1
1
CONSEIL DES PRELEVEMENTS OBLIGATOIRES
RAPPORT PARTICULIER
LES ENJEUX BUDGETAIRES ET ECONOMIQUES DE LA REFORME
DE L’IMPOSITION DES
REVENUS DES MENAGES
PARTIE 2 : ENJEUX ET PRINCIPES
D’UNE
REFONTE DU SYSTEME REDISTRIBUTIF FRANCAIS
Olivier BARGAIN
Professeur de Sciences Economiques, Aix-Marseille Université,
et Directeur scientifique de l’Institut d’Economie Publique
-----------------------
Octobre 2014
(Cette note a été établie sous la seule responsabilité de ses auteurs.
Elle n’engage pas le
Conseil des prélèvements obligatoires).
2
2
SYNTHESE
Notre analyse
montre qu’une réforme d’envergure destinée à sauver l’
impôt sur le revenu
(IR) passe nécessairement par deux réformes fondamentales de notre système de
prélèvement : une extension de la base imposable et une « contemporanéisation » du
paiement de l’impôt. Ces deux réformes ne
se résument pas à une suppression des niches
fiscales et au paiement à la source. Dans la première réforme, certaines niches peuvent être
simplement « sorties
» de l’IR p
our redonner à ce dernier une crédibilité en tant que grand
impôt citoyen juste et efficace ; elles deviennent
des dépenses explicites qu’il conviendrait
d’évaluer au cas par cas (coût, utilité publique, efficacité). Dans
la seconde, un paiement
contemporain au revenu peut
prendre la forme d’un
prélèvement à la source (par « tiers
payeurs »)
ou bien d’un prélèvement direct par les services fiscaux
.
Un IR à base large serait perçu comme un impôt ne créant pas d’exception ou de privilège,
un impôt citoyen ju
ste. Un IR contemporain aux revenus permettrait de s’adapter à la
situation présente des ménages. Un IR juste et efficace augmenterait donc très certainement
l’
adhésion
populaire au paiement de l’impôt et inverserait la tendance actuelle à un «
haut-
le-
cœu
r fiscal
» qui n’est pas lié qu’au niveau d’imposition.
Un IR reposant sur une assiette large marquerait une rupture de trajectoire par rapport à
l
’augmentation continue de la CSG
des vingt dernières années
: l’IR retrouverait un
rendement fiscal supérieur, redevenant le mode de prélèvement obligatoire direct
principal, laissant à la CSG le soin de collecter uniquement certaines recettes de sécurité
sociale pour lesquelles un impôt proportionnel est acceptable.
Un IR contemporain
redonnerait à l’impôt son r
ôle de stabilisateur automatique en cas de
choc macroéconomique ; dans son versant « impôt négatif », il jouerait également ce rôle de
stabilisateur en redistribuant instantanément aux ménages dont le revenu de marché
diminue ; il permettrait également de piloter en temps réel des actions ciblées sur certains
niveaux de revenu.
Les modalités de transition vers un tel impôt citoyen sont multiples. On peut penser à un
abandon complet de l’IR et l’adoption d’une super
-CSG, qui profite déjà de ces deux
caractéristiques fondamentales (base large et prélèvement contemporain aux revenus). Il
faudrait cependant rendre cette super-CSG progressive, et donc redéfinir un barème du
type
de
celui
utilisé
aujourd’hui
pour
l’IR.
Un
prélèvement
progressif
n’est
constitution
nellement viable que s’il tient compte de la capacité contributive des ménage
s,
et cette super-CSG progressive devrait donc tenir compte de la composition familiale. Nous
proposons donc des pistes de réflexion sur le traitement de la famille et du couple, en
partant des dispositifs actuels associés à l’IR
: le quotient familial et le quotient conjugal.
Une refonte de l’IR (barème, déc
ote, assiette) et de la CSG exige également une réflexion
plus large sur l’ensemble du système socio
-fiscal, et notamment su
r l’articulation entre
prélèvements obligatoires et transferts vers les bas revenus, que ce soit
sous forme d’aides
sociales (RSA, Allocations logement) ou de crédits d’impôt (PPE). Nous analysons les
avantages et inconvénients des dispositifs actuels et proposons une intégration de ces aides
dans un dispositif unifié, redistributif et incitatif, visant à corriger le taux de non-recours
très élevé du RSA activité.
3
3
Table des matières
Introduction
...................................................................................................................................................................
5
1.
Les grandes directions de réforme du système fiscal français
........................................................
6
1.1.
Première réforme indispensable pour sauver l’IR
: Elargir sa base imposable
.............
7
1.1.1.
Principes généraux
.........................................................................................................................
7
1.1.2.
Le plafonnement des niches et ses limites
...........................................................................
8
1.1.3.
Dépenses fiscales : pistes de réforme
.....................................................................................
9
1.1.4.
Fiscalité des revenus du capital
.............................................................................................
10
1.1.5.
Fiscalité des revenus de remplacement
.............................................................................
12
1.1.6.
Mettre les deux impôts en cohérence
..................................................................................
12
1.1.7.
Nécessité d’une évaluation
en continue
.............................................................................
14
1.2.
Seconde réforme indispensable: « contemporanéiser
» le recouvrement de l’IR
......
14
1.2.1.
Une réforme nécessaire pour trois grandes raisons
.....................................................
15
1.2.2.
L’ambiguïté du prélèvement à la source «
par tiers payeurs »
.................................
16
1.2.3.
Gérer la transition, entre risques et gains potentiels
....................................................
18
1.3.
Scénarios de réforme
de l’IR et de la CSG
....................................................................................
19
1.3.1.
Vers un grand IR
citoyen avec ou sans coexistence de la CSG
..................................
19
1.3.2.
Une « super CSG » nécessiterait de nombreux aménagements
................................
22
1.3.3.
Evaluer les grands scénarios de réforme de façon comparable
...............................
24
1.3.4.
Faisabilité politique et effets redistributifs
.......................................................................
25
2.
Les grands paramètres de l’
impôt citoyen
...........................................................................................
26
2.1.
Equité verticale et progressivité d’ensemble
.............................................................................
26
2.1.1.
Progressivité de tous les prélèvements obligatoires
et de l’ensemble IR
-CSG... 26
2.1.2.
Un barème linéaire par morceaux reproduit le système redistributif actuel
.....
28
2.1.3.
Super-tau
x d’imposition et réponses comportementales des hauts revenus
.....
32
2.2.
Equité horizontale et traitement de la dimension familiale
................................................
33
2.2.1.
Le Quotient Familial : principes généraux
.........................................................................
33
2.2.2.
Avantages (théoriques) du Quotient Familial
.................................................................
34
2.2.3.
Critique et pistes de réforme du Quotient Familial
.......................................................
35
2.2.1.
Echelles d’équivalence globales du système socio
-fiscal
............................................
37
2.2.2.
Les alternatives au Quotient Familial
..................................................................................
43
2.3.
Conjugalisation de l’impôt, entre équité et incitations au travail
......................................
44
2.3.1.
Impôt individualisé ou Quotient conjugal: une comparaison
...................................
45
2.3.2.
Autres éléments de comparaison
..........................................................................................
46
4
4
2.3.3.
Retour sur l’argument incitatif lié
au travail des femmes
...........................................
48
2.3.4.
Des pistes de réformes intermédiaires
...............................................................................
52
2.4.
Acceptabilité de la politique fiscale et discussio
ns sur l’ impôt européen
....................
54
2.4.1.
Simplicité, lisibilité, communication et stabilité
.............................................................
54
2.4.2.
Penser l’impôt dans le cadre eur
opéen
...............................................................................
57
3.
Articulation des politiques socio-fiscales et la question des bas revenus
...............................
58
3.1.
Un bilan sur les principales politiques de soutien aux bas revenus
.................................
59
3.1.1.
Prime pour l’Emploi (PPE)
......................................................................................................
59
3.1.2.
Revenu de Solidarité Active (RSA)
.......................................................................................
62
3.1.3.
Allocations Logement (AL)
......................................................................................................
65
3.2.
Prélèvements et aides sociales: une mise en perspective
....................................................
66
3.2.1.
Différents mécanismes de soutien aux revenus modestes
.........................................
66
3.2.2.
L’impact relatif des prélèvements et des aides sur les revenus intermédiaires
67
3.2.3.
D’autres dispositifs souvent cités mais finalement modestes
...................................
71
3.2.4.
Les réformes de court-terme passent par une intégration des dispositifs
..........
74
3.3.
Enjeux et suggestions pour une refonte des politiques d’aide aux bas revenus
.........
75
3.3.1.
« Trappes à inactivité » et bilan incitatif du RSA
............................................................
75
3.3.2.
Condition
de
ressources
individuelles
ou
conjointes:
redistribution
vs.
incitation
.............................................................................................................................................................
78
3.3.3.
Un point sur la CSG progressive
.............................................................................................
81
3.3.4.
Un point sur la «
Prime d’Activité Sirugue
»
.....................................................................
81
3.3.5.
Pour une aide aux bas revenu née de la fusion RSA-PPE-AL
.....................................
82
5
5
Introduction
Cette seconde partie du rapport économique vise à présenter les enjeux, les grands
principes et les options possibles d’une refonte du système redistributif français et
particulièreme
nt de l’IR et de la CSG. Ces éléments de réflexion peuvent ultérieurement
servir de point d’appui à un chiffrage par microsimulation de réformes, qui n’a pu être
réalisé ici du fait d’un temps d’analyse très court et parce que ce chiffrage requiert
d’impor
tantes ressources (utilisation intensive des modèles de microsimulation des
différents ministères concernés).
Nous supposerons que les objectifs d’une grande réforme de l’impôt (au sens large)
sont
multiples, parfois contradictoires mais répondant tous au souhait de rendre le système
socio-fiscal français juste, efficace et politiquement viable. Cette refonte du pacte fiscal
inclue
notamment la volonté d’accroître la cohérence, la lisibilité et la transparence d
es
mécanismes redistributifs ;
d’ajuster le niveau de progressivité de l’impôt
et de
conditionnalité des transfert au degré de justice sociale souhaité par les français.
ainsi qu’à
l’équilibre souh
aité entre efficacité et équité
; de se doter d’institutions modernes
permettant une réactivité conjoncturelle et une meilleure adéquation à certains objectifs
spécifiques comme les incitations au travail.
La lettre de saisine signée par M. Philippe Marini, président de la commission des finances
du Sénat, précise que l’étude devra porter sur « l’élargissement de l’assiette de l’imposition
des revenus, en examinant la faisabilité technique et juridique d’une fusion des assiettes de
l’impôt sur le revenu et la contribution sociale généralisée (CSG). » Elle devra « déterminer
si cette fusion pourrait permettre d
e faire évoluer le partage actuel entre l’imposition des
revenus au taux proportionnel et l’imposition en fonction d’un barème progressif ». A
défaut de fusion, le rapport devra également étudier « dans quelle mesure un tel barème
progressif pourrait être appliqué aux revenus soumis à la CSG ».
L’essentiel de notre analyse portera donc sur l’impôt sur le revenu (IR)
et la contribution
sociale généralisée (CSG).
1
L’enjeu principal de la réforme, tel qu’exposé
dans la
première
partie
, consiste en une double mesure qui consisterait à élargir la base imposable du nouvel
impôt
d’une part, et à rendre l’impôt contemporain
aux revenus d’autre part. La manière d‘y
parvenir, que ce soit un grand IR, une super CSG ou une coexistence des deux instruments,
est un choix
politique qui peut s’appuyer sur des études précises
concernant les scénarios
de transition. Nous nous concentrons plus sur les
grands principes et l’architecture du
système auquel on aboutit que sur le chemin emprunté.
La
second partie
s’attache
ensuite à analyser les différents paramètres sur lesquels le
législateur doit nécessairement s’exprimer
pour réformer ou réinviter un impôt citoyen
moderne: équité verticale et
progressivité d’ensemble
; équité horizontale et prise en
compte du couple et de la famille ; transparence, lisibilité et
consentement à l’impôt
. Il est
particulièrement important de clarifier les termes du débat concernant le traitement de la
famille. Nous partons de la situation actuelle, à savoir le traitement des enfants à charge par
le système par quotient familial, et la fiscalité des couples dans le système de quotient
conjugal. Nous discutons également les aspects administratifs conduisant à améliorer le
consentement
à l’impôt.
Notre analyse porte avant tout sur les prélèvements obligatoires, tel qu
’il est suggéré
dans
la lettre de saisine. Cependant, dans la
troisième partie
, notre analyse s’étendra également
aux aides sociales (transferts de type impôt négatif - PPE et RSA
–
ou autres aides dont
l’effet redistributif
et incitatif est souvent ignoré, comme les Allocations Logement). En
1
On comprendra implicitement sous l’appellation CSG cette dernière et ses contributions "sœurs" (CRDS, CASA,
prélèvement social).
6
6
accord avec le Président de la Commission des finances et son rapporteur général, le
sénateur François Marc, cet élargissement sera réalisé pour mieux comprendre les enjeux
et les principes d’une refon
te
d’ensemble
de notre système redistributif; pour proposer une
meilleure articulation de ces instruments
entre eux et avec l’IR/CSG, lorsqu’il s’agit de
combiner le double objectif de lutte contre la pauvreté et de maintien des incitations au
travail ; po
ur respecter la cohérence d’ensemble de notre système socio
-fiscal et des
critères d’équité verticale et horizontale
sur lesquels il repose.
La conclusion principale de ce rapport est que même si des réformes radicales de type
fusion CSG-IR, ou abandon de
l’IR
, ne se produisent pas à court terme, une coexistence IR-
CSG reste parfaitement acceptable dans la mesure où l’on redonne son rôle à chacun des
deux impôts et où l’on règle les deux grands problèmes de l’IR, à savoir qu’on élargisse sa
base imposable
et qu’on
élimine son décalage temporel. Ces deux réformes sont la condition
nécessaire pour un impôt juste, efficace et gagnant l’adhésion des français
. Elles ne
devraient donc pas être reléguées derrière des débats techniques (prélèvement à la source)
ou de principe (quotient familial).
Bien sûr on peut régler ces deux grandes
questions d’un coup en supprimant l’IR et en
faisant d
’une super
CSG le nouvel impôt citoyen, mais ceci requerrait nécessairement de
rendre la CSG progressive et d’introduire un trai
tement approprié de la dimension
familiale. On voit donc bien que quelle que soit la transition vers cet impôt citoyen
moderne, il est important de clarifier les enjeux et les grands principes concernant la
progressivité d’ensemble
du système et le traitement de la famille.
Concernant la progressivité, notre analyse montre que le problème principal de la
progressivité se pose pour les hauts revenus et qu’il s’agit avant tout d’un problème
d’assiette étroite
; ensuite,
l’architecture d’ensemble de nos dispo
sitif socio-fiscaux peut
s’appuyer sur un impôt
finalement très simple, rendant plus transparent le degré de
redistribution verticale que l’on souhaite opérer
.
Concernant la famille, nous montrons que des ajustements du système socio-fiscal sont
possibles à peu de frais, permettant de trouver un meilleur arbitrage entre différents
objectifs parfois contradictoires. C’est par exemple le cas du quotient conjugal pour lequel
un meilleur arbitrage est possible entre les critères en sa faveur (équité horizontale) et
ceux justifiant son abandon (équité verticale, incitations). Nous mettons également l’accent
sur le fait que le problème de désincitation du travail des femmes mariées semble moins
aigu parmi les contribuables, et donc moins lié au quotient conjugal, que pour les ménages
modestes bénéficiaires d’aides conditionnées sur le revenu familial.
Enfin, la redistribution vers les bas revenus et le maintien des incitations au travail
nécessitent une simplification et une harmonisation du système redistributif dans cette
partie de la distribution (fusion PPE-RSA-Allocations Logement) tout en évitant les écueils
actuels de ces dispositifs. On veillera à éviter également une CSG progressive qui se
superposerait à un IR progressif en rendant le système encore plus opaque. Maintenir de
fortes incitations au travail, passe avant tout par une refonte du barème de sortie du RSA et
des Allocations Logement (
plus que par une baisse de l’IR ou de la CSG pour des individus
payés autour du SMIC).
Un système unifié s’appuyant
sur le modèle britannique
d’un crédit
d’impôt intégré permettrait de rendre l’aide social
e plus automatique et de limiter ainsi les
barrières administratives responsables du non-recours massif au RSA activité.
1.
Les grandes directions de réforme du système fiscal français
Nous analysons les grandes directions de réforme de l’ensemble IR
-CSG. Ces scénarios
incluent un grand IR (avec abandon de la CSG), une super
CSG (avec abandon de l’IR et un
e
CSG rendue progressive) ou une coexistence des deux instruments - coexistence passive (le
7
7
statu quo) ou dans laquelle l’IR recouvrerait sa prépondérance. Il ressort de notre analyse
que ces différentes réformes diffèrent dans leur « packaging », dans les modalités de
transition, mais pas fondamentalement dans la structure du système auquel on veut
aboutir. Dans tous les cas, il sera donc
nécessaire de s’accorder sur les paramètres associé
s
aux critères d’équité verticale, d’équité horizontale, de lisibilité et de potentiel incitatif du
dispositif optimal auquel on veut parvenir - nous discutons ces grands principes en seconde
partie.
Quel que soit le scénario où
l’IR reste en vie
(un grand IR ou une coexistence avec la CSG), il
nous semble indispensable de réaliser deux réformes fondamentales
: d’une part
l’élargissement de l’assiette de l’IR, d’autre part rendre l’IR contemporain au revenu
. Ces
réformes sont souvent présentées comme préalables à une fusion IR-CSG mais leurs enjeux
sont probablement bien plus importants que cette fusion. Nous commençons donc notre
exposé par ces réformes prioritaires visant à faire de
l’IR
un impôt moderne, juste et
efficace.
2
L’agenda d'une refonte de l’ensemble
IR-CSG appelle également une évaluation du chemin
déjà parcouru grâce aux réformes mises en place depuis 2012 et de la distance restante
jusqu’à IR prélevé sur une assiette large et sur les revenus courants.
1.1.
Première réforme indispensable pour sauver l’IR
: Elargir sa base imposable
1.1.1.
Principes généraux
Une assiette étroite réduit le rendement fiscal et le degré de progressivité de
l’IR
. Le principal
problème de l’IR
réside dans le fait que son assiette est mitée par un grand nombre
d’exceptions,
notamment plus de 400 niches ou dépenses fiscales, qui diminuent à la fois
son rendement fiscal, son potentiel redistributif et par la même
, l’adhésion populaire
à un
prélèvement perçu comme injuste et inefficace.
3
Nous proposons une analyse de la
progressivité de l‘ensemble des prélèvement
s en section 2.1.1.
Un plafonnement des avantages fiscaux entrés en vigueur en 2009 ainsi que la prise en
compte de certains revenus du capital dans
l’assiette de l’IR
depuis 2012 vont dans la
direction souhaitée mais présentent des limites.
Le graphique 1 présente les avantages fiscaux (ensemble des crédits et réductions
d’impôts) sous les législations de
1990, 1998 et 2009, par décile de niveau de vie de
référence. On voit que
les avantages fiscaux augmentent avec le revenu, puisqu’ils ne
profitent qu’aux contribuables et de façon disproportionnée aux plus haut revenus,
expliquant en partie la régressivité
des taux effectifs d’imposition illustré
e sur le graphique
3 que nous discuterons en 2.1.1.
4
D’autre part, on observe une
hausse régulière de ces gains
fiscaux pour les déciles supérieurs au cours du temps.
Ces estimations s’arrêtent en 2009.
Il
est donc nécessaire de les
actualiser et d’évaluer comment le plafonnement des niches
2
Notre point de vue est donc moins pessimiste quant aux possibilités de réformer l’IR,
et notamment l’idée que
«
l’IR est mort
» (audition de Camille Landais au CPO, 10 juillet 2014) ou pas réformable, cf.
Camille Landais,
Thomas Piketty et Emmanuel Saez (2011) : « Pour une révolution fiscale », Éditions du Seuil et La République des
Idées.
3 De notre définition de niche ou dépense fiscale, il faut exclure le quotient familial qui consiste en un mécanisme
d’application du principe
d’équité horizontale. C’est le point de vue retenu dans
: H. Guillaume (2010) : « Rapport
du Comité d’évaluat
ion des dépenses fiscales et des niches sociales », qui propose un recensement exhaustif des
dépenses socio-
fiscales. Il faut également exclure la PPE, considérée par l’IGF comme une niche fiscale, mais qui
constitue en fait un impôt négatif.
4
Nous utilis
ons le terme régressivité comme l’inverse de la progressivité. Le terme dégressivité est parfois retenu.
8
8
fiscales et l’intégration de certains revenus du capital dans l’assiette de l’IR changent la
distribution des avantages fiscaux.
Graphique 1 : Avantages fiscaux par déciles de niveau de vie de référence
Source : graph n°18 de CPO (2011).
1.1.2.
Le plafonnement des niches et ses limites
Le plafonnement : une intention louable. La Loi de Finances pour 2009 a introduit un
dispositif de plafonnement global des réductions et crédits
d’impôt qui, depuis, a été chaque
année modifié.
Le dispositif limite l’avantage gl
obal obtenu par foyer fiscal à 25 000 euros +
10 % du revenu imposable du foyer fiscal en 2009, 20 000 + 8 % en 2010, 18 000 + 6 % en
2011, 18 000 + 4 % en 2012. Depuis 2013
, le dispositif limite l’avantage global par foyer
fiscal à 10 000 euros.
Le plafonnement a créé de fait une imposition minimum que les parlementaires n'étaient
pas parvenus à voter, en proposant l'IMA (l'impôt minimum alternatif), un barème plancher
perme
ttant d’
assujettir les bénéficiaires de niches fiscales "à un impôt minimum respectant
la progressivité de l'impôt sur le revenu", basé sur les deux précédents de l'AMT américain
(
Alternative minimum tax
) et de l'IMR canadien (Impôt minimum de remplacement).
Les limites du plafonnement
: bloquer l’effet des niches de façon indifférenciée et provisoire.
Nous passons en revue les limites de ce mécanisme. Premièrement, le plafonnement des
niches fiscales n'a pas d'effet rétroactif. Seules les opérations commencées en 2013 se
voient soumises au nouveau plafond de 10 000 euros. Notons aussi que des exceptions
demeurent. Le plafond de 10 000 euros est porté à 18 000 euros pour les investissements
9
9
outre-mer (loi Girardin) et ceux réalisés dans les Sofica (fonds servant à financer des
œuvres cinématographiques
). Les
réductions d'impôt prévues au titre d’opérations de
restauration immobilière "Malraux" et d’i
nvestissement Monuments historiques sont exclus
du plafonnement. De plus, certains types de revenus du capital
continuent d’être exonérés
d’IR
, constituant par la même des niches fiscales (voir section 1.1.4).
Deuxièmement, le plafonnement est dans la même logique (mais avec des objectifs
inverses) que des mesures de type bouclier fiscal. Le bouclier permet d’évit
er un taux
supérieur d’imposition trop haut sur les hauts revenus, tandis que le plafonnement des
niches permet au contraire de limiter les baisses d’impôt trop importantes notamment pour
les hauts revenus. Dans les deux cas, on nivelle (par le haut ou par
le bas) l’impôt à payer
sans s’occuper de la logique sous
-jacente de chacun des impôts qui constituent le taux
global, et sans cohérence avec les niveaux d’imposition pour les revenus juste
au-dessus
(pour le bouclier) ou juste en-dessous (pour le plafonnement) des seuils où ces
nivellements entrent jeu.
Troisièmement, le problème du
plafonnement n’est pas seulement qu’il s’agit d’un
abaissement pratiquement proportionnel, et donc indifférencié, sur toutes les niches. Il
apparaît aussi comme une mesure provisoire. En effet,
plafonner l’avantage accordé
globalement par l’ensemble des niches réduit momentanément le coût pour les finances
publiques, mais les dispositifs demeurent et peuvent être réactivé à tout moment en levant
ce plafonnement, mitant à nouve
au la base imposable de l’IR.
A
utant de mesures dérogatoires serait le signe d’une démocratie capable d’opérer une
redistribution sophistiquée. Cet argument en faveur du maintien de certaines niches
fiscales ne nous semble pas
correct dans la mesure où, d’une part, il n’y a pas d’évaluation
publique ni du degré de redistribution effectué par chaque niche,
5
ni
de l’efficacité de ces
niches au regard des objectifs qu’on leur a désigné.
1.1.3.
Dépenses fiscales : pistes de réforme
Bouclier fiscal ou plafonnement des niches : la hache qui cache la forêt. Dans le cas du
bouclier, on veut éviter des
taux d’imposition globaux
trop hauts, mais il serait plus logique
de définir le barème des différents impôts composant ce taux global de manière à atteindre
un maximum jugé raisonnable. On voit là
l’avantage de fusionner
les différents impôts : il
n’y aurait plus besoin de fixer de taux plafond
puisqu
’il s’agirait simplement d’ajuster
le
barème du grand impôt citoyen.
Avec la même logique dans le cas des niches, il serait plus raisonnable de (re)
définir l’utilité
de chaque niche et de plafonner éventuellement son impact, c'est-à-dire le gain procuré
spécifiquement par une niche.
L’option la plus souhaitable, suggéré dans Trannoy (
2011),
semble cependant la suivante : dans un premier temps, « sortir » complétement les niches
du barème de l’impôt pour en faire des aides ciblées, c'est
-à-dire des transferts explicites
détachés du système fiscal ; dans un second temps, évaluer l
’utilité
sociale de chaque
dépense et son efficacité-c
oût à l’aune de l’objectif social qu’on s’est fixé.
6
Sortir les niches fiscales de l’IR
. Remplacer les niches fiscales par des aides directes aurait
pour effet de les comptabiliser comme des dépenses publiques. Ceci semble en apparence
aller à l’encontre de l’effort actuel de réduire le coût de fonctionnement de l’Etat de
50 milliards sur trois ans. Au contraire,
il s’agit de subventions ciblant certains types de
5
L’information publique sur les niches fiscales s’est améliorée grâce aux documents annexes au projet de loi de
finances (PLF) qui essaient de chiffrer ces niches
; pour une large majorité d’entre elles, on ignore cependant les
montants en jeu et le degré de redistribution qui s’opère.
6 Alain Trannoy (2011): «
On entend dire que…il faut une révolution fiscale
», Éditions Eyrolles, Les Echos.
10
10
ménages
et certains types d’effet social,
et il serait donc plus intéressant de les intégrer
dans la liste des dépenses publiques à évaluer et à rationaliser en les mettant directement
en concurrence avec
d’autres
dépenses étatiques. Les services concernés (logement,
emploi, outre-mer, culture) devraie
nt alors apprécier l’efficacité
-coût des aides par rapport
à l’ensemble des services publiques
pour justifier leur maintien éventuel.
Trois types de niches sont alors à considérer. Premièrement, celles dont le gain social n’est
pas avéré et qui peuvent être supprimées ou sévèrement limitées. Un certain nombre de
niches ont ainsi été supprimées depuis 2012, mais il en reste beaucoup. Deuxièmement,
celles ayant un but incitatif utile à la société (ex : augmenter les dons pour la recherche),
dans la mesure où leur efficacité rapportée au coût est jugée suffisante.
7
Celles-ci peuvent
être sorties de l’IR et devenir des aides ciblées, sous forme d’aides directes ou de
subvention. Troisièmement, les niches sociales doivent être aménagées. Celles qui
permettent d’évaluer la capacité contributive du ménage
en opérant des distinctions
suivant l’âge, la taille
du ménage
, le nombre d’enfants à charge dans le passé, la présence de
personnes âgées ou handicapées, la recomposition des familles, etc., doivent être intégrées
aux dispositifs existant (comme le quotient familial, pour les contribuables, ou le barème
des transferts sociaux, pour les moins riches). Celles qui compensent la faiblesse des
prestations sociales peuvent justement être recyclées en hausses équivalent de ces
prestations ou réintégrées dans le barème de l'IR.
L’acceptation de l’IR en dépend.
L’aspect le plus important pour le présent rapport est le fait
que ces dispositifs particuliers doivent intervenir
hors du contexte fiscal
puisqu’il s’agit
pour l’heure d’exceptions qui amenuise
nt
l’assiette de l’IR et nuisent à son acceptation
comme grand impôt démocratique. L
’IR actuel mélange ses propres objectifs
avec ceux,
spécifiques, de chaque niche fiscale. Enlever ces
dépenses de la base de l’IR permet à celui
-
ci de se reconcentrer sur son objectif propre - collecter des recettes fiscales en opérant une
redistribution - tout en clarifiant son potentiel de progressivité globale.
Les autres avantages sont les suivants. Evacuer les niches de la base imposable règle le
problème d’un plafonnement dont on peut
craindre qu’il ne soit que provisoire
. Les aides
ciblées qui subsistent bénéficieraient à tous et pas seulement aux personnes imposables.
Leur attribution serait déconnectée du revenu donc également moins régressive au sein des
contribuables. Enfin, ceci permettrait de générer des recettes fiscales supplémentaires, une
partie d’entre elles éventuellement affectées aux
nouvelles aides ciblés.
1.1.4.
Fiscalité des revenus du capital
Mesures récentes.
L’élargissement de l’assiette de l’IR passe également par la p
rise en
compte des revenus du capital.
L’abandon du prélèvement forfaitaire libératoire en 2013 a
permis d’aller dans ce sens et représente une réforme importante : les plus
-values,
dividendes et intérêts
de l’épargne sont maintenant soumis au barème de l’
IR (à l'exception
des intérêts de moins de 2000 euros par an), devant augmenter les recettes d
e l‘IR
de 4,5
milliards d’euros.
Cependant, c
ertains types de revenus du capital continuent d’être
exonérés.
Homogénéiser l’imposition des revenus
du capital. Le
taux d’imposition effectif du capital est
en moyenne beaucoup plus bas que celui du travail (tous prélèvements confondus). Les
loyers implicites, assurance-vie ou plus-values mobilières bénéfi
cient d’un traitement
nettement plus favorable que tous les autres revenus. Certains revenus du capital sont
cependant plus taxés que le travail : c’est le cas des intérêts ou des revenus fonciers qui ne
7 Celles d
ont les visées incitatives concernent l’épargne (ex
: inciter à une épargne de précaution) doivent être
redéfinies de façon coordonnée avec la taxation du capital. Voir Landais, Piketty et Saez (2011).
11
11
bénéficient pas de régimes dérogatoires, ou des dividendes si l’on intègre l’impact de
l’impôt sur les sociétés
(en
plus de l’IR et des prélèvements sociaux)
. Le constant est donc
surtout celui d’une grande hétérogénéité des taux d’imposition au sein des
revenus du
capital (voir graphique 2 du rapport Lefebvre et Auvigne (2014), Annexe 4, Graphique 1 :
«
taux moyen d’im
position selon le niveau de revenu de référence »).
8
L’imposition des revenus du capital bénéficie de
taux faibles en particulier pour
l’immobilier et l’assurance
-vie
. Certains revenus bénéficient d’abattements limitant leur
imposition à l’IR : les dividendes imposables à l’IR sont obtenus après un abattement de
40% permettant de limiter la double imposition à l’IR et à l’impôt sur les sociétés; les plus
-
values mobilières de moyen terme (détention entre 2 et 8 ans) et de long terme (détention
supérieure à
8 ans) bénéficient à la base d’abattements différenciés à l’IR de 50 % à 65 %
;
9
une exonération d'impôt - mais pas de prélèvements sociaux
–
demeure sur les revenus
d'épargne de long terme : PEL (la prime et les intérêts des 12 premières années sont
exonérés) et PEA (exonéré après 5 ans) notamment ; enfin, l'assurance-vie reste taxée en-
deçà de huit ans de détention (35% les quatre premières années, 15% les quatre
suivantes), mais conserve le bénéfice du prélèvement forfaitaire de 7,5% au-delà.
Une unific
ation des taux d’imposition est donc souhaitable et permettrait d’alléger les
prélèvements sur le travail. Le CAE, dans une note de septembre 2013, souligne cependant
que l
e choix d’un système dépend
ensuite du niveau de redistribution souhaité et de la force
relative de deux comportements d’optimisation : entre revenus du travail et revenus du
capital, d’une part, et entre différentes localisations de la résidence fiscale, d’autre part (exil
fiscal). U
n système d’imposition incorporant les revenus du capit
al au barème de
l’IR
est
adéquat si le premier type de comportement domine.
10
Fiscaliser les revenus de l’épargne.
Deuxièmement, la défiscalisation des revenus de
l’épargne ne se justifie généralement pas, à l’exception de l’épargne retraite
et des intérêts
sur la petite épargne populaire. Concernant cette dernière, la défiscalisation de
l’
épargne
plafonnée de type livret A répond au besoin de lissage de la consommation des ménages.
S’il
s’agit d’éliminer toutes les niches fiscales, alors simplement imposer l’épargne modeste à
l’IR ferait que les taux d’imposition resteraient eux aussi modestes. Par ailleurs, l
e CAE
préconise
de limiter les avantages fiscaux de l’assurance
-
vie aux produits assortis d’une
sortie en rente (équivalents à une épargne retraite). Les entreprises françaises ne souffrant
pas d’un manque général de
capitaux, l
’argument du financement de long terme de
l’économie ne justifie donc pas le maintien du dispositif dérogatoire.
En revanche, les
entreprises petites, jeunes et risquées ont du mal à se financer. Des dispositifs ciblés, mais
sous forme de subvention plutôt que de dépenses fiscales, peuvent être suggérés pour
favoriser le développement de
business angels
.
Imposer les plus-values. Enfin, il est recommandé de rééquilibrer la fiscalité vers
l’immobilier en taxant les loyers implicites nets des intérêts d’emprunt. L’
imposition des
revenus fonciers fictifs a été aboli en 1964 (
mesure suivie un an après par l’introduction du
prélèvement libératoire permettant à tous les intérêts d’échapper
au barème progressif de
l’IR). Il est cependant difficile de croire à la possibilité d’une telle mesure aujourd’hui. A
défaut, il est possible de relever les taxes foncières via la mise à jour des valeurs locatives et
d’annualiser la plus
-value réelle (en
déduisant l’inflation) avant de l’imposer au barème
général de l’impôt sur le revenu
.
8
Dominique Lefebvre et François Auvigne (2014) : « Rapport sur la fiscalité des ménage »
9
De 2% pour chaque année de détention au-delà de la 5ème année, 4% au-delà de la 17ème année, 8% au-delà de
la 25ème et exonération totale au bout de 30 ans. Le taux appliqué est maintenu à 19% + prélèvements sociaux à
15,5 % et CEHR.
10 Patrick Artus, Antoine Bozio et Cecilia García-Peñalosa (2013) : « Fiscalité des revenus du capital », Note du
CAE
12
12
1.1.5.
Fiscalité des revenus de remplacement
Supprimer l’abattement sur les pensions
. Les pensions alimentaires et pensions de retraite
bénéficient d’un
abattement de 10% (plafonné à 3 689 euros par foyer) pour le calcul de
l'IR comme c'est le cas pour les salariés. On peut qualifier cette curiosité de niche fiscale,
dont le co
ût s’élève à
environ 3,6
milliards d’euros.
Elle a été plusieurs fois critiquée par la
Cour des comptes car elle ne semble pas justifiée.
D’une part, e
lle ne vise pas à compenser
de supposés besoins plus importants des retraités car ceux-ci n'ont plus à supporter de
frais professionnels
–
qui devraien
t d’
ailleurs être pris en compte, pour les salariés, à partir
des frais réels, comme cela est pratiqué dans la plupart des pays.
D’autre part,
cette mesure
est anti-redistributive dans la mesure où
les personnes âgées non imposables n’en
bénéficient pas
, à l’exception de la fraction de ménage qui deviendraient (
faiblement)
imposable sans l’abattement
.
11
Egalement, le cadeau fiscal augmente avec le revenu,
l’abattement étant proportionnel (jusqu’au plafond)
.
1.1.6.
Mettre les deux impôts en cohérence
Abolir la déductibilité de la CSG dans la base IR
: une réforme d’ord
re pratique. Elargir la base
imposable de l’IR en la débarrassant des niche
s fiscales et en englobant un maximum de
revenus vise en premier lieu à redonner justice et efficacité à cet impôt, mais n’a pas pour
objectif premier d’harmoniser les assiettes des
deux impôts en vue d’une fusion. Cela reste
néanmoins une condition nécessaire à une telle fusion.
C’est dans cet esprit que l’on doit prendre la réforme présentée dans le premier rapport
économique
12
, consistant à abolir la déductibilité de la CSG dans l
’assiette de l’IR. En effet,
en réintroduisant les revenus correspondants aux 5,1 points de CSG actuellement non
déductible dans cette assiette, on augmente le niveau d’imposition à l’IR de façon uniforme
sur l’ensemble des revenus du travail et du capital
,
13
ce qui pourrait être obtenu de façon
équivalente par une hausse uniforme des taux de l’IR.
14
Cette réforme est donc une
augmentation d’IR déguisée;
15
elle n’est en aucun cas un véritable élargissement de la base
imposable de l’IR
: les revenus imposables y sont déjà, mais une partie, déjà imposée à la
CSG, est simplement déduite. Il conviendrait alors de considérer cette réforme sous un
angle pratique : elle permet de supprimer les interactions (ou interdépendances) entre IR
et CSG qui se produisent par l’intermédiaire de l’assiette de l’IR.
16
Déconnecter ainsi les
deux impôts fait partie des étapes indispensables pour harmoniser leurs assiettes - un
11
Certaines composantes des pensions restent également non imposables, en particulier la retraite du combattant
et les pens
ions militaires d‘invalidité. En revanche, les majorations de pensions pour charge de famille sont
désormais soumises à l’impôt.
12
A. Mourougane (2014), « Les enjeux budgétaires et économiques de la réforme de l’imposition des revenus des
ménages
–
Partie 1
: Comparaisons internationales et aménagements de l’imposition sur le revenu pour moduler
sa progressivité», Rapport particulier du Conseil des Prélèvements Obligatoires, Juin.
13 il y a, il est vrai, une petite différence pour les revenus de remplacement puisque la CSG déductible est de 4,2 ou
3,8% dans leur cas.
14
Notons t le taux d’imposition, t’ le taux augmenté, c le taux de CSG déductible et Y les revenus imposables.
L’équivalence t’(Y
-
cY)=tY, c’est
-à-
dire l’imposition supérieure sur base plus étroit
e (avec déduction) égale à
l’imposition actuelle sur base large (abandon de la déduction), donne t’/t=1/(1
-
c)=1,053, c’est
-à-dire que la
mesure est approximativement équivalente à augmenter uniformément les taux d’imposition de 5,3%.
15
L’effet hausse de la
progressivité étudié dans le 1er rapport économique provient donc essentiellement d’une
hausse du niveau d’imposition sur les contribuables actuels, c’est
-à-dire leur appauvrissement relatif par rapport
aux non-
contribuables, et non d’une hausse de la pro
gressivité parmi les contribuables. Une variante de cette
réforme propose néanmoins de compenser la fin de la déductibilité par une baisse des taux d’IR afin d’atteindre la
neutralité budgétaire, et de le faire de façon progressive, c’est
-à-dire baisser le
s taux marginaux inférieurs de l’IR
plus que les taux supérieurs.
16
Sans cette réforme, toute hausse de CSG (déductible) conduit mécaniquement à une baisse du rendement fiscal
de l’IR.
13
13
préalable à toute fusion des deux impôts et, de manière plus générale, une façon de pouvoir
les comparer…sur
une même base.
Cohérence des impôts sur le fait d’être imposable en France.
On peut aussi s’interroger sur
les possibilités
d’harmoniser les assiettes des deux impôts, un prérequis en cas de fusion
des deux impôts. Il s’agit notamment de la cohérence des d
eux impôts sur le statut
d’«
imposable en France ». Elle est respectée en générale : les personnes rattachées à un
régime français de Sécurité sociale n’ont pas à s’
acquitter de
la CSG /CRDS dès lors qu’elles
ne sont pas domiciliées fiscalement en France (le cas de nombreux expatriés); inversement
les personnes détachées à l’étranger mais ayant conservé leur domicile fiscal en France sont
assujetties à la CSG/CRDS -
du moins tant qu’elles sont maintenues au régime français de
Sécurité sociale. Par contre, les salariés frontaliers travaillant dans un pays limitrophe et
résidant en France sont rattachés à un régime d’assurance dans le pays où ils exercent leur
activité, et sont imposables
à l’IR mais pas à la CSG. Ce problème spécifique ne devrait
cependant pas remettre en cause la dynamique de réforme et
la possibilité d’harmonisation
d
es assiettes d’IR et de CSG.
Il serait d’ailleurs régler si la CSG, reconnue comme un impôt
sur le revenu, suit les mêmes règles que l’IR.
17
Etendre aussi la base de la CSG si elle doit servir de modèle. En taxant tous les revenus y
compris les revenus mobiliers, la CSG/CRDS a contribué à augmenter la progressivité du
système socio-fiscal. Cependant, des aménagements ont conduit à une modération de son
universalité. Dans le même
effort d’élargissement maximal de la base imposable d’un grand
IR citoyen, on aimerait donc voir la CSG/CRDS servir de modèle.
La CSG/CRDS est bien prélevée à la source sur les revenus d'activité (salaires, primes et
indemnités), de remplacement (indemnités chômage, pensions) et de placement (revenus
financiers et mobiliers). Cependant, un abattement d’assiette de 1,75 % est applicable sur
les salaires et primes attachées aux salaires, les allocations de chômage et la prime de
partage des profits. Cet abattement est certes limité à 4 plafonds de la sécurité sociale (soit
150 192 euros pour l’année 2014 au titre d’un emploi à temps plein toute l’année civile),
mais ils constituent une première exception à l’objectif d’universalité.
Sa suppression est
donc so
uhaitable, mais serait difficile puisqu’il
répond à une contrainte constitutionnelle.
Il est aussi possible d’étendre la base d’imposition des revenus du capital. Les intérêt de
l’épargne populaire
(livret A notamment) sont exonérés de CSG/CRDS tandis que les
produits des contrats d’épargne handicap sont taxés à la CRDS mais pas à la CSG. Les
produits de la cession d’or, de métaux précieux et d’œuvres d’art ne sont pas soumis à la
CSG. Ceci représente au mieux 2 milliards d’euros. Pourtant, Landais, Piketty
et Saez (2011)
établissent que seulement 40% des revenus (réels)
du capital se trouvent dans l’assiette
imposable de la CSG. Ils citent le fait que l
’assiette
de CSG est très similaire
à celle de l’IR
concernant les revenus fonciers -
la CSG n’autorise ce
pendant pas la déduction des déficits
fonciers
18
. En particulier, les revenus fonciers fictifs ne sont pas imposables non plus à la
CSG. Concernant les revenus financiers, seulement 50 % des intérêts, dividendes et produits
financiers d’assurance vie
entre
raient dans l’assiette de CSG
. Ces auteurs expliquent ceci du
fait que certains produits financiers à recapitalisation immédiate demeurent légalement
exonérés ; également, certains dividendes attribués aux ménages par les comptes nationaux
sont en fait reçus par des sociétés-écrans contrôlées par des ménages et ainsi non
imposables à la CSG (ou bien imposables
comme revenus d’activité non salariée
). Ils
n’arrivent pourtant pas à expliquer l’ampleur de l’écart annoncé et préconisent une étude
17
C’est d’autant plus le cas que la CSG, distincte des cotisations soci
ales au sens du droit français, n'ouvre pas
droit, par son paiement, aux prestations sociales. Voir J.-
L. Matt (2014), « Le cadre juridique de réformes de l’IR et
de la CSG », Rapport particulier du Conseil des Prélèvements Obligatoires, Juin.
18 L'harmonisation des assiettes poserait la question de la déductibilité de ces déficits pour l'application de la
CSG, de même d'ailleurs que des autres déficits cédulaires déductibles (salaires, BIC, BNC, BA,...).
14
14
poussée de cett
e question sur la base d’un meilleur échange d’informations entre
institutions financières et administrations statistiques et fiscales.
1.1.7.
N
écessité d’une évaluation en continue
L’é
valuation en continue des impacts redistributifs. Nous insistons sur la néce
ssité d’évaluer
l’impact budgétaire mais également redistributif de
l’ensemble de
s réformes effectivement
réalisées année après année. La technologie de microsimulation permet une évaluation
précise grâce à la fiabilité des données (Enquêtes Revenus Fiscaux, ERF) et au degré de
précision
qu’on peut désormais atteindre
dans la simulation de chaque instrument socio-
fiscal. La microsimulation devrait être systématiquement utilisée non seulement pour
évaluer les scénarios de réforme et les PLF prévisionnels, en amont, mais également les
deux années suivantes, lorsque les politiques sont mises en place et lorsque les données
ERF deviennent disponibles. Une évaluation
ex post
permettrait ainsi de faire le point sur
les réformes réalisées et de voir dans quelle mesure elles expliquent une hausse/baisse des
inégalités, de la pauvreté et des recettes fiscales par rapport aux autres variations
temporelles (et notamment les variations en niveau et en distribution des revenus de
marché).
19
Assiette large de l’IR
: évaluer le chemin parcouru. Nous insistons en particulier sur la
nécessité
d’évaluer le chemin parcouru pour étendre l’assiette de l’IR de façon satisfaisante.
En particulier, les réformes
de l’impôt sur le revenu entre 2012 et 2014
ont été
extrêmement importantes de par leurs impacts budgétaires. L
es recettes de l’IR, qui
stagnaient
entre 46 et 50 milliards d’euros tout au long des années 2000
, ont atteint 56,5
milliards en 2012, 67,0 milliards en 2013 et 71,2 milliards en 2014, soit un produit en
progression de plus de 50% entre 2010 et 2014.
Il s’agit de l’impact
du plafonnement des
niches et de la soumission au barème de l’IR des dividendes et des produits de placement,
mais également d’autres mesures (tranche à 45%, gel des barèmes, plafonnement du
quotient familial).
20
Avec de tels effets budgétaires et une telle diversité de mesure, on
s’attend
également à un fort impact sur la progressivité et la redistributivité du système
global,
qu’il convien
drai
t d’analyser et de mettre en perspective avec les grandes ét
apes de
refonte de l’impôt décrites
ci-dessus.
De la sorte, on pourrait aussi
évaluer le chemin qu’il reste à parcourir pour que l’IR
recouvre une assiette jugée suffisamment large. Une réforme hypothétique simple où toutes
les niches fiscales sont retirée
s et tous les revenus du capital introduits dans l’assiette de
l’IR pourrait servir de cas polaire
, point de référence utile dans ce débat.
1.2.
Seconde réforme indispensable: « contemporanéiser » le recouvrement
de l’IR
Le montant d’IR doit être réglé par chaque foyer fiscal l’année suivant les revenus qui ont
généré la créance fiscale. Ce type de prélèvement différé, dit par « voie de rôle », est
pratiqué par seulement trois pays dans le monde dont la France. Cette imposition décalée
par rapport à la perception des revenus
est un problème majeur qu’il convient de régler.
19 Une manière simple de mette à profit la microsimulation pour séparer les effets redistributifs dus aux réformes
socio-fiscales et les effets liés à tout autre changement temporel (notamment les variations de distributions de
revenus de marché dues à des hausses de chômage, à des coupes salariales, ou à des changements de plus long-
terme comme des changements démographiques) est suggérée dans
Bargain, O. (2012): “The distributional effects
of tax-
benefit policies under New Labour: A Shapley decomposition”, Oxford Bulletin of Economics and Statistics,
74(6), 856-874
20 Voir le détail et la chronologie des réformes dans A-
C Didier (2014), « Les enjeux d’une réforme de l’impôt sur
le revenu et de la contribution sociale généralisée », Rapport particulier du Conseil des Prélèvements Obligatoires,
Mai.
15
15
1.2.1.
Une réforme nécessaire pour trois grandes raisons
Gestion inter-temporelle du budget des ménages. Même pour des contribuables ayant des
revenus stables et une capacité d’épargne, il est difficile de lisser la consommation d’une
année sur l’autre car le barème de l’IR pour l’année t+1 n’est connu qu’à la fin de l’année t,
quand la loi de finances est votée. Il est donc difficile de prévoir, au moment de la
perception des revenus au cours de l’année t, quel sera le revenu net d’impôt à payer en
année t+1.
Cette difficulté est accrue pour les ménages - souvent parmi les moins aisés - qui
connaissent de fortes variations de revenu d’une année sur l’autre. Si ces ménages n’ont pas
la possibilité d’épargner et n’ont pas accès au crédit, une baisse de revenu en année t+1
peut conduire à un défaut de paiement
. L’actualité fiscale
récente illustre ces difficultés.
21
Les prélèvements différés ont donc un coût social important et, en conséquence, un coût
p
olitique sur l’acceptabilité de l’impôt.
Une imposition des revenus courants aurait le
mérite d’éviter ces difficultés
.
Elle
permettrait aux contribuables d’adapter leur
consommation et leur épargne aux variations de revenu net d’IR en temps réel, sans sub
ir
un contrecoup supplémentaire l’année d’après. Elle éliminerait aussi le fait de ne pas
pouvoir prévoir
si l’on est imposable
en t+1, et
les montants d’IR à payer.
22
Il
est vrai qu’il
existe des mécanismes permettant de payer ses revenus par avance ou
d’ajuster le prélèvement qui est opéré par avance auprès de l’administration fiscale.
Ces
mécanismes sont cependant peu utilisés du fait de leur trop grande complexité ou de la
nécessité d’en faire une
demande active.
23
Le planning financier de ménages pourrait être
facilité par un prélèvement anticipé offert par défaut, ce qui revient à un IR contemporain
des revenus.
Stabilisateurs « sociaux », pilotage des politiques redistributives et incitations.
L’effet
de
stabilisateur automatique, outre ses vertus d
’a
mortisseur macroéconomique, joue un rôle
important pour lisser la consommation des ménages et atténuer les chocs de revenu. Une
baisse de revenu brut en année t conduirait, avec un IR contemporain, à une baisse de
revenu net plus faible en pourcentage.
L’I
R conditionne également différentes aides sociales qui se révèlent cruciales pour le
soutien aux bas revenus, en premier lieu les Allocations Logement (AL) - qui peuvent
représenter jusqu’à un tiers du revenu minimum pour
les ménages sans ressource. En effet,
pour simplifier les démarches des allocataires (et éviter la fraude sociale), la CAF a mis en
place depuis quelques années un système d’échange d’informations avec les services
21
Suite à la fin de la demi-part fiscale attribuée aux parents isolés et au gel du barème décidé fin 2011 et
applicable sur les impôts payés en 2012 et 2013, près de 1,8 million de ménages, notamment des ménages fragiles,
sont devenus imposables depuis deux ans. En même temps, le nombre de lettres de rappel, de relance et de mise
en demeure a connu une hausse importante. Entre 2011 et 2013, le nombre de relances envoyées est passé de 4,5
millions à près de 10 millions, selon le rapport annuel 2013 de la Direction générale des finances publiques, et le
nombre de demandes gracieuses pour reporter ou annuler la dette d’IR auprès du fisc a augmenté de 176 000 à
215 000.
22
Il existe aussi un certain nombre de ménages qui ne pensent pas à provisionner les montants d’IR dus.
Nous
disposons d’un système de retraite par répartition qui amène les gens à contribuer, alors qu’ils ne penseraient pas
forcément à épargner dans un système par capitalisation. Dans la même logique, mais à court terme, un IR
contemporain aux revenus peut prémunir de ce genre de difficulté.
23
Le contribuable peut moduler ses acomptes (provisionnels ou mensuels) dès le mois de janvier t+1 pour
anticiper la hausse ou baisse future de son imposition. Une étude concernant la dépense fiscale « Scellier »110
mont
re que cette possibilité d’anticiper l’ajustement de l’impôt reste largement théorique : sur l’échantillon de
contribuables mensualisés qui bénéficiaient pour la première fois d’une réduction d’impôt « Scellier » au titre de
leur impôt 2010, seuls 7 % ont
baissé dès janvier 2010 leurs mensualités d’impôt de façon correcte. Pourtant, les
montants en jeu étaient significatifs et auraient pu justifier une démarche de la part du contribuable. Cf. « rapport
particulier sur les prélèvements fiscaux potentiellement concernés par une extension de la retenue à la source ».
Direction générale des finances publiques, bureau GF1A.
16
16
fiscaux
afin d’établir la condition de ressource aux différentes aides soci
ales sur la base de
la déclaration des revenus fiscaux. Il en découle que les AL réclamées
pour l’année
t sont
conditionnées à la déclaration de revenus établie en t+1, du fait du décalage temporel de
l’IR, puis versés ultérieurement, c’est
-à-dire en t+2. Ce retard de deux ans rend le soutien
financier que procurent les AL totalement inadapté aux besoins des ménages. Cette
incohérence temporelle de l’ensemble du dispositif socio
-fiscal nuit également à son
acceptabilité.
Le prélèvement différé déjoue également le pilotage efficace
, c’est
-à-dire en temps réel,
d’une politique
de relance économique ou de soutien aux bas revenus. Un exemple nous est
donné par l’actualité
: en septembre 2014, parmi les options envisagées par le
gouvernement pour soutenir un peu plus les bas revenus,
ni une baisse d’IR (suppression
de la première tranche) ni une hausse de PPE ne peuvent se traduire par un effet instantané
pour les ménages concernés.
Ces difficultés se reflètent également sur l’effet incitatif qu’on
attend de ces politiques. La création de la PPE visait par exemple à augmenter les
incitations au travail. Cette aide intervenant un an après la perception des revenus liés au
choix d’offre de travail, on peut imaginer que sa visibilité et donc son impact sur les
comportements restent limités.
Nous revenons sur ces problèmes d’inertie du système
socio-fiscal et de leur impact sur la politique de soutien aux bas revenus dans la troisième
partie de ce rapport.
Stabilisateur automatique. Les prélèvements obligatoires sont un des principaux leviers de
stabilisation automatique
, c’est
-à-dire
qu’ils jouent le rôle d’amortisseur des variations de
revenu. Lorsque la conjoncture se dégrade, les rentrées fiscales diminuent mécaniquement
sous l’effet de la baisse des revenus
alors que les transferts des administrations publiques
augmentent (indemnisation du chômage par exemple). Le déficit budgétaire augmente mais
cette augmentation correspond à une dépense publique supplémentaire et automatique de
soutien des revenus et donc de la demande globale.
A l’inverse, lorsque l’activité
économique redémarre, les prélèvements obligatoires progressent automatiquement sous
l’effet
de la hausse des revenus alors que les transferts publics diminuent ; il en résulte une
résorption du déficit conjoncturel et un effet ralentisseur permettant
de contenir l’inflation.
Le prélèvement
de l’IR
sur les revenus passés conduit au contraire à amplifier le cycle
conjoncturel. Un prélèvement sur les revenus courant permettrait une synchronisation plus
immédiate d
e l’impôt aux variations de revenus,
susceptible d’amplifier
l’effet des
stabilisateurs automatiques. Le rapport du CPO (2012) sur le prélèvement à la source note
que cette amplification resterait limitée compte tenu
du faible poids de l’
IR. Cela est un peu
moins vrai aujourd’hui, les recettes de l’IR étant en forte hausse (plus de 70 milliards
d’euros) par rapport au point de référence utilisé dans ce rapport (46,9 milliards d’euros de
recettes en 2010).
24
1.2.2.
L’ambiguïté
du prélèvement à la source « par tiers payeurs »
Contemporanéisation contre prélèvement « par tiers payeur ». Il ne faut pas confondre la
contemporané
isation de l’IR et le prélèvement à la source
« par tiers payeur ». Le premier
est une condition nécessaire du second, mais les arguments en fave
ur de l’un et de l’autre
sont souvent mélangés. Le prélèvement à la source « par tiers payeur » implique un
recouvrement de l’impôt par l’employeur (pour les revenus d’activité) ou les banques (pour
les revenus du capital). La CSG et la CRDS sur les revenu
s d’intérêt ou sur les salaires sont
des exemples de telles retenues à la source.
24
Conseil des prélèvements obligatoires : « Prélèvements à la source et impôt sur le revenu »,
février 2012
17
17
La confusion vient du fait que deux approches de retenue à la source existent : celle « par
tiers payeur
», qui correspond à une acception étroite du terme, et l’approche «
par la
concordance des opérations d’assiette et de recouvrement
» (cf. CPO, 2012). Cette dernière
définit un prélèvement à la source comme tout prélèvement obligatoire dont le
recouvrement intervient simultanément à la formation de l’assiette.
25
Le prélèvement « par tiers payeur
» n’est qu’une modalité
. Le prélèvement à la source (au
sens étroit, donc « par tiers payeur
») n’est qu’une modalité de
recouvrement dans le cadre
d’un IR contemporain au revenu.
26
Il existe d’autres modalités
: un IR en temps réel peut
être prélevé chaque mois par l’administration fiscale sur le com
pte en banque des
contribuables. C’est d’ailleurs déjà le cas avec
le prélèvement automatique et la
mensualisation (utilisée par 80 % des contribuables).
Le prélèvement « par tiers payeur » ne doit pas cacher la véritable urgence qui consiste à
réaliser la contemporanéisation de l’IR. Plus encore, le débat qui entoure le prélèvement
à
la source ne doit pas mettre en péril cette réforme fondamentale, d’autant plus que les
critiques portées au prélèvement « par tiers payeur
» ne s’appliquent pas forcément à la
contemporanéisation de l’impôt. C’est bien évidemment le cas des critiques liées à la
confidentialité ou à l’idée que le prélèvement à la source représenterait une
charge
administrative supplémentaire pour les entreprises.
Corriger les idées reçues sur le prélèvement à la source « par tiers payeur ». On peut
cependant en profiter pour défendre aussi le prélèvement « par tiers payeurs » sur ces
critiques spécifiques, souvent infondées. Premièrement, celles concernant la confidentialité
sont inexactes car il n’est pas nécessaire de fournir aux entreprises toute
une série
d’
informations précises sur le salarié (autres revenus, composition familiale, etc.). En effet,
il suffirait de leur fournir le taux moyen de prélèvement à appliquer à chaque employé, qui
ne permet pas de retrouver exactement le revenu si l’employeur n’a pas l’ensemble des
informations nécessaires (calcul des parts de QF par exemple). Il est aussi possible de
prélever un taux uniforme (comme la CSG, qui pourrait devenir une simple modalité de
prélèvement à la source
–
voir point 84), ou bien un taux issu d’un barème progressif
individuel et basé sur les seuls revenus salariaux, puis de demander un rectificatif en fin
d’ann
ée. La confidentialité est complètement maintenu dans ce cas. Deuxièmement, il est dit
que le rôle du tiers payeur ferait porter une nouvelle charge administrative aux entreprises.
Il faut rappeler que ces dernières sont déjà responsables de la collecte des cotisations et de
la CSG/CRDS.
Il suffirait donc d’une ligne de plus sur la feuille de paie.
Troisièmement, une
critique consiste à dire que la retenue à la source
n’allègerait pas forcément les choses pour
le contribuable. Ceci est (partiellement) vraie : une déclaration fiscale rectificative serait
nécessaire
en
fin
d’année.
Elle
s’apparenterait
à
la
déclaration
actuelle
de
revenu
permettant à l’administration de calculer le nouveau taux moyen du ménage (
en cas
25
Elle trouve son origine dans
la notion d’«imposition des revenus courants » esquissée par exemple par le
Conseil des impôts en 2000. Elle peut également être rapprochée de l’expression
pay as you earn
qui fut mise en
avant aux États-Unis à partir de 1942 pour promouvoir le projet de l
oi sur la retenue à la source de l’impôt sur le
revenu, lui-même significativement intitulé « loi sur le paiement contemporain
de l’impôt ». Dans cette approche,
l’élément clef est que le paiement de l’impôt survient au moment même où la base imposable apparaît, c’est
-à-dire
au moment de la formation de l’assiette.
26 La quasi-totalité des travaux relatifs à la fusion IR-CSG posent la généralisation de la retenue à la source comme
une modalité souhaitable voire un prérequis de mise en œuvre de la fusion (par
exemple le rapport Migaud, le
rapport au Parlement sur les conditions de mise en œuvre d’une fusion progressive de l’IR et de la CSG, ou la
réforme de Landais, Piketty et Saez, 2011). Il semble donc que la définition large (concordance des opérations
assi
ette et recouvrement) soit retenue par ces études, car comme nous l’expliquons, le prélèvement «
par
tiers
payeur» n’est lui pas nécessaire. C’est la synchronisation des deux impôts, en rendant l’IR lui aussi
contemporain aux revenus, qui est un préalable
à toute fusion. A l’inverse, certains travaux, comme le rapport au
Parlement de 2012, présentent des scénarios de rapprochement de l’IR et de la CSG dans lesquels la généralisation
de la retenue à la source n’est pas énoncée comme nécessaire, entendant don
c surement par là le prélèvement
« par tiers payeur ».
18
18
de changement de situation familiale et/ou de variation des revenus non prélevés à la
source - revenus
d’indépendants
et certains revenus du patrimoine, fonciers et plus-
values). Pour les couples, une variation dans le revenu du conjoint pourrait par contre être
prise en compte en temps réel, chaque salarié étant identifié par un code individuel.
Quoiqu’il en soit, le paiement en temps réel, la véritable urgence, peut aujourd’hui être mis
en place sans difficulté
–
soit par tiers payeur soit directement par prélèvement bancaire et
déclaration en ligne
–
comme cela est fait dans de nombreux pays.
1.2.3.
Gérer la transition, entre risques et gains potentiels
L’année blanche et ses enjeux.
La transition vers un IR contemporain aux revenus est une
difficulté fréquemment soulevée. Elle relève de questions techniques qui ne sont pas
insurmontables puisque de nombreux pays l’ont réalisé
e.
L’année blanche consiste en une
première année de transition, année t, au cours de laquelle on taxe les revenus de l’année t
-
1 comme d’habitude, mais on abandonne la créance sur
les revenus de l’année t. L’année
suivante, en t+1, on taxe les revenus de l’année t+1.
Les critères de réussite d’une telle
transition sont au nombre de trois. Premièrement, ne pas
perturber le budget de l’Etat. Deuxièmement
ne pas altérer de façon importante les revenus
nets des contribuables, notamment des plus modestes. Troisièmement, limiter les effets
d’aubaine et les réactions comportementales
qui posent problème.
Aucune perte budgétaire massive.
L’impact budgétaire sur les années t et t+1 n’est pas
nul
du fait des ménages dont les revenus sont irréguliers ou qui transitent entre deux statuts
d’emploi. Un surcoût éventuel provient donc des départs à la retraite en année t+1
puisqu’on ne taxe ces nouveaux retraités que sur leur retraite en t+1 et pas
sur leurs
revenus d’activité en t. A l’inverse, un gain éventuel est procuré par les étudiants entrant
sur le marché du travail en t+1
: ils sont directement imposables alors qu’ils ne l’auraient
pas été avec un IR par voie de fait.
Au final, l’année blan
che ne représente tout de même pas de grands risques, du moins pas
ceux relayés par les medias
sur une perte, à terme, d’un an de recette pour l’Etat. Si l’Etat a
une durée de vie infinie, il n’y aura pas de perte. Il y aura
simplement
un effet d’aubaine
pour les bénéficiaires de la défiscalisation en année t
–
est-ce une si grande injustice ?
L’injustice serait une transition avec des perdants, mais ça ne serait pas le cas et
on ne peut
renoncer à cette réforme fondamentale du fait de créer quelques gagnants. De plus, on peut
limiter ces effets d’aubaine et minimiser les optimisations fiscales en lissant éventuellement
la réforme sur deux ans, comme indiqué ci-après
Anticiper les réactions comportementales. Les réactions comportementales potentielles
peuvent être anticipées. Il est possible que des salariés qui pensaient prendre leur retraite
en année t-
1 retardent, s’ils le peuvent, cette sortie du marché du travail pour profiter de
l’année blanche.
Il est également possible que des étudiants décident d’e
ntrer sur le marché
du travail pendant l’année blanche (année t) plutôt qu’en t
-1 (ce qui leur coûterait de
l’impôt différé en année t) ou qu’ en t+1 (imposition sur revenus courants). De nombreuses
autres situations
d’optimisation fiscale permettant de fa
ire glisser des revenus de t-1 et t+1
sur l’année blanche pour
profiter de la défiscalisation totale sont possibles.
Toutes les réactions comportementales ne sont pas à craindre cependant. Elles posent
problème seulement si elles ont un impact négatif de forte ampleur sur les finances
publiques ou un impact inégalitaire fort. De manière générale, on peut concevoir de taxer le
surplus de revenu en cas de très forte augmentation des revenus durant
l’
année blanche par
rapport aux années précédentes ou ultérieures. Par contre, il ne faudrait pas, dans ce cas,
décourager les
éventuelles hausses d’activité générées par la défiscalisation
.
19
19
En effet, l’année blanche peut aussi conduire à des réponses comportementales tout à fait
bénéfiques en rendant le travail tot
alement exonéré d’IR pendant un an. Une hausse du taux
d’activité
conduirait à une hausse de la production et de la demande globale, et donc des
recettes d’autres impôts comme la TVA. Ce
tte idée est motivée
par l’
exemple islandais.
L’Islande est passée à u
n prélèvement contemporain et à la source entre 1987 et 1988. Sur
l’année 1987, le PIB a crû de 4 %, le taux d’emploi des femmes
a augmenté de plus de 4 % et
celui des hommes de 2,4 %.
27
On peut tout de même se demander dans quelle mesure cet
effet se reproduirait en France. Il serait limité pour ceux avec un
emploi stable et n’ayant
pas la possibilité d’ajuster leur temps de travail. Pour d’autres, en revanche, il peut devenir
intéressant de se mettre en emploi ou de travailler plus cette année-là, du moins si le
marché du travail le permet.
Un
lissage pour atténuer l’optimisation fiscale
. Cette transition peut aussi être lissée dans le
temps avec un scénario intermédiaire
entre celui de l’année blanche et l’autre scénario
extrême (non souhaitable celui-là) qui consiste en une
double imposition l’année t. Le
gouvernement pourrait par exemple proposer de s’acquitter en année t de la moitié de l’IR
dû sur les revenus de l’année t
-
1 et de la moitié de l’impôt dû sur les revenus de l’année t.
Aux Etats-Unis, en 1942, la transition a été organisée en pratiquant cette double imposition
partielle :
les trois quarts de la somme due pour la plus faible des deux années d’imposition
étaient exonérés tandis que les 25% restant pouvaient être acquittés en deux fois au cours
d’une période d’
un an. Ce système a également été adopté en 1944 par le Royaume-Uni qui
aménagea deux exercices d’impôts sur une période de 18 mois
.
1.3.
Scénarios de réforme
de l’IR et de la CSG
Nous éviterons ici de caractériser une réforme simultanée de l
’IR et de la CSG par la
terminologie de « fusion », qui ne dit pas vraiment lequel des deux systèmes «
l’emportent
»
et selon quels aménagements. Nous préférons envisager deux cas polaires, à savoir un
grande IR (
la CSG disparait et l’IR
se charge de financer la protection sociale) ou une super
CSG (l’IR
disparait et la CSG devient progressive et familiarisée). Un troisième scénario
consiste en une coexistence des deux instruments.
1.3.1.
Vers un grand IR citoyen avec ou sans coexistence de la CSG
Réformes préalables. Dans ces scénarios, on suppose que les deux grandes réformes
décrites ci-dessus ont été menées à bien.
Il s’agit de préalables absolu
s si la CSG disparait,
c’est
-à-
dire si son barème doit être intégré dans celui de l’IR
. En cas de coexistence IR-CSG,
elles sont tout à fait recommandées pour les raisons détaillées en 1.1 et 1.2. A cela s
’ajoute
des raisons spécifiques.
D’une part, l
a contemporanéisation
de l’IR
est requise pour une
gestion synchronisée des deux impôts.
D’autre part, l’élargissement de
l’assiette de l’IR doit
permettre de lui affecter la collecte de certains postes du financement de la sécurité
sociale.
28
27
Voir l’étude de Bianchi, M., Gudmundsson, B., R., Zoega, G. (2001)
: « Iceland’s natural experiment in supply
-side
economics », American Economic Review, Vol. 91, N° 5, 1564-1579
28
Un autre type de p
réalable est la remise à plat de la gouvernance des budgets de la Sécurité sociale et de l’État.
Plutôt que deux lois de finances séparées pour les prélèvements de l’État et ceux de la Sécurité sociale (PLF et
PLFSS), une approche budgétaire globale
–
au moins pour la partie recette
–
permettrait de renforcer la lisibilité
du pilotage des finances publiques. Le principe d’autonomie du financement de la sphère sociale par rapport à
l’État est profondément ancré mais il est néanmoins possible de concevoir des
règles claires d’affectation d’un
pourcentage du produit de l’IR au budget de la Sécurité sociale comme cela est fait pour la CSG.
Voir Antoine Bozio
(2014) : « Fusion IR-CSG et prélèvement à la source : les termes du débat», Cahiers français, mai-juin, N°380.
20
20
La logique sous-
jacente d’une CSG résiduelle.
On peut alors imaginer une variété de
scénarios qui diffèrent simplement par la proportion des dépenses de protection sociale
dont on pense qu’elles relèvent d’un impôt proportionnel comme la CSG.
On peut opter
pour un grand IR avec disparition complète de la CSG, ou conserver pour celle-ci un rôle à
géométrie variable mais néanmoins limité. Quelle est cependant la logique sous-jacente à la
dose de CSG proportionnelle
qu’on souhaite garder
?
Il faut en fait distinguer trois types de prélèvements. Le premier correspond aux
prélèvements sociaux contributifs ouvrant à des droits sociaux de type retraite, chômage,
indemnités journalières. Dans notre système
d’inspiration
bismarckienne, ces droits
donnent lieu à des revenus de remplacement différés et proportionnels aux sommes
cotisées. Ils relèvent ainsi
d’une logique actuarielle et sont financés
par des cotisations
(
d’assurance) sociales sur les revenus d’activité
. On peut donc les laisser hors du champ de
l’ensemble IR
-CSG-cotisation que nous étudions ici. Entre autres choses, leur assiette est
spécifique et peut logiquement exclure les revenus du capital.
29
Le fait que le Conseil
Constitutionnel ait censuré en août 2014 la mesure d’allègement des cotisation salari
ales
pour les bas revenus, au
nom d’une inégalité de traitement entre les assurés sociaux (droit
identique à une prestation retraite mais efforts contributifs différents), rappelle bien que
ces cotisations sociales n’ont pas la même nature que l’impôt.
Un deuxième type de prélèvement correspond aux prélèvements fiscaux non-contributif
visant à financer les biens publics
(par exemple l’éduca
tion), les services publics et le
fonctionnement
de l’Etat et des collectivités locales. Il n’y a pas de difficulté à dire que ces
dépenses doivent être couvertes
pas un impôt progressif, l’IR.
Dans cette catégorie, on
devrait aussi pouvoir mettre les prélèvements fiscaux non-contributif finançant des
prestations universelles de type famille, solidarité et minima sociaux (dont les minima
vieillesse). On devrait ainsi p
ouvoir confier à l’IR la collecte d
es recettes fiscales
aujourd’hui
à la charge de la CSG pour les postes budgétaires de la protection sociale ne concernant pas
la santé (branche famille, fond de solidarité vieillesse et Caisse nationale de solidarité pour
l'autonomie).
Le troisième type de prélèvement occupe une place intermédiaire entre les deux premiers.
Il
s’agit de cotisations sociales affectées à
des prestations sociales contributives, au sens où
la cotisation sociale est le fait générateur d’une ouverture de droit, mais universelles, c’est
-
à-dire qui ne dépendent pas des sommes cotisées.
On pense en premier lieu à l’assurance
maladie. Si l’on suit la
première logique ci-dessus, celle des prestations contributives, plutôt
que la seconde, alors ces prestations maladie devraient être financées par un impôt
forfaitaire voire proportionnel, mais ni par un
impôt progressif comme l’IR
, ni par une CSG
progressive,
comme certains l’ont proposé
e. Pas non plus par des cotisations progressives
comme le gouvernement a tenté de faire en 2014. La censure du Conseil Constitutionnel
montre donc
que c’est
la logique de prestations contributives qu
’il a
retenue.
30
Si l’on pousse cette logique jusqu’aux portes de notre réforme, alors la CSG individuelle et
proportionnelle qui cohabiterait avec l’IR devrait être réduite au financement de la branche
29
Voir Landais et al. (2011), sur ce point et également sur la régressivité possible des cotisations retraites du fait
des inégalités d’espérance de vie.
30
Voir aussi la discussion page 6-7 de J.-
L. Matt (2014), « Le cadre juridique de réformes de l’
IR et de la CSG »,
Rapport particulier du Conseil des Prélèvements Obligatoires, Juin.
21
21
maladie.
31
Si au contraire on retient que toutes les prestations universelles doivent reposer
sur un prélèvement progressif
–
donc un principe de solidarité - et tenant compte des
capacités contributives des ménages, alors on pencherait vers un grand IR avec suppression
pure et simple de la CSG.
32
Cet IR à large assiette et contemporain au revenu prendrait alors
le relais de la CSG pour garantir intégralement le financement de la protection sociale.
33
La
France rejoindrait alors
le Danemark et d’autres pays initialement bi
smarckien dans leur
mouvement
vers un système où l’impôt redistributif
finance une part de plus en plus
importante de la protection sociale.
34
Objectif de progressivité à portée. Quel que soit le dispositif retenu, une discussion sur la
redistributivité ver
ticale et horizontale de l’ensemble est nécessaire. Sur l’équité
horizontale, notons que les quotients conjugal et familial actuels peuvent être maintenus à
l’identique
dans ce « nouvel IR
» ou remplacés par d’autre formules. Nous donnons des
éléments d’an
alyse sur ce sujet en sections 2.2 et 2.3
. Sur l’équité verticale, il est important
de souligner que la progressivité de l’ensemble IR
-CSG, qui pêche actuellement dans le haut
de la distribution, serait de facto restauré par l’élimination des niches fiscal
es telle que
décrite précédemment (voir aussi section 2.1) ; elle serait aussi accentuée par la
prépondérance nouvelle que prendrait l’IR progressif dans ce nouvel ensemble.
Il « suffit »
donc d’inverser la tendance des années pré
-2012
–
comme nous avons vu, les réformes
récentes initient ce renversement
–
pour se rapprocher de l’objectif de progressivité de
l’ensemble IR
-CSG. Ceci sans besoin de passer par une révolution fiscale, seulement par
l’application raisonnable
des deux réformes discutées ci
-dessus.
Pas de double impôt progressif.
Comme l’indique l
a
Mirrlees review
,
35
il
n’est pas nécessaire
d’exiger que chaque impôt soit progressif, l’important
est que l’un le soit suffi
samment pour
imposer
cette propriété à l’ensemble
. Dans le scénario de coexistence IR-CSG, il serait donc
inutile de rendre la CSG progressive
–
et certainement dangereux car un double impôt
progressif dégraderait encore plus la lisibilité du système pour le décideur public et pour le
31
La branche maladie de la sécurité sociale correspond à un taux de CSG compris entre 3,95 % (sur les plus petits
revenus de remplacement) et 7,25 % (sur les revenus des jeux). Cette tranche de CSG, mise en place par les
gouvernements Juppé et Jospin, remplace les cotisations sociales maladie des salariés (hormis le financement des
« indemnités journalières » dites également « congés maladie »). Pour un bilan des options possibles, nous
renvoyons le lecteur au rapport de Pascal Penaud (2014):
« Réforme de l’impôt sur le revenu et de la CSG : impact
sur le financement de la protection sociale », Rapport particulier au Conseil des Prélèvement Obligatoires, Juillet.
Voir également : Haut Conseil du financement de la protection sociale (2014)
, Point d’étape sur les évolutions du
financement de la protection sociale.
32
L’IR pourrait également remplacer la taxe d’habitation (environ 15 milliards de recettes), qui est devenue
plus
progressive au cours des années - sauf pour le dernier décile -
bien qu’assise sur des bases totalement obsolètes :
les valeurs locatives cadastrales n’ont pas été révisées depuis 1970.
33
On ne se prononce que sur le destin de la CSG, pas sur celui des cotisations sociales contributives mais ouvrant
droit à des prestations de nature universelle (famille, maladie). En faisant reposer sa décision du 6 août 2014 sur
la seule notion d’égalité contributive, le Conseil Constitutionnel retourne à une stricte
contrepartie individuelle
entre cotisation sociale et ouverture d’un droit à prestation sociale, ce qui est discutable lorsqu’il s’agit
précisément de ce type de cotisations. La philosophie du droit de la Sécurité sociale a historiquement mis en
œuvre un double mouvement d’extension du caractère contributif de la cotisation sociale. A la famille d’une part
car les ayants droit d’un assuré social bénéficient de l’Assurance maladie au même titre que l’assuré social lui
-
même. La pension de réversion au conjoin
t survivant opère le même mouvement d’extension familiale des
pensions de retraite. D’autre part, la cotisation sociale est indissociable d’un mouvement de socialisation (ou
d’universalisation) de l’ouverture des droits sociaux à l’ensemble de la populatio
n, lui conférant une dimension de
salaire socialisé. Ainsi, les allocations familiales encore financées majoritairement par cotisation sociale sont
accordées à l’ensemble des familles de 2 enfants et plus. Citons également l’affiliation dérogatoire à l’Ass
urance
Maladie sur critère de résidence via la CMU de base pour les assurés sociaux les plus modestes qui ne cotisent pas
directement à la Sécurité sociale.
34
Voir A-
C Didier (2014), « Les enjeux d’une réforme de l’impôt sur le revenu et de la contribution
sociale
généralisée », Rapport particulier du Conseil des Prélèvements Obligatoires, Mai, page 42.
35
J. Mirrlees S. Adam, T. Besley, R. Blundell, S. Bond, R. Chote, M. Gammie, P. Johnson, G. Myles, J. Poterba (2011):
“The Mirrlees Review: Conclusions and Recommendations for Reform”, Fiscal Studies, vol. 32, no. 3, pp. 331–
359
22
22
contribuable (voir également section 3.3.3). De plus, la philosophie propre à la CSG,
évoquée ci-dessus, demeure et justifierait un prélèvement individuel et proportionnel.
La CSG comme acompte d’IR
: une simple modalité de recouvrement. Enfin, il ne faut pas
confondre ces propositions avec celles où la
CSG devient une avance d’IR
(Trannoy, 2011).
Soyons clair sur le fait que cette idée ne signifie pas coexistence des deux impôts. On peut
garder un impôt progressif et un autre proportionnel (tel que la CSG actuelle), ou bien
passer au « tout IR », peu im
porte. L’idée est que la
CSG
n’est
plus
qu’une
ligne comptable :
on utilise simplement le mécanisme actuel de CSG qui en fait déjà un prélèvement « par
tiers payeurs »
. Comme discuté plus haut, le montant d’IR collecté par l’intermédiaire de ce
prélèvement à la source serait dicté par un taux moyen
d’imposition communiqué par l’Etat
aux « tiers » et calculé sur la base des caractéristiques du ménage connues par
l’administration fiscale seulement
. Peu importe que cet impôt soit prélevé sur le salaire
d’un in
dividu : le taux moyen
qui s’applique
serait celui du ménage ou du foyer fiscal. Une
déclaration rectificative aurait ensuite lieu en fin d’année
ainsi qu’un
remboursement
éventuel du trop-perçu.
1.3.2.
Une « super CSG » nécessiterait de nombreux aménagements
Les avantages de la CSG et leurs limites. Une autre option, défendue par Landais, Piketty et
Saez (2010
) est d’abandonner purement et simplement l’IR. Ceci a l’avantage de régler
beaucoup de problèmes
d’un coup
: la CSG comme grand impôt sur le revenu a déjà une
base (relativement) large et se présente déjà comme un impôt contemporain des revenus
(et de surcroit prélevé à la source).
36
On peut cependant regretter que l’universalité de la
CSG en termes
d’assiette se soit restreinte au cours du temps, tel que nous l’avons discuté
précédemment (section 1.1.6). Une uniformisation des taux de CSG serait également
nécessaire.
37
Un impôt indolore ? Un autre avantage souvent cité est le fait que la CSG serait plus
« indolore ». En effet, la CSG est peut-être mieux acceptée par les contribuables en raison de
son prélèvement à la source
et de l’affectation de son produi
t. Inscrit parmi les cotisations
sociales sur la feuille de paye, elle laisse supposer
qu’il s’agit également d’une cotisation
(comme son nom l’indique) et donc que l’on paye pour un service concret (l’accès à
l’assurance maladie).
38
D’une part, ça n’en fait pas pour autant un impôt populaire,
notamment parce que sa nature exacte est justement mal comprise et née d’une ambiguïté
,
36
L’avantage concernant les dépenses fiscales pourrait éventuellement être qu’il n’y aurait pas –
ou moins
–
de
possibilité de recours pour ceux qui bénéficiaient préalablement de niches fiscales. En effet, les jurisprudences
récentes au nom de la sécurité juridique pourraient plus facilement s’appliquer si l’on ôte simplement les niches
de l’IR que lors d’une situation de «
table rase
», à savoir le passage à un système où l’on aband
onne purement et
simplement l’IR pour faire de la CSG le principal impôt sur le revenu.
37
Notons aussi que la CSG sur certains types de revenus n’est pas prélevée à la source, telle celle sur les revenus
des travailleurs indépendants, recouvrée après l’émission d’un appel de cotisations
; ou celle sur certains revenus
du patrimoine (revenus fonciers, plus-values et rentes viagères principalement) acquittée par le contribuable, un
an après la perception des revenus correspondants. Elle n’en reste pas moins p
rélevée sur des revenus courants et
une harmonisation du recouvrement sur les différents types de revenus pour être étudiée.
38
L’ambigüité est bien réelle comme le témoigne la controverse juridique qui a déjà eu lieu à ce sujet
: le Conseil
d’État et le Conseil Constitutionnel ont tranché dans le sens de l’impôt, le Conseil Constitutionnel qualifiant la CSG
d’imposition de toute nature, car n’ouvrant pas de droit contrairement aux cotisations sociales, tandis que la Cour
de Cassation et la Cour de justice d
e l’Union européenne lui refusaient ce qualificatif, s’attachant à y voir un
prélèvement affecté aux organismes de Sécurité sociale. En 2008, la cour européenne a changé de position et s’est
rangée à l’avis du Conseil Constitutionnel. De plus, la CSG sur l
es revenus d'activité et de remplacement est
soumise aux règles d’assiette et de recouvrement des cotisations de sécurité sociale tandis que celle sur les autres
catégories de revenus relève des dispositions du code général des impôts. Voir J.-L. Matt (2014), « Le cadre
juridique de réformes de l’IR et de la CSG », Rapport particulier du Conseil des Prélèvements Obligatoires, Juin.
23
23
la CSG étant annoncée à sa création comme une cotisation exceptionnelle et
provisoire
.
39
D’autre part, sa nature éventuellement
plus indolore
que l’IR
risque de disparaître très vite
si elle devient progressive. Dans l’option «
super CSG », il faudra clairement indiquer sur la
feuille de pai
e qu’il s’agit d’un impôt et y inscrire le taux personnalisé (puisque cette super
CSG deviendrait progressive),
40
qu’on ne manquera pas de comparer à celui de son voisin. Il
est donc vraisemblable de croire que la CSG hériterait alors de la défiance que les français
portent envers l’IR si elle ne bénéficie pas d’une communication gouvernementale efficace
pour démontrer
qu’elle repose sur des règles claires, justes et efficaces.
Introduire de la progressivité. Le poids important pris au fil des années par la CSG, un impôt
proportionnel, constitue la raison d’être de ce rapport et la recherche d’une progressivité
accrue de l’ensemble IR
-CSG. A fortiori, on a du mal à concevoir une super CSG qui, suite à
l’abandon de l’IR, n’intégrerait pas un minimum de
progressivité. Landais, Piketty et Saez
(2011) proposent par exemple un barème à 6 tranches, exprimé en taux moyen effectif,
débutant à 2% pour un SMIC et se terminant avec un taux moyen de 60% sur un revenu
annuel de 100 000 euros. Comme nous le verrons dans la seconde partie, le système actuel
–
dont les trois premiers taux marginaux à 5,5%, 14% et 30% couvrent la très grande
majorité des contribuables - peut être relativement bien approximé par un barème très
simple à un ou deux taux.
Familiarisation et conjugalisation. Se pose également le traitement des enfants et du couple,
discuté plus avant en deuxième partie (section 2.3)
. D’une part, nous montrons que des
arguments d’équité horizontale soutiennent la
familiarisation et la conjugalisation de
l’impô
t par un système de quotient familial/conjugal, à condition que les parts de quotient
reflètent des échelles d’équivalence
réalistes
. D’autre part, u
ne « super CSG » progressive
n’est constitutionnellement viable que si elle prend en compte la capacité con
tributive des
ménages.
41
Ce n’est que partiellement le cas de la proposition de Landais, Piketty et Saez
puisque les enfants ouvrent droit à des crédits
d’impôt
qui ne dépendent pas du revenu
tandis que le quotient conjugal est abandonné pour donner lieu à une imposition
individualisée.
42
Au final,
il n’est ni possible (constitutionnellement),
43
ni peut-être
39
Une enquête Ipsos/CGI « Les Français et l'impôt » organisée pour Le Monde, BFMTV et La Fondation
internationale de finances publiques a tenté de mesurer le sentiment de rejet ou de consentement des Français à
l'impôt sous ses différentes formes. Menée auprès d'un échantillon de 967 personnes interrogé par Internet, elle
montre que le principe de l'impôt, afin de maintenir un service public de qualité et un haut niveau de protection
sociale, est admis par une majorité de Français (57 %). Parmi les différentes sources d'imposition, l'impôt de
solidarité sur la fortune (ISF) demeure un fort symbole de justice : il est considéré comme justifié par 83 % des
personnes interrogées La CSG ne bénéficie pas d'une forte légitimité : elle est désapprouvée par 62% des
personnes interrogées.
40
La transparence fiscale est un droit du contribuable résumé à l'article 14 de la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen de 1789 : « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs
représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en
déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »
41
Voir J.-
L. Matt (2014), « Le cadre juridique de réformes de l’IR et de la CSG », Rapport particulier du Conseil des
Prélèvements Obligatoires, Juin.
42
L’individualisation est probablement la question la plus épineuse
de la réforme Landais, Piketty et Saez (2010).
Ce choix conduit ces auteurs à logiquement préconiser l’abandon de l’IR et l‘avènement d’une super CSG puisque
cette dernière est déjà individuelle. La raison de ce choix a pu être purement technique dans la mesure où les
microsimulations ont été réalisées sur la base de données synthétiques tirées des Enquêtes Revenus Fiscaux mais
sans l’information liant les individus au sein d’un foyer fiscal. L’accès aux données ERF complètes pour les
chercheurs permettra
dorénavant d’effectuer un retour sur ces propositions en simulant des variantes du
traitement familial. Avec une limitation cependant : recréer des ménages semblent difficile dans le cas de
concubins non-pascsés.
24
24
souhai
table d’aligner le traitement
familial du futur impôt citoyen sur celui retenu dans leur
proposition - nous discuterons ce point en section 2.
Un scénario de « super CSG » imposera donc de répondre aux mêmes questions que les
autres scénarios concernant le financement de la protection sociale, les modalités de
prélèvement et de déclaration rectificative,
et la clarification des critères d’équité vert
icale
et horizontale retenus (et de la structure du barème qui en découle).
1.3.3.
Evaluer les grands scénarios de réforme de façon comparable
Des scénarios de réforme ont déjà été proposés et parfois chiffrés par microsimulation,
notamment :
44
Proposition
d’im
position
des
revenus
à
deux
branches
combinant
impôt
proportionnel et surtaxe progressive (Conseil des impôts, 2000)
Proposition d’une c
oexistence avec CSG comme première tranche et IR comme ajout
d’une dose de progressivité
(Saint-Étienne et Lecacheux, 2005)
45
Proposition et simulation de divers variantes dont un impôt fusionné familiarisé
(suppression de la CSG), une intégration de la PPE et un scénario d’impôt
individualisé (Allègre, Cornilleau et Sterdyniak, 2007, dans le cadre du rapport
Migaud)
46
Propo
sition et simulation d’u
ne super-CSG progressive, individualisée et avec crédit
d’impôt par enfant à charge (Landais, Piketty, Saez, 2010)
Proposition et simulation de trois scénarios d’un système fusionné avec une dizaine
de tranches (de 0 % à 51 % ou 55 %), à produit constant, et sur la base d'une assiette
intermédiaire entre la CSG et l'IR (« Rapport au parlement sur les conditions de mise
en œuvre d’une fusion progressive de l’impô
t sur le revenu et de la CSG », 2012).
Il est difficile de tirer de toutes ces études des enseignements clairs et généraux pour deux
raisons. Premièrement, la comparaison entre ces études est malaisée. En effet, de nombreux
paramètres changent simultanément entre ces différents scénarios et les hypothèses de
simulation changen
t également d’une étude à l’autre. Il faudrait donc balayer l’ensemble
des possibles pour chaque critère que l’on veut laisser
comme variable, et figer les autres.
Deuxièmement, on mélange souvent les modalités de réforme et la structure du système
final. Il faudrait que chaque proposition soit tout à fait explicite sur ce dernier point : quelle
assiette, quel traitement du couple et de la famille, quelle progressivité, quel rôle
éventuellement joué par la CSG proportionnelle en cas de coexistence? Le rest
e, qu’il
43
Rappelons que la disposition visant à abaisser le taux de CSG/CRDS pour les revenus inférieurs à 1,4 SMIC a été
cassée par le Conseil en 2001 au nom de ce principe : «
S’il est loisible au législateur de modifier l’assiette de la CSG
afin d’alléger la charge pesant sur les contribuables les plus modestes, c’est à la condition de ne pas provoquer de
rupture caractérisée de l’égalité entre ces contribuables. Or, la disposition contestée ne tenait compte ni des
revenus du contribuable autres que ceux tirés d’une activité, ni des revenus des membres d
u foyer, ni des
personnes à charge au sein de celui-ci. »
44 Voir une présentation plus exhaustive des différentes propositions, simulées ou non, dans A-C Didier (2014), «
Les enjeux d’une réforme de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale génér
alisée », Rapport particulier
du Conseil des Prélèvements Obligatoires, Mai, Tableau 16 et pages suivantes.
45 Jacques Le Cacheux et Christian Saint Etienne (2005) : « Croissance équitable et concurrence fiscale », Rapport
du Conseil d’analyse économique
46
Guillaume Allègre, Gérard Cornilleau et Henri Sterdyniak (2007) : «
Vers la fusion de l’impôt sur le revenu et de
la CSG ?
», Revue de l’OFCE, N° 2007
-12, Avril 2007
25
25
s’agisse des modalités de transition vers ce système
(suppression de la CSG, suppression de
l’IR, etc.) ou des modalités d’application (prélèvement à la source ou non, avec ou sans
déclaration rectificative, etc.) sont importants pour juger de la
valeur d’une réforme mais
n’ont que peu à voir avec ce
que les microsimulations ont à nous dire.
L
a valeur ajoutée de la microsimulation est de donner une image précise de l’impact
budgétaire et redistributif du système global auquel ont abouti
(quelle que soit la façon
dont on y parvient)
, c’est
-à-dire la nouvelle «
fonction
(au sens mathématique) de collecte
fiscale et de redistribution de l’Etat
». Cette fonction transforme les caractéristiques de
chaque ménage (revenu, composition familiale, etc.) en un niveau de revenu disponible
éventuellement exprimé en niveau de vie par l’application d’une échelle d’équivalence.
Cette fonction est aujourd’hui le cumul de milliers de règles (condition
s de ressource,
barèmes
, etc.) appartenant à des dizaines d’instr
uments socio-fiscaux (IR, CSG, PPE, RSA,
etc.). La double question est donc : quelle fonction souhaite-t-on, et, à partir de là, quels
instruments doit-on garder et selon quelles règles ? En clair, pour chaque niveau de revenu
et pour une composition familiale donnée, quel taux moyen veut-on appliquer, à partir de
quelle combinaison d’impôt proportionnel et progressif, avec quel traitement de la
dimension familiale et conjugale ? etc. Il est ensuite possible de bâtir une architecture socio-
fiscale précise et de chiffrer par microsimulation ses implications: quel impact budgétaire,
quel degré de progressivité des prélèvements, quel degré de redistributivité de l’ensemble
prélèvements-aides sociales, quel proportion de perdants et de gagnant (et avec quelle
intensité des gains/pertes) par rapport au système actuel.
On
l’a dit plus haut
: on peut évaluer une multitude de scénarios possibles mais en variant
un critère à la fois, par exemple
le degré de progressivité du barème de l’impôt
(sous
contrainte de neutralité budgétaire). On peut aussi rechercher numériquement le jeu de
paramètres
conduisant à l’optimalité définie comme une certaine combinaison d’objectifs
politiques (sous contrainte de neutralité budgétaire), là aussi en fixant éventuellement
certains des
paramètres en amont (par exemple l’échelle d’équivalence
« enfant » de
l’impôt, si on a une idée précise du coût de l’enfant à
charge et de combien on veut
compenser un ménage pour ce coût, à chaque niveau de revenu).
1.3.4.
Faisabilité politique et effets redistributifs
Plus de progressivité implique des perdants.
La faisabilité politique d’une réforme
s’apparente souvent à l’évaluation du nombre de perdants de la réforme
et de l’intensité
des pertes. Il est possible de faire de la minimisation des perdants un des critères, ou une
des contraintes, de la simulation de réformes telles
que nous l’évoquons ci
-dessus.
Cependant, si l’objectif premier d’une réforme de l’ensemble IR
-CSG est
d’augmenter
sa
progressivité, notamment dans le haut de la distribution, il faut bien admettre que toute
réforme respectant cette objectif conduira, à budget constant, à une hausse du niveau relatif
de prélèvement sur les plus hauts revenus (et notamment les revenus du patrimoine, suite
à une suppression des niches fiscales dans l’assiette de l’IR).
Transferts entre types de revenus.
D’autres raisons peuvent faire qu’une réforme de
l’
IR/CSG génère des perdants
qu’il faudra assumer.
La disparition de l’IR ou de la CSG
impliquerait notamment une redistribution entre ménages selon leur type de revenu. En
effet, le système actuel est caractérisé par des différences d’assiette et de taux importants
selon les catégories de revenu. Il existe par exemple une différence de traitement entre les
26
26
revenus des actifs et les revenus de remplacement (chômage et retraite),
47
des différences
de cotisations sociales entre indépendants et salariés et entre salariés du public et du privé,
également entre salariés du public selon la part des primes dans leur rémunération. Il est
possible de mettre en place des abattements qui puissent reproduire en moyenne la
pression fiscale actuelle sur les différents types de revenu, encore faut-il que la
reproduction de ces différences de traitement ait un sens en termes
de justice et d’efficacité.
Enfin, des redistributions « horizontales
», c’est
-à-dire entre ménages de composition
différente, auraient nécessairement lieu et dépendraient du traitement de la famille et du
couple dans le nouvel impôt (cf. sections 2.2 et 2.3).
Des transferts entre ménages sont donc inévitables.
48
On peut chercher à limiter les
variations de revenus importantes, pour les bas revenus notamment. Comme le rappelle
Ecalle (2014), les réformes fiscales sont souvent réalisées en diminuant le produit de
l’impôt afin d’éviter les perdants. Dans cette
logique, il faudrait donc attendre le retour
d’une improbable croissance pour enclencher les réformes nécessaires, ce qui conduit à un
immobilisme certain.
49
2.
Les
grands paramètres de l’impôt citoyen
Toutes les pistes de réforme évoquées dans la partie précédente convergent vers le même
besoin, celui de définir le degré de progressivité souhaité pour les prélèvements
obligatoires directs (et notamment le niveau d’imposition sur les hauts revenus),
le degré
de redistributivité souhaité
pour l’ensemble du sys
tème socio-fiscal (et notamment les
choix en matière de lutte contre la pauvreté) et le traitement de la famille le plus approprié.
Dans cette partie, nous
nous concentrons donc sur quelques points permettant d’éclairer le
débat sur une réforme de l’IR et
de la CSG au regard des critères
d’
équité
verticale, d’
équité
horizontal
et d’
incitation au travail.
2.1.
Equité verticale et p
rogressivité d’ensemble
2.1.1.
Progressivité de tous les prélèvements obligatoires
et de l’ensemble IR
-CSG
Une faible progressivité d’ensembl
e et une très faible progressivité du couple IR-CSG. Le
graphique 2 est adapté de Bozio et al. (2012) (Figure 2.5 : Taux de prélèvements
obligatoires sur les revenus secondaires, 2010).
50
Il montre la répartition des prélèvements
obligatoires par centile de niveau de vie.
51
La courbe rouge représente la somme des
47
Les pensions de retraite bénéficient de prélèvements sociaux inférieurs à ceux des salaires, notamment une CSG
au taux normal de 6,6%. De plus, il existe un taux réduit de CSG sur les pensions de 3,8% pour les foyers non
imposables ainsi qu’une exonération totale de CSG, de CRDS sous condition de RFR et de contribution
additionnelle de solid
arité pour l’autonomie (CASA) pour les foyers non imposables.
48
Sur la question des transferts entre contribuables, le rapport inter-administratif de 2012 conclut que « la fusion
de l’IR et de la CSG serait immanquablement à l’origine d’effets redistributifs, d’autant plus importants qu’ils
portent sur des masses financières significatives et que les règles d’assiette existantes sont d’une grande
hétérogénéité, tout particulièrement pour les bas revenus du fait de la prise en compte du RSA et de la PPE » . La
pression fiscale résultant des prélèvements fiscaux et sociaux varie fortement, tant en niveau qu’en profil (degré
de progressivité de l’impôt), selon la nature des revenus et la situation familiale. Voir Didier (2014), p.47.
49
François Écalle (2014) : « Des réformes inutiles et risquées », Cahiers français, mai-juin, N°380
50
Bozio, R. Dauvergne, B. Fabre, J. Goupille et O. Meslin (2012) : « Fiscalité et redistribution en France, 1997-
2012 », rapport IPP.
51
Les individus sont classés en ordre croissant de revenu : le groupe P0-
10 désigne les centiles de 0 à 10, c’est
-à-
dire les 10 % les plus pauvres, le groupe P10-20 les 10 % suivants, etc. Le groupe des 10 % les plus riches est
décomposé en sous-groupes.
27
27
différents prélèvements, c’est
-à-
dire le taux moyen d’imposition
, tandis que la bleue illustre
le taux moyen d’imposition de l’ensemble IR
-CSG (champ : ensemble des individus de plus
de 18 ans en emploi, chômeurs ou retraités). Les taux de prélèvements sont ceux appliqués
aux revenus secondaires définis comme la somme des revenus primaires (revenus du
travail et du capital) et des revenus de remplacement (pensions de retraite et allocations
chômage). Les cotisations contributives, considérées non pas comme des prélèvements
mais comme des contributions obligatoires ouvrant des droits à des revenus différés, sont
retirées à la fois des prélèvements et des revenus.
52
Il apparaît que le système fiscal pris
dans son ensemble (courbe rouge) est faiblement progressif en fonction du revenu.
L’explication est qu’il est dominé par d’importantes cotisations sociales, des taxes
indirectes élevées et des prélèvements sociaux proportionnels au revenu (CSG/CRDS).
Des taux élevés dans les bas revenus. Les plus bas revenus acquittent des taux moyen de
prélèvements obligatoires relativement élevés
. Ceci s’explique par le
poids très important
des cotisations sociales et celui d’impôts sur le revenu à taux proportionnel (CS
G/CRDS) et
de la taxation indirecte.
Le manque de progressivité pour les hauts revenus est dû
à l’assiette de l’
IR mais aussi de la
CSG. Les
taux d’imposition
diminuent tout en haut de la distribution des revenus (P99,9
correspond aux 0,1 % des plus hauts revenus).
53
Ceci s’explique par la
plus faible part des
revenus du travail dans les revenus primaires à ce niveau, par le plafonnement des
cotisations sociales contributives et par
l’effet
régressif des impôts indirects. Ces effets sont
cependant compensés
par les impôts sur le capital (et notamment l’ISF et l’IS) qui touchent
surtout les très haut revenus. En regardant de près, on voit donc
que c’est surtout la
régressivité
de l’ensemble IR
-
CSG qui explique cette baisse des taux moyen d’imposition
globale dans le millième supérieur. La régressivité de l
’IR
est bien connue : elle est due aux
niches fiscales et à la fiscalisation moindre des revenus du capital (voir 1.11-1.14).
Augmenter les taux d’imposition sur des assiettes aussi
réduites n’aurait que peu d’effet,
tant du point de vue des recettes fiscales que de la redistribution. Pour la CSG, la
régressivité en haut de la distribution n’est pas très bien expliquée. La question des revenus
du capital non assujettis à la CSG se pose (voir section 1.1.6).
52
En incluant les individus inactifs, cette approche permet de mieux prendre en compte le traitement fiscal des
chômeurs et des inactifs, mais elle tend à donner trop de poids à des situations temporaires. Surtout, cette
représentation présente une progressivité en partie artificielle du fait de l’absenc
e de cotisations sociales non-
contributives sur les revenus des retraités qui sont surreprésentés dans la partie inférieure de la distribution des
revenus secondaires.
53
Voir aussi le graphique 77 (Taux moyen de prélèvement sur le revenu brut fiscal déclaré par centile de revenu,
dernier décile) du rapport 2011
du Conseil des prélèvements obligatoires, illustrant bien la rupture de
progressivité qui intervient très haut dans la distribution des revenus pour l’IR.
28
28
Graphique 2 : Taux de prélèvements obligatoires sur les revenus secondaires
2.1.2.
Un barème linéaire par morceaux reproduit le système redistributif actuel
Supposons le problème d’assiette réglé par la réforme
suggérée en 1.1 et laissons de côté la
question des très hauts revenus pour nous concentrer sur la progressivité théorique
d’ensemble
, sur une gamme de revenus allant de 0 à 6500 euros bruts par mois (ce qui
correspond au 97 percentile). On peut alors commenter le profil des taux effectifs
d’imposition issus
de
l’impact combiné des
cotisations sociales, impôts directs (IR et
CSG/CSG) et aides sociales (PPE, RSA, AL). Des taux
effectifs
incluent non seulement le
prélèvement de cotisations et impôts sur un euro de revenu brut supplémentaire mais aussi
la perte
éventuelle d’aides sous condition de ressource.
Une illustration de la situation en 2014. Nous illustrons le système actuellement en vigueur
avec le graphique 3 représentant la
courbe de budget, c’est
-à-dire le niveau de revenu
disponible en fonction du revenu brut mensuel (courbe en gris foncé, axe de gauche). Nous
représentons aussi le taux
moyen
d’imposition
effective en fonction du revenu brut
(pointillés gris, axe de droite). Les deux courbes décrivent la situation actuelle pour un
célibataire sans enfant
: en s’abstrayant de la dimension familiale, on peut caractériser le
degré de redistribution verticale qu’impose notre système
.
La diagonale en pointillés oranges indique une ligne de neutralité : le revenu disponible est
égal au revenu brut. Cette droite coupe la courbe de budget à environ 1000 euros mensuels
ce qui correspond à 0,75 SMIC temps plein. A partir de ce niveau de revenu brut, la courbe
de budget passe
sous la diagonale, ce qui signifie que l’on devient contributeur net.
29
29
Graphique 3 : Système actuel et remplacement par un système « transfert forfaitaire-taux
proportionnel »
Source
: calculs de l’auteur.
La redistribution verticale effectuée
par l’ensemble cotisation
s-impôts-aides sociales peut
être approximée par un barème très simple. Nous proposons ensuite un système constitué
d’un transfert universel de 721 euros mensuels (correspondant au RSA socle et aux AL pour
zéro revenu, c’est
-à-dire le filet de sécurité pour une personne seule) et deux taux
marginaux (65% en dessous du SMIC et 42% au-delà).
54
Insistons sur le fait qu’il s’agit
d’une formule de calcul
: le transfert « universel » est donc virtuel
. En d’autres termes, ce
système d’impôt négatif n’implique pas de véritable allocation universelle, et un
transfert
ne s’opère que pour les receveurs nets de ce système.
Il est frappant de voir que ce système très simple, représenté par la courbe de budget rouge,
reproduit presque à l’identique le niveau de revenu disponible du système actuel.
Les
courbes grises et rouges en pointillés montrent aussi que les taux effectifs moyens sont
presque identiques et, dans les deux cas, augmentent avec le niveau de revenu brut,
garantissant ainsi une certaine progressivité du système socio-fiscal.
Comment expliquer
qu’un
barème si simple approxime si bien l
’ensemble
complexe des
instruments socio-fiscaux?
Regardons d’abord la partie inférieure des revenus, en dessous
de 1 SMIC. Comme nous le verrons dans la troisième partie de ce rapport, le système actuel
impose implicitem
ent les revenus du travail à un taux élevé, autour de 65%, du fait d’un
cumul des taux de sortie des aides (RSA et AL) et des taux de prélèvement (cotisations
sociales, CSG/CRDS et IR). Le taux marginal retenu est donc une bonne approximation. Il
54
Ce système est supposé remplacer absolument tous les instruments socio-fiscaux composant le revenu
disponible (en négatif : cotisations sociales, CSG/CRDS, IR, en positif: RSA, AL, PPE).
30
30
s’avère
de plus
que le barème effectif résultant de ces divers instruments n’est pas très
éloigné d’un barème linéaire.
Si l’on regarde maintenant les revenus au
-
dessus d’un SMIC, il se trouve que notre
célibataire ne reçoit plus d’aide sociale
et voit son revenu taxé aux taux proportionnels de
cotisations sociales, CSG et CRDS, ainsi qu’au taux progressif de l’IR.
Entre un SMIC (1400
euros bruts mensuels) et environ 2,2 SMIC (3 000 euros),
c’est
-à-dire entre 11 992 et 26
631 euros de revenu imposable annuel, cet individu est concerné par la seconde tranche
d’IR
, celle à 14%. La courbe rouge est alors légèrement au-dessus de la grise, car notre taux
marginal à 42% est calqué sur la troisième tranche (celle à 30%).
55
En effet, on voit ensuite
que le taux de 42% est ex
actement le taux marginal effectif en vigueur à partir d’environ
3000 euros bruts mensuels, résultant du cumul des taux de cotisations sociales,
d’
CSG/CRDS et
du taux d’
IR à 30%.
On voit donc que lorsque l’on se concentre sur l’équité verticale, c’est
-à-dire le « traitement
inégal des inégaux », la progressivité du barème socio-
fiscal est telle que l’on peut la
reproduire très simplement. On souhaiterait surement une progressivité accrue pour les
très hauts revenus,
que l’on a laissé de côté dans cette ana
lyse. On peut le faire avec la
tranche à 41% à partir de 70 398 euros de revenu imposable annuel, ou celle à 45% à partir
de 151 000 euros. Ce qui est
surprenant, cependant, c’est que ces taux supérieurs
interviennent très haut. La fin de la tranche à 30% correspond à environ 8150 euros bruts
mensuels (5,8 SMIC), ce qui nous situe au 98
ème
percentile de la distribution des revenus.
On dépasse alors la fin de
l’
axe horizontal sur notre graphique qui culmine pourtant à 6500
euros bruts, soit le 97
ème
percentile.
Pour l’immense majorité des individus, on pourrait
donc approximer la redistribution verticale opérée par le système socio-fiscal avec un
système par transfert universel et deux taux marginaux d’imposition
.
Un tel exercice de simplification, riche d’e
nseignements, était déjà réalisé dans plusieurs
études en 1998.
56
Il montrait notamment que notre système pouvait être décrit par une
courbe de budget en forme de « S» : le premier segment, assez plat, correspondant à la
sortie des aides sociales (ces études portaient sur le système des années 90 dans lequel ce
segment était encore plus plat qu’actuellement du fait des taux confiscatoires implicites du
RMI), le second, plus pentu, à une zone intermédiaire de revenus peu ou pas taxés, le
troisième, à nouveau plus aplati, à un tranche supérieure de revenus taxés à des taux plus
élevés.
Un système à un seul taux. La courbe de budget bleue et la courbe de taux moyens associée
(en pointillés bleus) correspondent à un système encore plus simple, composé du même
transfert universel et
d’un seul
taux marginal à
50%. Il n’y a donc plus de progressivité
selon la définition basée sur les taux marginaux (notons que le système à deux taux en
rouge était régressif selon cette définition), mais par contre, ce système est progressif au
sens d’un
e progression des taux moyens effectifs avec le niveau de revenu brut. On observe
même un degré de progressivité supérieur puisque le taux moyen est plus faible que dans
les deux précédents systèmes jusqu’à environ 4000 euros et plus é
levé ensuite. On voit en
effet que ce système permet des taux marginaux plus faibles en bas (50% au lieu de 65%)
et plus élevés en haut (50% au lieu de 42). L’avantage d’un tel système est double
: une
progressivité en taux moyens accrue et de meilleures incitations au travail (grâce à des
gains financiers à une reprise d’activité plus élevés). Le seuil à partir duquel l’on devient
55 Cette différence entre les deux courbes correspond donc simplement aux différences de taux moyens, mais pas
à la différence entre les taux marginaux (30%-
14%), car le taux de 14% ne s’applique qu’aux revenus de cette
seconde tranche.
56 François Bourguignon (1998): «Fiscalité et Redistribution », Rapport du CAE, La documentation française, et
François Bourguignon et Pierre-André Chiappori (1998) : « Fiscalité et Redistribution », Revue française
d'économie. Volume 13 N°1, p. 3-
64, avec discussion de l’article par François Bourguignon , Patrick Suet , Alain
Trannoy, p. 65-87.
31
31
contributeur net est maintenant le SMIC et non plus 0,75 SMIC. Bien sûr, on peut aussi y
ajouter des taux marginaux supérieurs pour les très hauts revenus (non représentés),
comme indiqué précédemment.
Une simple intégration des instruments existant sous le seuil de contribution nette. Au-delà
de ses vertus pédagogiques
, on peut se demander le réalisme d’un barème aussi simple. En
réalité, la formule de calcul retenue pour les bas revenus, en dessous du SMIC, est
exactement celle du RSA, à savoir un « revenu minimum garanti » ou RMG (ici 710 euros
mensuels, correspondant au montant maximum de RSA et
AL cumulés) diminué d’une
partie du revenu (ici un taux marginal de 50% ou 65%, assez proche et même inférieur aux
taux marginaux effectifs actuels). Il s’agit donc simplement d’une intégration des différentes
aides et prélèvements associés aux revenus en dessus d’un SMIC (RSA, AL, cotis
ations, CSG
et IR). N
ous discutons d’unification possible de ces différents dispositifs pour les bas
revenus dans la troisième partie de ce rapport.
Dimension familiale. Si on introduit maintenant la dimension familiale, le revenu pris en
compte est celui de la famille, comme actuellement pour le RSA. Considérons le système
rouge (répliquant le système actuel et où l’on devient contributeur net à 0,75 SMIC) et le
bleu (où l’on devient contributeur net à 1 SMIC).
On peut ajuster deux paramètres : le
niveau de RMG ou le taux effectif appliqué aux revenus bruts. Supposons que
l’on ne
souhaite
pas dégrader les incitations au travail en augmentant ce taux effectif d’imposition,
mais qu
’on augmente le revenu minimum garanti de
66% pour un enfant à charge, ce qui
correspond à la hausse de RSA pour un enfant dans le système actuel.
57
Le seuil de revenu à
partir duquel on devient contributeur net augmente alors également de 66%,
58
c'est-à-dire
environ 1,2 SMIC dans le système rouge - ce qui correspond également au seuil de
contribution nette pour un parent isolé avec un enfant dans le système existant. Le système
rouge est donc à nouveau une bonne réplique du système actuel, du moins dans la partie
basse des revenus. Dans le système bleu, le parent isolé devient contributeur net à 1,66
SMIC, ce qui correspond au seuil de sortie du RSA pour ce parent isolé.
Si l’on considère maintenant un couple avec deux enfants,
supposons que le RMG augmente
alors de 210%, correspondant à la hausse actuelle de RSA dans ce cas.
59
Dans le système
rouge, ce ménage devient contributeur net à 0,75x(1+210%)=2,3 fois le SMIC ce qui est
cependant inférieur au seuil de contribution nette du système actuel, à savoir 1,4 fois le
SMIC (c
’est
par contre à environ 2,2 fois le SMIC que le RSA se termine dans le système
actuel).
Bien sûr, un barème à taux unique au-dessus du seuil de contribution nette ne pourra pas
reproduire le système actuel, simplement parce que ce dernier est progressif et prend en
compte la dimension familiale grâce au quotient familial et conjugal. Notre exemple a donc
le mérite de rappeler que ces quotients ne sont effectifs que s’il y a un minimum de
progressivité
au sens des taux marginaux
et non des taux moyens.
Impôt minimal. Dans la réforme proposée par Landais, Piketty, Saez (2011), tout le monde
paie un impôt, même minimal. Ce point est certainement important pour une idée de justice
sociale
et d’identité, d’appartenance à une nation et à l’effort collectif. Bien sûr, c’est déjà le
cas dans le système actuel puisque les salaires sont imposés dès le premier euro au taux de
57 Cet incrément suppose implicitement u
ne échelle d’équivalence telle que les besoins d’un enfant sont estimés à
deux-
tiers de ceux d’en adulte.
58 Notons D le revenu disponible, Y le revenu brut, B le revenu minimum garanti et t le taux de taxation implicite
sur revenus bruts. On a alors un transfert net égal à B-tY, et ainsi : D=B+Y(1-t). On devient contributeur net
lorsque D=Y, c’est
-à-
dire pour Y= B/(1+t). Si on augmente B de x%, le seuil où l’on devient contributeur net
augmente également de x%.
59 Cet incrément suppose implicitement une éche
lle d’équivalence telle que les besoins de chaque enfant sont
estimés à deux-
tiers de ceux du premier adulte, et le poids du second adulte n’est que 78% de ceux du premier,
tenant compte ainsi des économies d’échelle que permet la vie en couple.
32
32
CSG/CRDS (8%). On se demande donc si la qualité « indolore » (toute relative) de la
CSG/CRDS,
née d’un malentendu originel
sur sa nature mais également du fait qu’elle est
proportionnelle (voir 1.3.2), est souhaitable dans ce cas. Les citoyens modestes sont imposé
sans le savoir et sans profiter
de ce sentiment symbolique d’appartenance. On voit bien qu’il
s’agit là de psychologie fiscale plus qu’autre chose, car les individus entre 0 et 1000 euros
sont en principe des
receveurs nets s’ils touchent le RSA
(2/3 des personnes éligibles au
RSA activité n’y ont pa recours, cependant)
.
2.1.3.
Super-taux
d’imposition et réponses comportementales des hauts revenus
Le retour des taux supérieurs assez élevés.
On s’est conce
ntré sur la nature du barème pour
les 97% des français les plus « pauvres »
. Si l’on regarde maintenant les très haut
s revenus,
la tendance récente en France marque une augmentation des taux supérieurs. Pourtant, la
régressivité dans le haut de la distribution est avant tout
une question d’assiette. Même si
l’on suppose ce problème réglé, comme indiqué plus haut
, faut-il quand même aller plus
loin dans l’élévation des taux supérieurs
?
La loi de finance 2013 a introduit une nouvelle tranche marginale d’IR à
45% pour les
contribuables déclarant plus de 150 000 euros par part. Les taxes additionnelles sur les
hauts revenus de 3% et 4% au-delà de 250 000 euros et 500 000 euros par part sont
également renouvelées dans les dernières lois de finance et viennent s'ajouter à ce taux
d'imposition.
La taxe supplémentaire à 75 % sur les revenus d’activité de plus d’
un million
s'élève quant à elle à 50 % en réalité, le taux de 75 % étant la résultante de cette surtaxe,
acquittée finalement par les entreprises, et des cotisations sociales plus CSG/CRDS (environ
25 % à ce niveau de revenu). Limitée à deux ans, sur les revenus de 2013 et de 2014, elle
doit rapporter 260 millions d'euros en 2014 et 160 millions en 2015.
Des taux supérieurs à relativiser et à intégrer dans un barème progressif régulier. Les
réactions déclenchées par cette dernière mesure montrent
d’une part l’importance de la
communication. On peut tout à fait accepter un taux supérieur à 50% qui suit les tranches à
41% et 45% dans un barème progressif régulier, sans faire passer cette mesure pour une
taxation punitive sur les hauts revenus. Rappelons que le taux marginal supérieur en
France était à 57% en 1995, 54% en 2000 et encore à 48% en 2005.
60
Réponses comportementales. Dans ce contexte, quel est le risq
ue d’une imposition
marginale élevée dans le haut de la distribution ? Pour envisager les
effets d’éviction
pouvant se produire suite
à de telles mesures, il faut distinguer ce qui est dû à l’effort
productif (offre de travail, investissement, prise de ris
que d’un entrepreneur)
, aux
stratégies d
’optimisation fiscale légale, à la
dissimulation ou fuite fiscale et, finalement, à la
migration fiscale. Premièrement, l
’effort productif correspond à un effet économique réel
qu’on ne peut empêcher par des moyens l
égaux. Il
n’y a cependant aucune preuve
empirique que les hauts revenus abaissent leur temps de travail ou arrêtent de travailler à
60
Il était de 75% en 1980 et 81,3% en 1967 ! Il est encore de 56,6 % en Suède, 55,4 % au Danemark, 53,7 % en
Belgique, 52 % aux Pays-Bas et en Espagne, et 50 % au Royaume-
Uni, mais il convient d’ajouter la CSG/CRDS au
taux supérieur de l’IR pour établir une comparaison internationale avec la France. Si l’on compare avec
l’Allemagne
: les revenus supérieurs à 150 000 euros sont soumis à un taux de 42% en Allemagne contre
45%+8% de CSG/CRDS (s’il s’agit de salaire) en France, les revenus supérieur à 250 000 euros à un taux d’IR 45%
en Allemagne contre 48 ou 49%+8% en France (en comptant la contribution exceptionnelle)+CSG/CRDS.
L’imposition est en revanche plus basse en France pour les revenus plus modestes
: le taux à 5,5%+8% de
CSG/CRDS s’applique sur les revenus de m
oins de 12 000 euros alors que le taux marginal en Allemagne dans
cette zone de revenus (entre 8000 et 13500 euros) varie entre 14% et 23.9% ; de 13500 à 52800 euros, les
revenus allemands sont taxés entre 23.9% et 42% tandis que les revenus français sont aux taux de 14%+8% ou
30%+8% (la tranche à 30% débute à 26400 euros).
33
33
la suite de hausses
d’impôts.
61
Deuxièmement, les
possibilités d’évitement légal
de l’impôt
se réduisent énormément dans un système à assiette large et débarrassé de multiples
dérogations et niches fiscales. Troisièmement, la dissimulation dépend de la politique
menée en matière de contrôle fiscal. Le risque de fuite des fortunes vers les paradis fiscaux
relève de la fraude fiscale et les récents accords internationaux visent en principe à limiter
ces comportements. Finalement,
l’émigration de travailleurs à hauts salaires peut être
importante (voir
Kleven et al., 2013), même si on l’associe souvent à des salariés
très
particuliers, comme les footballers internationaux par exemple (voir Kleven et al., 2014).
Nous ne disposons d’aucune estimation pour la France mais la prise en compte de la
migration fiscale peut modifier assez radicalement le barème optimal d’un grand impôt sur
le revenu (voir Lehmann et al., 2013).
62
A nouveau, augmenter le taux effectif
moyen
sur les hauts revenus requière avant tout une
suppression des niches fiscales et une intégration des revenus du capital dans l’IR
.
Rehausser les taux supérieurs ne sert évide
mment à rien s’ils s’appliquent à une base
imposable étriquée.
2.2.
Equité horizontale et traitement de la dimension familiale
2.2.1.
Le Quotient Familial : principes généraux
Nous partons du traitement actuel de la dimension familiale, à savoir le quotient familial
(QF). On retient ici la notion de QF au sens large, qui peut se décomposer en deux
dimensions : la première relève du nombre de personnes à charge (quotient familial
« enfant
») et la seconde du statut marital et de la conjugalisation de l’IR (quotient
conjugal)
, qu’on
distinguera si besoin.
L
’équité horizontale
. En France, la redistribution entre types de ménage, et notamment vers
les familles avec enfant, relève de différents objectifs. Le premier est l’équité horizontale.
Un impôt progressif exige une plus forte contribution de la part des ménages les plus riches,
au nom de l’
équité verticale (« le traitement inégal des inégaux »). Il faut cependant définir
le niveau de richesse réelle des ménages, et pour cela ajuster les revenus en prenant en
compte la
taille des ménages et l’hétérogénéité de leurs besoins, liée à leur composition
(nombre d’enfants
en bas âge et donc avec peu de besoins matériels) ou leurs circonstances
(ex :
degré de handicap d’un des membres de la famille).
L’ajustement du revenu relè
ve
d’un principe d’
équité horizontale : « Les égaux doivent être traités également ». Ce principe
nous dit qu’il faut définir la
« capacité contributive »
des ménages, c’est
-à-dire établir qui
sont les « égaux » en terme de niveau de vie réel.
61
Voir Emmanuel Saez, Joel Slemrod, et Seth Giertz, « The Elasticity of Taxable Income with Respect to Marginal
Tax Rates : A Critical Review », Journal of Economic Literature, volume 49
, 2011, pour une revue d’ensemble des
recherches sur le sujet. Pour la France, voir Thomas Piketty (1999) : « Les Hauts revenus face aux modifications
des taux marginaux supérieurs de l’impôt sur le revenu en France, 1970
-1996 », Économie et prévision, n° 138-
139. Pierre-Yves Cabannes, Cédric Houdré et Camille Landais (2014) : «Comment le revenu imposable des
ménages aisés réagit-il à sa taxation ? Une estimation sur la période 1997
‑
2004», Économie et statistiques, N°
467-468, p. 141-162, suivi du commentaire de Spencer Bastani et Laurent Simula : « Évaluer les limites à la
redistribution : approches partielles ou approche globale ? ».
62
Kleven H., Landais C., Saez E. et Schultz E. (2014), « Migration and Wage Effects of Taxing Top Earners: Evidence
from the Foreigners’ Tax Scheme in Denmark », Quarterly Journal of Economics, vol. 129, n° 1, pp. 333
‑
378.
Kleven, H., Landais, C. et Saez E. (2010): « Taxation and International Mobility of Superstars : Evidence from the
European Football Market », American Economic Review, vol. 103, n° 5, pp. 1892
‑
1924. Lehmann E., Simula L. et
Trannoy A. (2013b), « Tax me if you can! Optimal nonlinear income tax between competing governments », IZA
Discussion Paper 7646.
34
34
La prise en compte de la famille vise
aussi d’autres
objectifs. Une seconde raison pour
laquelle on peut souhaiter subventionner les familles avec enfants est le souhait de lutter
contre la pauvreté des enfants. La difficulté est de savoir si les enfants vivant dans un
ménage pauvre le sont aussi. Une compensation fiscale pour charge de famille peut aussi
viser des objectifs natalistes. Nous reviendrons sur ce point.
Plusieurs instruments selon le niveau de revenu. Ces objectifs
s’appuient
sur le QF pour ce
qui est des contribuables, donc dans la moitié haute de la distribution des revenus. Pour les
ménages non-contribuables, modestes ou pauvres, les aides sous conditions de ressources
sont également modulées avec la composition familiale (par exemple les incréments de RSA
par enfant à charge) ou directement ciblées sur les familles (ex : Allocation de Rentrée
Scolaire, ARS). Enfin, les Allocations Familiales (AF) sont pour tous. On se concentre donc
ici sur le QF, car les aides aux bas revenus (et leur traitement de la famille) seront étudiées
en troisième partie tandis que les AF
ne dépendent pas du revenu du ménage et n’entrent
donc pas dans un éventuel conflit entre équité verticale et équité horizontale.
Principe du quotient familial. Le QF, au sens large, est la méthode retenue en France pour
adapter le montant de l'IR aux capacités ou facultés contributives d'un ménage.
63
Comme
évoqué plus haut, o
n entend par là qu’un ménage est
plus
pauvre parce qu’il a beaucoup de
bouches à nourrir et donc une plus faible capaci
té à payer l’impôt qu’un ménage avec le
même revenu mais sans enfant. Le QF est alors le revenu du ménage divisé par la somme
des parts allouées à chaque personne qui le compose. Les parts sont différentes selon qu'il
s'agit d'adultes, d'enfants ou de personnes présentant des caractéristiques particulières
(handicapés par exemple). Un adulte compte pour une part, les deux premiers enfants
d’un
couple pour une demi-part chacun (le premier pour une part entière dans un ménage
monoparental), le troisième pour
une part entière, etc. C’est ensuite au revenu déflaté (le
QF) qu’on applique le barème progressif de l’IR pour obtenir l’impôt dû par part, multiplié
par le nombre de parts pour donner l’impôt total dû par le foyer fiscal.
2.2.2.
Avantages (théoriques) du Quotient Familial
Une prise en compte explicite des échelles d’équivalence.
Le système de QF a plusieurs
avantages. Premièrement, ce système est cohérent avec la no
tion d’ «échelle d’équivalence
»
et de «revenu équivalent». Un revenu équivalent consiste précisément à déflater le revenu
d’un ménage par un nombre d’unités de consommation défini
es selon une échelle
d’équivalence, de façon à refléter les différences de niveau de vie entre ménages de taille et
composition différente
s. Si l’on prend un célibataire san
s enfant comme ménage de
référence (1 unité de consommation)
, alors l’échelle d’équivalence pour un parent vivant
seul avec son enfant va prendre en compte le fait que les besoins de l’enfant sont moindre
s.
L’échelle « OCDE modifiée » attribue par exemple
un poids de 1 au premier adulte, 0,3 aux
enfants d
e moins de 14 ans et 0,5 aux autres membres, de sorte qu’un couple avec deux
enfants en bas âge représente 2,1
unités de consommation. S’il gagne
2100 euros par mois,
le revenu équivalent de ce ménage est de 1000 (par unité de consommation), et son niveau
de vie est donc identique à un célibataire sans enfant dont le revenu est de 1000.
On voit donc que le nombre de parts de QF correspond, en principe, à une échelle
d’équivalence, tandis que le QF lui
-même correspond à un revenu équivalent. Le couple
63
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, article 13
: «
Pour l’entretien de la force publique, et pour les
dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre
tous les citoyens, en raison de leurs facultés. » Rappelons que ce principe a été invoqué par le Conseil
Constitutionnel pour retoquer la mesure du PLFSS 2001 visant à créer un abattement du tiers de la CSG/CRDS sur
les revenus d’activité et de remplacement inférieurs ou égaux au SMIC (et abattement dégressif jusqu’à 1,4 SMIC).
Ce rejet a conduit à la création de la PPE.
35
35
avec deux enfants compte pour 3 parts de sorte que leur revenu équivalent selon le barème
du QF est de 2100/3=700 euro.
Notons également que la notion d’échelle d’équivalence est liée à celle d
u
coût de l’enfant
.
Prenons un parent seul avec un enfant. Selon l’échelle OCDE, ce
parent isolé a besoin de
30% de revenus supplémentaires pour atteindre le même niveau de vie qu
’un
célibataire
seul. Si ce dernier gagne 1000, le parent isolé devra donc gagner 1300 pour atteindre le
même niveau de vie. La différence
correspond à la « part » de l’enfant (de 0,3) ou à un coût
de l’enfant de 300.
Bâti autour du principe d’équité horizontale et d’égal sacrifice.
Deuxièmement, le système de
QF est le seul traitement de la dimensi
on familiale qui permet d’appliquer le principe
d’équité horizontale
, tel que défini plus haut. Du moins en principe, car il est probable que
les échelles d’équivalence implicites dans le QF ne reflètent pas la réalité des différences de
niveaux de vie
–
nous revenons sur ce point ci-dessous.
L
e principe d’équité horizontal est à rapprocher d’un autre principe dit d’
« égal sacrifice »
qui, dans sa version multiplicative, nous dit que «
l’impôt est juste lorsque la perte de bien
-
être qu’il inflige est la m
ême pour tous les contribuables en proportion du bien-être avant
impôt ». On peut interpréter ce principe simplement en disant que deux ménages qui ont le
même revenu équivalent avant impôt devraient payer la même taxe équivalente. Ils
devraient subir le même taux moyen de taxation.
64
C’est le principe même du système par
QF : « à niveau de vie égal, taux d'imposition (moyen) égal ». Le principe de sacrifice égal
appliqué à des foyers fiscaux de taille/composition différente permet donc de justifier
l’équit
é du système par QF.
La
critique selon laquelle la réduction d’impôt en faveur des familles croit avec leur revenu
peut donc être modérée par cet argument : le QF ne fournit
pas d’
avantage aux familles
riches et nombreuses,
lorsqu’on raisonne en proportio
n de niveau de revenu équivalent ;
elle garantit seulement que le poids de l'impôt est équitablement réparti entre des familles
de taille différente, mais de niveau de vie équivalent, selon un principe d'équité horizontale
familiale.
65
Nous allons voir en section 2.2.1
que des échelles d’équivalence variant avec le
revenu peuvent relâcher cette tension entre équité horizontale et équité verticale.
2.2.3.
Critique et pistes de réforme du Quotient Familial
Le QF français
n’applique pas de réelles échelles d’équivale
nce. Le système français de QF
connait des limites qui ne remettent cependant pas en cause les vertus décrites ci-dessus.
Le problème d’application de ce mécanisme dans le cas français est que
le nombre de parts
64
Notons x1 le revenu brut et e1 l’échelle d’équivalence d’un parent isolé avec un enfant, x0 et e0 le revenu et
l‘échelle d’un célibataire seul, et la fonction t() le barème progressif appliqué au revenu équivalent. S’ils ont le
même revenu équivalent, x0/e0=x1/e1, alors l’impôt payé par le premier ménage, e1.t(x1/e1), donne un taux
moyen (on divise par x1) qui s’écrit t(x1/e1)/(x1/e1) et qui est d
onc égal au taux moyen du second ménage.
65
Le critère d’équité repose sur une comparaison des niveaux d’imposition de ménages à revenus identiques mais
de taille familiale différente. Le débat populaire s’est plutôt focalisé sur la comparaison des impôts d
e ménages de
même taille familiale et de revenus différents -
en constatant qu’un enfant de riche rapporte plus fiscalement
qu’un enfant de pauvre. A juste titre néanmoins
: selon le CPO (rapport de mai 2011 : « Prélèvements obligatoires
sur les ménages: progressivité et effets redistributifs »), le dixième le plus aisé des foyers imposés à l'impôt sur le
revenu perçoit 46 % de l'avantage fiscal que représente le QF. Et le total perçu par les deux dixièmes les plus aisés
représente 64 % du QF. Environ 54 % des foyers fiscaux sont imposables à l'IR, donc chaque dixième des foyers
fiscaux imposables rassemble 5,4 % du total des foyers fiscaux. Cela signifie que près des deux tiers des 10,1
milliards de réduction d'impôts liées au QF le sont par les 11 % les mieux lotis des foyers fiscaux (en supposant
que la charge d'enfants est la même pour chaque décile de la distribution des foyers fiscaux, ce qui n'est sans
doute pas totalement vérifié, voir page 201 et suivantes du rapport du CPO).
36
36
de QF ne reflète pas nécessairement les « vr
ais » échelles d’équivalence des ménages
français
, ni même des échelles d’équivalence crédibles. De nombreuses études d’experts en
sciences sociales ont pourtant permis de mesurer ces échelles à partir de données de
consommation et d’hypothèse
s identifiantes explicites.
Le décalage
est flagrant lorsqu’on se concentre s
ur les parts correspondant au quotient
conjugal
: le fait d’allouer une part entière pour le conjoint, et donc une échelle
d’équivalence de 2 pour un couple (lorsqu’elle est de 1 pour un céli
bataire), ne reflète pas
les différences de niveau de vie entre un couple et une personne seule. La plupart des
études sur le sujet montrent en effet que l’échelle d’équivalence du couple est plutô
t de
l’ordre de 1,5 puisque la vie à deux procurent d’importantes économies d’échelle
dues au
partage
de biens comme le logement, l’équipement ménager, le chauffage, etc.
Les parts pour enfants à charge ne reflètent pas non plus des échelle
s d’équivalence
plausibles. Pourquoi un premier enfant couterait-il moins cher à un couple (pour lequel il
compte pour une demi-
part) qu’à un parent isolé (une part entière)
? Comment peut-on
donner une part entière dans ce dernier cas, sachant que les besoins d’un enfant sont
inférieurs à
ceux d’un adulte? Comment justifier
la part supplémentaire pour le troisième
enfant
(
l’argument d’un supposé saut de consommation avec la nécessité d’un
agrandissement du logement, de la voiture, etc., a ses limites) ?
Les limites d’âge pour la
définition d’un enfant à charge ne sont pas non pl
us justifiables par une chute soudaine du
coût de l’enfant à
21 ans; il semble au contraire que ce coût augmente puisque les besoins
de l’enfant deviennent de plus en plus similaires à ceux d’un
adulte.
Objectifs natalistes à dissocier et à évaluer. On le voit, les autres objectifs, au premier rang
desquels figure une politique nataliste, viennent fausser
la belle mécanique d’un système
fondé sur les critères éthiques définis ci-dessus.
Si l’on compare l’échelle d’équivalence du
QF et celle de l’OCDE (voir
Trannoy, 2011, page 53), on voit que la première est
systématiquement plus élevée, c’est
-à-dire que le Code des Impôts avantage les familles par
rapport aux célibataires et sous-
estime donc leurs capacités contributives. L’alignement des
parts fiscales sur
les échelles d’équivalence de l’OCDE rapporterait 2,3 milliards d’euros
selon les calculs du Trésor. Faut-il y voir le coût de la bonne natalité française ?
Premièrement, si les politiques natalistes sont toujours en vigueur en France, il faudrait que
cet objectif soit rattaché à un instrument approprié, par exemple une aide directe de type
allocation familiale, et extrait de l’impôt
. Le raisonnement est le même que pour les niches
fiscales : à chaque objectif, son instrument. Il faudrait donc dissocier l
’objectif incitatif
nataliste de l’objectif
premier
de l’impôt, c’est
-à-dire la redistribution fondée sur les
principes d’équité
s verticale et horizontale. Une aide universelle de type allocation familiale
a le mérite de toucher, par définition,
tous les ménages et ne profite donc pas de manière
démesurée aux plus riches. Le QF semble lui vouloir augmenter la natalité de ces derniers
seulement !
Deuxièmement
, il n’est pas dit que l’avantage fiscal lié à la famille dans le QF français ait été
le moteur de la natalité française. Trannoy (2011, page 57) montre que les taux de natalité
française augmente à partir du 17
ème
vintile de la distribution des revenus, fait troublant
puisque l’avantage fiscal concerne à peu près ces ménages à haut
s revenus. Le graphique 4,
tiré de Landais, Piketty, Saez (2011, page 104), montre justement
que l’avantage fiscal lié au
QF augmente en effet vers le 80-90
ème
percentile. De plus, les Etats-
Unis n’ont pas de
système de QF et leur natalité n’augmente pas dans les hauts revenus.
Ces faits sont loin
d’être suffisant pour tirer une causalité. Certaines études comme
Landais (2003) ont
montré
d’ailleurs
que
l’impact des politiques d’incitations fiscales sur la fécondité est
positif
37
37
mais toujours extrêmement faible.
66
Même
s’il y avait
une relation de cause à effet, le gain
moyen de natalité d’environ 0,1 qu’on voit sur les trois vintiles supérieurs
du graphique
dans Trannoy (2011, p. 57), augmenterait donc la natalité française de 0,06 points
seulement.
Troisièmement, il est probable q
ue la natalité dépende plus des coûts de garde d’enfant et
donc des politiques de crèches publiques, d’aménagement du temps de travail, de
possibilité de garde dans les entreprises, etc. Ces politiques ont été poussées très en avant
dans les pays scandinaves qui, avec la France, affichent actuellement les plus haut taux de
natalité en Europe.
67
Graphique 4 : transfert net par enfant dû au quotient familial et aux prestations familiales
2.2.1.
Echelles d’équivalence
globales du système socio-fiscal
Reste à s’acc
order sur une échelle
d’équivalence
pour la France. Nous ne prétendons pas ci-
dessus
que l’échelle d’équivalence de l’OCDE
est celle que le Code des Impôts devrait
retenir. Elle a été critiquée pour sa simplicité extrême, et sa vertu tient essentiellement au
66
Landais, C. (2003) : « Le quotient familial a-t-il stimulé la natalité française ? », Economie publique, n° 13. On
note aussi la relative stabilité du taux de fécondité en France, de 1,95 en 1981 à environ 2 en 2009. Les effets du
QF sur la fécondité des ménages les plus aisés sont analysés en utilisant les changements de législation plafonnant
le quotient familial (1981), l’octroi d’une demi
-part supplémentaire pour le troisième enfant (1981) puis son
extension à tous les enfants au-
delà du troisième (1986). L’élasticité de la fécondité aux politiques d’incitations
financières semble positive mais très faible, cet impact se diffusant lentement sur 5 à 10 ans. De plus, l’effet des
incitations financières est fonction du rang de naissance et du niveau de revenu. Une hausse de 1
% de l’incitation
relative en faveur des foyers de trois enfants produit une hausse relative de leur proportion de moins de 0,05 %
concentrée dans le haut de la distribution des revenus. La politique du troisième enfant semble donc avoir eu un
impact positif mais faible au niveau du dernier centile de revenu.
67
Joëlle Sleebos (2003): “Low Fertility Rates in OECD Countries: Facts and Policy Responses”, OECD.
38
38
fait qu’elle est utilisé
e
comme référence pour les comparaisons internationales. Lorsqu’on
étudie un pays en particulier, il faudrait plutôt faire référence à une échelle d’équivalence
appropriée, c’est
-à-
dire reflétant le coût réel d’un enfant ou les économies d’échelle de la vie
à plusieurs qui sont spécifiques à ce pays. Dans les années 1970, la Grande-Bretagne avait
par exemple développé une échelle dite de McClements, spécifique aux ménages
britanniques et variant de façon détaillée avec l’âge des e
nfants (et donc les besoins du
ménage). Cette échelle a été elle-même critiquée au fil des années puisque le coût de la vie a
changé, et de manière différenciée pour différents types de familles,
de sorte qu’
une
réévaluation de cette échelle est nécessaire. Il est tout à fait possible de mesurer également
une échelle adaptée à la France de 2014.
68
Echelles dépendantes ou non des revenus.
Une difficulté réside dans le choix d’une échelle
universelle, ou d’une échelle qui dépend du revenu. Le principe d’équité
horizontale
appliqué sans distinction requerrait la première. La seconde peut cependant être défendue
pour deux motifs : éthique et empirique.
Le premier motif est à relier au raisonnement précédent en termes
d’équité horizontale
, qui
s’appuyait implicitement sur l’idée d’une échelle d’équivalen
ce indépendante du revenu. Il
est cependant possible de trouver des justifications éthiques à changer cette échelle, parce
que l’on sait que l’ajustement nécessaire pour compenser un ménage du coût d’un enfant,
par
exemple, n’est pas le même pour les riches et les pauvres. En particulier, on peut juger
qu’une
personne
seule avec un enfant et gagnant 1300 euros a le même niveau de vie qu’un
célibataire gagnant 1000 euros. Mais doit on utiliser la même échelle de 1,3 pour les
comparer à une personne avec enfant gagnant 130 000 euros par mois
, c’est
-à-dire
supposer que son niveau de vie réel
n’est «
que » de 100 000 euros ? On se doute que cette
personne
n’a pas besoin d’être compensée
de 30 000 euros mensuels pour la
présence d’un
enfant et il est possible de concevoir une échelle inférieure à 1,3 à ce niveau de revenu.
69
68
Voir l’estimation d’échelles d’équivalence par l’INSEE : Jean
-Michel Hourriez et Lucile Olier(1997) : « Niveau de
vie et taille du ménage : estimations d'une échelle d'équivalence », Économie et Statistique, n°308-309-310 ; voir
aussi l’étude de Bargain, O. and O. Donni (2012): “The Measurement of Child Costs: A Rothbarth
-Type Method
Consistent with Sca
le Economies and Parents' Bargaining”, European Economic Review, 56 (4), 792
-813, qui
propose une extension de la méthode de Rothbarth pour prendre en compte les économies d’échelle dans la
famille et une application sur données françaises.
69
Inversement,
on peut juger que la compensation pour la présence d’un enfant doit être plus grande, et
permettre de couvrir le coût de l’enfant, pour un ménage en situation d’extrême pauvreté par rapport à un ménage
riche.
39
39
Graphique 5
: Echelle d’équivalence estimée à partir du bien
-être subjectif (parent isolé avec un
enfant, à comparer à personne seule normalisée à 1)
Le second argument, purement empirique, vient en soutien au premier. La réalité des
ménages peut faire que les échelles d’équivalence varient effectivement avec le revenu. Il se
peut que les économies d’échelle augmentent avec le niveau de vie –
c’e
st le cas si la part
des biens « publics » dans le ménage diminue (ex
: le loyer) avec le revenu. A l’inverse, la
part de ces biens collectifs peut augmenter avec le train de vie (on achète une TV dernier
cri) et la consommation jointe également augmenter
(on loue une villa plutôt qu’une place
de camping pour les vacances). A cette question empirique, plusieurs études ont montré
qu’en général le deuxième mécanisme l’emportait et que les échelles d’équivalence
diminuaient avec le revenu. C’est notamment le c
as dans Koulovatianos et al. (2005) qui
utilisent des données subjectives collectées auprès de ménages français et allemands pour
mesurer les échelles d’équivalence.
70
Dans le graphique 5, nous avons extrait leurs résultats
pour un adulte avec enfant : par
rapport à un adulte seul (normalisé à 1), l’échelle de ce
ménage monoparental varie de 1,6 dans le bas de la distribution des revenus jusqu’à
environ 1,2 dans le haut (les résultats sont similaires pour l’Allemagne, entre 1,6 et 1,1).
Les gains de revenu disponible sont importants en haut mais aussi en bas.
Notre propos s’est
concentré sur les avantages familiaux liés au QF. Etendons-
le maintenant à l’ensemble du
système socio-fiscal. Sur le graphique 4 tiré de Landais, Piketty, Saez (2011), nous avons vu
que les aides familiales universelles (les AF) et sous condition de ressources - Complément
Familial (CF), Allocation de Rentrée Scolaire (ARS), Prestation accueil jeune enfant (Paje)
de base - représentent des gains moindres pour les bas revenus comparés aux gains liés au
70
Voir Koulovatianos, C. , C.Schöder and U. Schmidt (2005a): "On the income dependence of equivalence scales",
Journal of Public Economics, 89, 5-6, 967-996.
C’est également le cas pour le Canada dans une étude mesurant les
échelles à partir de données de consommation: Donaldson, D. and K. Pendakur (2004): "Equivalent income
functions and income-dependent equivalence scales", Journal of Public Economics, 88, 175-208. Pour un couple
avec un enfant, Donaldson et Pendakur trouvent une échelle d’équivalence de 1,93 pour les bas revenus et 1,62
pour les hauts revenus. Un résultat contraire est obtenu sur données allemandes concernant les couples dans
Biewen, M. and Juhasz, Andos (2013) "A Goodness-of-Fit Approach to Estimating Equivalence Scales" IZA
Discussion Paper No. 7209, mais pas concernant les enfants.
40
40
QF pour les hauts revenus. Cette présentation des choses ignore cependant les incréments
d’aide sociale (notamment RSA et AL) pour la présence d’enfants à charge.
Le graphique 6 montre le gain mensuel total procuré par un enfant pour un célibataire
(courbe en tirets noirs), et les composantes de ce gain à chaque niveau de revenu brut. Il
s’agit simplement de la différence entre la situation d’un parent isolé avec un enfant et celle
d’un célibataire sans enfant à chaque niveau de revenu, reflétant soit des montants d’aides
supérieurs (RSA, AL, ARS), soit un avantage fiscal (QF), pour le parent isolé.
71
La gamme de
revenus bruts couverts par notre graphique va à nouveau de 0 à 6500 euros bruts par mois.
Sur ce graphique, on suppose un QF sans plafonnement. On voit alors
que l’avantage socio
-
fiscal procuré par l’enfant
est élevé non seulement dans le haut de la distribution
(rappelons que 6500 euros délimite P97, le 97
ème
percentile) mais aussi dans le bas, du fait
des montants plus élevés de RS
A et d’AL.
72
Cet aspect est non seulement important pour dire que le système propose une
redistribution horizontale
d’ensemble pas si incohérente, comme on va le voir, mais montr
e
aussi que la redistribution vers les bas revenus spécifiques à la présence d
’enfant
s peut
permettre de réduire la pauvreté des familles avec enfants.
73
71
Par exemple, pour une personne gagnant un SMIC plein, les AL sont supérieures d’environ 200 euros par mois
du fait d’avoir un enfant à charge. On suppose que l’enfant a plus de trois ans donc les Paje de base n’entrent pas
en jeu
; il n’y a qu’un enfant, donc pas d’ allocations familiales. Nous étudions le cas d’une personne seule du fait de
sa simplicité, mais le raisonnement pourrait être étendu aux couples.
72
Si on calcule le gain en fraction de revenu disponible (non représenté) plutôt qu’en montant,
on trouve une
compensation pour un enfant à charge correspond à un environ 45% du revenu disponible dans les bas revenus.
Un coût implicite de l’enfant de 45% celui d’un adulte semble plus en adéquation avec les échelles d’équivalence
empiriques qu’avec l
es échelles implicites du QF. Cette compensation baisse ensuite presque régulièrement
jusqu’à environ 3000 euros de revenu brut, niveau où l’enfant ne «
rapporte » plus que 5% puisque ce ménage ne
bénéficie plus des aides sociales et seulement un peu du QF. Au-delà, le gain associé au QF monte en puissance
mais ne procure pas beaucoup plus de 11% en proportion des revenus disponibles du célibataire sans enfant.
L’impact seul des allocations familiales pour un deuxième enfant élèveraient ces compensations à
65% en bas et
15% en haut.
73
Il n’est cependant pas entièrement clair que les allocations logements ou les incréments de RSA pour enfant à
charge soient les meilleurs moyens de redistribuer vers les enfants pauvres. Certaines études montrent que les
subsides de prix sur des biens consommées pour les enfants peuvent être plus efficaces à budget constant
–
voir
Bargain, O. and O. Donni (2012): “Targeting and child poverty” (previous title: “Indirect taxation, targeting and
child poverty”), Social Choice and W
elfare, 39(4) 783-808.
41
41
Graphique 6
: Gain lié à l’enfant et échelle d’équivalence implicite
pour un monoparental (sans
plafond du QF)
Source
: calculs de l’auteur.
Hors plaf
onnement du QF, l’échelle d’équivalence implicite augmente avec les revenus bruts.
On peut enfin recouvrer
l’échelle d’équivalence implicite sur l’ensemble des niveaux de
vie.
74
Elle est doublement implicite
: d’une part parce qu’
elle résulte du cumul des différents
instruments ayant chacun leur propre échelle d’équivalence
(généralement explicite) ;
d‘autre part, elle est implicite au sens où l’on suppose que c’est l’échelle que l’Etat souhaite
appliquer de façon optimale
–
c’est une hypothèse de travail puisque l’on a dit que le QF
visaient aussi d’autres objectifs (natalistes) et que les parts de QF étaient certainement plus
larges que les échelles d’équivalence empiriques.
L
a première constatation est que l’échelle d’équivalence implicite (courbe verte e
n
pointillés) n’est pas constante avec le revenu. L’inverse serait surprenant du fait d’un cumul
certainement non coordonné des échelles d’équivalence de différents instruments socio
-
fiscaux intervenant à différents niveaux de revenu.
Des échelles d’équiv
alence implicites raisonnables dans les bas revenus. Nous voyons ensuite
qu’elle part de 1,55 dans le bas de la distribution et augmente presque régulièrement pour
atteindre autour de 2 dans le haut, ce qui correspond à l’échelle d’équivalence explicite du
QF pour un monoparental avec un enfant.
On l’a dit, donner un poids de 1 à un enfant est
une borne supérieure de ce que serait une vraie
échelle d’équivalence. Un poids de 0,55 en
74
L’échelle d’équivalence implicite à chaque niveau de revenu peut être calculée, en référence au célibataire sans
enfant, sur la base de notre définition du critère de sacrifice égal : deux ménages avec le même revenu équivalent
avant impôt devraient subir le même taux moyen (effectif) de taxation. Notons x0 le revenu brut du célibataire et
x1 celui du parent isolé avec son enfant. Notons t0 la taxe effective (la différence entre revenu brut et revenu
disponible) du premier et t1 cel
le du second. Notons e l’échelle d’équivalence. Il suffit alors de chercher le niveau
de x0 tel que l’impôt effectif moyen s’égalise entre les deux ménages, c’est
-à-dire t0/x0=t1/x1. Pour ce niveau x0,
les deux ménages ont par définition le même revenu équ
ivalent, c’est
-à-dire x0/e=x1, et donc e=x1/x0.
42
42
bas est plus raisonnable
: les incréments de RSA, d’AL et les montant
s
d’AR
S combinés
semblent refléter une hausse des ressources
qui viendrait compenser un coût de l’enfant
s’élevant à environ 55% des besoins d’un adulte.
Le plafonnement du QF
amorce un lissage de l’
échelle
d’équivalence globale et réduit l’échelle
dans les hauts revenus. Regardons finalement la situation avec plafonnement du QF dans le
graphique 7
. Nous voyons maintenant que l’échelle d’équivalence pour les contribuables ne
touchant aucune aide est maintenant à son maximum au seuil de fin d’ARS (environ 2800
eur
os bruts) puis décroit jusqu’à 1,3. Le plafonnement revient finalement à abaisser
l’échelle d’équivalence du QF à des niveaux proches de l‘échelle OCDE.
Au final, l’échelle d’équivalence globale varie donc toujours avec le revenu brut mais pas
dans des proportions déraisonnables : elle oscille entre 1,55 et 1,3 aux deux extrêmes. On
n’est finalement pas très loin des échelles empiriques obtenues pour la France par
Koulovatianos et al. (2005), comme observées sur le graphique 5 tiré de leur étude.
Graphique 7
: Gain lié à l’enfant et échelle d’équivalence implicite
pour un monoparental (avec
plafond du QF)
Source
: calculs de l’auteur.
On peut potentiellement aller plus loin. On pourrait souhaiter lisser cette échelle pour
amé
liorer encore un peu plus la cohérence d’ensemble –
un barème simplifié d’impôt
négatif comme celui présenté en 2.1 le permettrait, mais il faudrait choisir entre deux types
d’ajustement. Soit augmenter le nombre de
taux marginaux (et non pas en avoir un seul)
pour qu’un mécanisme de type QF puisse être opérationnel (i.e. que le revenu équivalent
puisse descendre dans des tranches à taux inférieurs pour qu’un gain effectif se produise).
Soit introduire l’échelle d’équivalence non par l’intermédiaire du QF m
ais par celui du RMG,
comme il est fait avec le RSA. Dans ce cas,
l’ensemble de la courbe de budget monte avec la
présence d’un enfant, et l’échelle d’équivalence ne dépend
plus du revenu (elle vaut 1,63
43
43
dans l’exemple que nous donnions avec un incrément d
e 66% du RMG, correspondant au %
d’incrément de RSA actuel pour un enfant dans un ménage monoparental).
Ce lissage semble plus difficile à réaliser dans le système actuel, encore une fois à cause de
l’empilement de plusieurs aides et impôts dont il faudra
it coordonner les différentes
échelles d’équivalence spécifique
s ou les montants. Difficile mais pas impossible.
Un QF à échelle variable plutôt qu’un plafonnement
. Enfin, est-
on satisfait d’arriver à ce
résultat - des échelles implicites finalement assez homogènes et plus basses sur les hauts
revenus - grâce au plafonnement ? Nous tenons le même raisonnement que pour les niches
fiscales. D’une part, il s’agit
a priori
d’une politique provisoire
en attendant de faire quelque
chose de plus « fondé »
–
contrairement aux niches, cependant, le principe de plafond du QF
existe depuis 1981, et a été accentué en 1988 puis à plusieurs reprises. L'avantage en impôt
est
actuellement
plafonné
à
1500
euros
pour
chaque
demi-part
supplémentaire
(resp. 3540 euros pour la part entière accordée pour le premier enfant à charge d'un parent
isolé). Ce plafond était de 2000 en 2013 (resp. 4 040 euros), de 2336 en 2011, et peut
encore changer à l’avenir, voir être supprimé.
D’autre part, comme pour les niches, l’
effet du plafonnement
n’est pas transparent ni guidé
par des choix éthiques explicites. Nous avons montré ci-
dessus que le résultat s’approche
d
’un
objectif raisonnable,
puisque l’
échelle
d’ensemble
décroit globalement, entre 1,55 sur
les bas revenus et 1,3 sur les hauts revenus (avec une petite irrégularité au milieu).
Pourquoi ne pas simplement changer les parts de QF pour arriver à ce résultat ? On peut
d’abord extraire les incitations natalistes de l’impôt
, si elles existent encore, puis ajuster les
parts de QF pour qu
’elles reflètent les niveaux souhaités d’échelle d’équivalence,
éventuellement en décidant que ces parts varient elles aussi avec le revenu total du
ménage. Quel poids compensatoire veut-on associer
à la charge d’un enfant lorsqu’on gagne
1000, 10 000 ou 100 000 euros par an? Il suffit de répondre à cette question. Le système de
QF a le mérite de permettre une application cohérente de la réponse à cette question, faut-il
encore qu’elle soit posée.
75
2.2.2.
Les alternatives au Quotient Familial
Allocations familiales sous conditions de ressource. Trannoy (2011) propose de mettre les
AF sous condition de ressources
, ce qui, dans le barème qu’il propose, reviendrait à lisser le
gain monétaire par enfant sur l’ensemble des niveaux de revenu. Son barème a été pensé
indépendamment du plafonnement de QF et pourrait être ajusté. Cependant, il y a deux
arguments contre cette proposition
: politique et pratique. D’une part, aucun gouvernement
n’a réussi à fiscaliser les AF ou à les mettre sous condition de ressource
s.
76
Au passage,
soulignons que la second mesure est meilleure que la première, qui rendrait le système
fiscal encore plus illisible.
D’autre part, les AF sont universelles et donc permettent d’ajuster
les échelles d’équivalence de façon universelle (indépendante du
revenu), ce qui a le mérite
de simplifier les choses au regard de notre discussion précédente. Elles jouent en quelque
sorte le rôle des incréments de RMG pour enfant à charge dans notre barème simplifié.
75
Il n’est d’ailleurs pas contraire au respect de l’équité verticale si l’on justifie que la définition des «
égaux » doit
se faire localement, c’est
-à-dire à différents niveaux de revenus.
76
Trannoy (2011) a
vance très justement un autre argument. Si les AF ont pour but d’aider les familles
modestes à
subvenir aux charges de famille, alors leur exonération pose problème. Il semblerait en effet qu’il y ait un large
accord sur le fait que l’on devrait être dispensé de payer l’IR –
ou plutôt d’être contribuable net –
si notre revenu
ne permet déjà pas de subvenir à nos propres besoins ou à ceux de notre famille. Les AF devraient donc être
octroyées aux personnes non imposables et ne pas leur permettre de franchir
le seul de l’imposition. Notons
cependant que ce n’est peut
-être pas la vocation des AF
–
d’autres objectifs (natalistes) remettent en cause cet
argument.
44
44
Forfaits, abattements ou crédits d’impôts
. Notons d
’abord que crédits et abattements sont
des choses équivalentes en principe. Pour un niveau de revenu (équivalent) donné, on peut
choisir de faire un crédit d’impôt de X
euros à un ménage ou bien de lui procurer un
abattement de A euros sur son revenu fiscal. N
otons t le taux marginal d’imposition de ce
ménage au niveau de revenu équivalent en question, alors on peut calibrer A de façon à ce
que le gain soit identique à celui du crédit, c’est
-à-dire X=tA.
Les recommandations de Landais, Piketty et Saez consistent à abolir le système de QC/QF
pour le remplacer par un impôt individualisé progressif et prenant en compte les charges
de familles sous forme de
crédits d’impôt
forfaitaires par personne à charge (
comme c’est le
cas dans la plupart des pays européens), qui
viendraient aussi remplacer les AF, le CF, l’ARS,
l’ASF et la Paje de base,
ou bien
sous forme d’
abattements du revenu imposable plafonnés
(des abattements en remplacement du QF était préconisés déjà par le rapport Ortoli en
1969).
Le forfait ne dépend pas du revenu et semble donc une option difficilement réalisable dans
notre contexte juridique. L’abattement ou le crédit d’impôt peuvent reproduire
partiellement la redistribution horizontale effectuée par un QF plafonné (y compris en
donnant plus de poids aux familles nombreuses).
77
Comme le montre l’article de
Baclet, Dell
et Wrohlich (2007)
78
, en dépit de structures apparemment très différentes, les systèmes
socio-fiscaux allemand et français apparaissent dans les faits assez proches. Le traitement
des enfants par abattements de revenus imposables dans le système allemand donnait lieu
(en 2007, date de l’étude)
à des gains fiscaux relativement semblables à ceux obtenus avec
le QF, pour les deux premiers enfants en particulier. En revanche, la comparaison relevait
deux différences importantes : les avantages fiscaux obtenus dans le système français
croissaient plus rapidement avec le revenu que dans le système allemand, et contribuaient
donc à une moindre réduction des inégalités; les avantages absolus obtenus dans le système
français pour le troisième enfant étaient plus importants grâce à la part entière
supplémentaire du QF.
Ces systèmes
d’abattement
s/crédits sont éventuellement plus simples, mais rappelons que
le mécanisme de QF est, on l’a vu, le seul à reposer sur une logique d’équité horizontale
transparente. Il est de plus possible
d’ajuster les parts de QF et notamment celles sur le
troisième enfant.
79
2.3.
Conjugalisation de l’impôt
, entre équité et incitations au travail
La conjugalisation de l’impôt est l’aspect qui présente le plus de divergence d’opinion
s.
Nous nous garderons donc de prendre parti au risque de discréditer ce rapport ou de
concentrer l’attention sur des choix qui relèvent plus d’un
arbitrage personnel entre les
différents objectifs. Nous fournissons plutôt
une série relativement exhaustive d’arguments
(et leurs limites éventuelles) en faveur de l’un ou l’autre des
deux systèmes polaires, à
savoir :
un impôt individualisé (II ci-
après), c’est
-à-dire basé sur les revenus de chaque
individu,
77
La direction du Trésor a simulé les effets du remplacement du quotient familial par un crédit d’im
pôt de
607
euros par enfant (une modification qui ne coûterait rien à l’État). Les ménages gagnant moins de trois SMIC y
gagneraient, les autres verraient leur revenu disponible diminuer sensiblement.
78 Alexandre Baclet, Fabien Dell et Katharina Wrohlich (2007) : « Composantes familiales des impôts sur le
revenu en Allemagne et en France : les différences pertinentes », Économie et Statistique n° 401, 2007, p. 39-59
79
D’autres arguments sont présentés dans Sterdyniak H. (1992), « Pour défendre le quotient
familial », Économie
et Statistique, n° 256, p. 5-24.
45
45
et un impôt conjugalisé ou con
joint, c’est
-à-dire basé sur les revenus totaux du couple,
tel qu’actuellement en vigueur avec le système de Quotient Conjugal (QC ci
-après),
dans un barème progressif d’imposition
.
Notre comparaison repose sur les critères généralement retenus pour discuter des
avantages et inconvénients de chaque système : équité horizontale, incitations au travail et
incitation au mariage. Le premier critère est normatif tandis que les deux autres critères
sont liés aux réactions comportementales que peut engendrer chaque système. On jugera
donc ces derniers
en les soumettant à d’autres critères,
notamment éthique (égalité
homme-femme, libéralisme politique) et pratique (cohérence entre hauts et bas revenus),
ainsi qu’à l’épreuve
de nos connaissances empiriques (concernant les
incitations à l’emploi
féminin).
2.3.1.
Impôt individualisé ou Quotient conjugal: une comparaison
Principe d’équité
horizontale.
Si l’on s
e
réfère au critère d’équité horizontal
e
tel qu’exposé
précédemment, alors le
QC est en parfaite adéquation théorique puisqu’il relève de la même
logique que le QF dont il fait partie.
L’
imposition séparée des couples, en revanche, ne
respecte pas ce critère pour deux raisons
: le revenu n’est pas déflaté d’un nombre de parts
visan
t à refléter les différences de besoins entre ménage (le QC le fait mais l’échelle retenue
n’est pas la bonne)
; l
’imposition individuelle ignore les ressources dont dispose un
individu
du fait de son conjoint. L’II
obligerait de plus à repenser le QF dans son ensemble, enfants à
charge inclus, ce qui accentue l’éloignement possible par rapport à l’exigence d’équité
horizontale.
EXEMPLE 1 : Illustrons maintenant la différence
entre l’II et le QC
. On notera t() le barème
progressif appliqué au revenu équival
ent avec le QC et au revenu individuel avec l’II.
Prenons un couple biactif (B) où chacun gagne 1000, et un couple monoactif (M) où
l’homme gagne 2000 et la femme 0. Avec le QC, B
et M paient le même impôt
2t(2000/2)=2t(1000)=55.
80
Le QC est neutre par rapport aux relatifs des conjoints. Avec
l’II, B paie 2t(
1000)=55 tandis que M paie un impôt plus élevé du fait de la progressivité,
c’est
-à-dire t(2000)=167,5.
81
On peut donc se demander pourquoi l’II établit une différence de traitement entre deux
ménages a
priori identiques. Au sens du critère d’équité horizontale («
l’égal traitement des
égaux »), B et M sont en effet des « égaux » puisque leurs circonstances (besoins) sont
supposées identiques et il est donc naturel de les taxer de la même façon.
Incitations au travail du second apporteur de revenus.
L’argument
principal en faveur de l’II
est le fait que tout impôt portant sur les revenus agrégés du ménage induit une imposition
effective plus élevée, et donc potentiellement désincitative, sur le second apporteur de
revenus. En effet, de par la nature progressive du barème, le premier euro de revenu du
second travailleur dans le ménage est taxé au taux marginal du dernier euro du premier
travailleur. Cet effet est accentué par la double part accordée au couple marié ou pacsé dans
80
Avec le barème progressif que l’on connait, le taux pour 500 euros mensuel de revenu imposable est 0% et le
taux entre 500 et 1000 euros est de 5,5% donc t(1000)=27,5 (dans cet exemple et les suivants, on oubliera la
décote par souci de simplification). Ils paient donc 2x27,5=55.
81
Il paie 27,5 jusqu’à 1000 euros et 14% sur les 1000 euros dans la tranche suivante, donc un impôt total de
167,5.
Un argument contre l’individualisation tient au constant que l’II réduit les niveaux de vie des familles
mono-
actives. Comme nous l’évoquons en 2.3.4, ceci peut être amorti par un abattement forfaitaire pour les
couples. Notons que dans certaines configurations, l’imposition séparée est plus avantageuse que l’imp
osition
conjointe. Ceci est dû notamment au fonctionnement particulier de la PPE et de la décote, ou encore
au fait que
l’imposition séparée permet d’optimiser l’affectation des enfants entre les deux foyers fiscaux, ce que ne permet
pas l’imposition conj
ointe par construction. Voir Alexis Eidelman (2013) : «
L’imposition commune des couples
mariés ou pacsés : un avantage qui n’est pas systématique
», Insee Analyses n° 9 - mai 2013.
46
46
le mécanisme de type QF
, mais c’est
en premier lieu
l’imposition des revenus joints qui est
source de désincitation.
EXEMPLE 2 :
Illustrons ceci en partant d’un ménage biactif
(B) où chaque conjoint gagne
1500 et comparons le à un ménage
identique où l’homme gagne 1
500 et
l’épouse 0 (M).
Avec le QC, B paie 2t(3000/2)=195 tandis que M paie 2t(1500/2)=27,5: B paie un impôt
7,1 fois supérieur du fait de la progressivité et des parts de QC. Le gain net au travail du
second apporteur de revenu est donc inférieur au gain du premier travailleur du ménage
puisque les revenus du premiers sont taxés dans une tranche plus élevée. On voit que
c’est
autant l’imposition conjointe des revenus que les parts de QC qui crée cette désincitation
potentielle. En effet, réduisons les 2 parts à une seule, on a alors t(3000)=307,5 pour B et
t(1500)=97,5 pour M : B paie encore 3,15 fois plus que M. Passons finalement à
l’II
: M paie
t(1500)=97,5 tandis que B paie exactement le double, soit 195, car les deux travailleurs
sont imposés à montant égal.
82
Incitations au mariage.
On peut associer l’imposition jointe aux politiques natalistes
évoquées plus haut puisqu’elle est réputée pour créer une incitation au mariage (ou au
PACS). Ceci est vrai seulement lorsqu’il e
xiste une différence de revenu entre les conjoints,
cependant.
EXAMPLE 3 :
Illustrons ceci en remarquant que l’II n’a aucun effet sur la question, ce qui ne
demande aucune démonstration. Avec le QC, le couple biactif (B) composé de deux
individus
gagnant
1000
chacun
paiera
2t(1000)=55
s’ils restent célibataires et
2t(2000/2)=55
s’ils se marient: il y a donc également neutralité dans ce cas. Le couple
monoactif (M) où l’homme gagne 1000 et la femme 0 a une incitation au mariage puisque
leur impôt hors mariage est t(1000)=27,5
alors que s’ils sont mariés, ils sont redevables
d’un impôt inférieur du fait de la progressivité, c’est
-à-dire 2t(1000/2)=0 (les 500
premiers euros sont dans la tranche à 0%).
83
2.3.2.
Autres éléments de comparaison
Un point partout, la balle chez les juristes. Si on fait un bilan des deux premiers critères ci-
dessus, il ressort surtout :
que l’II ne respecte pas l’équité horizontale –
mais le QC nécessite aussi des
ajustements sur les parts des conjoints (ou un plafonnement) pour appliquer une
véritable échelle d’équivalence.
que le QC décourage potentiellement le travail des femmes
–
mais le problème est
peut-
être d’une portée
limitée comme on le verra en 2.3.3.
Il faut rajouter à ceci que
l’individualisation de l’impôt, par exemple dans le
scénario de
super-
CSG, n’est pas constitutionnellement viable si le barème de l’impôt est progressif
82
Landais, Piketty et Saez (2011) nous disent «par définition, plus le couple est inégalitaire, plus la réduction
d’impôt est importante : le quotient conjugal fonctionne de facto comme une machine à subventionner les couples
inégaux
». Cette conclusion s’appuie sur un point de référence qui nous semble incorrect, c’est
-à-dire en
comparant implicitement deux ménages qui n’ont pas le même niveau de revenu comme dans notre exemple 2.
C’est en fait les deux ménages de l’exemple 1 qu’il faudrait comparer
: à même revenu total, B est égalitaire et M ne
l’est pas
; dans ce cas, le QC e
st neutre et ne subventionne pas du tout les couples M, c’est au contraire l’II qui
subventionne les couples B.
83
Cet exemple ne fonctionne pas avec la décote car la non-
imposition est effective jusqu’à 1000 euros et au
-delà,
comme discuté en 3.2.4. De manière général, tous les arguments basés sur des différences liés à la progressivité
sont atténués si le revenu des conjoints entre dans une tranche où l’échelle d’équivalence ne fait passer qu’une
faible partie du revenu dans une tranche inférieure
–
le cas extrême est un impôt proportionnel puisque le QC/QF
n’a aucun effet. Notons e l’échelle d’équivalence et t(y) le barème d’impôt, le QF s’écrit alors e.t(y/e). En cas
d
’impôt au taux proportionnel τ, on a donc e.t(y/e)= τ.y= t(y).
47
47
(voir le rapport Matt, 2014)
. L’argument est, comme on l’a vu, lié au non
-respect du critère
d’équité horizontal
e. Pour respecter ce critère, il ne faut pas seulement prendre en compte
les différences de niveau de vie effectif entre ménages (en calculant un QF ou un revenu
équivalent), mais aussi le fait qu’un individu
marié
dispose d’autres sources de revenu que
son travail ou son capital. La réforme proposée par Landais, Piketty, Saez (2011) est à ce
(double) titre anticonstitutionnelle.
Les
arguments
éthiques
(forts)
contre
le
QC.
L
’argumentation
en
faveur
de
l’individualisation, hormis les considération
s incitatives sur lesquelles nous revenons en
2.3.3, revêt plutôt un caractère éthique dans le sens où hommes et femmes devraient être
soumis au même taux marginal de prélèvement
–
une égalité des chances face aux
incitations au travail, en quelque sorte. Elle revêt aussi une vision philosophique et sociétal
associée au libéralisme politique :
l’individu doit rester libre de choisir de travailler ou non
quel que soit son statut marital ; inversement, il doit rester libre de choisir de se marier ou
non quel que soit son statut d’emploi
- et donc indépendamment
du type d’imposition (on a
vu ci-
dessus qu’une femme au foyer était fis
calement incitée à se marier). Ces arguments
rappellent le modèle scandinave, issu de la tradition libérale protestante et fondé sur des
valeurs d’individualisme et d’égalitarisme
.
84
Le lien entre individu et Etat est relativement
dissocié du statut de la personne (notamment son statut familial). Dans une société avec un
taux de divorce élevé, où la famille n’est plus un socle constituant du lien social, on peut
effectivement arguer contre les interdépendance non souhaitées que crée un système
conjugalisé.
Un argument économique (faible) en faveur du QC. Un argument contraire consiste à dire
que l’Etat a raison de créer des incitations au mariage parce cela permet d’une part
d’économiser
des ressources (la décohabitation contribue au problème du logement) et
d’autre part de mutualiser les risques, en particulier ceux liés aux ruptures sur le marché du
travail ou en cas de maladie, et donc de réduire la pauvreté et les coûts afférents à la lutte
contre la pauvreté. Notons cependant que cette
logique économique légitime que l’État
privilégie fiscalement les couples en général
–
mais pas spécifiquement les couples mariés
comme le fait le système actuel.
85
Les concubins non pacsés partagent aussi un toit,
mutualisent les risques, etc., mais ne profitent du QC
que s’ils font l’effort de se pacser
. De
plus, l’argument économique tient surtout pour les ménages modestes ou pauvres, qui ne
sont généralement pas ou peu imposables.
Un argument (faible) contre le QC sur l
’hypothèse
de mise en commun des ressources. La
logique du QC repose sur l’idée que les conjoints mettent en commun leurs ressources. On
peut ainsi les imposer sur la base du revenu total.
86
S
’ils ne partagent pas
, et consomment
chacun ce
qu’ils gagnent, il peut être intéressant d’individualiser les droits –
fiscaux ou
sociaux
–
pour améliorer le niveau de la personne la plus démunie au sein du ménage.
84
Voir Gösta Esping Andersen, Trois Leçons sur l’État
-providence, Paris, Seuil/La République des Idées, 2008
85
Si l’on suit cet argument, on devrait donc encourager la mise en couple, et non l
e mariage ! Il semble à ce propos
que le législateur pense être capable de vérifier si les individus sont en couple, l’amendement Courson de 1995
visant par exemple à lancer la chasse aux faux parents isolés (les vrais parents isolés se voient attribuer une demi-
part supplémentaire de QF pour le premier enfant). Remarquons aussi la dissonance entre traitement social et
fiscal des couples. Le montant du RSA versé à un couple est le même qu’il soit marié, pascé ou en union libre.
S’agissant du RSA majoré versé aux mères isolées ayant un enfant, l’isolement s’entend comme la vie sans conjoint
y compris en union libre. L’union libre est donc reconnue comme une situation de mise en commun des ressources
par le système social mais pas par le système fiscal.
86
C’est bien là la justification de n’accorder le QC qu’aux couples mariés, le contrat de mariage étant assorti d’une
obligation alimentaire entre époux et l’article 214 du Code civil prévoyant que les époux contribuent aux charges
du mariage « à proportion de l
eurs facultés respectives ». Cependant, depuis 1985, l’article 223 pose le principe de
libre jouissance des revenus professionnels, ce qui suggère que le mariage n’implique pas une stricte égalité de
niveau de vie entre les époux: « chaque époux peut librement exercer une profession, percevoir ses gains et
salaires et en disposer après s’être acquitté des charges du mariage ».
48
48
Il y a deux objections immédiates à cet
argument, qui n’est pertinent que pour les couple
s à
revenus inégaux. Premièrement, ces ménages sont moins taxés avec le QC (rappelons-nous
de M dans notre exemple 1), de sorte que même si le riche mari partage peu avec sa pauvre
épouse, il a plus à partager dans un système par QC plutôt que par II.
Deuxièmement, la règle de partage du
ménage ne garantit pas que l’individualisation
améliore la situation du conjoint le plus pauvre.
S’il y a parfaite connaissance des revenus
de l’autre, le ménage peut imposer sa règle d’allocation des ressources quel que s
oit le
mode d’imposition.
87
Un argument (fort) pour le QC concernant le problème de coordination avec les bas revenus.
Enfin, un dernier aspect consiste à penser la cohérence d
’ensemble d
u système socio-fiscal.
Le point de départ du raisonnement est qu’il
e
st difficile de concevoir un système d’aides
aux plus pauvres qui soit individualisé (nous reviendrons sur ce point en section 3.3). En
effet, le revenu individuel ne permet pas d’évaluer le niveau de vie de la personne (
une
femme pauvre peut habiter avec un mari riche et partageur
). Il s’agit de l’extension vers le
bas de l’exigence constitutionnelle consistant à
moduler les instruments redistributifs
(impôts et aides) sur les capacités contributives du ménage
–
il faut savoir si un individu a
accès à d’autres ressources que les siennes pour évaluer son taux d’imposition (s’il est aisé)
ou le montant d’aide
s
qu’on
lui apporte
(s’il est pauvre).
Par extension, il est donc difficile de penser des aides aux travailleurs pauvres ou aux
ménages modestes de façon individuelle
–
le RSA activité, tout comme le RSA socle, est
familiarisé, et la PPE possède une condition de ressource (assez lâche il est vrai) sur les
revenus du foyer fiscal. Cette zone intermédiaire de revenu est problématique car elle fait le
lien entre les
plus pauvres (pour qui l’aide doit être familiarisée)
et les contribuables (pour
qui l’on s’interroge
sur le bien-fondé du QC). On peut envisager
l’impôt négatif sur une base
totalement familiarisée (ou plutôt conjugalisée)
et cohérente sur l’ensem
ble des revenus.
C’est
plus difficile de le faire avec un système individualisé.
Le d
roit d’option.
Il existe dans certains pays, comme en Allemagne ou aux Etats-Unis, le
droit d’opter pour l’individualisation –
accompagnée
d’un crédit d’impôt pour couples
mariés - ou la conjugalisation par QC. Bien que cette liberté offerte aux ménages ne pose a
priori pas de difficultés et nous dispense de choisir entre deux systèmes, le problème
précédent de coordinati
on avec les bas revenus demeure et les questions d’éq
uité
horizontale se posent encore.
2.3.3.
Retour sur l’argument incitatif lié au
travail des femmes
Comme nous venons de le voir, l’argument incitatif n’est pas le seul, et ce n’est
probablement pas le principal, en faveur de l’individualisation, car il
peut être grandement
relativisé.
87
Raisonnons justement avec un exemple dans lequel il n’y aurait pas de différence de montant d’impôt payé entre
QC et II (de sorte que cet argument ne se cumule pas au premier). Supposons que le mari (H) gagne 2000 et la
femme (F) 500, le premier payant un taux moyen de 15% et la seconde un taux de 10% (ce sont des taux
imaginaires pour notre exemple). Dans le système d’II, H paie donc 300 d’impôt et F paie 50. S’ils ne partagent pas,
H et F consomment 1700 et 450 respectivement.
Dans le système par QC, il y a une déclaration jointe qu’ils
doivent payer
: ils peuvent s’entendre sur un paiement au prorata du revenu de marché (4/5 de 35
0 pour lui et
1/5 pour elle), ce qui est équivalent à un prélèvement à la source où l’Etat ponctionne à chacun le taux
d’imposition moyen du ménage (14%). H paie alors 280 et F paie 70. S’ils ne partagent pas, H et F consomment
1720 et 430 respectivement. Le système II est plus redistributif au sein du ménage. Mais nous sommes partis
d’une situation extrême (zéro partage). Supposons maintenant qu’ils partagent un peu, au sens où H transfère 200
à F, de sorte qu’ils consomment 1520 et 630 respectivement dans
le système par QC. Si l’Etat individualise l’impôt,
rien n’empêche H de baisser son transfert de 20 pour que le couple se retrouve dans la même situation.
49
49
L’
iniquité homme-
femme n’est
pas due au QC. Les différences de taux effectifs sur les
hommes et les femmes viennent du fait que ces dernières sont traditionnellement
désignées par la société comme second apporteur de revenu parce
qu’elles sont plus
impliquées dans les responsabilités familiales et parce qu’elles ont en moyenne un salaire
de marché inférieur. L’objet de ce rapport n’est pas de discuter de ces deux phénomènes
(qui sont d’ailleurs liés
: l’internalisation des préfére
nces de la société par les femmes
contribue aux différences salariales), nous renvoyons le lecteur à la note du CAE de Bozio,
Dormant et García-Peñalosa (2014).
88
Disons seulement que si les salaires des hommes et
des femmes étaient égaux, à diplôme et expérience équivalentes, et si la gestion du foyer et
des enfants incombait tout autant aux hommes
qu’
aux femmes,
les femmes ne s’arrêteraient
pas plus de travailler que les hommes et ne seraient donc pas vues comme « second
apporteur de revenu ». En revanche, q
ue l’impôt décourage un peu plus
la personne la
moins « productive » du couple au sens du marché
–
cette personne pouvant être l’homme
ou la femme
–
n’est pas une aberration
économique.
Les femmes dans les couples de contribuables ont des taux effectifs élevés mais aussi des
salaires élevés. Les contribuables sont par définition plus aisés que la moitié de ménage
français non contribuables. Dans une certaine mesure, ils sont plus aisés justement par la
mise en commun des ressources des conjoints. On assis
te d’ailleurs en France et dans
d’autres pays occidentaux à une hausse de la polarisation de la société vers deux extrêmes
que sont les couples biactifs et les couples inactifs, contribuant à une hausse des inégalités
entre ménages.
89
Les ménages contribuab
les sont plus aisés aussi du fait d’une certaine
« homogénéité sociale » des couples (comme diraient les économistes : à un appariement
sur le marché du mariage qui les conduit à avoir des salaires comparables). De ce constat,
on peut dire que les femmes dans les couples de contribuables ont des salaires de marché
plus élevés que la moyenne et sont donc moins
susceptibles d’être désincitées à travailler
.
Nous verrons ainsi en 3.3 que la question des incitations au travail féminin se pose
éventuellement plus pour les bas revenus et à propos du fait de conditionner les aides au
revenu du ménage plutôt qu’au salaire individuel.
La réponse comportementale aux incitations financières est assez faible en France. Une
élasticité d’offre de travail mesure comment le
temps de travail H varie avec une hausse du
salaire net d’imposition w. Elle s’écrit ε=(ΔH/
H)/(
Δw/w) et signifie qu’une hausse de
salaire de 1% conduit à une hausse du temps de travail de ε%. Il existe une très large
littérature économique visant à mesurer et estimer ces élasticités sur des données
représentatives des ménages
d’un pays. Il n’
existe par contre
qu’une seule d’étude
établissant des comparaisons internationales homogènes.
90
Elle tend à montrer que
l’élasticité d’offre de travail des femmes mari
ées en France est plus faible que la moyenne.
88
Antoine Bozio, Brigitte Dormont et Cecilia García-Peñalosa (2014) : « Réduire les inégalités de salaires entre
femmes et hommes
», notes du conseil d’analyse économique, n° 17, octobre 2014
89
Voir le livre de Richard Berthoud (2007): “Work
-rich and work-
poor, Three decades of change”, Published for
the Joseph Rowntree Foundation by The Policy Press; e
t pour la France, l’article de Antoine Parent et Damien
Echevin (2002) : « Les indicateurs de polarisation et leur application à la France », Économie & prévision , vol 155,
p. 13-30
90
Voir
Bargain, O., K. Orsini and A. Peichl (2013): “Labour supply elast
icities: A complete characterization for
Europe and the US”, Journal of Human Resources.
49, 3, page 723-838. Cette étude couvre 15 pays européens et les
Etats-Unis, utilisant pour chaque pays une base de données ménages représentative et des estimations
é
conométriques pour les différents types de ménage. Elle montre que l’élasticité salaire des femmes mariées en
France est de 0,02 sur la marge intensive (heures travaillées) et 0,10 sur la marge extensive (participation au
marché du travail). Ces chiffres s
ignifient qu’une hausse de salaire net de 10% est accompagnée d’une hausse du
temps de travail de 0,2% pour celles en emploi et qu’une hausse du salaire potentiel net de 10% est accompagnée
d’une hausse de la probabilité d’entrer sur le marché du travail d
e 1%. Ces élasticités sont en moyenne plus
élevées - plus du double -
pour les autres pays européens (0,05 et 0,22 respectivement) et pour l’Allemagne
en
particulier (0,08 et 0,22 respectivement). Ces élasticités sont seulement légèrement plus faibles à la marge
extensive pour les hommes mariés en France (0,04 contre 0,10), et supérieures à la marge intensive (0,06 contre
0,02).
50
50
Ceci n’est pas seulement dû, dans la formule de ε énoncée ci
-
dessus, à un fort taux d’activité
H par rapport à d’autres pays (pays du Sud de l’Europe, par exemple). C’est aussi lié à la
réactivité ΔH/Δw faible, qui témoigne du fait que les
françaises sont relativement bien
intégrées dans le marché du travail
et ne changent donc pas trop leur niveau d’activité en
fonction des incitations financières, comme on peut le voir dans les pays où le travail est
plus un revenu d’appoint
.
91
Ceci est certainement vrai dans les classes moyennes et aisées,
mais les réponses comportementales aux incitations financières sont probablement plus
fortes chez les ménages à bas revenu, ce qui conditionnera notre discussion en section 3.3.
Les évaluations évoquées ci-dessus reposen
t généralement sur l’estimation de modèles de
décision du ménage, dont on connait les limites liées aux hypothèses comportementales qui
sont généralement faites
. Il serait plus probant d’appuyer le chiffrage des désincitations
potentielles dues au QC par des « expériences naturelles
», c’est
-à-dire
d’
utiliser les
réformes de règles fiscales du passé pour comparer l’avant de l’après pour les gens soumis
à la réforme par rapport à un groupe de « contrôle ».
Les « expériences naturelles » dans
d’autres pays s
ont faiblement extrapolables (et donnent
au mieux des bornes très hautes
de l’effet attendu en
France). Il existe justement très peu
d’expériences naturelles sur le passage
à l’individualisation ou, au contraire, le passage à
une imposition conjointe. Les
quelques études réalisées dans d’autres pays
ont une
« validité externe » faible
, c’est
-à-dire que leurs résultats sont difficilement extrapolables à
la période récente. En effet, ces études concernent essentiellement des réformes très
reculées dans le temps (
c’est le cas de LaLumia
,
2008, sur la conjugalisation de l’
IR
américain en 1948, et de Selin,
2009, sur l’individualisation de l’IR suédois en 1971
),
92
c’est
-
à-dire à des périodes où
l’élasticité
d’offre de travail des femmes
était beaucoup plus
élevée.
93
En effet, ces époques étaient caractérisées par une activité féminine beaucoup plus
faible (autour de 20% aux Etats-Unis en 1948), peu intégrée dans le marché du travail et
fonctionnant comme
revenu d’appoint ou de remplacement
, donc relativement élastique. Le
faible taux de divorce réduisait aussi considérablement les chances de se retrouver seule et
donc d’avoir à travailler, n’incitant pas le
s
femmes à s’implanter plus fermement sur le
marché du travail.
La réduction du taux d’activité féminine de 2 po
ints de pourcentage due au passage à une
imposition conjointe en 1948 aux Etats-Unis ne nous dit donc pas grand-
chose sur ce qu’on
pourrait attendre en France. La chute considérable des élasticités au cours du temps nous
dit en tout cas que cet effet serait probablement très inférieur
, jusqu’à 15 fois plus faible
.
L’étude sur la Suède annonce un effet plus élevé
que la précédente
, d’environ 10 points de
pourcentage de hausse
d’activité
suite à
l’individualisation de 1971. L’auteur relie cet effet à
une élasticité également bien plus forte, probablement 5 fois plus élevée en moyenne que
91
Cette même étude reporte les élasticités “croisées” des femmes mariées, c’est
-à-dire comment varient leur
temps de travail et le
ur taux d’activité en fonction du revenu de leur mari. Pour la France, l’élasticité de
participation est de -
0,05, proche de la moyenne européenne, et plus faible qu’en Allemagne où elle est de
-0,13.
Ceci veut dire qu’une perte de revenu de 10% des hommes
mariés conduit à une hausse du taux de participation
des femmes mariées de seulement 0,5% en France contre 1,3% en Allemagne.
92
LaLumia S. (2008) : « The Effects of Joint Taxation of Married Couples on Labor Supply and Non-Wage Income »,
Journal of Public Economics, vol. 92, n° 7, pp. 1698-1719 ; Selin H. (2009) :« The Rise in Female Employment and
the Role of Tax Incentives. An Empirical Analysis of the Swedish Individual Tax Reform of 1971 », CESifo Working
Paper, n° 2629, et à paraître dans International Tax and Public Finance.
93
Ces élasticités étaient probablement supérieures à 1 dans les années 1950, comme le montre la revue de
littérature d’Olivier Bargain et Andreas Peichl (2013): “Steady
-
State Labor Supply Elasticities: A Survey”, ZEW
Discussion Paper No. 13-084. LaLumia (2008) montre que 1,5 est une borne inférieure raisonnable dans son cas,
soit 15 fois plus que la France de 2014. Ces élasticités ont depuis chuté considérablement. Rien que sur la période
des 30 dernières années, elles sont passée
s d’environ 0,6 à 0,3 aux Etats Unis
: voir les études de Blau, Francine D.,
et Kahn, Lawrence M. (2007) : « Changes in the labor supply behavior of married women: 1980
–2000”, Journal of
Labor Economics, (3), 393
–438, et Heim, B.T. (2007) ‘The incredible s
hrinking elasticities. Married female labor
supply, 1978-
2002”, Journal of Human Resources 42(4), pp. 881
-918.
51
51
pour la France de 2014
, et jusqu’à 18 fois plus élevée pour le
s femmes avec enfant.
94
Il est
donc permis de douter que l’abandon du QC aurait un effet significatif sur l’emploi
des
femmes en France.
95
Il existe enfin, à notre connaissance, deux études chiffrant l’élasticité de la base imposable
p
ar voie d’expérience naturelle. La première utilise les variations de taux marginaux
effectifs
d’imposition
entre
2003
et
2006
pour
«
identifier »
les
réactions
comportementales.
96
L
’élasticité
moyenne tirée de cette étude est faible mais celle pour les
femmes mariées apparait relativement élevée. La raison principale de ce résultat est que
l’essentiel des variations de taux effectif
permettant
de
capturer
les
réponses
comportementales vient du doublement de la PPE sur la période considéré, et donc de
femmes mariées dont les salaires sont relativement bas (autour du SMIC).
97
La seconde
étude obtient justement des élasticités beaucoup plus fortes pour les ménages modestes.
98
Ceci nous amène à dire que le potentiel désincitatif du système socio-
fiscal français n’est
peut-être pas le QC pour les couples contribuables mais son équivalent du côté « impôt
négatif », à savoir la condition des aides sociales au revenu conjoint. Nous revenons sur ce
point en section 3.3.
Le taux d’emploi féminin dépend d’autres facteurs
. La participation féminine est
généralement plus sensible à d’autres facteurs que l’impôt, aux premier
s rangs desquels la
possibilité de cumuler vie de famille et carrière :
l’
accès aux crèches, leurs coûts, les
aménagements du temps de travail et les facilités de garde dans les entreprises, etc. La
maternelle gratuite pour les enfants à partir de 2/3 ans est pour beaucoup dans le relatif
succès français en la matière et, possiblement, son taux de natalité.
On constate d’ailleurs
plus généralement
que la corrélation entre natalité et taux d’activité des femmes
, négative
dans les années 60 et 70, est devenue positive : comme illustré sur le graphique 8, les pays
où les femmes travaillent sont aussi ceux où l’on fait plus d’enfant
(pour l’Europe, il s’agit
en
premier lieu des pays scandinaves).
94
L’élasticité de participation est estimée à 0.46 en moyenne mais 1,77 pour les femmes avec enfant.
95
La conjugalisation de l’impôt en Républiq
ue tchèque en 2005 aurait augmenté le taux de participation de 3
points de pourcentage pour les femmes avec des enfants. Voir Kaliskova K. (2013) : « Family Taxation and the
Female Labor Supply: Evidence from the Czech Republic », CERGE-EI Working Papers, n° wp496. Rappelons que
l’effet éventuellement désincitatif du QC pour la France est fortement atténué dans les ménages avec enfant du fait
que le QF baisse le taux marginal d’imposition.
96
Lehmann, Etienne & Marical, François & Rioux, Laurence (2013) : « Labor income responds differently to
income-tax and payroll-tax reforms», Journal of Public Economics, 99(C), pages 66-84. Cette étude mesure
l’élasticité de la base imposable, qui couvre potentiellement plus de comportements que la simple offre de travail
.
L’élasticité moyenne obtenue, 0,2, est cependant proche des élasticités d’offre de travail (voir note ci
-dessus et
référence à Bargain, Orsini, Peichl, 2013). L’élasticité de base imposable pour les femmes mariées est plus élevée.
97
Ceci est confirmé par
une autre expérience naturelle portant spécifiquement sur l’introduction de la PPE
:
Stancanelli, E. (2008) : « Evaluating the impact of the French Tax Credit on the employment rate of women »,
Journal of Public Economics
, 92, 2036-47.
98
Carbonnier C. (2014) : « The Influence of Taxes on Employment of Married Women, Evidence from the French
Joint Income Tax System », LIEPP Working paper.
L’approche utilisée suppose que le revenu du mari est exogène
et qu’une femme peut se retrouver d’un côté ou l’autre de
la discontinuité de taux marginaux offerte par les
tranches d’imposition –
la décision de travail des conjoints est cependant collective et pas séquentielle, donc on
peut s’interroger sur un biais éventuel. Les niveaux d’élasticité obtenus sont d’ailleurs
trop élevés et peu
plausibles.
52
52
Graphique 8 :
Corrélation entre taux de fécondité et taux d’emploi des 15
-64 ans
Source : OECD Factbook, 2009
La raison principale est celle qu’on vient de mentionner
: la capacité des institutions à
permettre aux femmes de concilier activité professionnelle et activité familiale, mais aussi
un meilleur partage des activités domestiques entre hommes et femmes, en rééquilibrant
notamment les inégalités face à la prise en charge des enfants.
99
2.3.4.
Des pistes de réformes intermédiaires
Taxer la production domestique ?
Avec l’exemple 1, nous avons deux ménages identique
s
mais la répartition du revenu total de 2000 euros est différente entre B et M. Contrairement
au QC, l’II ne les traite pas comme des «
égaux », reconnaissant implicitement des
différences de circonstances. Une interprétation possible est que M soit en fait plus riche
car l’épouse qui ne travaille pas sur le marché est femme au foyer et génère donc le produit
du « travail domestique
». Tout comme on peut inclure des loyers fictifs dans l’imposition
des revenus du capital, on pourrait aussi concevoir d’imputer des rev
enus fictifs
correspondant à la valeur du travail domest
ique, à supposer qu’on puisse
dissocier ce
dernier du loisir.
Les chances d’acceptation de ces deux mesures semblent bien limitées.
Retour sur l’
EXEMPLE 1
: Avec l’II, M paie un impôt plus élevé, t(2000)=167,5. C’est l’impôt
qu’il aurait payé avec le QC si l’on avait imputé un revenu X à l’épouse de sorte que
2t(1000+X/2)=167,5, qui nous donne X=200 euros environ. Dans cet exemple très simple,
l’individualisation est équivalente à imputer un salaire d
e 200 euros mensuels à la femme
au foyer.
Il est cependant peu vraisemblable que ce raisonnement soit le meilleur pour justifier une
différence de traitement entre B et M avec l’individualisation. Cette imputation est en tout
cas difficile à mettre en
œuv
re.
99
La réforme récente du Complément de libre choix d’activité (CLCA), qui introduit une obligation de six mois de
congé parental de l’autre parent pour bénéficier de la durée maximale du congé (trois ans), va dans le bon sens
.
L’obligation de partage de ces congés peut même être plus rigoureusement appliquée : en Suède, depuis 2008, le
revenu de remplacement pendant le congé parental est d’autant plus élevé qu’il est partagé équitablement entre
les membres du couple.
53
53
Etablir les é
chelles d’équivalence … équivalentes au plafonnement.
Une autre possibilité est
d’aménager les parts de QC. Une
critique
qu’on peut faire au QC
est celle émise en 2.2.2 et
2.2.3 concernant le QF, à savoir de ne pas utiliser de vrais échell
es d’équivalence. Le
fait
d’attribuer 2 parts à un couple sans enfant (lorsqu’on normalise l’échelle d’équivalence d’un
célibataire sans enfant à 1) ignore le fait
qu’ils bénéficient d’économies d’échelles en
consommant certains biens de façon jointe (ex : le loyer). On a déjà dit
qu’un poids de 1,5
serait plus raisonnable de ce fait,
100
et Landais, Piketty, Saez (2011) nous rappellent
justement que de 1945 à 1953, une demi-part était retirée aux couples mariés qui, au bout
de trois ans de mariage, n’avaient toujours pas eu d’enfant (ils retombaient
justement à 1,5
parts). La demi-
part qui déroge de l’échelle d’équivalence
« raisonnable » semble donc bien
être l’élément nataliste hérité du passé
et dont on pourrait se débarrasser.
Le rapport Coutelle (2014) affirme que la suppression du QC rapporterait 5,5 milliards
d'euros à l'Etat. Le QC bénéficie en grande partie aux ménages les plus aisés, monoactifs et
sans enfants. Plus de la moitié (53%) de l'avantage qu'il constitue "se concentre sur le
dernier décile de niveau de vie".
101
Une proposition intermédiaire consiste à plafonner
l’avantage du QC comme
pour le QF. Il faudrait alors
calculer les échelles d’équivalence
implicites pour un couple à différents niveau de revenu, avec ou sans plafond
, comme on l’a
fait en section 2.2.1.
On verrait donc l’impact du plafonnement sur la baisse de la double
part (on obtiendrait la nouvelle échelle d’équivalence implicite). On mettrait en lumière la
possible incohérence liée à des échelles
d’équivalence implicites plus élevé
es sur les bas
revenus
–
on peut déjà deviner que tel est le cas, car le RSA socle perçu par un couple (725
euros) est 1,5 fois plus élevé que celui perçu par un célibataire (483 euros)
, d’où une
échelle de 1,5 déjà en place en bas de la distribution.
Enfin, pour les mêmes raisons que celles développées en section 2.2, modifier les parts pour
obtenir une vraie
échelle d’équivalence
nous semble une meilleure option que le
plafonnement,
et constitue l’ajustement le plus simple à réaliser en partant du systèm
e
actuel. Revenons finalement sur nos deux premiers exemples pour illustrer les effets de cet
ajustement.
EXEMPLE 1bis (équité horizontale): un couple biactif (B) où chacun gagne 1000 et un
couple monoactif (M) où l’homme gagne 2000 et la femme 0
paient le même impôt
e.t(2000/e)
avec le QC, e représentant l’échelle d’équivalence. Ils paient
55 pour e=2 mais
111,25 pour e=1,5. Le QC continue donc à traiter B et M de façon identique mais le niveau
d’imposition est maintenant intermédiaire entre l’impôt dû pa
r B (55) et celui dû par M
(167,5)
dans le régime d’II
.
EXEMPLE 2bis (incitations au travail): un couple biactif (B) où chaque conjoint gagne 1500
paie e.t(3000/e) tandis qu’un couple où l’homme gagne 1500
et la femme 0 (M) paie
e.t(1500/e).
On l’a vu, bai
sser les parts de QC ne règle pas le problème de désincitation
mais le réduit un peu. Avec le QC, B paie 7,1 fois plus que M (195 contre 27,5) quand e=2.
Avec une échelle réduite e=1,5, B paie 6,1 fois plus que M (251,25 contre 41,25).
Abattements pour élever les taux marginaux mais baisser les taux moyens. Les partisans de
l’individualisation ont proposé de l’associer à un
abattement forfaitaire sur le revenu de
chacun des conjoints (en cas de mariage ou de PACS) afin de réduire le taux
moyen
d’imposition
du couple
(c’est
-à-dire augmenter son niveau de vie) par rapport à celui de
deux célibataires, tout en évitant que le second apporteur de ressources ne soit imposé à
des taux
marginaux
plus élevés.
100
Voir aussi Guillaume Allègre (2012) : « Faut-il défendre le quotient familial ?
», Revue de l’OFCE / Débats et
politiques
–
122. Notons qu’1,5 part est l’échelle d’équivalence utilisée par l’INSEE pour comparer les niveaux de
vie de ménage de tailles différentes.
101
Catherine Coutelle (2014) : «
Rapport d’information fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à
l’égalité des chances entre hommes et femmes sur la question des femmes et du système fiscal
».
54
54
2.4.
Acceptabilité de la politique fiscale et discussions sur l
’ impôt européen
2.4.1.
Simplicité, lisibilité, communication et stabilité
La simplicité des règles a un coût. La justification des réformes discutées dans la première
partie tient rarement au principe de simplification. La simplicité a un coût : par exemple, le
fait de prélever à la source nécessiterait encore une déclaration rectificative en cours ou en
fin d’année
si l’on ne veut pas
renoncer à une fo
rte personnalisation de l’impôt. Cette
rectification
n’est pas
plus un problème que la déclaration fiscale actuelle
–
les allemands,
prélevés à la source, remplissent ce genre de déclaration tous les ans en fin d’année
. Comme
argumenté en 1.1, l
’avantage
premier du prélèvement direct
n’est pas la simplification, mais
la contemporanéité de l’impôt
.
D’autres l’ont dit, la simplification n’est donc pas l‘objectif en soi, surtout si l’on veut
sauvegarder un impôt progressif prenant en compte les caractéristiques particulières des
ménages (enfants, handicap
, lieu d’habitation, etc.
) et le revenu des deux conjoints. Il est
cependant tout à fait possible :
d’expliquer pourquoi ce type de complexité demeure (ainsi que la
logique des règles
fiscales aux contribuables) ;
de faire bénéficier aux plus modestes de l’impôt négatif à la source
: en versant les
aides sociales de façon automatique
sous forme de crédit d’impôt remboursable, on
limite les barrières administratives et le sentiment d’assistanat qui conduisent au
non-recours (voir sections 3.1.2 et 3.3.5) ;
de limiter l’empilement des dispositifs
(nous avons vu en 2.1.2
qu’un barème
extrêmement simple peut reproduire la redistributivité du système actuel).
Simplicité au sens d’une réduction du nombre d’instrument
s. Un système plus simple au sens
d’une réduction du nombre de dispositif
s
n’
empêche pas le raffinement dans le traitement
des circonstances individuelles. Un p
rincipe énoncé par l’économiste néerlandais Jan
Tinbergen, premier lauréat du « prix Nobel » d’économie en 1969
,
nous dit qu’il faut en
général au moins autant d’instruments que d’objectifs visés. Il sembl
erait que la France ait
suivi cette règle d’un peu trop près, en dédoublant la taxation des revenus (IR et CSG), l’aide
aux bas revenus (PPE et RSA), la redistribution vers les familles (quotient familial et
allocations familiales). Une version moderne de Tinbergen serait en fait plutôt de concevoir
un dispositif unifié comportant une gamme de paramètres sur lesquels on peut agir.
C’est l’idée de l’impôt négatif
: en redistribuant par l’intermédiaire de l’impôt, on évite les
interactions entre instruments
qui brouillent l’effet d’une mesure. Sans aller jusque
-là, et en
gardant la partie « transferts » (aides sociales) séparée de la partie « prélèvements », on
peut imaginer par exemple une aide sociale intégrée pour les bas revenus, comme nous le
proposons en 3.2.4.
Lisibilité aussi pour le décideur public.
Eviter de se noyer dans une foule d’instrument
s
n’est
pas seulement un objectif pour améliorer l’adhésion des citoyens au système socio
-fiscal,
réduire la fraude socio-fiscal ou limiter le non-recours aux
aides sociales. Il s’agit aussi de
concevoir un outil permettant d’être piloté efficacement par les décideurs publi
cs. On
s’étonne presque de voir que l’empilement des
6
groupes d’
instruments redistributifs
(cotisations, CSG/CRDS, IR, PPE, RSA, AL), constitué chacun de nombreux paramètres, peut
être répliqué par un barème à 3 paramètres (RMG et 2 taux) dans notre exercice en section
2.1.2. Notre illustration était pour un célibataire, donc le cas le plus simple, mais il est
possible de montrer que ce raiso
nnement s’étend lorsqu’on prend en compte les
caractéristiques d’un couple avec enfant.
55
55
Raffinement des barèmes
d’IR contre lisibilité pour le contribuable.
Un point particulier
soulevé par Landais, Piketty et Saez (2011) est le manque de lisibilité
de l’
IR.
S’il s’agit
d’abandonner le QF pour motif que la philosophie qui fonde ce système n’est pas forcément
comprise, on revient au point ci-dessus sur le coût potentiel de la simplification. Beaucoup
de règles fiscales, juridiques, économiques régissent not
re vie en collectivité sans qu’on ne
les comprenne forcément bien ou sans les rejeter si on nous les explique.
Ceci est vrai du QF mais également du barème progressif de l’IR. On ne peut pas dire d’un
côté qu’il faille réduire le nombre de tranches de l’I
R pour simplifier sa présentation, et de
l’autre vouloir introduire de la progressivité dans la CSG.
Le nombre de taux marginaux
n’est pas forcément un problème en soi –
le système allemand es
t d’ailleurs constitué d’une
infinité de taux marginaux puisque
l’IR allemand n’est pas une fonction «
linéaire par
morceau » du revenu imposable mais une fonction « concave » où les taux progressent de
façon continue : on annonce des tranches avec le taux de début et le taux de fin (par
exemple, de 8005 à 13469 euros de revenu imposable, des taux allant de 14% à 23,9%). La
question est de savoir quel degré de progressivité on souhaite, et ainsi le nombre de taux,
leurs seuils et leurs niveaux. La présentation par taux moyen peut ensuite améliorer la
transparence du sys
tème quant à son degré de progressivité et le taux d’imposition
spécifique à chacun.
Lisibilité et communication fiscale : taux marginal versus taux moyen. Suggéré par Landais,
Piketty et Saez (2011), cette
présentation du barème de l’IR sous forme de taux
moyens
plutôt que par taux marginaux par tranche fait partie des améliorations à peu de frais qui
permettent de rendre
l’impôt
plus transparent. Notons que le taux
effectif d’imposition
(le
taux moyen) est déjà
indiqué depuis quelques années sur l’avis d’
imposition. Cependant, les
agents économiques ne se contentent pas de cette information : ils veulent aussi pouvoir
calculer eux-
mêmes l’impôt à venir et éventuellement ajuster leur effort productif au
nouveau barème
de l’année
.
Le barème d’impôt suggéré p
ar Landais, Piketty et Saez
, en remplacement de l’IR et de la
CSG, est un barème exprimé en taux moyens
d’imposition
. La première tranche couvre tous
les revenus de 0 à 1100 euros (ce qui correspond à 0,75 SMIC et, comme on l’a vu, le seuil
de contribution nette pour un célibataire), à un taux de 2%. Tout le monde paie donc un
impôt minimal (ce qui a probablement une valeur symbolique forte, comme discuté à la fin
de la section 2.1.2), mais c
’est
en fait déjà le cas dans le système actuel puisque les salaires
sont imposés dès le premier euro au taux de CSG/CRDS de 8%. Cette première tranche
abaisse donc le taux d’imposition, ce que l’on voit sur le graphique
9 avec une petite baisse
du taux effectif
moyen d’imposition (négatif sous le seuil de 0,75% car l’in
dividu est
receveur net en cas de recours au RSA). Entre 1100 et 2200 euros de revenu brut mensuel,
le taux moyen passe de 2% à 10% de façon graduelle. Entre 2200 et 5000 euros, il passe
graduellement de 10% à 13%. Ces taux conduisent à une hausse de la courbe de budget et
une baisse très nette de la courbe de taux effectifs. En effet, le système actuel taxe les
revenus bruts entre un SMIC (1400 euros) et environ 2,2 SMIC (3000 euros) à 14%
d’IR,
ensuite à 30%, ce à quoi s’ajoute 8% de CSG/CRDS (revenus du
travail). A 3000 euros bruts
(resp. 4000 et
5000), le taux moyen dû pour l’IR et la CSG/CRDS est de
14% (resp. 18% et
20%) environ dans le système actuel contre 11% (resp. 12% et 13%) dans le système
Landais et al. Ce dernier monte ensuite graduellement à 25% pour 10 000 euros, 50% pour
40000 euros et 60% à 100 000 euros.
Sur la gamme de revenus représentés sur le graphique 9, on voit donc que ce système ne
change pas radicalement les choses : il propose un choix un peu différent de progressivité.
D’autre
s barèmes sont possibles.
L’
intérêt, outre la simplification IR-
CSG, est d’éviter un
calcul par tranches de taux marginaux. P
ar exemple, l’impôt dû à 5000 euros de revenu
mensuel est égal à 13% de
5000 euros (soit 650 euros), l’impôt dû à 10
000 euros égal à
25% de 10000 euros (soit 2500 euros). Entre les deux, une règle de trois est nécessaire : le
56
56
taux moyen à 7500 euros
, par exemple, s’élève à
13%+(25%-13%)x(7500-5000)/(10000-
5000)=19%.
Graphique 9 : Système actuel comparé au système Landais et al. (2011)
Source
: calculs de l’auteur.
Le mérite de cette présentation est que les taux moyens sont directement applicables à la
totalité du revenu brut pour donner le montant d’impôt. Ils permettent donc
immédiatement à chacun de se faire une idée de qui paie quoi. De plus, on évite ainsi la
perpétuation du mythe des « effets de seuil
» de l’IR, selon lesquels on «
tomberait » dans la
tranche à 14% à partir de 12000 euros imposables annuels, par exemple, en payant tout
d’un coup beaucoup plus d’impôt. Le raisonnement à la marge, le changement de tranche
n’affectant que les revenus supplémentaires dans cette tranche, n’a jamais été bien compris.
Refonte du système redistributif comme préalable à la stabilité fiscale. La mesure de
réd
uction d’IR pour les bas revenu
s annoncée dans le PLF 2015 illustre le fait que les
politiques fiscales sont souvent faites par à-coup. On aménage les instruments existants
sans repenser l’ensemble du système. Des ajustements à la marge seraient acceptable
s
justement si le système d’ensemble l’était.
Or
l’IR est malade
et son acceptabilité, comme
celle du système fiscal dans son ensemble et de toute réforme ponctuelle, passe avant tout
par une refonte préalable telle
que proposée en première partie. C’est s
eulement après une
réforme
cohérente de l’ensemble IR
-CSG, voire intégrée avec une fusion PPE-RSA-AL, que
l’on peut ensuite envisager une
relative stabilité fiscale - et où les mesures ponctuelles
opèrent au sein d’un système simplifié (en terme d
u nombre
d’instruments) permettant de
gérer de façon unifiée
et cohérente la redistribution et les incitations sur l’ensemble de la
distribution des revenus.
Une évaluation
indirecte de l’acceptabilité de l’impôt.
Le consentement à l’impôt s’est érodé
en France po
ur les raisons évoquées et bien connues, entre sentiment d’injustice et
d’inefficacité. Des études montrent que
l'impact des prélèvements obligatoires sur le bien-
57
57
être des ménages
n’est pourtant pas forcément négatif
, même dans des pays imposés à des
taux proches des nôtres (Allemagne) ou supérieurs (Danemark).
102
Ces études montrent au
contraire que ce qui domine est probablement la perception que l'impôt nous revient sous
forme de biens ou de services publics, de satisfaction morale à aider les plus pauvres grâce
à un système progressif et redistributif, du sentiment d'appartenir à une collectivité et de
participer au bien commun (sentiment identitaire).
2.4.2.
Penser l’impôt dans le cadre européen
Puisque ce rapport envisage des réformes en profondeur du système socio-fiscal français, et
donc vraisemblablement un horizon à long terme, il sera important de projeter également
les idées de réformes dans un cadre européen
–
ce qui dépasse le cadre de ce rapport, mais
nous conduit à faire un bilan de ce que l’on en sai
t.
Une fiscalité européenne des ménages est peu abordée. On a beaucoup parlé de la nécessité
d’une harmonisation fiscale européenne concernant la fiscalité des entreprises. Puisque les
capitaux sont mobiles, la course au moins disant fiscal est une réalit
é qui conduit l’ensemble
des pays européens à abaisser leurs taux d’impôt sur les sociétés.
103
On parle moins
d’harmonisation de l’IR.
Une politique monétaire commune nécessite, entre autres choses, deux conditions qui sont
peu réunies dans la zone euro : une parfaite mobilité du travail et une intégration politique
poussée, notamment sur le plan budgétaire et fiscal. D’une part, une fiscalité des ménages
indépendante dans chaque pays a des implications sur la mobilité des travailleurs, et une
harmonisation européenne de celle-ci ne serait donc pas neutre.
104
D’autre part, jusqu’à
peu, la zone euro n’avait pas de véritable budget fédéral permettant des transferts de
revenus aptes à lisser les chocs asymétriques entre pays et régions d’Europe. La crise des
dettes souveraines depuis 2009 a partiellement changé la donne ;
105
elle a également donné
un nouvel élan au débat sur l’harmonisation fiscale.
Sur le versant recettes, la création d’un
102
Voir Alpaslan Akay, Olivier Bargain, Mathias Dolls, Dirk Neumann, Andreas Peichl, Sebastian Siegloch (2012) :
« Happy Taxpayers ? Income Taxation and Well-Being », document de travail de l'IZA, DP6999, et en révision pour
le Journal of Public Economics. Cette étude, basée sur des données de panel de 26 années et portant sur 6000
personnes chaque année, estime l’effet de l’impôt, à revenu net donné, sur le bien
-être subjectif reporté par ces
individus. L’effet est globalement positif, et plus encore chez pour la moitié des contribuables les moins riches
et,
dans la moitié la plus riche, pour les électeurs de gauche. Ces résultats corroborent ceux obtenus en neuroscience :
William T. Harbaugh, Ulrich Mayr et Daniel R. Burghart (« Neural Responses to Taxation and Voluntary Giving
Reveal Motives for Charitable Donations », Science nº 316, 2007) montrent que des contributions obligatoires (de
type impôt) activent les mêmes parties du cerveau que celles associées à une gratification liée à des contributions
volontaires (du type don).
103
Voir Agnès Bénassy-Quéré, Alain Trannoy et Guntram Wolff (2014) : «
Renforcer l’harmonisation fiscale en
Europe
», Note du conseil d’analyse économique, n° 14, juillet 2014. Les auteurs suggèrent de commencer par
réfléchir à la fiscalité sur les entreprises pour laquelle la concurrence fiscale est source de multiples distorsions
nuisibles à la performance économique. Des pistes de réflexion étaient déjà présentées dans Sterdyniak, H. , M.-H.
Blonde, G. Cornilleau (1991) : « Vers une fiscalité européenne », Economica.
104
La faible mobilité des travailleurs par rapport aux Etats-Unis peut être mise sur le compte de facteurs culturels
ou linguistiques, mais il existe aussi un déficit institutionnel (pas de lisibilité des conséquences fiscales d’une
expatriation, pas de système européen de retraite, etc.). Les politiques socio-fiscales ne sont pas neutres
–
on parle
souvent, à titre anecdotique, du retour en France des français expatriés à Londres lorsqu’ils ont des enfants,
puisque la redistribution française vers les familles compense un peu le différentiel de salaire.
105
Suite à la crise de la dette dans la zone euro, puis du nécessaire plan de sauvetage de la Grèce, un mécanisme
européen de stabilité (MES) a été mis en place, remplaçant les dispositifs existant et permettant une gestion des
crises financières de la zone euro. Il ne s’agit pour autant pas d’un trésor public européen pouvant financer des
politiques publiques européennes et de soutenir la convergence des trajectoires économiques et sociales des Etats
membre.
58
58
impôt européen sur les transactions financière ou d’une taxe environnemental
e a été
discuté.
106
Simulations d’un système socio
-fiscal européen.
Si l’on se projette dans un futur un peu plus
lointain, il est également possible de s’interroger sur l’impact hypothétique d’
un IR
européen (du moins au sein de quelques pays de la zone euro acceptant ce transfert de
souveraineté). Les technologies de microsimulation évoquées précédemment permettent
en effet d’appréhender les effets d’une harmonisation de l’IR à la fois sur la redistribution
des ressources entre pays (et au sein de chaque pays) et sur
l’
effet de stabilisation
automatique
de l’impôt
. Une étude a notamment été réalisée à partir du modèle de
microsimulation européen EUROMOD sur la base de données représentatives de 11 pays de
la zone euro.
107
La simulation d’un impôt effectif global
(prélèvements obligatoires et
transferts aux ménages) a ainsi été réalisée, supposant que ce système remplacerait
partiellement ou totalement le système existant dans chaque pays.
Dans le scénario intermédiaire où ce système harmonisé remplacerait un tiers des systèmes
nationaux
, la simulation montre qu’une petite
majorité de ménages européens verrait leur
revenu disponible augmenter
–
tandis qu’une majorité
de pays serait perdants.
108
La
redistribution globale conduirait à une majorité de gagnants en Grèce, au Portugal, en
Espagne, en Italie et en Allemagne, une majorité de perdants en Autriche, France, Irlande et
Pays-Bas
notamment. Ces résultats tiennent au fait que ce n’est pas seulement les
différences de niveau de revenus entre les pays qui jouent mais aussi la structure des
systèmes d'imposition et de transfert existants. Ainsi, le système allemand se caractérise
par une progressivité des prélèvements légèrement plus élevée que la moyenne
européenne et une redistribution vers les bas revenus légèrement plus faible. Au final,
l'introduction d'un système unifié améliorerait donc la situation en haut de la distribution
(baisse de l’imposition) et en bas (redistribution accrue) dans ce pays. A l’inverse,
ce
système européen mixte impliquerait des impôts légèrement plus élevés en France - ceci
est dû notamment au faible rendement de l’IR à base étroite et au caractère peu progressif
de l’ensemble IR
-CSG - et des transferts un peu inférieurs à ceux du système français.
Ce
système
intégré
européen
permettrait
d'améliorer
la
stabilisation
budgétaire,
notamment dans les pays contraints en termes
d’accès au
crédit. On constaterait une hausse
des stabilisateurs automatiques dans les pays où les systèmes existants ont de faibles effets
par rapport à la moyenne européenne
–
notamment en Europe du Sud. Un système
européen représentant un tiers des systèmes nationaux absorberait entre 10% (Irlande) et
15% (Allemagne) d'un choc macroéconomique de revenu brut.
3.
Articulation des politiques socio-fiscales et la question des bas revenus
Une
réforme générale de l’IR et de la CSG ne peut
donc se penser sans appréhender les
implications sur
le niveau de vie et les incitations à l’emploi des ménages modestes
en
interaction avec les politiques de transferts.
106
Les gouverne
ments se sont vus contraints d’augmenter rapidement la pression fiscale tout en étant confrontés
à une concurrence importante au niveau international et à un mécontentement au sein des pays sur la répartition
de l’ajustement. De plus, l’aide d’urgence aux
pays en crise a parfois été jugée illégitime du fait des faibles niveaux
d’imposition des entreprises ou individus fortunés dans certains pays. Enfin, le besoin s’est progressivement fait
sentir de doter la zone euro d’une « capacité budgétaire », en complément de l’union monétaire et de l’union
bancaire.
107
Voir Bargain, O., M Dolls, C. Fuest, D. Neumann, N. Pestel, A. Peichl, S. Siegloch (2013): “Fiscal Union in Europe?
Efficiency, Equity and Stabilizing Effects of an EU wide income tax », Economic Policy, July 2103, 1-48
108
Ce résultat jette donc un doute sur la faisabilité politique de cette réforme : elle passerait en vertu du traité de
Lisbonne, mais serait rejetée avec les règles du traité de Nice.
59
59
Ceci est illustré par l
a réforme 2014 de l’IR
proposant une suppression de la première
tranche pour les bas revenus. Cette mesure est justifiée comme une politique de soutien aux
ménages modestes
visant à augmenter leur pouvoir d’achat
et améliorer les incitations au
travail. Ce double objectif est aussi et surtout celui des aides sociales que sont la Prime pour
l’Emploi (PPE ci
-après) et le Revenu de Solidarité Active (RSA) dans son volet « RSA
activité ».
Nous proposons donc une analyse des dispositifs actuels
–
PPE, RSA mais aussi les
Allocations Logement (AL)
–
en se concentrant sur leurs rôles redistributif et incitatif en
interaction avec les prélèvements obligatoires. Ceci nous conduit à suggérer des éléments
supplémentaires de réforme du système socio-fiscal.
3.1.
Un bilan sur les principales politiques de soutien aux bas revenus
3.1.1.
Prime pour l’Emploi
(PPE)
Aux commencements, une tentative échouée de CSG progressive. La PPE a été créée en 2001
à la suite d’
une censure du Conseil
Constitutionnel concernant une proposition
d’
abaissement de la CSG sur les bas salaires. Cette mesure originelle était déjà un premier
essai de rendre la CSG progressive, avec un taux réduit pour les bas salaires. Elle fut rejetée
car elle ne prenait pas en compte la capacité contributive des ménage : toute introduction
d’une dose de progressivité, donc de redistribution entre ménages, doit tenir compte du
niveau de vie réel de ces ménages et donc d’un ajustement du revenu par un critère
d’équivalence –
nous avons longuement discuté les implications économiques de cette
question en section 2.2 et 2.3.
Un
crédit d’impôt individuel mais conditionné aux revenus du foyer
. La PPE est attribuée aux
foyers fiscaux dont l'un des membres au moins exerce une activité professionnelle.
C’est un
crédit d’impôt
« remboursable »
, c’est
-à-
dire que si son montant dépasse l’impôt dû, la
différence est restituée au foyer. La PPE débute à 0,3 SMIC « plein » (équivalent temps plein
et année pleine), augmente linéairement
jusqu’à un demi
-SMIC puis augmente encore très
légèrement
jusqu’à un SMIC où elle
atteint son maximum. Elle diminue
enfin pour s’annuler
à 1,4 SMIC
pour un célibataire (2,1 SMIC pour un parent isolé ou le travailleur d’un couple
monoactif). Ce barème de PPE théorique est illustré sur le graphique 10.
109
Ces condit
ions d’attribution en fonction du salaire (en référence au SMIC «
plein ») en font
bien un
crédit d’impôt
individuel
, respectant donc
l’essence de la mesure originelle (
une
baisse de CSG). Cependant, il existe aussi une condition de ressource basée sur les revenus
du foyer fiscal : ce revenu ne doit pas excéder 32 498 euros pour un couple marié ou pacsé,
ou 16 251 euros pour une personne seule (ces montants sont majorés de 4 490 euros par
demi-part, un enfant procurant une demi-part à un couple marié ou pacsé et une part
entière à un parent isolé).
La PPE a été revalorisée au cours des années 2000, avec notamment une forte hausse du
montant maximal entre 2005 et 2007. Son barème est par contre gelé depuis 2009, année
de création du RSA. D'un montant moyen de 436 euros, cette aide a été perçue par 6,3
millions de foyers en 2013 pour un coût total d’environ 2,5 milliards d’euros.
109 La première version de la PPE favorisait les travailleurs à temps plein plutôt que les travailleurs à temps
partiel. Ceci a été corrigé par la réforme du barème survenue en 2003, mais les travailleurs à temps très partiel
(moins de 12 heures par semaine) restent exclus du dispositif.
60
60
Graphique 10 : RSA, PPE théorique et PPE résiduelle
Un impôt (négatif) de type « first best ».
L’impô
t, dans le monde réel, est généralement un
« second best
» au sens des économistes, c’est
-à-dire un prélèvement sur le revenu pouvant
avoir un effet désincitatif sur les comportements productifs
–
ce point a été popularisé par
la célèbre courbe de Laffer. En effet, le revenu étant le produit de la productivité et de
l’effort (ou plus simplement, du salaire horaire et du temps de travail), l’impôt tel qu’on le
connait
taxe autant le talent que l’effort productif.
Un impôt non distorsif sur les revenus consisterait justement en un prélèvement sur le
talent, c’est
-à-dire que son taux dépendrait
non pas du revenu mais d’une mesure de la
productivité individuelle. Ce « first best
» n’existe généralement pas dans la réalité, pour au
moins trois raisons. Premièrement, parce que taxer les individus sur la base de leur talent
intrinsèque pose la définition de ce dernier et des problèmes éthiques associés (peut-on
taxer les gens sur la base de leur QI ?). Deuxièmement, parce que cette information est
généralement inobservable et ne peut être obtenue sur la base de déclarations individuelles
(les génies mentiraient bien volontiers si le taux de taxation individuel croissait avec le
talent). Enfin parce que la productivité n’est peut
-être pas seulement innée mais fonction
du « capital humain
» de l’individu, accumulé par ses efforts consacrés à l’apprentissage, à la
pratique d’un métier, etc. Ainsi, l’impôt «
first best » serait potentiellement source de
désincitation non pas
sur l’effort productif en soi, mais sur l’effo
rt en amont qui conditionne
la productivité
–
l’énergie qu’on met à faire
des études par exemple.
La PPE est donc une curiosité puisqu’il s’agit bien d’un «
first best ». En effet, la PPE est
calculée sur la base d’un
« temps plein, année pleine ». On gomme donc les différences de
temps de travail entre les individus : les revenus « équivalent temps plein, année pleine »
61
61
reflètent bien le salaire unitaire ou horaire de chacun.
110
Notons cependant que le calcul
dépend de la déclaration du nombre total d'heures travaillées dans l'année, déclaration
faite
par l’individu lui
-même, ce qui
est source d’erreur
ou de « fraude ».
111
Atout (théorique):
la PPE offre un système intégré et la possibilité d’
une politique
redistributive cohérente. Considéré parfois (à tort) comme une niche fiscale, la PPE est en
fait la première tentative d’
impôt négatif. Pour cette raison, sa mise en place en 2001 a été
saluée comme un grand progrès. On disposait enfin
à travers l’IR d’un moyen d’atteindre
tous les types de revenus, et en particulier les 50% de français non redevables de
l’IR
. Il
devenait donc possible de pratiquer une politique redistributive véritablement cohérente
sur l’ensemble de la distribution des revenus
grâce à un impôt positif/négatif unifié. Un
système ainsi intégré est potentiellement
plus efficace car l’évaluation des ressources n’est
faite qu’une fois
, par une seule administration.
En pratique, la PPE débute à 0,3 SMIC. Elle couvre donc une large partie de la distribution
des revenus mais pas les plus pauvres.
En d’autre
s termes, elle ne
s’est pas substituée au
RMI/API et ne concerne pas les très bas revenus et le soutien aux ménages sans emploi et
sans revenus de remplacement (ex : chômeur hors droit). De plus, avec le remplacement du
RMI/API par le RSA, elle devient subsidiaire par rapport au RSA
, comme nous l’expliquons
un peu plus bas.
Atout (théorique): un outil incitatif et une redistribution non distorsive. Face au risque de
trappes à inactivité, la PPE a constitué le premier type d’aide aux travailleurs
pauvres
calqué sur le modèle des crédits
d’impôts américain (
Earned Income Tax Credit
) ou
britannique (
Working Tax Credit
). Comme ces dispositifs, la PPE était destinée à « rendre le
travail payant » (
make work pay
) et par là même à inciter au travail. Le site internet des
impôts sous-entend cet objectif incitatif : « la prime pour l'emploi est une aide au retour à
l'emploi ou à la poursuite d'une activité professionnelle ».
En effet, cette prime peut inciter en
rendant le travail plus rémunérateur que l’i
nactivité
pour les individus ne pouvant espérer qu’un faible salaire sur le marché du travail. Il s’agit
donc aussi d’un
objectif redistributif -
et cette redistribution s’opère de manière
doublement optimale
: d’une part, la PPE est un meilleur outil de r
edistribution que le SMIC
qui distord les prix de marché
112
;
d’autre part, la PPE est un «
first best », comme indiqué
ci-dessus, et comme tel,
ne devrait pas créer d’effets (dés)incitatifs sur le temps de travail.
Cependant, la PPE ne répond que de façon théorique à ce double objectif incitatif et
redistributif. Les montants de PPE sont en effet trop faibles pour créer un réel impact
d'incitation au retour à l'emploi ;
l’aide est
de plus assez peu ciblée car le plafond de mise
sous condition de ressources du foyer est assez élevée (une personne rémunérée au SMIC
touche la même PPE que son conjoint soit inactif ou perçoive un revenu pouvant aller
jusqu'à deux fois le SMIC) ; enfin, la PPE exclut ceux qui gagnent moins de 0,3 SMIC (soit 2,8
millions de travailleurs pauvres).
Atout réel: un taux de recours très élevé. Un transfert aux travailleurs pauvre par voie de
crédit d’impôt bénéficie généralement d’un taux de recours –
c’est
-à-
dire d’une
proportion
des bénéficiaires parmi les éligibles -
plus élevé qu’une aide qu’il faut réclamer auprès d’une
agence telle la CAF. On a d’ailleurs vu le taux de recours des aides aux travailleurs pauvre
s
augmenter considérablement en Grande-
Bretagne lors du passage d’une aide
sociale (le
110 De même au Royaume-Uni, le
Working Tax Credit
dépend du temps de travail (il n’est pas accordé pour ceux
travaillant moins de 16h par semaine, et un bonus est donné à ceux effectuant plus de 30 heures), mais cette
condition disparait dans le nouveau système mis en place en 2014 (le
Universal Credit
).
111
Ce serait moins le cas dans système où l’impôt prélevé à la source par «
tiers payeurs », comme en Grande-
Bretagne.
112
Voir Pierre Cahuc, Gilbert Cette et André Zylberberg (2008) : « Salaire minimum et bas revenus : comment
concilier justice sociale et efficacité économique ? », Rapport du CAE
62
62
Family Income Supplement
, FIS, dispos
ant d’un taux de recours estimé entre 30 et 40%
) à
un crédit d’
impôt (le
Family Credit
, FC, dont le taux de recours était estimé à 70-80% dans
les années 90).
113
La PPE, qui ne nécessite pas de démarche administrative à part la
déclaration d’IR,
bénéficie ai
nsi d’un taux de recours de près de 95%.
Les défauts hérités
de l’IR
: décalage temporel et complexité. Le premier travers de la PPE est
celui de l’IR:
elle est versée
en année t sur les revenus de l’année t
-1. Il est donc très difficile
de mener une politique de véritable soutien aux bas revenus
avec un crédit d’impôt
modeste et en retard par rapport aux besoins des ménages. Compenser un choc
macroéconomique négatif ou opérer une relance de la consommation en soutenant le
niveau de vie des travailleurs pauvres ne peut pas non plus passer par une politique dont
les effets se matérialisent avec un an de retard. Ce problème est plus généralement celui de
l’IR et son inadaptation à piloter une politique redi
stributive en temps réel.
114
La CSG peut prendre le relais
mais elle n’est pas vraiment redistributive –
et un paradoxe
tient à la
raison d’être de la PPE
, qui
est due à l’impossibilité de réduire la CSG sur les bas
salaires, alors même que les bénéficiaires de la PPE sont contributeurs nets au système
fisca
l en raison du montant de CSG qu’ils acquittent. On aboutit alors à l’aberration d’un
système qui prélève 8 % de CSG/CRDS au niveau du SMIC pour en reverser une partie
l’année suivante aux mêmes personnes sous la forme d’un crédit d’impôt.
Le deuxième prob
lème hérité de l’IR est
l
a complexité. Tout comme l’IR, la PPE
repose sur
des règles peu simples, avec une double conditionnalité sur les revenus individuels et les
revenus du foyer. Elle est certainement très mal comprise par les bénéficiaires potentiels.
Le site internet des impôts propose un dépliant d'information de 7 pages sur la PPE qui
rebuterait plus d’un spécialiste.
Cela ne nuit pas au taux de recours de la PPE, comme nous
l’avons indiqué, parce que le versement de la PPE se fait automatiquement e
n tant que
crédit d’impôt. Par contre, l
e manque de visibilité de la PPE, son décalage temporel et sa
complexité nuisent forcément au
rôle incitatif sur l’emploi qu’on aimerait lui voir jouer.
Le défaut lié à une mauvaise articulation avec le RSA. En 2009, le RSA est mis en place pour
remplacer le RMI
et l’API et compléter de façon pérenne le revenu d’activité des ménages
modestes avec le « RSA activité ». La PPE n'est pas intégrée au RSA comme cela avait été
initialement envisagé. La PPE (versée sur la base des revenus perçus en t-1) est minorée du
montant total de RSA activité (versé en année t-1). On peut donc voir ce dernier comme une
avance à valoir sur la
PPE, mais c’est en fait la PPE qui
devient une aide résiduelle. Le
graphique 10
nous rappelle d’un
e part la faiblesse des montants de PPE théorique par
rapport au RSA activité, et d’autre part sa quasi
-
disparition (du moins dans le cas d’un
célibataire présenté ici) puisque la PPE résiduelle est encore plus faible et concerne un
intervalle étroit de revenus.
3.1.2.
Revenu de Solidarité Active (RSA)
Palier aux éventuelles trappes à inactivité. Le Revenu de Solidarité Active (RSA) a été mis en
place en 2009 après plusieurs années de débat autour du Revenu Minimum d’Insertion
(RMI) concernant à la fois ses effets redistributifs et incitatifs. En particulier, le RMI a
113
Voir l’étude de Fry, V. and Stark, G. (1993)
: The Take-Up of Means-tested benefits 1984-90 London: IFS.
114
Ceci est clairement illustré par l’annonce récente du gouvernement qui propose de d
oubler en 2015 les
dépenses budgétaire engagées cette année pour le soutien aux faibles revenus (suppression de la première
tranche d’IR à 5,5% pour les bas revenus). Une des pistes explorées pour 2015 est justement une revalorisation de
la PPE. Le problème de décalage temporel étant reconnu par le gouvernement, le versement de la PPE serait
avancé dans le temps par l’intermédiaire d’un "bonus de PPE" à ceux qui l'ont perçue en 2014. Rien ne dit
cependant qu’ils y auront droit encore en 2015, et des mesures
rectificatives seront donc nécessaires,
complexifiant le système pour des mesures dont on voit bien la nature provisoire. Ceci vient donc renforcer notre
recommandation quant à une réforme urgente consistant à rendre l’IR contemporain aux revenus.
63
63
longtemps été accusé de générer des « trappes à inactivité » en réduisant considérablement
les gains nets au travail pour les ménages à bas salaires. En écho à ce débat, diverses
réformes avaient déjà été introduites (surtout
la période d’intéressement durant laquelle le
RMI et les revenus du travail pouvaient être partiellement cumulés).
115
Une extension du RMI aux ménages pauvres en activité. Le RSA vise à lutter contre la
pauvreté et à améliorer les incitations à la reprise d'une activité par rapport au RMI et à
l’API. Il
avait vocation au départ à se substituer aux trois minima sociaux (RMI, API et ASS)
mais n'intègre finalement que les deux premiers.
116
Il remplace également, en les
pérennisant, les mesures d'intéressement et la prime de retour à l'emploi.
Le RSA se calcule comme un montant maximal (le Revenu Minimum Garanti, RMG) qui
varie avec la composition du ménage, diminué de 38% des revenus totaux du ménage
. C’est
donc une aide différentielle de même type que le RMI, la différence étant que ce dernier
« taxait
» à 100% les revenus d’activité après un
e année
de reprise d’emploi
(année au
cours de laquelle les « mesures d
’intéressement
» permettaient un cumul total puis partiel
du RMI et des revenu
s d’activité
).
117
Le RSA pérennise donc les incitations
à l’emploi
offertes de façon temporaire
par l’intéressement
.
Le barème du RSA permet de cibler les ménages à bas revenus. Le RMG étant de 510 euros
pour une personne seule et 764 euros pour un parent isolé avec
un enfant, le RSA s’annule
pour un revenu d’environ un SMIC à temps plein
dans le premier cas et 1,6 fois le SMIC dans
le second (comme on peut voir sur le graphique 10) ; pour un couple, le point de sortie se
situe environ à 1,4 fois le SMIC.
Le « RSA socle », correspondant au RMI/API, couvre à peu près la même population
(environ 1,1 million de bénéficiaires du RMI et 220 000 allocataires de l'API avant 2009),
tandis que le « RSA activité
» correspond à l’aide versée à ceux en emploi (le revenu
disponible de ces derniers est donc équivalent au RMG plus 62% de leurs revenus
d'activité). En décembre 2013 pour le régime général, on dénombrait 1,5 million de foyers
percevant du RSA socle seulement, 0,5 million de foyers avec du RSA activité seulement et
0,2 million de foyers bénéficiant simultanément d’un droit au RSA socle et au RSA activité.
115
La ré
forme du RSA n’agit pas seulement sur le levier financier ; elle cherche également à améliorer le processus
d’accompagnement et d’orientation vers l’emploi, en donnant la priorité à celui
-
ci sur l’accompagnement social. Il
s’agit donc d’une politique d’activation. En effet, l’un des objectifs de la réforme du RSA était de mieux
individualiser et différencier les parcours d’insertion. Les bénéficiaires ayant les revenus d’activité les plus faibles
(entrant dans le champ des « droits et devoirs ») doivent être orientés en priorité vers Pôle emploi ou un autre
organisme du service public de l’emploi. En cas de difficultés faisant obstacle temporairement à un engagement en
faveur d’une insertion professionnelle, les bénéficiaires sont orientés vers un organisme
compétent en matière
d’insertion sociale (conseil général, centres communaux d’action sociale, associations d’insertion, etc.). La loi
généralisant le RSA formalise également la fonction de « référent unique », qui doit organiser l’accompagnement
du bénéfi
ciaire. Pour autant, selon Arnold et Rochut (2013), qui exploitent l’enquête quantitative de la Dares
auprès des bénéficiaires et éligibles au RSA réalisée en 2011, « les bénéficiaires du RSA perçoivent généralement
peu de différence avec le RMI ou l’API [en matière d’accompagnement] ». Voir Arnold C., J. Rochut (2013) : «
L’accompagnement des bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA) », Dares Analyses n°008.
116
L’Allocation de Solidarité Spécifique (ASS) est un transfert octroyé pour deux ans et so
us certaines conditions,
notamment de ressources, après fin des droits à l’allocation chômage.
117
Notons Y le revenu du ménage selon la formule et B(n) le montant maximum de RSA (le RMG), qui dépend de la
structure familiale (conjoint, nombre d’enfants) not
é n. Le revenu Y agrège tous les revenus des membres du
ménage, nets d’impôt et de cotisations sociales, et inclut les autres aides sociales et familiales, à l’exception des
allocations logement qui n’entrent ici que sous la forme d’un forfait logement, re
présentant entre 12 et 17 % de
B(n). Le RSA est calculé comme max(0 ; B(n)
–
t.Y). Dans le régime RMI avant 1997, le taux t était de 100 %. Avec
les mesures dites d’intéressement et notamment la loi Aubry de 1998, le taux t a été abaissé pour une durée d’u
n
an pour permettre un cumul partiel du RMI et des revenus du travail (i.e. ramené à 0 pendant 3 mois puis 50 %
pendant 9 mois). La réforme du RSA a permis de pérenniser cet effet incitatif en fixant indéfiniment le taux t à 38
%, de sorte qu’un allocatair
e du RSA reprenant un travail rémunéré en dessous de B(n)/38 % peut cumuler ses
revenus du travail et une partie du RSA de façon illimitée dans le temps.
64
64
Le coût du RSA est d’environ 8,5 milliards pour le RSA socle et 1,5 milliards pour le RSA
activité.
Le défaut des aides stigmatisantes et administrativement lourdes : le non-recours.
L’a
ttribution du RSA
n’est pas automatique et nécessite de faire une demande (hormis pour
les bénéficiaires du RSA socle qui reprennent une activité). Le renouvellement
s’effectue
tous les 3 mois
(i.e. l’aide est accordée
en fonctions des revenus perçus lors des 3 mois
précédents).
Les études du Comité d
’évaluation du RSA
ont permis de montrer que le taux de non-
recours est de 35% pour le RSA socle.
118
C’est
une proportion comparable à celle qui avait
été estimée pour le RMI lorsque ce programme avait déjà atteint son régime de croisière.
Notons que ce taux parait élevé mais il est plutôt dans une bonne moyenne européenne
–
on trouve des taux de non-recours de
plus de 40% dans l’aide sociale de certains pays
scandinaves et en Allemagne.
119
Beaucoup plus inquiétant est le RSA activité, avec un taux
de non-recours de 68%.
Les causes du non-recours sont connues
: de nombreux ménages vivent la demande d’une
aide sociale comme un coût psychologique associé au sentiment de stigmatisation en tant
qu’
« assisté »
; d’autres ménages n’ont pas accès à l’information (ils n’
ont pas conscience
d’avoir droit
à un minimum social ou ne connaissent pas les
règles d’obtention
) ; enfin, il
existe un coût dit « de transaction » dû à la démarche administrative,
au temps qu’elle
prend (temps qui peut alternativement servir à chercher un travail) et aux lourdeurs
administratives associées à la complexité de ces démarches.
Dans quelle mesure le non-recours est-il
souhaité par l’Etat
? Les études du Comité
d
’évaluat
ion du RSA ont également chiffré le « manque à distribuer » du non-recours au
RSA, c'est-à-dire le montant total auquel les éligibles non-recourant ont droit. La somme est
très importante puisqu'elle se chiffre à environ
4,9 milliards d’euros.
120
Il est donc légitime
de se demander dans quelle mesure cette économie budgétaire pour l’Etat, qui par ailleurs
affaiblit l’impact anti
-
pauvreté de ces mesures, est involontaire ou bien fait partie d’un
calcul coût-
bénéfice de l’administration. Comme le montre
nt Kleven et Kopczuk (2011), la
complexité des aides sociales peut agir comme un paramètre dans le processus de contrôle
ou de « screening
» de l’attribution de ces aides par l’Etat
- et dans son arbitrage entre
maximiser le taux de recours et minimiser le taux de fraude sociale.
121
Dans le cas français, les chiffres semblent plutôt indiquer un problème de gestion: 20 937
cas de fraudes aux prestations familiales contre 700 000 personnes éligibles mais ne
recourant pas au RSA ; 140 millions de fraude sociale (RSA et autres prestations) contre 4,9
milliards de RSA non perçus (1,3 milliards de RSA activité non perçus).
L’écart
financier est
suffisamment
grand pour se demander quel serait, en comparaison, le coût d’un monitoring
permettant de ramener la fraude à un niveau négligeable. Cette comparaison a du sens,
dans la situation actuelle et dans celle où, en même temps
qu’un monitoring renforcé
, on
faciliterait grandement le recours au RSA en simplifiant les démarches et en l’intégrant au
système fiscal pour un paiement automatisé du type PPE. On peut se demander si la crainte
d’une fraude fiscale/sociale
(c’est le fisc qui verseraient les aides sous forme de crédit
118
Comité national d’évaluation du RSA (2001), Rapport final, sous la présidence de François Bourguigno
n.
119
Voir Olivier Bargain, Herwig Immervoll & Heikki Viitamäki (2012): "No claim, no pain. Measuring the non-take-
up of social assistance using register data," Journal of Economic Inequality, 10(3), pages 375-395,
120
Environ 3,1 milliards d'euros par an non distribués suite au non-recours au RSA socle seul, et 2,2 milliards
d’euros pour RSA socle et activité et RSA activité seul. Dans cette somme, 1,7 milliard d’euros correspondent à la
seule composante activité de l’allocation (supérieurs aux dépenses effec
tives en RSA activité : 1,5 milliards). Il faut
toutefois retrancher à ce manque à distribuer 400 millions d’euros de la PPE que les non
-recourants ne
percevraient plus s’ils percevaient le RSA.
121
Kleven, Henrik Jacobsen and Kopczuk, Wojciech (2011): “Tran
sfer program complexity and the take-up of
social benefits”, American Economic Journal: Economic Policy, 3 (1). pp. 54
-90. ISSN 1945-7731.
65
65
d’impôt) dans ce cas ne conduirait pas le
législateur
à rendre l’attribution de l’aide moins
automatique. Il pourrait exiger des bénéficiaires potentiels une demande explicite
–
c’est le
cas en Grande-Bretagne avec le
Working Tax Credit
. Ceci donnerait raison à Kleven et
Kopczuk
: l’arbitrage entre non
-
recours et fraude sociale mérite d’être explicité.
3.1.3.
Allocations Logement (AL)
Des aides importantes en volume et de par leur effet redistributif. Les Allocations Logements
(AL) représentent plus de 15 milliards d’euros, soit plus que le RSA et la PPE réunis.
L’impact anti
-pauvreté de ces aides est souvent sous-estimé
. A titre d’illustration,
les
contraintes de budget que nous présentons en section 3.2 (graphique 11 et 12) montrent
que les AL représentent environ un tiers des ressources pour des individus sans revenu. Ces
graphiques
font l’hypothèse de
ménages locataires en zone 2 (villes de plus de 100 000
habitants, hors Paris) et au loyer plafond (le cas de 86% des ménages du parc locatif privé),
mais le raisonnement ne change pas dans d’autres configurations
.
Une formule complexe. Ces aides sont versées
par l’en
tremise des propriétaires, en
contrepartie de l’existence de charges de logement, et soumises à des critères relatifs aux
caractéristiques de celui-ci (loyer, taille, décence).
Nous donnons l’exemple des AL en
secteur locatif, pour lesquelles la formule est la même en « Aide personnalisée au
logement » ou en « Allocation de logement »
. Il s’agit d’une formule
(inutilement)
complexe: AL = L+C-
Pp, où L est le loyer réel pris en compte dans la limite d’un plafond
variable en fonction de trois zones géographiques et du nombre de personnes à charge ; C
est le forfait de charges ; Pp représente la participation personnelle du ménage calculé
comme Pp=P0 + Tp*(Y-R0) avec P0 la participation minimale (le minimum entre 8,5 % de
la dépense de logement plafonnée et 33,80 euros), Tp le taux de participation personnelle
(en %, qui dépend de la composition familiale) et Y les ressources du foyer (revenu
imposable avant certaines déductions de pensions alimentaires ou d’invalidité) et
diminuées d’un montant forfaitaire R0.
Pas d’articulation avec les
autres aides aux bas revenus. On voit que
l’aide
diminue avec les
revenus du ménage et cible donc les ménages à revenus bas ou modeste. Le taux de sortie
Tp est lui-
même le résultat d’un calcul compliqué et dépend du type de m
énage et du lieu
d’habitation. Pour un célibataire en zone 2, ce taux est de 33,3%
, ce qui paraît élevé. En fait,
le taux d’imposition implicite
des bas revenus, ou taux
effectif
, est bien plus élevé puisque
les taux de sortie des AL et du RSA se cumulent
et s’ajoutent aux taux de cotisations
sociales, de CSG/CRDS et, à partir d’un certain seuil, de l’IR. Nous étudions ce point en détail
dans la section 3.2. Une meilleure articulation avec le RSA pourrait éventuellement
permettre de faire baisser un peu ces taux effectifs ou du moins de gérer le potentiel
redistributif/incitatif des politiques de bas revenus de façon cohérente.
Pas un véritable soutien au logement. P
our de nombreux ménages, l’aide n’augmente pas
avec le loyer réel L puisque ce dernier dépass
e le loyer plafond. C’est le cas de 86% des
locataires du parc privé.
122
De plus, un soutien au logement passant par une revalorisation
du plafond comporte un possible effet inflationniste si les aides au logement sont captées
par les propriétaires à travers une hausse des loyers, comme l
’ont m
ontré plusieurs
études.
123
Il convient donc de déconnecter les AL de la dépense de logement.
122
Avis du Haut Conseil à la Famille, 28 avril 2011, sur « l’architecture des aides aux familles : quelles évolutions
pour les quinze prochaines années ? ».
123
Anne Laferrère et David Le Blanc : « Comment les aides au logement affectent-elles les loyers ? » et Gabrielle
Fack : « Pourquoi les ménages à bas revenus payent-ils des loyers de plus en plus élevés ? L'incidence des aides au
logement en France (1973-2002) ».
66
66
Déconnecter les AL des dépenses logement et les intégrer dans le RSA. Cette piste de réforme
est évoquée par le Haut Conseil à la Famille qui suggère leur remplacement par une
prestation non affectée, déterminée en fonction du niveau de ressources du ménage et de sa
composition. Cette mesure
permettrait d’annuler l’effet inflationniste de toute hausse de
l’aide dû à la captation de
ces hausses par les propriétaires.
La difficulté consiste à
distinguer quel est l’objectif du législateur
: soutien aux bas revenu
(avec une prise en compte de leurs besoins incluant éventuellement les besoins de
logement) ou politique paternaliste (au sens économique). Dans le deuxième cas, on pense
qu’une aide de type AL est le rempart contre une
précarisation du logement, mais il est
aussi possible de faire confiance aux ménages pour cela. C’est bien ce qui est fait pour
d’autres aides «
ciblées » comme par exemple les AF : on attribue ces allocations selon le
nombre et l’âge des enfants et on
les labélise « familiales » pour inciter les parents à utiliser
ces ressources
afin d’
améliorer les conditions de vie de leurs enfants.
A partir du moment où le principe de déconnexion des AL par rapport à la dépense de
logement est acceptée, alors il est possible
d’aller plus loin dans la simplification du
système. On peut en effet réfléchir
à un rapprochement entre cette nouvelle aide et le RSA,
dont la logique redistributive est proche.
124
Dans les deux cas, il
s’agit d’
aides sous condition
de ressources et modulées avec la composition familiale. On pourrait donc remplacer les AL
par des incréments de RSA de sorte que le barème du RSA dépende des besoins moyens de
logement par type de famille et par lieu d’habitation (pour prendre en compte les variations
géographiques dans le coût du logement).
Simplification, hausse du taux de recours et meilleur timing. Le RSA né de cette fusion
permettrait de simplifier les procédures pour les CAF et les démarches pour les allocataires.
Ajouté au fait que les montant de RSA seraient plus élevés et vaudraient donc plus la peine
de faire ces démarches, on peut donc espérer améliorer ainsi le taux de recours, notamment
celui du RSA activité, dont on a rappelé le taux dramatiquement bas.
Le RSA-AL offrirait un meilleur instrument de pilotage de la redistribution et des incitations
vers les bas revenus. Il permettrait éventuellement de reprofiler le barème d’ensemble dans
le sens d
’un meilleur arbitrage entre redistribution et incitation.
Enfin et surtout, les AL héritent du décalage temporel de l’IR. Les conditions de ressource
prises en compte pour l’éligibilité aux AL nécessitent le dernier avis d’imposition
. Il peut
donc s’agir
de celui de t-
1 et donc d’une prise en compte des ressources de t
-
2. L’aide n’est
donc plus du tout adaptée aux circonstances financières présentes du ménage. Un
incrément « logement
» du RSA permettrait au contraire de s’adapter aux besoins
instantanés des ménages.
3.2.
Prélèvements et aides sociales: une mise en perspective
3.2.1.
Différents mécanismes de soutien aux revenus modestes
Les contribuables les plus modestes bénéficient de plusieurs mécanismes spécifiques pour
soutenir leurs revenus. La décote qui diminu
e ou annule l’impôt sur le revenu pour ceux qui
sont proches des seuils d’imposition (elle bénéficie à 12 millions de foyers, pour un coût de
2 milliards d’euros par an), plusieurs exonérations et abattements au niveau de l’IR
124
Cette hypothèse avait été évoquée par la Commission « familles, vulnérabilité, pauvreté » à l’origine de la
création du RSA (rapport « Hirsch ») mais rejetée par le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisée,
au motif qu’une aide sociale globale aurait des effets négatifs considérables sur le logement des personnes
défavorisées. En effet, une aide non affectée pourrait « conduire les plus modestes à réduire leur dépense de
logement au bénéfice d’autres types de dépenses ».
67
67
(abattement pour personnes âgées ou invalides, seuil de mise en recouvrement) de la
CSG/CRDS (exonération ou réduction CRDS pour les chômeurs et les retraités) ou des
impôts locaux (exonération de taxe d'habitation, foncière, redevance), et les aides sociales
liées au revenu (AL, RSA activité, PPE).
On conclue généralement qu’une hausse de revenu conduit à une perte des
avantages
fiscaux et des aides
sociales, d’autant plus forte que la sortie de ces dispositifs est souvent
simultanée car se situant aux mêmes niveaux de revenu brut.
3.2.2.
L’impact relatif des prélèvements et des
aides sur les revenus intermédiaires
Nous proposons ici de se concentrer sur le cas de salariés afin de comparer l‘effet relatif de
baisse de CSG/IR par rapport aux aides de type AL/RSA. L’exemple souvent cité dans
ce cas
est une simulation du Trésor montrant qu’un célibataire payé au SMIC, dont les revenus
augmentent de 100 euros, verrait son revenu disponible progresser de seulement 27 euros
(un taux effectif de prélèvement de 73%), contre 66 euros s’il était payé
1,5 SMIC (un taux
effectif de 24%). L
a différence provient d’une baisse des prestations dans le premier cas.
Les graphiques 11 et 12 illustrent ce phénomène. Nous représentons les composantes du
revenu disponible à chaque niveau de revenu brut, en positif (aides sociales) ou négatif
(impôts et cotisations). Ces graphiques montrent également les niveaux de
revenu
disponible
(courbes de budget), en pointillés longs noirs, ainsi que les taux
marginaux
effectifs
d’imposition (que l’on lit sur l’axe vertical de
droite), en pointillés courts noirs.
Rappelons que ces derniers correspondent à 1 moins la pente de la courbe de budget : ils
reflètent donc ce qui est pris sur un euro supplémentaire de revenu brut, à la fois en
prélèvements réels (impôts, cotisations) mais également
en perte d’aide
s sociales. Enfin,
comme on se concentre sur les bas revenus et la question des incitations au travail, nous
représentons aussi une variante du taux moyen effectif,
l’imposition effective sur la
participation
, calculée comme 1 moins le gain net au travail rapporté au revenu brut total. Il
s’agit donc bien d’un taux d’imposition effective sur ce que l’on gagne si l’on participe au
marché du travail, au-
delà de ce qu’on percevrait hors travail (RSA socle plein, AL
pleines).
125
Le graphique 11
décrit la situation d’un célibataire dont le revenu brut augmente jusqu’à un
SMIC plein temps (1450 euros bruts) du fait d’une hausse de son taux activité, puis au
-delà
de ce seuil, du fait d’une hausse de son salaire horaire jusqu’à 2,77 fois l
e SMIC (environ
4000 euros bruts). Le graphique 12 fait la même hypothèse mais pour un parent isolé avec
un enfant de moins de trois ans.
La redistribution vers les travailleurs pauvres, mais aussi les désincitations potentielles, sont
plus le fait des ai
des sociales que de l’impôt.
Nous observons sur ces graphiques que la
courbe de revenu disponible est relativement plus aplatie à faibles niveaux de revenus. Ceci
reflète bien des taux marginaux
effectifs d’imposition
élevés dus surtout au cumul des taux
de sortie des aides sociales, et notamment du RSA et des AL. Ainsi, à 1000 euros de revenus
bruts, le célibataire subit un taux marginal effectif de 85%. Sans le RSA et les AL, ce taux
effectif serait de 29%. Ceci indique
donc qu’un euro supplémentaire de r
evenu est amputé
de 29 cents de prélèvements obligatoires (CSG, IR, cotisations sociales) mais également
125
Ce taux vaut donc 1 si le gain net au travail est nul (ce qui se passait pour de très faibles revenus d’activité sous
le régime RMI après la fin de l’intéressement), et 0 si le gain
net
à
l’emploi équivaut à ce qu’on gagne, c’est
-à-dire si
l’on peut cumuler intégralement ses revenus d’activité et les aides perçues hors travail. En comparaison, le taux
effectif marginal est 1 moins le gain net sur un euro de revenu supplémentaire. L’impositi
on effective sur la
participation est donc un taux effectif
non-marginal
qui mesure le pourcentage de ce que l’on perd de revenu brut
du fait de l’impossibilité de cumuler totalement revenus d’activités et minima sociaux. On peut aussi l’écrire
comme le taux moyen moins les revenus hors travail (RSA socle plein, AL pleines) divisés par le revenu brut. Il
tend donc vers le taux moyen quand les revenus bruts augmentent.
68
68
réduit de 56 cents
d’
aides sociales. Le graphique 11
confirme donc l’étude du Trésor, avec
des taux effectifs entre 50% et 85% pour les salariés rémunérés
en dessous d’un SMIC
temps plein
. L’imposition effective est autour de 70% à ce niveau de rémunération
: on
garde 30% de ce que l’on gagne en plus des minima sociaux.
Autour de 1,5 SMIC, les taux
marginaux effectifs sont bien plus bas puisque l’on est
sorti de
la zone d’éligibilité au RSA et AL. Ils sont environ
de 30% (on est proche des taux calculés
par le Trésor)
. Par contre, même à ce niveau de revenu, l’imposition
effective de
participation est encore de 60% environ. Ceci est clairement dû au fait que les minima
sociaux sont reste élevés relativement à ce niveau de rémunération.
Le graphique 12 montre
que la situation d’
un ménage monoparental avec un enfant est
similaire mais décalée vers la droite du fait de montants de RSA et d’AL supérieurs. Mêm
e à
1,5 SMIC, elle reçoit toujours du RSA et des AL. A ce niveau de revenu, elle continue donc à
subir
des taux marginaux effectifs élevés (de l’ordre de 60%) et une imposition
effective de
presque 70%.
Graphique 11 : contrainte de budget et ses composantes (personne seule)
Source
: calculs de l’auteur.
69
69
Graphique 12 : contrainte de budget et ses composantes (parent isolé)
Source
: calculs de l’auteur.
Regardons maintenant comment ces taux varient avec des aménagements de type CSG
progressive. Les graphiques 13 et 14, le premier pour un célibataire et le second pour un
parent isolé avec un enfant, montrent les courbes de budget (traits longs, axe de gauche) et
les taux marginaux effectifs (pointillés, axe de droite) dans divers cas.
La sortie des AL contribue à elle-seule à 25-35 points de taux marginaux effectifs
d’imposition.
Les courbes en noir indiquent la situation actuelle (répliques des courbes de
budget et de taux effectifs des graphiques précédents). Nous représentons également 3
scénarios alternatifs : la première (en bleu) où l'on exonère entièrement les allocataires du
RSA de CSG/CRDS ; la seconde (en mauve) où l'on exonère entièrement les allocataires du
RSA d’IR
; la troisième (en ro
uge) où l’on abolit les
AL. Etant donné
l’importance des AL
dans la lutte contre la pauvreté, nous ne préconisons absolument pas cette dernière
réforme mais la présentons pour ses vertus illustratives : elle montre qu’en même temps
que le niveau de revenu disponible diminue du fait de la perte des AL, les taux marginaux
effectifs diminuent considérablement : ils sont maintenant entre 50 et 60%, c'est-à-dire
entre 25 et 35 points de moins que dans la situation actuelle, caractérisant les taux de
retrait des AL.
Une ristourne intégrale de CSG n’abaisserai
t le taux effectif que de 5 points. On voit en
revanche que la ristourne intégrale de CSG a très peu d’effet sur les incitations : les taux
effectifs varient très peu. Ils ne diminuent
même pas de l’intégrali
té du taux de CSG du fait
de la nature différentielle du RSA. En effet, notons Y le revenu pris en compte dans le calcul
du RSA, le RSA est donc égal à RMG-
0,38Y et le revenu net d’un allocataire est
donc
RMG+62%Y (à quelques approximations près concernant le forfait logement). Puisque Y
est le revenu net de CSG/CRDS, on voit donc qu’une ristourne intégrale de CSG va
augmenter le revenu disponible de seulement 62% du montant de CSG/CRDS dû (8%). Le
70
70
taux effectif de prélèvement diminuera donc de moins de 5 points dans ce cas (0,62x8), i.e.
entre 5 et 7 fois moins qu’un ajustement de l’effet désincitatif dû à la sortie des AL.
Une suppression de la 1
ère
tranche d’IR
abaisserait le taux effectif de 5,5 points. L
’annonce
faite pour 2015, une suppression de la p
remière tranche d’IR à 5,5%
, concerne la part du
revenu imposable annuel allant d'environ 6000 à 12000 euros (par part fiscale). Le seuil
supérieur correspond donc à 1000 euros par mois imposables, soit à peu près 1450 euros
bruts (le SMIC), ce qui correspond également au niveau de fin de RSA activité pour un
célibataire (comme on le voit sur le graphique 11). Pour tous les revenus en deçà de ce
seuil, la baisse de 5,5% du taux marginal est donc équivalente à celle obtenue avec la
ristourne de CSG (la contrainte de budget mauve correspondant à cette réforme se
superpose avec la bleue). Les graphiques 13 et 14 montrent que la courbe de taux effectif
(mauve) diminue très peu par rapport à la situation actuelle (noire).
Graphique 13 : revenu disponible et taux marginaux effectifs après modification des AL, de la
CSG ou de l’IR
(personne seule)
Source
: calculs de l’auteur.
71
71
Graphique 14 : revenu disponible et taux marginaux effectifs après modification des AL, de la
CSG ou de l’
IR (parent isolé)
Source
: calculs de l’auteur.
3.2.3.
D’autres dispositifs souvent cités mais finalement modestes
Prestations en nature et droits connexes. Les prestations « en nature » passent par la
fourniture d’un service gratui
t ou dont le prix est en partie supporté par une administration
publique.
Certains droits connexes nationaux sont alloués par l’Etat ou les grandes
entreprises de réseau : dégrèvement de la taxe d’habitation, exonération de la redevance
audiovisuelle, pri
me de Noël, majoration de l’aide personnelle au logement et tarifs
spéciaux téléphone ; la CMU, sa complémentaire santé CMU-C (allouée automatiquement
aux allocataires du RSA socle mais requérant une demande spécifique pour les allocataires
du RSA activité
) ou l’
Aide à la complémentaire santé
(l’ACS
permet de bénéficier d'une
réduction sur le prix annuel de la complémentaire santé choisi par le ménage); les tarifs
sociaux de l’énergie (électricité, gaz) et des transports liés au
bénéfice de la CMU-C.
A l’ép
oque du RMI, le phénomène de trappe à inactivité associé aux minima monétaires
(RMI, API, ASS) était amplifié par la sortie simultanée de certains de ces droits connexes et
d’aides sociales locales.
126
Avant leur remplacement par le RSA et une déconnection entre
certains droits et l’éligibilité aux minima sociaux,
ces aides « en nature » pouvaient en effet
représenter jusqu’à 20% des aides totales reçues par les bénéficiaires de minima sociaux
d’âge actif.
126 Voir le rapport de Sylvie Desmarescaux (2009) : « Mission parlementaire sur les droits connexes locaux dans
le cadre de la
généralisation du RSA
» et l’étude de Denis Anne et Yannick L’Horty (2009)
: « Aides sociales locales,
revenu de Solidarité active (RSA) et gains du retour à l’emploi
», Économie et Statistique, n° 429-430, p. 129-157
72
72
Dans le graphique 15, nous ajoutons au cas-type du graphique 11 la valeur des trois
prestations en nature les plus importantes dans le système actuel (incrément en rouge):
CMU-
C ou ACS et tarifs sociaux de l’énergie («
Electricité »). On voit que ces aides restent
faibles en comparaison des montants de RSA e
t d’AL
: 38 euros par mois pour CMU-C et
tarifs sociaux, 24 pour ACS et tarifs sociaux dans notre exemple pour un célibataire sans
enfant. Ces montants, et donc leur perte en fin de droit, sont, il est vrai, plus importants
pour un parent isolé avec un enfant (61 et 34 respectivement) ou un couple avec deux
enfants (114 et 61 respectivement). La sortie de ces aides n’abaissent
cependant pas
beaucoup le revenu disponible du ménage relativement aux aides sociales monétaires, mais
crée néanmoins un petit effet
de seuil qu’on illustre par les pics de taux margina
ux effectifs
sur le graphique 15, autour de 850 euros (sortie du CMUC-C) et de 1200 euros (sortie de
l’ACS et tarifs sociaux).
Graphique 15 : revenu disponible et taux marginaux effectifs après prise en compte des aides
en nature (personne seule)
Source
: calculs de l’auteur.
La décote d’IR
: un mécanisme à double tranchant. Un dernier mécanisme souvent cité est la
décote de l’IR. Nous montrons ici que son effet sur les inci
tations est également anecdotique
comparé aux taux de sortie des aides sociales. La décote est un mécanisme qui aboutit à
exonérer d'une partie de l'impôt les ménages se situant juste au-dessus de la limite
d'imposition, payant donc peu d'impôt, mais ayant également des revenus assez modestes.
Les contribuables bénéficient d'une décote quand leur impôt T est inférieur à un seuil S, de
sorte que la décote est égale à (S-
T)/2 et l’impôt final est T’=T
-(S-T)/2. Avec S=960 euros
annuels, ce mécanisme permet d'exonérer d'impôt les contribuables dont l'impôt est
inférieur à 320 euros annuels
: leur taux effectif passe de 5,5% (première tranche d’IR) à
0%. L’exonération diminue linéairement entre 320 et 960 euros d’impôt, ce qui correspond
pour un célibataire à environ 1400-1900 euros de revenu brut mensuel. Pour cet intervalle
de revenus, où le taux marginal d’imposition correspond à 14% (seconde tranche d’IR), la
73
73
formule de calcul de la décote aboutit à un taux marginal 1,5 fois plus élevé, c’est
-à-dire
21% (une hausse de 7 points).
127
Ceci est illustré par le graphique 16 pour un célibataire sans enfant
–
les taux effectifs
correspondent ici uniquement aux taux effectifs de l’impôt (on ignore les taux de sortie des
aides, les cotisations sociales et la CSG), c’est
-à-
dire qu’ils sont calculés en variation du
revenu fiscal après impôt pour une hausse marginale du revenu fiscal avant impôt. On
observe les variations de taux effectifs
qu’on vient de décrire
(axe de droite) : une baisse de
5 points à gauche du seuil et une hausse de 7 points à droite. L
’impact, finalement très
faible, sur les revenus fiscaux après impôt est également représenté (axe de gauche) : une
légère hausse du revenu après impôt jusqu’à environ 1400 euros de revenu brut mensuel
(seuil de décote max
imale) puis une annulation progressive de ce gain jusqu’à environ
1900 euros (seuil de fin de décote).
Il n’y a pas d’
« effet de seuil »
au sens d’un
e chute brutale du niveau de revenu après impôt,
comme il est souvent dit à tort
: c’est simplement l’apl
atissement relatif de la courbe de
budget entre les deux seuils qui se produit.
De cette analyse, on voit donc que des mesures consistant à augmenter la décote ne peuvent
que renforcer ce double effet : diminuer le taux effectif de prélèvement en dessous du seuil
de décote maximale (correspondant à un SMIC plein dans la situation actuelle) mais élever
ce taux entre ce seuil et le seuil de fin de décote.
Graphique 16 : mécanisme de la décote et effet sur les taux marginaux effectifs
Source
: calculs de l’auteur.
127
En effet, T’=0 pour ceux dont T
-(S-
T)/2≤0, c’est
-à-
dire T≤S/3=320. La décote s’annule et T’=T lorsque T=S.
Ainsi, pour ceux avec T entre S/3=320 et S=960, l’impôt devient T’=(3T
-S)/2 ce qui multiplie donc leur taux
marginal par 1,5.
74
74
3.2.4.
Les réformes de court-terme passent par une intégration des dispositifs
Différents leviers mais des arbitrages redistribution-incitation
quoiqu’il arrive
. De l
’analyse
précédente, on tire tout d’abord qu’une
politique de soutien aux bas revenus trouve plus de
marges
de manœuvre dans un reprofilage des aides sociales que par une baisse des
prélèvements. L’éternel arbitrage entre redistribution et incitation se pose dans tous les
cas, cependant, ce quel que soit le levier sur lequel on agit. C
et arbitrage s’opère à deux
niveaux.
Il s’agit d’abord d’un choix entre niveau de vie des pauvres inactifs et incitation à participer
au marché du travail. C’est l’enjeu du niveau auquel on fixe les AL minimales et le RSA socle.
Notre exemple ci-
dessus d’une suppression des AL montre que l’on recrée des incitations
au travail plus fortes
mais on diminue l’aide aux pauvres inactifs
, qui sont a priori les plus
pauvres.
Si on envisage maintenant une réforme consistant à baisser le taux de sortie des AL et donc
étendre vers le haut la zone de revenu éligible à ces aides, on augmente cette fois la
redistribution vers des ménages en activité mais à revenu modeste. On augmente aussi les
taux marginaux un peu plus haut (dans la zone de revenus où cette aide se termine
dorénavant). Il y a donc un arbitrage entre soutien aux travailleurs pauvres et le risque
d’inciter certains à une réduction de leur temps de travail.
Les aides sociales intégrées : meilleur pilotage pour une politique redistributive et incitative
cohérente. Une intégration complète des prélèvements et des aides dans un système
d’impôt négatif, tel que proposé (à titre illustratif) en section 2.1, n’arrivera probablement
jamais en France. Il est cependant possible d’envisager une
simplification du nombre
d’instrument
s : intégrer notamment les AL et la PPE dans le barème du RSA.
L’interaction
du RSA avec le barème d
’autres aides sous condition de ressource
s, en premier lieu les AL
mais aussi les droits connexes, conduit à un cumul des taux de sortie qui conduit
, on l’a vu,
à
des taux effectifs de prélèvement qui restent élevés. On constate une grande amélioration
par rapport au RMI, et il ne sera peut-être pas possible de les faire baisser beaucoup plus.
Néanmoins, la lisibilité et l
e pilotage du système s’en trouveront facilités pour le législateur.
Notons que l’idée de rapprocher différentes aides sociales a fait son chemin en Grande
Bretagne où l’année 2014 devrait inaugurer le
niversal Credit
. Recommandé le
Institute for
Fiscal Studies
de Londres, selon les préceptes de la
Mirrlees Review
, ce nouveau crédit
d’impôt remboursable unifie le
Working Tax Credit
(équivalent de notre PPE/RSA activité),
le
Child Tax Credit
(l’équivalent des
AF
, mais sous forme de crédit d’impôt et conditio
nné au
revenu), le
Housing Benefit
(les AL), le
Income Support
(équivalent du RSA socle) et le
Jobseeker’s Allowance (les aides chômage, relativement déconnecté
es du niveau du dernier
salaire dans ce système beveridgien, et donc agissant plus comme des aides sociales que
comme une assurance chômage).
Cette politique unificatrice peut être vue au premier abord comme contraire au principe de
Tinbergen. Un dispositif unifié peut cependant comporter une gamme de paramètres sur
lesquels on peut agir pour prendre en compte les circonstances spécifiques des ménages.
En l’occurrence, un crédit d’impôt remboursable peut agir comme transfert redistributif
vers les plus pauvres, inciter au travail en maintenant des gains nets d’activité suffisants et
s’ajuster selon
l
es caractéristiques que l’on souhaite compenser (enfants à charge, handicap
particulier,
lieu d’habitation,
etc.),
pour des motifs d’équité horizontale ou de politique
ciblée (lutte contre la pauvreté des enfants).
C
’est ce que propose le
Universal Credit
, à savoir une aide globale qui permet de piloter
avec un seul instrument la mise sous condition de ressources et les différents paramètres
relatifs aux circonstances particulières des ménages. Dans ce cas précis, cette politique
britannique tente d’
unifier les taux de sortie des aides en un taux unique de 65% sur les
revenus nets d’impôt et de cotisations
(donc environ 73% du revenu brut), ce qui reste
75
75
malgré tout relativement élevé, afin de donner une meilleure cohérence à la politique
d’incitation au tra
vail.
Comme on l’a dit, il est probablement difficile de faire mieux
: il
faudrait, pour réduire les taux sur les ménages modestes, verser cette aide jusqu’à des
niveaux de revenus sensiblement plus élevés, ce qui a un coût budgétaire difficile en
période de crise. Les autres avantages sont une réduction des coûts administratifs, puisque
l’aide est versée par une seule administration (le
Department for Work and Pension
), et une
amélioration potentielle des taux de recours (l’aide peut être demandé
e en ligne).
3.3.
Enjeux et suggestions pour une refont
e des politiques d’aide
aux bas revenus
3.3.1.
« Trappes à inactivité » et bilan incitatif du RSA
Une amélioration des gains à la reprise d’emploi avec le RSA
.
L’analyse graphique menée en
3.2 a permis de comparer le rôle des différents dispositifs
–
et l’effet potentiel
de réformes
–
agissant sur les bas revenus. Il est important de noter que même si des arguments en faveur
d’une amélioration des incitations au travail subsistent, la situation
actuelle est fortement
améli
orée par rapport à l’ère RMI/API (pendant laquelle les très bas revenus d’activités
subissaient des taux effectifs d’imposition de 100% après un an de reprise d’activité
).
Des trappes à inactivité minimes sauf pour les parents isolés. Même à cette époque,
il n’est
pas sûr que les trappes à inactivités aient été aussi importantes qu’on l
e pensait. Malgré des
gains à la reprise d’activité
très faibles au temps du RMI,
il n’y a jamais eu de preuve
flagrante d’une trappe à inactivité «
généralisée » en France. Des trappes spécifiques à
certains types de ménages existaient sûrement et existent probablement encore
–
touchant
en premier lieu les mères célibataires. Une indication informelle de ceci est que les taux
d’activité
de presque tous les groupes démographiques ont baissé depuis les années 80
mais cette baisse a été nettement plus marquée pour les parents isolés. On a vu pour les
mères célibataires âgés entre 20 et 30 ans un
taux d’
emploi passer de 65% dans les années
1980 à 35% en 2007 (avant la crise). Ceci
laisse à penser qu’une partie
substantielle de ces
ménages aient pu être conduits
à l’inactivité à cause de gains nets à la reprise d’emploi
particulièrement faibles voire négatifs, résultant de trois facteurs cumulés : des salaires de
marché souvent faibles, une taxation effective élevée des revenus du travail due au mode de
calcul d
e l’AMI/
RMI et du congé parental, et des coûts au travail particulièrement élevés
(garde d’enfant)
.
Pour le principal groupe
d’allocataire
s du RMI puis du RSA, les célibataires sans enfant, les
effets désincitatifs de ces aides sont sûrement de bien moindre ampleur. Deux études
proposent une approche par « expérience naturelle » utilisant les variations de montant
selon l'âge ou selon le lieu d'habitation. La première, celle de Bargain et Doorley (2011),
analyse la discontinuité d'âge du RMI à partir de l'enquête du recensement pour l'année
1999. E
n l’absence d’enfant à charge, seules les personnes de 25 ans et plus
pouvaient être
allocataires du RMI.
128
On peut donc vérifier s
’i
l existe un fléchissement visible du taux
d’emploi des jeunes juste après 25 ans, puisque certains d'entre eux choisiraient de ne pas
travailler ou de réduire leur effort de recherche d’emploi à partir de cet âge.
La seconde
étude, celle de Wasmer et Chemi
n (2011), utilise le fait qu’une aide sociale existait en
Alsace-Moselle avant la création du RMI. Ces deux études concluent à de faibles trappes à
128
Bargain O. et K. Doorley (2011) : "Caught in the Trap? The Disincentive Effect of Social Assistance", IZA DP No.
429, 2009, et Journal of Public Economics, 95(9-10), pp 1096-
1110. Wasmer E. et M. Chemin (2011) : “Ex
-ante and
ex-post evaluation of the 1989 French welfare reform using a natural experiment: the 1908 social laws in Alsace-
Moselle”, working paper
76
76
inactivité
–
une baisse
du taux d’emploi de 7
-10% confinée aux individus sans aucun
diplôme.
129
Les autres ana
lyses sur le RMI s’appuient généralement sur la simple mise en relief des
faibles gains nets au travail après la reprise d’un emploi. Il est difficile d’étudier la
population de personnes potentiellement au RMI à partir de bases de données générales.
Pour
cette raison, l’étude Gurgand et Margolis (2008) s’appuie sur un échantillon spécifique
et représentatif d’allocataires du RMI. Les auteurs montrent que les incitations financières
au travail sont faibles pour cette population, mais leurs conclusions tendent à minimiser la
thèse de trappes à inactivité, sauf pour la catégorie des familles monoparentales pour qui
les coûts élevés au travail se cumulent aux faibles gains financiers.
130
Pas
d’
effet « ré-incitatif » à attendre du RSA
et pas d’effet désincitatif n
on plus. Concernant les
effets du RSA
sur l’emploi
, nous disposons maintenant de trois analyses tirées du rapport
final d’é
valuation.
131
Danzin, Simonnet et Trancard (2012) s’intéressent à l’effet du RSA sur
ses b
énéficiaires. Elles montrent qu’
à court terme (moins
d’un an
), ceux-ci ont des gains
financiers au retour à l’emploi souvent plus forts
dans le cadre du RMI que du RSA, en
raison
des mécanismes d’intéressement
qui permettaient un cumul complet d’aide et de
revenu pendant quelques mois
. À l’inverse,
a
près un an de reprise d’activité,
les gains à
l’emploi des allocataires sont plus élevés
avec le RSA. De plus, lors de la mise en place du
RSA, le taux de retour à l’emploi a plus augmenté pour les femmes ayant un ou deux enfants
que pour celles sans enfant, en cohérence avec une plus forte augmentation des gains au
retour à l’emploi à long terme des premières.
Briard et Sautory (2012) s’intéressent quant à eux aux personnes situées juste au
-dessus
du seuil d’éligibilité au RSA avant la réforme, afin de dé
terminer si elles ont réduit leur offre
de travail pour bénéficier du RSA, en passant par exemple à temps partiel. Les auteurs ne
décèlent pas un tel effet désincitatif du RSA sur l’offre de travail, à l’horizon de la fin 2010.
Enfin, Bargain et Vicard (2012) utilisent
la discontinuité d’âge
à 25 ans, qui s’applique aussi
au RSA avant l’introduction d’un RSA jeune en 2011. Ils considèrent la période 2004
-11. En
l'absence d'autres discontinuités d'âge, notamment de mesures encourageant la demande
de travail en faveur des moins de 25 ans, une éventuelle baisse du taux d'emploi à 25 ans
serait intégralement attribuée aux effets du RMI et du RSA sur les incitations financières au
travail.
Comme Bargain et Doorley (2011), ils trouvent qu’
avant 2009, une légère rupture
dans les taux d’emploi est
décelable pour les jeunes les moins qualifiés (ayant au mieux le
BEPC). Cette rupture disparait par la suite, en particulier après la mise en place du RSA. La
conclusion principale est donc que les effets désincitatifs au travail parmi le jeunes sans
enfant étaient déjà faibles avec le RMI, confinés aux jeunes sans qualification, et qu'il n'y
donc pas lieu d'attendre d'effet ré-incitatif fort de la part du RSA.
132
Alors qu’on parle d’échec du RSA, son bilan incitatif n’est d
onc pas négatif. Nous sommes
d’accord avec Allègre (2013) quand il conclue que le RSA doit être repensé «
comme un
instrument de soutien aux bas revenus ayant pour caractéristique de ne pas être
129
Bargain O. et K. Doorley (2011) : "Caught in the Trap? The Disincentive Effect of Social Assistance", IZA DP No.
429, 2009, et Journal of Public Economics, 95(9-10), pp 1096-
1110. Wasmer E. et M. Chemin (2011) : “Ex
-ante and
ex-post evaluation of the 1989 French welfare reform using a natural experiment: the 1908 social laws in Alsace-
Moselle”, working paper
130
Gurgand M. et D. Margolis (2008) : "Does work pay in France? Monetary incentives, hours constraints, and the
guaranteed minimum income", Journal of Public Economics, 92, pp 1669-1697
131
Comité national d’évaluation du RSA (2011), Rapport final, sous la direction de François Bourguignon.
132
Danzin É., V. Simonnet et D.
Trancard (2014) : « Les effets du RSA sur le taux de retour à l’emploi des
bénéficiaires », Economie et Statistiques, N° 467-468, p.91-116. Briard P. et O. Sautory (2012) : « Évaluation de
l’impact du Revenu de Solidarité Active (RSA) sur l’offre de travai
l », Document de travail DARES, n° 171, mars. 1.
Bargain, O., and A. Vicard (2014): “L’impact du RMI/RSA sur l’emploi des jeunes: Etude de la discontinuité à 25
ans’’, Economie et Statistiques, N° 467
-468, p.61-89
77
77
désincitatif, plutôt que comme un instrument visant à inciter
à la reprise d’activité
».
133
Le
bilan redistributif du RSA global est également bon puisque le RSA socle, dont le taux de
recours est acceptable, permet tout comme le RMI de réduire l’intensité de la pauvreté chez
les plus démunis.
134
Le problème essentiel du RSA est le faible taux de recours du RSA
activité
, comme nous l’avons souligné, et la quasi absence d’aide aux plus jeunes malgré la
réforme de 2011.
L
’absence de trappes massives
est assez logique. Les raisons pour lesquelles le phénomène
de trappe à inactivité est globalement faible sont
explorées dans d’autres études
(Deroyon
et al., 2008, Fabre et Vicard, 2009). Entre autres, l’accès à l’emploi peut être perçu comme
une norme sociale à atteindre, même si les gains financiers qu’il procure sont faible
s. De
surcroît, la plupart des chômeurs recherchent un emploi à temps plein, alors que le RMI ou
le RSA jouent surtout sur l’arbitrage entre emploi à temps partiel et inactivité. Enfin, de
faibles gains au travail à court terme peuvent être compensés par des gains à plus long
terme que procure l’augmentation du capital humain lié à l’expérience professionnelle, une
possible baisse des coûts futurs de recherche d’emploi et une amélioration des conditions
futures d’emploi (salaire notamment).
135
Une aide accrue aux bas revenus
procède donc plus d’une volonté redistributive et de
modernisation que d’une réelle nécessité d’améliorer les incitations.
On peut donc souhaiter
vouloir aider un peu plus les bas revenus
ou les gains à une reprise d’activité. Cependant,
u
ne telle politique se justifierait plus par une volonté redistributive qu’incitative
- sauf pour
des populations ciblées comme les mères célibataires, pour lesquelles les trappes à
inactivité sont potentiellement importantes. Des études spécifiques sur ce groupe sont
nécessaires, ainsi qu’une réflexion sur des instruments ciblés tels que les crédit
s
d’impôt
pour garde d’enfant.
On peut vouloir lisser un peu plus la courbe de budget
–
qui est déjà relativement régulière,
comme on l’a vu sur les graphiques 1
1 et 12. Pour cela, il est utile de rappeler que la
modernisation de notre politique socio-fiscale requière une simplification, soit extrême
avec l’impôt négatif, soit plus en douceur avec un effort pour réduire l’amoncellement de
mesures et augmenter la lisibilité
d’ensemble
. Ceci est important pour améliorer la
compréhension du système et limiter le non-recours chez les bénéficiaires potentiels.
C’est
également important pour les décideurs politiques
qui ne perçoivent pas toujours l’effet net
d’une mesure
(la baisse d’IR proposé
e
en 2014 étant un exemple), ce qui réduit l’efficacité
du pilotage des politiques redistributives et incitatives. Nous avons suggéré plus haut
l’intégration de différentes aides et une meilleure coordination avec les prélèvements
obligatoires. Nous étudions maintenant les options possibles spécifiquement pour la
réforme PPE-RSA-AL.
133
Guillaume Allègre (2013) : « RSA et lutte contre la pauvreté : quels effets sur les travailleurs pauvres ? »,
Politiques sociales et familiales n° 113 - septembre 2013.
134
En matière de lutte contre la pauvreté, la fonction du RSA est de diminuer l' « intensité » de la pauvreté, c'est-à-
dire la distance qui sépare le revenu des foyers pauvres du seuil de pauvreté, plutôt que le nombre de foyers dont
le revenu est inférieur à ce seuil. Le rapport du Comité national d’évaluation du RSA (2011) indique que «
l'impact
du RSA sur la pauvreté serait très substantiel s'il était possible de diminuer sensiblement le taux de non-recours,
cet effet jouant moins sur la proportion de pauvres
–
le montant forfaitaire restant inférieur au seuil de pauvreté-
que sur l’intensité de la pauvreté.
»
135
Deroyon T., M. H
ennion, G. Maigne et L. Ricroch (2008) : « L’influence des incitations financières sur le retour à
l’emploi des bénéficiaires du RMI », in RMI, l'état des lieux, 1988
-2008, sous la direction de Lelièvre M. et Nauze-
Fichet E. Fabre V. et A. Vicard (2009) : « Que faut-il faire pour aider les allocataires du RMI à retrouver un emploi ?
Le point de vue des bénéficiaires », Premières Synthèses, n°2009-27.2, Dares
78
78
3.3.2.
Condition de ressources individuelles ou conjointes: redistribution vs. incitation
On peut concevoir une aide
sociale individuelle, c’est
-à-dire conditionnée sur les revenus
individuels (comme le propose Landais, Piketty, Saez, 2011) ou sur les salaires (comme la
PPE). On peut y être fortement opposé et souhaiter conserver une aide conditionnée sur les
revenus du ménage (comme le RSA, mais aussi l’hybride
PPE qui dépend aussi d’un critère
de ressources au niveau du foyer fiscal). On revient donc, dans un certain sens, à la
discussion de la section 2.3 sur l’impôt conjugalisé
versus individuel, et aux arguments
phare du débat : équité horizontale et ciblage
d’un côté
contre incitation au travail féminin
et libéralisme politique
de l’autre
.
136
Objectif redistributif.
L’argument premier pour les défenseurs d’un impôt conjoint est le
critère d’équité horizontale. De la même manière, un impôt négatif ou une aide
sociale
doivent reposer sur une condition de ressources qui apprécie le niveau de vie effectif du
ménage et,
137
si l’on suppose un partage des ressources au sein du ménage, qui apprécie
l’
ensemble
des revenus du ménage. Dit autrement, une aide sociale conditionnée aux
ressources totales du ménage permet de mieux cibler les ménages en fonction de leur
niveau de vie et de redistribuer vers les plus démunis. En ce sens, le RSA fonctionne plutôt
bien car son ciblage permet
d’atteindre en théorie
, mais aussi en pratique dans une large
mesure, les ménages les plus modestes - et ainsi
de réduire l’intensité de la pauvreté chez
les inactifs pauvres (RSA socle) et chez les travailleurs pauvres (RSA activité).
138
Désincitations du second apporteur de revenu.
L’argument
en faveur d
’une aide individuelle
est également
du même type que celui avancé en faveur d’un impôt individualisé, à savoir
que le taux effectif du deuxième apporteur de revenus ne dépend pas des revenus du
premier. La conjugalisation pose problème,
on l’a v
u, dans un système progressif où le taux
marginal inférieur du second travailleur correspond au taux marginal supérieur du premier
travailleur.
Dans le cas de l’impôt, il s’agissait véritablement du taux marginal de la tranche
où se situe le ménage avant q
ue le second travailleur n’entre sur le marché du travail
.
Dans le cas d’une
aide
sociale, il s’agit des taux de sortie des aides sociales. Si l’aide est
versée
sans imposition implicite des revenus sur une plage de revenus initiaux, comme c’est
le cas avec le « plateau
» du crédit d’impôt américain
(EITC), alors les revenus dans cette
tranche seront moins imposés que les revenus un peu supérieurs qui entrent eux dans la
zone de sortie de l’aide. On voit donc bien que si c’est le revenu du ménage qui est u
tilisé
dans la condition de ressource, une telle progressivité des taux implicites risque de
pénaliser les revenus du travailleur «
d’appoint
».
Pour juger de cet effet en France,
considérons d’abord un couple monoactif.
Le graphique
17 montre que le taux
d’imposition effective sur la participation
du premier travailleur est
un peu plus de 50%
jusqu’à 1000 euros de revenu brut
, correspondant au taux de sortie du
RSA cumulé au taux de cotisations sociales. Les AL restent constantes sur cette plage de
revenu (ceci correspond à un « plateau » pour cette aide, tel que nous le décrivons ci-dessus
pour l’EITC).
Au-delà de 1000 euros, le montant des AL diminue avec le revenu. Le taux
marginal effectif saute alors à près à 78%, de façon similaire à ce que nous avons vu pour un
célibataire en 3.2.2 e
t entraine avec lui l’imposition effective sur la parti
cipation qui se met
à augmenter.
136
Pour d’autres arguments en faveur de l’individualisation des droits, nous renvoyons le lecteur à L
andais,
Piketty, Saez (2011), et pour les arguments contre, à Sterdyniak H. (2004)
: « Contre l’individualisation des droits
sociaux », Revue de l’OFCE, n° 90, pp. 419
-460.
137
Nous avons tenté d’éliciter en section 2.2.1 les échelles d’équivalence «
enfant » implicites effectuant cette
transformation du revenu en revenu équivalent, en haut mais aussi en bas de la distribution (en 2.3.4, nous avons
suggéré de le faire pour les échelles d’équivalence «couple»).
138
Voir
: Comité national d’évaluation du RSA (2
001), Rapport final.
79
79
Supposons que le travailleur de ce ménage monoactif soit au SMIC, il est donc taxé à 78% à
la marge et l’imposition effective de sa participation est d’environ 60%
. Supposons
maintenant que l’épouse se mette à travailler. Le gain de revenu disponible (et ses
composantes) en fonction de son revenu brut est représenté sur le graphique 18. Les
premiers euros
de l’épouse
sont taxés au taux marginal effectif des derniers euros de son
mari, à savoir 78%, et son taux d’imposition effective sur la participation est aussi à ce
niveau. Il le reste jusqu’à un demi SMIC et diminue ensuite. Il faut qu’elle gagne jusqu’à 1,2
SMIC pour que son gain net au travail rapporté au revenu soit équivalent à celui de son
mari. Dans cet exemple, c’est donc le temps partiel du second travailleur qui est
découragé.
139
Etant donnés les coûts associés
au travail (notamment les coûts de garde d’enfant), un
conditionnement des aides sociales sur les revenus du ménage a donc potentiellement un
effet important sur le travail des femmes dans les ménages à bas salaires.
Les études empiriques montrent que les réponses comportementales sont plus importantes
dans les ménages à bas revenus.
En section 2.3.3, nous avons minimisé l’ampleur des
réponses comportementales liées à l’effet désincitatif du QC sur l’emploi des femmes dans
les ménages de contribuables. Nous avons cependant souligné que les ajustements d’offre
de travail sont probablement plus importants dans les ménages plus pauvres.
L
a littérature empirique tend à confirmer que le problème d’incitation au travail sur le
second apporteur de revenu se pose avec plus d’acuité
dans les ménages à bas revenus.
Deux études américaines ont étudié les hausses de EITC dans les années 90 aux Etats-
Unis et notamment celle de 1993, utilisées comme des « expériences naturelles » pour
évaluer l’impact du niveau des crédits d’impôt familiarisés sur l’emploi des couples
.
140
Ces
deux études concluent à un effet désincitatif des hausses de crédits
d’impôt sur l’emploi des
femmes mariées, notamment celles avec des enfants et ne pouvant espérer qu’un faible
salaire sur le marché du travail.
L’extension du crédit d’impôt familial britannique a do
nné
lieu à des études similaires dont les conclusions sont plus ambigües.
141
Ces quelques éléments corroborent néanmoins les conclusions obtenues en fin de section
2.3.3
et montrent que le coût potentiel d’une aide conjugalisé
e réside dans un certain degré
de découragement - qui reste à évaluer précisément - des seconds travailleurs dans les
ménages monoactifs à bas revenus.
139
Peut-être plus parlant que les taux effectifs, le calcul des gains
nets à une reprise d’emploi nous montre que
dans cet exemple, le premier apporteur de revenu gagnerait 370 euros mensuels de plus en travaillant pour un
demi-SMIC plutôt que de ne pas travailler. Ce gain net ne serait que de 185 euros pour le second apporteur dans
un ménage biactif.
140
Ellwood, David (2000): “The Impact of the Earned Income Tax Credit and Social Policy Reforms on Work,
Marriage, and Living Arrangements", National Tax Journal, 53(4):1063-1105, et Eissa, Nada et Hilary Hoynes.
(2004): “Taxes and the Labor Market Participation of Married Couples: The Earned Income Tax Credit.” Journal of
Public Economics. 88(9-10): 1931-1958.
141
Blundell, R.W., A. Duncan, J. McCrae and C. Meghir (2000): "The Labour Market Impact of the Working Families'
Tax Credit", Fiscal Studies, 21, 1, 75-103, et Blundell, R., Brewer, M., Shephard, A. (2005): "Evaluating the
labourmarket impact of Working Families Tax Credit using difference-in-differences", HM Revenue and Customs.
La première étude conclue à un effet désincit
atif sur l’emploi des femmes mariées tandis que la seconde ne trouve
pas d’effet.
80
80
Graphique 17 : courbe de budget et ses composantes (couple monoactif)
Source
: calculs de l’auteur.
Graphique 18 : courbe de budget et ses composantes (2
ème
apporteur de revenu)
Source
: calculs de l’auteur.
81
81
3.3.3.
Un point sur la CSG progressive
Un des arguments en faveur d’une CSG progressive est de renforcer les incitations au
travail. Une progressivité de la CSG, notamment dans les bas revenus, est en effet citée
comme une manière très visible de rendre le travail payant.
Nous pensons que c’est un
chemin peu intéressant pour trois raisons.
La première est qu’introduire de la progressivité, c’est
-à-dire une redistribution entre
contribuables, implique que l’on tienne compte de la capacité contributive des ménages et
donc de la composition familiale. Une ristourne de CSG avait été rejetée par le Conseil
Constitutionnel en 2001 pour ce
tte raison, conduisant à la création de la PPE, c’est
-à-dire un
crédit d’impôt individuel mais conditionné sur le revenu du foyer fiscal. D’une part, il n’est
donc pas souhaitable de récidiver sans réformer la PPE elle-
même. D’autre part, c’est plus
généralement dans un nouvel ensemble né de la fusion PPE-RSA-
AL qu’il faut penser ce
mode de redistribution/incitation aux bas revenus.
La deuxième raison est qu’une CSG progressive nécessiterait une déclaration fiscale, tout
comme l’IR, puisque le taux d’imposi
tion dépendrait de la situation du ménage
(composition familial, montant des autres revenus).
Même s’il s’agit de la même déclaration
que pour l’IR, et en supposant qu’on ait mis fin au décalage temporel de l’IR, un deuxième
barème progressif nuirait à la
compréhension du barème effectif qui s’applique à chaque
niveau de revenu.
Il n’est pas souhaitable de rendre le système encore plus
opaque.
La troisième raison est le manque d’efficacité de cette mesure. Comme nous l’avons montré
en 3.2.2, réduire les taux marginaux effectifs est
possible mais la marge de manœuvre d’
une
baisse ou même
d’
une annulation de CSG pour les bas revenus est faible.
Une grande réforme du système PPE-RSA-AL peut obtenir des effets bien supérieurs à un
aménagement de la CSG sans introduire une couche de complexité supplémentaire. Elle
permettrait au contraire de rationaliser
l’ensemble des dispositifs de soutien aux
travailleurs pauvres.
3.3.4.
Un point sur la «
Prime d’Activité Sirugue
»
En 2013, le rapport « Sirugue » a étudié quatre scénarios de réforme des mécanismes de
soutien aux bas revenus, dont le maintien de la seule PPE ou du seul RSA "activité".
142
La
piste privilégiée était le remplacement des deux dispositifs
par une « Prime d’Activité ». Les
ressources de l'ensemble du foyer seraient prises en compte pour déterminer l'éligibilité du
demandeur. La prime serait calculée sur ses seuls revenus, qui devraient être inférieurs à
1,2 SMIC. Elle serait accessible dès 18 ans et versée mensuellement par les CAF. Selon les
simulations du rapport, le montant moyen de cette prime tournerait autour de 94 euros par
mois, contre 40 euros pour la PPE et 170 euros en moyenne pour le RSA.
Prime d’Activité
: un potentiel redistributif plus faible que le RSA activité. Plusieurs
difficultés se posent avec cette proposition. Premièrement, on peut douter du potentiel
redistributif
de la Prime d’Activité. Conçu
e comme la PPE, elle est calculée en fonction du
salaire. Le RSA est, comme on l’a vu, basé sur les ressources du ménage et donc un meilleur
instrument anti-pauvreté. De plus, le RSA
peut aller jusqu’à
1.5 SMIC pour un monoparental
ou 2,1 SMIC pour un couple monoactif. La Prime
d’Activité s’arrête à 1.
2 SMIC
, c’est
-à-dire à
un niveau similaire à la fin de PPE. Les simulations de la Prime Sirugue montrent en effet un
ciblage moins important et chiffrent jusqu’à
600 000 perdants dans le bas de la distribution
par rapport à la situation actuelle. Un couple monoactif avec enfant sur quatre et une
142
Christophe Sirugue (2013)
: « Réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes », Rapport au
Premier ministre.
82
82
famille monoparentale sur trois verraient leurs revenus baisser de 32 euros environ avec
cette nouvelle prestation.
143
Pas d’articulation avec les minima sociaux.
L’aspect peut
-être le plus gênant est le fait que la
Prime d’Activité ne présente pas d’articulation avec les minima sociaux. C’est aussi le cas de
la PP
E, puisqu’il s’agit d’un crédit d’impôt et qu’il aurait donc fallu se diriger vers un impôt
négatif complet du type de celui décrit en 2.1.2 pour permettre cette articulation. Par
contre, le RSA propose une articulation cohérente entre son versant « socle » pour les
pauvres inactifs et « activité » pour les travailleurs pauvres : la condition de ressource,
l’échelle d’équivalence et la condition d’âge sont les mêmes pour l’ensemble des niveaux de
revenus éligibles.
Le problème de non-
recours ne s’améliorera
it probablement pas. La
Prime d’Activité
garde
du RSA le fait qu’il s’agit d’une aide sociale dont il faut faire la demande. A moins d’un
allégement considérable des procédures administratives
–
dont on peut douter à la lumière
des discussions en 3.1.2
–
o
n peut s’attendre à un
taux de recours faible, au pire aussi faible
que celui du RSA activité. De plus, ce problème risque
d’
être renforcé par les complexités
supplémentaires (mesures complémentaires) et surtout par le fait que les montants à
percevoir sont encore plus faibles que ceux du RSA activité (ceci diminue le gain net du
recours et augmente donc la probabilité de non-
recours). C’est sur cette dimension là qu’il
aurait fallu s’inspirer de la PPE, à savoir un système redistributif par crédit d’impôt,
donc
automatiquement versé par l’administration (ou par les entreprises et les pôles emploi si le
mécanisme de « tiers payeur » était retenu).
Décalage temporel.
Enfin, la Prime d’Activité semble à nouveau hériter du
décalage
temporel
de l’IR. En effet,
tout comme la PPE, son montant dépend du salaire (qui doit être
inférieur à 1,2
SMIC) mais l’éligibilité dépend aussi des
revenus globaux du foyer, pris en
compte à partir d’une déclaration fiscale et imposant donc le même décalage d’un an que la
PPE.
L’ex
tension aux jeunes. La pauvreté des jeunes est notablement plus élevée que la moyenne
française
car ils n’ont pas droit aux minima sociaux et ne perçoivent pas d’allocation
chômage (n’ayant généralement pas cotisé suffisamment). Un cheval de bataille du ra
pport
Sirugue qui mérite attention et soutien est la volonté d’étendre les aides sociales à tous
les
travailleurs pauvres âgés d'au moins 18 ans et non de 25 ans. Le « RSA jeune » est en effet
trop restrictif (il faut avoir cotisé deux ans sur les trois dernières années pour être éligible),
et il n’est actuellement perçu que par une poigné de jeunes (9000 environ). La Prime
Sirugue permettrait d’atteindre 300 000 bénéficiaires supplémentaire
s correspondant
essentiellement à ce groupe, les jeunes de 18-25 ans nouvellement éligibles. Une étude
récente montre qu’étendre le RMI aux jeunes de moins de 25 ans aurait généré une baisse
du taux d’emploi
dans cette population,
mais qu’une extension du RSA serait neutre.
144
3.3.5.
Pour une aide aux bas revenu née de la fusion RSA-PPE-AL
Une aide familiale, redistributive et cohérente avec le reste du système.
Si l’objectif central
des politiques d’aide aux bas revenus d’activité
est de réduire la pauvreté, il est nécessaire
de prendre en compte tous les revenus du ménage. Il faut aussi ajuster le niveau de vie du
ménage
à l’aide d’une échelle d’équivalence cohérente avec les dispositifs concernant les
143
Pour éviter que ces familles plus fragiles (mono-parentales et mono-activité) ne soient trop affectées par la
réforme, la prime serait accompagnée de "mesures complémentaires": soit un "complément enfant" (montant
forfaitaire par enfant), soit une majoration de l'allocation de rentrée scolaire.
Dans le premier cas, on complique à
nouveau le système au risque d‘aggraver le manque de lisibilité.
144
Bargain, Olivier & Doorley, Karina, 2013. "Putting Structure on the RD Design: Social Transfers and Youth
Inactivity in France," IZA Discussion Papers 7508, Institute for the Study of Labor (IZA).
83
83
autres niveaux de revenus, et notamment avec
l’impôt citoyen (résultant d’une réforme de
l’IR et de la CSG) et avec l’aide ciblant
les ménages sans ressource (l’articulation RSA socle
-
RSA activité semble être un bon point de départ, mais l’intégration des autres aides, AL
notamment, peut permettre d’aller plus loin). Il faut cibler les ménages dans le besoin, tel
que le fait le RSA activité pour les travailleurs pauvres
, et étendre l’aide aux 18
-25 ans.
Enfin, l’aide remplacerait à la fois le RSA, la PPE et les AL, les montants étant donc calculés
pour limiter les perdants et pour tenir compte non seulement de la composition familiale
mais également des loyers moyens de la région d’habitation.
Recréer des incitations au travail pour les mères à bas salaires.
L’effet désincitatif concernant
les femmes mariées dans les ménages à bas salaire peut être corrigé par des aides
spécifiques permettant de subventionner le coût de garde des enfants. Nous avons
argumenté longuement contre les niches fiscales, mais notons que ce système prend la
forme d’un crédit d’impôt en Grande Bretagne (
Childcare tax credit
). Un tel système devrait
aussi bénéficier aux mères célibataires afin de limiter la trappe à inactivité qui les touche
particulièrement.
Timing et aide au recours.
L’aide devrait venir en complément du revenu contemporain et
donc être conditionnée aux revenus du (ou des) mois passés. Si elle est versée par les CAF,
il faut considérer une sérieuse amélioration du processus administratif d’obtention de l’aide
afin d’améliorer le taux de recours. Si l’impôt devient contemporain aux revenus, soit payé
directement au Trésor public, soit prélevé à la source par un « tiers payeur »
(l’entreprise si
la personne est en emploi ou le Pôle Emploi
si la personne est au chômage), alors il n’y a pas
de vraie raison pour que
l’aide sociale ne prenne pas la forme d’un crédit d’impôt
remboursable.
Si l’on craint
une accélération massive de la fraude sociale dans ce cas, on
peut ajuster le curseur de la complexité administrative en demande une déclaration de
situation régulière du bénéficiaire, du moins plus régulière que la déclaration fiscale
rectificative associée au prélèvement à la source.
145
145
Ce scénario est proche du système britannique, précédemment avec le
Working Tax Credit
, et maintenant avec
le
Universal Credit
. La demande d’une déclaration régulière abaisserait le taux de recours, mais notons
que ces
dernières années, le
Working tax credit
bénéficiait tout de même d’un taux de recours d’environ deux fois
supérieur à celui du RSA activité