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Allocution de Didier Migaud,
Premier président de la Cour des comptes
Présentation à la presse du rapport public thématique
«
Le logement social
face au défi de l’accès des publics modestes et défavorisés
»
Mercredi 22 février 2017
Mesdames, Messieurs,
Je vous souhaite la bienvenue à la Cour des comptes et vous remercie de votre présence.
Nous rendons publics ce matin les résultats d’une évaluation de la politique publique du
logement social.
Cette politique revêt une importance sociale et économique déterminante, et je voudrais
commencer par citer quelques chiffres et quelques ordres de grandeur.
Avec 4,8 millions de logements en 2016, le parc social rassemble 17% du total des logements
en France, contre 10,3% en moyenne dans l’Union européenne. Il représente près de la moitié
du marché locatif. Cela signifie
que plus d’un logement sur six et près d’un logement locatif
sur deux est un logement social. Selon les dernières données disponibles, les aides publiques
qui lui sont consacrées s’élevaient à 17,5
Md€ en 2014, répartis entre 8 Md€ d’aides directes
aux locataires - les aides personnelles au logement - et 9,5
Md€ d’aides aux organismes du
logement social, principalement destinées à leur permettre de construire de nouveaux
habitats.
Ces moyens très importants doivent permettre à la politique du logement social de remplir les
objectifs que lui a assignés la loi en 1998, et qui sont énoncés ainsi : «
la construction,
l'aménagement, l'attribution et la gestion des logements locatifs sociaux visent à améliorer les
conditions d'habitat des personnes de ressources modestes ou défavorisées. Ces opérations
participent à la mise en œuvre du droit au logement, et contribuent à la nécessaire mixité
sociale des villes et des quartiers
».
Dans ce rapport, les juridictions financières ont donc cherché à répondre à la question
suivante : la politique publique du logement social atteint-elle ses objectifs, et en particulier le
premier d’entre eux, qui est d’améliorer l’habitat des publics modestes et défavorisés
?
Seul le prononcé fait foi
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Pour ce faire, elles ont fait le choix d’une approche spécifique : celle de l’évaluation de politique
publique. Introduite dans les missions de la Cour par la révision constitutionnelle du 23 juillet
2008, l’évaluation suppose l’emploi d’une méthode particulière et encore innovante pour notre
institution, même si elle a déjà conduit de nombreuses évaluations de politique publique. Cette
méthode mobilise des principes et des instruments d’analyse complémentaires et éprouvés
par les sciences sociales. Elle permet en particulier de mettre en lumière les positions
respectives des parties prenantes d’une politique, en soulignant aussi bien les consensus que
les lignes de partage.
L’exploitation de l’ensemble des bases de données disponibles, en particulier la dernière
enquête nationale sur le logement qui a été co
nduite par l’INSEE, a permis la production de
nombreuses données quantitatives et analyses statistiques. En outre, une enquête inédite a
été conduite auprès des organismes HLM, dont les résultats sont accessibles sur le site de la
Cour.
De très nombr
eux entretiens ont également jalonné l’instruction
: plus de 200 personnes ont
été rencontrées, en France comme à l’étranger. Grâce à un travail conjoint avec les chambres
régionales des comptes d’Ile
-de-France, de Nouvelle-Aquitaine, des Pays de la Loire et
d’Auvergne
-Rhône-Alpes, des ateliers de travail ont ainsi été organisés dans six territoires-
tests, avec les pouvoirs publics et les bailleurs sociaux, mais aussi avec des bénéficiaires de
logements sociaux. Les six cahiers consacrés à ces territoires p
ermettent d’illustrer et
d’éclairer le rapport d’évaluation.
Enfin, toutes ces démarches ont été menées avec l’appui d’un comité d’accompagnement
réunissant des représentants des principales parties prenantes du logement social. Je tiens à
UNE
É
VALUATION APPROFONDIE
DANS SIX TERRITOIRES T
É
MOINS
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les remercier pour leur implication et pour leurs éclairages toujours riches et constructifs, très
utiles à la collégialité.
Pour vous exposer les résultats de notre évaluation, j’ai à mes côtés Pascal Duchadeuil,
président de chambre, qui a présidé la formation
inter
juridictions chargée de préparer ce
rapport ; Henri Paul, président de chambre et rapporteur général du comité du rapport public
et des programmes ; Christian de Lavernée, conseiller maître en service extraordinaire,
rapporteur général de l’évaluation. Je
profite de cette occasion pour remercier l’ensemble des
rapporteurs qui ont participé aux travaux, et en particulier Valérie Charolles et Louis Moreau
de Saint Martin.
Je voudrais à présent exposer quelques éléments essentiels de ce rapport.
-
Dans un p
remier temps, j’exposerai les principaux constats établis par les juridictions
financières. Partagés par l’ensemble des parties prenantes et pour certains inédits, ils
composent une photographie précise de la politique du logement social et de ses modalités
de mise en œuvre.
-
Dans un deuxième temps, j
’insisterai sur les
quatre conclusions structurantes qui
découlent de ces constats et qui permettent d’apprécier l’efficacité et l’efficience de la
politique du logement social au regard de son objectif d’amélioration de l’habitat des
personnes modestes et défavorisées. Puis
, j’évoquerai les orientations pour l’avenir qui
sont proposées dans ce rapport.
*
*
*
La Cour et les chambres régionales des comptes ont examiné la politique du logement social
sous dif
férents aspects, portant à la fois sur l’offre et la demande de logement et sur leurs
évolutions récentes.
En établissant à leur sujet des constats partagés par l’ensemble des parties prenantes, elles
se sont efforcées de poser les fondations d’un diagnos
tic juste et constructif.
Une première série de constats a permis tout d’abord de caractériser la demande et l’offre de
logements sociaux.
En premier lieu, la Cour a cherché à savoir qui sont les bénéficiaires de ces logements.
Comme je l’ai déjà évoqué
, la loi destine clairement le logement social aux personnes
disposant de ressources modestes ou défavorisées.
Or, p
our cerner ces catégories, la Cour s’est référée à deux définitions. Pour les ménages
défavorisés, elle a retenu la définition internationale de la pauvreté, qui désigne les ménages
dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du revenu médian de la population
soit environ
18,5
% des ménages selon l’enquête nationale sur le logement de l’INSEE. Pour les ménages
modestes, elle s’est fondée sur les définitions du CREDOC et de l’Observatoire des inégalités,
Seul le prononcé fait foi
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selon lesquelles sont dits « modestes » les ménages appartenant aux trois premiers déciles
de la répartition des niveaux de vie
cela concerne 30 % des ménages.
Ces deux catégories de ménages représentent ensemble 52% des occupants du parc social.
En effet, le texte réglementaire qui régit l’éligibilité au logement social n’en réserve pas l’accès
aux seuls ménages modestes et défavorisés. Il s’avère ainsi que deux tiers de la population
est en droit de demander un logement social dans la catégorie la plus courante, les logements
dits PLUS
1
.
Dans les faits, à part en Ile-de-France où ses bénéficiaires sont répartis presque également
entre toutes les strates de revenu, le logement
social se concentre de plus en plus sur l’accueil
des ménages modestes ou défavorisés. La Cour relève cette évolution positive.
Il n’en demeure pas moins que le parc social, qui excède pourtant d’un million de logements
l’effectif total des ménages situés
sous le seuil de pauvreté, n’accueille encore que la moitié
d’entre eux.
Or, l’enjeu de l’accès au logement social est majeur pour les personnes pauvres ou modestes.
La moitié des ménages locataires pauvres qui ne bénéficie pas d’un logement social doit
s’acquitter des loyers 40 voire 50 % plus élevés
qui sont ceux du parc privé. Et ils ne
bénéficient pas pour autant d’aides personnalisées au logement plus importantes
.
Dès lors, les taux d’effort et donc les conditions de vie des locataires pauvres ou m
odestes
sont très différentes selon qu’ils bénéficient ou non d’un logement social.
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Prêts Locatifs à Usage Social.
UNE OUVERTURE CROISSANTE DU PARC SOCIAL
AUX M
É
NAGES MODESTES ET D
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Sp
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cialisation du parc social de 1973
à
2013
(ré
partition des locataires par quartile de niveau de vie)
21%
25%
31%
37%
41%
43%
46%
45%
50%
31%
31%
31%
30%
28%
29%
29%
30%
29%
30%
28%
25%
23%
21%
20%
18%
19%
16%
19%
16%
13%
11%
10%
8%
7%
7%
5%
1973
1978
1984
1988
1992
1996
2002
2006
2013
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me quartile
3
è
me quartile
2
è
me quartile
1er quartile
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Après s’être penchée sur les bénéficiaires des logements, la Cour s’est intéressée à leur mode
d’attribution.
La liste d’attente du logement social compte 1,9 million de demandeurs, soit l’équivalent de
quatre années d’attributions.
Malgré des améliorations, la procédure d’attribution n’est ni assez efficiente, ni assez
transparente. Seule la moitié des organismes HLM déclare disposer de méthodes formalisées
pour la p
résélection des candidats et un quart d’entre eux seulement les rendent publiques.
En pratique, si le système d’attribution des logements permet de cibler de manière effective
les ménages à ressources modestes et relevant de catégories prioritaires, les ménages les
plus précaires accèdent avec beaucoup de difficultés ou n’accèdent pas du tout à un logement
social. En effet, le système d’attribution se révèle peu capable de proposer des solutions aux
ménages logés en hôtel, en résidence hôtelière à vocation sociale ou aux personnes sans
abri.
L’adéquation entre l’offre et la demande de logements sociaux a ensuite été examinée, tant
en termes immobiliers qu’en termes financiers.
Le parc social se révèle souvent inadapté aux besoins réels des demandeurs.
D’une part, l’inertie du patrimoine immobilier l’empêche de s’adapter rapidement aux
évolutions de la demande. Les localisations du parc peinent à évoluer au gré des
déplacements de l’emploi : les zones tendues ne disposent que de 53 % de l’offre, pour tra
iter
73 % de la demande.
DES ATTRIBUTIONS DE LOGEMENT SOCIAL
PLUS DIFFICILES POUR LES PUBLICS D
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FAVORIS
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re du logement
3,9
5,4
5,4
3,9
3,4
3,6
4,5
5,5
6,7
6,6
8,0
6,6
5,3
Ensemble
0
1 - 499
500 - 999
1 000 - 1 499
1 500 - 1 999
2 000 - 2 499
2 500 - 2 999
3 000 - 3 499
3 500 - 3 999
4 000 - 4 499
4 500 - 4 999
>= 5 000
Indicateur de pression par revenu selon l
unit
é
de consommation (en 2015)
Seul le prononcé fait foi
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Par ailleurs, la taille des logements n’est pas
toujours adaptée à la mutation du modèle familial,
ce qui entraîne à la fois des tensions sur les petits logements et des sous-occupations
chroniques.
Enfin, la Cour observe un dé
crochage entre des loyers en hausse tendancielle, sous l’effet
des livraisons de logements neufs, et la baisse constante des niveaux de revenus des
demandeurs.
Dans le cas des ménages les plus pauvres, les juridictions financières constatent une
inadaptat
ion structurelle de l’offre à la demande.
En effet, ni les aides personnelles au logement ni la mobilisation des logements sociaux les
plus accessibles financièrement ne permettent d’accueillir les ménages dont les ressources
sont inférieures à 30 % du revenu médian, qui représentent pourtant un demandeur de
logement social sur six. Leur seule issue est le recours aux dispositifs du logement d’insertion,
tels que les foyers ou les résidences sociales.
Enfin, la Cour a analysé le rôle de la politique du logement social dans la recherche de la
mixité sociale dans les quartiers et les villes.
Depuis 1998, la loi prévoit en effet un objectif de mixité sociale à l’échelle des villes et des
quartiers, auquel le logement social doit contribuer.
Or, pour atteindre ces objectifs, la répartition actuelle du parc social constitue à la fois une
difficulté et une opportunité.
DES DIFFICULT
É
S CONCENT
ES SUR LES QUARTIERS
À
FORTE PROPORTION DE LOGEMENTS SOCIAUX
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R
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partition des logements par type d
occupation en et hors Zone urbaine sensible (ZUS) (en 2013)
22%
63%
11%
4%
ZUS
propri
é
taire
occupant
locataire secteur
social
locataire logement
pri
autres (meubl
é
, loi
1948,
…)
60%
13%
21%
6%
Hors ZUS
Seul le prononcé fait foi
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Une difficulté importante tout d’abord, car la mixité au sein des quartiers prioritaires de la
politique de la ville est limitée par un déséquilibre entre les modes de logement.
L’importance du logement social y est en effet sans commune mesure avec les données
observées dans le reste du territoire. 63% des habitants des quartiers prioritaires habitent ainsi
dans un logement social, contre 13% en dehors. Cette situation place les organismes HLM
face à des responsabilités particulières, dans le cadre d’une approche globale dont les leviers
ne se limitent pas au logement social, puisqu’ils recouvrent tous les aspects de la politique de
la ville. A cet égard, les orientations visant à limiter la concentration des logements sociaux
dans ces quartiers ne sont pas encore suffisamment suivies d’effets
.
Mais la répartition de l’offre constitue aussi une opportunité pour assurer la mixité sociale s
ur
l’ensemble du territoire. En effet, plus des trois quarts des logements sociaux, dont 1,2 million
de logements à bas loyers, se situent en dehors des zones urbaines sensibles
ancien
découpage des quartiers prioritaires de la politique de la ville
. Pour faciliter leur mobilisation
en faveur des ménages défavorisés, un dispositif a d’ailleurs été prévu par la récente loi
relative à l’égalité et à la citoyenneté. Désormais, le quart des demandeurs les plus défavorisés
devra pouvoir accéder à un quart des logements sociaux dans les zones tendues.
Après avoir examiné la demande et l’offre de logements sociaux, notre institution s’est
interrogée sur l’efficacité relative des différents leviers qui sont à la disposition des pouvoirs
publics pour améliorer la politique du logement social.
En premier lieu, elle a analysé la pertinence de la politique de construction de logements
sociaux.
La construction dans le parc social a atteint un niveau historiquement élevé au cours des
années récentes : depuis 2009, elle dépasse les 100 000 unités par an (contre 60 000 en 2001
UN NIVEAU HISTORIQUEMENT
É
LEV
É
DANS LA CONSTRUCTION DE LOGEMENTS SOCIAUX
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re du logement
56
56
61
73
77
96
92
99
120
130
116
103
117
106
109
130
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016
(p)
Nombre de logements finan
s depuis 2001 (en milliers par an)
Seul le prononcé fait foi
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et en 2002) et s’est élevée à près de 130 000 en 2016. Cet effort représe
nte un coût important
pour les finances publiques, de l’ordre de 7,8 Md€ par an.
Plusieurs éléments remettent néanmoins en question la pertinence de cette dynamique.
Tout d’abord, elle ne répond pas de façon suffisamment ciblée aux besoins les plus impo
rtants
des ménages défavorisés, qui portent sur des logements de petites surfaces, à bas loyers et
dans les zones en tension.
Par ailleurs, la construction de nouveaux logements n’est
, semble-t-il ni le levier le plus efficace
ni le levier le plus efficient pour offrir plus de logements à la location.
Seul un ménage sur six accède au logement social par un logement neuf. Les autres, soit cinq
ménages sur six, n’y accèdent que grâce à la rotation du parc social.
Dans un ensemble de plus de 4,7 millions de
logements, il suffirait d’améliorer d’un point le
taux de mobilité
qui s’élève en moyenne à 9,7 %
- pour obtenir une offre supplémentaire
équivalente à la construction de 47 000 logements par an, sans que cela n’entraîne de coû
ts
pour les finances publiques.
Pourtant, on observe une dynamique inverse : le taux de rotation a enregistré une baisse
préoccupante au cours des quinze dernières années. L’ancienneté moyenne dans le logement
est désormais de treize ans dans le parc social, contre sept ans dans le parc privé.
Il en résulte un paradoxe frappant
: entre 2002 et 2013, l’effort de construction a augmenté le
parc social de plus de 600 000 logements ; dans le même temps, le nombre d’attributions par
année a diminué de 70 000.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation.
Les dispositifs qui doivent inciter les locataires dont les revenus dépassent les plafonds de
ressources à quitter le parc social
2
sont à la fois peu utilisés et peu efficaces. Par ailleurs, les
sorties du parc social ne sont pas suffisamment encouragées par une articulation efficace avec
les autres outils de la politique du logement, qu’ils soient en faveur de l’accession à la propriété
ou à des locations abordables dans le parc privé.
Avec la construction et la mobilité au sein du parc social, la fixation des loyers constitue le
dernier levier analysé.
Très encadré, le mode de fixation des loyers a le mérite de sécuriser le modèle économique
du logement social : les bailleurs sociaux sont globalement en bonne situation financière.
Toujours au niveau global, le niveau des loyers garantit un avantage certain aux locataires
sociaux par rapport à ceux du parc privé. La Cour a ainsi établi à environ 40% l’écart moyen
entre les loyers sociaux et les loyers du marché, et même à 50% en Ile-de-France
3
.Toutefois,
la Cour a relevé à l’égard de la politique des loyers plusieurs limites importantes.
Pour commencer, la dispersion des prix constatée est liée au mode de financement d’origine
de chaque opération, et non à la qualité actuelle des services rendus.
2
Supplément de loyer de solidarité, perte du droit au maintien dans les lieux.
3
C
et avantage pouvant être chiffré de façon globale à environ 13 Md€ par année.
Seul le prononcé fait foi
9
Dans le même temps, la politique des loyers épouse imparfaitement la capacité d’effort des
locataires. Seule la moitié des locataires voit varier son loyer en fonction de son niveau de
revenu, grâce aux dispositifs des aides personnelles au logement pour les ménages les plus
modestes et du supplément de loyer de solidarité pour ceux dont les revenus sont les plus
élevés.
Enfin, la politique des loyers n’est cohérente ni avec les orientations d’urbanisme des
collectivités locales, ni avec
leurs efforts en faveur d’un me
illeur équilibre de peuplement.
En se fondant sur les constats que je viens d’évoquer, dont je rappelle qu’ils sont partagés par
l’ensemble des parties prenantes interrogées, les juridictions financières formulent quatre
con
clusions portant sur l’efficacité et l’efficience, et donc
in fine
la pertinence de la politique
publique du logement social.
Elles formulent également quelques
orientations pour l’avenir.
Je voudrais à présent vous faire part rapidement de ces conclusions et de ces
recommandations.
La première conclusion est la suivante : la politique publique du logement social ne permet
pas de loger dans des délais raisonnables tous les publics éligibles.
Malgré l’importance du parc social, l’accès au logement est lo
ng et complexe, ce qui ne lui
permet pas de satisfaire les exigences de délai d’une partie des demandeurs.
En particulier, la politique du logement social n’atteint que très partiellement son objectif
premier, qui est d’améliorer les conditions d’habitat
des publics modestes et défavorisés.
En effet, si le parc social accueille de plus en plus de ménages aux revenus très modestes, à
peine 40% de sa capacité est consacrée aux ménages de locataires dont les revenus sont
inférieurs au seuil de pauvreté.
Enfin, il se trouve impuissant à accueillir les ménages dont les ressources sont inférieures à
la moitié du seuil de pauvreté et qui relèvent davantage des dispositifs d’insertion.
La deuxième conclusion, c’est que l’inertie du parc social, dont les logement
s sont conçus pour
durer au moins 40 ans, limite sa capacité d’adaptation à des besoins qui évoluent sous l’effet
des déplacements de l’emploi, des mutations de la famille et de la paupérisation de la
demande. À cet égard, je voudrais citer une donnée particulièrement significative : en Ile-de-
France, la demande de petits logements de type « T1 » correspond à 14 fois la capacité
d’attribution annuelle.
L’inertie de l’offre rejoint également celle de l’occupation, puisque l’attribution d’un logement
social conduit en pratique à « remettre les clés à vie » au bénéficiaire.
Cette inertie s’explique notamment par le fait que, pour répondre à la demande, la politique du
logement social a fait le choix de se tourner davantage vers la construction neuve plutôt que
vers une gestion active du parc existant. C’est notre troisième conclusion.
Si l’augmentation de la rotation au sein du parc social fait partie des objectifs affichés par les
pouvoirs publics, les dispositifs existants sont d’un impact réduit et il n’ex
iste aucune incitation
Seul le prononcé fait foi
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pour les bailleurs à accroître la mobilité de leurs locataires. Pourtant, ce deuxième levier
s’avérerait davantage efficace pour augmenter l’offre de logements rapidement et sans coût
pour les finances publiques.
Notre dernière conclusion porte sur la gouvernance de la politique publique du logement
social. Celle-ci doit trouver une cohérence au niveau territorial.
En effet, la politique du logement social demeure perçue par ses acteurs comme très
centralisée et mal adaptée à la diversité des caractéristiques et des besoins des territoires.
Un consensus se dégage clairement en faveur d’une gouvernance de la politique du logement
social plus proche des besoins locaux, au niveau des bassins de vie : les acteurs soulignent
à cet é
gard la pertinence de l’échelon intercommunal pour arrêter les choix en matière de
construction et d’attribution de logements.
En définitive, pour améliorer les résultats effectifs de la politique du logement social, la Cour
et les chambres régionales des comptes proposent trois grandes orientations, déclinées en
treize recommandations. J’en citerai quelques
-unes pour clore mon propos.
Première orientation
: pour espérer atteindre réellement l’objectif premier que lui assigne la loi,
le logement social doit mieux cibler les publics modestes et défavorisés.
C’est l’objet des quatre premières recommandations du rapport, qui proposent notamment
d’abaisser les plafonds de ressources permettant de bénéficier d’un logement social, en
priorité dans les zones tendues et en tenant compte de la diversité des territoires et des
exigences liées à la mixité sociale.
La Cour propose en outre que soit augmentée la part des publics les plus modestes dans les
logements sociaux situés en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Par
ailleurs, elle préconise une meilleure articulation entre logement social et logement d’insertion.
Deuxième orientation, largement partagée par les parties prenantes : le logement social doit
proposer plus de logements à la location.
À
cet égard, le rapport souligne l’intérêt d’améliorer la rotation au sein du parc social, par un
système d’incitation financière à destination des bailleurs sociaux. En outre, la Cour
recommande de renforcer sensiblement le supplément de loyer de solidarité pour inciter les
ménages qui ont dépassé les plafonds de ressources à quitter le logement social. Elle
recommande aussi, dans les zones tendues, d’introduire des baux à durée limitée, dont le
renouvellement permettra un réexamen de la situation des ménages.
Bien entendu, un certain effort de construction demeurera nécessaire, mais il devrait être
davantage ciblé sur les besoins réels en bénéficiant aux ménages les plus modestes, en
particulier dans les zones tendues et en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la
ville.
J’en viens enfin à la dernière orientation retenue par la Cour, qui est d’accroître la transparence
de la politique du logement social et de la piloter au niveau local.
Dans cette perspective, les procédur
es d’attributions devraient reposer sur des critères
formalisés et rendus publics. Par ailleurs, les décisions individuelles d’attribution des
Seul le prononcé fait foi
11
logements devraient être mutualisées entre réservataires, sous l’égide des conférences
intercommunales du logement.
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Mesdames, messieurs,
Pour analyser les résultats effectifs d’une politique aussi complexe et lourde d’enjeux que le
logement social,
nous nous sommes efforcés d’
adopter une approche innovante, reposant sur
une participation forte de toutes les parties prenantes.
Grâce à cette participation, mais aussi à l’application du principe incontournable des
juridictions financières qu’est la contradiction, nous pouvons affirmer q
ue les constats publiés
aujourd’hui sont partagés par tous. Ils forment le socle solide de nos conclus
ions et de nos
recommandations.
Ces dernières n’ont pas vocation à remettre en cause l’équilibre économique du secteur du
logement social, et ne supposent pas davantage de financements publics supplémentaires.
Elles visent à permettre à cette politique et à ce patrimoine, constitué par la Nation, de
répondre pleinement à l’objectif premier que lui assigne la loi
: l’amélioration des conditions
d’habitat d
es personnes de ressources modestes ou défavorisées.
Je vous remercie pour votre attention et me tiens à votre disposition, avec les magistrats qui
m’entourent, pour répondre à vos questions.