,5 %. Les exonérations, dont le montant a plus que doublé,
représentaient 8,84 % du montant des importations des produits concernés en 2015 et
11,96 % en 2018.
3.3.1. 2.
Les exonérations facultatives supérieures à 500 000
€ ne sont pas publiées
Le droit européen interdit par principe toute aide publique aux entreprises, qualifiée
d
’
aide d
’
État. Toute aide d
’
État doit être notifiée à la Commission qui vérifie sa
compatibilité avec les règles du marché intérieur.
Le règlement UE n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014, portant règlement
général d
’
exemptions par catégorie (RGEC), exige la publication des aides aux
entreprises, par tranche à partir de 500 000
€ et jusqu’
à 30
M€
. Ce seuil s
’
apprécie en
cumul des autres aides publiques du projet et de l
’
entreprise et doit être suivi par la région.
Conformément aux exigences européennes, le dispositif d
’
exonération d
’
octroi de mer
figure sur le site internet public national
« les-aides.fr »
.
La région n
’
a pas prévu de dispositif garantissant que le seuil applicable aux avantages
fiscaux n
’
est pas dépassé. Pour la seule année 2015, cinq sociétés dans les secteurs
présentés ci-dessous ont bénéficié d
’
aides supérieures au seuil de publication.
Principaux bénéficiaires des exonérations d
’
octroi de mer externe (année 2015)
Secteur d
’
activité
Montant de l
’
exonération
Production et distribution d
’
électricité
2 457 282
€
Fabrication de ciment
1 923 060
€
Production d
’
électricité
1 198 893
€
Production de papier/carton
795 395
€
Eau de table
664 133
€
Source : chambre régionale des comptes à partir des données de la douane
Plusieurs entreprises de dimension internationale figurent parmi les bénéficiaires de ces
exonérations fiscales ciblées qui ont pu bénéficier d
’
autres aides publiques dans d
’
autres
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
54
implantations territoriales et atteindre par cumul le seuil européen de notification
de 30
M€.
La région n
’
a jamais publié ces exonérations équivalant à des aides d
’
État. Le
« secret
douanier »
37
, interdisant à la douane de communiquer à la région des données
nominatives, empêche cette dernière d
’
y procéder.
La région s
’
expose au risque que la Commission européenne demande le remboursement
de ces exonérations non déclarées ou les requalifie de subventions, dont le seuil de
notification est beaucoup plus bas.
3.3. 2.
Un régime d
’
exonérations peu lié à l
’
intérêt général et dont la légalité n
’
est pas
assurée
3.3.2. 1.
Un régime d
’
exonérations ponctuelles à la demande
La région adopte chaque année des délibérations ponctuelles d
’
exonération d
’
octroi de
mer sur l
’
importation de biens, en sus du régime général des exonérations d
’
OM à
l
’
importation.
Ces délibérations sont adoptées sur demande d
’
un importateur et leur bénéfice est étendu
au secteur d
’
activité concerné, sur la base d
’
un guide de procédures adopté par
délibération n° 18-1507 du 28 décembre 2018 et faisant suite à un cahier de procédures
adopté dans les mêmes formes, le 23 septembre 2010.
Ce régime de demande individuelle place les entreprises du secteur en situation de
clientélisme et d
’
inégalité : si la liste des pièces à fournir à l
’
appui de la demande
d
’
exonération, imposée à l
’
entreprise demanderesse, ne pèse pas sur les autres entreprises
du même secteur d
’
activité auxquelles l
’
exonération est ouverte, ces autres entreprises
sont rarement informées en temps utile de l
’
ouverture d
’
une exonération, ou alors
seulement par des circuits informels.
Étendu aux importations de biens des administrations régaliennes, des établissements de
santé, de recherche ou d
’
éducation, ce dispositif place entreprises et administrations en
position d
’
obligés d
’
une instruction qui n
’
offre pas de garanties de transparence et
d
’
objectivité. Il est, en soi, porteur de risque de collusion et de corruption.
3.3.2. 2.
Des exonérations à durée limitée qui ne profitent qu
’
au demandeur
Les délibérations ponctuelles de la région accordées de 2014 à 2019 présentent les mêmes
caractéristiques :
-
un nombre limité d
’
entreprises formule des demandes, quelques-unes d
’
entre
elles à plusieurs reprises (une compagnie de transport maritime, par exemple) ;
37
Le secret professionnel et fiscal, qui est opposable à la région, est encadré par la réglementation (décret
d’application
n° 2015-1077, articles 59 bis et 59 ter du code des douanes national).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
55
-
chaque délibération ouvre un nombre de produits limités à l
’
exonération dans un
secteur d
’
activité (une même délibération peut accorder des exonérations à
plusieurs secteurs d
’
activité) en réponse à une demande, appuyée d
’
un dossier ;
-
la durée de validité de la délibération est en général d
’
un an ; cependant, en 2014
et en 2015, la moitié d
’
entre elles avait une durée de validité de deux à six mois ;
-
la délibération est notifiée au pétitionnaire, à la douane, au syndicat des
transitaires de Guadeloupe, qui affichent les décisions mais ne les diffusent pas.
Nombre d
’
entreprises bénéficiaires d
’
exonérations sur les importations, par délibération
ponctuelle (hors administrations régaliennes, établissements de santé, de recherche et d
’
enseignement)
Exercice
2015
2016
2017
2018
2019
Total
Une seule entreprise bénéficiaire
44
28
14
17
13
116
Deux
12
5
2
2
1
22
Trois
4
0
1
4
1
10
Quatre
2
1
0
1
2
7
Cinq et plus
4
0
0
1
2
7
Total
66
34
17
26
20
163
Délibérations ayant bénéficié à une seule entreprise (%)
67 %
82 %
82 %
65 %
65 %
71 %
Source : direction régionale des douanes, bureau du Raizet (année 2014 : NC)
Plus des deux tiers des délibérations ponctuelles ne profitent qu
’
à l
’
entreprise
pétitionnaire.
De telles délibérations disparates et ponctuelles ne peuvent prétendre à viser un objectif
de développement économique cohérent : par exemple, en 2014, la région a délibéré
quatre fois en faveur du secteur de la fabrication du pain et de la pâtisserie fraîche.
L
’
intérêt général n
’
est pas motivé.
Une validité de quelques mois contrevient à la planification des entreprises : un projet
d
’
investissement ou l
’
importation d
’
intrants nécessaires au cycle de production répondent
à la stratégie de l
’
entreprise et non à la réponse opportuniste à un dispositif ponctuel.
La diffusion des délibérations, eu égard à leur objet, a été insuffisante jusqu
’
à ce que la
région en généralise la publication sur son site internet en mai 2020. Les entreprises du
secteur concerné n
’
avaient aucun moyen d
’
en connaître l
’
existence, sauf proactivité dont
beaucoup n
’
avaient pas les moyens ou que certaines entretenaient par un circuit
relationnel privilégié.
3.3.2. 3.
Des exonérations susceptibles de porter atteinte au principe constitutionnel
d
’
égalité devant la loi fiscale
La prise de décisions à caractère fiscal donnant suite à des demandes individuelles
contrevient au principe d
’
égalité devant la loi fiscale, principe constitutionnel (article 13
de la Déclaration des droits de l
’
Homme et du Citoyen, «
la contribution commune […]
doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés
») et au
droit européen de la concurrence.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
56
Les dispositions à caractère fiscal appartiennent au domaine de la loi qui peut renvoyer
dans certaines conditions au pouvoir réglementaire : le législateur doit épuiser sa
compétence (CC, n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, cons. 11-12). Néanmoins, en
matière fiscale, des renvois limités de certains aspects de la mesure au pouvoir
réglementaire sont admis comme, par exemple, la fixation d
’
un taux à l
’
intérieur d
’
une
fourchette (CC, n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000, cons. 32) ou bien la définition
technique de l
’
assiette (CC, n° 2001-456 DC du 27 décembre 2001, cons. 41).
Si le législateur avait voulu ouvrir un droit individuel, alors une procédure administrative
d
’
examen des demandes individuelles aurait été prévue par décret, à l
’
instar des
formulaires définis à l
’
article 5 du décret d
’
application de la loi, auxquels renvoie l
’
article
25 de la loi.
C
’
est en premier lieu la loi qui détermine les conditions d
’
exonération ; dans un second
temps, les entreprises qui se trouvent dans la situation décrite effectuent les démarches
pour faire valoir qu
’
elles correspondent à la situation prévue ; ici, la démarche est inverse.
Le Conseil constitutionnel a confirmé la constitutionnalité des exonérations par secteur
d
’
activité (décision n° 2018-750/751 QPC du 7 décembre 2018) mais ne s
’
est pas
prononcé sur les exonérations ponctuelles qui doivent naturellement poursuivre un
objectif d
’
intérêt général.
La rupture d
’
égalité devant l
’
impôt résulte de la manière même dont la région a conçu et
organisé le dispositif d
’
exonérations ponctuelles.
3.3.2. 4.
Des entorses au droit européen de la concurrence
Le fait d
’
adopter des normes prétendument à caractère général à la demande d
’
une
entreprise identifiée et de l
’
enserrer dans des délais courts, alors même que la publicité
desdites délibérations est minimale, porte atteinte à la libre concurrence, dans la mesure
où toutes les entreprises concernées ne peuvent pas en bénéficier.
La jurisprudence européenne considère qu
’
une mesure qui accorde un avantage
conditionné par la réalisation d
’
une opération économique peut être qualifiée d
’
aide
d
’
État parce qu
’
elle est « sélective », c
’
est-à-dire qu
’
elle vise une entreprise déterminée
38
.
Dans ce cas, la Commission européenne présume qu
’
il y a une distorsion de la
concurrence.
Par ailleurs, ces délibérations ponctuelles sont gérées à la manière d
’
une aide directe aux
entreprises, avec un dossier, une instruction, une suite favorable ou non donnée à une
demande. Elles sont ainsi susceptibles d
’
être requalifiées en aides d
’
État par la
Commission européenne.
38
Commission européenne (communication 2016/C 262/1) : en matière fiscale il y a «
sélectivité
» dès
lors que la mesure en cause introduit «
par ses effets concrets, un traitement différencié entre opérateurs
placés dans une situation factuelle et juridique comparable
».
Arrêt de Grand’c
hambre de la Cour de justice du 21 décembre 2016,
« Commission européenne c/ World
Duty Free Group »
(C-20/15P et C-21/15P, point 67) et Tribunal, 15 novembre 2018 (arrêt Banco
Santander et Santusa/Commission, T-399/11 RENV, points n°°83 et 84).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
57
Dans cette hypothèse, elles devraient relever des règlements
de minimis
39
(UE)
n° 360/2012, 1407/2013, 1408/2013 et 717/2014, dont le seuil de notification s
’
élève à
un total cumulé de 200 000
€ sur trois exercices fiscaux glissants.
3.3. 3.
Un régime européen et un régime français dont l
’
effet cumulatif n
’
est pas pris
en compte
Le rapport annuel de la région à mi-parcours ne détaille pas les exonérations sur les
importations et minore les parts de marché de certains produits. Le café non torréfié en
est une illustration.
En effet, produit de liste C, le café torréfié fait l
’
objet d
’
une taxation différentielle de
25 points de pourcentage, tandis que le café non torréfié et les coques de café, qui en sont
la matière première, ne sont pas des produits de liste et sont taxés à 27,5 % à l
’
importation,
comme la production locale.
Cependant :
-
la production locale de grains de café est marginale (30 hectares seraient plantés
en Guadeloupe mais aucune production n
’
est déclarée en douane) ;
-
le taux élevé sur le café non torréfié n’encourage pas la plantation de caféiers
;
si la région voulait développer une filière locale intégrée, elle jouerait sur un taux
très bas de café non torréfié et un taux élevé de café torréfié importé ;
-
le taux élevé de taxation des grains importés vise à éviter toute concurrence
croisée avec la torréfaction locale de café ;
-
parallèlement, la délibération CR/18-1508 relative au dispositif d
’
exonération à
l
’
importation par secteur exonère les importations du même café non torréfié au
bénéfice des entreprises déclarées aux activités NAF 1083Z
« Transformation
du thé et du café »
et 1093B
« Transformation et conservation des fruits »
;
-
en sus, la même délibération autorise l
’
importation en franchise de droits de six
autres matières premières alimentaires (thé, sirops…) et de 25 types de matériels
divers utiles à la production aux entreprises du même code NAF 1083Z.
Selon la région, les surcoûts de la production locale de café sont principalement liés à
l
’
approvisionnement de matières premières. Or, l
’
effet des dispositifs croisés européen et
national, non prévu par la décision européenne, conduit à prendre en compte deux fois
des surcoûts ayant déjà motivé la demande de classement en liste C. Il est peu probable
qu
’
un éventuel investisseur externe comprenne l
’
articulation du double dispositif fiscal,
dont la complexité est une barrière à l
’
entrée. Au demeurant, cette exonération n
’
est pas
ouverte aux entreprises dont le secteur d
’
activité NAF n
’
est pas principalement celui de
la torréfaction (9 % des importations) : un cafetier ou une structure touristique voulant
développer une activité accessoire
dans ce domaine devrait payer l’octroi de mer au prix
fort sur la matière première.
En outre, la région comptabilise, à tort, la quantité importée pour transformation locale
dans le calcul de la part de marché des torréfacteurs locaux (comme si cette importation
39
Proverbe latin :
« de minimis non curat praetor »
(le préteur
–
l’autorité supérieure –
ne doit pas
s’encombrer des sujets
mineurs).
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
58
destinée à la transformation entrait en concurrence avec la production locale), ce qui
minore significativement cette dernière. Il en va de même pour le calcul de la part de
marché de toutes les activités de transformation simple de produits primaires dont la
matière première est considérée comme concurrente du produit réalisé.
La région calcule le taux de compensation des surcoûts en déduisant des surcoûts affichés
les exonérations dont bénéficient les produits locaux de liste. Or, ce calcul n
’
intègre pas
le bénéfice des exonérations de l
’
OME alors que ces exonérations contribuent
évidemment à diminuer ces surcoûts. Dans l
’
exemple du café, le taux réel de
compensation, ainsi corrigé, de l
’
activité de torréfaction, s
’
élève au taux du surcoût
affiché (33 % du chiffre d
’
affaires), étant rappelé que la réalité même des surcoûts
calculés par la région est contestable.
L
’
ensemble des exonérations par secteur vient donc abonder la compensation autorisée
par l
’
Europe et devrait être comptabilisé dans le rapport de la région.
Inclure la présentation et l
’
analyse des exonérations à
l
’
importation dans le rapport annuel, comme attendu
selon l
’
obligation réglementaire.
Tenir compte, dans les calculs de surcoûts et de
compensations, des exonérations d
’
octroi de mer à
l
’
importation accordées
par secteur d’activité
.
3. 4.
Un facteur de hausse des prix au-delà des seuls prélèvements fiscaux
Dans son avis sur le projet de tarif d
’
octroi de mer de 2016, le conseil économique social
et environnemental régional (CESER) de Guadeloupe a ajouté un point de vigilance aux
deux objectifs affichés de l
’
octroi de mer (protéger le tissu productif local et assurer des
ressources financières supplémentaires aux collectivités) : veiller au pouvoir d
’
achat des
ménages.
Dans son rapport au Conseil du 13 décembre 2018, la Commission européenne note que
les RUP françaises qui pratiquent les taux d
’
octroi de mer les plus bas (La Réunion) et où
le nombre de produits visés est le plus faible (Mayotte) possèdent les écarts de prix les
plus faibles avec la métropole.
En effet, s
’
il n
’
en est pas la seule cause, l
’
octroi de mer contribue à la hausse des prix.
C
’
est même sa fonction intrinsèque. La question se pose, dès lors, de la proportionnalité
entre les avantages attendus de cette hausse des prix et les inconvénients qui en résultent
pour le pouvoir d
’
achat des ménages dont ces territoires se plaignent simultanément de
manière chronique.
Il convient aussi de préciser la manière dont l
’
octroi de mer joue sur les prix, de manière
directe et, aussi, de manière indirecte.
3.4. 1.
Un prélèvement payé par les consommateurs sans contrepartie
Il est tentant de rapprocher l
’
octroi de mer de son assiette taxable qui est fonction du PIB :
ainsi que l
’
a établi la chambre dans son rapport sur les comptes et la gestion de la région
Guadeloupe rendu public en octobre 2019, la notion de «
produit intérieur brut
» (PIB)
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
59
est une notion fortement biaisée ; elle ne rend pas compte de la richesse réellement
produite en Guadeloupe dans la mesure où elle intègre la production des «
services non
marchands
» (action des administrations publiques) à la valeur de son coût qui ne dit rien
de la réalité des services produits, en l
’
absence de liberté du consommateur pour faire
jouer une concurrence. Or, en Guadeloupe, cette donnée est particulièrement faussée
puisque le PIB affiché par la statistique officielle se compose de plus de 46 % de dépenses
publiques
40
qui ne sont donc que des coûts dont la traduction en production de biens et
services n
’
est pas mesurée.
Ces préalables méthodologiques étant posés, il convient d
’
observer que le « PIB »
guadeloupéen total a été établi à 9 388
M€ en
2018. Une fois déduits de ce numérateur le
PIB non marchand, les services marchands, non assujettis
41
, les exportations, non taxées,
les exonérations et les entreprises non assujetties (dont le chiffre d
’
affaires était inférieur
à 550 000
€ jusqu’
en 2015 et, aujourd
’
hui, à 300 000
€), il apparaît que l’
assiette de
l
’
octroi de mer a représenté seulement 10,3 % de la « valeur ajoutée totale » en 2018 (et
6,56 % pour le seul octroi de mer communal sur lequel portent les exonérations).
Composantes du « PIB » Guadeloupéen, 2014 et 2018 (montants en
M€
)
2014
2016
2018
PIB global
8 055
8 374
9 388
PIB marchand hors services
1 168
1 211
1 252
Exportations de biens
dont exportations de produits de liste
221,0
*109,0
223,0
69,4
280,0
59,9
PIB marchand déclaré à l
’
octroi de mer
dont produits de liste
947
,0
375,4
987,7
345,2
972,4
356,2
*
sur la base des anciennes listes A, B et C
Sources : INSEE, IEDOM, région Guadeloupe
L
’
effet des différentiels autorisés entre importations et productions locales engendre un
écart substantiel sur la moyenne des taux, qui s
’
est creusé de 3,9 points de pourcentage
au cours de la période sous contrôle, la région tendant à rapprocher les taux des plafonds
de différentiels autorisés.
40
Source : INSEE, analyses Guadeloupe, n° 32, 2018. Ce mode d
’
évaluation conduit à considérer que
plus un service public coûte cher, plus il est productif et plus il compte dans le produit intérieur brut,
même si sa performance (le service effectivement rendu) est faible ou nulle. A l
’
inverse, dans le secteur
marchand, si le prix d
’
un même produit baisse, sa part dans le PIB sera amoindrie d
’
autant alors que
son utilité objective n
’
aura pas nécessairement diminué.
41
Les services marchands et non marchands sont comptés pour 85,5 % de la valeur ajoutée en 2014.
L
’
INSEE n
’
a pas actualisé cette donnée depuis 2014.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
60
Taux moyens d
’
octroi de mer non pondérés, de 2017 à 2020
Octroi de mer
Octroi de mer régional
Total
Importations
Livraisons
Importations
Livraisons
Importations
Livraisons
2017
12,34
10,26
2,44
2,44
14,78
12,71
2018
12,59
10,10
2,45
2,45
15,04
12,55
2019
13,14
9,90
2,45
2,45
15,59
12,35
2020
13,44
8,52
2,45
2,45
15,89
10,97
Source : délibérations annuelles d
’
octroi de mer, région Guadeloupe
En 2016, le taux moyen pondéré des produits de liste à l
’
importation était de 15,8 %, hors
TVA. La région n
’
a pas produit de statistiques sur le taux moyen pondéré hors produits
de liste.
105
M€
de marchandises sont taxées à des taux de 22,5 % ou plus. Ce sont les produits
de liste agroalimentaires qui sont le plus taxés à l
’
importation (20,2 % en moyenne en
2016), puis les produits de l
’
agriculture, de la sylviculture et de la pêche (18,3 %).
En 2016, le CESER a porté une appréciation critique sur l
’
accord donné par la région aux
demandes des producteurs locaux de maximiser certains différentiels de taux (viande de
porc, poisson fumé, yaourts, eaux de table, papier hygiénique, produits imprimés).
Par conséquent, l
’
augmentation des taux d
’
OM à l
’
importation renchérit le coût de la vie
sur les biens de consommation courante, tandis que les exonérations accordées sur les
ventes internes de produits de liste ne sont pas répercutées à la baisse sur le prix au
consommateur et accroissent les marges.
Les exonérations d
’
octroi de mer interne sont censées compenser les surcoûts mais
aucune justification économique ne vient à l
’
appui des exonérations sur les importations,
que la région ne conditionne ni par des investissements de productivité ni par des
créations d
’
emplois.
Par conséquent, non seulement l
’
octroi de mer prélevé pèse sur les consommateurs à
hauteur de 748
€ par habitant et par an (2018) mais, de surcroît, les exonérations sur les
entreprises ne donnent pas lieu à une baisse des prix et représentent une faveur fiscale qui
coûte 257
€ de plus par habitant.
3.4. 2.
Un facteur de hausse des prix sur les produits locaux et sur les
« importations »
3.4.2. 1.
Le maintien de prix élevés sur les produits locaux
Le mécanisme de l
’
octroi de mer a pour but essentiel de taxer les biens arrivant sur le
territoire, d
’
une part pour créer une recette fiscale
–
dont le niveau et la nécessité en
Guadeloupe peuvent être discutés au vu des ressources dont bénéficient par ailleurs ses
collectivités en comparaison des ressources des autres collectivités comparables en
France
–
d
’
autre part, pour augmenter les prix des biens importés par rapport aux biens
produits localement. Il a donc, par essence, pour effet de maintenir des prix élevés sur les
produits locaux, à l
’
encontre des objectifs du marché unique créé en Europe visant à
réduire les coûts de production par l
’
homogénéisation de la concurrence.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
61
L
’
argument avancé par la région, qui tire sa source d
’
un livre intitulé «
Réflexions libres
sur l
’
octroi de mer
» paru en 2020, selon lequel 35 % du coût de l
’
octroi de mer serait
pris en charge par les entreprises en réduction de la rémunération des facteurs, est à
réfuter : tout coût supporté par une entreprise est payé
in fine
par ses clients, l
’
entreprise
n
’
étant pas une structure philanthropique.
Selon les douanes, la recette d
’
octroi de mer interne s
’
est élevée à 9,06
M€ en 2018, soit
un taux moyen de 1 % de l
’
assiette taxée. Par ses taux faibles et par le jeu de l
’
exonération
des entreprises réalisant moins de 300 000
€ de chiffre d’
affaires, l
’
octroi de mer joue
essentiellement comme un droit de douane : le poids de l
’
OMI sur les produits locaux est
très faible, les produits locaux ne représentant eux-mêmes qu
’
une faible part des produits
consommés en Guadeloupe.
L
’
octroi de mer externe a représenté 96,7 % des recettes totales d
’
octroi de mer en 2018.
Ce sont donc les biens importés qui supportent la presque totalité de l
’
octroi de mer, ce
qui ne peut pas être sans influence sur les prix, comme le souligne l
’
avis n° 19-A-12 du
4 juillet 2019 de l
’
Autorité de la concurrence concernant le fonctionnement de la
concurrence outre-mer.
Importations taxées à l
’
octroi de mer en 2014, 2016 et 2018 (montants en
M€)
2014
2016
2018
Importations (hors services)
dont produits de liste
2 590
336,7
2 528
335,2
2 933
286,5
Exportations (hors services)
dont produits de liste
221
70,2
223
69,5
280
NC
Montant de l
’
octroi de mer externe perçu
233,2
244,9
265,2
Taux moyen apparent d
’
octroi de mer sur les importations totales
9,00 %
9,64 %
9,26 %
Taux moyen pondéré sur les produits de liste
15,6 %
15,8 %
NC
*
estimation par la chambre régionale des comptes à partir des données de la Mission outre-mer
PLF 2020, taux de TVA pris en compte à 8,5 % par simplification.
Source :
chambre régionale des comptes à partir de données de l
’
INSEE, de l
’
IEDOM et de la douane
3.4.2. 2.
Des conséquences variables mais réelles sur tous les prix
Le rapport remis par la France à l
’
Union européenne sur l
’
octroi de mer, à mi-parcours,
devait comporter une analyse des effets du régime mis en place sur les prix dans les
régions ultrapériphériques françaises. La région Guadeloupe n
’
a pas contribué à cette
analyse pour ce qui concerne son territoire.
L
’
INSEE estime qu
’
en 2015 le panier métropolitain de produits alimentaires acheté
localement est plus cher en moyenne de 41,9 % par rapport à la métropole. La TVA n
’
est
pas responsable de ce niveau des prix puisque tous ses taux sont réduits par rapport à la
métropole, le taux étant de 2,1 % pour la quasi-totalité des produits alimentaires.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
62
L
’
octroi de mer intervient dans la constitution des prix, en Guadeloupe comme ailleurs,
de manière variable :
-
les ventes internes étant, de fait, exonérées à hauteur de 75 % de la production
locale marchande de biens meubles (hors électricité), ce n
’
est pas l
’
octroi de mer
qui explique la constitution des prix sur les produits locaux de liste qui, selon la
région, connaissent un taux moyen pondéré de 2,5 % en 2018 (3,2 % en 2014) ;
-
l
’
octroi de mer pesant sur la consommation d
’
électricité est faible (l
’
octroi de
mer et la TVA s
’
élèvent ensemble au taux de 10 % du prix HT aux particuliers,
contre 20 % de TVA en métropole) et ne contribue pas à la cherté des prix ;
-
les autres productions internes taxées le sont au même taux que les produits
importés ; la région n
’
a pas calculé leur taux moyen pondéré ; en tout, le taux
moyen non pondéré d
’
octroi de mer s
’
élève, en 2020, à 11 % sur l
’
ensemble de
la production locale ;
-
l
’
effet de l
’
octroi de mer est certain sur les prix des produits importés et c
’
est sa
raison d
’
être ; le taux moyen non pondéré d
’
octroi de mer s
’
élève, en 2020, à
15,9 % sur les importations, à ajouter à un taux normal de TVA de 8,5 % ; le
taux moyen pondéré d
’
octroi de mer s
’
élèvait à 18,8 % sur les seuls produits de
liste agroalimentaires en 2016, ce qui représentait une taxation moyenne
supérieure de 7 points de pourcentage à la TVA au taux normal de 20 % en
métropole ;
-
l’octroi de mer augmente l’assiette taxable à la TVA, comme indiqué
supra
;
-
si, seules, les entreprises de production sont assujetties à l
’
ODM, les entreprises
de services, comme celles relevant de la grande distribution ou l
’
hôtellerie,
s
’
acquittent de l
’
octroi de mer sur leurs achats de biens meubles qu
’
elles
répercutent sur leurs clients ;
-
il est aisé de constater les écarts de prix entre l
’
Hexagone et la Guadeloupe sur
les services, tels que la téléphonie, qui ne sont pourtant pas soumis à l
’
octroi de
mer,
ce qui relativise l’influence de l’octroi de mer sur les prix
.
Cinq cent vingt-deux taux d
’
octroi de mer à l
’
importation sont égaux ou supérieurs à
21 %, alors qu
’
ils s
’
appliquent à des produits qui ne font pas concurrence à une
production en Guadeloupe. Si la protection de la santé publique justifie que les tabacs
soient taxés à 52,5 %, les whiskies à 37,5 % et les alcools forts à 32,5 %, la consommation
du rhum local est promue par un taux réduit à 2,5 %.
3.4.2. 3.
Des produits de consommation courante fortement taxés
Des produits de consommation courante importés sont fortement taxés :
-
le café torréfié, qui fait l
’
objet d
’
un différentiel tarifaire de 25 points de
pourcentage, subit un taux de 27,5 %, alors qu
’
il bénéficie d
’
un taux de TVA
réduit en tant que boisson non alcoolique ;
-
le riz, non produit localement et première céréale consommée, est taxé à 27,5 % ;
-
certains jus de fruits, tels que le jus de poire et le jus de pomme, sont taxés à
27,5 % hors RSA (c
’
est-à-dire quand ils sont destinés à la consommation) alors
que le taux de TVA est réduit en tant que boisson non alcoolique ;
-
les eaux minérales naturelles (voir
supra
) ;
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
63
-
certaines préparations alimentaires
42
subissent un taux de 27,5 %, alors que le
taux de TVA est réduit sur les farines composées pour enfants, les petits
déjeuners en poudre, les entremets et les desserts à préparer ;
-
les verres de lunettes sont taxés à 22,5 %, ce qui, additionné au taux de TVA
normal à 8,5 %, les porte à 11 points de pourcentage au-dessus de leur taxation
dans l
’
Hexagone
43
;
-
204 positions tarifaires de poissons non locaux (codes 0303 et 0304) sont taxées
à 22,5 %, sachant que la position 0302 (poissons locaux) est classée en liste B
européenne.
L
’
ensemble de ces taux élevés contribue sensiblement à la hausse des prix et constitue
des barrières tarifaires à l
’
entrée, préjudiciables au commerce local et aux consommateurs
alors qu
’
ils n
’
ont pas de justification au regard du soutien à une production interne. La
fixation de taux prohibitifs sur des produits de la même famille ou de familles proches ne
contribue pas à protéger les productions locales, car ces produits sont perçus comme
différents par le consommateur et parce que l
’
élasticité-substitution n
’
est jamais calculée
par la région avant qu
’
elle fixe les taux.
Par exemple, le riz est transformé par une seule entreprise locale qui l
’
importe au taux de
9,5 % et bénéficie à la vente d
’
un différentiel de 25 points de pourcentage sur le riz
blanchi concurrent importé. Deux positions tarifaires seulement sont déclarées à la
production locale, sur les 30 codes NC8 autorisés en liste C. Ce faisant, le prix d
’
achat du
riz brut décortiqué revient à 250
€ la tonne pour un prix de sortie d’
usine de 1 640
€ après
blanchissement et mise en sachets (données de la douane), ce qui assure une valeur
ajoutée sur matière première de 4,5
M€ à une entreprise en position de monopole
, qui
bénéficie en 2018 d
’
une part de marché de 47,8 % et d
’
exonérations régionales sur
54 types de produits et matériels, ainsi que, depuis 2020, d
’
une exonération régionale sur
le riz cargo qu
’
elle est seule à importer, sans que l
’
exonération fiscale de 159 860
€
récemment obtenue ait été répercutée sur le prix de vente.
3.4. 3.
L
’
usage de l
’
octroi de mer : un facteur indirect de hausse des prix supporté
in
fine
par les ménages les plus modestes
La région note, dans son rapport à mi-parcours, que près de la moitié des contribuables
guadeloupéens déclarent un revenu annuel inférieur à 10 000
€ (sans précision sur le brut
ou le net).
L
’
octroi de mer est un impôt qui, comme la TVA, ne tient pas compte des facultés
contributives des ménages. La part de consommation dans le revenu étant plus importante
parmi les ménages aux revenus modestes, le prix des biens de consommation courante,
notamment alimentaires, devrait donner lieu à une préoccupation attentive de la région
42
Les préparations alimentaires de farines, préparations alimentaires à base de produits laitiers,
préparations pour l
’
alimentation des enfants, les extraits de malt et les préparations alimentaires en
poudre contenant un mélange de lait et de graisses/huiles (position tarifaire 1901 90).
43
Ce taux et la divergence d’interprétation entre les lunettiers et la douane sur la distinction ent
re service
et production ont suscité un conflit en cours. NB : seuls les verres de lunettes de classe A sont
intégralement remboursés depuis le 1
er
janvier 2020.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
64
dans la fixation des taux d
’
octroi de mer, dans l
’
intérêt général de sa population, ce qui
n
’
est pas le cas.
L
’
objectif européen visait à accorder temporairement un soutien aux productions locales
contre la concurrence des produits importés en rendant ceux-ci plus chers, le temps que
les productions locales s
’
adaptent et deviennent concurrentielles, ce qui devait combiner
la compétitivité des entreprises locales, la consolidation des emplois et, à l
’
issue de la
période transitoire, une baisse des prix pour les consommateurs. Au terme de trente ans
de ce dispositif, l
’
on observe au contraire un alignement à la hausse des prix des produits
locaux sur le prix des produits importés avec les effets observés sur le niveau général des
prix, sans constater de gain en termes d
’
emplois et de compétitivité. Pour maintenir cette
dérogation en dépit de l
’
absence de résultat, la région a substitué progressivement un
argument d
’
existence de surcoûts permanents à l
’
objectif de modernisation de
l
’
économie.
L
’
emploi créé par l
’
octroi se situe en réalité chez les intermédiaires chargés de sa
perception et, surtout, dans les collectivités.
Lors de l
’
audition, l
’
ordonnateur a cité un extrait d
’
un livre récent déjà cité, selon lequel
l
’
octroi de mer permettait aux communes de développer des biens publics. Or, bien au
contraire, l
’
octroi de mer collecté est consacré par les communes, pour l
’
essentiel voire
en totalité, au financement d
’
une masse salariale connue et expertisée
44
comme largement
excessive, en nombre d
’
agents et en niveau de rémunérations, sans contrepartie de service
rendu à la population : la masse salariale des communes représente 64,5 % de leurs
produits de fonctionnement (contre 46,3 % de ceux des communes de métropole). Elle
consomme 96,8 % des produits de fonctionnement hors octroi de mer.
En outre, la ressource d
’
octroi de mer susceptible de varier sensiblement d
’
une année sur
l
’
autre, comme indiqué
supra,
est employée à financer les dépenses les plus rigides, très
difficiles à réduire en raison du statut et des pratiques de gestion de la fonction publique
locale.
Cette affectation de l
’
essentiel de l
’
octroi de mer à une distribution de revenus
improductive contribue à son tour à la hausse des prix à la consommation par
l
’
augmentation du revenu disponible sur un territoire restreint sans production
correspondante et se traduit souvent par des impayés parfois massifs des communes et
intercommunalités envers les entreprises.
Le renchérissement du coût de la vie en Guadeloupe est, ainsi, soutenu par la répartition
du revenu disponible des ménages, plus forte qu
’
en métropole, selon l
’
INSEE (2018), les
prix étant tirés vers le haut par le pouvoir d
’
achat des ménages les plus aisés.
L
’
écart inter-décile
45
se nourrit du poids de l
’
emploi public dans la population active et
de la surrémunération indiciaire de 40 % dont les agents publics et assimilés bénéficient
et qui leur permet de payer les prix pratiqués. Le complément de rémunération,
44
Cf.
les très nombreux rapports d’observations définitives et avis budgétaires rendus par la
chambre
régionale des comptes sur les communes et établissements publics locaux de Guadeloupe.
45
L
’
écart inter-décile en matière de revenu mesure la répartition (dispersion statistique) du revenu entre
les ménages. Le 1
er
décile représente les 10 % des ménages les moins aisés.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
65
improprement appelé « prime de vie chère » (et qui contribue, en réalité, à rendre la vie
chère), est transposé dans une partie des entreprises qui le comptabilisent dans la partie
salariale des surcoûts qu
’
elles invoquent.
Un moyen de limiter les effets pervers de cette
ressource des collectivités serait d’en
affecter une part plus importante à la section d’investissement, par un accroissement de
la part de FRDE.
Ce sont
in fine
les ménages qui ne sont ni agents publics ni insérés dans le segment de
l
’
économie locale capable d
’
imposer ses tarifs qui subissent l
’
effet de cette surévaluation
des prix et s
’
en trouvent donc appauvris, ainsi que les personnes à la retraite ou dont les
revenus se limitent aux aides sociales. En payant l
’
octroi de mer, la population qui ne
relève pas des catégories les plus favorisées finance l
’
effectif surnuméraire des agents
publics et la surrémunération de ceux-ci, facteurs de la hausse des prix qu
’
elle subit le
plus sévèrement.
Dans sa réponse, la région Guadeloupe a indiqué vouloir entreprendre, dans le projet de
révision tarifaire, une baisse des taux sur les produits de première nécessité, notamment
ceux figurant dans le bouclier qualité-prix (BQP).
Proposer à l
’
État, sur la base de l
’
article L. 4433- 3 du
CGCT, d
’
augmenter, en faveur de l
’
investissement des
communes, la proportion de FRDE dans le mécanisme
de répartition de l
’
octroi de mer.
Diminuer les taux applicables aux produits importés de
consommation courante pour lesquels il n
’
existe pas
d
’
équivalent dans la production locale et qui ont un effet
inflationniste, défavorable au pouvoir d
’
achat.
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
66
GLOSSAIRE
__
-
ACP :
zone Afrique-Caraïbes-Pacifique
-
AFR :
aides à finalité régionale
-
AMPI :
Association des moyennes et petites industries
-
APE :
accords de partenariat économique
-
CAF :
coût-assurance-fret
-
CANA :
code additionnel national
-
CESER :
comité économique, social et environnemental régional
-
CCIG :
Chambre de commerce et d
’
industrie des îles de Guadeloupe
-
GGPME :
Confédération générale des petites et moyennes entreprises
-
CRFP :
contribution au redressement des finances publiques
-
CRPA :
code des relations entre le public et l
’
administration
-
CVAE :
cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
-
DGDDI :
direction générale des douanes et droits indirects
-
DGFIP :
direction générale des finances publiques
-
DGG :
dotation globale garantie
-
DGF :
dotation globale de fonctionnement
-
DROM :
départements et régions d
’
outre-mer
-
EPCI :
établissement public de coopération intercommunale
-
FERDI :
Fondation pour les études et recherches sur le développement
international
-
FRDE :
fonds régional pour le développement et l
’
emploi
-
FTPE :
Fédération des très petites entreprises
-
IFER :
impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux
-
IGUAVIE : Interprofession guadeloupéenne de la viande et de l
’
élevage
-
MUA :
marché unique antillais
-
NAF :
nomenclature d
’
activités française
-
NC8 :
nomenclature combinée européenne à 8 chiffres
-
ODM :
octroi de mer (communal)
-
ODRM :
octroi de mer régional
-
OME :
octroi de mer externe
-
OMRE :
octroi de mer régional externe
-
OMI :
octroi de mer interne
Région Guadeloupe -
Gestion de l’octroi de mer
(2014-2020) -
Rapport d’observations définitives
67
-
OMRI :
octroi de mer régional interne
-
PIB :
produit intérieur brut
-
POSEI :
Programme d
’
options spécifiques à l
’
éloignement et à l
’
insularité
-
QPC :
question prioritaire de constitutionnalité
-
RGEC :
règlement général d
’
exemptions par catégorie
-
RSA :
régime spécifique d
’
approvisionnement (voir POSEI)
-
RUP :
régions ultrapériphériques
-
SH4 :
système harmonisé européen
-
SIRENE :
système national d
’
identification et du répertoire des entreprises et de
leurs établissements,
-
SRDEII :
schéma régional de développement économique d
’
innovation et
d
’
internationalisation
-
STCG :
syndicat des transitaires et commissionnaires de la Guadeloupe
-
TICPE :
taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques
-
TFUE :
traité sur le fonctionnement de l
’
Union européenne
-
TPN :
taux (effectif moyen) de protection nominale
-
TVA :
taxe sur la valeur ajoutée
-
TSC :
taxe de consommation sur les carburants
Chambre régionale des comptes de la Guadeloupe
Parc d
’
activités La Providence
–
Kann
’
Opé
–
Bât. D
–
CS 18111
97181 LES ABYMES CEDEX
adresse mél. :
antillesguyane@crtc.ccomptes.fr
Les publications de la chambre régionale des comptes
de la Guadeloupe
sont disponibles sur le site :
www.ccomptes.fr/fr/antilles-guyane