Chapitre VI
Les prévisions financières intégrées aux
lois de financement de la sécurité
sociale
: une fiabilité à renforcer, un
suivi à mieux assurer
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DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
:
UNE FIABILITÉ À RENFORCER
,
UN SUIVI À MIEUX
ASSURER
179
_____________________
PRESENTATION
_______________________
Aux termes de l'article 34 de la Constitution tel qu’issu de la
révision constitutionnelle du 22 février 1996 qui a créé cette catégorie
législative nouvelle, « les lois de financement de la sécurité sociale
déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte
tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses ».
À la différence de la loi de finances pour le budget de l’État, la loi
de financement de la sécurité sociale n’autorise pas la perception des
recettes, elle ne fait que les prévoir. De même, les objectifs de dépenses,
votés par le Parlement, évaluent les dépenses mais ne les limitent pas.
La qualité des prévisions annuelles intégrées à la loi de financement
revêt ainsi une importance toute particulière. Leur robustesse conditionne
la capacité à atteindre les objectifs de soldes votés par le Parlement et le
bon dimensionnement des efforts à réaliser. Dans le cadre fixé par le traité
sur la stabilité, la coordination et la gouvernance des finances publiques,
leur fiabilité et le suivi précis de leur réalisation sont une condition
déterminante pour un pilotage approprié des comptes sociaux et le respect
de la trajectoire d’ensemble de redressement des comptes publics auquel la
sécurité sociale, comme l’ensemble
des administrations publiques, doit
contribuer.
Ce caractère essentiel des prévisions pour le cadrage et le pilotage
des finances sociales a amené la Cour à analyser l’organisation et les
méthodes mises en œuvre en ce domaine et à apprécier les résultats
atteints
en procédant à un examen sur les huit dernières années des dispositifs de
projection et de suivi mis en place dans les principales administrations qui,
à un titre ou à un autre, y apportent une contribution
171
.
Elle a constaté le caractère éclaté du
dispositif mis en œuvre,
conduisant à certaines difficultés d’agrégation et de consolidation des
différents travaux (I). La fiabilité encore limitée des prévisions se traduit
par des écarts de solde non négligeables au regard de l’exécution
constatée, sans que les causes de ces derniers en matière de recettes
171.
L’enquête a porté
sur la direction de la sécurité sociale (DSS), la direction
générale du Trésor, la direction du budget, la direction générale des finances
publiques (DGFiP) et le service des retraites de l’État (SRE), la Caisse nationale
d’assurance maladie (CNAMTS), la Caisse nationale d’assurance vieillesse
(CNAVTS), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), l’Agence centrale
des organismes de sécurité sociale (ACOSS), la Caisse centrale de mutualité sociale
agricole (MSA), la Caisse nationale du régime social des indépendants (RSI), la
Caisse des dépôts et consignations (CDC) et
l’Agence technique d’information sur
l’hospitalisation (ATIH)
.
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180
comme de dépenses fassent a posteriori l’objet d’analyses précises et
systématiques (II). La nécessité d’un pilotage réactif de l’exécution des lois
de financement suppose de perfectionner fortement leur suivi infra-annuel
(III).
I
-
Un dispositif éclaté
A - Des processus dispersés
1 -
Des sources d’expertise nombreuses
La structure même de la sécurité sociale dicte la forme que prend
la construction des prévisions. La multiplicité des sources de financement
- plus de cinquante impôts et taxes affectés, de nombreux modes de
cotisations et contributions - , des assiettes variables, une palette étendue
d’exonérations de toutes natures, le grand nombre de prestations servies,
font que chaque entité doit développer des instruments adaptés.
L’essentiel du travail est ainsi effectué par les têtes de réseau des
différentes branches et régimes, avec leurs équipes propres, à partir des
données qu’elles produisent
et selon les méthodes et instruments que
chacune a développés de manière autonome. Certaines administrations y
concourent, notamment pour l’évolution prévisionnelle des pensions des
fonctionnaires de l’État ou encore l’élaboration des tendanciels qui sont
au fondement de la fixation de l’ONDAM.
Des moyens fractionnés
La nécessité de consacrer, dans chaque entité jouant un rôle dans le
processus, une équipe de statisticiens et d’économistes pour construire les
prévisions et effectuer leur suivi conduit à une grande dispersion des
moyens.
Les services en charge de ces questions atteignent presque, dans les
plus importants organismes, une douzaine de personnes
172
. Il est vrai que
ces derniers ont souvent la charge d’opérations lourdes
: par exemple
l’ACOSS est amenée à vérifier trimestriellement 600
000 bordereaux
172.
12 personnes à la CNAMTS, 11 à la CNAV, 9 à l’ACOSS, 10 à la MSA. Ces
agents peuvent se consacrer également à d’autr
es tâches.
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181
récapitulatifs des cotisations déposés par les entreprises pour affiner sa
vision des effectifs employés. Ailleurs se constatent des effectifs très
réduits, de l’ordre de quelques agents
173
.
À certains égards, la répartition des forces apparaît dépendre plus des
ressources de la structure que de la complexité des problèmes à résoudre.
Ainsi la CCMSA, en dépit d’une équipe du même ordre que celle de la
CNAMTS, doit suivre deux régimes distincts (exploitants agricoles d’une
part, salariés agricoles d’autre part) qui intègrent chacun toutes les
branches de la sécurité sociale : recouvrement, famille, maladie, accidents
du travail, vieillesse.
La direction de la sécurité sociale (DSS), dans son rôle de
coordination et de supervision, se consacre essentiellement à la discussion
avec chaque contributeur des hypothèses et des résultats
174
, puis à la
centralisation et à l’appréciation du suivi. Elle ne produit elle
-même que
peu de projections, même si celles-ci sont très importantes du point de
vue financier : cotisations sociales du secteur privé et du secteur public,
rendement de la contribu
tion sociale généralisée sur les revenus d’activité
et de remplacement, transferts, dépenses d’action sociale, dépenses de
gestion administrative et provisions nettes sur les produits notamment.
Sur certains sujets, des expertises émanent en parallèle de plusieurs
ministères. La direction générale du Trésor établit ses propres prévisions
de recettes et un tendanciel de dépenses des soins de ville. La direction du
budget élabore des simulations particulières pour le projet de loi de
financement de la sécuri
té sociale, en mettant particulièrement l’accent
sur l’ONDAM. Les projections de recettes fiscales sont préparées
concurremment par la direction de la sécurité sociale, la direction
générale des finances publiques et la direction générale des douanes et
des droits indirects.
2 -
Une approche croisée encore limitée
La diversité des contributeurs autorise dans certains cas une
multiplication utile des points de vue sur une même problématique.
Encore faut-il que leurs méthodes permettent une approche comparative
suffisamment probante.
173.
4 personnes à la CNAF et au RSI, 6 à l’ATIH, 2,5 équivalents temps plein (ETP)
à la CDC et 1,8 ETP au SRE.
174 . Les projections de rendement fiscal, en principe de nature technique, sont
toutefois arbitrées par les cabinets. La DSS n’a pas par
ailleurs un accès direct aux
données du SRE, contrairement aux autres régimes de retraite.
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182
Les différents modèles employés en matière de retraite n’ont pas
atteint un même degré de maturité, ce qui limite la portée de la
confrontation des résultats et des chiffrages. Le modèle de micro-
simulation PRISME de la Caisse nationa
le d’assurance vieillesse
(CNAV) dispose, notamment pour les mesures nouvelles, de plus grandes
possibilités de prédiction que les modèles générationnels moyens
175
utilisés ailleurs. Le service des retraites de l’État se dote, avec le projet
PABLO
176
, de capacités de même ordre. Les améliorations en cours à la
Caisse des dépôts et consignations se limitent en revanche à ce stade à la
constitution d’un référentiel de cas
-types
177
. Les autres caisses,
notamment la Caisse nationale du régime social des indépendants et la
Caisse centrale de mutualité sociale agricole, n’ont pas engagé de
chantiers analogues.
Dans le domaine de l’assurance maladie, plusieurs utilisateurs ont
développé des méthodes de prévision différentes, souvent proches, dont il
est difficile de déc
eler la valeur ajoutée respective alors qu’elles se
fondent sur une même source de données. À partir des séries historiques
en dates de soins constituées par la Caisse nationale de l’assurance
maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), quatre entités au moins, la
caisse nationale elle-même, la direction de la sécurité sociale, la direction
du budget et la direction générale du trésor, élaborent leurs propres
prévisions, qui sont toutes fondées sur les mêmes séries et la même
méthode sous-jacente.
3 -
Des diffi
cultés d’intégration au niveau central
La DSS agrège les données issues des projections particulières
mises au point par chaque régime en additionnant leurs résultats après
retraitement des mouvements croisés. L’intégration de sources diverses
est
toutefois susceptible d’entraîner des difficultés en raison soit d’un
décalage dans les hypothèses économiques utilisées, soit d’une difficulté
à modéliser l’impact des mesures inter
-régimes.
175. Ces modèles reposent sur la réduction de toute une population à un individu
moyen à qui sont appliquées les évolutions envisagées. Ils s’opposent aux modèles de
micro-simulation, introduits plus récemment, qui appliquent ces mêmes évolutions à
un très large échantillon représentatif de la population.
176.
Ce projet, dont le SRE annonce l’aboutissement pour 2015, devrait permettre de
représenter la totalité de la population concernée, au contraire du modèle actuellement
employé, qui adopte l’approche générationnelle moyenne.
177.
La Caisse des dépôts et consignations prévoit toutefois le développement d’un
modèle de micro-simulation dans le cadre de la prochaine conventi
on d’objectifs et de
gestion de la Caisse nationale de retraite des collectivités locales.
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183
La cohérence des hypothèses générales utilisées dans chacune des
projections de base est en général assurée. L’existence du cadre
macroéconomique de référence s’imposant à la fois à la loi de finances et
à la loi de financement de la sécurité sociale y concourt en tout état de
cause. Les quelques adaptations introduites, lorsque certains régimes,
intervenant sur une base sectorielle, doivent faire des hypothèses
supplémentaires spécifiques sans que le bouclage
ex-post
de l’ensemble
de ces décisions ne soit possible
178
, n’ont qu’une incidence très limitée.
Sur le plan démographique, la parfaite additionnalité des hypothèses
retenues n’est pas toujours assurée
179
, mais ces imperfections n’ont pas
d’impact important avéré.
Pour établir la prévision de la branche famille en ce qui concerne la
population agricole, la CNAF, plutôt que de faire appel aux projections de
la MSA, plus détaillées, extrapole à l’aide de clefs historiques les données
issues de ses propres caisses. Même si l’impact est limité, cette façon de
faire peut poser un problème de rapprochement entre la prévision ainsi
construite et le suivi, assuré par la MSA. Il n’est pas encore certain que
l’intégration financière, désormais totale
180
entre les deux régimes,
conduira à cet égard à des évolutions significatives.
Dans le domaine de l’assurance maladie, les sources
utilisées pour
établir les séries historiques qui sont la base des prévisions d’une grande
partie des dépenses, le système national inter-
régime de l’assurance
maladie (SNIIR-AM) et les données du programme de médicalisation des
systèmes d’information (PMS
I), communes à tous les régimes, sont
exploitées séparément par chacun d’entre eux, mais sans guère
d’échanges sur les méthodes que chacun emploie et sans faire l’objet
d’une exploitation inter
-régime. La CNAMTS élabore en particulier des
modèles de complétude
181
appuyés sur des séries de vingt ans dont ne
disposent pas les autres caisses.
178.
L’estimation du revenu agricole sur des bases autonomes en est un exemple.
179. Dans le domaine des prestations familiales, la CNAF fonde ses estimations sur
les données de natalité
de l’
INSEE et sur leurs corrections ultérieures éventuelles. La
MSA assied ses
prévisions d’assurés
, pour toutes les branches, sur des hypothèses
propres au secteur (le nombre d’installations d’agriculteurs notamment). La CNAV,
dans le cadre de son modèle PRISME, constitue son propre échantillon. Le RSI est
amené à mesurer de façon particulière la population croissante des auto-entrepreneurs.
180. En vertu de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
181. Cette méthode, empruntée
aux techniques de l’assurance, permet, en s’appuyant
sur l’observation de séries temporelles, de construire des tableaux de coefficients de
passage entre les données en date de soins et en date d’enregistrement.
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184
B - Une coordination des méthodes et des outils à
améliorer
Le caractère très modulaire et décentralisé des processus de
projections et de suivi, indissolublement lié à l’orga
nisation même de la
sécurité sociale, suppose une coordination forte du dispositif par la
direction de la sécurité sociale. Les moyens
182
que cette administration y
consacre sont toutefois aujourd’hui très absorbés dans les tâches de
production et de discussion des statistiques.
Agir davantage sur les méthodes développées dans les têtes de
réseau et développer des outils inter-régimes permettrait des progrès de
coordination et d’efficience de nature à sécuriser les processus de
prévision et de suivi.
1 -
Mieux documenter les méthodes développées dans les caisses
nationales
Un référentiel des méthodes utilisées, que la Cour avait déjà
préconisé pour les prévisions des recettes fiscales de l’État dans son
référé sur ce sujet
183
et un descriptif précis des rôles et des obligations de
chacun seraient de nature à remédier à une partie des risques que
l’organisation très éclatée du système fait courir. Des documents
actualisés sur ces points ne sont disponibles que très inégalement dans les
entités responsables des prévis
ions de base. Ils n’existent pas au niveau
central.
Un tel recensement devrait s’accompagner d’un diagnostic étayé
sur la qualité des outils et modèles employés, de manière à apprécier leur
qualité et leur fiabilité et à programmer les actions d’améliorati
on
nécessaires.
182. Huit personnes travaillent dans le bureau chargé des prévisions et analyses des
comptes, quatre dans celui qui suit l’ONDAM et autant dans celui qui analyse les
recettes fiscales.
183. Référé n° 68 282 du 16 décembre 2013, disponible sur www.ccomptes.fr.
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185
L’intégration de la conjoncture économique dans la modélisation des
dépenses
Alors qu’elle participe de nombreux aspects de la représentation
des charges prévues dans le domaine de la famille, la conjoncture
économique est en revanche peu présente dans les méthodes de projection
des dépenses de santé, qu’il s’agisse de la construction des tendanciels
pour l’année suivante ou des prévisions infra
-annuelles. Seul le domaine
comparativement réduit des indemnités journali
ères s’appuie sur une
équation économétrique faisant intervenir l’emploi et le chômage. De
nombreux sous-
objectifs de l’ONDAM font en revanche appel à la
prolongation de tendances. Cette faible prise en compte peut étonner pour
une telle masse de dépenses,
d’autant plus que les notes de la Commission
des comptes de la sécurité sociale reconnaissent a posteriori un impact.
Celui, négatif, de la situation économique difficile de 2008 a ainsi été
évalué à 150
M€ pour le régime général. Dans la branche vieilles
se, la
situation est plus contrastée : la CNAVTS prend parfois en compte ce
facteur dans la formulation de ses estimations, alors que certains régimes
s’appuient davantage sur des appréciations globales ou des dires d’expert
(SRE notamment) et que d’autres
semblent largement l’ignorer.
Les
conventions
d’objectifs
et
de
gestion
devraient
systématiquement intégrer cette préoccupation, comme certaines d’entre
elles ont commencé à le faire en prévoyant des dispositions dans le
domaine des prévisions et du suivi
184
. Elles ont permis, dans certains cas
comme celui des retraites avec la mise en place progressive d’une
nouvelle génération de modèles, des progrès très sensibles, qui ont pu être
capitalisés dans la construction d’ensemble. Mais cette démarche n’est
pas toujours présente.
.
2 -
Finaliser rapidement la mise en place d’outils inter
-régimes
La mise en place d’outils inter
-
régimes permet d’envisager la
réalisation, à terme, de prévisions et de simulations unifiées pour
l’ensemble des régimes alors que la pratique
actuelle consiste à
additionner les estimations de dépenses élaborées par chacun d’entre eux.
À cet égard, de premiers efforts ont été déployés ces dernières années
dans le domaine des retraites afin de pallier l’inexistence de réservoirs de
données de car
rière communes à l’ensemble des régimes de retraite, qui
est à la racine de nombreuses difficultés. La base Echanges inter-régime
de retraite (EIRR) doit être ainsi étendue à des fins statistiques, avec des
résultats attendus pour 2014- 2015, ce qui constituerait un premier pas.
184. Notamment celles passées avec la CNAF et
la CNAV, même si l’avenant prévu à
la COG 2009-
2013 de la CNAV sur ce sujet n’a jamais vu le jour.
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186
Un autre processus, de plus grande ampleur, est en cours. Il s’agit
du répertoire de gestion des carrières unique, qui découle de la loi du 9
novembre 2010 portant réforme des retraites et dont la CNAV est
l’opérateur technique. Ce
répertoire, auquel tous les régimes de retraites
de base doivent adhérer, y compris ceux du secteur public, permettra de
disposer d’un historique complet des carrières de l’ensemble des
personnes couvertes.
Enfin,
l’exploitation
des
déclarations
sociales
n
ominatives
automatisées, qui doivent en 2016 remplacer les actuelles déclarations
issues de la paie, devrait achever de sécuriser les données de carrière et
donc l’information statistique utile pour la prévision.
Ces évolutions permettent d’envisager la ré
alisation, à terme, de
prévisions et de simulations portant sur l’ensemble des régimes, alors que
la pratique actuelle consiste à additionner les estimations de dépenses
élaborées par chacun d’entre eux.
Les obligations européennes de la France rendent désormais
nécessaires la consolidation et une meilleure organisation du dispositif de
projection et de suivi mis en place depuis l’institution des lois de
financement de la sécurité sociale. Sa fiabilité est désormais un enjeu
majeur.
II
-
Une fiabilité encore inégale
A - Des écarts de solde non négligeables entre prévisions
et réalisations
1 -
Des décalages significatifs sur les recettes en partie dus aux
variations de la conjoncture économique
Les administrations de sécurité sociale se fondent, pour élaborer
leurs projections de recettes, sur les hypothèses macroéconomiques
185
détaillées dans le rapport économique, social et financier annexé à la loi
de finances, qui constituent la base commune de la préparation de la loi
de finances et de celle de la loi de financement de la sécurité sociale.
Ces prévisions sont déterminantes pour l’évolution des recettes
sociales, dès lors que ces dernières sont, au contraire de la plupart des
prestations, très liées à l’évolution de la conjoncture. Les cotisations sur
185.
Notamment le PIB, l’emploi, la masse salariale, le salaire moyen, la hausse des
prix.
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187
les salaires, qui en représentent près des deux tiers, sont proportionnelles
à la masse salariale, ainsi qu’une grande part de la CSG, qui apporte à la
sécurité sociale 17 % de ses ressources. Les autres contributions, ainsi
que les impôts et taxes affectés, reposent eux-mêmes sur des assiettes
(salaires et revenus du capital notamment) qui varient en fonction de la
situation économique.
Ce mode de construction explique pour une part que les prévisions
de recettes de la sécurité sociale, pourtant essentielles pour déterminer les
objectifs de dépenses de la sécurité sociale, ne soient guère discutées en
tant que telles dans le cadre des débats au Parlement sur la loi de
financement de la sécurité sociale, ni dans leur dimension prospective ni
au regard de la fiabilité des prévisions passées.
Les écarts entre les prévisions et les réalisations sont cependant
non négligeables. Le tableau suivant permet de les estimer à 2,3 % en
moyenne sur la période 2006-2013
186
, les différences les plus fortes
coïncidant avec les années d’in
flexion de la situation conjoncturelle, soit
positivement comme en 2006 soit négativement comme du fait de la crise
en 2008.
Tableau n° 49 :
comparaison des recettes de toutes les branches prévues
et réalisées
En
Md€ et en
%
Année
Prévisions de la
LFSS
Données
d’exécuti
on
Écart
Écart LFSS et
exécution en %
2006
363,6
381,4
17,8
4,9
2007
394,8
398,3
3,5
0,9
2008
414,8
404,2
-10,6
2,6
2009
430,0
405,6
-24,4
5,7
2010
403,7
401,9
-1,8
0,4
2011
427,3
421,7
-5,6
1,3
2012
440,2
436,3
-3,9
0,9
2013
457,0
449,8
-7,2
1,6
Source :
LFSS et direction de la sécurité sociale
2 -
Des différences limitées sur les dépenses
Mesurées pour les principales branches de la sécurité sociale, les
différences entre les objectifs affichés dans la loi de financement de la
sécurité sociale votée et les
résultats enregistrés à l’issue de l’exercice
restent modérées.
186. 1,8
% si l’on élimine l’année 2009, atypique en raison de l’ampl
eur difficilement
prévisible à la date des prévisions du retournement de la situation économique.
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188
Ce constat vaut en particulier pour la branche vieillesse. L’écart
moyen sur la période 2006-2013, qui se monte à 0,8 %
187
, est faible. La
différence est encore plus réduite pour la période 2010-
2013, puisqu’elle
n’atteint que 0,65
%. Il est vrai que les principaux déterminants des
dépenses sont très stables dans le domaine des retraites. La masse des
pensionnés étant bien connue, les tables de mortalité précises, les
incertitudes ne portent pri
ncipalement que sur deux éléments: il s’agit,
pour le niveau de revalorisation des pensions, de la différence entre
l’inflation prévue et la réalité constatée et, pour l’effectif couvert, du
nombre observé des départs à la retraite par rapport à la prévision, qui
peut cependant s’avérer délicat.
Tableau n° 50 :
comparaison des dépenses de la branche vieillesse, tous
régimes de base, prévues et réalisées
En
Md€ et en
%
Année
Prévisions de la
LFSS
Données
d’exécution
Écart
Écart LFSS et
exécution en %
2006
161,0
163,2
2,2
1,4
2007
170,6
172,9
2,3
1,3
2008
181,2
180,9
-0,3
0,2
2009
189,7
188,4
-1,3
0,7
2010
195,5
194,1
-1,4
0,7
2011
202
202,5
+0,5
0,2
2012
210,4
209,5
-0,9
0,4
2013
218,6
215,8
-2,8
1,3
Source :
LFSS et direction de la sécurité sociale
S’agissant de la
branche famille, les formules utilisées pour prévoir
les dépenses, fondées sur des modèles économétriques et sur des
prolongations de tendances, donnent par nature des résultats moins précis
qui doivent en outre prendre en compte, de façon limitée mais
sig
nificative, des paramètres dépendants de l’évolution conjoncturelle
188
.
L’écart moyen sur la période 2006
-2013 est cependant limité à 1,1 %
189
.
187.
Le chiffre reste inchangé si l’on élimine l’année 2009.
188.
Du fait notamment de l’existence de plafonds de ressources pour un grand
nombre d’allocations, dont l’effet sur le volume des prestations versées est en
particulier sensible à l’évolution des salaires.
189
. Le chiffre reste inchangé si l’on élimine l’année 2009.
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189
Tableau n° 51 :
comparaison des dépenses de la branche famille, tous
régimes de base, prévues et réalisées
En
Md€ et en
%
Année
Prévisions de la
LFSS
Données
d’exécution
Écart
Écart LFSS et
exécution en %
2006
53,3
53,7
0,4
0,8
2007
55,3
54,9
-0,4
0,7
2008
56,9
58,0
+1,1
1,9
2009
59,2
58,4
-0,8
1,4
2010
54,5
53,5
-1
1,8
2011
55,6
54,9
-0,7
1,3
2012
56,5
56,6
+0,1
0,2
2013
58,6
58,2
-0,4
0,7
Source :
LFSS et direction de la sécurité sociale
La prévision des charges pesant sur la branche maladie pose des
problèmes plus complexes. Il faut en effet, pour l’essentiel d’entre elles,
projeter
les
comportements
d’un
très
grand
nombre
d’acteurs,
professionnels de santé, établissements, patients, pouvant mobiliser un
large éventail de dispositifs de soins.
Tableau n° 52 :
comparaison des dépenses de la branche maladie, tous
régimes de base, prévues et réalisées
En
Md€ et en
%
Année
Prévisions de la
LFSS
Données
d’exécution
Écart
Écart LFSS et
exécution en %
2006
153,4
166,0
12,6
8,2
2007
170,1
172,7
2,6
1,5
2008
175,4
168,1
-7,3
4,2
2009
185,6
173,6
-12,0
6,5
2010
179,1
176,5
-2,6
1,5
2011
183,5
180,3
-3,2
1,7
2012
186,2
184,7
-1,5
0,8
2013
190,1
189,1
-1,0
0,5
Source :
LFSS et direction de la sécurité sociale
L’écart moyen sur la période 2006
-2013 (hors 2009, année
exceptionnelle) est plus élevé (2,6 %) que les écarts constatés sur les
recettes mais il diminue à partir de 2010 (1,1% en moyenne sur la période
2010-
2013). S’agissant plus spécifiquement de l’ONDAM, se note une
amélioration de la qualité de la prévision de l’ONDAM, qui représente
plus de 90
% des dépenses de la branche. La mise en œuvre depuis 2011
de dispositifs de suivi et de pilotage infra-annuel de la dépense,
notamment
hospitalière,
permet
de
neutraliser
une
partie
de
l’imperfection du calibrage initial.
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190
Tableau n° 53 :
prévision, dépassement (+) ou sous-exécution (-) de
l’ONDAM
Année
2006
2007
2008
2009
2010
2011
2012
2013(p)
Taux prévisionnel
+2,5
+2,5
+2,8
+3,3
+3,0
+2,9
+2,5
+2,7
Écart d’exécution en
taux
+1,0
+1,9
+0,6
+0,3
-0,4
-0,5
-0,6
-0,8
Écart d’exécution en
Md€
+1,4
+2,8
+0,9
+0,6
-0,5
-0,8
-1,0
-1,4
Source :
PLFSS 2006 à 2013, PLFSS 2014, annexe 1 et Cour des comptes. Les
données 2013 sont provisoires
3 -
Un effet amplifié sur le solde
La combinaison de résultats assez proches des estimations initiales
sur les dépenses et d’écarts plus significatifs sur les recettes a
mécaniquement une incidence amplifiée, en proportion, sur le solde. En
valeur absolue, ce dernier présente un écart par rapport à la prévision de
3,5
Md€ en moyenne sur la période 2006
-2013
190
, soit l’équivalent de
près de 0,2 point de PIB
191
.
Tableau n° 54 :
comparaison des soldes tous régimes de base prévus et
réalisés
En
Md€ et en
%
Année
Prévisions de la
LFSS
Données
d’exécution
Écart
Écart LFSS et
exécution en %
2006
-10,1
-7,8
2,3
22,8
2007
-7,5
-9,1
-1,4
21,3
2008
-7,7
-9,7
-2,0
26,0
2009
-11,4
-21,7
-10,3
90,4
2010
-32,2
-25,5
6,7
20,8
2011
-22,4
-19,1
3,3
14,7
2012
-15,6
-15,1
0,5
3,2
2013
-12,9
-13,1
-0,2
1,6
Source :
LFSS et direction de la sécurité sociale
B -
Une absence préjudiciable d’analyse des écarts
Les rapprochements entre prévisions et réalisations synthétisés
dans les tableaux qui précèdent ne suffisent pas à donner une image
précise de la qualité des projections. Des changements de normes
190. 2,5
Md€ seulement hors année 2009.
191. 0,12 % hors année 2009.
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191
comptables ou de périmètre ont généralement lieu d’un exerc
ice à
l’autre
; des événements imprévus peuvent se produire
192
; des mesures
sont décidées en cours d’année pour tenir les objectifs de dépenses,
comme dans le cas de l’ONDAM. L’évolution de la conjoncture depuis la
date de la préparation du projet de loi de financement de la sécurité
sociale peut avoir des conséquences majeures.
Apprécier la qualité intrinsèque des modèles, des méthodes et des
données utilisées suppose de neutraliser l’effet de ces facteurs exogènes.
L’administration ne fait pas ce type d’an
alyse. La direction de la
sécurité sociale se borne à préparer pour la commission des comptes de la
sécurité sociale, une fois par an et uniquement pour le régime général,
une note détaillant les différences portant sur les seuls soldes. Des
analyses de cette nature ne sont disponibles que de façon inégale dans les
organismes chargés de construire les projections de base. Ce qui peut
exister n’est en tout état de cause ni centralisé, ni exploité de façon
coordonnée.
Ce manque, que la Cour avait déjà pointé pour les recettes fiscales
de l’État dans son référé sur le sujet, est regrettable car il obère les
capacités des services à améliorer leurs méthodes, faute de documenter
précisément les difficultés rencontrées et leur impact, alors même que
certaines sont récurrentes.
Il en est ainsi notamment de l’anticipation du comportement des
assurés, notamment lorsqu’il s’agit de mesures nouvelles impliquant pour
eux des possibilités de choix. Les difficultés rencontrées à cet égard sont
illustrées par l’incapacité
persistante à évaluer correctement le nombre
des départs à la retraite pour l’année suivante, dans un contexte rendu
beaucoup plus mouvant par la multiplication des réformes. Celles-ci ont
ouvert de plus en plus largement des possibilités d’option en termes d’âge
de liquidation (décote et surcote, carrières longues, prise en compte de la
pénibilité)
193
. L’utilisation de la surcote instaurée par la réforme de 2003
a été ainsi très inférieure aux prévisions. Les départs anticipés pour les
192. Ainsi, en 2012, le re
lèvement plus important qu’escompté du SMIC a entraîné
une augmentation très significative du coût final des exonérations sur les bas salaires
par rapport à ce qui avait été prévu. En 2008 et 2009, des changements d’affectation
des droits sur le tabac ont
été décidés en cours d’exercice.
193.
La loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite
prévoit la constitution d’un comité de suivi chargé de rendre un avis annuel sur la
situation de ce dernier et de formuler des
recommandations si le ce dernier s’écarte
significativement de ses objectifs. Sa constitution est susceptible d’amener à préciser
davantage les projections,
d’autant qu’il peut faire prendre en compte ses besoins de
travaux statistiques par les administrations, organismes et établissements concernés.
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192
carrières longues permis par la même réforme ont au contraire été,
d’après une étude rétrospective menée à la CNAV, fortement sous
-
évaluées (de 90 000 départs environ). Le flux total de départs pour
l’année 2011, après la réforme de 2010, s’est avéré surestimé de plus de
30 000 pour le régime général. Des incertitudes de même nature se
rencontrent dans d’autres secteurs, qu’il s’agisse de l’estimation de
certaines prestations familiales (écarts de 220 et 273
M€ par rapport aux
prévisions sur la prestation d’accueil au jeune enf
ant en 2008 et 2009), de
l’évaluation de différentes niches sociales (écart par exemple de 205
M€
en 2010 et 146
M€ en 2011 sur l’incidence des dispositifs d’allègement
de charges sur les heures supplémentaires) ou encore au regard des
possibilités d’optim
isation ouvertes à certains assurés (écart, dans le sens
d’une sous
-
estimation, de 155 M€ en 2012 dans l’estimation de l’impact
du choix des exploitants agricoles entre les deux modes de calcul de leurs
cotisations
194
).
D’une manière générale, l’appréciatio
n de la montée en charge des
mesures nouvelles apparaît particulièrement délicate. Ainsi par exemple
de l’effet de la suppression des avantages liés au troisième enfant pour les
départs à la retraite des agents de la fonction publique, qui explique, selon
le Service des retraites de l’État, une bonne part de l’écart de 115
M€
enregistré en 2011.
L’absence d’analyse rétrospective fait obstacle à la juste
appréciation par le Parlement de la pertinence des processus fondant les
estimations des recettes et des dépenses. La qualité de son information
serait considérablement améliorée par la publication dans une annexe à la
loi de financement de la sécurité sociale d’analyses précises et
documentées sur les écarts constatés et, en ce qui concerne les mesures
nouve
lles, sur les études d’impact initiales, puis, les années suivantes, sur
les effets réels qu’ont eus les dispositions en cause.
194.
Ils pouvaient jusqu’en 2013 choisir entre une assiette représentant la moyenne
des trois dernières années de leur revenu et une option où seule la dernière année était
prise en compte.
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ASSURER
193
III
-
Un suivi à perfectionner
A - Des obstacles structurels à surmonter
1 -
Un décalage temporel important pour le régime général
Pour obtenir, sur le régime général, des données de suivi en droits
constatés, il faut attendre trois mois environ. La cause principale de ce
délai est la nécessité de convertir des informations disponibles, dans les
systèmes d’information et de gestion, en dates d’encaissement ou de
versement en données en date correspondant à la naissance de
l’obligation (date de soins ou période de versement du revenu).
Du côté des dépenses, la CNAMTS comme l’ATIH ne produisent
des données en date de soins qu’avec un dé
lai proche de 90 jours. La
CNAF a besoin de deux mois pour traiter les données remontant des
comptabilités locales. Les caractéristiques des retraites, qui font que le
versement est décalé d’un délai approximativement constant de la période
pour laquelle la pension est due, permettent à la CNAVTS de produire
beaucoup plus tôt des données fiables (huit à dix jours).
Pour ce qui concerne les recettes, l’ACOSS met 70 jours à établir
les assiettes salariales plafonnées en périodes d’emploi et ne produit les
assiettes déplafonnées, avec un décalage comparable, que tous les trois
mois. Les tableaux de suivi des exonérations sont élaborés avec la même
fréquence.
2 -
Des données de moindre qualité pour les autres régimes
Si, pour le régime général, un suivi en droits constatés est possible,
même s’il est décalé, ce n’est pour l’essentiel pas le cas pour les autres
régimes. La CNRSI et la CCMSA fournissent ainsi mensuellement des
statistiques de suivi, mais elles sont uniquement produites en dates de
remboursement, c'est-à-dire selon un format incompatible avec celui des
lois de financement.
Les autres régimes n’élaborent pas non plus, dans le domaine de la
maladie, de données en dates de soins et ne les transmettent pas toujours
aussi régulièrement. Pour les retraites, le
service des retraites de l’État et
la direction du budget ne font pas parvenir de données d’exécution à
intervalles réguliers.
En dehors de travaux réguliers sur les assiettes des cotisations,
certes importantes, l’ACOSS transmet essentiellement des donn
ées de
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194
suivi et de prévision intra-annuelles en trésorerie. Les notifications
comptables qu’elle prépare ne sont pas exploitées par l’administration.
3 -
Un suivi d’ensemble insuffisamment précis
Deux séries de réunions rassemblant, sous l’égide de la directio
n
de la sécurité sociale, les principales entités concernées se tiennent
mensuellement pour apprécier l’évolution de l’exécution de la loi de
financement. Il s’agit, pour le suivi général des comptes de la sécurité
sociale, de la réunion dite de conjoncture
195
et, pour les dépenses de
l’assurance maladie, du comité de pilotage de l’ONDAM
196
, appuyé par
un groupe de suivi statistique.
Les tableaux de bord produits à ces occasions sont d’une qualité et
d’une précision très différente. Alors que, dans le cas de l’
ONDAM, ils
font apparaître chaque mois, en regard des objectifs et sous-objectifs
arrêtés par la loi de financement des estimations chiffrées de l’écart à la
cible, accompagnées dans certains cas, de fourchettes haute et basse
197
,
ils sont beaucoup moins documentés pour le suivi général. La direction de
la sécurité sociale s’attache plutôt à suivre l’évolution des principaux
sous-jacents. Sont ainsi observées, pour les ressources, les prévisions
d’emploi, de salaires
198
, de masse salariale publique et d’exonéra
tions.
L’évolution de quelques recettes est recensée
199
, sans vision de synthèse
des rentrées fiscales et de leurs perspectives. Les produits des cotisations
ou de la CSG ne sont pas recalculés, alors que la plupart des informations
nécessaires pour le faire existent. Les prévisions fournies par la CNAV, la
CNAF et la MSA sont reprises en dépenses ou en soldes, celles sur les
liquidations de retraites étant toutefois individualisées. Lorsqu’elles sont
195. Cette instance réunit, sous la présidence du directeur de la sécurité sociale, ceux
des caisses du régime général de la MSA et du RSI, ainsi que les autres
administrations concernées comme la direction du budget.
196. Ce comité, également présidé par la DSS, réunit les administrations (directions
générales de l’offre de soins, de la cohésion sociale, du budget notamment) et les
principaux organismes concernés par l’ONDAM comme la CNAMTS, la Caisse
nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ou le Conseil économique des
produits de santé (CEPS).
197.
C’est notamment le cas des données transmises par l’ATIH.
198.
L’ACOSS établit à partir de l’été ses propres prévisions d’assiette salariale pour
l’année en cours et les met à jour mensuellement. La plupart des autres organismes
concernés ne produisent pas de projections infra-annuelles.
199. La contribution sur les préretraites, les prélèvements sur les retraites chapeau ou
sur les stock-options par exemple.
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ASSURER
195
envoyées
200
, les informations sur les comptes intermédiaires des petits
régimes ne sont pas exploitées.
B -
La nécessité d’un pilotage réactif
1 -
Des indicateurs avancés à développer
Le retard de deux à trois mois pour la production d’une majorité de
données en droits constatés pour le régime général, leur absence ailleurs,
constituent la principale difficulté sur la voie d’un suivi des recettes et des
dépenses à la fois plus rapproché et plus efficace.
Les procédures de transmission électronique aux organismes
sociaux d’un nombre sans cesse croissant de données, qui acc
élèrent et
fiabilisent par ailleurs les processus de traitement, constituent un levier de
progrès importants à terme en cette direction. Devraient aussi y contribuer
des expérimentations en cours comme la facturation individuelle des
établissements de santé destinée à se substituer au système actuel de
transmission séquentielle par les hôpitaux de données mensuelles
vérifiées ensuite par les agences régionales de santé puis retraitées au
niveau central par l’ATIH.
Les avancées à attendre de ces réformes ne se concrétiseront
toutefois au mieux qu’à moyen terme. Elles ne sont au demeurant pas, en
l’état actuel, susceptibles de couvrir tout le champ des dépenses et des
recettes.
En parallèle, le développement d’indicateurs avancés pertinents
mériterait ainsi
d’être activement encouragé. Ceux
-ci permettent, avant
qu’une donnée d’exécution complète et parfaitement homogène ne soit
établie, de disposer d’une première tendance. Les informations en dates
de remboursement pour la branche maladie constituent ainsi une
indication précieuse de l’évolution des dépenses, quoique d’interprétation
délicate. Les données de paiement par carte vitale, presqu’immédiatement
disponibles et couvrant une proportion toujours croissante de la médecine
de ville, en sont un autre exemple. Ces approches restent très inégalement
développées
201
.
2 -
Un suivi infra-annuel à renforcer
La finalité du suivi ne réside pas en lui-même, mais dans son
utilisation, par les administrations ou, au-delà, par les pouvoirs publics,
200
.
Celles
concernant
le
service des retraites de l’État
ne
le
sont
pas
.
201. Elles sont ainsi inexistantes à la CNAF.
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196
pour corriger les déséquilibres qui apparaissent le cas échéant en cours
d’exercice, soit en gestion, soit si leur ampleur le nécessite par le biais
d’une loi de financement rectificative. La tenue des objectifs financiers de
la loi de financement est en effet un des points essentie
ls de l’appréciation
de la situation des finances publiques dans leur ensemble.
Le pilotage resserré de l’ONDAM mis progressivement en œuvre
ces dernières années illustre la possibilité d’une régulation efficace à
partir de la publication d’avis réguliers
sur le suivi de la trajectoire prévue
par la loi de financement, de la détermination d’un seuil d’alerte en
fonction de l’importance des écarts par rapport aux objectifs et de
l’instauration de mécanismes adaptés.
Les règles européennes
202
contraignent les États membres à
publier dès 2014, des statistiques mensuelles par sous-secteur des
administrations publiques, c’est
-à-dire notamment pour celui des
administrations de sécurité sociale (ASSO). La publication régulière, au
moins trimestriel
lement, de données de suivi de l’exécution des recettes et
des dépenses dans les différents champs de la sécurité sociale, comme
cela existe dans le domaine budgétaire, permettrait de compléter ces
obligations communautaires et de documenter l’écart prévis
ionnel aux
cibles de recettes, de dépenses et de solde de l’exercice et de progresser
dans la voie d’un
pilotage
élargi de l’exécution de la loi de financement
de la sécurité sociale.
__________
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
____________
La qualité des prévisions financières et de leur suivi constitue un
enjeu majeur pour la maîtrise des finances sociales.
Même si se constatent, globalement et dans certains domaines, des
améliorations, il reste des progrès à accomplir. Ils sont possibles sans
qu’il soit besoin de remettre en question l’organisation très éclatée des
processus en cause, qui est indissolublement liée à celle de la sécurité
sociale. Le renforcement de la solidité des méthodes mises en œuvre par
les caisses, le développement des outils inter-régimes, une plus grande
rigueur dans le chiffrage des mesures nouvelles sont en particulier
nécessaires.
Un suivi plus efficace doit être recherché, qui débouche sur la
possibilité de réagir en cours d’année pour assurer le respect de la
trajectoire initiale, soit, pour des écarts mineurs, par des mesures en
gestion, soit, en cas de rupture plus substantielle des conditions de
l’équilibre, en loi de financement rectificative.
202. Directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011.
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197
Afin d’y parvenir, un effort conjoint des administrations de tutelle
et des caisses est nécessaire. Il doit en particulier porter sur une
évolution
des
systèmes
d’information
permettant
de
lever,
progressivement et en tenant compte des contraintes financières, les
obstacles structurels à un suivi rapproché des dépenses, sur l’observation
systématique des écarts avec les prévisions et sur des audits des méthodes
utilisées. Ces actions doivent être systématiquement intégrées dans les
conventions d’objectifs et de gestion entre l’État et les organismes de
sécurité sociale.
La Cour formule les recommandations suivantes :
23.
publier, comme pour le budget de l’État et au moins
trimestriellement, des données relatives à l’exécution des recettes et des
dépenses de la sécurité sociale et développer des indicateurs avancés
permettant de prendre en temps utile d’éventuelles mesures correctrices
pour respecter les objectifs des lois de financement ;
24.
systématiser et formaliser l’examen a posteriori des prévisions, y
compris celles portant sur les mesures nouvelles, en les confrontant avec
la réalité observée et en analysant les origines des écarts afin
d’améliorer le processus de prévision et en en reprenant les résultats
dans une annexe de la loi de financement de la sécurité sociale ;
25.
procéder à l’audit des modèles de prévision et de simulation des
organismes de sécurité sociale et introduire systématiquement dans les
conventions d’objectifs et de gestion conclues avec eux des objectifs
spécifiques d’amélioration à cet égar
d ;
26.
préciser, dans un document de référence rendu public, le rôle et
les obligations de chacun des intervenants dans le processus de prévision
et de suivi et tenir à jour un répertoire des méthodes employées.
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