Sort by *
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
QUATRIÈME CHAMBRE
-------
Première section
-------
Arrêt n° S2018-3140
Audience publique du 18 octobre 2018
Prononcé du 8 novembre 2018
OFFICE DES TRANSPORTS DE LA CORSE
(CORSE-DU-SUD)
Appel d
un jugement de la chambre régionale
des comptes Corse
Rapport n° R 2018-1081
République Française
Au nom du peuple français,
La Cour,
Vu la requête enregistrée le 9 avril 2018 au greffe de la chambre régionale des
comptes Corse, par laquelle le procureur financier près cette juridiction a élevé appel du
jugement n° 2018-0061 du 8 mars 2018 qui a mis à la charge de M. X, comptable de l
Office
des transports de la Corse, deux sommes non rémissibles de 265,50
chacune pour avoir
payé en 2014 et 2015 des dépenses sur le fondement de pièces justificatives insuffisantes ;
Vu les pièces de la procédure suivie en première instance et notamment le
réquisitoire n° 2017-0002 du 3 juillet 2017 du procureur financier près la chambre régionale
des comptes Corse ainsi que les éléments de réponse du comptable en date des 15, 18 et
27 septembre 2017, du 24 octobre 2017 et du 13 décembre 2017 ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code des juridictions financières ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu l
article 60 modifié de la loi de finances n° 63-156 du 23 février 1963 ;
Vu le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et
comptable publique ;
Vu le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 portant application du deuxième
alinéa du VI de l
article 60 de la loi de finances de 1963 modifié, dans sa rédaction issue de
l
article 90 de la loi n° 2011-1978 du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ;
Vu le rapport de M. Louis VALLERNAUD, conseiller maître, chargé de
l
instruction ;
Vu le mémoire en défense et appel incident de M. X enregistré au greffe de la
Cour le 10 septembre 2018 ;
Vu les conclusions du Procureur général n° 652 du 5 octobre 2018 ;
S2018-3140
2
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Entendu lors de l
audience publique du 18 octobre 2018 M. Louis VALLERNAUD,
conseiller maître, en son rapport, M. Serge BARICHARD, avocat général, en les conclusions
du ministère public, les autres parties, informées de l
audience, n
étant ni présentes, ni
représentées ;
Entendu en délibéré M. Yves ROLLAND, conseiller maître, réviseur, en ses
observations ;
1. Attendu que, par le jugement entrepris, rendu sur conclusions contraires du
ministère public, la chambre régionale des comptes Corse a mis à la charge de M. X,
comptable de l
Office des transports de la Corse (OTC), deux sommes non rémissibles pour
avoir, sur le fondement de cinq mandats, payé un affrètement sur simples factures à la
Compagnie méridionale de navigation (CMN), en s
abstenant de demander un acte revêtant
a minima le même formalisme que le contrat initial et mentionnant l
objet de la prestation, son
coût unitaire et sa durée ; que la juridiction a considéré que la prise en charge irrégulière de
cet affrètement avait causé un préjudice financier à l
OTC mais que le lien de causalité entre
le dommage et le manquement n
était pas établi et qu
il convenait donc de mettre à la charge
du comptable une somme non rémissible de 265,50
au titre de chacun des exercices 2014
et 2015 ;
2. Attendu que l
appelant demande, à titre principal, l
annulation du jugement pour
vice de forme et l
évocation au fond de l
affaire, qu
il estime en état d
être jugée ou, à défaut,
son infirmation en tant qu
il a constaté l
absence de préjudice causé par le manquement du
comptable à ses obligations de contrôle des pièces justificatives et la constitution en débet de
M. X à hauteur de 585 000
au titre de l
exercice 2014 et 1 215 000
au titre de
l
exercice 2015, avec intérêts à compter du 12 juillet 2017, date de la notification du réquisitoire
au comptable ;
Sur la recevabilité de la requête
3. Attendu que M. X, dans son mémoire du 10 septembre 2018 susvisé, conteste
la recevabilité de la requête du procureur financier au motif qu’elle ne respecterait pas les
prescriptions du deuxième alinéa de l’article R.242
-22 du CJF qui prévoit que « la requête doit
contenir,
à peine de nullité, l’exposé des faits et moyens, ainsi que les conclusions du
requérant » ; que, selon lui, la requête contient formellement un paragraphe dénommé
« exposé des faits » mais que celui-ci se limiterait à « une présentation réduite à sa plus simple
expression de la seule procédure juridictionnelle en première instance » et qu’aucun fait relatif
aux opérations de dépense n’y serait
exposé ;
4.
Attendu qu’aucune disposition législative ou réglemen
taire ne précise le
contenu de
l’exposé des faits d’une requête en appel devant la Cour des comptes
; que rien
ne s’oppose à ce que le requérant se limite au seul rappel de la procédure juridictionnelle de
première instance ; que le moyen doit donc être écarté car non fondé en droit ;
Su
r la recevabilité de l’appel incident de
M. X
5. Attendu que M. X a déposé, le 10 septembre 2018, soit après la clôture de
l’instruction
, un document intitulé « mémoire en défense et appel incident » par lequel il entend
présenter ses observations et formuler un appel incident du jugement en son article 1
er
, en
application de l’article R. 242
-21 du code des juridictions financières (CJF), a
fin d’obtenir de la
Cour qu’elle prononce à son bénéfice un non
-lieu à charge du fait de la force majeure ou, à
défaut, la confirmation du jugement ;
S2018-3140
3
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
6.
Attendu que l’article R.242
-21 du CJF ouvre la possibilité aux parties de former
un appel incident dans l
es observations ou mémoire qu’elles produisent
; qu’un appel incident
est recevable, sans condition de délai, s’il ne soumet pas au juge un litige distinct de celui
soulevé par l’appel principal
;
7.
Attendu qu’au cas d’espèce, le mémoire en réponse par lequ
el M. X indique
vouloir interjeter appel « incident » demande
l’
infirmation du jugement en ses dispositions qui
établissent l’existence d’un manquement
du comptable à ses obligations en matière de
contrôle de la validité de la créance, dispositions que ne visaient nullement
l’appelant
principal dont la requête porte exclusivement sur la contestation du constat effectué par le juge
de première
instance que le manquement du comptable n’aurait, en l’espèce,
pas causé en
lui-même
de préjudice financier à l’OTC
;
8.
Attendu qu’il résulte de ce qui précède que l’appel «
incident » de M. X doit être
requalifié d’appel principal
; que, formé hors du délai de deux mois imparti pour déposer une
requête en appel, délai fixé par l’article R. 242
-23 du CJF qui a, en
l’espèce, commencé à
courir à compter de la réception par M. X, le 13 avril 2018, du jugement entrepris, cet appel
est irrecevable ;
Sur la régularité de la procédure
9. Attendu que, selon le requérant, la décision de la chambre régionale des
comptes n
aurait pas été rendue conformément aux prescriptions figurant au deuxième alinéa
de l
article R. 242-13 du code des juridictions financières, selon lesquelles
« le jugement,
motivé, statue sur chacun des griefs du réquisitoire et sur les observations des parties
auxquelles il a été notifié »
; qu
à ce titre il observe, d
une part, que
« le jugement développe
une argumentation qui n
évoque explicitement à aucun moment, dans ses motivations, les
observations formulées par le ministère public à l
égard de l
existence d
un préjudice »
et,
d
autre part,
« qu
au-delà de l
absence de mention explicite des observations des parties dans
la motivation du jugement,
[celui-ci]
statue sans discuter les points précédemment évoqués »
;
qu
il demande en conséquence au juge d
appel de
« constater que les principes du
contradictoire et de la motivation des jugements, mentionnés à l
article R. 242-13 du CJF, n
ont
pas été respectés »
et, en conséquence, d
annuler le jugement pour vice de forme et d
évoquer
au fond l
affaire, qu
il estime en état d
être jugée ;
10. Attendu que dans ses conclusions n° 2017-0061 du 24 janvier 2018 sur le
rapport à fin de jugement des comptes
de l’OTC
pour les exercices 2014 et 2015, le procureur
financier a, au soutien de la thèse selon laquelle le manquement du comptable avait causé un
préjudice financier à l
Office des transports de la Corse, invité la chambre à
« constater que
l
ordonnateur ne pouvait, aux termes des statuts de cet office, engager l
OTC sans autorisation
de l
assemblée délibérante »
, qu
« une telle autorisation d
engager la dépense
[avait été]
exprimée par la délibération de l
OTC du 2 avril 2015,
(…)
quelques semaines avant le dernier
paiement »
, que
« cette délibération
[avait manifesté]
en termes non ambigus la volonté de
l
OTC de régulariser la situation, bien avant la notification du réquisitoire mais postérieurement
à l
exécution du service et à l
émission des factures »
, mais que cette dernière circonstance
empêchait qu
elle pût être reconnue comme fondement juridique de la dépense, qui devait
donc être considérée comme indue ;
11. Attendu
qu’
ayant observé que
« la délibération de l
OTC, rédigée en termes
laconiques sans aucune argumentation,
[avait]
une visée rétroactive puisqu
elle
[tendait]
à
valider, le 2 avril 2015, un contrat dont les prestations
[avaient]
été exécutées entre novembre
2014 et mars 2015 puis payées entre janvier 2015 et avril 2015 »
, le représentant du ministère
public en tirait la conclusion que
« la chambre
[devrait]
considérer que cette délibération
S2018-3140
4
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
[présentait]
un défaut de régularité qui
[empêchait]
qu
elle
[fût]
reconnue comme fondement
juridique de la dépense »
;
12. Attendu que, dans son mémoire en réponse susvisé, M. X estime que le défaut
de mo
tivation n’est pas avér
é, pas plus
que le défaut de respect du contradictoire et qu’il
demande en conséquence à la Cour de rejeter ce moyen de l’appelant
;
13. Attendu que le jugement entrepris se contente de relever que le procureur
financier a soutenu dans ses conclusions « qu
un contrat ou un avenant était nécessaire et
qu
en l
absence de pièce justificative et de décision de l
assemblée délibérante autorisant les
paiements, la dépense [devait] être regardée comme constitutive d
un préjudice financier pour
l
Office des transports de la Corse » ; que cette mention ne reflète pas fidèlement la position
du représentant du ministère public sur la question de l
existence du préjudice ; qu
en outre,
l
analyse du raisonnement retenu par la chambre pour conclure à l
existence d
un préjudice
mais à l
absence de lien de causalité entre le manquement du comptable et ce préjudice
montre que l
argumentaire du procureur financier n
a pas été discuté ; qu
il ne s
en déduit pas
non plus que la juridiction l
aurait réfuté, même implicitement ;
14.
Attendu que l’exposé
incomplet des arguments du représentant du ministère
public n
est pas de nature, en l
absence de leur discussion, à répondre aux conditions de
motivation et de respect du contradictoire posées par l
article R. 242-13 du code des
juridictions financières ; qu
il y a donc lieu d
accueillir le moyen soulevé par
l’appelant
et
d
annuler pour vice de forme le jugement entrepris ;
15. Attendu que l
affaire est en état d
être jugée ; qu
il y a donc lieu de l
évoquer et
de statuer sur ce point ;
Sur le fond
Sur l’existence d’un manquement
16. Attendu que, par réquisitoire susvisé, le procureur financier a fait grief à M. X
d’avoir payé
, sans autres pièces justificatives que de simples factures, au profit de la
compagnie méridionale de navigation (CMN) deux
mandats sur l’exercice 2014 (mandat
n°1242 du 31 décembre 2014 d’un montant de
465
000 €
; mandat n° 1244 du même jour pour
un montant de 120 000 €) et trois mandats sur l’exercice 2015 (manda
t n° 86 du 20 février
2015 pour un montant de 465
000 €
; mandat n° 161 du 23 mars 2015 pour un montant de
420
000 € et mandat n° 250 du 29 avril 2015 pour un montant de 330
000 €) correspondant à
l’affrètement d’un navire de cette compagnie («
Le pélican ») pour assurer la liaison maritime
entre la Corse et Marseille durant la période du 23 novembre 2014 au 22 mars 2015 ;
17. Attendu que le procureur financier appuie son réquisitoire sur le fait que,
contrairement aux dires du comptable, les prestations facturées ne relevaient pas de la
convention de délégation de service public sig
née en 2013 puisqu’aucune stipula
tion de ladite
convention ne prévoyait l’affrètement d’un navire à raison d’arrêts techniques imposés par la
réglementation et qu’au contraire
,
l’article 17 de la convention prévoyait que
chaque
co-délégataire, dont la CMN,
devrait assurer seul l’exploitation de l’ensemble de sa flotte dans
ses composantes nautique, technique et de personnels et était chargé de l’armement, du
maintien de la clas
sification et de la certification, de l’entretien, de la maintenance, de
l’exploitation (nautique et technique) et de l’assurance des navires sur toute la durée du
contrat ; que le procureur financier considère que la délibération du 2 avril 2015 par laquelle
le conseil d’administration de l’OTC
a approuvé le principe de l’affrètement du navire
« Le
Pélican » pour un montant de 15
000 € par jour du 23 novembre 2014 au 22 mars 2015, dans
S2018-3140
5
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
la mesure où elle était intervenue postérieurement à l’affrètement du n
avire et où aucun contrat
écrit n’en était découlé, son adoption tendait à confirmer que les prestations facturées n’étaient
pas incluses dans le périmètre la convention de délégation de service public de 2013 ;
qu’enfin
le réquisitoire rappelle qu’en sa qualité d’établissement public à caractère industriel et
commercial relevant d’une collectivité territoriale, l’OTC était soumis au code des marchés
publics (CMP)
jusqu’à l’entrée
en
vigueur de l’
ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux
marchés publics et, à ce titre, avait
l’obligation de passer des marchés de fourniture en
application de l’article 26 du CMP selon les procédures formalisées dès lors que le montant
du besoin n’était pas inférieur à 207
000 € HT
; qu’il relève qu’en l’espèce
, ce seuil avait été
franchi dès le paiement des deux mandats n° 1242 de 465
000 € et n° 1244 de 120
000 € tous
deux en date du 31 décembre 2014 ; que la rubrique 41 de la nomenclature des pièces
justificatives des dépenses des collectivités territoriales et des établissements publics locaux
annex
ée à l’article D.1617
-19 du CGCT, prévoyait, pour le paiement des travaux, fournitures
et services répertoriés par l’article 3 du
CMP
, la production d’un contrat et le cas échéant des
pièces justificatives qu’il définit ainsi que d’une fiche de recensement des marchés
; qu’en
l’espèce
,
le comptable avait pris en charge les deux premiers mandats alors qu’il ne disposait
d’aucune de ces deux pièces et que les trois derniers mandats avaient été payés sur le
fondement de simples factures ;
18. Attendu que, dans ces divers mémoires en réponse susvisés tant en première
instance qu’en appel, M.
X soutient que les mandats incriminés correspondent au paiement
régulier de prestations sur le fondement de la convention de délégation de service public
; qu’il
soutient que les obligations de service public résultant de ladite délégation imposaient
l’exécution de toute la convention et pas
seulement l’affrètement d’un
navire que l’on ne
pouvait pas détacher de l’exécution de l’ensemble de la c
onvention,
et qu’il aurait été
juridiquement et matériellement impossible de faire appel à un autre prestataire dans le cadre
d‘un marché public
; qu’il fait valoir par ailleurs que l’affrètement du «
Pélican» serait intervenu
conformément aux stipulations
de l’article 10 de la convention de délégation de service public
(DSP) qui prévoient la possibilité pour les parties de définir
« en tant que de besoin les
modifications à apporter à la convention
» si, du fait d’évé
nements non prévisibles à la date
de sa signature,
les conditions économiques et techniques d’exécution de la DSP étaient de
nature à remettre en cause son équilibre financier
; qu’en l’espèce, la desserte maritime de la
Corse risquait d’être perturbée par des troubles consécutifs à la demande
de cessation de
paiement que la SNCM avait présentée le 4 novembre 2014 et qui avait été suivie le
28 novembre de la même année par la décision du tribunal de commerce de Marseille de
placer l’entreprise en
redressement judiciaire ; que
la mise en œuvre d’une commande
d’affrètement d’un navire au co
-délégataire CMN se serait matérialisée par un courrier du
directeur de l’OTC en date du 17 novembre 2014 et par un échange de courriels entre toutes
les parties intervenu le 7 novembre 2014 ;
qu’il soutient que cet accord aurait la valeur d ‘un
avenant à la convention de DSP dès lors que la législation concernant ces conventions
n’imposait aucun formalisme en la matière
; qu’il estime que les montants en cause (1,8 M€)
comparés à celui de la co
nvention de DSP (104 M€ par an) n’avaient pas bouleversé
l’économie générale du contrat ni modifié sa nature globale de sorte que l’avenant avait pu
être régulièrement conclu sans consultation de la commission de DSP ni décision du conseil
d’administration
de l’OTC et sans nouvel appel à la concurrence
; que, selon lui, si la
délibération du conseil d’administration de l’OTC du 2 avril 201
5 ne visait pas la convention de
DSP, plusieurs de ses considérants auraient rattaché l’affrètement du «
Pélican » à la DSP,
de sorte que dans le cadre de
son devoir de conseil, M. X a estimé que cette délibération
explicative avait permis de dissiper tout doute quant à la légalité de l’acte ou au respect du
droit de la concurrence ;
S2018-3140
6
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
19. Attendu que, dans son mémoire en date du 10 septembre 2018 susvisé,
M. X
soutient que la chambre régionale des comptes aurait dû constater l’existence de
circonstances constitutives de la force majeure et, en conséquence, s’abstenir de mettre en
jeu sa responsabilité personnelle et pécuniaire ;
20. Attendu que M. X conclut en estimant avoir payé les dépenses visées par le
réquisitoire sur le fondement de pièces justificatives suffisantes et sollicite de la Cour un
non-lieu à charge ;
21. Attendu que par convention en date du 24 septembre 2013, la collectivité
territoriale de Corse et l’O
ffice des transports de la Corse avaient délégué à un groupement
momentané d’entreprises
constitué
de deux armateurs dont la CMN l’exploitation du
transport
maritime de passagers et de marchandises au titre de la continuité territoriale entre les ports
de la Corse et le port de Marseille ;
22. Attendu que par courriels en date du 7 novembre 2014, le PDG de la CMN a
proposé au directeur général des services de la collectivité territoriale de Corse, au président
du conseil d’administration de l’OTC et à son directeur «
d’affréter pour
[le]
compte de la
[CTC
et de l’OTC]
un navire pour une période d’un mois reconductible 3 fois avec un préavis de 15
jours
[…]
soit un total de 4 mois
[…]
dans les conditions suivantes : 1.Un terme fixe de 15 000
€ par jour applicable que le navire navigue ou reste à quai en attente d’instructions
; 2. Un
terme variable de 10
000 € par traversée réalisée pendant un arrêt technique de na
vire
CMN
»
; qu’il ressort des termes mêmes de ce message que cette offre s’inscrivait dans le
cadre du contrat de délégation de service public précité puisque le PDG de la CMN précisait
que «
si le navire [était] appelé à rentrer sur les lignes corses pendant une interruption des
services de l’autre délégataire de la DSP sur les ports principaux, le terme variable ne
[serait]
pas appelé
» et que les prestations proposées feraient l’objet «
d’une facturation mensuelle en
fonction du service réellement fait en accord avec le concédant
» ;
23.
Attendu toutefois que cette proposition n’a fait l’objet d’aucune approbation de
la part de la collectivité territoriale de Corse ni de l’OTC
; qu’une indication selon laquelle le
président de la collectivité territoriale aurait donné son accord figurant dans un courriel du
7 novembre 2014 n’a pas été confirmée de façon expresse
; que la notification au délégataire
de l’accord du délégant ne se déduit pas du courrier adressé le 17 novembre 2014 au PDG
de la CMN ;
qu’au deme
urant, les termes de ce dernier courrier prouvent que son auteur
s’inscrivait dans le cadre de la convention de DSP
: «
Pour des motifs réglementaires et
d’entretien, votre compagnie a programmé un arrêt technique pour trois navires de votre flotte
(…)
conformément aux dispositions de la convention de service public de desserte maritime
entre les ports de Corse et le port de Marseille
» ; que cette lettre avait pour seul objet de
solliciter de la CMN une formulation d’une offre permettant de compenser les e
ffets de cet
arrêt technique et en aucun cas de confirmer l’accord du délégant
sur
l’offre formulée le
7 novembre 2014 par le PDG de la CMN ;
24. Attendu que M. X, dans son mémoire complémentaire susvisé, prétend que la
proposition de la CMN datée du 7 novembre 2014 «
est de toute évidence une réponse à la
demande du directeur d
e l’OTC (m
ême si la date est, semble-t-il erronée
a priori une erreur
de plume, car elle a sans doute été rédigée le 17 novembre 2014)
» ; que M. X
n’apporte pas
la preuve
de l’erreur de date dont il fait état
;
S2018-3140
7
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
25. Attendu que si le délégant et le délégataire avaient entendu placer la réalisation
des prestations liées à l’affrètement d’un navire supplémentaire dans le cadre de la convention
de délégation de service public de 2013 et dès lors que cette dernière ne permettait pas de
couvrir en l’état la prise en charge financière de cet affrètement, un avenant à la convention
était nécessaire ;
26. Attendu que, les échanges de courriels du 7 novembre 2014 précités entre le
PDG de la CMN, le directeur général des services de la collectivité territoriale et le courrier du
directeur de l’OTC du 17 novembre 2014 ne sauraient avoir la portée d’un avenant à la
convention
; qu’il s’ensuit que la
question, soulevée par M. X, de la confor
mité d’un tel avenant
à la réglementation nationale et communautaire est sans effet sur l’appréciation de sa
responsabilité
; qu’en l’absence d’un avenant établi
en bonne et due forme, M. X aurait dû
suspendre le paiement des mandats incriminés ;
27. Attendu que si les dépenses visées dans le réquisitoire ne se rattachaient pas
à la convention de DSP
comme le soutient l’appelant, le comptable aurait dû constater qu’elles
relevaient d’un marché public et que, dans la mesure où leur montant dépassait le seuil de
207
000 € hors taxes applicable aux marchés de fournitures et de services des collectivités
territoriales, les prestations correspondantes auraient dû en application de l’article 26 du CMP
dans leur rédaction alors en vigueur faire l’objet d’un marché con
clu suivant une procédure
formalisée
; qu’en application de la rubrique 41 de la nomenclature des pièces justificatives
précitée, en, l’absence d’un tel contrat et de la fiche de recensement des marchés conclus par
l’OTC, le comptable aurait dû suspendre l
es paiements ;
28. Attendu, par ailleurs, que la délibération du 2 avril 2015 du conseil
d’administration de l’OTC invoquée par le comptable, outre le fait qu’elle ne pourrait avoir
d’effet que pour le dernier paiement effectué postérieurement à son adoption
(mandat n° 250
du 29 avril 2015 pour un montant de 330
000 €
), a été prise après
l’achèvement des
prestations en cause, le 22 mars 2015
; qu’elle ne saurait donc en constituer le fondement
juridique ;
29. Attendu que les circonstances de force majeure invoquées par M. X ne sont
pas réunies en l’espèce
; qu’en effet
, les arrêts techniques décidés par le co-délégataires
n’étaient pas
des circonstances extérieures puisque M. X
soutient qu’ils s’inscrivent dans le
cadre de la délégation de service public et en constituent le prolongement ; que ces arrêts
n’étaient pas imprévisibles puisque programmés par la CMN
;
et enfin qu’ils n’étaient pas
irrésistibles puisqu’ils n’étaient pas de nature à empêcher l’agent
-comptable de remplir son
office en contrôlant la validité de la créance et en suspendant les paiements après avoir
constaté que les pièces justificatives faisaient défaut ;
30.
Attendu qu’il résult
e de ce qui précède que M. X, en ne suspendant pas les
paiements des cinq mandats incriminés en l’absence des pièces j
ustificatives adéquates selon
que les prestations objet de ces paiements aient été exécutées ou non dans le cadre de la
convention de DSP de 2013, a manqué à ses obligations en matière de contrôle de la validité
de la créance
; qu’il convient donc de mettr
e en jeu sa responsabilité personnelle et
pécuniaire ;
S2018-3140
8
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
En ce qui concerne l
’existenc
e
d’un
préjudice
31. Attendu qu
aux termes des deuxième et troisième alinéas du paragraphe VI de
l
article 60 de la loi du 23 février 1963 susvisé, «
lorsque le manquement du comptable aux
obligations mentionnées au I n
a pas causé de préjudice financier à l
organisme concerné, le
juge des comptes peut l
obliger à s
acquitter d
une somme arrêtée, pour chaque exercice, en
tenant compte des circonstances de l
espèce
(…)
. Lorsque le manquement du comptable aux
obligations mentionnées au I a causé un préjudice financier à l
organisme public concerné
(…)
, le comptable a l
obligation de verser immédiatement de ses deniers personnels la somme
correspondante
(…)
» ;
32. Attendu que dans ses réponses au réquisitoire du procureur financier et aux
questions du rapporteur de la chambre régionale des comptes, le comptable a indiqué que les
paiements en cause n
avaient entraîné aucun préjudice financier pour l
OTC ; qu
au soutien
de cette affirmation, il a fait valoir qu
il avait pris en charge les mandats correspondants
« dans
un contexte particulier de risque majeur de troubles à l
ordre public »
, que
« l
ordonnateur
[avait]
attesté du service fait »
et que
« la volonté explicite de la collectivité, préalable au
paiement,
[était]
établie
(…)
concernant l
affaire du Pélican »
;
33. Attendu que le directeur de l
OTC a indiqué pour sa part qu
à la date de sa
réponse, intervenue le 15 septembre 2017,
«
[il n
avait]
pas connaissance de quelque
préjudice financier
[qui aurait été]
causé à l
établissement
(…)
»
mais qu
il
« se réserv
[ait]
expressément la possibilité, au cas où un préjudice s
avérerait dans l
avenir, d
agir
(…)
pour
en obtenir réparation »
;
34. Attendu que le constat de l
existence ou non d
un préjudice relève de la seule
appréciation du juge des comptes ; qu
il n
est pas tenu par une déclaration de l
organe
délibérant ou de l
ordonnateur, quelle qu
en soit la forme, indiquant que l
organisme concerné
n
aurait pas subi de préjudice financier du fait du manquement constaté ; que l
affirmation, de
surcroît assortie d
une réserve, mais non étayée du directeur de l
OTC, selon laquelle les
paiements visés dans le réquisitoire n
auraient pas causé de préjudice à l
établissement public,
est donc sans effet sur cette appréciation ;
35. Attendu
qu
il en va de même du
« contexte particulier de risque majeur de
troubles à l
ordre public »
dont M. X a fait état dans sa réponse, les circonstances dans
lesquelles le manquement est intervenu étant sans incidence sur l
existence ou non du
préjudice susceptible d
en résulter ; que le comptable serait, en revanche, fondé à l
invoquer
à l
appui d
une demande de remise gracieuse si un débet était prononcé par la Cour et que la
juridiction devrait en tenir compte dans son appréciation des circonstances de l
espèce si elle
décidait de mettre à sa charge une somme non rémissible ;
36. Attendu que l
existence du service fait est une condition nécessaire mais non
suffisante pour constater qu
une dépense irrégulièrement payée
n’a
pas causé de préjudice
financier
à l’organisme public concerné
; qu
en effet, cette conclusion est également
subordonnée au constat que la dépense était juridiquement fondée ; que si cette seconde
condition n
est pas satisfaite, la dépense doit être considérée comme indue et donc
constitutive d
un préjudice financier pour l
organisme public concerné ; que, bien qu
il ne
ressorte pas des pièces du dossier que les dépenses visées dans le réquisitoire n
auraient
pas eu de contrepartie, ni que leur paiement aurait été affecté d
une erreur de liquidation,
l
argument de M. X tenant à l
attestation du service fait par l
ordonnateur doit donc être écarté
comme insuffisant ;
S2018-3140
9
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
37. Attendu que si, en matière de dépenses irrégulièrement payées, le
manquement s
apprécie à la date du paiement, en revanche, lorsqu
il statue sur le point de
savoir si ce manquement a ou non causé à l
organisme concerné un préjudice financier, le
juge des comptes doit examiner l
ensemble des pièces du dossier, y compris postérieures au
paiement ; qu
ainsi, s
agissant de dépenses relevant d
un marché public ou d
une convention
de délégation de service public, l
existence de pièces attestant rétroactivement de la commune
intention des parties d
en étendre le périmètre suffit pour fonder juridiquement les dépenses
correspondantes ;
38. Attendu que par la délibération du 2 avril 2015, intervenue postérieurement à la
réalisation des prestations en cause, le conseil d
administration de l
OTC a rétroactivement
« approuvé
(…)
le principe de l
affrètement du navire le Pélican pour un montant de
15 000 euros par jour du 23 novembre 2014 au 22 mars 2015 »
; que cette délibération a été
prise sur le fondement d
une note de présentation, établie le 27 mars 2015 par les services de
l
établissement public qui, après un rappel du contexte dans lequel l
OTC a été amené à
solliciter de la Compagnie méridionale de navigation l
offre d
affréter un navire supplémentaire,
indique que l
Office a
« décidé d
accepter la proposition de la CMN qui se présent
[ait]
comme
une assurance contre un risque de désorganisation du trafic »
; que dans le dernier de ses
considérants, la délibération reprend
in extenso
les termes de l
offre formulée le 7 novembre
2014 par le président de la CMN ; qu
il résulte de ces éléments que son adoption a scellé
a
posteriori
l
accord de l
Office des transports de la Corse sur l
objet, la durée et le prix des
prestations proposées par l
armateur ;
39. Attendu que la conjugaison du courriel du directeur général de la CMN du
7 novembre 2014, du courriel du même jour du directeur général des services de la CTC, de
la lettre du directeur de l
OTC du 17 novembre 2014 et de la délibération du conseil
d
administration de l
OTC du 2 avril 2015 traduit la commune intention des parties d
inclure
dans le périmètre de la convention de DSP du 24 septembre 2013 les prestations payées sur
le fondement des mandats visés dans le réquisitoire ; que bien qu
il n
ait pas été retranscrit
dans un document contractuel signé de l
ensemble des parties, cet accord est suffisant pour
fonder juridiquement les dépenses visées dans le réquisitoire, qui étaient ainsi dues et n
ont
donc pas causé de préjudice financier à l
établissement public ;
En ce qui concerne les circonstances de l
espèce
40. Attendu que le montant maximal de la somme prévue au VI de l
article 60 de la
loi du 23 février 1963 a été fixé par le décret n° 2012-1386 du 10 décembre 2012 susvisé à un
millième et demi du montant du cautionnement prévu pour le poste comptable, soit en l
espèce
265,50
au titre de 2014 et 2015, le cautionnement pour ces exercices du poste comptable
de M. X s
établissant à 177 000
;
41. Attendu que, dans ses réponses au réquisitoire du procureur financier et aux
questions du rapporteur de la chambre régionale des comptes, le comptable a fait valoir que
« l
affrètement du Pélican
(…) [avait]
été décidé afin d
empêcher tout risque de discontinuité
territoriale dont les conséquences économiques auraient été désastreuses pour l
économie
insulaire »
, que
« ce dispositif
[avait recueilli]
l
aval de toutes les autorités concernées y
compris l
Etat en la personne de Monsieur le Préfet »
, que
« ce dernier
[avait]
d
ailleurs
[présidé]
la cellule de crise « ayant convenu qu
une démarche préventive serait instaurée afin
de ne pas ajouter de l
incertitude aux désagréments occasionnés par le conflit » »
social
affectant la SNCM et, d
une façon plus générale, qu
il avait payé les dépenses incriminées
dans un
« contexte particulier de risque majeur de troubles à l
ordre public »
;
S2018-3140
10
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
42. Attendu que si ces éléments de contexte ont pu peser sur la gestion par l
OTC
des opérations visées dans le réquisitoire, ils ne peuvent, en revanche,
constituer des
circonstances atténuantes pour le comptable dans la mesure où sont en cause des
manquements répétés et portant sur des sommes très significatives et que ces circonstances
n’étaient pas de nature à l’empêcher de procéde
r au contrôle de la validité de la créance et de
la présence des pièces justificatives adéquates
à l’appui des mandats incriminés
; qu
il sera
donc fait une juste appréciation
des circonstances de l’espèce
en obligeant M. X
à s’acquitter
d’
une somme non rémissible de 265
au titre de l
exercice 2014 et une somme de même
montant au titre de l
exercice 2015 ;
Par ces motifs,
DECIDE
:
Article 1
er
L’appel incident de M.
X est irrecevable.
Article 2
- Le jugement n° 2018-0061 du 8 mars 2018 de la chambre régionale
des comptes Corse est annulé en ce qui concerne la charge n° 1.
Article 3
M. X
devra s’acquitter de
deux sommes non rémissibles de 265
au
titre des exercices 2014 et 2015.
------------
Fait et jugé en la Cour des comptes, quatrième chambre, première section.
Présents : M. Jean-Yves BERTUCCI, président de section, président de la formation ;
MM. Denis BERTHOMIER, Olivier ORTIZ, Yves ROLLAND, conseillers maîtres, Mme Isabelle
LATOURNARIE-WILLEMS, conseillère maître, M. Jean-Luc GIRARDI, conseiller maître.
En présence de M. Aurélien LEFEBVRE greffier de séance.
Aurélien LEFEBVRE
Jean-Yves BERTUCCI
En conséquence, la République française mande et ordonne à tous huissiers de
justice, sur ce requis, de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux
procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d
y tenir la main, à tous
commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu
ils en seront
légalement requis.
S2018-3140
11
/
11
13 rue Cambon - 75100 PARIS CEDEX 01 - T +33 1 42 98 95 00 - www.ccomptes.fr
Conformément aux dispositions de l
article R. 142-20 du code des juridictions
financières, les arrêts prononcés par la Cour des comptes peuvent faire l
objet d
un pourvoi en
cassation présenté, sous peine d
irrecevabilité, par le ministère d
un avocat au Conseil d
État
dans le délai de deux mois à compter de la notification de l
acte. La révision d
un arrêt ou d
une
ordonnance peut être demandée après expiration des délais de pourvoi en cassation, et ce
dans les conditions prévues au I de l
article R. 142-19 du même code.