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Le 26 juillet 2019
Le Premier président
à
Monsieur Édouard Philippe
Premier ministre
Réf. : S2019-1799
Objet
: La Société concessionnaire française pour la construction et l'exploitation du tunnel
routier sous le Mont-Blanc et la Société française du tunnel routier du Fréjus
En application des dispositions des articles L.111-4, L.133-1 et L.133-5 du code des
juridictions financières, la Cour a examiné les comptes et la gestion de la société
concessionnaire française pour la construction et l'exploitation du tunnel routier sous le
Mont-Blanc (ATMB) et de la Société française du tunnel routier du Fréjus (SFTRF) pour les
exercices 2011 à 2017.
À l’issue de son contrôle, la Cour m’a demandé, en application des dispositions de
l’ar
ticle R. 143-
11 du même code, d’
appeler votre attention sur les principales observations et
recommandations suivantes.
Les sociétés ATMB et SFTRF présentent de nombreuses similitudes. Toutes deux sont
des sociétés anonymes à capital détenu majoritairement par l’État, directement jusqu’en 2012,
indirectement depuis lors.
Elles sont l’une et l’autre concessionnaire
s de la partie française
d’un tunnel routier alpin binational et de l’autoroute qui y conduit,
sans être chargées de
l’exploitation du tunnel, confiée dans les deux cas à un groupement européen d’intérêt
économique (GEIE) dont la société française est actionnaire à parité avec le concessionnaire
italien du tunnel : le
groupement européen d’intérêt économique du tunnel du Mont
-Blanc
(GEIE TMB) dans un cas et le
groupement d’exploitation du Fréjus
(GEIE GEF)
dans l’autre
cas. Ces GEIE ne sont soumis ni au contrôle de la Cour des comptes française
ni à celui d’une
autorité publique de contrôle italienne.
À
ces points communs s’ajoute le fait que, depuis 2012 et conformément à une
préconisation de la Cour, c’est la même personnalité qui exerce la présidence d’ATMB et
celle
de la SFTRF.
Au-delà de ces ressemblances, les deux sociétés sont confrontées à des problèmes
très différents :
d’équilibre d’exploitation
pour la SFTRF, de gouvernance du GEIE pour ATMB.
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1.
LE DISPOSITIF DE RÉTABLISSEMENT DES COMPTES DE LA SFTRF
Hormis la période qui a suivi le dramatique incendie du tunnel du Mont-Blanc en 1999,
ATMB a toujours été en bonne santé financière. Au contraire, depuis qu’elle a été chargée de
construire et d’exploiter l’autoroute de la Maurienne, la SFTRF est structurellemen
t déficitaire,
le trafic sur cette autoroute étant insuffisant pour que les produits
d’exploitation
couvrent les
charges correspondantes.
La Cour avait constaté, en 2011, que les actionnaires de la SFTRF (soit presque
exclusivement l’État)
allaient être confrontés, fin 2011,
à l’obligation imposée par
l’article
L. 225-248 du code de commerce, de reconstituer les fonds propres de la société ;
ceux-ci étaient en effet négatifs depuis plusieurs années (- 212
M€ à fin 2010) en raison d’une
très importante provision pour dépréciation d
actifs (490
M€ à
cette même date).
L’État a donc organisé un rétablissement des comptes de la SFTRF grâce aux
dividendes d’ATMB.
Parmi les différents scénarios envisageables, il en a choisi un
consistant à :
-
transférer à un établissement public les actions
qu’il détient au titre
de la SFTRF et
d’ATMB
;
-
faire signer, par ATMB, la SFTRF et cet établissement public, une convention par laquelle
ce dernier
s’engage à reverser à la SFTRF, sous forme de subvention annuelle, les
divi
dendes qu’il recevra d’ATMB et cela
,
en tant que de besoin jusqu’en 2050, date
d’échéance des concessions
actuelles ;
-
réduire la provision pour dépréciation en intégrant cette subvention annuelle dans
l’estimation des flux de trésorerie jusqu’à l’expiratio
n des concessions, de façon à faire
repasser les fonds propres au-dessus du plancher légal.
Ce dispositif, mis en place en 2012,
aurait pu se justifier si l’établissement devenu ainsi
l’actionnaire majoritaire des deux sociétés avait été une structure
effective capable de jouer,
à leur égard,
un véritable rôle de holding financière et industrielle. Tel n’a pas été le cas.
C’est
en effet à un établissement public administratif quasiment virtuel, le fonds pour le
développement d'une politique intermodale des transports dans le massif alpin (FDPITMA),
que l’État a transféré la majorité du capital d’ATMB et de la SFTRF.
Le FDPITMA, créé dix ans
plus tôt,
n’avait eu jusqu’alors aucune existence effective, son conseil d’administration ne
s’étant d’ailleurs jam
ais réuni.
Au cours de sa première réunion, tenue le 20 juin 2012,
le conseil d’administration du
fonds a autorisé
« sa présidente »
, qui était encore « administrateur provisoire », à signer la
convention tripartite avec ATMB et la SFTRF.
La convention a bien permis de reconstituer les fonds propres de la SFTRF et, depuis
lors, d’assurer l’équilibre des comptes, mais au prix d’une opération comptable
, hors normes,
consistant à valoriser à hauteur de 329
M€, dans les comptes de la
société,
l’
engagement pris
par ATMB et le FDPITMA dans la convention tripartite, qui ne contenait pourtant aucune
donnée chiffrée sur ce point.
À
la date du transfert des actions de l’État et à celle de la signature de la convention,
le FDPITMA
n’avait donc pas de président, non plus d’ailleurs que de budget
. Il est depuis lors
resté une structure sans autre rôle que celui de support permettant de verser à la SFTRF les
dividendes reçus d’ATMB. Établissement public sans murs et sans personnel, il
n’a
bénéficié
d’une présidente que de janvier 2013 à octobre 2015. Bien qu’actionnaire majoritaire d’ATMB,
il n’est pas représenté dans son conseil d’administration
et, s
’il
a statutairement deux
représentants au conseil d’administration de la SFTRF,
la confusion qui entoure le processus
de nomination
est telle qu’il est parfois difficile de savoir si un administrateur a été nommé en
tant que représentant du FDPITMA ou en tant que personnalité qualifiée.
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Au total, le dispositif apparaît comme un montage
de débudgétisation par lequel l’État
a renoncé à une recette (
les dividendes d’ATMB
), et évite une dépense (
le versement d’une
subvention à la SFTRF ou sa recapitalisation), au risque de contrevenir au principe
d'universalité du budget. La Cour rappelle que seule une loi de finances pourrait prévoir, dans
le respect de la loi organique relative aux lois de finances, une exception à ce principe.
2.
LA GOUVERNANCE DU TUNNEL DU MONT-BLANC
La directive européenne 2004/54/CE du 29 avril 2004 concernant les exigences de
sécurité minimales applicables aux tunnels du réseau routier transeuropéen impose que les
tunnels établis sur le territoire de deux États membres soient exploités par un seul organisme.
Ce sont donc les GEIE TMB et GEF qui assurent cette mission respectivement pour le tunnel
du Mont-Blanc et celui du Fréjus. Toutefois, les deux GEIE ont des champs de compétence
très différents.
Le GEIE
GEF a un rôle limité à l’exploitation
stricto sensu
du tunnel du Fréjus,
c’est
-à-dire essentiellement la supervisio
n du trafic, l’entretien
-maintenance et la sécurité. Il
n’est pas compétent en matière d’investissements et de gestion des péages, domaines que
les sociétés mères se sont réservés.
Pour le tunnel du Mont-Blanc, en revanche, les gouvernements français et italien ont
fait un choix différent, concrétisé par une convention signée en 2006, dite convention de
Lucques
1
. Outre l’exploitation proprement dite, le GEIE TMB est chargé de l’entretien, du
renouvellement et de la modernisation de l’ouvrage
, ainsi que de la gestion des péages. La
Cour relève que les parties à la convention constitutive du GEIE n’ont pas prévu de soumettre
ses comptes et sa gestion à une autorité indépendante de contrôle publique.
Lors de son précédent contrôle sur ATMB, en 2010-2011, la Cour avait constaté des
problèmes liés au fonctionnement du GEIE TMB. Depuis cette date, c
e qui n’était alors qu’un
motif d’insatisfaction
pour ATMB est progressivement devenu un sujet de crispation pour elle,
et de préoccupation pour ses autorités de tutelle : dans une sorte de cercle vicieux, les règles
de gouvernance du GEIE exacerbent les dissensions entre les sociétés concessionnaires
française et italienne du tunnel du Mont-Blanc et ces dissensions empêchent un accord sur
l’évolution d
es règles de gouvernance du GEIE TMB. Il en résulte
, d’une part,
un climat
délétère, porteur de risques psychosociaux pour le personnel, en particulier pour celui qui est
mis à disposition du GEIE par ATMB, et
, d’autre part,
des délais excessifs dans la
programmation et la réalisation des travaux dans le tunnel.
Ainsi,
alors
que
la
convention
de
Lucques
stipule
que
la
commission
intergouvernementale du tunnel du Mont-Blanc (CIG) approuve les programmes et projets de
travaux et d'équipements concernant le tunnel, aucun programme n’a été soumis à son
approbation de 2011 à 2017. Bien que, suite à un audit technique, la CIG demande
régulièrement, depuis 2013, au GEIE TMB et aux deux sociétés concessionnaires, ATMB
et SITMB, de lui présenter un programme de réhabilitation de la voûte et de la dalle du tunnel,
cette demande reste
jusqu’à présent
lettre morte en raison des problèmes de gouvernance du
GEIE et de
l’incapacité de
ses deux sociétés mères
à se mettre d’accord.
Même pour les travaux de réfection de 550 mètres de dalle, que
l’
audit précité estimait
nécessaires à court terme dès 2013, il a fallu attendre 2018 pour la réalisation de ces travaux,
soit deux ans de retard par rapport à ce que le GEIE avait annoncé au comité de sécurité de
la CIG.
1
Décret n° 2008-1041 du 9 octobre 2008 portant publication de la convention entre le Gouvernement de la
République française et le Gouvernement de la République italienne relative au tunnel routier sous le Mont-Blanc,
signée à Lucques le 24 novembre 2006.
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Ce retard dans la réalisation de travaux reconnus urgents, et la procrastination dans la
présentation d’un programme destiné à remédier à
« la dégradation continue de la voûte et de
la dalle »
selon les termes du rapport d’audit
de 2013, sont inquiétants. Même si la voûte est
auscultée plusieurs fois par an et si, à ce jour, aucun risque n'a été identifié, la situation pourrait
avoir des conséquences graves si elle conduisait à trop différer les travaux nécessaires de
rénovation du tunnel du Mont-Blanc.
Trois points des statuts du GEIE TMB
apparaissent d’autant plus critiquables que leur
combinaison a des effets pernicieux : la nomination unilatérale du directeur gérant par un des
deux actionnaires en alternance, la durée très courte (30 mois) de son mandat et de celui des
deux autres directeurs, ainsi que le rôle limité du conseil de surveillance. Il en résulte
d’une
part, tous les deux ans et demi, un sentiment de perte de contrôle par un des deux partenaires
et de reprise du pouvoir par l’autre et, d’autre part, un manque de continuité dans l’action. Un
dernier point, qui ne résulte pas des statuts mais de la
pratique, ne fait qu’accentuer les
difficultés
: le fait que le GEIE ne soit pas l’employeur de son personnel mais que celui
-ci soit
mis à disposition par les deux maisons mères crée des conflits de loyauté dans un contexte
de tensions permanentes entre ATMB et son homologue italien,
sociétà italiana per azioni per
il traforo del Monte Bianco
(SITMB).
Cette situation contraste fortement avec celle observée au tunnel du Fréjus où
concessionnaires français et italien travaillent en bonne intelligence. La différence dans les
missions confiées aux deux GEIE est une explication objective possible mais ce n’est
certainement pas la seule, en tout cas pas la principale, les facteurs subjectifs, personnels et
psychologiques étant sans doute prépondérants. Dans ces conditions, il est peu probable
qu’un alignement du mandat du GEIE
TMB sur celui du GEIE GEF serait en soi une solution
au problème.
La Cour formule donc les recommandations suivantes :
Recommandation n° 1
(Ministère de l’Europe et des affaires étrangères)
: négocier, avec les
autorités italiennes,
une réforme de la gouvernance de l’expl
oitant unique du tunnel du
Mont-Blanc ;
Recommandation n° 2
(Ministère de l’Europe et des affaires étrangères)
: engager des
discussions avec les autorités italiennes en vue de soumettre les GEIE GEF et TMB à un
contrôle public de leurs comptes et de leur gestion ;
Recommandation n° 3
(Ministère de la transition écologique et solidaire) : engager, au plus
tôt, un programme de réhabilitation de la voûte et de la dalle du tunnel du Mont-Blanc.
Je vous serais obligé de me faire connaître, dans le délai de deux mois prévu à l’article
L. 143-4 du code des juridictions financières, la réponse, sous votre signature, que vous aurez
donnée à la présente communication
2
.
2
La Cour vous remercie de lui faire parvenir votre réponse, sous forme dématérialisée, via
Correspondance JF
(
à l’adresse électronique suivante
:
greffepresidence@ccomptes.fr
(cf. arrêté du 8 septembre 2015 modifié portant application du décret n° 2015-146 du 10 février 2015 relatif à la
dématérialisation des échanges avec les juridictions financières).
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Je vous rappelle qu’en application des dispositions du même code
:
deux mois après son envoi, le présent référé sera transmis aux commissions des finances
et, dans leur domaine de compétence, aux autres commissions permanentes de
l’Assemblée nationale et du Sénat. Il sera accompagné de votre réponse si elle est
parvenue à la Cour dans ce délai. À défaut, votre réponse leur sera transmise dès sa
réception par la Cour (article L. 143-4) ;
dans le respect des secrets protégés par la loi, la Cour pourra mettre en ligne sur son site
internet le présent référé, accompagné de votre réponse (article L. 143-1) ;
l’article L.
143-9 prévoit que, en tant que destinataire du présent référé, vous fournissiez
à la Cour un compte rendu des suites données à ses observations, en vue de leur
présentation dans son rapport public annuel. Ce compte rendu doit être adressé à la Cour
selon les modalités de la procédure de suivi annuel coordonné convenue entre elle et
votre administration.
Signé le Premier président
Didier Migaud