CONSEIL DES PRÉLÈVEMENTS
OBLIGATOIRES
ADAPTER
LA FISCALITÉ
DES ENTREPRISES À
UNE ÉCONOMIE
MONDIALE NUMÉRISÉE
Synthèse
Septembre 2020
Avertissement
Le présent document est destiné à faciliter la lecture et l’explo
itation du rapport du
Conseil des prélèvements obligatoires. Seul le texte du rapport engage le Conseil.
Le rapport général comme les rapports particuliers sont rendus publics et consultables
sur le site internet www.ccomptes.fr/CPO.
Le Conseil des prélèvements obligatoires,
une institution associée à la Cour des comptes
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) est «
chargé d'apprécier l’évolu
tion et l'impact
économique, social et budgétaire de l'ensemble des prélèvements obligatoires, ainsi que de
formuler des recommandations sur toute question relative aux prélèvements obligatoires
» (loi
du 20 avril 2005 créant le CPO, codifiée aux articles L.351-1 et suivants du code des
juridictions financières).
Placé auprès de la Cour des comptes et présidé par le Premier Président de la Cour des
comptes, le collège du CPO comporte seize membres, huit magistrats et hauts fonctionnaires et
huit personnalités qualifiées choisies, à raison de leur expérience professionnelle, par les
Présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et
environnemental, ainsi que par les ministres chargés de l’économie et des finances, des affaires
sociales et de l’intérieur.
Situé, comme la Cour des comptes, à équidistance du Gouvernement et du Parlement, le CPO
est un organisme pluridisciplinaire et prospectif qui contribue à l’élaboration de la doctrine et
de l’expertise fiscale, grâce à l’indépen
dance de ses membres et à la qualité de ses travaux.
Le CPO peut être chargé, à la demande du Premier ministre ou des commissions de l'Assemblée
nationale et du Sénat chargées des finances ou des commissions de l'Assemblée nationale et du
Sénat chargées des affaires sociales, de réaliser des études relatives à toute question relevant
de sa compétence.
L’organisation des travaux
du Conseil des prélèvements obligatoires
Le CPO est
indépendant
. A cette fin, les membres du Conseil jouissent d’un mandat de deux
ans, renouvelable une fois. Ils «
ne peuvent solliciter ou recevoir aucune instruction du
Gouvernement ou de toute autre personne publique ou privée
» (article L.351-11 du CJF). Le
secret professionnel s’impose à eux (article L.351
-11 du CJF).
Le CPO est
pluridisciplinair
e dans sa composition et
collégia
l dans son mode de
délibération. Il entend en audition des représentants de la société civile et du monde
économique.
Afin d'assurer l'information du CPO, le directeur général du Trésor et de la politique
économique, le directeur de la législation fiscale, le directeur du budget, le directeur général
des collectivités locales et le directeur de la sécurité sociale assistent, à la demande de son
président, à ses réunions et s’y expriment, sans voix délibé
rative, ou s'y font représenter.
L’élaboration des rapports
du Conseil des prélèvements obligatoires
Le CPO fait appel à des rapporteurs habilités, comme ses membres, à se faire communiquer
tous documents, de quelque nature que ce soit. Pour l'exercice de leurs missions, les membres
du CPO comme les rapporteurs ont libre accès aux services, établissements, institutions et
organismes entrant dans leur champ de compétences. Ceux-ci sont tenus de leur prêter leur
concours, de leur fournir toutes justifications et tous renseignements utiles à
l'accomplissement de leurs missions.
Les agents de ces services, établissements, institutions et organismes sont déliés du secret
professionnel à l'égard du CPO, à l'occasion des études qu’il réalise.
Chaque étude ou enquêt
e est réalisée par un ou deux rapporteurs généraux, qui s’appuient
sur les travaux de rapporteurs particuliers choisis en fonction de leur expertise.
Le rapport général comme les rapports particuliers, sont rendus publics et sont consultables
sur le site internet www.ccomptes.fr/CPO. Seul le rapport général engage le CPO.
1
S
OMMAIRE
INTRODUCTION _________________________________________________________________ 3
1.
U
NE CONCURRENCE FISCALE INTERNATIONALE QUI CONTRAINT LES MARG
ES DE MANŒUVRE DE LA
F
RANCE
_______________________________________________________________________ 5
2.
U
NE ADAPTATION INABOUTIE DES RÈGLES FISCALES À UNE ÉCONOMIE MONDIALISÉE ET NUMÉRISÉE
___ 11
3.
P
RÉSERVER LES CHOIX DE POLITIQUE FISCALE DANS LES DIFFÉRENTS SCENARII
__________________ 23
CONCLUSION __________________________________________________________________ 33
RAPPEL DES RECOMMANDATIONS DU CPO _________________________________________ 35
3
I
NTRODUCTION
Le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) a travaillé en 2020, à la demande de la
commi
ssion des finances de l’Assemblée nationale, sur les conséquences
de la mondialisation
et de la numérisation de l’économie pour le système de prélèvements sur les entreprises.
Avec la montée du numérique dans une économie toujours plus mondialisée, la fiscalité directe
des entreprises, encore largement déterminée dans un cadre national, doit
s’adapter pour limiter
l’érosion d’assiette taxable et résister
à la concurrence fiscale internationale.
L
’Organisation de coopération et de développement économique (
OCDE) a lancé des initiatives
dans le cadre du plan d’action relatif à l’érosion de la base d’imposition et le transfert de
bénéfices (
Base erosion profit shifting
–
BEPS
). Il en est résulté une convention multilatérale
signée à Paris en 2017 et des adaptations substantielles des règles fiscales européennes et
françaises. La réflexion s’est
poursuivie
en vue d’élaborer de
nouvelles normes internationales
de taxation
sur la base d’une proposition articulée en deux piliers. Le
« premier pilier » prévoit
une n
ouvelle méthode de répartition des droits d’imposer entre la juridiction du siège de
l’entreprise multinationale et les juridictions dites de marché.
Le « deuxième pilier » vise la
mise en place d’une imposition minimale des bénéfices par l’ensemble des ju
ridictions. Sans
être exclusivement ciblées, les grandes entreprises du numérique se trouveraient
particulièrement concernées par l
’introduction de
ces règles.
Si
l’IS est au cœur des
négociations, les impôts de production se trouvent eux aussi remis en
qu
estion par l’affaiblissement de la territorialité de l’impôt.
C’est pourquoi le CPO a centré ses
travaux sur ces deux grandes catégories d’impôts
, la situation inédite née de la pandémie de
Covid-19
l’
ayant conduit à examiner quel rôle la fiscalité des entreprises pourrait jouer dans la
politique de sortie de crise.
Outre une présentation des grandes tendances internationales et des spécificités de la France en
ce qui concerne les impôts sur les entreprises, le rapport analyse leur
capacité d’adaptation aux
défis posés par la
numérisation de l’économie.
Malgré les limites des données disponibles et le
caractère évolutif des options de négociation, le rapport présente une estimation des effets
économiques des deux piliers de
BEPS
. Enfin, il aborde la question d
es marges de manœuvre
qui pourraient être utilisées par la France en fonction
de l’issue
des négociations. Le CPO
formule plusieurs recommandations de moyen terme
en soulignant les perspectives d’évolution
possible du cadre européen.
5
1.
Une concurrence fiscale
internationale qui contraint les marges
de manœuvre de la France
La concurrence fiscale entre États concerne
particulièrement les impôts dont les assiettes sont
les plus susceptibles d’être mobiles
et de se
localiser là où la fiscalité est la plus favorable. La
fiscalité des entreprises a été l’une des plu
s
affectées par cette tendance.
Le niveau des prélèvements sur les
entreprises, reflet du taux global de
prélèvements obligatoires
Le niveau des prélèvements sur les entreprises est
lié au niveau des prélèvements obligatoires dans
leur ensemble.
Un taux global de prélèvements obligatoires
comparativement élevé
Avec 46,1 % en 2018, le taux de prélèvements
obligatoires français est
le plus élevé de l’OCDE
et de l’U
nion européenne (UE)
1
.
1
Source OCDE.
Les prélèvements obligatoires par rapport au PIB
en % sur la période 1990-2018
Source : OCDE
Les comparaisons internationales sont délicates à
opérer. Quatre explications principales sont
avancées à propos de la situation comparée de la
France
: en premier lieu l’imprécision des
conventions statistiques ; ensuite les différences
dans l’efficienc
e de la dépense publique ; en
troisième lieu, les choix concernant la nature du
financement (privé ou public) des grandes
fonctions collectives (éducation, santé, etc.) ;
20,0
30,0
40,0
50,0
60,0
1990
1992
1994
1996
1998
2000
2002
2004
2006
2008
2010
2012
2014
2016
2018
France
Allemagne
Etats-Unis
Royaume-Uni
Italie
Pays-Bas
Danemark
Suède
6
enfin l’ampleur des dépenses de santé et de
protection sociale.
Une structure de prélèvements différente
L’analyse de la structure des prélèvements
obligatoires fait apparaître une part, plus élevée
en France que dans le reste de l’Union
européenne
(UE),
de
cotisations
sociales
employeurs, de taxes indirectes sur les produits
(sauf la TVA
) et d’impôts sur la production. En
revanche, les parts de la TVA, des impôts sur le
revenu (y compris la contribution sociale
généralisée
–
CSG), des cotisations sociales des
salariés et de l’impôt sur les sociétés sont
inférieures.
La part cumulée de l’I
S et des impôts de
production représente 15,7
% de l’ensemble des
prélèvements obligatoires en France, contre
12,9
% dans l’UE
-
28. La différence s’explique
par les impôts de production, la part de l’IS étant
à l’inverse inférieure en France.
Des prélèvements sur les entreprises plus
nombreux et plus élevés en France
Les prélèvements sur les entreprises sont plus
nombreux et plus élevés que dans les principales
économies européennes, même si leur part dans
le PIB et dans la valeur ajoutée des entreprises est
relativement stable
Les comparaisons en matière de taux de
prélèvements obligatoires sur les entreprises sont
d’une interprétation délicate. La plupart des
travaux
disponibles
et
des
classements
internationaux portent sur des taux nominaux
d’impôt sur
les sociétés (IS), qui ne donnent
qu’une indication partielle. La différence entre la
France et les autres économies européennes, se
situe principalement au niveau des impôts de
production.
Les statistiques macro-économiques confirment
un niveau de fiscalité directe plus élevé par rapport
à la valeur ajoutée des entreprises en France : le
total de l’IS et des impôts de production représente
environ 11 % de la valeur ajoutée des sociétés non
financières. Ce ratio a peu varié entre 2012 et
2017, alors qu’il a
convergé dans les autres pays
européens vers 5-6 %.
7
La fiscalité sur les entreprises en France
2
en
Md€
2015
2016
2017
2018
Évolution 2015-
Taxation de la valeur ajoutée et du chiffre
17,42
17,15
17,13
18,02
+3,5%
Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises
13,03
13,60
13,57
14,26
+8,6%
Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S)
4,39
3,55
3,56
3,77
-14,2%
Taxation des résultats
59,85
59,88
68,04
62,96
+4,9%
Impôt sur les sociétés (IS)
49,20
49,08
57,41
54,24
+10,2%
Impôt sur le revenu (IR)
7,51
7,78
7,81
7,60
+1,2%
Contribution sociale sur les bénéfices des sociétés
0,97
0,98
1,14
1,12
+15,1%
Taxe de 3 % sur les dividendes
2,16
2,04
11,68
0
ns
Taxation du capital
24,96
26,17
26,81
27,29
+9,3%
Cotisation foncière des entreprises (CFE)
6,36
6,52
6,66
6,83
+6,9%
Taxe foncier bâti et non bâti
14,03
14,69
15,05
15,48
+10,3%
Impôt forfait. entreprises de réseaux
1,30
1,32
1,33
1,35
+3,6%
Impôt forfaitaire sur les pylônes
0,23
0,24
0,25
0,26
+10,8%
Taxe sur les surfaces commerciales
0,93
0,95
1,14
0,98
+4,7%
Taxes CCI
0,46
0,86
0,87
0,72
+57,2%
Taxe chambres des métiers
0,25
0,23
0,23
0,20
-29,1%
Taxe véhicules de sociétés (TVS)
0,75
0,49
0,64
0,75
-0,3%
Taxe sur les bureaux
0,65
0,66
0,64
0,73
+11,6%
Taxation de la masse salariale
14,83
15,18
15,59
15,70
+5,8%
Taxe sur les salaires (TS)
13,16
13,51
13,84
13,86
+5,0%
Taxe d
’
apprentissage (TA)
1,67
1,66
1,75
1,84
+10,3%
Ensemble
117,06
118,38
127,57
123,97
+5,6%
Source : Insee (« Les entreprises en France »), DGFiP et comptes nationaux.
Une relative convergence du taux, de
l’assiette et des règles régissant l’IS
français avec ceux des autres États de
l’OCDE
Sans être le seul critère de choix des entreprises
pour la localisation de leurs activités, la fiscalité
joue un rôle important et les États utilisent de plus
2
Ce tableau issu de l’étude annuelle de l’Insee
Les entreprises en France
ne comprend pas certaines taxes comme le versement
mobilité et la contribution au fonds national d’aide au loge
ment (FNAL).
en plus souvent ce levier dans la compétition
économique mondiale.
Sur longue période, la réduction des taux et du
produit de l’impôt sur les bénéfices dans les
économies développées est spectaculaire. Au
niveau
mondial,
le
taux
nominal
moyen
d’imposition des bénéfices
a été ramené de
40,4 % en 1980 à 24,2 % en 2019. Dans
l’UE
, les
taux nominaux sont passés en moyenne de 32 %
en 2000 à 21,9 % en 2018. La France, qui avait
8
abaissé au milieu des années 1980 son taux
normal de 50 à 33,3
%, affiche désormais l’un des
taux les plus élevés en Europe, ce qui a justifié en
2018 la trajectoire de diminuti
on à 25 % d’ici à
2022.
En France, une évolution qui laisse subsister
des spécificités
La loi de finances initiale (LFI) pour 2018 a en
effet prévu une baisse progressive du taux normal
de l’
IS de 33,3 % en 2017 à 25 % en 2022. Une
première baisse est intervenue avec un taux à
28 % pour les entreprises dont le résultat fiscal est
supérieur à 500 000
€ et le chiffre d’affaires
inférieur à 250 M€. Le taux est fixé à 31
% pour
la tranche au-delà de 500 000
€ de résultat.
L’IS français reste marquée par une base
relativement étroite
en raison de l’importance des
crédits et réductions d’impôt. Le produit d’IS
après imputations des créances est de fait
relativement
stable
par
rapport
aux
bases
imposables déclarées (21
% en 2018, 44,5 Md€
en valeur absolue). La crise en cours se traduira
par une baisse sensible du rendement de l’IS qui
n’a en fait jamais retrouvé son niveau d’avant la
crise de 2008.
La part de l’IS dans les recettes fiscales françaises
est parmi les plus faibles du monde. Sur
88
juridictions du cadre inclusif de l’OCDE, l’IS
représente moins de 5 % des recettes fiscales pour
seulement cinq
d’
entre elles, dont la France en
2016. La France se distingue par un taux nominal
élevé et un rendement faible.
Ce rendement relativement limité peut avoir
plusieurs causes. Parmi celle-ci, il faut avancer le
rôle des impôts de production qui contribuent à
r
éduire l’assiette imposable à l’IS.
Une concurrence qui porte aussi sur la
qualité du système fiscal et du réseau de
conventions bilatérales
La concurrence fiscale entre États porte aussi sur
des aspects de nature plus qualitative. Les
entreprises sont sensibles à la qualité du système
fiscal en raison des coûts entraînés par une
insuffisante maîtrise des risques fiscaux. Les
conventions fiscales bilatérales contribuent à
réduire cette incertitude, en fixant des règles pour
répartir la matière taxable entre les pays
signataires et éviter les doubles impositions. Avec
121 traités couvrant 126 pays, 97 % des
importations et 98 % des exportations françaises,
le réseau conventionnel français est le deuxième
plus important au monde après celui du
Royaume-Uni.
La singularité des impôts de production
Les impôts sur la production forment un
ensemble hétéroclite constitué de taxes assises
sur les salaires et la main d’œuvre (versement
mobilité, taxe sur les salaires, etc.), de taxes
assises sur la valeur ajoutée (principalement la
contribution sur la valeur ajoutée des entreprises
ou CVAE), de taxes assises sur le chiffre
d’affaires (comme la contribution sociale de
solidarité des entreprises ou C3S) et enfin de
9
taxes assises sur le foncier (taxes foncières,
cotisation foncière des entreprises ou CFE).
Selon le
Conseil d’analyse économique (
CAE), les
impôts de production représentent en France 2,1 %
du PIB et 3,7 % de la valeur ajoutée brute des
entreprises
3
,
soit le deuxième niveau le plus élevé
d’Europe
. En tendance, les impôts de production
sont aussi plus dynamiques en France.
Plusieurs rapports et études ont souligné le bilan
économique
défavorable
des
impôts
de
production.
Les
impacts
sont
néanmoins
différents selon les types d’impôts.
Les impôts assis sur le foncier sont souvent
présentés
comme
un
bon
instrument
de
tarification des investissements. Leur principale
l
imite est qu’
ils ne tiennent pas compte de la
capacité contributive des entreprises. Par ailleurs,
la taxation du foncier pénalise les secteurs qui
nécessite
nt beaucoup d’actifs corporels comme
l’industrie
manufacturière
et
le
commerce
physique
par
rapport
à
des
concurrents
numériques établis hors du territoire national.
La CVAE pèse de manière proportionnelle sur
l’ensemble des facteurs de production et ne
souffre pas des effets en
cascade d’une taxe sur le
chiffre d’affaires. Elle a aussi l’avantage d’êtr
e
neutre au regard de la source de financement des
investissements. Si elle est plus proche des
capacités contributives des entreprises, elle
3
Derniers chiffres publiés par le CAE, dans Philippe
Martin, Hélène Paris, « Éclairages complémentaires sur les
impôts de production »,
Focus
n° 042-2020, juillet 2020.
entraîne
néanmoins
des
distorsions
entre
entreprises
ayant
des
consommations
intermédiaires différentes.
Créée en 1970 pour faire contribuer les grandes
entreprises au financement du régime social des
indépendants, la contribution sociale de solidarité
des sociétés (C3S), qui a fait l’objet de mesures
d’
abattement forfaitaire en 2015 et en 2016, est
assise sur le chi
ffre d’affaires et
intervient à
chaque étape de production, affectant ainsi toute
la chaîne de valeur. Elle pénalise les exportations
qui doivent intégrer cette contribution dans leurs
coûts et favorise les importations.
La charge fiscale de ces différents impôts de
production est variable selon la taille des
entreprises et le secteur d’activité.
La part des PME dans le produit de la CVAE est
inférieure à leur part dans la valeur ajoutée,
respectivement 31,5 % et 33,7 %
, mais c’est
l’inverse pour
les ETI (41 % de la taxe, 30,7 % de
la valeur ajoutée) et les grandes entreprises
(respectivement 24,2 % et 18,1 %). La CFE pèse
relativement
plus
sur
les
microentreprises
(21,9 % du produit de la taxe, 16,3 % de la valeur
ajoutée) que sur les PME et les ETI. L
’ind
ustrie
manufacturière contribue plus que son poids dans
la valeur ajoutée (18,15 % de la valeur ajoutée
fiscale, 21,3 % du produit de la CVAE et 24,5 %
du produit de la CFE). Il en est de même pour les
10
secteurs de la production d’énergie et du
commerce.
Les impôts de production constituent donc une
singularité française par leur nombre, leur
hétérogénéité et leur poids dans la valeur ajoutée
des entreprises. Ils affectent la compétitivité des
entreprises, tout en limitant l’assiette de l’IS.
Aussi sont-ils
l’objet de réformes visant à les
alléger. Ces réformes sont toutefois délicates, car
ces impôts constituent des recettes importantes et
dynamiques pour la sécurité sociale et les
collectivités territoriales
.
11
2.
Une adaptation inaboutie des règles
fiscales à une économie mondialisée et
numérisée
La
mondialisation
et
la
numérisation
des
économies affectent profondément la façon dont
les États peuvent prélever une partie de la
richesse
produite
par
les
entreprises.
L
’éclatement croissant des chaînes de v
aleur rend
toujours plus délicate la question de l’imposition
de profits dont il est difficile de localiser le lieu
de création.
Toutefois, les mesures prises depuis la crise
financière de 2008 ont fait évoluer à la fois les
règles fiscales applicables et les comportements
des entreprises. T
ant la notion d’établissement
stable que la mise en œuvre du principe de pleine
concurrence
ont
fait
l’objet
de
travaux
approfondis par l’OCDE
qui ont conduit à
l’adoption de multiples dispositions en
France et
dans l’Un
ion européenne.
Les défis posés par les nouveaux modèles
d’affaires
Les
«
nouveaux
modèles
d’affaires
»,
qui
concernent des secteurs de plus en plus variés,
évoquent
les
formes
contemporaines
du
positionnement stratégique dans la chaîne de
valeur. Dans les modèles multi-faces, une ou
plusieurs faces sont gratuites (par exemple, pour
l’utilisateur), tandis que l’autre face paie pour
accéder à l’écosystème mis en place. Il en résulte
que la première face est « subventionnée » par la
seconde : par exemple les recettes publicitaires
pour Google. Pour autant, les modèles de
l’économie numérique ne sont que partiellement
nouveaux.
Les
modèles
multi-faces
ou
multicanaux existent en fait depuis longtemps : la
banque, les médias, les centres commerciaux en
sont des exemples.
Du
point
de
vue
fiscal,
deux
problèmes
émergent :
- d
’une part, la valeur créée sur une face du
modèle peut être monétisée à un endroit très
distant du lieu de la transaction ;
-
d’
autre par
t, les modèles d’affaires reposent sur
des
combinaisons
d’actifs
,
notamment
immatériels, qui peuvent, en raison de la
mondialisation des chaînes d’approvisionnement
ou de la mobilité desdits actifs, être répartis dans
différentes
juridictions
aux
règles
fiscales
hétérogènes.
12
Le fait qu’un géant du numérique puisse se passer
de présence physique sur les marchés où il exerce
ses activités met en lumière les limites du système
d’imposition des entreprises, pensé à une époque
où l’économie était d’abord industr
ielle et où le
commerce et les services reposaient sur des points
de vente et des contacts physiques. Les actifs
immatériels sont centraux dans les nouveaux
modèles
économiques.
Ils
soumettent
les
systèmes fiscaux à des défis spécifiques en raison
même de leurs caractéristiques, notamment de
leur grande mobilité.
La question de la capacité contributive justifie les
réflexions
internationales
en
cours :
quelle
matière la fiscalité peut-elle saisir si la capacité
contributive qu’elle est supposée appréhender
ne
se matérialise plus sous l’une de ses formes
traditionnelles
? L’idée de prendre en compte
l’usage pour apprécier la création de valeur vise à
reconnaître à l’État le droit d’imposer la
contrepartie de la fourniture d’un marché de
consommateurs.
Pour le moment, le pilier 1 du projet
BEPS
se
limite à l’attribution d’une fraction d’un surprofit
sans aller jusqu’à faire basculer de manière aussi
fondamentale le système fiscal international.
Cependant le débat sur l’adaptation de l’IS à la
numérisation pourrait conduire à aller plus loin en
fonction des intérêts des États et des rapports de
forces politiques.
4
Il s’agit notamment des Pays
-Bas, du Royaume-Uni, du
Portugal et de l’I
talie.
La réactivité du système français de
prélèvements sur les entreprises dans ce
contexte
Les défis soulevés par la mondialisation et la
numérisation ont été diversement pris en compte
par les systèmes fiscaux nationaux. En France, ils
ont largement contribué à faire évoluer l’IS,
même si des difficultés persistent; en revanche,
les impôts de production ont moins bien intégré
cette nouvelle donne.
Des adaptations significatives concernant
l’IS
La fragilisation à laquelle l’IS fait face, en France
comme ailleurs, résulte tout à la fois des
difficultés de rattachement des entreprises au
territoire national et de l’utilisation de différentes
juridictions fiscales par les groupes mondialisés
pour organiser les fonctions de l’entreprise et
optimiser leurs marges bénéficiaires.
La France fait application du principe de
territorialité, particularité qui tend néanmoins à
s’estomper. Si les autres États membres de
l’U
nion
européenne
appliquent
traditionnellement un principe de mondialité des
bénéfices, certains d’entre eux ont
introduit au
début des années 2010 une dose de territorialité
dans leur fiscalité
4
.
13
La logique du principe de territorialité est donc
d’imposer
en France les bénéfices liés à la
présence d’une entreprise, indépendamment de
son siège de direction ou de sa nationalité. Les
entreprises
françaises
restent
attachées
au
principe de territorialité pour compenser le
niveau élevé de la fiscalité et lutter à armes égales
avec leurs concurrents étrangers.
Les facteurs d’attractivité de la France en matière
d’assiette et de modalités de calcul de l’impôt se
sont toutefois réduits. C’est le cas du régime
français
d’intégration
fiscale
qui
demeure
favorable en d
épit de l’introduction à compter du
1
er
janvier 2016 d’une quote
-part de 1 % pour
frais et charges jusqu’alors totalement exonérée.
Les règles de report des déficits n’offrent plus
d’avantage comparatif décisif par rapport aux
autres États membres de l’Uni
on européenne ou
de l’OCDE. Les règles du régime mère
-fille sont
dans la moyenne européenne. En ce qui concerne
le régime de faveur de taxation des plus-values à
long terme, la réintégration au résultat fiscal de la
société mère d’une quote
-part pour frais et
charges de 12 % sur les plus-values brutes place
en revanche la France dans une situation
défavorable
par
rapport
à
ses
principaux
partenaires qui exonèrent la totalité des plus-
values éligibles.
Les règles issues du code général des impôts
(CGI)
doivent
être
combinées
avec
les
conventions fiscales bilatérales qui répartissent le
pouvoir d’imposer entre les deux États signataires
en fonction de la définition de l’établissement
stable. Toutefois, la possibilité de réaliser une
activité sans rattachement physique et matériel au
territoire
français,
comme
le
permet
la
numérisation,
contourne
la
notion
d’établissement stable et empêche le pouvoir
fiscal de saisir la richesse créée.
Un premier pas pour remédier à cette difficulté a
été franchi avec la convention multilatérale de
2017. Sa mise en œuvre a pour principal avantage
d’éviter que les conventions bilatérales ne créent
des possibilités de double non-imposition non
intentionnelle des revenus par le biais de
stratégies de fraude ou d’évasion fiscale. Au
-delà
de l’inconvénient majeur de la non
-participation
des États-
Unis, l’enjeu est l’application de cet
instrument multilatéral par plus de 90 juridictions
différentes et la mise en conformité de l’ensemble
des
conventions bilatérales en vigueur dans le
monde.
Le risque d’érosion de base («
base erosion
»)
affectant l’assiette taxable nationale a également
donné lieu à des mesures inspirées de
BEPS
.
La principale technique d’érosion est le transfert
indirect de bénéfices taxables à l’IS hors de
France par la manipulation des prix de transfert.
Si les règles relatives aux prix de transfert ont
abouti à un meilleur contrôle des opérations
d’évitement de l’impôt, la question continue de se
poser pour les actifs incorporels. Difficilement
évaluables, facilement mobiles, ces derniers
peuvent être aisément placés dans une juridiction
à fiscalité accommodante.
Des solutions spécifiques ont été trouvées pour
les frais financiers et la sous-capitalisation
« organisée » désormais strictement encadrés
depuis la directive (UE) 2016/1164 du Conseil du
14
12 juillet 2016 établissant des règles pour lutter
contre les pratiques d'évasion fiscale qui ont une
incidence directe sur le fonctionnement du
marché intérieur transposée en droit français par
la loi de finances initiale pour 2019. De même, les
structures interposées situées en territoire à
fiscalité privilégiée sont encadrées par les
dispositions de l’article 238 A du CGI.
À côté des dispositifs ciblant telle ou telle
situation, la lutte contre l’évasion en matière
d’impôt sur les sociétés peut s’appuyer à titre
subsidiaire sur une règle générale anti-abus.
Les
dispositions
juridiques
européennes
introduites depuis plusieurs années (directives
ATAD 1 et 2, directives du 25 mai 2016 et du
25 mai 2018) constituent désormais un arsenal
juridique conséquent.
La
pratique
de
« chalandage
fiscal »
5
est
également mieux encadrée désormais, grâce à la
convention multilatérale de 2017 complétée par
des
règles
propres
à
l’Union
européenne
transposées en droit français sous la forme d’un
e
clause anti-
abus générale applicable à l’IS.
Au total, le régime de l’IS a commencé à prendre
en compte les enjeux fiscaux d’une économie
mondialisée et numérisée.
Le droit conventionnel a connu des avancées en
matière d’établissement stable
, sans pour autant
5
Consistant à faire transiter les flux sortants, intérêts et
redevances principalement, par un État « tunnel » ou un
État « tremplin » lié à la France par une convention fiscale
mais ouvrant des facilités pour les flux qui sortent vers un
résoudre tous les problèmes ni garantir que
l’ensemble des
États
signataires s’y
conformeront
de bonne foi. Les cadres légaux nationaux et
internationaux sont parvenus à encadrer les prix
de transfert et les opérations dites « érosives ». La
difficulté principale qui subsiste concerne les
actifs incorporels.
Le sort variable des autres impôts
Si les défis que pose à l’IS la mondialisation et la
numérisation de l’économie sont bien identifiés,
ceux auxquels sont confrontés les impôts de
production sont moins souvent évoqués. Ils
peuvent néanmoins s’avérer délicats
et poser des
problèmes de concurrence entre des entreprises
établies en France et des entreprises servant le
marché français mais établies hors de France.
L’implantation physique donne lieu en France à
des impositions qui visent à tenir compte de la
valeur tirée
de l’exploitation. Frappant des
immobilisations corporelles peu mobiles, ces
impositions ne devraient pas être affectées par la
numérisation.
Pourtant, les impôts assis sur le foncier peuvent
apparaître inadaptés à une économie de plus en
plus dématérialisée. Cette crainte
n’en
doit pas
moins être relativisée. En effet, si la relation
commerciale tend à se nouer de plus en plus à
distance, les biens continuent de s’échanger et les
pays ave
c lequel la France n’a pas passé de convention
fiscale, notamment parce qu’il s’agit d’un État ou d’un
territoire non-coopératif.
15
flux correspondants nécessitent des installations
physiques aux abords des lieux de consommation
(cf. les gigantesques entrepôts d’Amazon).
Le
dynamisme de leurs recettes ne semble pas
affecté, à ce stade, par les effets de la
numérisation de l’économie.
L’exigence de
présence physique sur le territoire
français pose avant tout la question, pour la CFE
comme
pour
les
taxes
foncières,
de
la
concurrence faussée, par exemple entre le
commerce physique et le commerce en ligne.
La CVAE obéit quant à elle à une logique de
territorialité et d’assiette identique à celle l’IS.
Ainsi, les pratiques observées en matière de
fiscalité internationale pour l’IS
(par exemple les
manipulations
de
prix
de
transfert)
sont
susceptibles d’avoir une incidence sur les
établissements situés sur le territoire national
soumis à la CVAE.
La C3S est quant à elle régie exclusivement par
le droit interne pour l’application du principe de
territorialité. De même, la taxe sur les salaires
repose sur un critère propre de territorialité,
distinct de celui de l’IS, adapté à l’assiette qui lui
est spécifique.
À
la
différence
des
impositions
frappant
directement les entreprises, la TVA est un impôt
seulement collecté par celles-ci. Elle frappe la
consommation des biens et services et est payée
in fine
par le seul consommateur final, même si,
dans la pratique, une partie peut rester à la charge
des entreprises. Cette particularité explique sans
doute que la TVA ait
pu s’adapter à la
mondialisation comme à la numérisation de
l’économie.
Son critère de territorialité induit
qu’il est prélevé
sur le lieu de consommation pour ce qui concerne
les ventes de biens.
La TVA s’est adaptée tant au
développement du commerce international, en
particulier des ventes à distance, qu’à la
numérisation de l’économie.
Le développement
du commerce électronique a conduit à plusieurs
ajustements complémentaires résultant de la
directive
(UE)
2017/2455
du
Conseil
du
5 décembre 2017. La principale nouveauté de
cette
directive
est
l’introduction
d’une
responsabilité des plateformes pour la collecte de
la TVA.
Si, en matière de prestations de services, la règle
générale est l’imposition
à la TVA au lieu
d’
établissement du vendeur, les prestations de
services fournies par voie électronique aux
particuliers
sont
soumises
depuis
le
1
er
janvier 2015 à un régime particulier et sont
imposables en France
lorsqu’elles
sont effectuées
en faveur de personnes non assujetties qui sont
établies, ont leur domicile ou leur résidence
habituelle en France, quel que soit le lieu
d’établissement du prestataire. La directive
précitée du 5 décembre 2017 est allée encore plus
loin avec la règle
d’imposition
dans le pays de
destination.
Le « principe de destination » tend donc à
s’étendre avec le développement du commerce
électronique, qui justifie par son ampleur
croissante et irréversible la rétention dans les
16
États de
consommation de l’assiette taxable à la
TVA.
Les enjeux pour la France de l’évolution
des règles de fiscalité internationale des
entreprises
Le programme
BEPS
a abouti à un diagnostic
portant à la fois sur les difficultés liées à la notion
d’établissemen
t stable et sur les stratégies
d’évitement artificiel de l’établissement stable.
L’OCDE a engagé une réflexion pour tenir
compte
des
spécificités
des
activités
du
numérique en s’appuyant non pas sur une
nouvelle définition de l’établissement stable,
mais sur un nouveau principe de répartition des
droits d’imposer, indépendamment de la notion
d’établissement stable.
Le pilier 1
porte sur la répartition des droits
d’imposition entre les juridictions et étudie
diverses propositions relatives à de nouvelles
règles du lien et de répartition des bénéfices. La
proposition est centrée sur les entreprises
proposant des services numériques tels que les
réseaux sociaux, les moteurs de recherche, les
plateformes de partage en ligne («
automated
digital services
») et les « entreprises en relation
étroite avec les consommateurs » («
consumer
facing businesses
»). Il est envisagé de distinguer
trois montants de bénéfices attribués à la
juridiction de marché :
-
le montant A correspond à une fraction du
bénéfice résiduel tiré
de l’activité dans la
juridiction de marché, qu’il y ait présence
physique
ou
non
de
l’entreprise
multinationale dans cette juridiction ; il
doit refléter la part du profit allant au-delà
d’une rentabilité normale (dont le seuil est
à fixer) ;
-
le montant B correspond à la rémunération
fixée par application du principe de pleine
concurrence des fonctions de base de
distribution et de marketing établies dans
la juridiction de marché ;
-
enfin le montant C correspond au revenu
additionnel réalisé dans la juridiction de
marché excédant la rémunération des
fonctions de base telle que déterminée par
le montant B.
Seul le montant A serait déterminé selon des
formules de calcul spécifiques. Les montants B et
C seraient déterminés selon le principe de pleine
concurren
ce. L’application des nouvelles règles
ne
vaudrait
que
pour
les
entreprises
multinationales ayant un chiffre d’affaires au
-
dessus d’un certain seuil (750 M€) et en présence
d’un montant à réallouer également au
-dessus
d’un seuil minimum.
Le pilier 2
vise à trouver des règles communes
permettant d’assurer une taxation minimum des
résultats des entreprises multinationales afin de
dissuader toute délocalisation des profits réalisés
17
dans des juridictions aux taux d’imposition
faibles (proposition appelée
GloBE
6
).
Les règles envisagées pour le pilier 2
Source : OCDE
La règle d’inclusion du revenu doit permettre
d’imposer le revenu des succursales étrangères ou
des entités contrôlées, dès lors que celui-ci a été
soumis à l’impôt à un taux effectif inférieur à
un
taux minimum. La règle relative aux paiements
insuffisamment imposés permettrait d’écarter
toute déduction de ces paiements dans l’État de
source quand ces paiements n’ont pas été soumis
à un taux effectif d’imposition supérieur ou égal
à un taux minimum dans le pays de siège du
bénéficiaire. La règle de substitution autoriserait
l’État de siège à substituer à la méthode de
l’exemption celle de la taxation si les bénéfices
attribuables à un établissement stable sont
imposés à un taux effectif inférieur au taux
6
«
Global anti-base erosion
».
minimum. Enfin, une règle d’assujettissement à
l’impôt
compléterait
la
règle
relative
aux
paiements insuffisamment imposés en soumettant
un paiement à une retenue d’impôt ou à d’autres
prélèvements à la source et en refusant les
avantages prévus par les conventions à certains
éléments de revenu lorsque le paiement n’est pas
imposé à un taux minimum.
L’un des enjeux de la proposition
GloBE
est de
pouvoir
déterminer
le
niveau
d’imposition
effectif, pour le rapporter au niveau d’imposition
minimum attendu. Cela suppose une réflexion sur
les outils utilisés pour déterminer le résultat
imposable et évaluer l’imposition effective
(comptabilité,
états
financiers,
retraitements
éventuels).
De nombreux points techniques ont été soumis à
la discussion aux 137 délégués (administrations
nationales, représentants d’entreprises) dans des
documents de travail que l’OCDE a circularisés
en août 2020 avec l’objectif de les soumettre à la
réunion plénière du cadre inclusif qui se tient au
mois d’octobre. Le CPO n’ayant
pas été
formellement destinataire de ces documents
couverts par la confidentialité, il n’est pas
possible d’en faire état dans ce rapport. Pourtant,
les analyses qu’il s’est procurées dans les jours
précédant
l’adoption
définitive
du
rapport
soulèvent des questions (notamment en ce qui
concerne
les
règles
comptables)
dont
les
implications seront déterminantes.
18
Les premières réponses nationales aux défis
de la mondialisation et de la numérisation
Sans attendre la conclusion des négociations à
l’OCDE, plusi
eurs États ont pris des initiatives
pour répondre aux défis de la numérisation.
La réforme fiscale américaine de 2017 constitue
une réponse ambitieuse, mais complexe et peu
lisible. Au-delà de la baisse significative du taux
d’impôt fédéral sur les société
s ou de la taxe mise
en place pour le rapatriement des fonds localisés
hors des États-Unis, le
Tax Cuts and Jobs Act
(TCJA)
vise
à
la
fois
à
consolider
le
développement
international
de
sociétés
américaines et à préserver les intérêts du
Trésor
américain.
La
réforme
tient
compte
des
évolutions entraînées par la numérisation et la
mondialisation, ce qui est l’objet des volets
GILTI
(«
Global
Intangible
Low-Taxed
Income
») et FDII («
Foreign Derived Intangible
Income
»).
Dans l’attente d’un accord à l’OCDE su
r le pilier
1 et notamment son volet visant les entreprises du
numérique, la France, comme d’autres États, a
souhaité s’engager dans la mise en place d’une
taxation spécifique des services numériques, par
la création en 2019 d’une taxe de 3 % du chiffre
d’
affaires des entreprises pour lesquelles les
sommes encaissées en contrepartie de ces
services ont dépassé, en 2018, le seuil de 750
M€
au niveau mondial, dont 25
M€ rattachables à la
France. Parmi les intérêts de la taxe, on peut
7
Article 299 bis du CGI.
mentionner les critères utilisés pour caractériser
un service fourni en France
7
. La taxe est donc due
même en l’absence d’entreprise exploitée en
France.
De nombreux États ont pris des initiatives visant
à instaurer une taxation directe du numérique.
Parmi eux se trouvent plusieurs États européens.
Ces projets sont proches de la proposition (non
aboutie)
de
directive
de
la
Commission
européenne.
Les conséquences économiques et
budgétaires pour la France des piliers 1 et 2
Le CPO s’est livré à une analyse approfondie aux
plans qualitatif et quantitatif des multiples
options qui s’offrent aux négociateurs dans la
détermination des différents paramètres.
Des approches statiques des deux piliers ont pu
être
réalisées,
mais
la
production
d’une
estimation dynamique était hors de portée de
l’étude. L’estimation réalisée correspond à une
version simplifiée de la réforme et s’appuie sur
des données qui, si elles sont solides s’agissant
des liasses fiscales (toutefois limitées aux unités
légales
françaises),
souffrent
de
nombreux
problèmes déclaratifs pour ce qui concerne les
déclarations françaises pays par pays au titre du
CBCR
(
Country-by-country reporting
). Pour
autant, la méthode utilisée et les chiffrages
obtenus
permettent
de disposer
d’éléments
d’appréciation qui dans certains cas co
mplètent,
19
dans
d’autres
cas
nuancent
les
premiers
chiffrages du CAE et de l’OCDE.
Le pilier 1
Le calcul effectué permet d’estimer l’impact sur
l’assiette taxable française de l’application du
pilier 1 sur le champ des déclarants
CbCR
français. Les deux types de clefs de source sont
appliquées, et les paramètres retenus sont 10 %
du chiffre d’affaires comme seuil du surprofit et
une redistribution de 20 % de ce surprofit.
Estimation partielle de l’impact sur l’IS français du pilier
1, sur un champ réduit aux seuls déclarants CbCR ayant
leur siège en France
–
en Md€
Clef de source basée sur
les profits
Clef de source basée sur
les surprofits
Nombre
d’entités
concernées
Gain/perte
d’IS
Nombre
d’entités
concernées
Gain/perte
d’IS
Gain d’IS pour
la France
25
1,2
36
1,7
Perte d’IS pour
la France
58
-1,5
47
-2,1
Gain / Perte
d’IS pour la
France
83
-0,3
83
-0,4
Source : Données DGFiP (CbCR), calculs du CPO
Les
montants agrégés
apparaissent
faibles.
L’estimation indique une perte d’impôt pour la
France de 0,3 à 0,4
Md€. Les montants moyens
par entreprise concernée sont relativement limités
(souvent de l’ordre de 50
M€). Ces chiffres
8
Chiffre d’affaires en France supérieur à 750
M€.
laissent penser que les sommes transférées d’un
pays à l’autre seraient le plus souvent modestes.
Plusieurs
limites
importantes
affectent
l’estimation
des
recettes
fiscales,
allant
potentiellement dans des sens opposés.
Au total, le résultat portant uniquement sur la
réallocation de l’impôt dû par les multinationales
ayant leur siège en France aboutit
in fine
à une
perte très mesurée pour la France, qui serait très
certainement plus que compensée par le surcroît
d’impôt
acquitté
en
France
par
les
multinationales étrangères (estimation cependant
impossible sans les données
CbCR
de l’ensemble
des pays). De plus, elles reposent sur des données
2017 et ne prennent pas en compte la dynamique
de l’économie numérique.
Le pilier 2
L’analyse fondée sur l’étude des grands groupes
fiscaux
8
conduit probablement à surestimer les
recettes fiscales induites par la réforme, puisque
le champ des groupes fiscaux est plus large que
celui des groupes fiscaux appartenant à une
multinationale.
Les montants supplémentaires que seraient
amenées à payer les entités installées en France
dans le cas d’un taux implicite minimal de 12,5
%
du résultat comptable retraité fait apparaître une
hausse d’impôts à acquitter par les entreprises
établies
en
France
relativement
mesurée
(au maximum 1,1 Md€ selon le scénario), mais
20
assez
concentrée
sur
un
petit
nombre
d’entreprises.
Surplus d’impôt à acquitter pour les enti
tés résidentes
dans le cadre du pilier 2
SNF : sociétés non financières ; SF : sociétés financières
Source : données DGFiP (liasses fiscales des entreprises
2017), calculs CPO
Ces
éléments
permettent
de
dégager
une
tendance : la probabilité que des entreprises
localisées en France soient amenées à payer un
surplus d’impôt n’est pas négligeable. Cela peut
sembler contre-intuitif au vu de la faiblesse de
l’hypothèse de taux minimum retenu pour ces
simulations (12,5 %) en comparaison du taux
statutaire prin
cipal en vigueur. Cela s’explique
principalement par l’écart entre les retraitements
fiscaux apportés dans le système français au
résultat comptable, et par les retraitements, moins
nombreux, retenus dans la modélisation.
Ces
résultats
permettent
d’éclair
er
les
négociations
en
décrivant
les
différences
majeures d’effets selon les choix effectués. La
définition du résultat comptable affecte nettement
l’impôt supplémentaire dû.
Les éclairages apportés par les données
CbCR
France permettent d’illustrer les g
ains attendus
pour le budget de l’État, à la différence des
données
des
seules
liasses
fiscales
qui
renseignent
sur
l’impôt
supplémentaire
éventuellement dû par les entreprises établies en
France, mais sans pouvoir déterminer si cet impôt
serait dû à la France ou à une autre juridiction.
L’exploitation
des
données
CbCR
permet
d’illustrer
de
grandes
tendances,
mais
ne
constitue aucunement une estimation précise.
Sous l’hypothèse d’un taux minimum de 12,5
%,
les gains de recettes fiscales, encore plus stylisés
que dans le chiffrage précédent, sont évalués à
7,3
Md€,
dont
3,9
Md€
acquittés
par
des
entreprises établies en France et 3,4
Md€ par les
filiales d’entreprises étrangères. Ces chiffres, et
notamment
le
premier
qui
s’écarte
significativement des résultats issus des liasses
fiscales, présentent néanmoins des fragilités qui
conduisent à les interpréter avec la plus grande
prudence.
Des résultats très sensibles aux retraitements
fiscaux
Au total, les définitions des numérateurs et des
dénominateurs du taux e
ffectif au cœur du pilier
2 joueront un rôle de première importance, jusque
dans certains détails particulièrement techniques
des
retraitements
fiscaux
effectués.
Cette
question des règles applicables (maintien des
règles fiscales françaises ou « alignement » sur
des normes standards) conduit à renouveler les
précautions de prudence à l’égard des estimations
existantes.
Seules deux autres institutions ont à ce jour
réalisé des estimations publiques.
IS brut
IS+CVAE
IS+CVAE+C3S
IS+CVAE+C3S net du CIR
(imputations)
IS+CVAE+C3S net du CIR
(imputations+restitutions)
SNF
1,0
0,5
0,4
0,5
0,8
SF
0,2
0,1
0,1
0,1
0,1
Total
1,1
0,6
0,5
0,6
0,9
21
L’OCDE a mobilisé un très grand nombre de
données
provenant
de
nombreuses
sources
différentes. Ces données lui ont permis de faire
une estimation de la répartition, par pays de siège
et pays de filiale (de façon croisée), du chiffre
d’affaires,
du
profit
et
du
surprofit
des
multinationales. Selon son estimation, le groupe
de pays auquel appartient la France verrait ses
recettes fiscales augmenter de 4 % (soit environ
2
Md€ dans le cas de la France).
L’estimation du CAE repose sur un outil
ambitieux
prenant
la
forme
d’un
modèle
d’équilibre général et intégrant des
changements
de comportement des multinationales (modèle
dynamique). L’affectation partielle des profits
aux
marchés
de
destination
(pilier
1)
augmenterait faiblement les recettes fiscales en
France, les gains de recettes fiscales sur les
entreprises
qui
servent
les
consommateurs
français dépassant légèrement les pertes de
recettes fiscales sur les entreprises qui produisent
en France. Le pilier 2 augmenterait fortement les
recettes fiscales de tous les pays qui ne sont pas
des paradis fiscaux, et en particulier en France.
Dans le cas où ces derniers relèveraient leur taux
effectif d’imposition à 15
%, les recettes fiscales
augmenteraient de 9,4 % en France. Ce modèle
n’est toutefois pas explicité avec beaucoup de
détails.
Ces travaux interviennent toutefois dans un
contexte
économique,
budgétaire
et
fiscal
profondément dégradé à l’échelle mondiale du
fait de la crise sanitaire de Covid-19, ce qui
pourrait ralentir la dynamique de négociations à
l’OCDE.
23
3.
Préserver les choix de politique
fiscale dans les différents scenarii
La brutale et violente dégradation de l’économie
mondiale depuis le printemps 2020 n’a pas remis
en cause les tendances de fond résultant de la
mondialisation
et
de
la
numérisation
de
l’économie. Au contraire, elle a accéléré certaines
évolutions déjà engagées. Simultanément, les
États ont dû faciliter une reprise économique
aussi rapide que possible, tout en gérant dans
l’urgence une dégradation inédite des comptes
publics qui a considérablement fragilisé leur
situation financière.
À court terme, une politique fiscale en
direction des entreprises largement
déterminée par l’objectif de sortie de crise
La nature et l’ampleur exceptionnelles de la
récession
économique
provoquée
par
le
déclenchement de la crise sanitaire ont conduit à
réviser la loi de finances initiale pour 2020 à trois
reprises depuis le printemps. Comme ailleurs, les
finances
publiques
sont
considérablement
sollicitées par la chute des recettes et par les
mesures visa
nt à lutter contre l’épidémie et à
limiter les conséquences de la récession sur le
tissu productif et le pouvoir d’achat. Après le vote
de la troisième LFR du 30 juillet 2020, le déficit
prévisionnel, initialement fixé à 2,2 % du PIB, a
été porté à 11,4 %.
Le niveau d’incertitude
demeure
élevé
sur
les
plans
sanitaire
et
économique ainsi que sur l’évolution des finances
publiques. La diminution de recettes fiscales
s’annonce particulièrement forte
, notamment
pour
l’IS
.
Au-delà des mesures de reports de cotisations
sociales décidées dès le début de la crise, les LFR
du printemps 2020 ont prévu des dispositifs
spécifiques concernant les prélèvements sur les
entreprises.
Il a par ailleurs été décidé d’engager
une réduction significative
des impôts de
production
de 10 Md€ dès le 1
er
janvier 2021. La
mesure concerne, d’une part, la CVAE dont la
part régionale, qui en représente la moitié, sera
supprimée, et, d’autre part, le plafonnement de la
contribution économique territoriale (CET) qui
sera abaissée de 3 % de la valeur ajoutée à 2 %,
ce qui affectera donc la CFE. Il a également été
annoncé une révision de la méthode de taxation
foncière des locaux industriels.
Présenté comme une réponse à une situation
conjoncturelle exceptionnelle, la diminution des
impôts de production annoncée aura des effets
pérennes, ce qui pose la question de son
financement dans la durée. Celui-ci repose sur de
futures rentrées fiscales engendrées par le retour
de la croissance
et, pour partie, par le surcroît d’IS
engendré par l’élargissement de l’assiette, soit
à
terme 2
Md€
.
24
Les dispositifs publics de soutien à la trésorerie
annoncés dès le début du confinement sont
comparables
à
ceux
mis
en
œuvre
dans
l’ensemble de la zone OCDE.
Trois quarts des
pays
membres de l’OCDE ont ainsi introd
uit des
reports de paiement concernant l’impôt sur les
sociétés, l’impôt personnel sur le revenu, la TVA,
les cotisations sociales voire les impôts fonciers.
Les enjeux de la fiscalité des entreprises
dans le contexte post-crise
La crise ne remet pas en cause les objectifs
traditionnels de la politique fiscale, qui se
trouvent complétés par des objectifs plus récents.
Le rendement fiscal
Les choix actuels qui privilégient
l’objectif de
compétitivité devront tôt ou tard tenir compte de
la nécessité de redresser les comptes publics en
agissant sur le niveau des recettes et sur celui des
dépenses.
La diminution de la CVAE soulève la question du
financement du secteur public local et plus
particulièrement des politiques territoriales de
développement économique. Au-delà de la perte
de recettes qui sera compensée par l’État grâce à
l’affectation aux régions d’une
fraction de TVA,
il faut s’interroger sur la manière dont seront
financées demain les politiques territoriales de
développement économique. Si ces politiques
sont appelées à être principalement financées par
le contribuable national, cela signifie qu’elles le
seront plutôt par les grands impôts sur les
ménages bien que ceux-
ci n’en soient pas les
bénéficiaires directs. L
a lisibilité de l’effort fiscal
ne
s’en trouvera pas améliorée.
Les objectifs d’attractivité et de
compétitivité
Les politiques menées en France au cours des dix
dernières années en matière de prélèvements sur
les entreprises ont été largement marquées par le
souci d’améliorer la compéti
tivité des entreprises
et de rendre le territoire national plus attractif aux
investisseurs étrangers.
La
fiscalité joue
un
rôle
multiforme
sur
l’attractivité. Son niveau influe différemment
selon les fonctions d’entreprise que l’on souhaite
attirer (activ
ités d’innovation, de production,
sièges sociaux).
Ces considérations ont pu exercer une influence
sur les choix de politique fiscale. Le crédit impôt-
recherche (CIR) français vise à encourager
l’implantation en France d’activités de recherche.
La stratégi
e de diminution du taux de l’IS
engagée en 2018 vise plutôt les grandes
entreprises et le maintien en France de fonctions
de conception et de sièges sociaux. Enfin la
volonté affichée de réduire les impôts de
production répond au souci de redresser la
compétitivité des PME et ETI.
La prévisibilité de la norme fiscale
Dans une période de bouleversements si soudains
et si profonds, l’État doit contribuer à réduire
25
l’incertitude et non à l’aggraver. S’il n’est pas
anormal que les règles fiscales évoluent en
fonction
des
circonstances
et
des
débats
politiques, la France se distingue de ses
partenaires européens par une grande instabilité
fiscale. Or le degré de lisibilité et de prévisibilité
des règles fiscales, ainsi que la sécurité de
l’environnement fiscal,
jouent un rôle important
pour les entreprises.
La répartition de l’effort fiscal
Il est difficile de tracer une ligne claire en matière
d’effort fiscal entre les entreprises et les ménages.
La question de l’incidence de l’impôt est
complexe en raison de la capacité des entreprises
à répercuter les prélèvements directs sur leurs
facteurs de production ou leurs bénéfices, sur
leurs salariés (au travers des négociations
salariales), leurs consommateurs (au travers des
prix de vente) ou leurs actionnaires (au travers de
la distribution du résultat).
Pour autant, une présentation simplifiée de la
répartition des prélèvements obligatoires entre les
entreprises
et
les
ménages
indique
que
l’accroissement
du
niveau
général
des
prélèvements obligatoires constaté dans les États
européens depuis 2008 a touché essentiellement
les ménages.
Quant à la répartition des prélèvements entre les
différentes catégories d’entreprises, elle repose
9
CPO,
La fiscalité environnementale au défi de l’urgence
climatique
, septembre 2019.
sur un équilibre qui doit s’apprécier globalement
et
non
impôt
par
impôt.
Les
analyses
sembleraient indiquer une répartition de la charge
fiscale totale globalement un peu plus favorable
aux PME et aux ETI et un peu moins aux
microentreprises et aux grandes entreprises.
Toutefois, l’analyse des taux effectifs d’IS par
taille d’entreprise
aboutit à un constat plus
nuancé.
Les mesures d’allègements d’impôts décidées par
le législateur n’ont pas les mêmes effets sur les
différentes catégories d’entreprises selon l’impôt
ciblé. La diminution
du taux normal d’IS sans
modification du taux réduit doit bénéficier plutôt
aux grandes entreprises. Il en serait de même avec
la C3S. Une mesure ciblant la CVAE devrait, en
revanche,
bénéficier
d’abord
aux
ETI
industrielles.
Des objectifs plus récents
La crise sanitaire a renforcé encore les attentes
pour accélérer la transition écologique et mieux
prendre
en
compte
les
objectifs
environnementaux
dans
les
instruments
de
politique économique. Dans son rapport de
2019
9
, le CPO a préconisé un réexamen des
dépenses fiscales ayant pour objet de soutenir
l’utili
sation des énergies fossiles.
La relocalisation en France d’activités de
production devient également un nouvel objectif
26
prioritaire de la politique économique. Il est
probable cependant que des mesures fiscales
appropriées, pour nécessaires qu’elles soie
nt, ne
suffisent
pas
pour
inverser
des
stratégies
d’entreprises construites de longue date sans
revoir les choix d’organisation de la chaîne de
valeur ni renoncer à des implantations à l’étranger
qui sont à apprécier par rapport à une stratégie
globale.
La stratégie économique de relance devrait
également viser à accélérer la mutation de
l’économie française vers des secteurs d’avenir.
Cela pose la question du renforcement des fonds
propres qui constitue un enjeu de plus en plus
important. Les réponses susc
eptibles d’être
apportées au plan fiscal ne sont cependant pas
aisées.
La
justification
économique
d’une
différenciation de taux d’IS selon que les
bénéfices
sont
réinvestis
ou
non
apparaît
insuffisante au vu de la complexité de mise en
œuvre d’un tel disp
ositif et des contraintes
constitutionnelles.
À moyen terme, des choix de politique fiscale
à adapter en fonction de l’issue des
négociations à l’OCDE
BEPS 2.0
: une négociation à l’issue encore
incertaine, un impact favorable à confirmer
Les négociations, même si elles ont été affectées
par la crise sanitaire, n’ont pas été interrompues.
Par ailleurs, les États-Unis ont maintenu leur
participation aux discussions, bien qu’ils aient
annoncé en juin 2020 que la perspective des
élections
présidentielles
ne
permettrait
pas
d’aboutir à un accord politique pour la fin de
l’année 2020.
À la date de parution du rapport, il est prévu
qu’une synthèse des travaux soit finalisée en vue
d’un examen en octobre 2020 par les pays du
cadre inclusif. Il serait souhaitable de disposer
d’un délai suffisant pour prendre connaissance,
évaluer et commenter les derniers détails du
dispositif avant son adoption par les États. La
confidentialité imposée par l’OCDE sur le
contenu
des
négociations,
en
dehors
des
consultations
publiqu
es,
mériterait
d’être
reconsidérée.
Si un accord sur le pilier 2 semble
a priori
plus
aisé à obtenir que sur le pilier 1, la position
française est d’obtenir un accord sur les deux
piliers qui sont en fait intrinsèquement liés. Il est
important qu’un accor
d susceptible de réunir un
si grand nombre d’États permette à la fiscalité de
mieux appréhender des activités nouvelles qui ont
largement profité, et encore plus depuis le
déclenchement de la pandémie de COVID-19,
des failles des règles fiscales en vigueur.
Toutefois, le pilier 1 suscite de fortes réticences
de la part des États-Unis. En ce qui concerne le
pilier 2, une interrogation existe sur une possible
option d’exclusion des groupes américains au
prétexte qu’ils sont déjà soumis à
GILTI
dans leur
pays (clause dite « du grand-père »).
Les simulations ont par ailleurs montré que des
aspects techniques sont susceptibles d’avoir des
impacts considérables, peut-être peu visibles à
l’échelle nationale, mais significatives au niveau
de
chaque
entreprise,
conduisant
à
des
27
changements de comportements qui pourraient
in
fine
avoir des effets macro-économiques. Les
résultats des estimations sont très sensibles aux
écarts qui existent entre les règles fiscales
françaises et les règles comptables
IFRS
. En l’état
du projet, les retraitements envisagés ne se
distinguent pas significativement de ceux prévus
par
la
réglementation
française.
Il
s’agit
notamment de l’élimination des
dividendes reçus
de filiales, des plus-values de cession de titres de
participation, ou de la réintégration de certaines
dépenses non déductibles.
Pour autant, la complexité de ces retraitements
rend
impérative
la
réalisation
de
travaux
techniques approfondis pour en mesurer les
impacts potentiels, ce qui conduit le CPO à
formuler deux recommandations.
Recommandation n° 1
- Le travail de
simulation des effets de l’accord sur les piliers
1 et 2 doit être poursuivi de manière à
confirmer que les règles en cours de discussion
correspondent bien à l’intérêt économique et
budgétaire
de la France.
Une vigilance
particulière est requise en ce qui concerne les
règles
comptables
de
détermination
de
l’assiette imposable.
Recommandation n° 2
- De plus, il est
important de définir un calendrier permettant
de se donner le temps de mieux mesurer les
impacts.
Scénario 1 : quels choix de politique
fisc
ale en cas d’accord sur BEPS 2.0
?
L
a mise en œuvre de nouvelles règles telles que
le propose l’OCDE
pourrait influer à terme sur la
conduite de la politique fiscale et sur les choix
fiscaux des entreprises.
Le suivi de la mise en œuvre effective des accor
ds
par les États signataires revêt une dimension très
importante.
Il risque de s’avérer
extrêmement
complexe
à
assurer
compte
tenu
des
innombrables positions, réserves, exceptions qui
devraient être affichées par les États au moment
de la signature. Il en résulte que ce nouveau droit
fiscal international
est très libre d’interprétation
.
Les travaux actuels
prévoient d’ores et déjà un
mécanisme
de
résolution
des
différends
d’interprétation par des panels.
Le caractère
obligatoire du recours à ces procédures, la durée
maximale entre la saisine et la décision et la
portée contraignante de ces dernières restent
encore à préciser. L
’institution d’un mécanisme
contraignant de règlement des différends apparaît
indispensable. C’est pourquoi le CPO propose
que la France soutienne une procédure de
règlement des différends
Recommandation n° 3
-
Afin d’assurer la
bonne application d’un éventuel accord issu
des négociations
BEPS
, le CPO recommande
que la France soutienne la mise en place au
niveau de l’OCDE d’un organe d
e règlement
des différends organisé sur le modèle de celui
existant
à
l’OMC
,
chargé
d’unifier
l’interprétation des textes issus des accords
MLI
et
BEPS
, et permettant de prévenir
28
efficacement et dans des délais raisonnables le
risque de double imposition.
En cas d’accord, le niveau européen
resterait
essentiel pour compléter les mesures décidées
dans le cadre de l’OCDE, en précisant les termes
de
BEPS
2.0 pour les États
membres de l’Union
européenne, tant pour ce qui concerne la
définition de l’assiette
et le calcul du taux effectif
que la règle d’inclusion du revenu soumis au taux
minimum.
Ces actions poursuivraient les efforts déjà
engagés au niveau européen pour renforcer la
coopération entre les administrations nationales
et lutter contre les stratégies
d’évitement
fiscal
grâce aux directives adoptées depuis près de dix
ans, notamment les directives DAC (
directives
for administrative cooperation
).
S
ous réserve qu’il s’applique de manière large et
équitable aux groupes multinationaux de tous les
États du G 20 (notamment américains), un accord
ralentirait probablement la poursuite de la
concurrence fiscale entre les États pour ce qui
concerne le pilier 2 et apporterait, avec le pilier 1,
une réponse à l’insuffisante taxation des géants
du numérique. Cette perspective serait en
cohérence avec les choix français de faire
converger le
niveau d’imposition des résultats au
sens large (IS et CVAE) vers la moyenne des
États comparables, et d’instaurer une taxe
numérique nationale pouvant être retirée après la
concl
usion d’un accord international.
La mise en œuvre de
BEPS
ne règlera pas pour
autant toutes les questions. Il conviendra d’être
attentif aux enjeux de défense des intérêts des
entreprises françaises face à des actions non
coopératives, en complément des instruments de
règlement des différends qui pourraient être
créés. Par ailleurs, la France devra encourager les
efforts de transparence des données fiscales, sans
pour autant prendre le risque d’exposer ses
entreprises. Un travail sur la qualité et la
présentation des données constitue un préalable.
Recommandation n° 4
- Pour progresser vers
une transparence des données fiscales des
multinationales (
CbCR
), la France pourrait
engager au niveau national, et encourager au
niveau de l’OCDE, un travail de fiabili
sation
et d’homogénéisation des déclarations des
entreprises.
Scénario 2 : les
marges de manœuvre en
cas d’échec des négociations OCDE
L
a perspective d’un échec
ne peut être exclue.
Pour autant, il est peu probable que les
négociations s’interrompent à la
fin 2020 sur un
constat de désaccord définitif entre les parties.
D
’autres situations sont possibles
, comme celle
d’un accord technique ne débouchant pas sur un
accord politique, ou
celle d’un accord partiel,
po
rtant sur l’un des deux piliers, ou encore
celle
de l’absence d’accord
en 2020, assortie d’une
poursuite des discussions dans le cadre de
l’OCDE.
Toutes ces issues correspondent à un échec partiel
ou total des négociations et créent, aux niveaux
européen
et
national,
un
espace
politique
autorisant des mesures assez différentes de celles
29
décrites dans le scénario 1. Dans ce cas de figure,
l
’échelon
européen deviendrait pour la France le
niveau privilégié dans lequel pourraient se
déployer l
es efforts d’
harmonisation de la
fiscalité des entreprises, tandis que des mesures
défensives pourraient être adoptées au niveau
national.
L
e consensus récent qui s’est formé
sur le plan de
relance de l’économie européenne, la nécessité de
mobiliser d’importants moyens en commun
et de
trouver de nouvelles ressources propres pour
l’UE, enfin
l’évidence de certaines priorités
communes
peuvent
contribuer
à
relancer
certaines questions aujourd’hui au point mort.
Deux sujets de discussion pourraient ainsi être
portés au niveau européen.
D’une part, il pourrait
être décidé de transcrire dans le droit européen les
règles relevant du pilier 2 afin de mettre en œuvre
au niveau de l’UE une taxation minimale des
profits, ce qui supposerait un accord sur la
définition des profits taxés et sur le taux effectif
difficile à obtenir
du fait de l’inexistence actuelle
d’un véritable espace fiscal européen
. Une
transcription au niveau européen des règles
négociées dans le pilier 1 n’aurait
en revanche
qu’un sens limité au sein de l’UE
.
D’autre part, une taxe sur les services numériques
pourrait être décidée au niveau européen. Celle-
ci a d’ores et déjà fait l’objet de deux projets de
directives inaboutis. Si le premier projet a
directement inspiré la création de la taxe française
sur les services numériques, le second en est resté
à un stade très peu avancé, en raison de sa
complexité et de la nécessité qu’il implique de
renégocier les conventions fiscales avec les États
tiers à l’UE.
En cas d’échec du pilier 1, l’UE affiche désormais
son intention de mettre en place une taxe
numérique à
l’échelle européenne
. La question du
champ d’application de la taxe devra être
réexaminée, le champ retenu dans le projet de
directive de 2016 puis maintenant en France
couvrant les recettes perçues
au titre
de
l’intermédiation numérique, mais pas les serv
ices
de
cloud
ou les systèmes d’abonnement
.
Recommandation n° 5
- Le CPO recommande
donc, en cas d’échec temporaire ou définitif
des
négociations à l’
OCDE, que la France
soutienne au niveau européen
, en l’inscrivant
le cas échéant dans son programme de la
présidence de l’UE
:
- la reprise des règles du pilier 2 de
BEPS
en s’assurant qu’a minima les filiales
européennes
de
groupes
internationaux
seraient tenues de l’appliquer
;
-
la création d’une taxe sur les services
numériques
dans les pays membres de l’UE
ou
au niveau européen ;
En attendant l’adoption éventuelle d’une taxe
numérique européenne, le maintien de la taxe
décidée par la France apparaît justifié.
La France doit être en mesure d’utiliser les
marges de manœuvre sur sa propre fiscalité si un
échec des négociations
à l’OCDE
couplé à une
lenteur
dans
la
mise
en
œuvre
d’une
harmonisation européenne conduisait à relancer
la concurrence fiscale et à mettre le système fiscal
30
français davantage sous tension. Dans ces
conditions, la stratégie d’allègement
de la
fiscalité suivie actuellement risquerait de ne pas
apparaître
suffisante
pour
préserver
la
compétitivité des entreprises. Cependant, les
choix se trouveraient fortement contraints par la
nécessité de compenser de nouvelles baisses par
des recettes fiscales de substitution et des
économies structurelles.
En ce qui concerne l’IS, il est nécessaire de
poursuivre
la
baisse
du
taux
normal
conformément au calendrier prévu. Certes, la
forte dégradation des finances de l’État
peut
conduire à se poser la question de son coût, mais
le
constat
qui
avait
conduit
le
CPO
à
recommander une baisse du taux de l’IS reste
valable.
Recommandation n° 6
- En cohérence avec sa
recommandation de 2017, le CPO pour autant
recommande de mener jusqu’à son terme la
baisse du taux
normal d’IS.
En ce qui concerne les impôts de production, une
stratégie et un financement restent à définir après
la baisse substantielle décidée en 2020. Ces
impôts resteront élevés en niveau et hétérogènes
du point de vue des assiettes imposées et des
secteurs concernés
; à mesure que l’économie
numérique se développera et touchera un nombre
croissant de secteurs, ils constitueront un enjeu de
compétitivité pour les entreprises traditionnelles.
S’ils provoquent des effets indésirables évidents,
ces impôts ne sont pas non plus totalement dénués
d’atouts. Ils représentent une ressource fiscale
importante pour un secteur public local qui prend
une place croissante dans les politiques de
développement économique, ainsi que pour les
organismes de sécurité sociale. Ils permettent
également de faire contribuer des entreprises
payant peu d’IS, en particulier de grands groupes
français ou des filiales en France de grands
groupes étrangers qui, pour différentes raisons,
affichent un taux effectif d’IS faible.
Il ne faut pas
oublier que la CVAE, comme tous les impôts de
production, est déductible du résultat imposable,
et que sa suppression entraînera un élargissement
non négligeable de l’assiette d’IS.
Enfin, le choix
de compenser la réduction de CVAE par une
affectat
ion aux régions d’une fraction de TVA
contraint les choix concernant ce dernier impôt.
La situation exceptionnelle actuelle ne doit pas
faire oublier que des réductions d’impôts
,
a
fortiori
si elles sont durables, ne peuvent être
compensées uniquement par un espoir de
croissance et de rentrées fiscales futures, mais
qu’elles nécessitent également d’être financées
par des recettes nouvelles ou de moindres
dépenses.
Recommandation n° 7
- Le CPO recommande
donc de définir une stratégie équilibrée sur les
impôts de production, en indiquant et en
chiffrant
les
mesures
structurelles
de
compensation, préalable indispensable à la
poursuite de leur baisse.
Le CPO suggère à cet égard des pistes qui se
limitent à des indications générales permettant
d’éclairer les déb
ats, un examen plus approfondi
impliquant des arbitrages politiques.
31
La TVA présente une souplesse intéressante par
rapport
à
l’évolution
du
système
fiscal
international. Elle est adaptée aux transactions
internationales, peu propice à l’optimisation
fisca
le, et répond à l’idée selon laquelle la valeur
économique taxable bascule en partie dans les
États de consommation. Or sa place dans la
structure des prélèvements obligatoires français a
eu tendance à décliner depuis trente ans, à la
différence des autres États européens. Le taux
normal est aujourd’hui inférieur à celui observé
dans la majorité des États membres de l’UE.
La TVA peut contribuer à décourager les
importations tandis que le risque d’inflation
paraît faible. Une hausse de la TVA aurait certes
des incidences avérées sur le pouvoir d’achat des
ménages modestes, même si leur ampleur dépend
de la capacité qu’auraient les entreprises de la
répercuter dans les prix à la consommation. Mais,
comme l’a montré le CPO en 2015, la TVA ne
constitue
pas
un
i
nstrument
d’incitation
économique et de redistribution efficace et
devrait être recentrée sur sa vocation budgétaire.
Au vu du contexte de reprise économique fragile,
une augmentation de TVA ne pourrait toutefois
être envisagée qu’à moyen terme.
En ce qui concerne la fiscalité carbone, une
remise en cause des mesures dérogatoires et
exonérations de taxes comme l’a recommandé le
CPO reste cohérente avec l’enjeu climatique.
Mais les secteurs qui seraient visés se trouvent
particulièrement affectés par la crise en cours et il
est difficile à ce stade de savoir dans quel délai ils
retrouveront une activité du même niveau
qu’avant la crise (transport aérien par exemple).
Enfin, une action sur les recettes ne pourrait être
dissociée d’une action structurelle sur l
es
dépenses y compris les dépenses fiscales relatives
à l’IS. Dans son rapport de 2017, le CPO a avancé
différentes pistes de financement de la baisse du
taux normal d’IS selon deux scénarii. Compte
tenu des fortes incertitudes sur la relance, le CPO
ne ju
ge pas opportun d’afficher de nouvelles
recommandations qui pourraient envoyer des
signaux négatifs aux agents économiques. La
question d’un réexamen des dépenses fiscales en
faveur des entreprises pourra néanmoins être
réétudiée, dans un environnement économique
stabilisé et, le cas échéant, dans une perspective
d’harmonisation européenne
.
33
C
ONCLUSION
Déjà sous contrainte du fait de la concurrence fiscale entre les États, le système français de prélèvements
obligatoires sur les entreprises se trouve affecté par la numérisation
croissante de l’é
conomie mondiale.
Ce double mouvement de mondialisation et de numérisation a encouragé des stratégies d’évitement de l’impôt
qui ont atteint des niveaux tels que les grands États
, l’OCDE et l’UE
ont été amenés à élaborer des normes visant
à modifier les législations nationales et les pratiques fiscales.
Ces changements majeurs conduisent à s’interroger sur la
capacité d’adaptation
du système fiscal français. Celui-
ci se caractérise par un niveau globalement élevé, ce qui a conduit à engager un mouvement de convergence vers
les niveaux constatés dans les grands États européens. Au-
delà de l’IS,
qui tente de
s’adapter à la mondialisation,
les impôts de production soulèvent davantage de questions en raison, d’une part, de leur niveau et, d’autre part,
de leur rigidité par rapport à des activités économiques dématérialisées et ignorantes des limites territoriales.
La stratégie de diminution de la fiscalité des entreprises doit toutefois tenir compte tenu de la nécessité, une fois
la crise passée, de redresser nos comptes en agissant sur les recettes et sur les dépenses.
L
es initiatives de l’OCDE donnent à la France l’
opportunité de jouer un rôle majeur dans une forme
d’harmonisation fiscale au plan international
. Les changements qui en résulteraient doivent toutefois être bien
appréciés car ils peuvent aussi affecter notre souveraineté fiscale et nos intérêts économiques.
Les simulations effectuées confirment les premières appréciations suivant lesquelles les effets globaux des piliers
1 et 2 devraient être plutôt favorables quoique de portée limitée. Mais ces résultats sont à interpréter avec
prudence
et dépendent d’un grand nombre d’aspects techniques
encore en cours de discussion et sur lesquels il
est important de consulter le plus en amont possible les entreprises directement concernées.
Sans préjuger de l’issue des négociations, le CPO estime que la recherche d’un accord est souhaitable pour la
France. Toutefois, et quels que soient les scénarii (conclusion d’un accord, échec, relance au niveau européen),
l’ad
aptation de notre système de fiscalité des entreprises est inévitable en raison
, d’une part,
des traces profondes
que laissera la crise en cours sur notre appareil productif et
, d’autre part,
de l’a
ccélération de la numérisation.
Les réponses ne seront pas exclusivement nationales, et devront s’inscrire dans une stratégie européenne.
R
APPEL DES RECOMMANDATIONS
DU
CPO
Recommandation n° 1
:
Le travail de simulation des effets de l’accord sur les piliers 1 et
2 doit être poursuivi de manière à confirmer que les règles en cours de discussion
correspondent bien à l’intérêt économique et budgétaire de la France. Une vigilance
particulière est requise en ce qui concerne les règles comptables de détermination de
l’assiette imposable
.
Recommandation n° 2
:
Il convient de définir un calendrier permettant de se donner le
temps de mieux mesurer les impacts.
Recommandation n° 3
:
Afin d’assurer la bonne application d’un éventuel accord issu des
négociations
BEPS
, la France devrait soutenir
la mise en place au niveau de l’OCDE d’un
organe de règlement des différends organisé sur le modèle de celui existant à l’OMC,
chargé d’unifier l’interprétation des textes issus des accords
MLI
et
BEPS
, et permettant
de prévenir efficacement et dans des délais raisonnables le risque de double imposition.
Recommandation n°
4
:
Pour progresser vers une transparence des données fiscales des
multinationales (
CbCR
), la France pourrait engager au niveau national, et encourager au
niveau de l’OCDE, un travail de
fiabilisation et d’homogénéisation des déclarations des
entreprises.
Recommandation n° 5
:
E
n cas d’échec temporaire ou définitif des négociations à l’OCDE,
la France devrait soutenir
au niveau européen, en l’inscrivant le cas échéant dans son
programme d
e la présidence de l’UE (1
er
semestre 2022) :
-
la reprise des règles du pilier 2 de BEPS en s’assurant qu’a minima les filiales
européennes de groupes internationaux seraient tenues de l’appliquer;
-
la création d’une taxe sur les services numériques dans
les pays membres de l’UE ou au
niveau européen ;
En attendant l’adoption éventuelle d’une taxe numérique européenne, le maintien de la
taxe décidée par la France apparaît justifié.
36
Recommandation n° 6
:
En cohérence avec sa recommandation de 2017, la baisse du taux
normal d’IS
devrait être menée à son terme.
Recommandation n° 7
:
Une stratégie équilibrée devrait être définie sur les impôts de
production, en indiquant et en chiffrant les mesures structurelles de compensation,
préalable indispensable à la po
ursuite éventuelle d’une baisse de ces impôts.